La « formalisation » de l’économie informelle est-elle la clé du développement et de la lutte contre la pauvreté en Afrique ?

Certains l’appellent l’économie non-contrôlée ou l’économie de la débrouillardise,  d’autres, l’économie souterraine ou l’économie populaire. Dans tous les cas, l’activité informelle occupe une place prépondérante dans l’économie des Pays les Moins Avancés (PMA) notamment ceux d’Afrique subsaharienne où les activités non-déclarées concernent en  moyenne de 70% de la population active (1). L’économie informelle est d’autant plus difficilement identifiable et mesurable, qu’elle est écartée des comptabilités publiques et échappe à toute politique fiscale. Les Etats sont en carence de stratégies adaptées pour valoriser les produits de l’économie informelle et ramener le volume des activités qu’elle recouvre dans le système formel.

L’économie informelle existait bien avant les indépendances des pays africains dans les années 1960 (2). Après cette période, elle s’est accentuée dans le contexte des « trente glorieuses » dont les effets ont été ressentis jusqu’en Afrique, notamment à travers l’afflux d’investissements directs étrangers (IDE) en provenance des pays occidentaux vers le  continent. Les pays comme l’Afrique du Sud, le Kenya ou encore la Côte d’ivoire ont su en profiter pendant un certain temps. Au début des années 1980 pourtant, l’économie informelle en Afrique a pris une nouvelle dimension après la mise en oeuvre des politiques d'ajustement structurel (PAS), qui ont généré des effets dévastateurs (réduction des salaires, diminution des effectifs de la Fonction publique, privatisation des entreprises d’État…). La dévaluation du Franc CFA en 1994 induisant des effets néfastes sur la structure économique, a contribué au ralentissement de la croissance, à la hausse du chômage et à la fragilisation des Etats. Tous ces facteurs ont eu pour résultante l’accroissement du nombre d'agents exerçant dans l’économie informelle.

I.  Les contours flous de l’économie informelle

La notion d’informel est une notion à géométrie variable, elle est polysémique et a été utilisée pour désigner des activités à la fois diverses et complexes. Ainsi plusieurs définitions coexistent.

–      La première est sectorielle et résulte de travaux élaborés par le Bureau International du Travail (BIT) en 1972 à travers « le rapport Kenya ». Ce dernier désigne le secteur informel comme un ensemble de petites entreprises dotées d'une échelle restreinte, d'activités essentiellement familiales et d'une faible intensité capitalistique.

–      Le deuxième type de définition s’est polarisé sur la pauvreté et la marginalité, c’est-à-dire sur les conséquences de la participation des agents au marché du travail secondaire (3). De surcroît, cette définition prend en compte les unités de production et les micro-entreprises qui ne transgressent pas délibérément la réglementation pour exister contrairement aux activités dites illégales telles que la contrebande, le trafic de drogue, que nous retrouvons également dans nos sociétés. Dans tous les cas, ces définitions convergent inéluctablement vers une série de questions : Quelle est la structure de l’économie informelle en Afrique ? Quelles catégories de population sont concernées ? L’Afrique peut-elle se développer sans l’économie informelle ? Au final, l’économie informelle peut-elle être une porte de sortie pour l’Afrique ?

II. Structure et morphologie des populations les plus concernées par l’économie informelle.

La structure de l’économie informelle en Afrique regroupe essentiellement les activités liées à l’artisanat, au petit commerce, aux petites et moyennes entreprises non formellement identifiées par l'Etat. Par exemple, dès 2006 l’Agence Française pour le Développement soulignait dans un rapport qu’au Cameroun, l’économie informelle compte près de 90 % de la population active, alors qu’on estime qu’elle constitue près de 30% du PIB. Au Sénégal, elle est également le poumon de l’économie. Elle représente ainsi 60% du produit intérieur brut du pays et 60% de la population active est concernée. Au Mali, les dernières études publiées par l’Institut National de la Statistique (INSTAT) montrent que l’économie informelle touche 70% de la population active et qu’elle contribue à près de 55% du PIB (6). Il s’ensuit que ces tendances sont similaires dans la majorité des pays africains. Ainsi, si la structure de l’économie informelle varie d’un pays à l’autre, son importance dans la création de la richesse nationale est partout significative.   Par ailleurs, l’économie informelle est également marquée par une grande hétérogénéité des populations concernées. Il existe deux catégories de population dans l’économie informelle en Afrique : celle qui en tire des revenus de subsistance et celle qui mène simultanément une ou plusieurs activités génératrices de revenus (AGR) formelles ou informelles. La première catégorie vit quasi-exclusivement de l’économie informelle tandis que la seconde effectue sporadiquement des activités informelles en s’affranchissant de l’impôt.

