Collecte-t-on trop ou pas assez d’impôts en Afrique ?

L’amélioration de la performance fiscale constitue l’un des défis de développement pour les pays africains.[1] Dans sa publication récente sur les recettes publiques en Afrique[2], l’OCDE indique que la mobilisation des recettes fiscales est en progression, se situant à 19,1% du PIB en moyenne pour les pays étudiés, mais demeurent en retrait par rapport à la performance d’autres régions dans le monde (22,3% en Amérique Latine dont les pays ont une structure fiscale comparable à ceux d’Afrique). Selon l’institution, cette performance est « due à deux facteurs. D’abord, la bonne performance des économies africaines, et notamment leur forte croissance, ensuite l’augmentation des capacités à taxer, notamment de la TVA, des administrations fiscales»[3] mais elle craint que la fiscalité ne devienne régressive[4] sur le continent. Elle part du constat que les impôts sur les biens et services constituent aujourd’hui l’essentiel des recettes fiscales (57.2 % en moyenne), la TVA arrivant en tête, suivis des impôts sur le revenu et sur les bénéfices (32.4 %). Cette situation soulève plusieurs interrogations sur la capacité des pays africains à mobiliser davantage de recettes fiscales. Spécifiquement, les pays africains collecteraient-ils trop d’impôts indirects et pas assez d’impôts directs ?

Afin de répondre à cette question ; des experts de L’Afrique des Idées ont élaboré une nouvelle approche pour estimer l’écart fiscal[5]. Cette estimation permettra de déterminer le compromis à trouver entre l’assiette et la pression fiscales pour maximiser les recettes fiscales en Afrique. Il faut préciser que la performance fiscale dépend, outre l’activité économique, d’autres facteurs difficilement quantifiables : exemptions fiscales, dépenses fiscales, évasion fiscale, gestion de l’administration fiscale, etc. Ces facteurs peuvent affecter la performance fiscale d’un pays en le révisant à la hausse ou à la baisse par rapport à son potentiel fiscal réel, déterminé par la structure de son économie et la législation en place. Dans l’un ou l’autre des cas, cet écart fiscal serait nuisible à l’économie. Une moindre performance constitue un manque à gagner et pourrait limiter les investissements publics alors qu’une surperformance pourrait ralentir l’investissement privé.

Une méthode d’estimation de l’écart fiscal

L’écart fiscal se mesure comme la différence entre les recettes fiscales collectées et les recettes fiscales potentielles. Ces dernières dépendent de la structure de l’économie, qui détermine l’assiette fiscale, et des politiques publiques qui établissent le taux moyen d’imposition. La structure de l’économie se mesure à partir de la valeur ajoutée des différents secteurs de l’activité économique et du niveau de développement humain. Quant aux politiques publiques, elles sont approximées par le taux d’inflation, le niveau des inégalités et l’existence d’une rente minière.

L’estimation consiste à comparer les recettes fiscales effectivement collectées par chaque pays africain entre 1996 et 2011 à celles qu’a pu collecter un autre pays, non africain, ayant la même structure économique et le même niveau de développement. Ainsi, une performance supérieure traduirait un « trop perçu fiscal » alors qu’une moindre performance correspondrait à un « manque à gagner fiscal ».

Un trop perçu fiscal en Afrique par rapport au reste du monde

Les résultats des analyses suggèrent que même si les pays africains affichent des performances fiscales plus faibles que les autres pays du monde, leurs administrations fiscales affichent globalement des performances supérieures au regard de la structure de leur économie. Sur les 49 pays analysés, près de la moitié affichent un trop perçu fiscal.  La performance fiscale des pays concernés serait de 1.3 (Tunisie) à 3.5 (Namibie) fois supérieure à son niveau potentiel. Seuls la Côte d’Ivoire, le Djibouti et le Nigéria ont un manque à gagner fiscal ; le reste étant à des niveaux comparables avec le reste du monde. La Côte d’Ivoire, pour sa part, ne mobilise pour l’heure que 90% de son potentiel. A l’exception de la Côte d’Ivoire, cet écart fiscal ne tend pas à se réduire.

Ce trop perçu fiscal se manifeste notamment dans les taxes directes composées principalement des impôts sur les bénéfices et sur les revenus[6]. En ce qui concerne les taxes indirectes et douanières, il n’y a pas d’écart par rapport au potentiel fiscal ; la quasi-totalité des pays africains étant pratiquement au même niveau que les autres pays du monde.

Ce résultat se comprend assez bien dans la mesure où le faible nombre d’entreprises et de salariés dans le secteur formel africain permet à l’administration fiscale de recouvrer plus facilement les taxes directes. Il est aussi caractéristique d’une politique fiscale trop centrée sur les taxes prélevées sur les activités du secteur privé formel. Au Sénégal par exemple, le taux d’imposition moyen sur les entreprises s’établit à 48% alors que la pression fiscale au Sénégal se situe à environ 20%.[7] Ainsi la faiblesse des recettes fiscales des pays africains par rapport à la taille de leur économie s’explique essentiellement par l’étroitesse de leurs assiettes fiscales. Par ailleurs, la pression fiscale exercée sur le secteur privé, principale source des recettes fiscales, est trop forte par rapport aux pratiques dans le reste du monde et pourrait contribuer à affaiblir la capacité des Etats à élargir l’assiette fiscale.

Quelle mesure pour améliorer la performance fiscale des pays africains ?

Au regard de ces résultats, l’amélioration de la performance fiscale dans les pays africains passera essentiellement par la mise en place d’un cadre favorable au développement du secteur privé. Pour ce faire, il faudrait surtout réduire la pression fiscale exercée sur le secteur privé afin de favoriser sa croissance et sa compétitivité. Cette forte fiscalité constitue, par ailleurs, l’une des contraintes majeures à la formalisation de certaines entreprises. L’assouplissement de la pression fiscale permettra donc de faciliter l’intégration de certaines « grosses » entités informelles dans l’assiette. Une telle stratégie renforcera aussi l’attractivité des économies pour les entrepreneurs, contribuant ainsi à élargir l’assiette fiscale. Certains pays comme le Lesotho ont entamé des réformes dans ce sens, ce qui leur a permis d’améliorer sensiblement leur performance fiscale sans constituer un obstacle pour le secteur privé. Selon l’étude « Paying Taxes 2016 » de Pricewaterhouse Coopers, le Lesotho est le pays africain avec le plus faible taux d’imposition des entreprises (13,6% en 2015) alors que son ratio de recettes fiscales sur PIB est le plus élevé du continent (40% contre 35% en moyenne dans les pays de l’OCDE) ; ces revenus fiscaux s’appuyant sur toutes les catégories de taxes.

Foly Ananou et Georges Vivien Houngbonon

[1] Cette amélioration se mesure par l’évolution du ratio des recettes fiscales sur le PIB.

[2] Ce rapport couvre 16 pays : Afrique du Sud, Cabo Verde, Cameroun, Côte d’Ivoire, Ghana, Kenya, Maroc, Maurice, Niger, Ouganda, République démocratique du Congo, Rwanda, Sénégal, Swaziland, Togo et Tunisie

[3] Interview de Federico Bonaglia, Directeur adjoint du Centre de développement de l’OCDE pour Jeune Afrique à l’occasion de la publication de l’édition 2017 des Statistiques des recettes publiques en Afrique.

[4] Soit que les Etats ne lèvent que peu d’impôts directs (impôts sur les revenus notamment) quand la base s’accroît.

[5] Se rapprocher des auteurs pour en savoir plus.

[6] Certains pays, comme l’Ethiopie, mobilise jusqu’à 25 fois plus que ce qu’ils devraient dans cette catégorie.

