Le déclin de Jacob ZUMA ou la suprématie du régime parlementaire sud-africain ?

L’ANC a voulu offrir une sortie honorable à son leader contesté en lui proposant de présenter lui-même sa démission. C’était sans compter sur la tenacité de Jacob ZUMA qui tenait à son baroud d’honneur. Il s’est accroché  au pouvoir contre vents et marées.  Il a défié son propre parti en refusant dans un premier temps de démissioner. La  menace de la motion de censure initiée par son propre camp le 14 fevrier 2018 a cependant eu raison de lui.

La confiance brisée entre le camarade Zuma et le parti historique

Les affaires de corruption dans lesquelles le nom de Zuma sont citées sont nombreuses et ont finalement eu raison de sa légitimité. Nombreux sont celles et ceux au sein du parti de Nelson Mandela qui estiment depuis un moment, que le désormais ex-président n’était plus à même de conduire la destinée du pays Arc-en Ciel.

Jacob  ZUMA n’a pas attendu son arrivée au pouvoir pour être empêtré dans des affaires  de corruption et d’éthique. Il avait déjà été contraint à la démission lorsqu’il était vice président de Mbeki avant d’être traduit en justice pour viol sur une femme séropositive.  Bien avant cette affaire, son nom avait été cité en 2003, alors qu’il était déjà vice président, dans une affaire de corruption qui datait de 1999. Cette affaire qui a été par la suite classée sans suite, n’a pas empêché le tandem Mbeki-Zuma de rempiler pour un nouveau mandat.

Devenu en 2007 président de l’ANC, de nouvelles affaires de corruption dans lesquelles son nom est cité sont apparues. Cette accumulation de dossiers compromettants ne l’ont pas empêché d’être élu par ses camarades du parlement, président de la république en mai 2009.

Cette confiance d’apparat n’était en fait entretenue que par la phobie du parti de perdre le pouvoir et de ne pas poursuivre l’oeuvre des fondateurs. Depuis la fin de l’aparteid, l’ANC constitue à lui seul, un « régime politique » qui dirige ce pays. A ce titre, sa démarche a toujours consisté à se maintenir au pouvoir, qu’importe les conditions.

Les affaires  politico-financières de Zuma, ont ébranlé l’électorat de l’ANC, et cela s’est traduit par un cinglant revers électoral lors des élections locales de  2016 et une contestation sociale permanente. Cette situation a catalysé la mobilisation au sein de l’ANC, afin d’éviter la perte du pouvoir  en 2019.

Le peu de crédit et de légitimité dont disposait encore l’ex président au sein de son propre parti ont été épuisés par ces événements et surtout à la suite de sa condamnation pour détournement de deniers publics. Dans cette affaire, la justice a demandé à l’ex président de rembourser une somme totale de 15 millions d’euros à l’Etat ; somme qui a servi à la rénovation de sa résidence privée.Cette enième humiliation judiciaire a sonné le glas de la présidence Zuma dont on retiendra malheureusement plus les frasques judiciaires que les progrès économiques et sociaux qu’elle a pu apporter.

Le départ contraint de Zouma, c’est le triomphe de la démocratie sur les intérêts privés d’une minorité.

 En 1958, la France sous la férule du Général DE GAULLE , a adopté la constitution de la 5è république , pour palier les limites de la 3èmeet 4ème république qui  ont brillé par les instabilités institutionnelles quasi chroniques. La constitution sud africaine de 1993, modifiée en 1996,  faisant un bien original compromis entre un régime parlementaire (où le pouvoir législatif a une puissance politique quasi équivalente à l’exécutif) et un régime présidentiel (où l’exécutif est prédominant dans la gestion des affaires) a elle aussi voulu éviter à l’avenir les dérives de l’exécutif de la période apartheid. C’est ainsi que le président de la république sud africaine n’est pas élu au suffrage universel direct mais est choisi par le parlement et évidemment, au sein du parti ayant obtenu la majorité aux élections législatives.

C’est à cette légitimité que Zuma a essayé de s’accrocher durant ces dernières heures en refusant de démissionner malgré la pression de son parti l’ANC, qui ne trouvait plus en lui, aucune légitimité lui donnant la possibilité de conduire l’exécutif de l’Etat. Peut-être, a –t-il pensé pouvoir encore convaincre des députés de son camp au sein de l’Assemblée, de ne pas voter la motion de défiance qui se préparait contre lui et sa présidence. Une motion de défiance pour rappel, est une procédure législative réservée dans certaines normes fondamentales aux élus du peuple leur permettant de retirer la confiance au chef de l’exécutif (premier ministre généralement dans un régime parlementaire ou semi-présidentiel).

Zuma a donc voulu gagner du temps, histoire de tenter un dernier tour de lobbying afin de convaincre certains élus de son camp de renoncer à l’utilisation de cette arme ultime et fatidique à son règne. Il n’en a malheureusement rien été. Il a été contraint de démissionner et c’est bien le triomphe de la démocratie sur les intérêts privés d’une minorité qui a été manifesté.

La principale leçon à tirer de cette tragédie politique pour les pays africains se résume en la sacralisation des institutions sur les hommes qui les incarnent. Une  situation similaire dans d’autres pays africains n’aurait sans doute pas connu le même épilogue. Des acrobaties constitutionnelles couplées à des arguties juridiques auraient été utilisées pour  sauver un homme ( et ses intérêts)  au détriment des institutions.

L’Afrique du Sud nous réveille ce matin avec ce brin d’optimisme supplémentaire que le principe selon lequel les institutions sont au dessus des hommes n’est pas qu’une théorie en Afrique, mais peut bel et bien être mis en application.

Opérations mains propres en Afrique, opérations cosmétiques ?

JPG_NigerCorruption121114« Opérations mains propres » : le slogan trouve son origine dans l’Italie des années 1992, où la chasse à la corruption, « Mani Pulite », n’obtint rien de moins que la chute de la 1ere République. C’est donc un beau programme que se sont donné ces dernières années les divers gouvernements africains qui ont entrepris de telles batailles, quel que soient le nom que ces dernières aient reçu.

Dès 2006, l’opération « Epervier » lancée au Cameroun par son président Paul Biya aboutissait à l’arrestation de nombreux anciens ministres et dirigeants d’entreprises publiques. Depuis, les exemples se sont multipliés sur le continent : représentent-ils un premier pas vers la fin de l’impunité généralisée ?

Pourquoi maintenant ?

De manière inédite, les instigateurs de ces campagnes de bonne gouvernance ne sont plus les bailleurs internationaux du continent ni la société civile, mais les gouvernements eux-mêmes : alors pourquoi maintenant ?

La vague de démocratisation des années 1990 a soulevé de fortes attentes populaires sans porter ses promesses : les indicateurs de corruptions ont explosé dans la majorité des pays audités ces dix dernières années. En parallèle, la généralisation de l’accès à l’information et la publication de rapports sur la corruption des milieux politiques et économiques tels ceux de Chatham House ou de Transparency International ont fini par influencer le dialogue politique. Les campagnes électorales se sont emparées du sujet et, de façon notoire, la plupart des dernières élections du continent se sont gagnées sur les thèmes de lutte contre la corruption et de bonne gouvernance.

De la campagne de Macky Sall en 2012 au Sénégal aux promesses de Muhammaddu Buhari au Nigéria : qu’en est il aujourd’hui ? Tour d’horizon de quelques unes des opérations mains propres du continent.

Sénégal, une stratégie progressive

Au Sénégal, la dynamique semble bien lancée depuis 2012 : dès son élection, le gouvernement Macky Sall a envoyé des signaux forts avec la création d’un ministère de Promotion de la bonne gouvernance, suivie de la mise en place de l’Office National de Lutte contre la Fraude et la Corruption (OFNAC). En juin 2013, Dakar poursuivait avec le lancement de sa Stratégie nationale pour la bonne gouvernance.

Nigéria : Buhari, Monsieur propre ?

Six mois à peine après son élection, Buhari limogeait l’ex-patron de la puissante EFCC, l’agence fédérale nigériane traquant les crimes économiques et financiers. Durant ses 100 premiers jours au pouvoir, de nombreuses mesures ont ainsi été prises pour redresser la corruption du pays : Président et vice-président ont divisé leur propre salaire par deux et déclaré le montant de leur patrimoine, des mécanismes de rationalisation financière ont été instaurés avec les Etats fédérés, un Comité de conseil contre la corruption composé de sept personnalités reconnues a été formé, et la direction des compagnies pétrolières étatiques a été fortement restructurée_.

