South Sudan’s existential fiscal crisis and possible remedies

This brief discusses key fiscal practices which should be addressed urgently to save South Sudan from chronic economic disasters. After many years of war with successive repressive regimes in Khartoum, South Sudan attained independence in 2011. The young nation immediately faced challenges in creating institutions and operating them in an environment of weak enforcement and compliance.

Lack of robust coordination among key institutions of economic governance, weak oversight institutions encourage mismanagement of resources with impunity which partly accounted for the onset of the 2013 conflict. To provide steady resource needed for reconstruction and sustainable development investment and mitigate fiscal crises, the government of South Sudan needs to implement strategies conducive of healthier public finances, including expenditure control to avoid overspending, pruning agency-shopping and improving tax collections through administrative reforms. Building institutions is not a spontaneous act but rather a contextual endeavour, which exacts both time and resources. Read the full Policy Brief.

Votre pays est-il un état fragile ?

???????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????????Le Nigeria et le Cameroun, sont-ils des états fragiles ? Que dire du Malawi ou du Kenya sur le même sujet ? Cet article se propose de revenir sur l’expression « état fragile » utilisée pour caractériser certains pays afin de  mieux appréhender les enjeux auxquels font face ces derniers.

Un concept difficile à cerner !

Le mot « fragile » est défini dans le dictionnaire de langue française comme «quelque chose qui se brise facilement, quelque chose qui est précaire ». Il est donc aisé de dire d’un œuf ou de la porcelaine qu’ils sont fragiles. Mais quand il s’agit de faire référence à ce mot pour qualifier un pays, cela devient plus complexe. En effet, si l’expression « état fragile » est utilisée pour désigner certains pays, il faut dire qu’il est aujourd’hui très difficile d’établir une liste concrète d’états fragiles. Cette complexité provient du fait qu’il est aujourd’hui difficile de définir avec exactitude l’expression « état fragile ». Pour y voir un peu plus clair sur le sujet, commençons par regarder de près ce qu’on peut considérer comme un état stable ou non fragile.

La stabilité d’un pays fait généralement référence à l’absence de conflit armée sur son sol, une situation politique calme, apaisée et inclusive. Économiquement, un état stable se caractérise par une croissance durable et inclusive. C’est aussi un état qui dispose d’institutions solides, qui pratique la bonne gouvernance, un état où les règles démocratiques sont respectées, où il existe la liberté de la presse, où les minorités sont représentées à tous les niveaux de la société. Au vu de ces critères, un état fragile peut être considéré comme un état qui ne présente pas les caractéristiques d’un état non fragile. Selon l'Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE), « une région ou un état fragile a une faible capacité à exercer des fonctions de base de la gouvernance, et n'a pas la capacité de développer des relations mutuellement constructives avec la société. Les régions ou États fragiles sont également plus vulnérables aux chocs internes ou externes tels que la crise économique ou les catastrophes naturelles. En revanche, les états plus résistants présentent la capacité et la légitimité pour gouverner une population et son territoire. »

Si un consensus général se dégage sur les aspects politiques, économiques et sociaux caractérisant les états fragiles, il faut souligner également que certaines variables permettent parfois de prédire le risque que court un pays de devenir un état fragile.

Fragilité : une approche universelle pour traiter des sources très diverses !

Dans son rapport intitulé État de fragilité 2015, l’OCDE distingue cinq dimensions principales qui caractérisent la fragilité d’un état : la violence, la justice, les institutions, les fondements économiques, et la résilience.  Les cinq dimensions de la fragilité proposées révèlent des profils de vulnérabilité différents. En effet, d’après l’OCDE, il faut aborder la fragilité selon une approche plus universelle, qui n’enferme pas les états fragiles dans une seule et même catégorie, mais repose au contraire sur des mesures rendant compte des diverses facettes du risque et de la vulnérabilité surtout dans la période post-2015 marquée par les Objectifs de Développement Durable (ODD). Utilisant un diagramme de Ven regroupant les cinq dimensions de la fragilité évoquées plus haut, l’OCDE conclut qu’une approche universelle pour appréhender la fragilité présente de multiples avantages. Elle peut faciliter la détermination des priorités en faisant apparaître les pays qui sont vulnérables à des risques spécifiques et qui sont susceptibles de perdre des acquis du développement ; elle peut éclairer les priorités de la communauté internationale afin de réduire conjointement la fragilité ; elle peut continuer d’axer les efforts sur la réalisation de progrès dans les situations de pauvreté et de fragilité extrêmes. Une approche par groupe remédie en outre à certains des inconvénients d’une liste unique d’États fragiles. Par exemple, les pays eux-mêmes ne voient pas toujours l’intérêt d’être inscrits sur la liste. Un indicateur unique peut en outre passer à côté de risques importants qui interagissent avec la faiblesse des institutions et la fragilité, comme le changement climatique, les risques de pandémie et le crime organisé transnational.

