Le déficit public égyptien a-t-il atteint un niveau excessif ?

En août 2016, la mission du FMI au Caire a accordé au gouvernement égyptien, un prêt de 12 milliards de dollars sur trois ans en échange de l’adoption d’un ensemble de réformes  (introduction de la TVA, baisse des subventions à la consommation d’énergie, réduction de la masse salariale de la fonction publique…)  visant à réduire le déficit budgétaire du pays. Ce dernier, en augmentation continue depuis 2007,s’élevait à 12,3% du PIB au cours de l’année 2015-2016 et devrait atteindre 11% selon le projet de loi de finances pour l’année 2017 (1). Par ailleurs, en 2015-2016 le remboursement de la dette publique constituait le principal poste de dépense publique soit une part de 30% (2), tandis que le taux d’intérêt s’élevait à 17% et la croissance à 3,8%.(3) Ces statistiques posent la question de la soutenabilité de la dette égyptienne et de l’état des finances publiques du pays.

 

 

  1. Un fastidieux arbitrage entre augmentation du taux d’intérêt et réduction des dépenses

 

  1. La hausse du déficit public égyptien impacte significativement le taux d’intérêt sur la dette publique…

L’augmentation du déficit égyptien est allée de paire depuis 2013 avec une forte hausse de la dette publique (4). En effet, la hausse du déficit a conduit l’Etat égyptien à avoir recours à un plus grand nombre de prêteurs pour assurer son financement. Au niveau national cela  a induit une hausse du taux d’intérêt sur la dette publique interne. L’ampleur de l’accroissement du déficit public a généré un choc de demande sur le marché de l’épargne et la hausse du taux d’intérêt a été un moyen d’inciter les agents à prêter davantage. Par ailleurs le taux d’intérêt a également connu une tendance haussière du fait des risques d’insolvabilité que fait peser le déficit public sur l’Etat égyptien depuis la fin des années 2000. Face à une dette risquée, les prêteurs ont exigé une prime de risque plus importante ce qui a encore amplifié la hausse du taux d’intérêt.

 

  1. … et cela pose le problème de la soutenabilité de la dette et de l’effondrement de l’investissement privé.

Comme tout Etat, l’Egypte a recours au déficit public pour financer ses dépenses de fonctionnement et d’investissement ainsi que ses politiques publiques à caractère contracyclique. Dès lors le niveau de déficit optimal est celui pour lequel la productivité marginale du déficit public est égale au taux d’intérêt. Au-delà, l’Etat exerce des externalités sur l’ensemble de l’économie et nuit à l’investissement des entreprises par effet d’éviction. En effet, l’Etat lourdement déficitaire emprunte et accapare une partie significative  de l’épargne qui, de fait n’est plus disponible pour les entreprises ou atteint un prix prohibitif. A ce titre, conscient des externalités négatives exercées par l’ampleur du déficit public sur la disponibilité de l’épargne  égyptienne, le vice-président de la Banque Mondiale pour la zone Moyen-Orient et Afrique du Nord déclarait le 17 mars 2017 : «Nous devons observer une importante augmentation de l'investissement privé. Il ne s’agit pas uniquement des grandes entreprises privées. Les reformes doit être axées sur la promotion des PME et aider à développer l’esprit d’entrepreneuriat chez les jeunes.». (5)

 

En outre, le taux de croissance de la dette publique égyptienne a été plus important que le taux de croissance du PIB  au cours de la dernière décennie. Or d’après le concept de soutenabilité de la dette, la dette d’un pays peut croître de façon continue et demeurer sans risque  pour les prêteurs si et seulement si la capacité de remboursement de l’Etat croît au moins dans les mêmes proportions. Cela n’ayant pas été le cas de 2013 à 2017 du fait de la faible capacité de l’Etat égyptien à prélever les impôts, il est possible d’affirmer que le pays a atteint un niveau de déficit insoutenable et donc excessif qui se traduit d’ailleurs par des taux d’intérêt punitifs.

 

 

  1. L’Egypte doit parvenir à appliquer le plan d’austérité préconisé par le FMI tout en soutenant l’investissement privé

 

A.  Un plan d’austérité risqué tant sur le plan économique que politique

Face à la menace d’une crise économique et monétaire, l’Egypte du président Sissi a finalement adopté les mesures préconisées par le FMI lors de l’été 2016. En effet, la réduction des dépenses publiques et l’augmentation des recettes fiscales via la création de la TVA sont les deux principaux objectifs de la politique économique égyptienne.  Toutefois ces réformes touchant directement la fiscalité des entreprises risquent soit de porter atteinte à la compétitivité des entreprises égyptiennes, soit d’aggraver la hausse du taux d’inflation –qui s’élevait déjà à 30% en janvier 2017 (6)- si les producteurs décident de répercuter le montant de la TVA sur les prix de vente. Une telle possibilité risquerait de détériorer encore plus le pouvoir d’achat des Egyptiens et de raviver les mouvements sociaux qui avaient conduit au renversement du régime lors du printemps arabe de 2011.

En outre pour endiguer la hausse du taux d’intérêt s’étant élevé au taux  quasi-prohibitif de 17% au cours de l’année 2016, la Banque centrale égyptienne (BCE) a fixé à 14,75% le taux d’intérêt pour l’année 2017.(7)

 

B. Recommandations

Le gouvernement égyptien a tout intérêt à encourager l’investissement privé en simplifiant le cadre réglementaire de la création et du développement des entreprises. En effet, la création d’un guichet unique pour les procédures fiscales permettrait de simplifier les rapports entre le secteur privé et l’administration fiscale.  Cette sécurité fiscale faciliterait la collecte de l’impôt sur les sociétés, inciterait davantage d’entreprises et commerces à quitter le secteur informel pour le secteur formel et conduirait à un accroissement significatif des recettes publiques.

Il convient également de prendre en compte la productivité des dépenses publiques et de ne pas les diaboliser. En effet, si le plan du FMI inclut une réduction drastique des subventions publiques notamment dans le domaine des énergies fossiles, cette réforme peut également donner lieu à une réallocation des ressources vers des secteurs novateurs et à haute valeur ajoutée tels que la recherche ou le développement des énergies renouvelables.