III. Recommandations

Bien que l’économie informelle présente à la fois des caractéristiques hétérogènes et complexes, elle pourrait faire l’objet d’une politique coordonnée à l’échelle régionale et constituer la porte de sortie pour l’atteinte de l’émergence des pays Africains d’ici à l’horizon 2035 (objectif fixé par l’Union Africaine). En effet, le but d’une telle politique ne viserait pas à traquer et appauvrir les agents tirant leurs revenus de subsistance du secteur informel mais à renforcer le cadre réglementaire des activités économiques et à étendre la protection sociale à tous les travailleurs. En outre, il est important de souligner que la deuxième partie de la population concernée par l’économie informelle regroupe majoritairement des petites entreprises à taille humaine avec une croissance d’activité régulière dont l’identification et l’assujettissement à l’impôt permettrait d’assurer la stabilité des finances publiques.  L’exemple du Maroc en 2014 avec le statut de l’auto-entrepreneuriat élaboré par le Haut Commissariat au Plan (HCP) propose des mesures d’incitations fiscales pour faciliter l’intégration de la deuxième catégorie de population. En revanche, le statut ne propose pas de mesures en faveur d'une large couverture sociale des personnes exerçant dans l’économie informelle. De plus, l’économie marocaine est face à un paradoxe depuis quelques années ; c’est-à-dire que la croissance économique est de plus en plus soutenue, conduisant à la baisse du poids de l’ économie informelle dans le PIB tandis que dans le même temps l’emploi informel progresse. L’économie informelle devient ainsi peu à peu une zone grise qui ne manque pas d’interagir avec l’économie marocaine traditionnelle. En effet, il est important de mentionner qu’il existe une forte interaction entre le formel et l’informel, ne serait-ce que par la monnaie commune. Si le premier accuse le second de concurrence déloyale, le second quant à lui, accuse le premier d’une carence de considération. Seul une politique volontariste mettant en place des incitations fiscales et une flexibilisation du cadre juridique de la création d’entreprise permettra d’unifier les deux pans de l’économie.

En somme, il est impératif pour les Pays les Moins Avancés d’Afrique, de mettre en place des reformes  à l’égard de l’économie informelle. Cela sera possible si les Etats jouent pleinement leur rôle, c’est-à-dire la création d’ un environnement propice à une meilleure condition de vie des citoyens et à un climat des affaires plus certain. L’économie informelle est essentiellement une question de gouvernance. Toutefois, il arrive souvent que les quelques micro-entreprises tenant des unités de production non déclarées et non réglementées ne s’acquittent ni de leurs obligations fiscales, ni de leurs obligations sociales vis-à-vis des travailleurs, faisant ainsi une sorte de concurrence déloyale aux autres entreprises. Celles-ci doivent être ciblées sans caractère punitif tout en étant mises à contribution. Dans ce cas, l’Etat qui voit déjà lui échapper des ressources fiscales qui devraient provenir de l’économie informelle, verra sa capacité de financement augmenter pour faire face aux services sociaux. Outre la couverture sociale au sens traditionnel, les agents exerçant dans l’économie informelle sont dépourvus de toute protection dans des secteurs tels que la formation, l’éducation, l’apprentissage, les soins sanitaires et plus particulièrement ceux liés à la petite enfance. En tenant compte de ces reformes, l’Afrique observera simultanément l’accélération de son développement économique et la baisse de la pauvreté.

 

Amadou SY

 

Sources

(1)  https://www.oecd.org/fr/csao/publications/42358563.pdf

(2)  https://www.monde-diplomatique.fr/mav/143/CESSOU/53893

(3)  http://www.persee.fr/doc/ecop_0249-4744_1990_num_92_1_5155

(4)  Rapport de l’Agence Française de Développement publié en 2006.

 

Le système financier malgache

Madagascar sort de cinq ans de crise politique. Dans ce contexte délicat, il est utile de faire le point sur la santé du système financier. Il croît à partir d'une petite base et des risques apparaissent mais restent contenus. Les réformes visant à soutenir le développement du secteur financier sont néanmoins essentielles dans la mesure où il ne peut actuellement soutenir la diversification et la croissance économiques du fait d'un accès restreint aux financements. Un système financier plus développé permettrait de renforcer l'effet des politiques publiques, tant budgétaires que monétaires, et de faire de l'accès au crédit un moteur de la croissance. Il est nécessaire de renforcer la surveillance, d’améliorer la mise en place de la réglementation et de définir un cadre de résolution des crises pour assurer la stabilité financière.

  1. Panorama

Evolution du taux de change

Ces dernières années, Madagascar a enregistré une volatilité considérable des  flux de la balance des paiements. Cette volatilité était imputable à des investissements de grande échelle dans des projets miniers  et à l’instabilité économique causée par la récente crise. Il est donc difficile de porter un jugement définitif sur la stabilité et la compétitivité extérieures de Madagascar. Si les modèles du taux de change ne donnent pas une évaluation claire de la valorisation, d’autres preuves plus larges mettent en exergue l’insuffisance de la compétitivité.

 

Répercussion du taux de change à Madagascar

On estime que la répercussion du taux de change sur les prix intérieurs se situe aux environs de -0.35 à son pic, chiffre similaire aux estimations pour les autres pays d’Afrique subsaharienne. Il est également prouvé que les chocs plus marqués sur le taux de change ont une répercussion plus prononcée sur les prix que les chocs de moindre envergure. Cela suggère que les autorités devraient laisser le taux de change réagir aux chocs au lieu de laisser les déséquilibres s’accumuler ce qui finira par déboucher sur des corrections plus perturbatrices.