Quel état est donc considéré comme fragile ?

Le rapport de l’OCDE sur l’état de fragilité en 2015 identifie 28 pays africains. On retrouve évidemment dans cette liste des pays comme le Mali, la République Centrafricaine, la République Démocratique du Congo, la Somalie, pays marqués par de l’instabilité politique et des conflits armés auxquels il faut ajouter une situation économique difficile. On y retrouve également des pays comme le Cameroun, la Côte d’Ivoire, l’Éthiopie, le Nigeria, le Rwanda ou encore le Togo. Le Nigéria, à cause des tensions communautaires entre le Nord et le Sud, de la violence sur son sol avec le groupe terroriste Boko Haram ainsi que des institutions minées par la corruption, le Rwanda à cause de l’exposition et de la vulnérabilité du pays aux phénomènes extrêmes liés au climat et à d’autres chocs et catastrophes d’ordre économique, social et environnemental, le Togo à cause d’un système judiciaire ne respectant pas encore les standards et des fondements économiques encore à bâtir et à consolider.

D’autres organisations multilatérales comme la Banque Mondiale, la Banque Africaine de Développent et la Banque Asiatique de Développement se sont également penchées sur le sujet. Ces dernières ont développé une liste harmonisée d’états fragiles qui est révisée chaque année. D’après la liste harmonisée de ces trois institutions, un pays est considéré comme fragile s’il a une moyenne des scores de l’évaluation de la politique et des institutions nationales (CPIA) des trois organisations inférieure ou égale à 3,2 et/ou s’il y a eu la présence d'une mission régionale et/ou des Nations Unies de maintien ou de consolidation de la paix au cours des trois dernières années sur son territoire. Ainsi pour le compte de l’année 2015, le Burundi, le Tchad, le Madagascar sont considérés comme des états fragiles conformément à la liste de l’OCDE. Par contre, avec le classement de la Banque Mondiale, la Banque Africaine de Développent et la Banque Asiatique de Développement, le Cameroun, le Nigeria, le Kenya par exemple ne figurent plus parmi les états fragiles.

Fragile ou pas, les défis restent les mêmes !

Si le consensus n’est pas définitif sur la classification des états fragiles, beaucoup de pays restent marquer par l’instabilité politique et les conflits armés, la mauvaise gouvernance, les tensions communautaires et font maintenant face au risque climatique. Le chômage, les inégalités , la pauvreté, l’exclusion sont autant de sources de fragilité dans un pays .La fragilité est aujourd’hui une question importante pour la communauté internationale, raison pour laquelle celle-ci en a fait un des objectifs de développement durable à travers son objectif 16, qui est de « Promouvoir des sociétés pacifiques et inclusives pour le développement durable, l'accès à la justice pour tous et bâtir des institutions efficaces, responsables et inclusives à tous les niveaux », en vue de relever ce défi. Si une vingtaine d’états fragiles dont la Guinée-Bissau, le Libéria, le Togo, ont effectué des progrès en atteignant une ou plusieurs cibles des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD), les États fragiles sont restés tout de même à la traîne dans l’atteinte des OMD pour l'ensemble des 8 objectifs. En moyenne, les États fragiles ont affiché un retard de 18% par rapport aux états non fragiles en ce qui concerne le nombre de pays ayant atteint chacune des cibles des OMD.  Par conséquent, les états fragiles doivent s’atteler à relever les défis de la sécurité et de la stabilité politique, de la bonne gouvernance, de l’inclusion, de la résilience et construire des institutions fortes. Dans le même temps, les états stables ou non fragiles doivent, quant à eux, continuer de maintenir le cap de la bonne gouvernance, de la sécurité, de l’inclusion et de la résilience.

How can behavioral change support the fight against corruption?

 

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As a young Moroccan woman who aspires to participate in the management of public affairs in my own country, I often wondered: what would prevent me from becoming a corrupt political leader? What pre-disposes so many transparent young individuals to become corruptible decision-makers? How to ensure that citizens will not abuse entrusted power for private gain? I could not obtain a complete and satisfying answer to these questions. However, my engagement in a consultancy project with Transparency International[1] gave me some elements of answer. It is particularly during my visit to Niger that I got the most insightful perspective. Indeed, I got the chance to interview Mrs. Salifou Fatimata Bazèye; one of the most powerful women in the country. In addition to her achievements as the president of the Constitutional Court, her integrity made her an icon for the promotion of rule of law. When I asked her: What made you resist to corruption? She answered: My values.