[7] Pricewaterhouse Coopers (PwC) et World Bank, Paying Taxes 2016 : Ten years of in-depth analysis

Mobilisation des recettes fiscales dans l’UEMOA : L’obstacle de l’informel, le levier du mobile-money

La mobilisation des recettes fiscales est, pour les pays africains, une urgence face aux besoins en financement nécessaires pour l’exécution des programmes de développement. Dans un contexte marqué par la raréfaction de l’aide publique au développement et le renchérissement de la dette, elle est encore plus pressante pour les Etats de l’UEMOA dont les rentrées fiscales représentent à peine 15% de leur produit intérieur brut (PIB), soit un niveau deux fois inférieur à celui constaté dans les pays de l’OCDE.

Ce rapport revisite l’ampleur du manque à gagner fiscal au sein des pays de l’UEMOA et analyse le rôle qu’y jouent le secteur informel et la fraude fiscale. Retrouvez ici l’intégralité de l’étude.

Comment expliquer la persistance des inégalités entre les Noirs et les Blancs en Afrique du Sud ?

Plus de vingt ans après la fin de l’Apartheid et l’élection de Nelson Mandela, l’Afrique du Sud demeure marquée par les stigmates de la ségrégation et des discriminations raciales.  La deuxième économie d’Afrique en termes de PIB (1) est aujourd’hui également « la société la plus inégalitaire du monde » selon l’expression de l’économiste sud-africain Haroon Bhorat, et présente un coefficient de Gini de 0,69 (2).

Dès 1994 des politiques volontaristes visant à réduire les inégalités ont été mises en place et l’Afrique du Sud a enregistré un taux de croissance permettant de faire reculer la pauvreté (3). Toutefois, les fruits de la croissance n’ont pas permis de modifier la structure des revenus et de réduire les inégalités entre noirs et blancs.

Si l’analyse économique des inégalités retient rarement le critère ethnique comme variable d’étude il convient compte-tenu de l’histoire de l’Afrique du Sud et de son passé ségrégationniste, d’évaluer la faiblesse des capabilités (4) dont dispose la population noire de ce pays pour rendre compte des discriminations structurelles qu’elle continue à subir de nos jours.

 

  1. Vingt ans après la fin de l’apartheid, les inégalités demeurent et menacent le développement économique du pays

 

  1. Inégalité de salaire, de patrimoine et de capital humain

Un rapport publié en 2015 par l’Institut national des statistiques sud-africain (5) rendait compte de l’inquiétante persistance des inégalités de revenu en Afrique du Sud. En effet, ce document révèle qu’avec en moyenne 6444 dollars par an les foyers noirs disposent toutes choses égales par ailleurs, d’un revenu moyen cinq fois inférieur à celui des foyers blancs qui plafonne à 30 800 dollars annuel.

Par ailleurs ces inégalités salariales sont amplifiées par les inégalités de patrimoines. En effet l’accès à la propriété foncière a longtemps été interdit aux populations noires reléguées en périphérie du Cap et de Johannesburg les ghettos lors de l’Apartheid.

Enfin, le système scolaire sud-africain est extrêmement polarisé. L’enseignement public et gratuit de ce pays compte parmi les plus défaillants du monde. Une enquête menée par le Boston Consulting Group montrait ainsi en 2015 que la majorité des enseignants ne disposaient pas du niveau requis en mathématique (6) ! Or les enfants issus des familles les moins aisées sont les principaux élèves des écoles publiques. Ils ne bénéficient donc pas d’une éducation de qualité comparable à celle dispensée dans les écoles privées plus coûteuses. Dès lors d’après la théorie du « signal » élaborée par Spence, pour un même nombre d’années d’études un lycéen ayant effectué toute sa scolarité dans un établissement sud-africain public et un lycéen ayant exclusivement fréquenté un établissement privé n’enverront pas le même signal à un potentiel employeur.

 

  1. Les tensions ethniques et sociales freinent le développement économique

 

Minée par les inégalités, l’Afrique du Sud est régulièrement en proie à des crises sociales majeures. En août 2012 les grèves parties de la mine de platine de Marikana ont causé la mort de trente-quatre  manifestants et se sont propagées vers d’autres secteurs industriels tels que l’or, le minerai de fer, le charbon et le chrome. Les pertes engendrées par ces échauffourées ont été estimées à plus d’un milliard de dollars tandis que le taux de croissance de l’économie sud-africaine a diminué de 0,9% lors du deuxième trimestre de l’année 2013. (7)

Outre ces affrontements marxistes et traditionnels liés au rapport de force à l’œuvre entre les détenteurs des moyens de production et les travailleurs, on observe également une augmentation des risques liés au sous-emploi. En 1993 C. Juhn révélait dans une étude l’existence d’une corrélation entre l’inégalité des salaires aux Etats-Unis et la recrudescence de la délinquance. En effet, à partir des années 1970, les populations noires américaines ont connu une massive sortie de la population active qui est allée de paire avec une nette augmentation de la population carcérale. Dans le cas sud-africain, le sous-emploi des travailleurs noirs les moins qualifiés a notamment été causé par les rigidités sur le marché de l’emploi (8).

Les structures syndicales héritées de l’apartheid sont restées très prégnantes et ont continué à influer sur le marché du travail sud-africain. Ainsi, l’instauration d’un salaire minimum trop élevé s’est faite au détriment des travailleurs les moins qualifiés qui n’ont pas pu profiter de la croissance économique et se sont massivement tournés vers les activités illégales ou informelles. Dans une enquête publiée en 2013 et intitulée “Job destruction in the South African clothing industry: How an unholy alliance of organised labour, the state and some firms is undermining labour-intensive growth”, Nicoli Nattrass et Jeremy Seekings témoignent des effets néfastes de l’action syndicale sur l’emploi dans les secteurs à faible intensité capitalistique comme l’industrie textile.

 

  1. De la redistribution à l’amélioration des « capabilités »

 

  1. Les tentatives de solution

Depuis la fin de l’apartheid, le gouvernement sud-africain n’a eu de cesse de développer des programmes de subvention et de redistribution fiscale. Toutefois ces solutions agissent en aval sur les conséquences de l’inégalité en capital humain mais ne permettent pas en amont d’accroître les capabilités des populations les plus démunies.

Pour l’heure le gouvernement sud-africain a préféré les solutions visant à corriger les effets des inégalités plutôt que d’engager des réformes touchant aux causes structurelles et historiques de ces inégalités.

 

  1. Recommandations : lutte contre les discriminations, politique de formation et mixité urbaine

La lutte contre les discriminations sur le marché du travail doit faire l’objet d’une politique publique afin de réduire les inégalités. Dans une enquête sur les inégalités économiques aux Etats-Unis, Phelps et Arrow analysent les discriminations en vigueur contre les noirs dans les années 1970. Les deux économistes ont ainsi montré que du fait des préjugés raciaux ancrés lors de l’époque ségrégationniste,  les employeurs anticipent que certains groupes ont objectivement moins de chances que les autres d’être productifs. Les anticipations des employeurs et les comportements engendrés par ces anticipations peuvent conduire à une persistance des inégalités de capital humain. En transposant cette analyse à l’Afrique du Sud post-ségrégationniste on comprend dès lors que la réduction des inégalités passera par une lutte active contre les discriminations à l’embauche notamment grâce à des campagnes de sensibilisation, à l’instauration de missions de testing, et à la prise de sanctions exemplaires contre les employeurs se rendant coupables de discrimination.

 

Par ailleurs, une politique de formation volontariste permettra d’unifier le système scolaire sud-africain et de le rendre plus égalitaire. La théorie du signal de Spence, affirme que les employeurs attendent des informations précises sur la qualité du diplôme et non pas seulement sur le nombre d’années d’étude. Dès lors l’octroi de subvention aux écoles publiques et une meilleure formation des personnels enseignant dans ces établissements permettra de réduire significativement les écarts en termes de capital humain et d’accès au marché de l’emploi.