La dette  et le déficit supplémentaires ne sont pas considérés comme excessifs dès lors qu’ils financent de nouveaux investissements publics qui à terme rapporteront davantage de recettes fiscales. En effet l’Egypte pourrait s’inspirer des objectifs du programme Europe 2020 visant non pas à imposer des plans d’austérité dont l’efficacité est discutable mais à favoriser l’essor d’une croissance dite « intelligente, durable et inclusive ». L’Egypte dispose à ce titre d’une importante marge de manœuvre puisque seul 10% des dépenses publiques du budget 2015-2016 ont servi à financer des dépenses d’investissement (8).

 

Sources

  1. http://www.tresor.economie.gouv.fr/File/433051 « Situation économique générale de l’Egypte ».
  2. http://www.tresor.economie.gouv.fr/File/433051 « Situation économique générale de l’Egypte ».
  3. http://www.jeuneafrique.com/370978/economie/pression-legypte-devalue-monnaie/
  4. http://www.coface.com/fr/Etudes-economiques-et-risque-pays/Egypte
  5. http://www.agenceecofin.com/reformes/0903-45561-egypte-les-prochaines-reformes-doivent-prioriser-l-investissement-prive-selon-la-banque-mondiale
  6. http://www.lefigaro.fr/flash-eco/2017/02/11/97002-20170211FILWWW00048-egypte-l-inflation-s-envole-a-pres-de-30.php
  7. http://www.jeuneafrique.com/370978/economie/pression-legypte-devalue-monnaie/
  8. http://www.tresor.economie.gouv.fr/File/433051 « Situation économique générale de l’Egypte ».

La « formalisation » de l’économie informelle est-elle la clé du développement et de la lutte contre la pauvreté en Afrique ?

Certains l’appellent l’économie non-contrôlée ou l’économie de la débrouillardise,  d’autres, l’économie souterraine ou l’économie populaire. Dans tous les cas, l’activité informelle occupe une place prépondérante dans l’économie des Pays les Moins Avancés (PMA) notamment ceux d’Afrique subsaharienne où les activités non-déclarées concernent en  moyenne de 70% de la population active (1). L’économie informelle est d’autant plus difficilement identifiable et mesurable, qu’elle est écartée des comptabilités publiques et échappe à toute politique fiscale. Les Etats sont en carence de stratégies adaptées pour valoriser les produits de l’économie informelle et ramener le volume des activités qu’elle recouvre dans le système formel.

L’économie informelle existait bien avant les indépendances des pays africains dans les années 1960 (2). Après cette période, elle s’est accentuée dans le contexte des « trente glorieuses » dont les effets ont été ressentis jusqu’en Afrique, notamment à travers l’afflux d’investissements directs étrangers (IDE) en provenance des pays occidentaux vers le  continent. Les pays comme l’Afrique du Sud, le Kenya ou encore la Côte d’ivoire ont su en profiter pendant un certain temps. Au début des années 1980 pourtant, l’économie informelle en Afrique a pris une nouvelle dimension après la mise en oeuvre des politiques d'ajustement structurel (PAS), qui ont généré des effets dévastateurs (réduction des salaires, diminution des effectifs de la Fonction publique, privatisation des entreprises d’État…). La dévaluation du Franc CFA en 1994 induisant des effets néfastes sur la structure économique, a contribué au ralentissement de la croissance, à la hausse du chômage et à la fragilisation des Etats. Tous ces facteurs ont eu pour résultante l’accroissement du nombre d'agents exerçant dans l’économie informelle.

I.  Les contours flous de l’économie informelle

La notion d’informel est une notion à géométrie variable, elle est polysémique et a été utilisée pour désigner des activités à la fois diverses et complexes. Ainsi plusieurs définitions coexistent.

–      La première est sectorielle et résulte de travaux élaborés par le Bureau International du Travail (BIT) en 1972 à travers « le rapport Kenya ». Ce dernier désigne le secteur informel comme un ensemble de petites entreprises dotées d'une échelle restreinte, d'activités essentiellement familiales et d'une faible intensité capitalistique.

–      Le deuxième type de définition s’est polarisé sur la pauvreté et la marginalité, c’est-à-dire sur les conséquences de la participation des agents au marché du travail secondaire (3). De surcroît, cette définition prend en compte les unités de production et les micro-entreprises qui ne transgressent pas délibérément la réglementation pour exister contrairement aux activités dites illégales telles que la contrebande, le trafic de drogue, que nous retrouvons également dans nos sociétés. Dans tous les cas, ces définitions convergent inéluctablement vers une série de questions : Quelle est la structure de l’économie informelle en Afrique ? Quelles catégories de population sont concernées ? L’Afrique peut-elle se développer sans l’économie informelle ? Au final, l’économie informelle peut-elle être une porte de sortie pour l’Afrique ?

II. Structure et morphologie des populations les plus concernées par l’économie informelle.

La structure de l’économie informelle en Afrique regroupe essentiellement les activités liées à l’artisanat, au petit commerce, aux petites et moyennes entreprises non formellement identifiées par l'Etat. Par exemple, dès 2006 l’Agence Française pour le Développement soulignait dans un rapport qu’au Cameroun, l’économie informelle compte près de 90 % de la population active, alors qu’on estime qu’elle constitue près de 30% du PIB. Au Sénégal, elle est également le poumon de l’économie. Elle représente ainsi 60% du produit intérieur brut du pays et 60% de la population active est concernée. Au Mali, les dernières études publiées par l’Institut National de la Statistique (INSTAT) montrent que l’économie informelle touche 70% de la population active et qu’elle contribue à près de 55% du PIB (6). Il s’ensuit que ces tendances sont similaires dans la majorité des pays africains. Ainsi, si la structure de l’économie informelle varie d’un pays à l’autre, son importance dans la création de la richesse nationale est partout significative.   Par ailleurs, l’économie informelle est également marquée par une grande hétérogénéité des populations concernées. Il existe deux catégories de population dans l’économie informelle en Afrique : celle qui en tire des revenus de subsistance et celle qui mène simultanément une ou plusieurs activités génératrices de revenus (AGR) formelles ou informelles. La première catégorie vit quasi-exclusivement de l’économie informelle tandis que la seconde effectue sporadiquement des activités informelles en s’affranchissant de l’impôt.