De manière visible, des instructions fortes ont été données aux organismes de lutte contre la corruption déjà existants : de nombreuses têtes sont déjà tombées dont celle de Lawal Jafaru Isa, pourtant un ancien allié politique du Président Buhari. Plus de 450 000 euros détournés seraient ainsi déjà retournés dans les caisses de l’Etat.

Burkina Faso : nouvelle ère cherche nouvelle règles

Au pays des nouveaux hommes intègres, la fin de l’ère Compaoré a franchi un cap supplémentaire le 4 mars 2015, avec le vote de la Loi « portant prévention et répression de la corruption au Burkina Faso ». Le texte détaille l’ensemble des manifestations quotidiennes de la corruption dorénavant illicites, les acteurs concernés, avant de préciser la hauteur des peines encourues. Parmi les mesures d’intérêt on peut citer : l’obligation faite aux hauts fonctionnaires de déclarer périodiquement leur patrimoine, l’interdiction pour les agents publics « d’accepter des dons, cadeaux et autres avantages en nature », ainsi qu’une série de mesures visant la transparence du fonctionnement des services administratifs et des mécanismes de contrôle des transactions illicites.

Il parait néanmoins regrettable que certaines des mesures les plus importantes aient été évacuées en quelques formules généralistes et laconiques au sein d’un seul et même article. En effet, l’article 40 évoque à la fois la participation de la société civile, les programmes d’enseignements destinés à sensibiliser étudiants et écoliers, ainsi que l’accès des médias à l’information concernant la corruption. L’article en question ne détaille aucune mesure concrète, aucun moyen d’action envisagé, ni même les services concernés.

Au Gabon, la fête serait terminée ?

Au Gabon, c’est une pratique bien particulière du gouvernement Bongo père qui est visée par l’opération mains propres lancée en 2014 par son fils et successeur, Ali Bongo. Sont en cause les « fêtes tournantes » organisées chaque année dans un Etat différent du pays pour la fête nationale, destinées à mettre en valeur les territoires. L’audit réalisé par la Cour des Comptes nationale est sans appel : sur les 762 millions d’euros engagés pendant 10 ans pour ces célébrations, plus de 600 millions ont été détournés. L’audit poursuit en affirmant que « plus de la moitié du budget (de l’Etat) a disparu dans la nature ». Certaines figures de l’ancien régime sont déjà tombées, notamment Jeannot Kalima, le secrétaire général du ministère des Mines, de l’Industrie et du Tourisme.

Pour quel bilan ?

Malgré ces initiatives positives, le ressenti des populations demeure globalement négatif, et les chiffres consternants : près de 75 millions d’Africains disent avoir payé un bakchich en 2015, soit près de 7,5% du continent. L’étude 2015 du Baromètre de la corruption en Afrique réalisée par Transparency International pointe notamment le Nigeria, en tête des pires résultats du continent. Plus de 78% des Nigérians estiment que la lutte menée par leur gouvernement contre la corruption est un échec. A l’inverse, le Sénégal obtient des chiffres plutôt encourageants, avec 47% de sa population convaincue de l’efficacité du gouvernement contre la corruption. Néanmoins, le combat semble difficile, et la section sénégalaise de Transparency International rapporte des menaces et violences à son encontre, jusqu’à l’incendie d’une partie de ses locaux en 2013.

De même, derrière les plans de communication célébrant les opérations mains propres, il convient de regarder le budget réellement alloué à la justice, et l’évolution de celui-ci au cours des années. Le budget 2015 du Sénégal avait ainsi affiché une baisse de 10,52% des ressources allouées au ministère de la Justice par rapport à 2014. Mais davantage que des budgets, c’est une restructuration en profondeur du fonctionnement de la justice, et l’introduction de solides mécanismes de contrôle qui est attendue. En 2015, Justice et Police sont encore les deux institutions où se payent le plus de pots-de vins en Afrique selon Transparency International.

                                                        Julie Lanckriet

Comment pouvons-nous lutter contre la corruption en changeant notre comportement?

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En tant que jeune marocaine souhaitant m'engager dans la vie publique de mon pays, je me pose quelques questions. Qu'est-ce qui m'empêcherait d'être une politicienne corrompue? Qu'est-ce qui pré-dispose des gens à être des leaders corrompus? Comment faire en sorte que les citoyens n'abusent pas de leur pouvoir à des fins personnelles? Je n'ai pas trouvé de réponse satisfaisante à ces questions mais ma mission de consultante pour le projet Transparency International au Niger* m'a permis d'obtenir quelques éléments de réponse. J'ai eu la chance d'interviewer Mme Salifou Fatima Bayèze qui est une des femmes les plus puissantes de ce pays. En tant que Présidente de la Cour constitutionnelle, son intégrité fait d'elle le symbole de l'état de droit. A la question “qu'est-ce qui vous fait résister à la corruption?”, elle répond: “mes valeurs”.

En effet, la lutte contre la corruption présente plusieurs aspects. Les actions des institutions et la volonté politique ont un rôle important dans cette lutte. Mais on a tendance à sous-estimer l'importance de la culture et des valeurs. Sans traiter des politiques et des mécanismes de lutte contre la corruption menés par les institutions, nous verrons comment le système de valeurs est un outil qui permet de lutter contre ce fléau. L'organisation Transparency International et l'Association Nigérienne pour la lutte contre la corruption (ANLC) ont adopté des pratiques efficaces pour encourager la transparence et le mérite dans le système de valeurs actuel.

L'ANLC: la section de Transparency International au Niger

L'ANLC joue un rôle clé dans la société nigérienne en luttant contre un fléau qui touche tout le pays, la corruption. Depuis sa création en 2001, l'ANLC encourage la mise en oeuvre de réformes pour garantir la transparence dans la gestion privée et publique des transactions aux niveaux national et international. Une autre mission importante de l'ANLC est d'impliquer les citoyens directement dans la dénonciation des actes et la lutte contre la fraude.

En 2010, le Centre d'assistance juridique et d'action citoyenne de l'ANLC a été créé pour rendre la lutte contre la corruption plus efficace en impliquant les citoyens directement dans le processus. En ce sens, l'association a mis en place une série d'activités comme des rencontres, des campagnes de sensibilisation du public, des conférences universitaires, des ateliers de travail et de formation de jeunes, de femmes, de juges et d'élus et la publication d'études et de rapports.

La lutte contre la corruption nécessite des changements de fond au niveau des comportements et des institutions.

L'ANLC tente de lutter contre les corruptions à toutes les échelles, qu'elles soient petites, grandes ou systémiques.

Au niveau local, l'ANLC joue un rôle clé dans la renégociation des contrats avec les entreprises étrangères et dans la mise en place des pétitions et des campagnes de sensibilisation. L'association dirige aussi des missions d'inspection dans les grandes industries. Les citoyens nigériens savent que le corruption fait partie de la structure même du système. La plupart des personnes interrogées ont dit que la corruption est principalement liée à l'industrie extractive. En effet, il y a un grand décalage entre les ressources naturelles extraites au Niger (comme l'uranium, le pétrole, l'or, les ressources agricoles) et le développement humain. Le Niger est classé à la dernière place par l'indicateur de développement humain**. Les Nigériens savent que les grandes sociétés étrangères exploitent les ressources du pays en complicité avec l'élite politique corrompue.

Et pourtant, l'ANLC rejette l'attentisme et met en oeuvre des mesures pour promouvoir des changements au niveau des institutions et de notre comportement. L'association appelle les citoyens à promouvoir le changement et représente les valeurs d'intégrité pour l'avenir du pays. Elle déploie des efforts conséquents pour impliquer les citoyens dans cette démarche en les encourageant à contrôler, condamner et dénoncer toute tentative de corruption à travers un système de valeurs.

5 pratiques pour impliquer les citoyens

L'ANLC adopte 5 principes fondamentaux.

1 – L'Autonomie

Le principe d'autonomie est au coeur du Centre d'assistance juridique et d'action citoyenne (ALAC). Le rôle de cette organisation est d'informer et d'aider les citoyens à lutter contre la corruption. L'objectif n'est pas de remplacer les efforts des citoyens mais de mettre à leur disposition des moyens juridiques pour les guider et les conseiller. L'association a mis en place une ligne d'Assistance Juridique Directe (le 7777) par laquelle les personnes peuvent déposer leur plainte anonymement. En plus de cela, elle reste en contact avec le public à travers les moyens de communication traditionnels et modernes comme les discours sur la place publique, la radio et les annonces télévisuelles. A travers la musique, le théâtre et les arts, elle promeut la transparence auprès des jeunes.