 

Une refonte de l’enseignement public ne saurait se passer d’une politique urbaine audacieuse. En effet, le rapport Coleman publié en 1966 par l’administration américaine faisait état d’un échec des politiques publiques visant à augmenter les moyens des écoles des quartiers défavorisés, ainsi que d’une insertion médiocre sur le marché du travail. Plusieurs commentateurs du rapport ont rappelé que les résultats médiocres ne sont pas seulement imputables au fait que le milieu social détermine la réussite scolaire mais aussi à la composition des classes (peu d’émulation entre les élèves…). Le quartier d’habitation influe sur la réussite scolaire. Les externalités locales, au niveau micro-économique de la salle de classe, ont un effet global sur la dynamique des inégalités. Dans ces conditions, l’instauration d’une carte scolaire apparaît comme une solution pour favoriser la mixité sociale et ethnique tout en réglant le problème de la ségrégation urbaine qui sévit toujours en Afrique du Sud et est un vestige du régime de l’apartheid.

 

Daphnée Setondji

Sources

  1. http://afrique.lepoint.fr/economie/ou-va-l-afrique-du-sud-19-08-2014-1857787_2258.php
  2.  Haroon Bhorat, Fighting poverty: Labour markets and inequality in South Africa, 2001.
  3. http://www.rfi.fr/afrique/20170128-afrique-sud-inegalites-salaires-statitstiques-blancs-noirs-foyers-pauvres
  4.  Eric Monnet, La théorie des « capabilités » d’Amartya Sen face au problème du relativisme
  5. http://www.latribune.fr/economie/international/l-afrique-du-sud-champion-des-inegalites-de-revenus-478113.html
  6. http://www.agenceecofin.com/gestion-publique/2605-29246-lafrique-du-sud-occupe-le-2eme-rang-mondial-dans-le-domaine-des-inegalites-de-revenus
  7. http://www.slate.fr/story/80853/retombees-apartheid
  8. C. Juhn “Wage Inequality and the Rise in Returns to Skill”, 1993

La « formalisation » de l’économie informelle est-elle la clé du développement et de la lutte contre la pauvreté en Afrique ?

Certains l’appellent l’économie non-contrôlée ou l’économie de la débrouillardise,  d’autres, l’économie souterraine ou l’économie populaire. Dans tous les cas, l’activité informelle occupe une place prépondérante dans l’économie des Pays les Moins Avancés (PMA) notamment ceux d’Afrique subsaharienne où les activités non-déclarées concernent en  moyenne de 70% de la population active (1). L’économie informelle est d’autant plus difficilement identifiable et mesurable, qu’elle est écartée des comptabilités publiques et échappe à toute politique fiscale. Les Etats sont en carence de stratégies adaptées pour valoriser les produits de l’économie informelle et ramener le volume des activités qu’elle recouvre dans le système formel.

L’économie informelle existait bien avant les indépendances des pays africains dans les années 1960 (2). Après cette période, elle s’est accentuée dans le contexte des « trente glorieuses » dont les effets ont été ressentis jusqu’en Afrique, notamment à travers l’afflux d’investissements directs étrangers (IDE) en provenance des pays occidentaux vers le  continent. Les pays comme l’Afrique du Sud, le Kenya ou encore la Côte d’ivoire ont su en profiter pendant un certain temps. Au début des années 1980 pourtant, l’économie informelle en Afrique a pris une nouvelle dimension après la mise en oeuvre des politiques d'ajustement structurel (PAS), qui ont généré des effets dévastateurs (réduction des salaires, diminution des effectifs de la Fonction publique, privatisation des entreprises d’État…). La dévaluation du Franc CFA en 1994 induisant des effets néfastes sur la structure économique, a contribué au ralentissement de la croissance, à la hausse du chômage et à la fragilisation des Etats. Tous ces facteurs ont eu pour résultante l’accroissement du nombre d'agents exerçant dans l’économie informelle.

I.  Les contours flous de l’économie informelle

La notion d’informel est une notion à géométrie variable, elle est polysémique et a été utilisée pour désigner des activités à la fois diverses et complexes. Ainsi plusieurs définitions coexistent.

–      La première est sectorielle et résulte de travaux élaborés par le Bureau International du Travail (BIT) en 1972 à travers « le rapport Kenya ». Ce dernier désigne le secteur informel comme un ensemble de petites entreprises dotées d'une échelle restreinte, d'activités essentiellement familiales et d'une faible intensité capitalistique.

–      Le deuxième type de définition s’est polarisé sur la pauvreté et la marginalité, c’est-à-dire sur les conséquences de la participation des agents au marché du travail secondaire (3). De surcroît, cette définition prend en compte les unités de production et les micro-entreprises qui ne transgressent pas délibérément la réglementation pour exister contrairement aux activités dites illégales telles que la contrebande, le trafic de drogue, que nous retrouvons également dans nos sociétés. Dans tous les cas, ces définitions convergent inéluctablement vers une série de questions : Quelle est la structure de l’économie informelle en Afrique ? Quelles catégories de population sont concernées ? L’Afrique peut-elle se développer sans l’économie informelle ? Au final, l’économie informelle peut-elle être une porte de sortie pour l’Afrique ?

II. Structure et morphologie des populations les plus concernées par l’économie informelle.

La structure de l’économie informelle en Afrique regroupe essentiellement les activités liées à l’artisanat, au petit commerce, aux petites et moyennes entreprises non formellement identifiées par l'Etat. Par exemple, dès 2006 l’Agence Française pour le Développement soulignait dans un rapport qu’au Cameroun, l’économie informelle compte près de 90 % de la population active, alors qu’on estime qu’elle constitue près de 30% du PIB. Au Sénégal, elle est également le poumon de l’économie. Elle représente ainsi 60% du produit intérieur brut du pays et 60% de la population active est concernée. Au Mali, les dernières études publiées par l’Institut National de la Statistique (INSTAT) montrent que l’économie informelle touche 70% de la population active et qu’elle contribue à près de 55% du PIB (6). Il s’ensuit que ces tendances sont similaires dans la majorité des pays africains. Ainsi, si la structure de l’économie informelle varie d’un pays à l’autre, son importance dans la création de la richesse nationale est partout significative.   Par ailleurs, l’économie informelle est également marquée par une grande hétérogénéité des populations concernées. Il existe deux catégories de population dans l’économie informelle en Afrique : celle qui en tire des revenus de subsistance et celle qui mène simultanément une ou plusieurs activités génératrices de revenus (AGR) formelles ou informelles. La première catégorie vit quasi-exclusivement de l’économie informelle tandis que la seconde effectue sporadiquement des activités informelles en s’affranchissant de l’impôt.

III. Recommandations

Bien que l’économie informelle présente à la fois des caractéristiques hétérogènes et complexes, elle pourrait faire l’objet d’une politique coordonnée à l’échelle régionale et constituer la porte de sortie pour l’atteinte de l’émergence des pays Africains d’ici à l’horizon 2035 (objectif fixé par l’Union Africaine). En effet, le but d’une telle politique ne viserait pas à traquer et appauvrir les agents tirant leurs revenus de subsistance du secteur informel mais à renforcer le cadre réglementaire des activités économiques et à étendre la protection sociale à tous les travailleurs. En outre, il est important de souligner que la deuxième partie de la population concernée par l’économie informelle regroupe majoritairement des petites entreprises à taille humaine avec une croissance d’activité régulière dont l’identification et l’assujettissement à l’impôt permettrait d’assurer la stabilité des finances publiques.  L’exemple du Maroc en 2014 avec le statut de l’auto-entrepreneuriat élaboré par le Haut Commissariat au Plan (HCP) propose des mesures d’incitations fiscales pour faciliter l’intégration de la deuxième catégorie de population. En revanche, le statut ne propose pas de mesures en faveur d'une large couverture sociale des personnes exerçant dans l’économie informelle. De plus, l’économie marocaine est face à un paradoxe depuis quelques années ; c’est-à-dire que la croissance économique est de plus en plus soutenue, conduisant à la baisse du poids de l’ économie informelle dans le PIB tandis que dans le même temps l’emploi informel progresse. L’économie informelle devient ainsi peu à peu une zone grise qui ne manque pas d’interagir avec l’économie marocaine traditionnelle. En effet, il est important de mentionner qu’il existe une forte interaction entre le formel et l’informel, ne serait-ce que par la monnaie commune. Si le premier accuse le second de concurrence déloyale, le second quant à lui, accuse le premier d’une carence de considération. Seul une politique volontariste mettant en place des incitations fiscales et une flexibilisation du cadre juridique de la création d’entreprise permettra d’unifier les deux pans de l’économie.