III. Recommandations

Bien que l’économie informelle présente à la fois des caractéristiques hétérogènes et complexes, elle pourrait faire l’objet d’une politique coordonnée à l’échelle régionale et constituer la porte de sortie pour l’atteinte de l’émergence des pays Africains d’ici à l’horizon 2035 (objectif fixé par l’Union Africaine). En effet, le but d’une telle politique ne viserait pas à traquer et appauvrir les agents tirant leurs revenus de subsistance du secteur informel mais à renforcer le cadre réglementaire des activités économiques et à étendre la protection sociale à tous les travailleurs. En outre, il est important de souligner que la deuxième partie de la population concernée par l’économie informelle regroupe majoritairement des petites entreprises à taille humaine avec une croissance d’activité régulière dont l’identification et l’assujettissement à l’impôt permettrait d’assurer la stabilité des finances publiques.  L’exemple du Maroc en 2014 avec le statut de l’auto-entrepreneuriat élaboré par le Haut Commissariat au Plan (HCP) propose des mesures d’incitations fiscales pour faciliter l’intégration de la deuxième catégorie de population. En revanche, le statut ne propose pas de mesures en faveur d'une large couverture sociale des personnes exerçant dans l’économie informelle. De plus, l’économie marocaine est face à un paradoxe depuis quelques années ; c’est-à-dire que la croissance économique est de plus en plus soutenue, conduisant à la baisse du poids de l’ économie informelle dans le PIB tandis que dans le même temps l’emploi informel progresse. L’économie informelle devient ainsi peu à peu une zone grise qui ne manque pas d’interagir avec l’économie marocaine traditionnelle. En effet, il est important de mentionner qu’il existe une forte interaction entre le formel et l’informel, ne serait-ce que par la monnaie commune. Si le premier accuse le second de concurrence déloyale, le second quant à lui, accuse le premier d’une carence de considération. Seul une politique volontariste mettant en place des incitations fiscales et une flexibilisation du cadre juridique de la création d’entreprise permettra d’unifier les deux pans de l’économie.

En somme, il est impératif pour les Pays les Moins Avancés d’Afrique, de mettre en place des reformes  à l’égard de l’économie informelle. Cela sera possible si les Etats jouent pleinement leur rôle, c’est-à-dire la création d’ un environnement propice à une meilleure condition de vie des citoyens et à un climat des affaires plus certain. L’économie informelle est essentiellement une question de gouvernance. Toutefois, il arrive souvent que les quelques micro-entreprises tenant des unités de production non déclarées et non réglementées ne s’acquittent ni de leurs obligations fiscales, ni de leurs obligations sociales vis-à-vis des travailleurs, faisant ainsi une sorte de concurrence déloyale aux autres entreprises. Celles-ci doivent être ciblées sans caractère punitif tout en étant mises à contribution. Dans ce cas, l’Etat qui voit déjà lui échapper des ressources fiscales qui devraient provenir de l’économie informelle, verra sa capacité de financement augmenter pour faire face aux services sociaux. Outre la couverture sociale au sens traditionnel, les agents exerçant dans l’économie informelle sont dépourvus de toute protection dans des secteurs tels que la formation, l’éducation, l’apprentissage, les soins sanitaires et plus particulièrement ceux liés à la petite enfance. En tenant compte de ces reformes, l’Afrique observera simultanément l’accélération de son développement économique et la baisse de la pauvreté.

 

Amadou SY

 

Sources

(1)  https://www.oecd.org/fr/csao/publications/42358563.pdf

(2)  https://www.monde-diplomatique.fr/mav/143/CESSOU/53893

(3)  http://www.persee.fr/doc/ecop_0249-4744_1990_num_92_1_5155

(4)  Rapport de l’Agence Française de Développement publié en 2006.

 

Vers une nouvelle crise de la dette en Afrique subsaharienne ?

dette-grece-colosse-mai-2011Les annulations de dette consécutives à l’atteinte du point d’achèvement des PPTE (entre 2001 – 2012) ont offert aux pays africains[1], ceux d’Afrique subsaharienne en particulier, une fenêtre d’opportunités pour financer leur développement, qu’ils semblent pour la majorité avoir saisi [2]. Pour financer ces dépenses, les pays se sont appuyés sur de nouveaux emprunts. La dette publique des pays d’Afrique subsaharienne qui est passée de 104% du PIB fin 2000 à 39% à fin 2012[3], a d’ores et déjà atteint 50,6%, soit une augmentation annuelle moyenne de 4 points de %[4]. Cette forte croissance de la dette dans les pays africains, qui excède celle de l’accélération de la croissance suscite aujourd’hui plusieurs interrogations. Devrait-on réellement s’en inquiéter ? Cet article revient sur la politique de financement du développement la dette des pays africains et les risques potentiels liés à cette stratégie.

A la lecture des statistiques disponibles (WEO du FMI) – même les plus pessimistes –  sur la performance économique et le niveau de la dette des pays africains, on est tenté d’exclure tout risque que pourrait induire la dette sur les économies africaines. Cependant, en considérant les facteurs qui soutiennent cette performance économique, la capacité limitée des pays africains à collecter davantage les ressources domestiques et le rythme soutenu de croissance de la dette, la question se pose avec pertinence[5]. Dans un article précédent, il a été montré que la dette n’est profitable à une économie que si elle permet de financer des activités permettant d’accélérer la croissance à un niveau excédant les taux d’intérêt escomptés et si l’Etat est suffisamment capacité pour collecter les fruits de ces investissements. Ce qui n’est pas encore forcément le cas dans les pays africains.[6] La capacité de mobilisation des ressources intérieures (et donc de la richesse créée) est faible et repose sur une petite partie de l’économie alors que la croissance générée est davantage le fruit d’investissements étrangers dans des secteurs qui ne favorisent pas la transformation structurelle de l’économie.

A juste titre, les analyses de viabilité de la dette (AVD) réalisées[7] par le FMI et la Banque Mondiale, montrent que le profil de risque d’endettement des pays africains a rapidement évolué entre 2012 et 2015. Sur les 39 pays bénéficiaires de l’IPPTE, 7 ont déjà atteint un risque élevé d’endettement (contre 5 en 2012), 18 sont classés en risque modéré (13 en 2012) et 5 sont classés en risque faible (contre 11 en 2012).  Il apparaît donc évident que l’évolution de la dette dans les pays africains n’est pas sans risques que plusieurs facteurs contribuent à accentuer. 