2- L'Intégration

L'ANLC organise régulièrement des campagnes de sensibilisation dans les zones rurales. J'ai eu l'opportunité de participer à 6 missions de terrain dans les communes rurales et je pense que ce sont les activités les plus intenses et les plus puissantes de l'organisation. Ces visites sont très importantes car elles allient participation et intégration.

L'ANLC fait participer les acteurs traditionnels comme les chefs religieux qui ont une influence sur l'éducation. Les chefs de village ont un rôle majeur dans la mobilisation des habitants. Les chefs religieux utilisent les principes religieux (Hadiths, Coran et Sunna) pour soutenir l'ANLC et promouvoir l'honnêteté, la transparence et la justice. De plus, ils encouragent les citoyens à dénoncer, rejeter et condamner des actes de corruption sur la base des principes religieux.

En outre, les campagnes de sensibilisation ciblent particulièrement les femmes et les jeunes. L'ALAC a mené à bien ses stratégies de communication en se basant sur des considérations de genre et de classes sociales. En effet, les femmes sont directement impliquées dans ces campagnes. Les femmes arrivent à bien s'organiser dans ces structures et relaient ce qu'elles apprennent au sein de leur famille. Elles sont “les enseignantes morales” de leur famille.

Les campagnes de sensibilisation ne sont pas organisées de manière unilatérale. Au contraire, les citoyens s'engagent dans des échanges interactifs. Ils sont encouragés à définir la corruption, à donner des exemples, partager leur expérience, identifier les causes des problèmes et chercher des solutions. Leurs témoignages sont d'une importance cruciale pour les participants. Ils sont encouragés à parler ouvertement de la corruption en donnant des exemples concrets.

3- La Responsabilité

Transparency International encourage les citoyens à prendre conscience de leur rôle et de leur responsabilité et à ne pas être des victimes passives de la corruption. Les animateurs ciblent directement les pratiques néfastes des citoyens: “Vous voulez que l'Etat fasse quelque chose. Mais qu'avez-vous fait pour l'Etat?” (facilitateur de Transparency International lors d'une campagne de sensibilisation). Ils soutiennent que les petits actes de corruption profitent aux personnes et appauvrissent l'Etat qui, en conséquence, ne peut pas agir en faveur des citoyens.

De ce fait, les nigériens doivent prendre conscience de leur statut de citoyen qui implique des devoirs dont le respect de la loi. Par exemple, les faciliateurs de l'ANLC ont souligné que le fait de vendre ses votes pendant les élections libèrent les leaders politique de toute forme de redevabilité. De ce fait, le changement doit commencer au niveau des citoyens eux-mêmes.

4- Un Modèle Positif

Les facilitateurs ont donné des exemples de personnes qui ont dénoncé et lutté contre la corruption. Ces exemples positifs permettent de rejeter l'attitude défaitiste et les contre-modèles qui réussissent par des moyens déloyaux. Le parcours de Mme Salifou Fatimata, ancienne présidente de la cour constitutionnelle qui a résisté à la corruption et l'intimidation est vu comme un symbole de réussite. Selon M. Nouhou, secrétaire de Transparency International au Niger, “au début de sa carrière, un homme a tenté de la corrompre. Mais elle l'a mis en prison et après cela, personne n'a osé la corrompre. Donc, cela prouve que c'est possible.” L'ANLC insiste qu'il faut saluer les bons exemples.

5- Délégation

L'ANLC termine ses campagnes de sensibilisation en créant un club anti-corruption qui sont des antennes locales de l'ANLC permettant d'assurer la pérennité de la sensibilisation.

Le bureau des clubs anti-corruption est élu par les participants locaux le jour de la campagne de sensibilisation. Ils sont formés ultérieurement à informer et aider les habitants à dénoncer et lutter contre la corruption. Il est intéressant de constater que la majorité des membres du bureau de ces clubs sont des femmes, contrairement aux idées reçues que l'on peut avoir du Niger et d'autres pays de la région.

Je ne cherche pas ici, à sous-estimer l'importance cruciale des politiques et des mécanismes de lutte contre la corruption déployées par les institutions. J'ai voulu traiter la question à travers une perspective locale. J'estime que les leaders et les habitants que j'ai interviewés apportent des réponses que nous ne pouvons ignorer. La “crise des valeurs” est un des facteurs du développement de la corruption. Mais les lois seules ne pourront pas arrêter la corruption. Il faut éveiller les consciences et promouvoir des normes positives au sein de la société.

Traduit par Bushra Kadir

* Je faisais partie des six étudiants de l'Ecole des Affaires Publiques et Internationales de l'Université de Columbia qui ont été choisis pour travailler sur le projet Genres et Corruption. La mission a duré 7 mois (de novembre 2013 à mai 2014) avec des missions au Niger et au Zimbabwe.

** Le Niger a l'Indice de Développement Humain le plus bas dans le monde (0,337).

 

L’affaire Petro-Tim : Pour un usage des voies de droit au Sénégal

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Le Sénégal est un pays où les voies de droit sont peu utilisées par les citoyens pour résoudre leurs problèmes. Qu’il s’agisse de litiges entre particuliers ou de différends opposant les citoyens aux institutions, le recours est beaucoup plus prompt à l’endroit des médias ou autres canaux publics. Or, l’espace public ne devrait pas être le lieu de résolution des affaires publiques. Cela est peut-être dû à la place que ces médias ont dans la vie démocratique (radios, télés, presse écrite) mais une nation qui se targue de sa vitalité démocratique doit en premier lieu prouver l’efficacité de ses voies de droit. L’importance des affaires portées sur la place publique alors qu’elles concernent précisément  des différends à portée juridique dont les tribunaux doivent être saisis est un déficit de démocratie.

En témoigne l’affaire Petrotim/Arcelor Mittal, qui est devenue un imbroglio où des affaires distinctes sont portées dans l’espace public alors qu’elles concernent des institutions importantes de l’Etat. Il y a dans cette affaire un méli-mélo d’accusations (conflit d’intérêts, corruption, détournement de deniers publics) faites au meeting du Parti démocratique sénégalais (PDS, le principal parti d’opposition) tenu le 21 novembre 2014. L’ancien Président Abdoulaye Wade (2000-12) a tout simplement « joint » deux litiges différents : celui opposant la société Mittal (devenue ArcelorMittal) à l’État sénégalais, et un autre litige dans lequel est cité Aliou Sall, le frère de l’actuel Président Macky Sall (2012-).  Aliou Sall est accusé d’avoir usé de ses relations et de sa fonction diplomatique de l’époque dans un contrat où Petro-Tim Limited (devenue Timis Corporation), une compagnie pétrolière de l’homme d’affaires roumain Frank Timis est privilégié, et même d’avoir touché des rétro-commissions, pendant que beaucoup d’argent public aurait été versé dans les comptes d’avocats personnels du chef de l’État. Ces accusations taisent plusieurs faits essentiels pour comprendre le dossier :

  1. Le fait qu’Aliou Sall a agi en qualité d’agent de l’Etat sénégalais en poste à Pékin ;
  2. Le fait que des avocats personnels d’un chef de l’Etat peuvent agir en qualité du chef de l’Etat intuitu personae et recevoir leurs honoraires sur un compte ouvert à cet effet ;
  3. Le fait qu’ArcelorMittal, s’étant retiré du contrat qui le liait à l’État du Sénégal pour l’exploitation de gisements miniers dans l’est du pays, a versé des dommages-intérêts à l’État après une décision du tribunal arbitral de Paris ;
  4. Le fait que c’est le régime d’Abdoulaye Wade qui a causé ce préjudice de l’État envers Mittal

Le flou qui a entouré la présentation de l’affaire Petro-Tim ces dernières semaines a donné l’impression qu’il y a eu « beaucoup de précipitation au début et peu de clarté à la fin », pour citer l’ancien ministre Alioune Badara Cissé. Mais lorsqu’elle a été examinée de façon sérieuse, les autorités sénégalaises ont eu vite fait de démontrer que le flou a été volontairement entretenu par Wade. Cette tentative de semer la confusion dans l’esprit des citoyens et, comme fréquemment, de divertir l’opinion par des sujets polémistes, ne va pas dans le sens de l’apaisement de la vie publique.

