Neuf idées pour booster les TICs en Afrique

mark_kaigwaLors du salon de l’innovation technologique DEMO Africa 2013, 40 finalistes issus du continent africain avaient présenté leurs créations au monde. De ces créations, se sont dégagées neuf leçons que le bloggeur et inventeur kenyan Mark Kaigwa propose de retenir pour le développement des TICs en Afrique.

1- Changer notre vision du financement de la technologie

En Afrique, le financement des innovations technologiques ne doit plus dépendre des épargnes ou des fonds personnels des innovateurs. Il faut désormais penser grand, faire confiance aux inventeurs. Les entreprises doivent leur donner les moyens de travailler afin que leur génie ne soit plus restreint par le manque de moyens financiers.

2- Faire évoluer les centres d’innovations africains

À travers le continent, plusieurs centres d’innovations technologiques où se retrouvent innovateurs et porteurs d’idées se sont multipliés. On a iHub au Kenya, ActivSpace au Cameroun et bien d’autres. Seulement, les centres technologiques ne doivent pas demeurer des lieux de pensées. Ils doivent susciter l’esprit d’entrepreneuriat qui se traduit par la création de nombreuses start-ups.

3- Penser d’abord des solutions locales

Les solutions technologiques qui devraient permettre à l’Afrique de prendre une place dans le monde numérique devront d’abord résoudre les problèmes des Africains. Elles devront apporter des réponses locales. Il ne sert à rien de penser déjà au monde et de passer à côté des nombreuses opportunités qu’offre le continent.

4- Les médias sociaux africains doivent développer une force de vente

En Afrique, les médias sociaux pullulent. Seulement, ils ne doivent plus se restreindre aux outils basiques que sont le chat, le partage d’images, etc. Ils doivent développer une force de vente, se diversifier, proposer des services générateurs de revenus comme des jeux en ligne, etc.

5- Investir dans les jeux

Les innovateurs africains ne doivent pas seulement chercher à développer des solutions technologiques de pointe. Ils peuvent aussi investir dans des domaines ludiques comme les jeux en ligne, très prisés par les internautes.

6- Ne pas oublier l’e-commerce

Avec l’actuelle course effrénée vers le haut débit fixe et mobile, il serait intelligent pour l’Afrique de ne pas négliger l’e-commerce. C’est un secteur porteur qui a déjà permis la création de nombreux emplois à travers le continent. C’est une grosse source de revenus, donc un atout majeur pour le développement économique.

7- Ne pas négliger le potentiel de la diaspora

D’après le Brooking Institute, 30,6 millions d’Africains disséminés à travers le monde ont envoyés 5,1 milliards de dollars vers l’Afrique en 2010. Ces chiffres montrent à suffisance le potentiel financier que représentent les Africains de l’étranger. À cela il faut ajouter leurs compétences intellectuelles et la diversité culturelle.

8- L’Afrique doit faire dans le Hardware

Fini la consommation de ce que les autres fabriquent, c’est au tour de l’Afrique de fabriquer ses appareils et de les vendre au monde. En Egypte par exemple, la start-up Vivifi a développé une technologie permettant d’utiliser n’importe quelle surface comme un écran tactile. Cette découverte peut avoir de multiples applications.

9- La fourniture de contenus

Avec la multiplication des TV web comme celles de Facebook, Youtube, Twitter, Tumblr, etc, le marché des contenus en Afrique sera d’une grande importance. Pour les créateurs de contenus qui l’ont compris, ce sera un moyen de tirer leur épingle du jeu.

Un article initialement paru sur Ecofin

Réforme du système de gestion des cartes grises au Nigéria : le développement de l’Afrique en 3 leçons

Au Nigéria, les états fédéraux ont confié l’enregistrement et la gestion des cartes grises des véhicules à Courteville Plc une société nigériane qui a développé AutoReg, un système qui utilise de manière astucieuse les nouvelles technologies pour faciliter les démarches administratives. Un condensé de quelques ingrédients de la recette du développement pour les économies africaines : un protectionnisme intelligent pour soutenir le tissu industriel local, l’utilisation des nouvelles technologies et un Etat qui, conscient de ses lacunes, sait interagir avec les acteurs privés.