Premièrement, le profil de la dette dans les pays africains a beaucoup changé. En plus d’un recours accru aux marchés financiers locaux, et pour certains pays aux marchés financiers internationaux, les pays africains se tournent de plus en plus vers les pays émergents, notamment la Chine, l’Inde et la Turquie. Ces nouveaux emprunts, s’ils répondent à un besoin de diversification des partenaires et des risques, paraissent toutefois onéreux pour les économies africaines. Sur les marchés financiers internationaux et locaux, les taux d’intérêts varient entre 5 et 10% – cas des récentes émissions effectuées par la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Nigéria, le Sénégal ou encore la Zambie. Auprès des émergents, non soumis aux règles d’APD de l’OCDE, les emprunts se font à des conditions dit semi-concessionnels – soit à des taux variant entre 0.5 et 1%.

Deuxièmement, la dynamique économique des pays africains tend à s’estomper certes (à degré variable entre les pays). La chute des cours des matières premières[8], induits par le ralentissement économique des pays émergents, affectent les pays africains[9] et va se traduire par des entrées moins importantes de devises, nécessaires pour assurer le service de la dette extérieure notamment. Aussi la fin de la récente crise financière, et donc de la politique monétaire conciliante menée par la Fed américaine en réponse à cette crise et qui a poussé les investisseurs à s’intéresser aux marchés africains, va induire une baisse des investissements à destination du continent. Dans ce contexte, un effet de change pourra rendre plus onéreux le service de la dette libellé en devises, absorbant ainsi une bonne partie des ressources des pays et accentuant les pressions sur les finances publiques.

Si le ré-endettement s’est constitué comme une option aux pays d’Afrique sub-saharienne, notamment pour ceux ayant bénéficié de l’IPPTE, pour financer leur développement ; il ne s’est pas forcément appuyé sur une politique de financement global alliant mobilisation des ressources domestiques et externes. Il apparaît plutôt comme un outil utilisé mécaniquement par les Etats pour compenser l’insuffisance des ressources domestiques et financer leurs investissements. Cette stratégie est aujourd’hui porteuse de risques, révélant par la même occasion les limites de la politique économique menée par les pays durant la dernière décennie. Si une nouvelle crise de la dette n’est pas envisageable à court terme, la poursuite de cette stratégie peut s’avérer très contraignante pour les économies africaines à moyen-long terme d’autant plus que la perspective d’une nouvelle IPPTE est à écarter au regard du profil des créditeurs. Il apparaît dès lors nécessaires pour les pays africains d’inclure dans leur stratégie de développement une politique propre de gestion de l’endettement mais aussi de renforcer la collecte des ressources internes.

Foly Ananou


[1] Fin 2012, le nombre de pays africains ayant bénéficié de l’IPPTE s’établissait à 39.

[2] La réduction de la dette se traduit de fait par une di munition du service de la dette, créant donc des marges de manœuvre budgétaire pour déployer la politique publique.

[3] Cette donnée cache de fortes disparités. La Côte d’Ivoire et la Guinée qui ont bénéficié de l’initiative fin 2012, tire cette moyenne vers le bas ; certains pays ayant bénéficié de l’initiative assez tôt dès la première moitié de la décennie ont fait croître leur dette entre temps. Toutefois, elle révèle assez bien comment cette initiative a permis de réduire considérablement le poids de la dette des pays africains.

[4] Cette donnée s’applique à un pays moyen. Une analyse plus fine par pays révèle de forte disparité et des trajectoires différentes. Les pays exportateurs de matières premières ont une situation plus critique que les autres (cas du Ghana)

[5] En effet, ce qui inquiète, ce n’est pas tant le niveau de la dette mais son accélération qui se fait dans des conditions non maitrisées.

[8] Qui ne devrait pas se résorber à court terme selon les estimations de la Banque Mondiale (Commodity Market Outlook)

[9] Durement les exportateurs et les gains sont modérés pour les importateurs

Les Etats africains sont-ils capables de financer le développement de leur pays ?

iLa question de la pérennité de la dynamique économique actuelle des pays africains se pose avec acuité, à la mesure où cette performance s’appuie davantage sur l’exploitation des ressources naturelles que celle des facteurs de production à forte valeur ajoutée (capital et travail). Si Kuznets[1] identifie la croissance économique comme « une hausse de longue période de la capacité d’un pays à offrir à sa population une gamme sans cesse élargie de biens économiques; cette capacité croissante est fondée sur le progrès technique et les ajustements institutionnels qu'elle requiert » alors le maintien de la dynamique actuelle passera sans nul doute par une transformation en profondeur des économies de la région. Sur cette question, tous les analystes tendent à s’accorder.

La transformation structurelle est une impérative pour les économies africaines, si elles aspirent à l’émergence. Si les mesures de la transformation structurelle sont diverses et variées, elle s’appuie sur le développement du secteur industriel. Ce processus requiert une amélioration des conditions d’exercice d’une activité afin d’attirer les investissements et favoriser le développement d’activités industrielles, ce qui confère un rôle prépondérant à l’Etat. En effet, les conditions d’exercice d’une activité ne se mesurent pas seulement aux lois et aux incitations fiscales. Elles se mesurent surtout dans la qualité des institutions et dans la qualité des infrastructures, de sorte qu’un pays stable politiquement et sans infrastructures (électricité, route, TIC, etc.) pourrait attirer moins d’investissement qu’un pays avec une main d’œuvre de qualité et des infrastructures performantes mais qui connaît quelques remous sur le plan politique. Or seul l’Etat dispose de la prérogative en matière d’installation des infrastructures.

Des articles publiés sur ce site ont déjà discuté les nombreuses sources de financement possibles pour permettre aux Etats de disposer de ressources suffisantes pour financer leur développement. Ceci suppose que les ressources budgétaires financent des projets structurels qui permettront de rendre les pays compétitifs en matière d’attraction des investissements et favoriser leur transformation. Toutefois, la disponibilité des ressources ne garantit pas systématiquement que l’Etat investisse dans des programmes structurants. Les différentes crises de la dette, et celle de la Grèce plus récemment, le montrent assez bien. Elles découlent généralement du fait que les dettes ont financé des dépenses qui n’ont pas généré assez de revenus pour assurer les remboursements. A la lumière de ces situations, il est important de se demander si les Etats africains sont prédisposés à financer leur développement auquel cas ils arrivaient à mobiliser des ressources suffisantes.

Cet article se propose d’analyser la structure des dépenses budgétaires des pays africains et d’identifier dans quelles mesures elles peuvent constituer un instrument de soutien à la dynamique socio-économique du continent sur le long terme.