Car l’espace public n’est pas le lieu où les affaires d’une telle portée juridique doivent être résolues. Ce n’est bon ni pour la quiétude de l’opinion publique, ni pour l’exécution des programmes publics, ni pour le bon fonctionnement des institutions. Pour cette affaire, comme pour tant d’autres, les Sénégalais devraient se tourner vers les cours et tribunaux  pour éviter la pollution du débat public. Le débat politique doit porter sur les programmes économiques, l’opportunité des choix opérés, et non sur une lutte entre clans destinés à « détruire » des politiciens pour les intérêts d’une famille. Crier sous tous les toits qu’on détient des preuves et disséminer des rumeurs sans fondement ne sert pas la stabilité des institutions dont se targue le Sénégal. Le meilleur moyen de vider ce type de contentieux : le porter devant les tribunaux dans un pays où la justice est garantie ainsi que les droits. C’est valable pour cette affaire comme pour beaucoup d’autres qui faussent le débat démocratique.

Sauf à remettre en question l’indépendance des tribunaux ou la sécurité du système judiciaire, ce qui serait troublant pour des personnalités politiques qui étaient en fonction jusqu’il y a peu, il y a un danger à consacrer des meetings politiques à porter ces accusations devant le tribunal de l’opinion. Le système judiciaire sénégalais permet à tout citoyen d’attaquer les autorités administratives, y compris l’Etat, les collectivités décentralisées et les entreprises publiques : garantie constitutionnelle. Les actes des personnes morales de droit public peuvent être attaqués devant la Cour suprême et, même si les délais sont réduits, il y a toujours possibilité de provoquer une décision implicite de rejet (silence de l’administration après une requête). Et lorsqu’on estime que ce sont des actes non administratifs, il y a toujours les tribunaux régionaux et cours d’appels qui sont compétents. Mieux, le règlement non juridictionnel est possible (Médiateur de la République, Parlement, etc.).

Il est dommage que les tribunaux soient submergés presqu’exclusivement de différends liés aux mœurs (vol, viol, agressions, escroquerie) et très rarement saisis pour des questions de gouvernance. Beaucoup d’hommes politiques préfèrent s’exprimer devant les médias et devant les militants pour invectiver leurs adversaires au lieu d’agir avec responsabilité en utilisant les tribunaux du pays, alors même qu’ils ne manquent pas de moyens pour commettre des avocats spécialisés sur ces questions. Dès lors, comment expliquer cette propension à recourir aux médias et à l’espace public pour résoudre des problèmes politiques ayant une portée juridique ? Le meilleur moyen de vider ce type de contentieux et gagner la bataille de l’opinion est d’obtenir un règlement juridictionnel de ces litiges. Lorsque le Président actuel, Macky Sall, alors dans l’opposition, a fait l’objet d’une procédure judiciaire pour un patrimoine appartenant à l’État sénégalais (les fameux « fonds taïwanais »), un non-lieu fut rendu. Lorsqu’Ibrahima Sène, le leader du Parti pour l’indépendance et le travail, a été attrait en justice pour diffamation, il a été relâché au bénéfice du doute. Lorsque Karim Wade est soupçonné d’enrichissement illicite, c’est encore la justice qui doit trancher, qu’elle passe par la CREI, la Cour de justice de l’UEMOA, etc.

A l’heure où le gouvernement est dans une phase cruciale de mise en œuvre des programmes contenus dans le Plan Sénégal émergent, avec la gestion quotidienne des problèmes des ménages, les étudiants, les agriculteurs, les éleveurs, les pêcheurs, les transporteurs, et même les journalistes, ont certainement plus besoin d’être informés des efforts fournis par le gouvernement – baisse des loyers, des produits pétroliers, des prix des denrées, octroi de moyens aux collectivités territoriales, mise en place d’instruments comme la Banque nationale pour le développement économique (BNDE), le Fonds souverain d’investissements stratégiques (FONSIS), la Couverture maladie universelle (CMU) ou le Programme d’amélioration de la qualité, de l’équité et de la transparence (PAQUET) – que d’écouter des accusations aussi légères que celles relatives à l’affaire Petro Tim/Arcelor Mittal.

Il serait bien que le débat public soit moins vicié. Fournir des efforts pour cogiter sur les programmes est en soi beaucoup plus bénéfique pour la vie publique que des accusations aussi légères qui ont leur place, encore une fois, dans les instances judiciaires financées exclusivement pour ces questions. Quel est l’apport marginal des attaques personnelles portées dans les médias à longueur de journée pour le pouvoir d’achat des Sénégalais ? Ces derniers méritent un débat public plus informé et plus structuré.

Mais on est en droit de croire que les électeurs sont moins enclins à écouter ces polémiques stériles qu’à évaluer le bilan des responsables qu’ils ont porté au pouvoir (local comme national). La bonne tenue des élections (locales en 2014, nationales en 2012) montre l’importance des résultats concrets. La maturité des électeurs prouvée lors des consultations électorales doit entraîner un meilleur débat public. L’Etat de droit vivra mieux lorsque les bons programmes économiques seront soutenus ; lorsque les résultats seront salués ; lorsque les attaques personnelles finiront devant les tribunaux. 

How can behavioral change support the fight against corruption?

 

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As a young Moroccan woman who aspires to participate in the management of public affairs in my own country, I often wondered: what would prevent me from becoming a corrupt political leader? What pre-disposes so many transparent young individuals to become corruptible decision-makers? How to ensure that citizens will not abuse entrusted power for private gain? I could not obtain a complete and satisfying answer to these questions. However, my engagement in a consultancy project with Transparency International[1] gave me some elements of answer. It is particularly during my visit to Niger that I got the most insightful perspective. Indeed, I got the chance to interview Mrs. Salifou Fatimata Bazèye; one of the most powerful women in the country. In addition to her achievements as the president of the Constitutional Court, her integrity made her an icon for the promotion of rule of law. When I asked her: What made you resist to corruption? She answered: My values.

Indeed, the fight against corruption is a multidimensional process. If institutional capacity and political will are indispensable to prevent and combat corruption, we often tend to underestimate the role of culture and values. In this post, I have decided to bypass -indispensable- institution-building mechanisms and anti- corruption policies, and rather shed light on system of values as both an asset and a tool in the fight against corruption. Therefore, I will share some of the best practices adopted by Transparency International (TI) and its Nigerien chapter, the Nigerian Association for the Fight against Corruption (ANLC), in its effort to highlight transparency and merit within the existing system of values.

The ALNC: the Transparency International chapter in Niger

The ANLC plays a key role in the Nigerian civil society. It is the driving force behind national efforts to fight corruption, which is endemic in the country. Ever since its creation in 2001, the ANLC promotes reforms in favor of transparency in public and private management as well as transparency in national and international transactions. However, one of the most important dimensions of the ALNC is its activities that directly engage citizens to report and fight fraud.

In 2010, the Advocacy and Legal Advice Center within the ALNC was established with the rationale that the fight against corruption would be more effective if ordinary citizens were engaged in reporting. In that sense, the association has conducted panoply of activities including meeting and exchanges; public awareness campaigns; conferences in universities; workshops and trainings targeting youth, women, judges and elected officials; as well as the publication of studies and reports.

The fight against corruption requires both institutional and behavioral change

Hence, the ANLC attempts to tackle corruption at all scales; thereby addressing petty, grand, and systemic corruptions.

At the macro-level, it plays a key role in supporting national efforts to renegotiate exploitation contracts with foreign companies. It initiated petitions and campaigns. It also spearheads inspection missions in major industries. Even Nigerien citizens are well aware that corruption is intrinsically structural and mainly linked to systemic causes. The majority of locals I interviewed emphasized that the heart of corruption lies in the extractive industry. Referring to the big gap between Niger's natural endowment (uranium, oil, gold, vast land) and its poor human development (ranked at the bottom of the Human Development Index[2]), most Nigeriens are aware that the  terms of exploitation by foreign companies and the complicit acceptance of a corrupt political elite are the root causes that shape corruption in the country.

Nonetheless, the ANLC rejects “the wait and see attitude”, and undertakes measures that promote both institutional and behavioral change. It calls for citizens to promote change, but also to embody the values of integrity that they foresee for their country. The association deploys considerable effort to involve citizens. It aims to activate a system of values that encourages the people to control, condemn, and reject corrupt acts in all aspects of life.

