Le Kollectif Afrobeat exporte la culture afro en province

Fela, artiste nigerianA force de rencontre, de mariages, de divorces, et de métissage, la culture africaine a essaimé donnant naissance à de nombreux styles de danse ou encore de musique… Aujourd’hui plus que jamais la culture africaine s’exporte et traverse les âges, elle vit hors du continent grâce à la diaspora et à ses amis.

A Marseille, la diaspora (ou plutôt devrais-je dire les diasporas) et les amateurs de culture africaine ont aussi leur lieu de rassemblement, l’Afriki Djigui Théatri. Depuis décembre, le Kollectif Afrobeat y donne un concert tous les deux mois : la « session Afrobeat ». J’ai assisté pour vous à leur dernier concert le 26 février. Récit d’un bel exemple de diffusion de la culture africaine :

L’Afriki Djigui Théatri, un haut lieu de diffusion de la culture afro

Des bancs par-ci, un vieux fauteuil par-là, des cadres et quelques masques africains aux murs. Le local d’Afriki Djigui Théatri a une décoration basique et un confort sommaire, il a tout d’un simple local associatif. Mais sa buvette improvisée et la petite scène que l’on découvre en fond de salle laisse penser qu’il s’y passe bien plus de choses qu’on ne peut le croire en pénétrant au 27 rue d’Anvers. L’association est un haut lieu de la culture afro à Marseille. Créée en 2001 par l’actrice ivoirienne Nacky Sy Savane et le promoteur culturel Kélétigui Coulibaly, dès ses débuts, l’Afriki Djigui a pour vocation d’offrir un espace d’expression aux artistes africains. Théatre, musique, contes, cinéma, rencontres littéraires, expositions, cette association franco-ivoirienne offre une scène aux arts africains et afrophiles qui ne trouvent pas toujours un lieu d’exposition dans nos villes. L’Afriki Djigui crée un pont entre la diaspora et son continent en lui facilitant l’accès à ses racines. Mais ne vous y trompez pas, l’Afriki Djigui Theatri n’a pas pour but d’être sectaire, sa programmation est riche et va dans le fond et dans la forme au-delà des frontières africaines. Kélétigui Coulibaly prône « la rencontre et la découverte autour de la culture […] et que l’on prenne ce qu’il y a de meilleur chez le voisin). Ainsi la programmation fait aussi la part belle aux arts et styles musicaux dérivés de la culture afro : le blues, le jazz, l’afrobeat…

Le Kollectif Afrobeat, un bel exemple de l'universalité africaine

L’Afriki Djigui Théatri apparaît alors comme la scène toute désignée pour laisser éclater la musique festive du Kollectif Afrobeat. Le groupe né il y a cinq ans à l’initiative deux copains musiciens : Christophe le guitariste et Nicolas le batteur qui rencontrent ensuite Fred le chanteur. Le trio s’entoure progressivement de musiciens talentueux et passionnés pour constituer un orchestre. Le Kollectif Afrobeat, c’est une bande de 15 musiciens qui s’enjaillent sur scène sur un mélange de funk, de jazz et de highlife: l’Afrobeat. « J’adore cette musique, une fois que l’on rentre dedans, on n’en sort plus » confie Louise, une saxophoniste suédoise fraîchement recrutée. Le groupe est riche, varié et métissé à l’image de la musique de Fela Kuti auquel la bande rend hommage. Dans le Kollectif Afrobeat on écoute des hommes, des femmes, des blondes, des brunes, des chauves, des jeunes et moins jeunes, de toutes origines mais pas nécessairement africaine. « Non, nous n’avons pas de lien particulier avec l’Afrique, nous ne participons pas non plus à des actions humanitaires, mais on adhère à la musique et au message de Fela Kuti ». Et quand la bande joue, tous les instruments de l’afrobeat sont là : saxophone, trompette, guitare, batterie, conga, clavier et les emblématiques chekeré et clave. Les différents chanteurs du groupe, fidèles à l’œuvre de l’artiste, reprennent même ses paroles en yoruba et en pidging. « Chacun son moyen de lutte » me dira Christophe ; « Fela était un artiste engagé et faisait passer un message à travers sa musique et nous on prend part à la lutte en jouant la musique de Fela! » Le rythme et la ferveur sont là quand on écoute le Kollectif Afrobeat. Dès l’intro le public agit comme en miroir face au groupe, sourire aux lèvres, les pieds qui battent la mesure. A l’écoute des paroles, on cerne le propos « No agreement today, no agreement tomorrow. I no go agree make my brother hungry».