Dans de nombreux pays africains, la lenteur et la complexité des démarches administratives freinent l’activité économique. Au Nigéria, l’immatriculation et l’obtention des cartes grises des véhicules ont été pendant longtemps un chemin de croix pour les automobilistes et motocyclistes nigérians. De même, la connaissance de l’état en temps réel du parc automobile était particulièrement difficile pour les différentes autorités fédérales, responsables au sein d’un dispositif fortement décentralisé de la gestion des cartes grises au sein de chaque Etat fédéral. Mais tout cela, c’était avant AutoReg, un système automatisé d’enregistrement et de renouvellement des cartes grises de véhicules.

AutoReg a été créé en 2008 par Courteville Plc, une société nigériane créée par Bola Akindele, un entrepreneur nigérian. Elle opère aujourd’hui dans 18 des 36 états nigérians et ambitionne de se développer dans d’autres pays africains. AutoReg a permis d’automatiser et d’informatiser la gestion des cartes grises au Nigéria. Pour créer leur gigantesque base de données, Courteville a créé un nombre important de centres d’enregistrement à travers le Nigéria dont près de 600 dans la seule ville de Lagos. Ainsi lorsque les automobilistes et motocyclistes ont dû renouveler leurs cartes grises, AutoReg a pu commencer à enrichir da base de données qui contient aujourd’hui 2,5 millions de véhicules. AutoReg permet de s’enregistrer en quelques minutes au lieu des quelques jours avant le système. AutoReg a aussi doté les policiers nigérians d’un outil mobile relié en temps réel à la base de données des licences pour faciliter les contrôles routiers. Pour les Etats, AutoReg facilite la collecte des primes et réduit le risque de falsification des documents.

L’histoire et le succès d’Autoreg est un condensé des ingrédients indispensables au développement économique des pays africains.

Un Etat volontariste et conscient des faiblesses du secteur public

Tel que déjà évoqué dans un article paru sur TerangaWeb, l’amélioration de la qualité du secteur public est primordiale pour le développement. En effet, en plus des infrastructures, les Etats doivent être capables de fournir des prestations de qualité, de manière à fluidifier le fonctionnement de l’économie. Mais la mise en place de prestations de qualité prend un temps considérable. Ainsi entre la prise de conscience d’un Etat sur la faiblesse de son service public et l’implémentation par l’Etat de mesures correctrices, les délais peuvent être longs. Dès lors, une des solutions pour pallier aux insuffisances de l’Etat est de sous-traiter la fourniture de services publics à des acteurs privés.

La sous-traitance d’une prestation de service public à un opérateur privé doit néanmoins faire l’objet d’une vigilance accrue de l’Etat. Un cahier des charges précis doit être fixé déterminant une qualité minimale de service attendue ainsi que le prix éventuel fixé au consommateur final. De plus, la réalisation de l’appel d’offres doit être « presque » transparente afin d’atteindre le meilleur compromis possible entre la qualité du service et le maintien de l’autorité de l’Etat sur les opérations stratégiques.

On pourrait objecter que la vague de privatisations imposées par les bailleurs de fonds internationaux aux pays africains dans les années 1990 n’a nullement permis à ces pays d’émerger. Néanmoins, prenons le temps d’examiner la situation dans les pays dits développés, le cas de la France par exemple. Si en apparence, les anciennes sociétés d’Etat sont aujourd’hui privatisées (France Telecom, GDF, EDF, Areva etc.), il convient de noter que ces grandes sociétés privées sont toutes gérées pour la plupart par un groupe d’élites françaises venant de l’élite française des écoles (X, HEC, ENA, Corps d’Etat) qui veillent d’abord à défendre les intérêts de la France…

Un Etat légèrement protectionniste pour soutenir un secteur local dynamique

Le dynamisme sain d’une économie passe par un secteur privé dynamique et soutenu. N’en déplaise aux adeptes du libre-échange, les pays africains et les entreprises locales ont besoin de protection. En effet, le protectionnisme permet aux entreprises d’obtenir des positions de leader sur le marché local. Une fois que ces sociétés locales auront atteint la taille critique pour pouvoir résister à la concurrence des entreprises extérieures, l’Etat peut décider de rouvrir les marchés afin de permettre à la société locale d’attaquer elle aussi les marchés extérieurs.