En somme, il est impératif pour les Pays les Moins Avancés d’Afrique, de mettre en place des reformes  à l’égard de l’économie informelle. Cela sera possible si les Etats jouent pleinement leur rôle, c’est-à-dire la création d’ un environnement propice à une meilleure condition de vie des citoyens et à un climat des affaires plus certain. L’économie informelle est essentiellement une question de gouvernance. Toutefois, il arrive souvent que les quelques micro-entreprises tenant des unités de production non déclarées et non réglementées ne s’acquittent ni de leurs obligations fiscales, ni de leurs obligations sociales vis-à-vis des travailleurs, faisant ainsi une sorte de concurrence déloyale aux autres entreprises. Celles-ci doivent être ciblées sans caractère punitif tout en étant mises à contribution. Dans ce cas, l’Etat qui voit déjà lui échapper des ressources fiscales qui devraient provenir de l’économie informelle, verra sa capacité de financement augmenter pour faire face aux services sociaux. Outre la couverture sociale au sens traditionnel, les agents exerçant dans l’économie informelle sont dépourvus de toute protection dans des secteurs tels que la formation, l’éducation, l’apprentissage, les soins sanitaires et plus particulièrement ceux liés à la petite enfance. En tenant compte de ces reformes, l’Afrique observera simultanément l’accélération de son développement économique et la baisse de la pauvreté.

 

Amadou SY

 

Sources

(1)  https://www.oecd.org/fr/csao/publications/42358563.pdf

(2)  https://www.monde-diplomatique.fr/mav/143/CESSOU/53893

(3)  http://www.persee.fr/doc/ecop_0249-4744_1990_num_92_1_5155

(4)  Rapport de l’Agence Française de Développement publié en 2006.

 

Projet BEPS et harmonisation des administrations fiscales en Afrique: quel bilan et quelles perspectives?

Tax calculator and penLe rapport Oxfam intitulé “Money talks: Africa at the G7”[1] et publié le 2 juin 2015 dénonçait les manipulations des prix du transfert opérés par les firmes multinationales afin d’échapper a toute taxation sur le continent. Ainsi, les économies nationales africaines auraient-elles subies un manque à gagner de 5,4 milliards d’euros pour l’année 2010. L’optimisation fiscale est actuellement un problème international qui menace les finances publiques de tous les Etats et donne lieu tant a des réflexes égoïstes favorisant le dumping fiscal qu’a des tentatives de coordination et de convergence des taux. Le but du projet BEPS (Base Erosion and Profit Shifting) lancé par l’OCDE en 2014 est d’apporter une réponse mondialisée aux problèmes engendrés par “l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices”[2]. Cinq groupes régionaux ont ainsi été chargés d’élaborer des planifications fiscales permettant de combler les brèches existant entre les règles fiscales nationales, dont profitent pour l’heure les multinationales. Concernant l’Afrique, le groupe de travail nommé ATAF (Forum sur l’Administration fiscale en Afrique, fondé en  2009) a tenu un atelier BEPS les 10 et 11 décembre 2014 à Paris. L’ATAF ayant pour mission de coordonner toutes les initiatives régionales en matière de réforme fiscale afin de protéger le continent des montages fiscaux agressifs, quatre chantiers opérationnels principaux ont été désignés lors du sommet:

  • la lutte contre l’érosion de la base d’imposition via les déductions d’intérêts et autres frais financiers (Action 4 du Plan d’action BEPS);
  • la prévention de l’utilisation frauduleuse des conventions fiscales (Action 6 et 7)
  • l’encadrement des prix de transfert (Action 8, 9, 10);
  • la mise en place de déclarations nationales et périodiques concernant les prix de transfert (Action 13).

Ces quatre objectifs vont dans le sens des reformes engagées sur le continent depuis deux décennies. Le renforcement et la coordination des administrations fiscales sont en effet considérés depuis le milieu des années 1990 comme les leviers du développement des économies nationales africaines. Le présent article proposera une analyse comparée de l’évolution des recettes fiscales dans plusieurs pays d’Afrique  puis les efforts régionaux impulsés par l’ATAF en matière de renforcement de la gouvernance fiscale seront évoqués.

L’évolution comparée des recettes fiscales depuis la création  de l’ATAF en 2009 montre que celle-ci n’a pas suffi à combler la disparition structurelle des taxes sur le commerce international et à harmoniser les législations fiscales africaines…

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Les années 1980 ont été marquées par la libéralisation du commerce international et la diminution drastique des recettes fiscales tarifaires. Pour faire face à cela, les Etats africains ont accentué la pression exercée sur le marché intérieur en augmentant les taxes sur la consommation. La Banque de France estime ainsi que les recettes fiscales issues du commerce international dans la zone UEMOA sont passées de 8% du PIB en milieu des années 1980 à 4%  en 2008. Elles n’atteignaient plus que 3% du PIB en zone CEMAC en 2010[3].

La transition fiscale africaine a donné lieu à une augmentation de la fiscalité indirecte (TVA notamment) et a accru la dépendance des économies africaines a l’égard des recettes fiscales issues de la production pétrolière. La création de zones de libre-échange donnant lieu à la suppression des barrières tarifaires entre les membres d’une même zone a certes généré une extension des marches d’exportation en développement des économies d’échelles mais ces zones comportent également des failles qui permettent actuellement à certaines entreprises d’optimiser le traitement fiscal de leurs activités sur le continent en s’appuyant sur les prix de transfert.

Ainsi, une entreprise détenant des succursales dans plusieurs Etats d’une même zone peut-il réaliser des transactions intrafirme qui ne sont pas soumises aux mêmes règles fiscales que les transactions effectuées par les entreprises indépendantes sur le marché. En effectuant des « transactions dites contrôlées »,  les entreprises disposant de succursales peuvent minorer et majorer artificiellement les prix et transférer les bases imposables d’un pays à l’autre de la zone sans être inquiètes et en bénéficiant des conventions relatives à la double-imposition. L’OCDE cherche depuis les années 2000 à généraliser le « principe de pleine concurrence » permettant aux administrations fiscales de coopérer et de comparer la rémunération des transactions contrôlées transfrontalières à la rémunération des transactions classiques toute choses égales par ailleurs. A l’échelle africaine, c’est l’ATAF qui sera chargé de renforcer ce dispositif dans les années a venir.

… mais des reformes récentes témoignent d’un effort coordonné de modernisation de la gestion de l’administration fiscale soutenu par l’ATAF : les cas du Mali, du Sénégal et du Togo.

L’amélioration des performances de l’administration fiscale passe par la rationalisation et l’instauration d’une logique d’objectifs et non de moyens au sein des entités chargées du recouvrement de l’impôt. Le cas du Mali, engagé depuis 2010 dans une modernisation de son administration fiscale est éloquent et s’est traduit par une augmentation des recettes fiscales du pays, qui sont passées de 14,4 à 15,5% du PIB de 2011 à 2016.[4] Cette remontée fait suite à près de 20 ans de chute des recettes fiscales du fait de la libéralisation commerciale et de la baisse corollaire des taxes sur le commerce international[5]. En effet, la Direction Générale des Impôts malienne a  renoncé en 2010, avec l’accompagnement de l’ATAF, au découpage des services en fonction des types d’impôts (TVA, taxe foncière, IS…) ou des différentes étapes de collectes (immatriculation, gestion, recouvrement, contrôle, contentieux…) pour proposer des interlocuteurs fiscaux uniques à chaque catégorie homogène de contribuables (PME, grandes entreprises, particuliers).