Fela Kuti et l'Afrobeat : l'histoire d'un musicien engagé

Ni musicienne, ni historienne, je ne connaissais rien de l’Afrobeat ni de son créateur et encore moins son histoire. C’est donc à travers la performance du Kollectif Afrobeat et suite à mes échanges avec ses porte-paroles que j’ai découvert l’art et le combat de Fela Kuti. Il y a quelque chose de frappant dans l’histoire de l’artiste musicien nigérian. Sa musique est à l’image de sa vie et sa vie à l’image de l’Afrique, pleine de ressources et influencée, brave et engagée, entre gloire et déchéance. Né en 1938 au Nigeria, Fela Kuti va faire son éducation musicale en Europe. En voyage aux Etats-Unis au début des années 1970, il se forge une conscience politique. De retour au Nigéria, la musique de Fela Kuti opère un retour aux rythmes africains savamment alliés à des rythme jazz et funk. Ses textes en pidging porte un message politique engagé en faveur de l’émancipation et de la responsabilisation du peuple nigérian face à la corruption de la classe dirigeante de l’époque. Les titres « Why blackman dey suffer » et « no agreement » clairement expriment son engagement. Homme de culture populaire, il est arrêté, battu et incarcéré à plusieurs reprises. Il meurt en 1997 du virus du sida et usé par des années de lutte pour le Nigéria.

Imprégnée, géniale, inspirée, engagée, tragique, telle se résume l’œuvre et la vie de Fela. L’africain est artiste, il devient génie lorsqu’il discipline ses élans créateurs et se nourrit de ses racines pour inventer. Il se mue en leader quand il utilise son art pour conscientiser, il meurt mais son œuvre lui succède quand il a su rassembler. 

Pour qu’elle vive et traverse les frontières, la culture afro a besoin de caisse de résonnance. C’est ce que propose l’Afriki Djigui Théatri à Marseille. Sa programmation met la lumière sur des artistes influencés par la culture afro sous toutes ses formes. C’est le cas du Kollectif Afrobeat, dont certains membres marqués par les performances scèniques de Fela de son vivant, contribuent aujourd’hui à la diffusion de son œuvre. Les oeuvres comme celles de Fela sont une richesse, qui doit être transmis aux nouvelles générations de jeunes africains et issues de la diaspora car la culture est aussi une arme de lutte soft, il est dans l’intérêt commun que la nôtre rayonne. 

Michelle Camara

Antonia Ngoni : Une tragédie bantoue

Antonia ngoniJe n’ai ni lu Sophocle, ni Jean Anouilh. Aussi, je me suis rendu aux Friches des Lacs de l’Essonne, avec à la fois beaucoup de curiosité et d’attente. J’avais loupé les prestations de la troupe du Plateau-Kimpa Théâtre de 2012 à Etampes, ville royale. Il m’était impossible de rater une prestation à Viry-Chatillon, ville mitoyenne de ma cité dortoir. Autant dire, un vrai luxe, à porter de main. 

Narration

Le public a à peine fini de s’installer sur les tribunes, qu’une bande de malotrus se mettent à faire du boucan en langues africaines. Que se passe-t-il ? Les codes d’un spectacle de théâtre seraient à ce point ignorés par ce public majoritairement africain? Je me suis fait avoir. La bande de trublions se retrouve sur scène. La pièce a commencé avec fracas. Un comédien nous transmet des tracts avec l’effigie de Kilapi, dictateur tropical. 