Indeed, the fight against corruption is a multidimensional process. If institutional capacity and political will are indispensable to prevent and combat corruption, we often tend to underestimate the role of culture and values. In this post, I have decided to bypass -indispensable- institution-building mechanisms and anti- corruption policies, and rather shed light on system of values as both an asset and a tool in the fight against corruption. Therefore, I will share some of the best practices adopted by Transparency International (TI) and its Nigerien chapter, the Nigerian Association for the Fight against Corruption (ANLC), in its effort to highlight transparency and merit within the existing system of values.

The ALNC: the Transparency International chapter in Niger

The ANLC plays a key role in the Nigerian civil society. It is the driving force behind national efforts to fight corruption, which is endemic in the country. Ever since its creation in 2001, the ANLC promotes reforms in favor of transparency in public and private management as well as transparency in national and international transactions. However, one of the most important dimensions of the ALNC is its activities that directly engage citizens to report and fight fraud.

In 2010, the Advocacy and Legal Advice Center within the ALNC was established with the rationale that the fight against corruption would be more effective if ordinary citizens were engaged in reporting. In that sense, the association has conducted panoply of activities including meeting and exchanges; public awareness campaigns; conferences in universities; workshops and trainings targeting youth, women, judges and elected officials; as well as the publication of studies and reports.

The fight against corruption requires both institutional and behavioral change

Hence, the ANLC attempts to tackle corruption at all scales; thereby addressing petty, grand, and systemic corruptions.

At the macro-level, it plays a key role in supporting national efforts to renegotiate exploitation contracts with foreign companies. It initiated petitions and campaigns. It also spearheads inspection missions in major industries. Even Nigerien citizens are well aware that corruption is intrinsically structural and mainly linked to systemic causes. The majority of locals I interviewed emphasized that the heart of corruption lies in the extractive industry. Referring to the big gap between Niger's natural endowment (uranium, oil, gold, vast land) and its poor human development (ranked at the bottom of the Human Development Index[2]), most Nigeriens are aware that the  terms of exploitation by foreign companies and the complicit acceptance of a corrupt political elite are the root causes that shape corruption in the country.

Nonetheless, the ANLC rejects “the wait and see attitude”, and undertakes measures that promote both institutional and behavioral change. It calls for citizens to promote change, but also to embody the values of integrity that they foresee for their country. The association deploys considerable effort to involve citizens. It aims to activate a system of values that encourages the people to control, condemn, and reject corrupt acts in all aspects of life.

Five best practices in engaging citizens

In that sense, the ALNC adopts five key principles:

1- Autonomy

The ALAC embraces the principle of “autonomization”. Its role is to inform, assist, and build citizens’ capacity to counter corruption. It does not aim to create a relation of dependency and refuses to substitute for the individuals. It rather provides citizens with juridical tools, instruments, and guidance. That includes Direct Juridical Assistance through a hot line “7777” (to foster anonymity) and through in-person complaint reception.

In addition, it mobilizes traditional and modern media such as public speak-outs, radio and television commercials to reach out to the public. It also relies on music, theater, and arts to appeal to youth and promote transparent behavior among them.

2- Inclusiveness

Furthermore, the ALNC staff organizes regular awareness campaigns in rural areas. I had the chance to participate in six field missions in rural communes, and I personally think that these are the most intense and powerful activities for the organization. In fact, these visits are impactful because they are both participatory and inclusive.

First, the ANLC integrates traditional actors and capitalizes on their educational influence. For instance, religious and traditional leaders are integrated as partners. On the one hand, chiefs of villages often play a key role in mobilizing the locals and maximizing their attendance. On the other hand, religious leaders use religious references (such as Hadiths, Quran, and Sunna) to support the ALNC’s promotion of honesty, transparency, and justice; and do even encourage citizens to report, reject, and condemn corrupt acts; as part of religious practices.

Moreover, sensitization campaigns particularly target women’s groups and youth. The ALAC's outreach strategies have been effective thanks to its gender and social considerations. Indeed, women are included –and often the major targets- of the campaign. Not only do women tend to be well organized in these structures, but they also have a spillover effect. Women’s educational role within families is leveraged by the organization; thereby aiming to capitalize on their role of “moral teachers”.

Second, awareness campaigns are not organized in a unilateral and one-way conversation. On the contrary, the locals are engaged in interactive discussions.  They are invited to define corruption, give examples, share their experiences, identify causes and find potential solutions. There personal testimonies and analyses are eye opening for participants. They are encouraged to think of corruption and directly identify with concrete examples.