Five best practices in engaging citizens

In that sense, the ALNC adopts five key principles:

1- Autonomy

The ALAC embraces the principle of “autonomization”. Its role is to inform, assist, and build citizens’ capacity to counter corruption. It does not aim to create a relation of dependency and refuses to substitute for the individuals. It rather provides citizens with juridical tools, instruments, and guidance. That includes Direct Juridical Assistance through a hot line “7777” (to foster anonymity) and through in-person complaint reception.

In addition, it mobilizes traditional and modern media such as public speak-outs, radio and television commercials to reach out to the public. It also relies on music, theater, and arts to appeal to youth and promote transparent behavior among them.

2- Inclusiveness

Furthermore, the ALNC staff organizes regular awareness campaigns in rural areas. I had the chance to participate in six field missions in rural communes, and I personally think that these are the most intense and powerful activities for the organization. In fact, these visits are impactful because they are both participatory and inclusive.

First, the ANLC integrates traditional actors and capitalizes on their educational influence. For instance, religious and traditional leaders are integrated as partners. On the one hand, chiefs of villages often play a key role in mobilizing the locals and maximizing their attendance. On the other hand, religious leaders use religious references (such as Hadiths, Quran, and Sunna) to support the ALNC’s promotion of honesty, transparency, and justice; and do even encourage citizens to report, reject, and condemn corrupt acts; as part of religious practices.

Moreover, sensitization campaigns particularly target women’s groups and youth. The ALAC's outreach strategies have been effective thanks to its gender and social considerations. Indeed, women are included –and often the major targets- of the campaign. Not only do women tend to be well organized in these structures, but they also have a spillover effect. Women’s educational role within families is leveraged by the organization; thereby aiming to capitalize on their role of “moral teachers”.

Second, awareness campaigns are not organized in a unilateral and one-way conversation. On the contrary, the locals are engaged in interactive discussions.  They are invited to define corruption, give examples, share their experiences, identify causes and find potential solutions. There personal testimonies and analyses are eye opening for participants. They are encouraged to think of corruption and directly identify with concrete examples.

3- Responsibility

TI staff encourages consciousness of the role and responsibility of the citizens. Breaking away from the discourse of passive victims, the facilitators directly point to the harmful practices of citizens: “You want the state to deliver, but what do you do for the state?” (TI facilitator, during sensitization campaign). They stress that petty corruption benefits to individuals and impoverishes the state; which consequently is less able to deliver for the citizens.

Hence, Nigeriens—women and men—are called to understand themselves as real citizens; thereby, comply with the law and respect their obligations. As an example, the ANLC facilitators highlight how the act of selling one's votes during political elections frees political leaders from any accountability. Thus, they call for a commitment of citizens at the grass-root. The power of change is put within the citizens.

4- Role Modeling

The facilitators also give positive examples of people who denounce and fight corruption. These successful cases are emphasized in order to fight defeatism and reject counter-models of people who succeed through dishonest means. For instance, the case of Mrs. Salifou Fatimata, ex-president of the constitutional court, who resisted to corruption and intimidation, is raised as a success story:  “At the beginning of her career, a man attempted to corrupt her. She sent him to jail. After that no one approached her and attempted to corrupt her. So, it is possible! “(Mr. Nouhou, secretary of TI in Niger). The ALNC asserts the need to celebrate the right examples.

5- Delegation

Last but not least, the ALNC ends every sensitization campaign with the creation of local anti-corruption clubs. These are community-based entities and local branches of the ALNC that ensures the durability of the sensitization campaign.

The boards of the anti-corruption clubs are elected by the local participants the day of the sensitization campaign. Later, they are trained to inform and assist locals in their reporting and fight against corruption. Interestingly, women do often dominate in terms of seats, which might challenge many assumptions with regard to Niger and other countries in the region.

Conclusion

To conclude, this short post does not aim to undermine the crucial importance of policies and institutional anti-corruption mechanisms. It rather aims to voice a local perspective on the question. Indeed, I consider that the leaders and locals I interviewed are pointing to a direction we should not neglect. What they refer to as “a crisis of values” is a deep factor in the spread of corruption. Thus the fight against corruption cannot be won through laws alone, it requires us to raise awareness and re-activate positive norms within society.

Lamia Bazir


[1]    I was one of the six students from the School of International and Public Affairs (Columbia University) who were selected to work on a project on Gender and Corruption. The consultancy lasted for a period of seven months (Nov. 2013 to May 2014). It involved field visits in Niger and Zimbabwe.

 

[2]    Niger was the country with the lowest Human Development Index in the world  in 2014 (0,337) 

 

KATANGA BUSINESS (2009) – Un film documentaire de Thierry Michel

Du business dans la rubrique culture, allons donc ! Et si on désappropriait le discours économique de la voix des seuls experts… Soyons encore plus fous, faisons en l’affaire de tous. Déplaçons donc le discours économique et adoptons une autre perspective.

Affiche_katanga_business Avec « Congo River », nous avons exploré les méandres du Congo en suivant le contre-courant du fleuve. Toujours plus haut, vers la source, tentant de surmonter le désespoir des habitants du Congo, fleuve-pays. Avec « Katanga Business », revenons sur terre et tentons d’affronter la guerre…économique qui s’y livre. Encore une guerre… Katanga Business ou la guerre des intérêts particuliers multinationaux.

Le Katanga, cette région bien nommée (katanga signifie cuivre) est une région du Congo qui détient 80% des mines du pays : cuivre, cobalt, uranium, manganèse… On croirait réciter la table de Mendeleïev, cette fameuse table d'éléments qu’on apprend en cours de chimie.

Autant de minerais qui transforment la terre en argent, sonnant et trébuchant.

Ceux qui trébuchent, les creuseurs, ces hommes venus de tout le pays pour espérer trouver quelque subsistance en creusant la terre de leurs mains nues et revendre le minerai brut souvent à prix dérisoire. Ils creusent, creusent et souvent c’est leur propre tombe qui apparaît.

C’est l’ouverture de ce film documentaire de Thierry Michel, une tombe qui se referme. Image glaçante, plus terrible encore que les maux qu’on découvre ensuite: corruption, exploitation, mépris de la vie humaine…

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Fidèle à son dispositif de montage, Thierry Michel mixe ses images aux archives en noir et blanc filmées du temps du Congo Belge à l’industrie florissante… une autre exploitation encore.

Du temps de la colonie, on pillait les ressources. Aujourd’hui, qu’en est-il ?

L’histoire de la Gécamines devient sous la caméra de Thierry Michel un petit cours d’histoire économique. Fleuron industriel du Congo Belge, nationalisée à l’indépendance, cette entreprise d’Etat est dirigée –au début du documentaire- par le canadien Paul Fortin. Nommé par le Président de la République Démocratique du Congo, c’est un patron pour le maintien de qui les salariés n’ont pas hésité à faire grève.  Ce patron illustre bien l’ancienne façon de diriger "à la papa". Mes ouailles, ayez confiance. « La politique, cela ne donne pas à manger » nous dit-il. Mais ça pourrait si on arrêtait de tirer sur les creuseurs qui manifestent pour défendre leurs droits. Oui, on tire pour assurer la sécurité des investissements…

Thierry Michel  trouve dans la région du Katanga le cœur brut et géologique des stratégies économiques mondiales. Cette région dotée de fabuleuses ressources énergétiques est convoitée par tous les pays avides de minerais pour accroître leur développement industriel. Et cela profite-t-il à la région et au pays lui-même ? Les Congolais gagnent-ils aussi ?

Pour y répondre, Thierry Michel pointe sa caméra vers le Gouverneur de la riche région et nous laisse faire notre propre idée.


KATANGA business de Thierry Michel

Moïse apparaît ainsi en Terre d’Afrique. Oui, un nom qui décide de son destin, dixit l’intéressé. Moïse Katumbi est dans le documentaire de Thierry Michel un véritable personnage. Ancien homme d’affaires ayant fait fortune et aussi président du fameux club de football TP Mazeme au Lubumbashi, il est élu gouverneur du Katanga en 2007. L’ancien homme d’affaires s’est mué en intercesseur de l’intérêt général.

Moïse gouverneur des hommes devient aussi le défenseur des creuseurs.