 

«Gloire immortelle au Président,
Kilapi
Le père de la Nation !
Le guide éclairé !
Le démocrate ! »
 

 

L’homme d’Etat ne dort pas. Les premières scènes faites de dialogues entre le potentat et des éléments proches de son entourage comme son médecin, son fils et sa femme permettent de poser le drame qui se joue. Kilapi a fait exécuter son frère Oluka qui s’était joint à une rébellion armée contre le pouvoir en place. La faute est impardonnable et elle exige pour un exercice du pouvoir inflexible, une démarche encore plus radicale : humilier le mort dans son cadavre en lui refusant toute forme de sépulture et en le livrant aux animaux de la brousse.

Criss Niangouna dont j’avais apprécié la prestation dans Le cœur des enfants léopards au Tarmac, livre une nouvelle fois une magnifique prestation où son talent permet de poser le discours du dictateur. En apparence doux, mais redoutable dans la défense de son trône, même à l’endroit de son propre frère. L’intervention d’Antonia Ngoni, son épouse en médiatrice pour que le potentat revienne sur sa funeste décision, va faire basculer cette remarquable adaptation d’une pièce grecque à la portée universelle et intemporelle en une tragédie « bantoue » pour laquelle Jean-Felhyt Kimbirima réussit une remarquable mise en scène.

C’est tellement vrai que pour n’importe quel africain l’identification à la problématique de la violence du pouvoir politique touchera en plein mille, de même que la question de la sépulture dans un espace bantou où le culte des ancêtres est enraciné…Imaginez un homme sans sépulture… Comment en effet, ne pas penser aux pendus de Mobutu dont on se souvient quand on évoque le stade des Martyrs de Kinshasa. Qui, ayant vécu en Afrique centrale, n’a pas entendu parler de l’émasculation d’un opposant déjà mort. Kani Kabwe Ogney propose une relecture de Sophocle qui nous renvoie à la folie du pouvoir politique dans nombre d'états africains qui renie l’essence même de ses croyances les plus fondamentales, pour laisser exploser la puissance de leur imposture. L’appartenance au même clan des deux protagonistes donne une dimension intéressante à cette histoire.

Antonia Ngoni 2Antonia Ngoni

Alvie Bitémo est littéralement habitée par son rôle. Elle défie le pouvoir de son mari. Elle veut une sépulture pour son beau-frère. Par tous les moyens. Contre la démarche de Kilapi qui transgresse les codes. Qui mieux peut réagir à l’ignominie d’un potentat ? Antonia écoute la voix discordante qui parle en elle. Pleure le mort, comme s’il était l’être aimé, mais c’est avant tout contre l’injustice qui se déploit. Une des scènes marquantes de cette pièce de théâtrale est celle où Alvie Bitémo nous fait vivre la douleur de la femme éplorée comme les mamans du bled aux veillées de Brazzaville ou de Pointe-Noire. Alvie est simplement époustouflante.

Exceptée une tirade un peu longue sur les méfaits et les intrigues des occidentaux en terre africaine, cette pièce est très bien rythmée par le mouvement des acteurs, les chants, les voix en off, la danse mais surtout par la qualité de ces comédiens qui rendent accessibles la profondeur de la tragédie de Sophocle et interpelle forcément le spectateur sur sa capacité à s'indigner.

 

Lareus Gangoueus, article initialement paru sur son blog

Antonia Ngoni, Une tragédie bantoue
Plateau-Kimpa Théâtre compagnie
Une adaptation libre d’Antigone de Sophocle par Kani Kabwe Ogney
Une mise en scène de Jean-Félhyt Kimbirima
Avec Alvie Bitémo, Criss Niangouna, Roch Lessaint Banzouzi, Abdoulaye Seydji, Florence Kabamba,

Le poète comme boxeur

« Le poète comme boxeur », Kateb Yacine mis en scène par Kheireddine Lardjam, avec Larbi Bestam et Azzedine Benamara

Entretien avec Kheireddine Lardjam, le metteur en scène de la pièce. 

Votre pièce est intitulée « le poète comme boxeur » en référence à cette citation de Kateb Yacine « Il y a en Algérie cette impulsion qui vient du plus profond des masses, cette aspiration vers la lumière qui fait qu’on vous porte à bout de bras ; on aide un poète comme on aide un boxeur ». Y a-t-il toujours en Algérie ce même engouement populaire pour la culture en général et le théâtre en particulier ?