3- Responsibility

TI staff encourages consciousness of the role and responsibility of the citizens. Breaking away from the discourse of passive victims, the facilitators directly point to the harmful practices of citizens: “You want the state to deliver, but what do you do for the state?” (TI facilitator, during sensitization campaign). They stress that petty corruption benefits to individuals and impoverishes the state; which consequently is less able to deliver for the citizens.

Hence, Nigeriens—women and men—are called to understand themselves as real citizens; thereby, comply with the law and respect their obligations. As an example, the ANLC facilitators highlight how the act of selling one's votes during political elections frees political leaders from any accountability. Thus, they call for a commitment of citizens at the grass-root. The power of change is put within the citizens.

4- Role Modeling

The facilitators also give positive examples of people who denounce and fight corruption. These successful cases are emphasized in order to fight defeatism and reject counter-models of people who succeed through dishonest means. For instance, the case of Mrs. Salifou Fatimata, ex-president of the constitutional court, who resisted to corruption and intimidation, is raised as a success story:  “At the beginning of her career, a man attempted to corrupt her. She sent him to jail. After that no one approached her and attempted to corrupt her. So, it is possible! “(Mr. Nouhou, secretary of TI in Niger). The ALNC asserts the need to celebrate the right examples.

5- Delegation

Last but not least, the ALNC ends every sensitization campaign with the creation of local anti-corruption clubs. These are community-based entities and local branches of the ALNC that ensures the durability of the sensitization campaign.

The boards of the anti-corruption clubs are elected by the local participants the day of the sensitization campaign. Later, they are trained to inform and assist locals in their reporting and fight against corruption. Interestingly, women do often dominate in terms of seats, which might challenge many assumptions with regard to Niger and other countries in the region.

Conclusion

To conclude, this short post does not aim to undermine the crucial importance of policies and institutional anti-corruption mechanisms. It rather aims to voice a local perspective on the question. Indeed, I consider that the leaders and locals I interviewed are pointing to a direction we should not neglect. What they refer to as “a crisis of values” is a deep factor in the spread of corruption. Thus the fight against corruption cannot be won through laws alone, it requires us to raise awareness and re-activate positive norms within society.

Lamia Bazir


[1]    I was one of the six students from the School of International and Public Affairs (Columbia University) who were selected to work on a project on Gender and Corruption. The consultancy lasted for a period of seven months (Nov. 2013 to May 2014). It involved field visits in Niger and Zimbabwe.

 

[2]    Niger was the country with the lowest Human Development Index in the world  in 2014 (0,337) 

 

Vers des institutions plus inclusives en Afrique

157904609Le développement ne serait-il qu’une question de financement ? On est bien tenté de répondre par l’affirmative en partant du modèle proposé par Arthur Lewis (1960). Sous une perspective historique, on s’aperçoit cependant que les nations les plus prospères (e.g. Egypte antique, Rome) n’ont pas réussi à conserver leur prospérité à travers les siècles. Plus récemment, lorsqu’on observe qu’une nation aussi prospère que la Lybie soit bombardée et réduit à un champ de batailles entre milices, la question de la suffisance des moyens financiers pour le développement reste entièrement posée. Si les moyens financiers sont nécessaires au processus de développement, les observations précédentes illustrent à quel point ils ne suffisent pas pour garantir l’élévation permanente du bien-être de la société. Suivant les travaux récents de Acemoglu et Robinson, il est aujourd’hui possible d’affirmer qu’au cœur du développement se trouve la question des institutions. Dans cette partie, nous examinons le cas particulier de l’Afrique. Quel bilan peut-on faire de l’évolution des institutions Africaines ? Comment l’Afrique peut-elle utiliser cette nouvelle grille de lecture proposée par Acemoglu et Robinson ?

Les institutions n’ont pas toujours été extractives en Afrique

Historiquement, Acemoglu et Robinson nous apprennent que l’esclavage a été un choc négatif sur les institutions Africaines dans la mesure où la capture et la vente généralisée des sujets ou des prisonniers de guerre a considérablement affaiblie la confiance entre les sujets et détruit la qualité des institutions. Suite à l’abolition de l’esclavage dans les pays plus développés, la colonisation a pris le relais cette fois-ci sur place à travers les travaux forcés auxquels collaboraient les chefs locaux en contrepartie du maintien de leur statut. Ainsi, les institutions ont été perverties là où elles étaient inclusives et aggravées dans les cas où elles étaient déjà extractives. Après les indépendances, ces mêmes institutions extractives ont été perpétuées dans la plupart des nouveaux Etats indépendants.[1]

Le cas des sociétés nationales de promotion agricole illustre bien la persistance d’institutions économiques extractives en Afrique.[2] Ces sociétés (anciennement bureau agricole) servaient à l’administration coloniale de jouer l’intermédiaire entre les agriculteurs et les acheteurs de produits agricoles sur les marchés internationaux. En tant que seul acheteur de la production, le Bureau agricole pouvait fixer le prix d’achat indépendamment de la demande et généralement à un niveau largement plus bas que le prix de revente sur les marchés internationaux. Selon Acemoglu et Robinson, cette extorsion s’est même amplifiée après les indépendances dans certains pays Africains comme la Sierra-Leone. Dans ces conditions, les agriculteurs n’ont aucun intérêt à augmenter la productivité agricole, dans la mesure où les profits additionnels générés sont systématiquement extorqués par les sociétés de promotion agricole.