 

La mobilisation des recettes fiscales à Madagascar

Le ratio des recettes fiscales de Madagascar est l’un des plus faibles d’Afrique subsaharienne, et est loin de répondre aux besoins de développement importants du pays. L’objectif du gouvernement est de porter le ratio des impôts au PIB à 14 % environ à moyen terme. Pour y parvenir, il faudra prendre des mesures visant à élargir l’assiette de l’impôt, notamment en limitant les incitations fiscales, en faisant mieux respecter les obligations fiscales et en réduisant les possibilités d’évasion fiscale. Pour encourager la morale fiscale, ces efforts devront aller de pair avec une amélioration des services publics. 

 

  1. Recommendations

 

Comme c'est le cas dans de nombreux pays à faible revenu, le secteur bancaire domine le système financier malgache.

Dans l'ensemble, les banques sont en bonne santé mais il existe des poches de vulnérabilité, notamment chez les acteurs les plus récemment arrivés. Les nombreuses IMF offrent des services financiers restreints aux foyers à faible revenu, contribuant ainsi au renforcement de l'accès au système financier. Le reste du secteur financier national se constitue principalement des compagnies d'assurance. Il n'y a pas de marché boursier et le marché obligataire ne finance que l'état. L'analyse comparative montre que le système financier malgache n'est pas particulièrement inhabituel, vu les caractéristiques structurelles du pays.

Le système bancaire est stable mais comporte des poches de vulnérabilité, les principaux risques étant la concentration des crédits et la qualité des actifs; le secteur de la microfinance mérite un suivi minutieux.

Les ISF semblent indiquer que les banques sont, dans l’ensemble, suffisamment capitalisées, rentables et liquides. La profondeur financière s'est renforcée ces dernières années et correspond globalement aux caractéristiques structurelles du pays. Il reste néanmoins une marge d'approfondissement, ce qui faciliterait la mise en œuvre de la politique budgétaire et permettrait de gérer plus facilement la volatilité et de soutenir les investissements et la croissance. Le secteur de la microfinance doit être suivi de près, en particulier la gouvernance des IMF, la fermeture récente d'une institution étant un signal d'alarme clair.

 

La réglementation micro-prudentielle et la surveillance des banques et institutions de micro financement pourrait être renforcée.

Ce processus est déjà en cours avec le renforcement de l'équipe à la Commission de la Supervision Bancaire et Financière (CSBF). De nombreuses lacunes identifiées dans le PESF de Madagascar (2005) et de nombreuses analyses et recommandations faites à l'époque restent pertinentes. Une mesure importante serait de renforcer la surveillance internationale et de signer des arrangements administratifs avec des autorités de surveillance étrangères.

De plus, il ne suffit pas, pour avoir une bonne surveillance d'avoir un cadre réglementaire solide, qui existe déjà à Madagascar, mais il faut vouloir agir et le pouvoir, ce qui semble actuellement moins évident. La capacité d'action doit exister en droit et en fait. Les autorités de surveillance doivent avoir des ressources adéquates, du personnel compétent et en nombre suffisant et doivent rendre des comptes pour contrebalancer leur indépendance opérationnelle.

 

Les autorités sont incitées à améliorer la qualité de leurs statistiques et à avoir une vision plus globale du système financier et des risques systémiques.

En janvier 2013, la banque centrale a constitué une division de la stabilité financière dont le rôle est d'assurer un suivi macro prudentiel du secteur financier et d'identifier les principaux risques systémiques en mettant sur pied un système d'alerte précoce. Il est essentiel de développer cette compétence  alors que le système financier se complexifie, avec des interconnexions de plus en plus nombreuses entre banques et non-banques. Comme la crise mondiale l'a montré, avoir une vision systémique des choses permet aux autorités de surveillance de compléter leur approche micro prudentielle en intégrant les externalités qui s'accumulent. Il faudrait renforcer encore cette fonction. Le prochain Rapport sur la stabilité financière, résultant d'une autoévaluation, est un moyen de faire avancer une analyse de ce type.

 

Un autre domaine d'analyse potentiel est le cadre de prévention et de résolution des crises.

Le fait que des banques théoriquement insolvables puissent poursuivre leurs opérations ou qu'il faille plusieurs années pour fermer de telles banques pourrait illustrer des faiblesses dans le cadre de résolution des défaillances bancaires. Il sera important de définir un système de prévention des crises financières et des régimes spéciaux de résolution pour fermer les établissements bancaires.

Les récents évènements qui se sont déroulés dans la Grande Ile, notamment l’accueil des sommets du COMESA et le plus récent sommet de la francophonie vont apporter une bouffée d’air à l’économie malgache, il reste maintenant au gouvernement de bien gérer les investissements et les dons octroyés par les partenaires mondiaux de Madagascar afin d’éviter de replonger dans la série de crise qu’a connu le pays depuis son indépendance jusqu’aujourd’hui.

 

Omar Ibn Abdillah