Moïse solution ! Scandent les creuseurs. Mais peut-il empêcher les multinationales de déloger les creuseurs ? C’est à ce titre que le personnage de Moïse Katumbi  attire la caméra et notre attention dans ce documentaire. Il est l’incarnation des contradictions à résoudre. Dans quelle mesure l’ancien homme d’affaires peut-il protéger l’intérêt général ? Comment peut-il à la fois encourager les investissements étrangers dans sa région et défendre les intérêts de ses administrés ?

On le sent sincère. Et puis, c’est sans compter sur l’aide contre-productive de certaines autorités qui s’accoquinent avec des investisseurs peu scrupuleux.

Les investisseurs indiens et chinois montent en puissance sur le continent. (Non, il n’y a pas de lien entre le manque de scrupule de la phrase précédente et ce qui suit)

« Nous attachons beaucoup d’importance à l’amitié. Nouer des liens amicaux avec l’ensemble des pays du monde est l’idée fondamentale de la politique étrangère de la Chine » nous dit l’ambassadeur chinois, Wu Zexian. Bon, il faut savoir aussi choisir ses amis…

Mais c’est vrai aussi que la Chine et la plupart des pays africains appartiennent encore au mouvement des non-alignés, feu mouvement qui se constitua comme une troisième voie pendant la guerre froide et surtout en lutte contre la colonisation.

On ne peut donc que sourire quand on découvre à la fin du documentaire que Paul Fortin de la Gécamines passe la main à l’investisseur chinois M. Min. C’est peut-être le début d’une grande amitié…

 


Post-scriptum :

Thierry Michel consacre son dernier documentaire au gouverneur du Katanga – « L’irrésistible ascension de Moïse Katumbi»-. Le film est sorti fin avril en Belgique, il est prévu en France à la rentrée, il est d’ores et déjà interdit en République Démocratique du Congo. Interdit de visa au Congo, Thierry Michel est d’ailleurs aussi menacé de mort par certains partisans (vraiment ?) de Moïse Katumbi. Faire un film n’est pas sans risques.

Les freins à la réforme de l’Etat en RDC (Fin)

Un calendrier de reformes pour la RDC

Le lien patriarcal conserve un sens très important dans l’arène politique congolaise. Les alliances politiques se font au gré presque exclusif des appartenances ethniques et familiales. Joseph Kabila n’hésita pas à se lier à Nsanga Mobutu, fils de l’ancien Président. De même, Antoine Gizenga, qui a réuni autour de lui des fidèles de Patrice Lumumba, se fit remplacer par son propre neveu, Adolphe Muzito, qui ne fit pas mieux que lui au poste de Premier ministre. Obtenir la délivrance d’une pièce d’état civil, d’un permis de conduire, ou d’autres documents administratifs, est beaucoup plus facile lorsqu’on a un « bon » patronyme. Les liens familiaux, au sens large, régissent la vie politique et administrative, et sapent la réforme.

La corruption qui passe par les dirigeants des firmes multinationales accentue le retard. L’effondrement en 1990 d’installations minières de Kamoto (Katanga), important pan de la Générale des Carrières et des Mines (Gécamines), qui assure en grande partie les fonds du Trésor de la RDC, témoigne de la négligence qui gangrène le secteur minier. Y passent argent, cuivre, or, cobalt, diamant, et des centaines de milliards de dollars. Le régime Kabila, d’une manière ou d’une autre, a réussi la malicieuse prouesse de la restauration des privilèges consentis aux cartels transnationaux qui gravitent autour des richesses minières sous Mobutu.

La Barrick Gold Corporation, L’Anglo-American Corporation, l’American Diamond Buyers, De Beers, etc. n’ont rien perdu de leur superbe en ce qui concerne l’opacité de leurs opérations financières, et continuent de sucrer éperdument les politiciens et fonctionnaires véreux pour acheter leur silence. En filigrane, apparaît un véritable nouvel ordre politique et économique voulu et entretenu par les dirigeants de ces multinationales, qui n’est pas sans rappeler une certaine Conférence tenue à Berlin, en 1885. La RDC, grande comme l’Union Européenne, frontalière de neuf Etats, est toute désignée pour de telles pratiques.

Assainir le secteur minier

Une redéfinition des termes d’exploitation qui prenne mieux en compte les besoins sociaux, notamment en termes d’emplois autochtones et de considérations environnementales, s’impose, en effet, en République Démocratique du Congo. Elle doit être protégée au plan politique et administratif. Il faudrait tout d’abord exiger une prise en compte systématique des méthodes de gestion qui permettent une transparence absolue dans les documents comptables de chaque entreprise pour parvenir à un assainissement de la vie privée. Il serait ensuite très opportun d’inclure des objectifs sociaux dans les conditions d’octroi d’agrément ou d’autorisation aux firmes multinationales, pour arriver à une exploitation optimale des ressources naturelles.

L’inclusion d’une forte dose de mesures revêtant un caractère de responsabilité sociale à l’octroi de licences d’exploitation accompagnera ces entreprises dans leur recherche d’assentiment de la part des populations autochtones. Ces mesures pourraient prendre la forme d’une augmentation du nombre d’emplois de type cadre, qui soient en tout cas importants et/ou bien rémunérés, aux populations locales.

Mieux, une priorité devrait être donnée aux Congolais disposant des qualifications requises pour accroître sensiblement les effectifs nationaux dans les grandes entreprises opérant dans le pays. Cette préférence nationale devra être étroitement surveillée, et intégrée au besoin dans les textes, afin de donner aux administrations compétentes la possibilité de la faire respecter.
Beaucoup plus de mesures participatives de la part des entreprises pourraient également se décliner sous forme d’actions régulières en faveur des associations ou groupements de certaines catégories sociales (jeunes, femmes, personnes âgées) pour les accompagner dans leurs activités citoyennes. Par ailleurs, il est plus que jamais utile d’augmenter la dose écologique dans les activités d’exploitation des ressources naturelles, qui fasse en sorte que l’activité industrielle ne se nuise pas à elle-même et profite également aux générations futures.

Mieux identifier les priorités des populations

Dans le même esprit, il serait utile de mieux prendre en compte les besoins des destinataires ultimes des réformes institutionnelles et administratives. Il s’agira pour les responsables politiques et les fonctionnaires d’inclure dans leurs prévisions et actions ultérieures le besoin criant de bien-être social qui s’est installé en République Démocratique du Congo. Au lieu de lamentablement suivre les orientations des bailleurs de fonds internationaux, notamment FMI et Banque Mondiale, les responsables politiques congolais, puisqu’ils disposent de la légitimé du suffrage universel, devraient plutôt s’enquérir au préalable des réelles priorités de leur peuple. Celles-ci ne sont pas inscrites dans des théories classiques internationalement admises, elles se trouvent à peu près dans chaque localité du pays.

Dans cette optique, les compétences des fonctionnaires formés à l’exécution de chaque tâche déterminée doivent dorénavant être mobilisées pour identifier les urgences sociales qui sévissent dans chaque partie de la RDC. Une certaine harmonie devrait se mettre en place dans les différentes actions entreprises par les administrations territoriales, les organismes publics destinés à l’accompagnement des initiatives locales, et les organes politiques locaux, pour atteindre une rationalisation des initiatives publiques en faveur du développement local.

Ce dernier pourrait utilement s’inspirer ou se faire aider par les mécanismes déjà mis en place au niveau national pour attirer les investissements privés internationaux et les financements des institutions publiques internationales. En d’autres termes, la coopération décentralisée, si elle est pensée en des termes plus soucieux des priorités du peuple congolais, pourra contribuer de manière décisive à l’essor économique de la RDC. Le programme de décentralisation, inscrit dans la Constitution et qui donna lieu à des heurts violents en 2009, pourra ainsi mettre à profit l’expertise internationale en la matière pour éviter toute sclérose. 