 Ce mode d’organisation instaure une relation service-client ainsi que la mise en place d’indicateurs de performance tels que la qualité du service (évaluation des systèmes de déclaration), l’efficience des moyens de production (développement d’un système informatique intégré de gestion) et l’efficacité socio-économique de la gestion (suivi précis du rendement de chaque impôt en fonction de sa base). La réorganisation centrant l’administration fiscale malienne sur la relation service-client permet également d’octroyer une plus grande autonomie aux fonctionnaires de la DGI qui gagnent en responsabilité en marge de manœuvre dans la gestion des ressources. En effet, si leur travail s’apparentait auparavant à un travail à la chaine et générait des doublons le nouveau système permet de faire des agents de la DGI des responsables de projets plus indépendants et plus au fait des attentes des usagers ; mais également directement responsables devant les juridictions financières en cas de fraude. L’administration fiscale peut également désormais établir en amont une cartographie des risques de fraude par catégories de contribuables et ainsi renforcer la performance des contrôles (cf. infra).

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Source : Presentation CIFAM IMF 2014

Le Sénégal et le Cameroun ont également suivi les recommandations du FMI et de l’ATAF en matière de rationalisation opérationnelle. Le Sénégal a ainsi mis en place en 2013 une Direction des Grandes Entreprises (DGE) succédant au Centre des Grandes Entreprises fonde en 2001 pour fournir aux grandes firmes nationales et multinationales un interlocuteur unique en matière d’imposition. Dans le même temps, le Cameroun créait des 2004 une DGE à compétence nationale à Yaoundé pour les entreprises réalisant un chiffre d’affaires annuel supérieur à 1 milliard FCFA. Ces initiatives nationales œuvrent à la convergence des règles fiscales nationales en Afrique et préparent le terrain pour une coordination accrue en matière de lutte contre l’optimisation fiscale. Enfin, le Togo a opté pour une gestion plus souple et donc plus adaptée aux réalités locales en développant les agences et les services fiscaux décentralisés.

Depuis sa création, l’ATAF accompagne la modernisation des administrations fiscales africaines mais dans de nombreux cas, cet accompagnement s’avère encore timide et ne donne pas lieu à une force coercitive à même d’imposer une véritable coopération décisive en matière de lutte contre l’évasion fiscale. La fiscalité étant l’un des piliers du développement des économies nationales africaines, l’ATAF doit urgemment centrer ses efforts sur la formation des inspecteurs des impôts et des fonctionnaires des différentes DGI. L’ATAF devrait dans les prochaines années disposer d’un plus grand leadership et fusionner avec l’AFROSAI (l'Organisation africaine des institutions supérieures de contrôle des finances publiques) qui bien souvent évoque les mêmes problématiques qu’elle. Pour l’heure, les enjeux de la nouvelle gestion publique  basée sur la logique de performance et l’établissement de contrats d’objectif, restent embryonnaires en Afrique mais les initiatives existent et continueront à se développer grâce à la circulation des idées et des bonnes pratiques entre les différentes administrations.

Politique budgétaire : le grand orphelin de la politique économique en Afrique ?

iLa  résolution  des problèmes économiques en Afrique subsaharienne a très souvent mis en avant  les questions  de  politique monétaire. C’est le cas par exemple de la question de l'ancrage du franc CFA à l'euro. On semble oublier que la politique monétaire n’est qu’un pan de la politique  économique et que bien avant de se lancer dans des résolutions plus complexes avec des causes et des impacts à la fois endogènes et exogènes, peut-être qu'il faudrait mieux se recentrer sur des problématiques internes qui relèvent de l’action de l’Etat. Cet article tente de présenter plus simplement la politique budgétaire dans son rôle historique, son utilisation actuelle par certains états africains et d’identifier les solutions potentielles afin de permettre à cet outil d’impacter davantage les conditions de vie des populations.

L’usage de la politique budgétaire comme instrument de  la politique économique date de  près d’un siècle (1939) et demeure  aujourd’hui encore un sujet phare de l’actualité économique. Avant toute chose, il convient de rappeler que la politique économique repose sur  3 axes : la politique monétaire,  la politique budgétaire et la politique de change. La politique budgétaire constitue l’arbitrage des Etats entre les recettes fiscales et les dépenses publiques. Son rôle (Keynésien) de levier pour la relance économique a toujours davantage servi les économies matures qui font face aux problématiques du cycle, que les économies des pays africains qui cherchent à amorcer leur phase de décollage socio-économique. Dans ce contexte, à quoi peut bien servir la politique budgétaire dans les pays en voie de développement, comme ceux d’Afrique subsaharienne ? Et quelle orientation ces pays devraient-ils lui donner ?

La politique budgétaire s’appuie sur un ensemble d’outils que sont les dépenses publiques, l’endettement et les prélèvements obligatoires. Au travers de la dépense publique, les Etats peuvent relancer l’activité économique au moyen des commandes passées auprès des entreprises pour la construction d'infrastructures, créant ainsi des emplois et des opportunités de marché pour d’autres secteurs. Pour effectuer ces dépenses, l'Etat dispose de deux moyens que sont les recettes fiscales et l’endettement public. Le premier met en avant le taux d’imposition qui doit être appliqué aux différents agents économiques et le second, quant à lui, s’appuie sur la capacité à mobiliser l’épargne privée pour soutenir les projets de l’Etat. Cependant, leur utilisation est sujette à caution. Une forte fiscalité peut être dissuasive pour les investisseurs alors qu’un niveau d’endettement non contrôlé constitue une source de pression sur l’économie, surtout si la croissance n’évolue pas à un rythme plus rapide et soutenu que la dette.

Afin que le continent continue de s’afficher comme l’une des zones économiques les plus dynamiques du monde, il est nécessaire que les pays se dotent d’une politique budgétaire plus efficace qui permettrait un développement plus inclusif, en diversifiant davantage les revenus des Etats. Cette situation met les pays en face d’un important dilemme en matière de politique budgétaire : opter pour le modèle basé sur une stratégie d’endettement bien contrôlée et qui ne devrait pas constituer un risque à terme pour l’économie, ou un développement sans endettement basé sur une pleine utilisation de leurs richesses (ressources naturelles, démographie, investissements), la bonne gouvernance et une stratégie de fiscalisation optimale qui ne pénalise pas le développement du secteur privé.

Pour la première option, il faut se référer au modèle occidental. Dans cette configuration, la dette publique constitue un outil de politique budgétaire important. A titre d’exemple, la dette publique du Japon se situait à 243, 2% de PIB en 2013,  celle des Etats-Unis à plus de 110 % et celle de la France atteint plus de 94% de PIB, sans pour autant remettre en cause la pérennité de leur modèle économique. Pour ces pays, c’est un choix assumé de laisser filer la dette afin de relancer la demande et de soutenir la croissance. D’ailleurs en termes de structure, cette dette est notamment constituée de ressources domestiques ou régionales. Aujourd’hui, de nombreuses économies africaines s’inscrivent dans la même logique, se permettant de laisser creuser leur déficit budgétaire (c’est-à-dire leur niveau de dette publique). C’est le cas de l’Égypte dont la dette publique se situait à 90,5% de pib en 2013, du Ghana (67,6%), du Kenya (48,6%) ou encore de l’Angola (38%), sans pour autant qu’on y observe les mêmes effets que ceux observés dans les pays occidentaux mentionnés plus haut. De plus, une bonne partie des créanciers sont des agents extérieurs à l’économie du continent. Seul le Nigeria fait exception, avec son niveau de dette estimé à 10%. Une donnée qui peut traduire une sous-utilisation des facteurs de production ou refléter l'abondance des ressources naturelles. La dette publique, à bien des égards, peut donc être un moyen d’accélérer la croissance dans les pays africains, si elle est utilisée à bon escient. 