Aujourd’hui, quelle est la qualité des institutions en Afrique ?

Lorsqu’on observe le tableau synthétique du modèle de Acemoglu et Robinson, ce qui nous intéresse est de savoir la case dans laquelle se trouve(ra) l’Afrique.

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Source : Extrait de la presentation de Acemoglu et Robinson

Cela dépend évidemment des pays. De façon générale, la réponse à cette question nécessite d’évaluer l’ampleur des potentielles barrières économiques et politiques qui entravent l’effectivité des institutions inclusives sur le continent.

Sur le plan économique, il s’agit notamment de suivre l’évolution de la concurrence, des barrières à l’entrée dans les secteurs régulés, des licences requises pour l’exercice de certaines activités économiques. En complément à ces différents facteurs, il serait intéressant de mesurer l’inclusivité de la croissance économique ; c’est-à-dire la part de population qui bénéficie de la croissance économique, soit en y participant directement ou en bénéficiant des politiques de redistribution.

Sur le plan politique, il y a lieu de savoir dans quelle mesure les différents groupes d’intérêts de la société africaine participent effectivement à la prise des décisions politiques. En particulier la prise en compte des différents intérêts lors des changements de constitution importe beaucoup dans l’évaluation de l’inclusivité des institutions politiques africaines.

Actuellement nous disposons de très peu d’informations pour faire une telle évaluation. D’un point de vue quantitatif, l’idéal serait d’avoir un indicateur de développement inclusif à deux composantes : un indice de croissance inclusive et un indice de démocratie inclusive.

D’un point de vue qualitatif, les vagues de démocratisation du pouvoir politique observée à travers la tenue régulière d’élections, quoique souvent contestées, la baisse de la violence et des conflits armés suggèrent une légère amélioration des institutions politiques. De plus, les vagues de manifestations, voire de révolutions qui secouent de temps à autre les régimes politiques africains sont aussi des signes de vitalité des institutions politiques. A cela s’ajoute l’émergence et l’adoption des nouvelles technologies de communication et d’énergie sur le continent. Tous ces facteurs semblent indiquer un dynamisme de l’Afrique vers des institutions économiques et politiques plus inclusives.

Une question reste posée : l’émergence des institutions inclusives est-elle indépendante de la constitution des hommes qui composent la société ? Le modèle d’Acemoglu et Robinson ne nous dit rien sur la façon dont émerge des institutions inclusives. Dans la mesure où les institutions émanent des hommes, il nous semble que leur constitution dans la cellule sociologique la plus réduite qu’est la famille et dans la cellule sociologique la plus vaste qu’est la société détermine leur contribution à l’édification d’une société stable qui promet l’épanouissement de tous, sans aucune exception, ni discrimination. Cela sous-entend que la structure de la famille, de même que l’organisation de l’éducation peuvent être des facteurs déterminants pour l’émergence d’institutions inclusives. Ce sont là des pistes de réflexions à mener dans de prochains articles.

Georges Vivien Houngbonon


[1] Nous reconnaissons le besoin de faire un travail fouillé sur les sociétés africaines qui avait des institutions inclusives avant l’esclavage et la colonisation.

 

 

[2] L’argument classique en faveur de ces sociétés est celui de l’assurance qu’elles procurent aux agriculteurs contre la volatilité du cours mondial des matières premières.

 

 

Sortir du sous-développement: le rôle des institutions

157904609Le développement ne serait-il qu’une question de financement ? On est bien tenté de répondre par l’affirmative en partant du modèle proposé par Arthur Lewis (1960). Sous une perspective historique, on s’aperçoit cependant que les nations les plus prospères (e.g. Egypte antique, Rome) n’ont pas réussi à conserver leur prospérité à travers les siècles. Plus récemment, lorsqu’on observe qu’une nation aussi prospère que la Lybie soit bombardée et réduit à un champ de batailles entre milices, la question de la suffisance des moyens financiers pour le développement reste entièrement posée. Si les moyens financiers sont nécessaires au processus de développement, les observations précédentes illustrent à quel point ils ne suffisent pas pour garantir l’élévation permanente du bien-être de la société. Suivant les travaux récents de Acemoglu et Robinson, il est aujourd’hui possible d’affirmer qu’au cœur du développement se trouve la question des institutions. Grâce à leur modèle de réflexion, il est possible d’identifier les forces qui engendrent, entretiennent ou brisent le sous-développement.