Ce qui m’a intéressé dans ce recueil d’entretiens que j’ai mis en scène, c’est la parole de Kateb Yacine, pas lui. Elle m’interroge sur n’importe quel poète, le poète universel. Quelle est la place du poète dans nos sociétés de consommation par exemple ? Le poète est, je cite Kateb Yacine, « au sein de la perturbation, l’éternel perturbateur… Le poète, c’est la révolution à l’état nu, le mouvement même de la vie dans une incessante explosion».

Ces quelques lignes, ces paroles, je les recommande à tous les artistes et le spectateur qui viennent voir ce spectacle, je le prends à contrepied : il n’est pas là, juste pour recevoir, il porte véritablement les artistes. En 1997, j’ai effectué une tournée dans le triangle de la mort de l’époque (Alger, Medea, Relizane). Cela a été une année sanglante où les artistes ont été pris pour cibles, notamment à Oran. Beaucoup sont morts assassinés comme Alloua, Ferhdeheb… Je ne faisais pas, à l’époque, cette tournée par engagement, mais parce que le mois du ramadan est un mois culturel. Nous avons joué alors dans un village appelé Theniet El Had qui signifie et cela est très poétique « le pli de l’horizon ». A la fin de la représentation, l’équipe d’organisation nous a laissé à la rue. Aucun hébergement, ni repas n’avait été prévu. Et c’est donc à 22h que le public, apprenant cela, s’est mobilisé pour nous héberger dans la plus belle de leurs demeures et se sont cotisés pour nous offrir le repas. Naturellement, j’ai été très surpris de l’ampleur de la mobilisation et quand j’en ai parlé avec un vieux du public, il m’a alors dit « ce que vous faites est dangereux et très important pour notre société ». Depuis ce jour-là, j’ai décidé de faire du théâtre mon métier.

En Algérie, il semble que le théâtre reste tout de même plus populaire que le cinéma.

Vous savez quelle a été la première « entreprise » nationalisée au lendemain de l’Indépendance, avant même le pétrole ? Le théâtre, en 1963. Le pouvoir connaissait sa force et le théâtre a conservé une grande place pendant très longtemps. Ce que je fais comme théâtre, c’est un théâtre de l’urgence. A un événement correspond toujours une pièce de théâtre.

Votre théâtre est, me semble-t-il, très lié au journalisme. Vous avez été vous-même journaliste. Vous collaborez avec, entre autres, Mustapha Benfodil qui est auteur de théâtre, mais aussi journaliste. Et cette pièce, vous l’avez mise en scène, à partir d’un recueil d’entretiens de Kateb Yacine avec des journalistes.

Je ne fais pas un théâtre documentaire, ni un théâtre d’informations. Vous n’êtes pas la première à me le dire, mais si vous voyez ce lien entre théâtre et journalisme, il n’est sûrement pas conscient de ma part. Je fais un théâtre engagé et pour moi, le vrai théâtre en Algérie, ce théâtre engagé, n’est pas du tout soutenu. Ma compagnie va bientôt être la plus vieille compagnie d’Algérie. Elle a 15 ans et elle est complètement indépendante.

Existe-t-il en Algérie une politique de soutien du théâtre ?

Absolument pas. D’ailleurs, si vous allez sur le site du Ministère de la culturelle sur l’onglet « politique culturelle », vous trouverez le message « page en construction ». Pour l’homme de théâtre que je suis, c’est vraiment tout un symbole.

Kateb Yacine a une relation forte avec l’Afrique…

Kateb Yacine est le premier intellectuel algérien à avoir revendiqué l’africanité. Moi aussi, je suis africain avant d’être algérien. Je suis allé à Dakar, Bamako… et là-bas, j’ai retrouvé plus de trucs de chez moi qu’en allant au Liban ou en Syrie. Je me sens plus africain qu’arabe. Ecoutez la musique de Larbi Bestam, musicien dans notre pièce, c’est une musique africaine avant d’être algérienne. Comme algérien, je me sens africain, berbère, arabe. Pour citer Kateb Yacine « l’Algérie arabe n’existe pas ». L’histoire algérienne telle qu’elle est officiellement enseignée ne débute qu’avec l’histoire musulmane de l’Algérie qu’on nous fait croire pacifiée. « Aslim taslim ». N’oublions pas que c’était avant tout une conquête. Mais ne passons pas aussi dans l’autre extrême, l’algérianité doit passer aussi avant la berbérité.