La seconde serait une utilisation optimale des richesses couplée à une politique fiscale plus efficace. Or la politique budgétaire actuelle dans de nombreux pays africains est caractérisée par un niveau de prélèvement obligatoire très bas. En moyenne, le taux de pression fiscale se situe entre 15-20%, contrairement au pays plus développés où la pression fiscale atteint parfois près de 35 % (OCDE). Si la faiblesse de la fiscalité apparaît comme un facteur incitatif pour le développement du secteur privé ; la réalité est qu’elle n’a pas favorisé l’émergence du secteur secondaire.  Le secteur privé reste encore atrophié et dominé par les implantations de filiales d’entreprises étrangères.  L’absence d’infrastructures pourrait expliquer cette situation. Or seules les dépenses publiques pourraient financer ces infrastructures. Il faut dire, à ce niveau, qu’il s’agit certainement d’un problème d'allocations des ressources économiques.

Le processus budgétaire dans les pays africains est souvent très bien élaboré mais la mise en œuvre des plans fait défaut ainsi que les moyens de contrôle. La dépense publique jusqu’à présent a été pensée comme une dépense pour financer le train de vie de l’État, et non pour financer la construction d'infrastructures telles que les routes, les hôpitaux et centres de santé, ainsi que le matériel de production. Cela se vérifie tout simplement quand on observe le décalage entre la qualité des parcs automobiles dans les ministères et organismes publics et la vétusté ou la quasi absence d’infrastructures. Il faut aussi noter que le partage du rôle entre secteur privé et public a permis de dessaisir la politique budgétaire de son rôle principal. L’entreprise étant au cœur de la création d’emplois, l’État peut parfois se substituer à ce dernier lorsqu’il juge que la question est cruciale pour la vie de la nation. Dans le cas des économies africaines, le niveau de l’entrepreneuriat privé étant encore relativement faible, les Etats l’intègre dans leur champ d’intervention.  Pour résorber la question du chômage, certains Etats créent des emplois au sein de l’administration, ce qui absorbe une part importante des ressources disponibles, ne laissant ainsi qu’une infime partie pour le financement de l’investissement public. Dans plusieurs pays africains, l’Etat fonctionne donc comme une entité qui a son budget et qui n’a aucune influence sur l’activité économique réelle. Dans ce contexte, le recours à la dette pourrait constituer un goulot d’étranglement, rendant la politique économique inefficace.

Il est aujourd’hui nécessaire pour les états africains de repenser l’utilisation de l’arme budgétaire. Il devrait être considéré comme un outil stratégique d'appui au développement. A cet effet, il est nécessaire de trouver le bon ajustement entre recettes fiscales, les autres moyens de financement disponibles (dette) et organisation des dépenses publiques. Redonner une place de choix à la politique budgétaire passera par une meilleure politique fiscale et une rationalisation des dépenses. Il faudrait, en outre, renforcer les marchés financiers locaux et orienter les emprunts publics vers ce marché tout en évitant de créer un effet d’éviction au détriment du secteur privé. La dépense publique devra être rationnalisée avec une domination des investissements publics afin de créer les conditions favorables au développement des activités porteuses de développement, notamment dans le secteur secondaire et primaire.

Christian Nkana

Commercialisation informelle des produits pétroliers au Bénin : quels impacts ?

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Le commerce informel des produits pétroliers constitue aujourd’hui un défi d’ordre socio-économique pour de nombreux pays africains. Cet article se propose d’étudier les acteurs des hydrocarbures béninois qui travaillent dans les secteurs formel et informel, avec pour objectif de mettre en évidence les enchaînements et l’attachement au système socio-économique de ces commerçants dans l'espoir d'expliquer d'une part, la permanence de ce système et d'autre part, son intégration croissante dans un nouvel ordre économique et monétaire. Il s’attachera donc davantage à la cohabitation entre ces deux secteurs et la constitution d'un lien social qui se traduisent à travers des réseaux et des actions collectives qui s’y mènent. Il est à signaler au passage que le même phénomène s’observe dans les pays frontaliers du Bénin tels que le Burkina Faso, le Niger et le Togo, et même au Cameroun et au Tchad.

Les points de vente informels ou « stations-services informelles » des produits pétroliers introduits du Nigéria au Bénin se situent aux abords des voies routières béninoises, voire dans certains domiciles habités. Il s’agit d’aménagements sommaires : un étal pour exposer les bouteilles d’un litre pour la vente au détail, un bric-à-brac de contenants et accessoires de toutes sortes, dames-jeannes ou bidons en plastique (servant à transporter de l’essence ou du gasoil du Nigéria), raccords, entonnoirs, bols en plastique, etc. Les bouteilles d'un litre sont généralement destinées aux motos. Trois sources d’approvisionnement sont identifiées :

  • La 1ère source : les stations-services formelles nigérianes installées tout le long de la frontière (environ 670 kilomètres) qui sépare le Bénin du Nigéria.
  • La 2ème source : le raffinage « précaire » de brut, dérobé au Nigéria sur les installations de raffineries au Nigéria. Ce brut est transformé par les Nigérians sur les lieux de traitement pour produire des carburants.
  • La 3ème source : des raffineries informelles installées au Nigéria.

Les acteurs béninois qui s’adonnent à ce commerce informel sont, pour la plupart, des diplômés sans emplois, des déscolarisés, des élèves, des étudiants, des personnalités politiques (Députés, Maires, Ministres) ou encore, des agents des forces de l’ordre, des agents de l’administration fiscale. Sur le plan logistique, les produits pétroliers sont convoyés au Bénin à l’aide des navires, des pirogues, des scooters, des voitures Pick-up et des motos par voie maritime, fluviale, routière au vu et au su des agents chargés de réprimer de telles activités. L’Etat Central a carrément délégué son pouvoir aux acteurs informels en tant que régulateur du marché des hydrocarbures.

La nécessité de s’intéresser à cette activité de vente des produits pétroliers (essence, kérosène, gasoil, lubrifiants, gaz domestique, etc.) dans le secteur informel est devenue de nos jours une préoccupation majeure dans l’environnement économique dans lequel les activités liées aux hydrocarbures se déroulent en Afrique subsaharienne en général et, au Bénin en particulier. Les commerçants informels des produits pétroliers occupent une place confortable dans les circuits économiques au Bénin à tel point que les sociétés agréées dans ce secteur d’activité ne disposent que d’une marge très limitée. Aussi, toutes les mesures mises en œuvre (arrestations, saisies, etc.) par les autorités publiques, pour  réprimer les commerçants informels ont échoué. Toute la vie économique et sociale de ces commerçants informels des produits pétroliers est bien structurée par des réseaux de relations qui mettent en jeu les populations nigérianes et béninoises. Sur le marché, les grèves de ces acteurs informels paralysent la vie socioéconomique du Bénin, le taux de pénétration[1] de l’informel étant de 80%.