Les forces qui permettent de briser le cercle vicieux du sous-développement

Historiquement, seuls les phénomènes naturels, les révolutions politiques et les ruptures économiques (innovation exogène) ont été en mesure de briser le cercle vicieux du sous-développement résultant de l’absence ou de la faiblesse des institutions.

Curieusement, les catastrophes naturelles telles que les tremblements de terre, les inondations ou les pandémies sont de puissantes forces redistributives des pouvoirs politiques et économiques. Cependant, en tant que phénomènes naturels, elles ne conduisent pas toujours à une meilleure redistribution des pouvoirs. Par exemple, les personnes qui sont initialement plus pauvres (économiquement et politiquement) peuvent aussi habiter les régions sismiques, inondables, comme dans des environnements plus favorables aux épidémies. Le tremblement de terre en Haïti ou le Tsunami de 2004 en Indonésie sont des exemples de catastrophes naturelles susceptibles de modifier durablement la distribution des pouvoirs dans la société et de repartir sur des bases nouvelles. Toutefois, elles ne sont pas souhaitables pour « redistribuer les cartes » au sein d’une société, compte tenu de leur neutralité par rapport aux conditions initiales.

Aujourd’hui, les révolutions politiques constituent les moyens les plus courants de renversement de l’ordre existant. Le « printemps arabe » illustre bien ce moyen d’action. D’un point de vue historique, la Révolution Glorieuse en Angleterre (1688-1689), dans la forme pacifique, et la Révolution Française (1789), dans la forme violente, sont des exemples de révolutions qui ont durablement changé la distribution du pouvoir politique et économique dans ces pays. A l’issue de ces révolutions, généralement conduites par la multitude défavorisée, les institutions politiques sont devenues plus inclusives du fait de son implication le processus de décision. De même, elles ont été à l’origine d’une révision des rapports sur le marché du travail (abolition de l’esclavage, revalorisation des salaires, mise en place de cadre de négociations appropriés des salaires, amélioration de l’accès à la santé et à l’éducation pour tous, etc.).

En plus de la révolution politique, les ruptures dans les échanges économiques comme la révolution industrielle, la découverte des Amériques et l’explosion du commerce international qui en a découlé, sont aussi de puissantes forces susceptibles de déclencher le cercle vertueux du développement à travers la modification des institutions économiques. Plus spécifiquement, ces ruptures redistribuent le pouvoir économique grâce à l’enrichissement de nouveaux entrepreneurs. Ces derniers profitent des nouvelles idées, des nouvelles technologies pour fructifier des opportunités d’affaires et s’engager dans le processus de création de la richesse.

Pourquoi les révolutions politiques et économiques échouent ?

Si chacune de ces trois forces peuvent ouvrir des fenêtres d’opportunités sur le développement, il n’en demeure pas moins qu’elles ont besoin d’être déployées dans des conditions minimales afin de garantir un développement durable.[1] Idéalement, les résultats sont plus significatifs et durables lorsque les révolutions politiques se produisent dans un contexte de révolution industrielle ou plus généralement d’innovation. Par exemple, selon Acemoglu et Robinson, la prospérité durable de l’Angleterre et de la France est liée à l’occurrence presque simultanée de révolutions politiques et économiques. La Révolution Glorieuse a permis de limiter les pouvoirs de la monarchie britannique alors que l’essor du commerce international grâce à l’esclavage et à la découverte des Amériques a créé de nouveaux riches réclamant davantage de libertés.

La présence d’institutions extractives, est à la base de l’échec des révolutions politiques et économiques, dans la mesure où leurs retombés ne sont pas utilisés pour préparer une prochaine vague d’innovation (révolutions politique et économique). Tel que documenté par Acemoglu et Robinson, le déclin des empires Aztec et Inca en Amérique du Sud, de l’Egypte Antique, de l’empire Kongo, et même de l’ex-Union Soviétique est en partie expliqué par l’occurrence d’une innovation économique dans un contexte d’institutions extractives. Malgré que ces empires fussent initialement prospères, la propriété privée n’y était pas garantie, encore moins les libertés politiques. Ainsi, les incitations à innover étaient plus faibles, créant ainsi un retard technologique sur les autres pays du monde.