Les pays d’Afrique subsaharienne ont des besoins considérables en matière d’infrastructures. Selon la Banque Mondiale et les Nations Unis[2], la couverture de ces besoins nécessiterait un investissement de 16 à 18% du PIB avec au moins 11% qui devraient être consacrés à la construction de nouvelles infrastructures. Aujourd’hui en Afrique subsaharienne, l’investissement public se situe en moyenne à 6% du PIB avec à peine 4% du PIB consacrés à la construction de nouvelles structures. Il faut noter que la situation assez hétéroclite dans la région : certains pays ayant déjà atteint des niveaux de développement qui ne nécessiterait pas des investissements lourds pour la construction d’infrastructures mais d’assurer leur maintenance ; d’autres sortent à peine de période de crise, nécessitant de fortes dépenses pour la reconstruction de l’Etat.

Malgré les discours laudateurs sur les transformations en cours sur le continent, notamment en matière d’infrastructures ; ces données tendent à nous rappeler que cette transformation si elle a lieu demeure très lente. Une situation que l’on explique aisément par le manque de ressources financières. Cependant, l’Etat optimise-t-il les ressources disponibles pour financer les investissements ? Le tableau suivant nous fournit quelques éléments de réponses.

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Avant toute chose, il convient de signaler, à la lecture de ce tableau, que les pays de la région ne dépensent que ce qu’ils ont, surement de façon « forcée » compte tenu des engagements en matière de déficit vis-à-vis de leurs partenaires financiers. Ils se situent tous sur la diagonale du cadrant formé par la taille du budget (en % du PIB) et les ressources financières (fiscales et autres ressources non fiscales dont celles issues de l’exploitation des ressources naturelles). Il existe cependant quelques écarts, notamment Centrafrique et Guinée Bissau, qui sont des pays sortant de crises, avec d’énormes besoins et sous perfusion d’aides internationales, et qui peuvent donc se permettre des dépenses excédant leurs capacités internes. D’autres plus extravertis engagent des dépenses qu’ils financent notamment à partir de la dette (Gambie, Ghana, etc.) ou d’aides internationales (Burundi, Malawi, etc.). Mais aussi, paradoxalement, certains pays de la région n’utilisent pas encore pleinement leur potentiel. La République du Congo et le Gabon qui ont plutôt des ressources confortables, ne dépensent que très peu.

La plupart des pays ont des ressources très limitées, se traduisant par un budget faible. Selon les données disponibles, les ressources internes mobilisées par les Etats peinent à atteindre les 35% suggérés par les Nations Unis. Il existe cependant de forte disparité entre les pays. Alors que le Lesotho excède aisément la barre des 50% en matière de ressources internes, des pays comme le Nigéria, pourtant avec un fort potentiel économique, peine à atteindre 15%. Cette situation traduit une certaine « incompétence » des Etats à collecter les ressources nécessaires pour la mise en œuvre de la politique budgétaire. Dans ce contexte, l’Etat n’a qu’un effet de levier très faible sur l’économie ; la surface financière dont il dispose étant très limitée.

En outre, une bonne partie des ressources financent des dépenses non productives (taille des bulles sur le graphique). En moyenne, ce sont près de 85% des ressources internes collectées qui sont utilisés pour le paiement des salaires, le paiement des factures liées aux commandes publiques (biens et services) et à quelques transferts ou subventions ; laissant ainsi une part incongrue pour les dépenses productives. Si on intègre les dépenses au titre du service de la dette (principal et intérêt), les Etats ne disposent que d’une marge très maigre pour financer  des investissements rentables. La dette et les aides pourraient prendre le relais dans ce sens, mais ces ressources sont limitées d’une part par la disponibilité financière des partenaires mais aussi leurs coûts et par les contraintes liées au déficit budgétaire d’autre part. Même si d’autres formes de financement sont prises en compte, les Etats ne pourraient s’affranchir de ces contraintes. Le recours à ces différentes formes de financement permettrait surtout de diversifier le portefeuille des risques pris par les Etats et d’alléger leur poids sur les finances publiques et l’économie.  

On est surtout ici en présence d’Etats « consommateurs-employeurs » alors que les pays africains auraient davantage besoin d’Etats « investisseurs ». Ainsi, si quelques programmes en matière d’infrastructures sont en cours d’exécution ; le rythme de leur mise en œuvre souffre surtout du fonctionnement budgétivore des Etats africains et ne reflète guère les capacités des pays. Une meilleure clé de répartition des dépenses budgétaires devrait permettre aux Etats de financer davantage des investissements productifs et de limiter le recours à des ressources financières externes, qui peuvent constituer à termes des contraintes à l’économie et ce, même dans les conditions actuelles caractérisées par des ressources internes limitées.

L’Ethiopie, dont les ressources internes représentent 14% du PIB s’inscrit dans cette logique. Son budget est modéré à 18% du PIB et ses dépenses non productives (hors service de la dette) n’absorbent que 24% des ressources internes. Il fait partie aujourd’hui des pays qui ont le plus progressé au classement IDH entre 2000 et 2013 et compte parmi les pays les plus attractifs du continent, pourtant il n’est pas cité parmi les plus grandes « démocraties » africaines. On est tenté de dire que si l’Etat dans ce pays approfondissait le système de collecte des ressources intérieures, il pourrait davantage jouer son rôle de catalyseur en accélérant la mise en œuvre des projets structurants ; contrairement à un pays comme le Nigéria. Ce dernier pays est caractérisé par un Etat dont la capacité financière est très faible, malgré son fort potentiel économique. Les ressources internes ne représentent que 11% du PIB dont près de 91% sont consacrés aux dépenses de fonctionnement et au paiement des salaires. La majorité des pays présente un profil similaire à celui du Nigéria. Certains consacrent toutes leurs ressources intérieurs ainsi qu’une partie des ressources mobilisés à l’extérieure (dons ou aides). Il faut toutefois préciser que la situation selon les pays est assez différente. Pour certains, cette situation tient davantage à la déliquescence de l’administration centrale, en lien avec les crises qu’ils ont eu à traverser et qui nécessite sa reconstruction. C’est le cas de pays comme la Centrafrique, de la Guinée Bissau et dans une moindre mesure, le Soudan ou le Madagascar. D’autres n’ont plus un besoin important en matière de construction d’infrastructures, ce qui leur permet de limiter leur budget d’investissement aux travaux de maintenance, ce qui n’est pas forcément une bonne nouvelle. C’est le cas de pays comme le Lesotho, l’Afrique du Sud, Maurice ou encore les Seychelles.