Vous avez joué cette pièce d’abord en Algérie. L’avez-vous joué en français ?

Oui, j’ai joué la pièce en français en Algérie car la pièce est écrite en français par Kateb Yacine et je fais confiance à l’intelligence du public. Le public algérien est au moins bilingue. Il n’y a pas de traduction dans la décision de mettre en scène. Ils regardent bien Batman piraté et en français ! Pourquoi pas cette pièce ? Quant à la langue française en Algérie, la situation est désormais différente de celle qu’a connue Kateb Yacine. Il est allé à l’école française et il y en a peu qui ont pu alors. Aujourd’hui, malgré la politique d’arabisation qui a été faite en Algérie, la langue française est la première langue obligatoire enseignée dès l’âge de 8 ans, ne serait-ce que pour comprendre ceux de leur famille qui vivent en France. Personnellement, la langue française me permet de créer une distance, elle est devenue en Algérie une langue de contestation. Allez répéter ce qu’a pu écrire Kateb Yacine en français, que Dieu est mort par exemple… en français, cela choque moins. Le grand père de Kateb Yacine lui avait conseillé d’apprendre le français pour dire en français aux français qu’il n’était pas français. Quand moi, je parle français, c’est pour dire l’urgence. Je n’ai pas ce complexe du colonisé.

Voyez-vous le théâtre comme « un lieu d’éducation populaire » comme le voulait Kateb Yacine ?

Je vais vous dire et cela va vous choquer, le théâtre de Kateb Yacine ne me touche pas car c’est avant tout un théâtre d’information. A l’époque, il n’y avait pas de télé ou d’internet pour pouvoir s’informer comme aujourd’hui. Pour informer les gens de la guerre au Vietnam, Kateb Yacine a écrit une pièce. Son théâtre est très lié à cette époque là, aux moyens qui existaient alors.
Et surtout, le théâtre comme « lieu d’éducation populaire ». Qui suis-je pour éduquer ? Je ne fais pas un théâtre pour éduquer. Je fais un théâtre qui pose des questions. Je n’ai aucun mal à me séparer ici de mes pères spirituels dont Kateb Yacine fait partie. C’est parce qu’il parlait de théâtre comme « lieu d’éducation populaire » entre autres qu’on en a fait un Père de la Nation. Il faut déboulonner les statues.

Jouez-vous vos pièces dans d’autres pays d’Afrique ?

Une pièce comme celle-ci, je la vois très bien en Tunisie par exemple, ne serait-ce que parce qu’elle dit aussi qu’une « révolution n’atteint jamais qu’une partie de ces objectifs » et pour d’autres paroles encore fortes qui résonneront certainement chez les tunisiens. J’ai également un projet avec Massamba Guèye, professeur et conteur écrivain qui a créé à Dakar la Maison du Conte. D’ailleurs, les africains me reconnaissent très facilement comme africain et cela va contre cette image fausse qui fait plus des Algériens des arabes. J’ai joué en 2006/2007 « Les Justes » de Camus au Festival des Réalités à Bamako. Mais il est vrai que c’est très difficile de tourner en Afrique. Il y a beaucoup d’aides pour traverser la Méditerranée et on regarde tous vers l’Europe, mais tourner en Afrique, aller dans les pays voisins, c’est presque impossible ; c’est un vrai problème africain. D’ailleurs, la plupart, pour ne pas dire tous les artistes africains ne se rencontrent qu’en Europe. Finalement ce sont les artistes qui sont curieux de la France et pas forcément la France qui est curieuse.

D’ailleurs, quelle est la réception de votre pièce en France ?