 

 

Mouhamadou Moustapha Mbengue

Biens mal acquis : la solitude de SHERPA

Interview de Rachel Leenhardt Chargée de communication de l’association SHERPA
 
L’image est saisissante, un camion porte-voitures s’éloigne du 42 avenue Foch, résidence parisienne du « clan » Obiang Nguema, dans le très huppé XVIème arrondissement, chargé de seize voitures de luxe, Bentley, Ferrari, Porsche, Maserati et Aston Martin. C’est la collection privée de Teodoro Obiang Nguema Mangue, ministre équato-guinéen de l’Agriculture et fils du président que les juges d’instruction français Roger Le Loire et René Grouman viennent de faire saisir. Au départ de la procédure judiciaire, on retrouve SHERPA, jeune association créée en 2001 par l’avocat français William Bourdon en vue de « protéger et défendre les populations victimes de crimes économiques ». Mais derrière ce premier succès, du reste encore fragile et très préliminaire, combien réticence a-t’il fallu affronter ? Combien d’obstacles a-t-il fallu surmonter ? Nous avons rencontré l’association Sherpa dans sa solitude et sa détermination.
Qu’est-ce qui vous a amené vers Sherpa ?
Un concours de circonstances. J’ai fait des études pour travailler dans l’humanitaire, après une première expérience assez décevante en Casamance (Sénégal), J’ai eu plus envie de travailler sur les blocages, les obstacles au développement plutôt que sur des projets de terrain. Quelques temps après, je tombais sur une offre d’embauche de Sherpa…
Quelle est la composition actuelle de Sherpa?
L’association compte trois permanents : moi et deux juristes, l’une d’elles travaillant sur le volet flux financiers illicites (biens mal acquis, évasion fiscale, etc.), l’autre sur la responsabilité sociale des entreprises : actions de lobbying en France et au niveau européen et plaintes concernant les agissements des multinationales européennes dans les pays en développement – Total en Birmanie, Areva au Niger sur les mines d’uranium.
En dehors de ces trois salariées, il y a un certain nombre de bénévoles : avocats, juristes. Le président William Bourdon, avocat lui-même, est très actif sur le volet actions en justice. Des membres de son cabinet et d’autres avocats qui ont des activités parallèles collaborent aussi à l’élaboration des dossiers. Environ une quinzaine de personnes au total, en comptant les stagiaires.
 
Combien de dossiers ?
Ça dépend : entre 5 et 10 dossiers judiciaires en cours – biens mal acquis ; Mopani, affaire d’évasion fiscale en Zambie, Areva au Niger et au Gabon, un dossier sur la SOCAPALM (accaparement des terres pour l’exploitation de l’huile de palme au Cameroun)… Les délais de traitement sont très longs.
Nous avons aussi entre 5 et 10 dossiers à l’étude. Il s’agit de voir s’ils correspondent bien à notre objet et s’ils sont défendables d’un point de vue juridique (preuves, possibilité de rassembler des éléments, etc.).
 
Sherpa a-t-elle une zone géographique de prédilection ?
L’essentiel de nos dossiers concernent l’Afrique. Mais ce n’est pas un choix délibéré, c’est vraiment une question d’opportunité et de dossiers dont on nous saisit. Nous avons aussi des liens avec l’Amérique Latine et l’Asie : un dossier est en cours sur les conditions de travail pour la fabrication des jouets Disney en Chine.
Ce qui est important de saisir c’est que SHERPA travaille exclusivement en lien avec les PED. On ne traite pas par exemple de la grande corruption en France ou en Europe, même si c’est un phénomène réel. Notre stratégie est d’agir là où les crimes économiques portent le plus préjudice aux populations. Prenez par exemple le cas de la Guinée équatoriale : ce pays est très riche en ressources naturelles, notamment en pétrole. Son PIB par habitant est supérieur à celui du Japon ou de la France[i] pourtant une proportion importante de la population n’a pas accès à l’eau potable ni aux infrastructures de base. C’est quelque chose qu’on ne voit pas en France. D’où le choix de travailler avec les PED.

Travaillez-vous avec d’autres associations en Occident ou sur le terrain ?
Oui, sur chaque dossier, on a des partenaires. Sur les biens mal acquis notamment, nous sommes en partenariat avec Transparence France. Sachant que la 1ère plainte en 2007 avait été déposée avec la Fédération des Congolais de la diaspora et Survie. Sur le dossier minier en Zambie, la plainte a été déposée par cinq associations, dont deux canadiennes, une suisse et une zambienne. En général, on travaille avec des relais locaux, sinon des associations, au moins des appuis sur le terrain. C’est en partie de là que l’information vient.
En quoi votre action se différencie de celle de Transparency International France ?
Cette association travaille aussi sur les pays occidentaux. Leur rôle est plutôt de faire une veille sur la corruption, de produire des indices, de surveiller son évolution. Notre rôle à nous est de monter des dossiers qu’on peut déposer en justice.
Par exemple sur les biens mal acquis, TF nous a apporté du soutien et sa notoriété. À l’époque SHERPA n’était pas très connue, c’est ce dossier qui nous a fait connaître. Mais l’élaboration technique du dossier, c’est SHERPA qui l’a faite. Chaque fois que nous sommes sur une thématique similaire à celui d’une autre association, il nous semble plus cohérent de travailler en partenariat plutôt qu’en concurrence.
 
Comment arrivez-vous à récolter vos informations ?
En général, nous sommes contactés par quelqu’un qui accumule des informations du fait de sa situation géographique ou sa profession, un agent immobilier, ou une personne gérant un hôtel particulier, qui à un moment donné a besoin de transmettre ce qu’il sait. On fait aussi nos propres enquêtes – sur le volet biens mal acquis nous avons fait beaucoup de recherches sur les cadastres, auprès des banques et de différentes bases de données pour arriver à découvrir les biens appartenant à un dirigeant. C’est d’autant plus compliqué qu’il ne les possède pas toujours en son nom propre, mais plutôt par le biais d’une société écran, souvent placée dans une paradis fiscal. Ce sont les deux axes par lesquels nous obtenons des informations. Maintenant que l’association est un peu plus connue, sur les dossiers qu’on a ouverts, des gens nous font parvenir des informations complémentaires.
 
Les autorités françaises vous aident-elles ?
Non, au contraire, il y a plutôt des résistances. Pour arriver à faire passer la plainte sur les biens mal acquis, il a fallu trois ans. Une première plainte a été déposée avec la Fédération des Congolais de la Diaspora et Survie. L’enquête de police a confirmé nos allégations et apporté de nouveaux éléments sur des transactions suspectes et d’autres biens. Le dossier était solide mais la plainte a été rejetée. Une nouvelle plainte a été déposée en commun avec Transparency International France, celle-là aussi a été rejetée. Une troisième plainte avec constitution de partie civile a été déposée avec Transparence encore. Il y a eu un premier verdict qui a jugé la plainte recevable. Le ministère public a fait appel de cette décision. Il a fallu aller jusqu’en cassation pour obtenir l’ouverture d’une enquête judiciaire.
 
Seulement l’enquête ?
Oui. C'est-à-dire qu’il n’y a encore pas eu de procès sur les biens mal acquis. On n’en est qu’au stade de l’instruction. Il s’agit essentiellement de blocages politiques. On sait qu’il y a des liens entre dirigeants africains et français. Il s’est passé énormément de choses cette année, avec notamment les révélations de Robert Bourgi sur les mallettes… Il est clair que dans le monde politique français, tout le monde n’a pas envie que la lumière soit faite sur cette affaire.
De plus le risque existe qu’à mesure que la France se montre plus proactive dans la lutte contre ces flux financiers, ceux-ci transitent par d’autres pays. Ce sont quand même des sommes colossales qui sont injectées dans l’économie française, l’intérêt économique est évident, d’où les blocages constatés.
 
En parlant de Bourgi, justement, est-ce que ses révélations ont été intégrées au dossier sur les biens mal acquis ?
SHERPA a demandé à ce qu’il soit entendu par les juges d’instruction. Dans ses révélations sur les mallettes, il a cité les chefs d’états africains concernés par la plainte : le clan Omar Bongo, le clan Obiang – de loin le plus scandaleux de tous – et Denis Sassou Nguesso le président du Congo Brazzaville.
Bourgi a été entendu par les juges, début octobre. Il a déclaré avoir appris l’histoire des biens mal acquis… en lisant la presse.  Son audition n’a donc pas apporté de nouveaux éléments au dossier ! On a l’impression qu’il fait le tri dans ses révélations… [Ndlr : le mercredi 16 novembre 2011, la justice française a classé sans suite l’enquête ouverte suite à ces « révélations » – pour « faute de preuve »]

Hormis ces blocages politiques, est-ce qu’il y a d’autres sortes de pressions ?
Il y en a eu au départ. Un peu moins maintenant. Je pense qu’on a suffisamment de visibilité et des pressions ne feraient que rajouter foi à ce que nous dénonçons. Au départ oui, William Bourdon a été approché au moment du dépôt de la plainte, par des gens qui lui ont proposé d’importantes sommes d’argent pour retirer sa plainte. Il y a eu aussi des intimidations, des menaces.
 