Le propos ici n’est pas d’incriminer les dépenses de fonctionnement au profit des dépenses d’investissement. De fait, investir abondamment n’est pas la garantie pour que l’économie soit plus attractive ou plus performante. Il faut surtout que chaque dollar investi soit efficient. Toutefois, les dépenses de fonctionnement n’ont qu’un impact très faible sur l’économie. En effet, la commande publique (pour le fonctionnement de l’administration) et le paiement des salaires permet de relancer la consommation et constitue un marché pour certaines entreprises mais ces types de dépenses n’induit pas une transformation de l’environnement économique, afin de permettre le développement de nouvelles activités ou d’attirer des capitaux privés plus importants. En gros, elles permettent d’entretenir l’économie dans son état. Leur importance dans les budgets des Etats africains constituent un point d’achoppement pour le rôle que pourrait jouer ces Etats dans le processus de développement du continent.

Si aujourd’hui les Etats des pays d’Afrique subsaharienne prennent la mesure du rôle qu’ils peuvent jouer dans le processus de développement de leurs pays ; ils sont encore fortement contraints par leur capacité financière mais aussi par leur gestion interne qui consomme une bonne partie des ressources dont ils disposent et mises à leur disposition par les populations. Dresser des plans de développement et solliciter davantage d’efforts financiers auprès des partenaires, servirait presque à rien et constituerait une pression supplémentaire sur leurs économies, si une réelle transformation dans le fonctionnement des Etats dans les pays africains ne s’opère pas. Il faudrait surtout que les Etats se démarquent de ce comportement d’ « Etat consommateur-employeur » et prennent des dispositions visant à (i) renforcer les mécanismes de collecte des ressources internes, notamment en matière de fiscalité et à (ii) assainir les dépenses publiques, notamment en ce qui concerne la masse salariale. Plus généralement, il faudrait prendre de mesures pour une meilleure gestion des finances publiques, afin de dégager des marges pour l’investissement public mais aussi afin de rendre la dépense publique plus efficiente. Les marges dont disposent les Etats sont encore grandes et le manque de discipline budgétaire empêchent d’optimiser la collecte des ressources internes et de les dépenser de façon optimale. Si les pays du continent veulent s’engager sur la voie de l’émergence (comme prôner par les différents plans de développement en cours), la rupture dans la gestion des finances publiques et la discipline s’imposent.

Pour un système plus efficace de paiement des per diem en Afrique

incentivesUtilisée essentiellement comme instrument de motivation, le paiement de per diem est devenu dans certains pays d’Afrique, la règle plutôt que l’exception, faussant ainsi l'impact des efforts de développement et constituant  un poids supplémentaire pour les  finances publiques. Le sujet mérite d’être analysé, dans le contexte actuel de raréfaction des ressources financières en dons et les moindres performances fiscales des pays Africains. Un article précédent discutait de son impact sur l’économie, plus particulièrement sur les finances publiques. Dans la même lignée, cet article se propose d’aborder des pistes de réflexion pour rendre le système de paiement de per diem plus optimale.

Face au constat de l’abus des per diem et de ses conséquences sur les finances publiques et les efforts de développement, la question qui se pose est de savoir s'il faudrait les supprimer ou pas.  Une étude récente de la BAD (Banque Africaine de Développement) essaie de répondre à la question, en s’appuyant sur les facteurs pouvant motiver les fonctionnaires à faire la chasse au per diem.

Avant toute chose, revisitons la notion de motivation, qui semble-t-il serait au centre de ce phénomène. Le concept de motivation est régi par la loi de l'offre et de la demande et l'effet-prix associé. Augmenter les incitations monétaires augmente l'offre. Par conséquent, plus élevés seront les per diem, plus motivés les gens seront à participer à des ateliers, des séminaires, etc. Cela pose, cependant, un problème quant à la qualité des participants et la pertinence des travaux qui seront menés. Il y a en effet un risque que les gens inappropriés participent aux ateliers, les gens convenables étant évincés. Des psychologues sociaux (Reitman, 1998; Frey, 2001; Meiyu et Gerhart 2012) ont déterminé que la structure de motivation des individus est constituée de la motivation extrinsèque et de la motivation intrinsèque. La motivation extrinsèque provient de l'extérieur de l'individu et implique des récompenses externes (l'argent, des prix à l’évaluation des performances, etc.) alors que la motivation intrinsèque ou "motivation du comportement" vient de l'intérieur et s’attache à la volonté de contribuer à la résolution des problèmes. Ainsi la chasse au per diem serait plus portée par la motivation extrinsèque. L’objectif serait donc de disposer d’un système de per diem permettant de ne sélectionner que des personnes motivées intrinsèquement.

UntitledLa nature de l'interaction entre les per diem et les motivations peut être formellement analysée à l’aide du modèle de Frey (2001). La figure ci-contre représente l’adaptation du cadre proposé par Frey, qui montre  graphiquement l'interaction entre les per-diem et l'effet d'éviction pour la participation à un atelier hypothétique. S est la courbe de l'offre traditionnelle basée sur l'effet relatif des prix: augmenter la récompense externe (per diem) pour la participation de O à R augmente la participation à l'atelier de A à A'. L'effet d'éviction fait  déplacer la courbe d'offre vers la gauche pour S' (suite à la chute de la motivation intrinsèque). Ainsi, augmenter le per-diem de O à R mène au point C (au lieu de B). Comme le montre la figure, l'effet d'éviction domine l'effet des prix relatifs et en augmentant la récompense de O à R, on constate une réduction de la participation de A à A''. Une fois que la motivation intrinsèque a été évincée complètement, la courbe d'offre normale (S') reprend la main, et en augmentant la récompense  le nombre de participants augmente mais il ne s'agit là que des individus inappropriés.

Trois hypothèses peuvent être formulées pour un individu-type :

H1 = l’Africain est un individu avec une motivation purement extrinsèque.

Il n'a pas de motivation inhérente à assister à l'atelier et est seulement intéressé par les récompenses monétaires associées à la participation, sans égard  de ce que sera sa contribution à l'atelier ou de la plus value intellectuelle qu’il peut y gagner et qui pourrait influencer son institution et l'impact pour le développement de son pays ou région.

H2 = l’Africain est un individu  avec une motivation purement intrinsèque.