Il y a un public en France pour nos pièces. Mais la France « officielle » ne veut pas entendre l’Algérie d’aujourd’hui. Elle reste dans les clichés. Pour que cette France « officielle » nous entende, c’est à peine si je ne devrais pas faire un spectacle en proposant au public français de se fouetter lui-même pour éprouver sa culpabilité. Non. L’Algérie d’aujourd’hui, ce n’est pas cela qu’elle dit. Ni repentance, ni oubli. Cette pièce, si vous entendez bien, elle parle de l’Algérie d’aujourd’hui, une Algérie où la religion peut être critiquée, où il existe une pensée laïque. Encore faut-il l’entendre…

 

http://www.elajouad.com

 

entretien réalisé pour Terangaweb – l'Afrique des idées par Linda Zitouni

Hamlet : journal de bord d’une dernière représentation (jour I)

La chose la plus choyée. Tel signifie en français Limbvani, le nom de ce Téké de 46 ans, heureux papa de deux enfants, issu d’une fratrie de onze frères et sœurs, enfant star dans le Brazza des eighties, qui revient d’une tournée de plusieurs mois en Amérique latine et au Québec, avec son adaptation d’Hamlet. Adaptation née en 2004, lors d’une résidence à Dakar et qui en huit années d’existence, a été représentée dans 31 pays, parmi lesquels on peut citer l’Allemagne, l’Argentine, le Chili, le Niger, le Sénégal, la Suisse. 

Hamlet est une pièce du XVIIe siècle, de l’Anglais William Shakespeare, qui traite de thèmes existentiels et de société comme le vide de l’existence, le suicide, la crainte de l’au-delà, l’avilissement de la chair, le mariage forcé ; à travers le meurtre d’un roi par son frère qui, d’amant, deviendra l’époux de la veuve et le nouveau roi, conformément à la tradition. Face à ce couple criminel, un jeune prince, Hamlet, partagé entre son devoir de vengeance pour l’honneur de son père et ses devoirs de prince pour l’harmonie du royaume. 

Hugues Serge Limbvani (HSL), notre Téké, a repris à 90% cette pièce élisabéthaine pour en faire une création originale, où l’action se déroule en terre africaine et où le doigt est pointé sur la condition féminine : mariage forcé, voie au chapitre, gloire et vertu de l’hymen préservé. Autant de sujets d’alors, qui sont encore d’aujourd’hui. Concours de circonstances, heureux hasard, un Gangoueus (mon responsable de rubrique) au carnet d’adresses bien rempli ? Toujours est-il que lorsqu’elle s’est présentée, j’ai saisi l’occasion de suivre la troupe Bosangani qui, après son périple international, a fini sa saison à Chinon. Je vous propose ci-après le journal de bord de cette intrusion au cœur d’une troupe de théâtre.

Mercredi 14/11/2012

8H : dans le cheval blanc mécanique

Départ de Porte d’Italie pour Chinon. A l’arrière, bouches en o et yeux ébaubis de fatigue, les têtes ballottent au rythme de notre cheval blanc mécanique : les uns sont en récupération de nuits trop courtes, les autres sont en conversation très privée. A l’avant, je suis assise entre le metteur en scène congolais HSL et l’Ivoirien Diabate Ngouamoué aka Polonius, aka 1er fossoyeur ; une bibliothèque vivante, thésard, ethno-méthodologue, qui a connu l’école (rendue obligatoire par décret colonial à tous les enfants de l’Afrique Occidentale Française) à l’âge des prémisses de l’adolescence (pour lui, jugement supplétif pour lui donner la chance d’une éducation pour tous). Les échanges sont riches. On égratigne aussi bien la géopolitique, la culture de la palabre que la distance entre nos élites intellectuelles auréolées de savoirs exotiques et leurs anciens. Les premiers récits passionnants de tournée des uns et des autres me parviennent également. Le brouillard épais, la musique de Wendo, de Madilu, d’Akedengue ou d’Aznavour passe ainsi presque inaperçue. Les kilomètres semblent foulés au grand galop, nous voilà déjà au cœur de la cité médiévale.