Le marché des produits pétroliers au Bénin et dans de nombreux pays d’Afrique de l’Ouest, est aujourd’hui dominé par l’informel. Par exemple, les ventes informelles de l’essence satisfont près de 83% des besoins du marché national[2]. Les commerçants informels des pays voisins (comme le Togo, le Niger, le Burkina Faso) font transiter également leurs produits par le Bénin. Si cette activité permet d’occuper une majeure partie de la population, les jeunes et des femmes qui gèrent généralement les « stations-services informelles », elle occasionne une perte fiscale énorme à l’Etat. En effet, selon les travaux de DOUTETIEN, le secteur génère près de 80 milliards de FCFA[3] par an, dont aucune partie n’est versée à l’Etat. Les pertes de recettes fiscales liées au fait que l’Etat n’a aucun droit de regard sur ce commerce informel, s’élèveraient à une vingtaine de milliards de FCFA par an et aura une grande conséquence sur leur contribution fiscale (au Budget de façon générale). Selon les estimations des sociétés pétrolières ORYX et TOTAL, depuis l’année 2001, l’Etat perdrait chaque année entre 20 et 24 milliards de FCFA de recettes sur son budget national. Les différentes stratégies (communication, dissuasion, répression, reconversion des acteurs dans d’autres secteurs, etc.) utilisées par l’Etat afin de combattre cette activité informelle, se sont avérées inefficaces. Néanmoins cette activité constitue une opportunité économique pour une bonne partie de la population, surtout dans le contexte actuel marqué par un fort taux de chômage (taux de chômage au Bénin : 0,2% sur 9,1 millions d’habitants)[4] et de pauvreté. Le commerce informel des produits pétroliers est donc perçu comme un instrument de régulation sociale et économique parce qu’il permet aux acteurs de s’occuper et de se procurer un revenu. Selon une étude réalisée en 2004, cette activité commerciale procure une marge brute annuelle pour l’ensemble de la filière de 35 milliards de FCFA.

La pratique informelle de la commercialisation constitue un véritable danger pour l’environnement. Il faut signaler que le coût socio-économique de la pollution de l’air pour la seule ville de Cotonou représente 1,2% du PIB de l’ensemble du pays[5]. Depuis plusieurs années, les phénomènes de pollution atmosphérique commencent à prendre de plus en plus d’ampleur au Bénin, et notamment à Cotonou et dans ses environs, et dans les principales villes de l’intérieur du pays. La ville de Cotonou est surtout affectée par la pollution de l’air occasionnée par les transports puisqu’il y a peu de sources industrielles. La prolifération et la vente informelle de carburant qui se pratique librement à chaque coin de rue conduisent à des émissions de composés organiques volatiles dans l’atmosphère. Le commerce informel de l’essence, de par ses conditions de stockage et de vente (dépôts de fortune installés dans les habitations, dans les hagards aux abords des voies et ventes faites à l’air libre dans des bouteilles de 1litre, 2litres, 10litres ou 20litres), est à l’origine d’incendies dans tout le pays dont le coût matériel et humain est énorme. De plus, la plupart des commerçants informels transportent les bidons d’essence destinés à la revente sur des motos[6], transformant par là même les motos en véritables bombes ambulantes, pouvant exploser à n’importe quel moment. Par ailleurs, la pollution de l’air, auquel contribue fortement cette activité, a des effets sur la santé qui se manifestent par une augmentation de l’incidence d’un vaste spectre de maladies allant des maladies respiratoires au saturnisme (intoxication due à des concentrations élevées de plomb) en passant par les maladies allergiques et les maladies de peau. Les observations permettent de constater qu’après un certain nombre d’années d’exercice de ce commerce informel, les acteurs informels (surtout les détaillants) abandonnent leur « métier » pour raison de maladies et finissent par en mourir. Le coût des infections respiratoires a été évalué à Cotonou à environ 600 millions de FCFA par an et celui du saturnisme à 20 milliards de FCFA[7].

Sur le plan social, le commerce informel des produits pétroliers provoque la déscolarisation des enfants et l’exode rural des jeunes. Dans le contexte actuel marqué par une pauvreté généralisée, le commerce informel des hydrocarbures attire les jeunes du fait des revenus qu’il leur procure et les incite à quitter l’école. Ils débutent le plus souvent en tant que détaillants. Aussi contribue-t-il au travail des enfants. A différents points de vente informelle, il est aisé d’observer de jeunes filles et garçons (et même des enfants) recrutés pour assurer le service commercial contre une rémunération journalière qui varie entre 600 FCFA à 1000 FCFA (environ 0,92 euros et 1,53 euros). Ces jeunes, pour la plupart, délaissent les travaux champêtres pour s’adonner à la vente de l’essence.

Si la commercialisation informelle de produits pétroliers permet d’assurer un revenu à une tranche de la population, il est évident que cette activité, qui s’est imposée dans l’environnement socioéconomique du Bénin, est un véritable danger tant pour l’économie que pour le bien-être des populations. Face à ses différents maux et aux échecs des mesures prises par les autorités, il urge de rassembler toutes les compétences afin d’envisager un mode de gestion pouvant permettre un meilleur encadrement du secteur, afin de limiter ses impacts mais aussi d’en tirer le maximum en termes de « gains » socio-économiques.

Nicolas Olihide


[1] BOURBAO (Michel), 2006, Porto-Novo, http://gie84.pagesperso-orange.fr/kpayo.htm

[2] MORILLON (Virginie), 2005, Le trafic illicite des produits pétroliers entre le Bénin et le Nigéria : vice ou vertu pour l’économie béninoise ?, LARES et COOPERATION FRANCAISE, mai 2005, p64.

[3] DOUTETIEN Henri, 2012, Et si nous osions formaliser le « kpayo » ?, Journal La Croix du Bénin N°1159 du 17 Août 2012.

[4] Site Web de l’Ambassade du Bénin en France mise à jour le 20 Novembre 2012 : ce taux de chômage est calculé au sens du BIT selon une étude réalisée en 2007 par la Banque Mondiale. Quant au nombre d’habitants, il est issu d’une étude réalisée en 2011 par le PNUD.

[5] Source : Ministère de l’Environnement, de l’Habitat et de l’Urbanisme. Atelier national sur le passage à l’essence sans plomb au Bénin. Cotonou, le 1er et 2 juillet 2004.

[6] Certains commerçants informels transportent jusqu’à 6 bidons de 50 litres ou environ 12 bidons de 25 litres sur une moto..

[7] Ministère de l’Environnement, de l’Habitat et de l’Urbanisme. « Etude sur la qualité de l’air en milieu urbain : cas de Cotonou », 2000.

Des pays africains où l’on ne paie pas d’impôts directs

5649521-le-poids-des-depenses-et-des-impots-bat-des-recordsAlors que les besoins d’inclusion politique et de financement du développement s’accroissent en Afrique, il existait en 2012 des pays où la contribution fiscale directe des particuliers et des entreprises était très insignifiante. C’est le cas notamment de huit pays dont la Lybie, la Guinée Equatoriale, Sao-Tomé et Principe, le Soudan, l’Angola, le Congo, le Nigéria et le Tchad où les impôts directs (sur le revenu des personnes physiques et morales) représentaient moins de 10% du total des recettes publiques en 2012. Or, contrairement aux autres types de recettes fiscales, l’impôt direct, quoique plus difficile à collecter, est étroitement lié à la légitimité de l’Etat, à la performance de l’administration fiscale et à sa capacité à lever de manière durable les fonds nécessaires au financement de la sécurité des personnes et des biens.[1]

La figure ci-dessous présente une photographie détaillée de la répartition en 2012 des différents types de recettes dans le revenu total de l’Etat.[2]

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Source : construit par l auteur a partir des statistiques fournies par le rapport AEO, 2014

Comme le montre le graphique ci-dessus, la part des revenus fiscaux tirés de l’exploitation des ressources naturelles va de 66% au Tchad à 95% en Lybie. Ainsi, dans des pays pétroliers comme la Guinée Equatoriale, l’Angola, le Congo ou le Nigéria, l’importance des recettes fiscales tirées de la production pétrolière semblent être un frein au développement d’autres types de taxes comme les impôts indirects. Cependant, les statistiques sur le Soudan et Sao Tomé et Principe illustrent à quel point la taxe sur les ressources pétrolières peut ne pas être suffisante pour expliquer le faible recouvrement de l’impôt direct dans un pays.

Au Sao Tomé et Principe, ce sont principalement les dons extérieurs (52%) suivis des taxes commerciales (20%) qui remplacent le manque à gagner du faible recouvrement des impôts directs. Par contre, le Soudan à une structure fiscale plus équilibrée avec des impôts indirects qui représentent 35% du total des recettes publiques suivis des revenus non-fiscaux (33%) et des taxes commerciales (20%).