Il n'a pas besoin de per diem pour assister à l'atelier, ou il a seulement besoin d'être remboursés suivant le coût réel que cela constitue. Cette personne non-rationnelle (au sens économique) est seulement motivée par son «esprit patriotique» avec le désir d'être utile et serviable. Il participera à l'atelier s’il estime pouvoir apporter une valeur ajoutée à l'atelier ou acquérir des connaissances qui pourrait l’aider à changer positivement son environnement.

H3 = l’Africain est entraînée par un mélange de motivation intrinsèque et extrinsèque.

Entre les cas extrêmes décrits ci-dessus, il y a toute une gamme de combinaisons possibles de motivation intrinsèque et extrinsèque. La situation la plus probable est qu'un individu type, soit habité par un mélange des deux. Dans ce cas, l'introduction de la récompense monétaire a en même temps un effet positif sur la motivation extrinsèque sans nuire à la motivation intrinsèque. Cependant l’effet global dépendra de l’effet relatif de l’un sur l’autre. L’objectif visé ne sera pas atteint si l’effet positif sur la motivation extrinsèque l’emporte sur la motivation intrinsèque car le nombre de participants plus motivés par l’argent que par la formation sera élevé. Il s’agira donc de trouver l’équilibre. 

Ce modèle révèle que la suppression des per diem n’est pas la solution. En effet, le paiement de per-diem permet dans une certaine mesure à accroitre la motivation des collaborateurs,  indispensables pour l’organisation. L’idéal serait de pouvoir retenir comme participants aux ateliers ou activités similaires, les individus de type H2 ou H3.

Il faudrait donc revenir aux objectifs premiers de l’instauration des per diem, à savoir la couverture des frais des agents en mission ou appelés à des fonctions n’entrant pas dans leur cahier de charge. Ainsi le système devrait plus s’attacher au remboursement des notes de frais. Au lieu des sommes forfaitaires, qui sont généralement bien au delà du cout réel de la mission sur le terrain, on pourrait déterminer une grille évaluée à la baisse, obligeant l’agent à présenter des pièces justificatifs sur la base desquels lui sera remboursé le reliquat. Cette grille pourra aussi inclure les types de dépenses qui feront l’objet d’un remboursement. Elle pourra, par ailleurs, préciser les taux de rémunération suivant le type d’activité et le lieu sans distinction dans la hiérarchie, sur la base d’une enquête relative au niveau de vie dans les différentes zones où sont généralement affectés les agents. Ainsi, les agents cherchant à se rendre en mission, espérant ainsi « arrondir leur fin de mois », ne seront plus tentés par l’expérience. Ce faisant, la mission devient plutôt coûteuse pour l’agent qu’il n’oserait plus s’inscrire pour des activités sauf en cas de réelle nécessité. 

En ce qui concerne le remboursement, il devrait intervenir seulement à la fin de l’activité et suite à la présentation des documents justificatifs. Aussi, le paiement devrait se faire à travers des transactions bancaires plutôt qu’en espèce. Ce faisant, on limiterait les pratiques de corruption et autres détournements liés au versement per diem.

Par ailleurs, la faiblesse des salaires étant l’une des causes de la chasse aux per-diem, les Etats devraient considérer leurs revalorisations, afin qu’ils soient plus incitatifs pour les fonctionnaires. Ce facteur, au-delà de la chasse au per diem, constitue une contrainte à l’efficacité des services publics. Revaloriser les salaires permettrait certainement de motiver suffisamment le fonctionnaire à exceller dans sa tâche et à être moins porter vers la recherche de revenus complémentaires.

En marge d’un système  de paiement de per diem qui se présente aux agents comme une source de dépenses supplémentaires, les Etats doivent s’orienter vers des outils de plannification et de contrôle afin ,d’une part, de réduire les multitutdes de réunion et autres activités « classées » comme mission au strict minimum et d’assurer, d’autre part, un suivi permanent de la participation des agents désignés à ces différentes activités.

L’abus des per-diem sur le continent est un sujet tabou relevant pratiquement de l’économie souterraine. Cela représente un coût caché considérable, avec un impact négatif sur les finances publiques et les efforts de développement. Ca pourrait être qualifié de corruption si l’on suit certains auteurs affirmant que la corruption est constituée de deux faces: l’une publique et comprise comme illégale, et l’autre enchâssée dans les pratiques sociales et légitimée. Il n’existe évidemment pas de solutions simples à un problème aussi complexe, mais toutefois, on peut ameliorer le système, tout au moins pour accompagner le processus de rattrapage du continent tout en assainissant les finances publiques. Une meilleure planification et une réforme de la fonction publique notamment en ce qui concerne le traitement des fonctionnaires seraient un premier pas dans ce sens, qui pourrait être pérennisé avec un système de versement des per diem qui fait appel à la volonté des individus à contribuer au développement de leur institutions et de leur pays.

                                                                                                                              Arnold Peyrol ANGLO.

Sources:

Guy Blaise NKAMLEU and Bernadette Dia KAMGNIA, Use and abuse of Per-diem in Africa, A political economy of travel allowances Working paper series 196 February 2014, African Development Bank

Valéry Ridde, « Réflexions sur les per diem dans les projets de développement en Afrique », Bulletin de l'APAD [En ligne], 34-36 | 2012 URL : http://apad.revues.org/4111

Seven ways to stop per diem abuse in aid work. Posted in NGOs  May 29, 2013, Piroska Bisits Bullen

Les per diem en Afrique : une pression pour les finances publiques

incentivesUtilisé essentiellement comme instrument de motivation, l'abus des per diem est devenu dans certains pays d’Afrique la règle plutôt que l'exception, faussant l'impact des efforts de développement et constituant un poids supplémentaire pour les  finances publiques. Le sujet mérite d’être analysé dans le contexte actuel de raréfaction des ressources financières en dons et les faibles performances fiscales des pays africains. Cet article propose une analyse du système de paiement de per-diem en Afrique et de son impact[1].

Avant toute chose, il convient de préciser que le per diem[2] est une somme d'argent qu’une organisation donne à une personne par jour, pour couvrir les dépenses liées à une mission dans le cadre de travaux effectués loin de son domicile. Cette indemnité journalière élimine la nécessité pour les employés de présenter des rapports de notes de frais. Au lieu de cela les employeurs versent aux employés un taux journalier normal, sans égard du montant effectivement dépensé par l'employé, simplifiant ainsi les formalités administratives en éliminant les contrôles nécessaires dans un système de remboursement de notes de frais.