Le cas de l’ex-Union Soviétique illustre bien comment l’introduction des nouvelles technologies dans une économie extractive peut générer de la croissance en présence d’un pouvoir politique centralisé. Il illustre aussi pourquoi cette croissance ne peut être durable. En effet, dans un Etat centralisé comme l’ex-Union Soviétique, la capacité de l’Etat à réallouer les ressources économiques dans les secteurs productifs de même que l’introduction du train et des NTICs a engendré une croissance forte, faisant d’elle la deuxième économie mondiale. Cependant, cette croissance était capturée par une élite profitant des institutions politiques extractives. Il s’en est suivi très peu d’innovations, conduisant à un essoufflement de la croissance à partir des années 60.

Le cas le plus frappant est celui de l’esclavage et de la colonisation en Afrique qui font suite à la révolution industrielle en Angleterre. Il montre bien comment les innovations majeures comme la machine à vapeur et l’imprimerie ont eu des impacts différents selon la qualité initiale des institutions. Alors que ces innovations ont été largement adoptées dans les pays Européens ayant subis aussi des révolutions politiques, cela n’a pas été le cas dans les royaumes et empires Africains qui étaient pourtant en contact avec les européens et connaissaient donc bien l’utilité de ces technologies. L’une des explications à la base de cette faible adoption est bien l’absence d’un droit de propriété privée. Le roi pouvait exproprier et redistribuer les terrains agricoles à sa guise, ce qui n’incitait pas les agriculteurs à augmenter leur productivité.

Toutefois, comme nous le verrons dans la troisième partie de cette série d’articles, les institutions n’ont pas toujours et partout été extractives en Afrique. Nous nous interrogerons aussi dans cette troisième partie sur la position actuelle et les perspectives des institutions en Afrique.

Georges Vivien Houngbonon

Les conséquences des institutions extractives : Expropriation de la force de travail

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[1] Ici la durabilité ne fait pas allusion à l’épuisement des ressources naturelles.

 

 

 

Pourquoi les institutions sont-elles primordiales pour le développement ?

157904609Le développement ne serait-il qu’une question de financement ? On est bien tenté de répondre par l’affirmative en partant du modèle proposé par Arthur Lewis (1960). Sous une perspective historique, on s’aperçoit cependant que les nations les plus prospères (e.g. Egypte antique, Rome) n’ont pas réussi à conserver leur prospérité à travers les siècles. Plus récemment, lorsqu’on observe qu’une nation aussi prospère que la Lybie soit bombardée et réduit à un champ de batailles entre milices, la question de la suffisance des moyens financiers pour le développement reste entièrement posée. Si les moyens financiers sont nécessaires au processus de développement, les observations précédentes illustrent à quel point ils ne suffisent pas pour garantir l’élévation permanente du bien-être de la société. Suivant les travaux récents de Acemoglu et Robinson, il est aujourd’hui possible d’affirmer qu’au cœur du développement se trouve la question des institutions.

Un aperçu sur le concept d’institution

Lorsqu’on aborde la question des institutions, la première interrogation qui vient à l’esprit est celle de sa définition précise. Qu’entend-t-on par institution ? Quelle est sa nature et d’où provient-elle ? Emane-t-elle de la société, d’un ordre préétabli, ou les deux à la fois ? Lorsqu’on parcourt les auteurs qui ont travaillé sur la question, on s’aperçoit qu’ils ne donnent pas une définition précise au concept. Il s’agit donc d’un concept flou mais qui peut être appréhendé de façon générale comme l’ensemble des règles qui régissent le fonctionnement de la société. Formellement, l’institution se caractérise par la loi. On pourrait donc recourir à Montesquieu (Charles-Louis de Secondat) pour définir les institutions comme les « rapports nécessaires qui dérivent de la nature des choses ».[1] Ainsi, son champ recouvre notamment la famille, la politique et l’économie.

Partant du fait que la distribution du pouvoir de décision et l’organisation des échanges occupent une place très importante dans toute société, nous nous focaliserons sur les institutions politiques et économiques. Selon les termes de Acemoglu et Robinson, les institutions politiques et économiques, peuvent être inclusives ou extractives.

Les institutions politiques inclusives favorisent la participation et la représentation de tous les groupes d’intérêts de la société (e.g. la démocratie) ; contrairement aux institutions politiques extractives qui excluent une partie de la population (e.g. la ségrégation ou l’apartheid). Quant aux institutions économiques, elles sont inclusives dès lors qu’elles permettent la libre participation de toutes les personnes au processus d’échanges et garantissent le droit de propriété privée. Au contraire ; les institutions économiques extractives excluent une partie de la population du processus d’échanges économiques (notamment en interdisant sa participation aux activités économiques pour lesquelles elle est la plus productive), ou favorisent l’accaparement de la propriété privée de la majorité par la minorité. Cet accaparement peut porter sur des capitaux physiques (terres, biens immobiliers, etc.), des capitaux financiers et même sur la force de travail (esclavage, travaux forcés, etc.). Les lois qui promeuvent la libre entreprise et la concurrence illustrent les cas d’institutions économiques inclusives, alors que l’esclavage est l’exemple extrême d’une institution économique extractive.