Le dynamisme des sociétés locales nécessite de manière pratique une stabilité des carnets de commande. Même si l’émergence d’une classe moyenne est annoncée en Afrique, le principal client potentiel pour les entreprises privées reste encore l’Etat. Les investissements publics via les appels d’offre notamment sont encore aujourd’hui en Afrique un des moteurs principaux de la croissance économique. Dès lors, en attribuant les plus importants contrats publics à des sociétés locales, les Etats africains participent à la dynamisation du secteur privé et s’assurent que les produits de l’investissement public restent bien dans le pays sous la forme d’emplois, de dividendes aux actionnaires locaux et d’impôts.

Mais cela nécessite que les Etats fassent confiance au savoir-faire local. Ce qui n’est pas chose aisée dans des contextes encore fortement complexés par l’Occident. Le fondateur d’AutoReg confie que de nombreuses autorités à qui ils s’adressaient voulaient savoir de quelle entreprise occidentale ils étaient la filiale, car ils avaient du mal à imaginer une telle qualité de service 100% made in Nigeria.

Les nouvelles technologies pour brûler les étapes…

Autrefois principalement manuel, le système de gestion des cartes est aujourd’hui totalement automatisé et informatisé dans les Etats qui ont choisi d’implémenter la solution AutoReg. La dernière innovation d’AutoReg est de doter les policiers d’un outil mobile de vérification de la validité des cartes grises des automobilistes et motocyclistes.

L’adoption des nouvelles technologies permet des gains considérables en efficacité. C’est aussi un des rares secteurs dans lesquels les « petits » acteurs africains peuvent concurrencer les multinationales occidentales comme c'est le cas dans un autre article traitant d'une entreprise Kenyane. Comme décrit dans notre article, les NTIC constituent une opportunité considérable pour les pays africains. Les Etats africains doivent donc mettre en place à l’instar de l’Inde de véritables plans pour favoriser l’excellence et soutenir l’innovation dans ce secteur.

Ted Boulou

La maturité du marché de la téléphonie mobile en Afrique

A la fin des années 90, la démocratisation rapide de la téléphonie mobile en Occident était vue par certains commentateurs comme un motif d'inquiétude pour les nations en développement, moins privilégiées en matière d'avancées techniques. Au premier chef, les pays africains, dont la grande majorité occupait les derniers rangs des classements en matière d'équipements en télécommunications. La notion de "fracture numérique" apparaissait et nombre de prévisions envisageaient un décrochage technologique des pays du Sud qui viendrait se rajouter à leur retard économique, déjà inquiétant. A l'appui de ces prédictions pessimistes, l'argument le plus communément invoqué voulait que nombre de ces pays qui, pendant des décennies, n'avaient pas été en mesure d'offrir à leurs populations un service fiable de lignes fixes sur leur territoire, seraient distancées encore un peu plus avec l'arrivée de ce nouveau médium de communication. Le scepticisme ambiant de l'époque reposait en définitive sur l'opinion qu'il était hautement improbable de sauter purement et simplement une étape majeure de l'évolution technologique. Ce sombre scénario était plausible, mais comme bien des prévisions à l'argumentaire pourtant convaincant, il ne s'est pas réalisé.

Aujourd'hui, le téléphone mobile est partout sur le continent. En 2000, il y avait 16 millions de mobiles actifs en circulation pour une population africaine de 800 millions d'habitants. Un téléphone pour 50 personnes. A la fin 2011, selon une étude de Wireless Intelligence, le nombre d'abonnés africains au téléphone portable atteignait 620 millions (supérieure à celui de l'Europe et en passe de devenir le deuxième marché continental de la planète après l'Asie, et devant l'Amérique) pour une population totale ayant désormais franchi le cap du milliard d'individus. Un téléphone pour moins de 2 personnes !

Un saisissant raccourci de l'explosion de la téléphonie mobile au cours de la dernière décennie en Afrique, et qui aura révolutionné en profondeur des pans entiers du continent. Sur le plan économique, cette démocratisation massive du téléphone portable (60 % de taux de pénétration pour l'ensemble de l'Afrique) aura permis la constitution de grands groupes télécoms prospères (en dehors du secteur des hydrocarbures, ces compagnies sont souvent leaders dans plusieurs pays en terme de revenus et d'investissements), qui opèrent le plus souvent à l'échelle de sous-ensembles régionaux (Orange, Bharti, Vodafone) et à la structure capitalistique africaine pour quelques géants du secteur (MTN, Orascom). Un impact économique qui au-delà de la constitution de quelques titans des télécoms panafricains, aura aussi permis à quelques habiles opérateurs privés de bâtir empire et de constituer fortune(Mo Ibrahim, Mike Adenuga, Cheikh Yerim Sow, Naguib Sawiris). Les télécommunications mobiles en Afrique, c'est un chiffre d'affaires global de 56 milliards USD en 2010 et plus de 3.5 millions d'emplois directs et indirects selon l'Union Internationale des Télécommunications .