La pratique du per diem en Afrique

En Afrique, le versement des per diem est apparue dans les années 70-80, pratiquement au même moment que l’aide publique au développement et concomitamment à l’accroissement de la mise en œuvre des projets de coopération internationale. Un observateur critique des programmes d’aide au développement des années 1980 décrivait la manière dont l’arrivée massive de l’aide et des per-diem pouvait provoquer une « new epidemic in Africa : Fat Aids ».

Les taux sont déterminés par voie de négociation entre le gouvernement et les bailleurs de fonds et en fonction de l’activité (ou de la mission) en ce qui concerne les projets financés sur ressources financières extérieures ou de façon discrétionnaire par l’Etat pour des activités financés sur ressources intérieures. Il existe donc des différences considérables du taux de per-diem entre les projets, même lorsque les sources de financement sont les mêmes. Généralement, les per-diem accordés par les donateurs sont plus élevés que ceux accordé par l’état. Au Mali Par exemple, le taux de per-diem du gouvernement  est compris entre 4000 et 7500 FCFA, contre 15 000 FCFA pour les projets financés sur dons (Bergamaschi et al, 2007).

L’absence d’un bon système statistique ne permet pas vraiment d’apprécier globalement ces dépenses. Dans certains pays, l'ampleur des sommes dépensées au titre de per diem est telle que les gouvernements préfèrent ne pas les communiquer. Des rapports récents ont tentés de fournir des données budgétaires sur les indemnités journalières de deux pays : la Tanzanie et le Malawi.

En Tanzanie, un document de politique préparé par le Forum des politiques en 2009 a indiqué qu’entre 2001 et 2006, les sommes allouées au per diem ont augmentés de plus de trois fois. Au cours de l'exercice 2008/2009, la Tanzanie a budgétisé près de 390 MUSD pour les per diem. Un montant équivalent au salaire de base annuel de 109 000 enseignants (soit plus des 2/3 de tous les enseignants du pays). En 2009/2010, le montant alloué aux allocations représentait 59%  de la masse salariale. Une étude de Soreide et al. (2012) pour l'Agence norvégienne de coopération pour le développement a révélé que 16,2% de la masse salariale (soit près de 32% du budget national en 2011) étaient affectés au paiement des indemnités journalières.

Au Malawi, une étude de Peprah et Mangani (2010) a révélé que les allocations liées aux voyages constituent l'essentiel des indemnités et représentent 76% de toutes les indemnités versées en 2010. En proportion des salaires, le paiement des indemnités en général représentait 29%, et celles liées aux voyages spécifiquement représentaient 21,9%. Au cours de la période 2006/2007-2010/2011, le budget « voyage » (la somme des déplacements à l’intérieur et à l’étranger) représentait en moyenne 11,4% du budget national.

Les deux exemples ci-dessus, bien que non représentatifs de la réalité dans tous les pays du continent, donnent une idée de l'ampleur des dépenses en per-diem.

Un système devenu une source complémentaire de revenu

Le paiement des per diem est dans bien de cas justifié, mais force est de constater que les montants sont bien au-delà des frais réels liés à la mission. Un tel système de quotas crée des possibilités d’abus. C’est d’ailleurs ce qu’observe la BAD. Dans certains pays, les per diem sont devenus un complément des salaires, amenant les fonctionnaires à définir des stratégies afin d’en bénéficier. Ce système renforce la pratique de la corruption et affecte négativement l’efficacité de services publics

Les ajustements structurels qu’ont subis la plupart des pays africains dans les années 90, ont affecté à la baisse des salaires dans le secteur public. Depuis lors, le salaire du fonctionnaire est resté relativement faible. Ces bas salaires, dans le contexte actuel de renchérissement du coût de la vie, incitent ces-derniers à accepter les pots de vin ou à détourner des ressources publiques. Pour faire face à cette situation, les gouvernements ont mis en place une variété de récompenses autres que les salaires de base, telles que  des indemnités de déplacement, les droits à pension, le logement, les allocations de santé, éducation, etc. Les indemnités paraissent particulièrement intéressantes pour les fonctionnaires. C’est en effet un moyen légal et non répréhensible d’augmenter le revenu mensuel. Ainsi assiste-t-on à une course au per-diem (per diem hunting) qu’un auteur burundais qualifie de « sport national » ou « gagne,qui peut » avec des stratégies de capture. L’objectif est donc pour les  « perdiemists » de multiplier leur présence au plus grand nombre possible de formations, ateliers et réunions proposant des per diem, parfois même au cours de la même journée ; développant ainsi un véritable « frog-leap », qui se réalise dans la pratique répandue du saut de grenouille. Cette stratégie consiste à signer les feuilles de présence de plusieurs réunions au cours d’une même journée sans y assister réellement. Pour mieux profiter de ce système, des formations, ateliers ou sommets inutiles sont organisés. Cette pratique est ironiquement dénommer « trainingism » ou « workshop symdrom » par les anglophones. Des fois, la même formation est organisée plusieurs fois pour les mêmes participants qui sont pour la plupart du temps absents ou qui passent juste avant la pause café. Certains services publics se trouvent ainsi vider de leur personnel, réduisant par voie de conséquence la performance des services publics.

Si bien souvent la pratique des per diem est justifiée, ce système laisse des marges à bien des abus. Ses abus ont un impact négatif sur les dépenses publiques, les projets de développement et ne facilitent pas forcément  l’atteinte  des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) fixés pour 2015. Ils participent au maintien  du statu quo, à entretenir un ordre négocié et des relations de clientélisme et de pouvoir discrétionnaire. Dans un prochain article, nous allons explorer les pistes pour un système de per diem plus efficace.

                                                                                                                                                       Arnold ANGLO

Sources :

Guy Blaise NKAMLEU and Bernadette Dia KAMGNIA (Février 2014). Use and abuse of Per-diem in Africa : A political economy of travel allowances. Working paper serie n° 196, African Development Bank

Valéry Ridde, « Réflexions sur les per-diem dans les projets de développement en Afrique », Bulletin de l'APAD [En ligne], 34-36 | 2012 URL : http://apad.revues.org/4111


[1] Il s’agit essentiellement des per-diem accordé par l’état, ou issue des aides aux développement au travers de projets, appelé avec humour « Dollar projects » au Nigéria.

 

 

 

 

 

 

[2] « indemnité » ou encore « prime » en français ;  « allowances », « incentive » en anglais