Pourquoi les institutions sont-elles primordiales pour le développement ?

Dans l’hypothèse où les institutions peuvent être à la base du développement, on passe de la nécessité des moyens de financement aux conditions suffisantes pour assurer la pérennité des acquis du développement économique. A ce propos, le modèle de réflexion proposé par Acemoglu et Robinson présente le développement comme le résultat d’une interaction entre des institutions politiques et économiques inclusives.  La primauté des institutions vient du fait que l’interaction entre des institutions politiques et économiques inclusives génère des « forces » capables d’engendrer et d’entretenir le bien-être matériel, la paix et la sécurité de toute la société. Le tableau suivant résume les conséquences de cette interaction selon la qualité des institutions.

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Source : Extrait de la Presentation de Acemoglu et Robinson

D’après la théorie de Acemoglu et Robinson, il faut des institutions politiques et économiques inclusives pour garantir l’émergence et le maintien du développement. Les institutions politiques inclusives se caractérisent par une large distribution du pouvoir politique et une centralisation des décisions politiques. Quant aux institutions économiques inclusives, elles se caractérisent par la liberté d’entreprendre et la garantie de la propriété privée. Comment donc la conjonction d’institutions inclusives est un gage de développement ?

En effet, une large distribution du pouvoir politique entre divers groupes d’intérêt permet d’éviter les modifications des lois au profit d’une minorité. Même au sein de la minorité susceptible d’avaliser un changement biaisé des lois, chacun envisage ce qu’il adviendra lorsqu’une autre minorité aussi puissante voudra modifier les lois à sa convenance. Il s’en suit alors un cercle vertueux de maintien des lois tant qu’elles sont bénéfiques pour la majorité. De même, la centralisation des décisions politiques atténue les conflits entre territoires indépendants et assure la coordination de l’action publique. Cette centralisation surtout nécessaire dans des Etats embryonnaires. Selon les chercheurs, la Somalie illustre bien les conséquences d’une absence de centralisation du pouvoir politique.

La liberté d’entreprendre laisse l’opportunité à tout entrepreneur de s’engager dans des projets tant qu’ils sont rentables.[2] La promotion de la concurrence en est une parfaite illustration.[3] Au contraire, les licences nécessaires pour entamer certaines activités économiques sont typiquement contraires à ce principe. Le cas des licences de taxis dans certaines villes ou celui des habilitations à exercer certains métiers (avocats, médecins, etc.…) illustre bien les barrières à l’entrée érigées pour protéger la rente des de ceux qui exercent déjà ces métiers.

Le respect et la garantie de la propriété privée par l’Etat, qu’elle soit physique (mobilière ou immobilière), financière ou humaine, encourage la création destructive, i.e. de l’innovation qui remplace des anciennes technologies. Ce principe génère un afflux continu de nouvelles idées qui permettent aux sociétés de se renouveler. L’expropriation des terres par les rois tous puissants, selon toute vraisemblance très fréquente dans un passé récent au Congo, explique en partie pourquoi les agriculteurs étaient réticents à adopter les nouvelles technologies pour augmenter leur rendement agricole.

Malgré leurs incidences positives sur le bien-être des sociétés, ces forces rencontrent d’importantes résistances partout dans le monde. En règle générale, les institutions extractives bénéficient toujours à quelques minorités et tend à se perpétuer à coups de répression et de pauvreté. Ainsi, rares sont les pays dans lesquels l’ensemble de ces principes sont respectés. En particulier, l’importance de l’innovation dans l’augmentation permanente des niveaux de vie et le rôle de la concurrence dans sa promotion sont des paradigmes relativement récents. Ces résistances à la mise en place d’institutions inclusives est en grande partie responsables de la pauvreté un peu partout dans le monde et en particulier en Afrique. L’un des intérêts du modèle de réflexion proposé par Acemoglu et Robinson est qu’il permet d’identifier les forces qui engendrent, entretiennent ou brisent le sous-développement. La deuxième partie de cette série d’articles sera consacrée à l’exposé de ces forces.

Georges Vivien Houngbonon

Les institutions inclusives en action  : L’innovation de Thomas Edison

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[1] A mon avis, c’est probablement pour se démarquer des juristes que les économistes désignent les lois sous le vocable d’institutions.

 

[2] L’intervention de l’Etat est souhaitable dans les cas où le projet privé a une incidence positive ou négative sur toute la communauté (externalités).

 

[3] Quand bien même, il existe des limites à la concurrence.