Une croissance aussi forte trouve son explication dans une convergence de facteurs favorables ; les principaux étant une réglementation favorisant la concurrence, l’implantation de nouvelles technologies et un effort marketing adapté aux besoins des usagers. Dominés un temps par des monopoles d’État, les marchés des télécommunications africains comptent désormais parmi les plus concurrentiels du monde, les autorités de régulation ayant octroyé un nombre croissant de licences et poussé les opérateurs à étendre les services proposés. Cette concurrence accrue a incité les opérateurs à réduire progressivement leurs prix, développer les réseaux et proposer de nouvelles offres afin de protéger leur part de marché et en obtenir de nouvelles. Un cercle vertueux dont les usagers africains auront été, comme ailleurs dans le monde, les grands gagnants.

Il existe aussi quelques spécificités africaines dans le domaine de la téléphonie mobile. Il s’agit essentiellement d’un marché prépayé. Plus de 95 % des utilisateurs utilisent cette forme de consommation, et ceci sur la plupart des marchés du continent. De plus, le marché est toujours axé sur la communication vocale, seul le SMS s’imposant en dehors des services téléphoniques vocaux, qui correspondent à 90 % des revenus. Néanmoins, les autres prestations proposées par les opérateurs progressent rapidement, en particulier l'Internet mobile. Révélateur également de l'impact considérable de la téléphonie mobile, plusieurs autres secteurs de l'économie ont adapté leur offre en fonction de ce nouveau canal. Les institutions financières proposent ainsi de plus en plus de services de banque à distance (mobile banking), via le téléphone portable, afin de développer et de diversifier leurs services. De nouvelles applications, telles que M-PESA au Kenya par exemple, permettent ainsi le transfert d’argent.

Evolution du nombre d’abonnés à la téléphonie mobile en Afrique, 2005-2013
Passée cette phase de forte expansion enregistrée depuis le début du siècle, la téléphonie mobile en Afrique doit faire face aujourd'hui à de nouveaux défis. Si le nombre d’abonnés poursuit sa progression (mais à un rythme désormais moindre), le revenu marginal par abonné a été fortement réduit, atteignant moins de cinq dollars par mois sur de nombreux marchés. Cette baisse a redéfini les paramètres ayant traditionnellement une influence importante sur la rentabilité du secteur. En réduisant par exemple la dépendance au revenu moyen par utilisateur, elle a obligé les opérateurs à optimiser leurs modèles pour qu'ils restent viables. Les seuils de rentabilité restent bas, hormis pour les plus grands opérateurs. Le secteur est soumis à des mutations considérables, passant d’un modèle de développement basé sur la valeur à un modèle basé sur les volumes. Le coût des licences de téléphonie mobile augmentant et le développement d’une large base de clientèle étant indispensable, les besoins en capitaux sont plus importants. L’intensité de la concurrence augmente les risques de retours sur investissement négatifs et ne favorise pas une consolidation sur le long terme.

Mais parallèlement à ces défis, de nouvelles opportunités se présentent ; l’industrie de la téléphonie mobile cherche désormais à réaliser pour le marché de l’Internet ce qu’elle a fait pour la téléphonie vocale. Les obstacles sont nombreux : infrastructures limitées, coûts de la bande passante et de l’équipement de base élevés, faibles niveaux d’alphabétisation de la clientèle et marchés cibles réduits. Cette perspective est toute entière marquée par la spéci…cité des opportunités de développement en Afrique : un mélange unique de potentiel très prometteur et de retours sur investissements souvent incertains. Quoi qu'il en soit, le marché de l’Internet constitue bien la prochaine étape de l’expansion du secteur de la téléphonie mobile sur le continent. Et si les performances passées peuvent préjuger tant soit peu des résultats futurs, il y a tout lieu de demeurer optimiste.
 

Jacques Leroueil