Seulement sur les collaborateurs de Sherpa ?
Hélas non. Nos interlocuteurs sur le terrain sont encore plus exposés. Je pense notamment à Grégory Mintsa, citoyen gabonais qui s’était constitué partie civile avec nous dans la plainte et qui a été incarcéré fin 2010. Il a été remis en liberté mais reste en examen. Il y a aussi une troisième personne au Congo Brazzaville qui a souhaité s’associer à la plainte. Quelque temps après, sa maison a été incendiée. Lui, sa femme et ses deux filles sont morts dans l’incendie.
Tout ça fait que c’est compliqué pour nous d’associer des collaborateurs locaux aux procédures. Tout au moins de façon formelle, parce que ça les met en danger. Ici, on n’est pas aussi exposé qu’eux peuvent l’être dans leurs pays où l’impunité est beaucoup plus forte. C’est pourquoi des associations françaises ou occidentales doivent prendre en charge ce genre de dossiers, parce que les personnes sur place prennent des risques trop élevés si elles le font directement.
 
Quelle est la situation dans les autres pays européens ?
Sur les biens mal acquis, l’Institut de Bâle pour la gouvernance en Suisse et des cabinets d’avocats privés travaillent sur ces questions. En ce qui concerne l’évasion fiscale, il y a des associations très actives. Sur le cas zambien, on est en partenariat avec une association qui s’appelle la « Déclaration de Berne », qui est entre autres spécialiste de la fiscalité et du secteur extractif, et qui vient de lancer une campagne de mobilisation citoyenne sur la régulation des multinationales en Suisse. La législation européenne ne s’applique pas à la Suisse dont le régime fiscal est très attractif, ce qui fait que beaucoup d’entreprises européennes s’installent dans ce pays pour échapper aux contrôles. Heureusement qu’il y a une société civile assez mobilisée sur ces thèmes.
Il y a aussi une association espagnole, l’APDHE, qui a porté plainte contre Obiang pour l’identification et la restitution de ses biens. Une enquête est ouverte depuis 4 ans aux Etats-Unis ; elle vient de connaître une accélération, avec le lancement par le Department of Justice d’une procédure de confiscation contre le fils Obiang.
 
Comment le financement de SHERPA est-il assuré ?
Difficilement. C’est l’un de nos principaux problèmes. C’est une toute petite association, trois personnes… jusqu’à maintenant, ce sont surtout des fondations privées anglo-saxonnes qui nous ont soutenus. On n’a pas de financement public, à la fois parce que nous traitons de sujets sensibles et pour des questions structurelles. Même les fondations françaises sont assez réticentes à nous financer. Les bailleurs anglais et américains sont un peu plus ouverts sur ces questions.
On a très peu de donateurs privés. C’est d’ailleurs un des points sur lesquels nous travaillons actuellement. Pour ça, il nous faut plus de notoriété vis-à-vis du public. Il faut qu’on arrive à faire passer ce message : on a besoin de plus de financement privé pour assurer notre indépendance. C’est plus facile de proposer un projet de développement que de monter un dossier judiciaire. C‘est plus long, les résultats sont incertains. Et on ne peut pas se permettre de perdre notre indépendance. De l’extérieur, on ne se rend pas forcément compte de la difficulté de faire vivre une association comme la nôtre. Il y a un vrai travail de communication à faire.
 
Avez-vous des relais auprès des universités ?
Oui, mais surtout sur le volet responsabilité des entreprises. Il y a beaucoup de masters en droit et en management qui s’intéressent à ces questions. Et la juriste de SHERPA qui s’occupe de ce thème intervient souvent pour des cours, des conférences et colloques dans les universités. Ce qui montre bien qu’on a développé un savoir et un savoir-faire dans ce domaine-là qui intéresse les futurs entrepreneurs, les académiques etc. Sur le volet flux financiers, c’est un peu plus compliqué. Ça n’empêche pas qu’on intervient, mais plutôt auprès de l’Ecole de la Magistrature sur la question de la corruption. Nous sommes aussi en lien avec des étudiants de SciencesPo. Paris et Lille sur ces questions. Mais les cours portant sur ce thème sont encore rares. Il y a tout une recherche à faire en matière de régulation économique par le droit (conception théorique, évolution des outils juridiques…) qui se fait en lien avec les universités.
 
Ce qui prend du temps…
Oui. C’est un combat de longue haleine, faire évoluer les outils juridiques. Les seuls qui existent aujourd’hui fonctionnent sur une base volontaire. Il y a un texte de l’OCDE, « principes directeurs à l’intention des multinationales », qui recommande de respecter les règles juridiques du pays, la fiscalité, la protection des enfants, etc. Mais les entreprises qui ne respectent pas ce texte ne sont pas sanctionnées. Encore un échec de l’autorégulation

Des conventions internationales encadrent-elles les flux financiers illégaux ?
Oui, la convention Merida, signée en 2003.
 
A-t-elle déjà été utilisée ?
Il y a eu, en tout et pour tout, environ 5 milliards de dollars restitués aux pays du Sud. On estime, dans le même temps, qu’entre vingt et quarante milliards de dollars sont détournés chaque année… De plus, les procédures juridiques sont complexes et ce sont seulement les États « pillés » qui peuvent les enclencher… Ainsi, il revient à la Guinée équatoriale par exemple de demander à la France la restitution des sommes détournées par son propre président ! Même en cas d’alternance, on n’est pas sûr que la procédure soit enclenchée. C’est une grosse faiblesse de la Convention. C’est un pas en avant, mais encore très en deçà du nécessaire.
Le plus urgent est que les pays qui accueillent accueil les fonds soient proactifs, entament des enquêtes sur la provenance des fonds, fassent appliquer les règlements existants qui exigent que les intermédiaires (banques, avocats, agents immobiliers) s’assurent de la provenance des fonds avant de les accepter, par exemple. La prévention est très faible dans ce domaine.
Une illustration : Édith Bongo s’est offert une Daimler Chrysler avec un chèque tiré sur le compte du Trésor Public gabonais ouvert auprès de la Banque de France ! (illustration : http://www.bakchich.info/IMG/jpg_cheque002.jpg ) Le concessionnaire automobile, de même que la Banque de France auraient dû réagir à cette transaction.
Des lois existent sur la régulation fiscale mais elles ne sont pas appliquées. Tracfin, la cellule anti-blanchiment du ministère des finances en France a lancé, en dix ans, onze alertes sur des transferts d’argent suspects, certaines concernant les pays mentionnés dans notre plainte. Le ministère n’a pas pris de mesures ! Ce n’est pas acceptable. C’est là que la société civile a un rôle à jouer. Les instruments juridiques existent, il faut qu’ils soient appliqués.
 
Pour conclure, quel est l’état actuel des procédures ouvertes en France ?
L’enquête est en cours, mais pendant ce temps, les acquisitions continuent… Il n’y a pas eu d’accroissement de vigilance de la part de l’État, ni des banques, ni des intermédiaires, malgré l’enquête qui vise ces personnes !
Le but des dépôts de plainte est d’obtenir à minima le gel de ces avoirs, le temps du déroulement de l’enquête, en espérant obtenir leur confiscation, il faut empêcher que ces personnes puissent les retirer et les délocaliser dans des paradis fiscaux. C’est justement pour ça que dès le début de l’année des plaintes ont été déposées contre les dirigeants Arabes, Ben Ali, Khadafi, Moubarak et plus récemment Al-Assad. La communauté internationale a très vite réagi. Il faut croire que c’est plus facile lorsqu’il s’agit de dirigeants déchus… Ça pose une fois de plus la question de la prévention : si on est capable de bloquer ces avoirs, une fois les dirigeants déchus, comment se fait-il qu’ils se soient retrouvés dans nos pays, dans un premier temps, et comment peut-on expliquer que cette situation ait duré aussi longtemps ? C’est pourquoi il faut encourager les États et la société civile à entreprendre des actions de leur propre chef, sans attendre une révolution.
 
Joël Té-Léssia
 
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[i] Données de la Banque Mondiale 2010, en parité de pouvoir d’achat : 34.475$ contre 33.994$ pour le Japon et 33.820$ pour la France.