Ces statistiques suggèrent que nous sommes en présence d’Etat dont la légitimité fiscale est très faible, compte tenu du niveau très bas de leurs impôts directs. En plus de cela, ceux qui disposent de ressources pétrolières ont une administration fiscale très peu performante avec comme conséquence l’absence de la collecte des impôts indirects et des taxes commerciales sur les importations. Ceux qui sont moins riches en ressources naturelles s’appuient soient sur l’aide extérieure, c’est le cas de Sao Tomé et Principe, ou sur les impôts moins coûteux à collecter ; c’est le cas du Soudan.

Très souvent, et comme mentionné dans le rapport sur les perspectives économiques en Afrique de 2010, la prépondérance d’un secteur agricole de subsistance et du secteur informel dans la plupart des pays africains est citée comme l’une des principales raisons qui expliquent le faible taux de recouvrement de l’impôt direct. Cependant, lorsqu’on adopte une approche plus dynamique, il ressort que les deux phénomènes vont de pair : l’agriculture de subsistance et l’informel sont très développés parce que l’Etat ne dispose pas des moyens pour accompagner la formalisation des entreprises, et ce manque de moyen entretient davantage l’expansion du secteur informel et rend illégitime les tentatives de levée d’impôts auprès d’entreprises opérant dans le secteur informel. Le même raisonnement s’applique à l’impôt sur le revenu qui n’est pas non plus légitime lorsqu’il n’existe pas à priori de système de protection sociale ni pour les agriculteurs, ni pour les travailleurs du secteur informel.

A ce cercle vicieux, viennent s’ajouter des facteurs aggravant comme la présence de ressources naturelles ou l’abondance de l’aide extérieure. Ces derniers aussi s’auto-entretiennent puisqu’ils ne sont pas de nature à encourager les gouvernements à accroître leur légitimité fiscale en levant davantage d’impôts directs. Après tout, cette légitimité n’est acquise qu’en contrepartie d’une plus grande exigence d’inclusion politique, d’obligation de résultats et de compte rendu de la part des contribuables. Dès lors, il est plus intéressant pour un Etat de se justifier auprès d’institutions financières internationales ou de partenaires étrangers plutôt que de le faire auprès de ses citoyens. Ainsi, la bonne gouvernance et l’inclusion politique se trouvent au cœur même des enjeux de fiscalité en Afrique.

Pour que l’impôt direct joue pleinement son rôle dans l’édification et la consolidation des nations africaines, il faudra d’une part créer un dialogue entre les acteurs du secteur informel et l’Etat en vue de déterminer les contreparties qu’ils peuvent attendre de la levée des impôts sur le revenu et sur les bénéfices. Par exemple, la création de systèmes de protection sociale (assurance maladie universelle et chômage) et la garantie des investissements dans les infrastructures sociales et économiques susceptibles de bénéficier directement aux acteurs du secteur informel peut les inciter à se formaliser et ainsi donc contribuer à la levée des impôts directs en vue du financement des investissements publics. De manière plus classique, c’est le rôle que devrait jouer les élections des responsables politiques, mais pour le moment la question du financement du développement est rarement soulevée dans les campagnes électorales.

D’autre part, une implication plus accrue des organisations de la société civile dans la gestion des recettes fiscales issues de l’exploitation des ressources naturelles pourraient contraindre les gouvernements à s’appuyer davantage sur les impôts directs et à renforcer leurs capacités de recouvrement des impôts indirects. Enfin, une prise en compte plus importante des enjeux de renforcement de l’administration fiscale dans l’octroi de l’aide extérieure permettrait également d’inciter les Etats à compter davantage sur les impôts directs.

En définitive, la situation apparente de « paradis fiscal » que laisse entrevoir la faible contribution fiscale dans les huit pays cités ci-dessus n’a le paradis que de nom ; puisque cette faible contribution, même si elle peut être compensée par les recettes issues de l’exploitation des ressources naturelles ou des dons, est source d’exclusion sociale, principal moteur de la pauvreté et des inégalités.

Georges Vivien Houngbonon


[1] Perspectives économiques en Afrique, 2010, page 83.

[2] Ces différents types concernent les impôts directs (sur le revenu des personnes physiques et morales), les impôts indirects (TVA, taxes sur les vente, …), les recettes non-fiscales (droits de timbre per exemple), les revenus tirées de l’exploitation des ressources naturelles (en particulier le pétrole), les taxes commerciales (droits de douanes) et les dons.

Fiscalité, la nouvelle frontière du développement

Le retour à reculons de la croissance dans les pays africains inquiète. Croissance fragile, faibles recettes fiscales ; jamais l’un sans l’autre. Favorable, en théorie, aux entreprises et aux investissements, la situation actuelle de la fiscalité pose un problème de poids quant au financement des investissements publics. Au-delà des contraintes que cela impose en matière de politiques budgétaires conjoncturelles, ce sont les Objectifs du millénaire pour le développement qui risquent d’être mis entre parenthèses. Inquiétantes perspectives.
 
       A l’initiative du NEPAD et de l’OCDE, une table ronde a été organisée autour des enjeux de politique fiscale en Afrique. Cette réunion a débuté par un rappel du contexte dans lequel nous nous trouvons, celui d’un accroissement tendanciel des recettes fiscales dans la plupart des pays africains. Alors que depuis les années 1990, elles semblaient vouées à la stagnation, les recettes sont entrées dans une phase de hausse prononcée à partir de 2002 pour aller se jucher au dessus des 25% du PIB de l’ensemble des pays d’Afrique subsaharienne. Cette hausse, reposant essentiellement sur les impôts liés aux ressources naturelles, présente toutefois une volatilité préoccupante à court terme. Les fortes fluctuations du cours des matières premières, en effet, conduit l’OCDE à proposer un élargissement des assiettes fiscales (taxation des industries de téléphonie mobile…).
Contributions des opérateurs de téléphonie mobile aux recettes fiscales nationales (en%)
 

Cet élargissement devrait s’accompagner de politiques visant à amener une part plus importante de la population dans l’économie formelle1. La lutte contre les pertes de recettes au profit des paradis fiscaux, estimées à près de 7,6% du PIB annuel de la région –soit plusieurs centaines de milliards d’euros- devra constituer un autre cheval de bataille. Le rapport affirme que l’ensemble de ces mesures améliorant l’efficacité de la fiscalité permettront de résoudre une grande partie des problèmes de gouvernance du continent.

L’intégralité du rapport : http://www.oecd.org/dataoecd/40/31/44007402.pdf
 
       En complément de ce rapport, nous vous proposons un article des Perspectives économiques en Afrique traitant plus particulièrement de la structure de la fiscalité en Afrique. Plusieurs graphiques y sont illustrés et commentés. On y découvre la grande diversité des structures fiscales du continent. Ainsi, pendant que l’impôt direct constitue le centre névralgique du système sud africain, le Sénégal et l’Ouganda puisent l’essentiel de leurs recettes via des prélèvements indirects. De même, les structures fiscales équilibrées sur lesquelles s’appuient le Kenya et la Mauritanie contrastent nettement avec les systèmes angolais, algérien ou libyen qui reposent sur un seul type de taxe.
 
Composition des recettes fiscales en Afrique: montant perçu pour chaque type d'impôt
 
L’article revient également sur le poids considérable et croissant que représentent les recettes liées aux ressources naturelles. Si ces impôts, politiquement peu coûteux, ont connu une évolution remarquable, ils sont néanmoins d’une bien moindre qualité que les autres formes d’imposition. Rien ne vaut une solide taxe sur la valeur ajoutée judicieusement pensée et appliquée.
 
Vous pourrez lire l’article à cette adresse : http://www.africaneconomicoutlook.org/fr/about-us/
 
Tidiane Ly
 
1 50% des emplois non agricoles en Afrique appartiennent au secteur informel