12H : un déjeuner haute culture

Une forteresse royale, une Vienne au repos, une ville de vins, de fortifications, telle est Chinon, le pays de François Rabelais ; ce prêtre catholique évangélique, médecin et auteur humaniste qui accoucha au XVIe siècle d’un géant glouton : Gargantua. Pour nous accueillir à l’Espace Rabelais, des techniciens : Fred, le baraqué ; Francis, le chocovore : une tablette pour une tasse de café. Des membres du service culturel de la mairie : Sarah, la stagiaire cherchant sa voie et qui a commis la bévue d’avouer aimer manger épicé. Nos amis de Bosangani, spécialistes du détournement verbal s’en donneront à cœur joie. Un des nombreux moments d’anthologie que j’aurai à partager avec eux. Il y a également Viviane du pôle administratif et financier, Elise, Eric, Chloé, Franck…
Au menu, après les betteraves et salades piémontaises de l’entrée, Viviane nous sert un couscous halal ! Le Sénégalais Abdoulaye Seydi aka Laerte, aka Rosencrantz, aka Marcellus, aka un Comédien, interroge : « Viviane, aurons-nous demain un Tiep bou dien ? » Et c’est reparti ! Viviane devient enfant de la Teranga, on la donne en mariage au célèbre petit frère du grand Youssou, ce chanteur qui voulait devenir président. Désormais on appelle Viviane, Madame Ndour. Après le couscous, suivront les fromages, yaourts, fruits, cafés, desserts chocolatés. Vous avez dit gargantuesque ? Zygomatiques, mâchoires et langues ont fait leur travail. La suite !

14H : spectacle vivant – une gestion à flux tendus

Nouvelle salle. Nouvelle arène. Après s’être sustentés et avoir donné à sa langue un petit échauffement avec des jeux de mots hautement relevés, la troupe se dirige vers la salle de spectacle attenante, pour une première prise de contact. On récite son texte. On écoute l’écho que renvoie l’architecture. On arpente la scène. On découvre les loges. La troupe en a connu des espaces en 31 pays de migration ! Grands espaces, haute technologie et luxe à Québec. Communisme asphyxiant à Cuba. Scène d’orage en Suisse. Tenues fesse-tives au Brésil… Chacun ayant marqué son territoire, pris ses repères et jauger un public qui n’est pas encore là, on se déporte vers l’hôtel.
Délice de kitsch, décor de roman d’Agatha Christie, avec un chat fier jouant les sourds, un jeune chiot, Hermine, qui pensait mes tresses comestibles, le Plantagenêt serait un cadre idéal pour un petit meurtre entre comédiens ! Mais l’heure est à un repos royalement mérité. Ou à quelques palabres bien senties sur cette condition d’artiste. Je n’aurai pas le temps de tendre l’oreille. Avec HSL, nous quittons la petite Angleterre pour acheter un billet de train à Vict Ngoma aka Horatio, qui remplacera au pied levé le comédien qui ne s’est pas présenté au départ de la Porte d’Italie. Un contentieux entre employeur et employé. Chut !

15H : De nombreuses ressources à mobiliser pour mener sa compagnie sur plusieurs continents

Réglages sons, conduite de lumières, impression du texte de la pièce pour les techniciens, liste des invités ; HSL est sur tous les fronts. Comment fait-il ? Est-ce d’avoir mangé beaucoup de manioc, de saka-saka ou de nkoko (quelques délices du Congo) ? Ses ressources, en plus d’une énergie folle, viennent aussi de ce que le théâtre, la vie d’artiste, n’ayant pas bonne presse dans le Congo de son époque, son père le laissait vivre cette distraction, à condition d’être toujours parmi les deux premiers au classement scolaire. Cette rigueur pour pouvoir s’adonner à sa passion, l’ont conduit à une licence en économie au Congo, un Master en économie en France puis un autre à la Conception et la Mise en œuvre de projets culturels. 

De plus, le champ des possibles artistiques étant restreint pour les Noirs en France, il a renoncé à la bataille des petits rôles et des silhouettes pour entrer de plain-pied dans la guerre du rôle sur mesure. Un parcours semé d’embuches mais aussi de victoires au goût de paradis. Parcours qui m’a rappelée celui du cinéaste béninois Sylvestre Amoussou, pour jouer quelqu’un d’autre qu’un voyou ou un marabout. Vous savez, ces figures familières dans l’inconscient du téléspectateur lambda. Côté finances ? En France, les ressources viennent en premier lieu des subventions publiques. La DRAC est à cette enseigne un des interlocuteurs dédiés pour les faiseurs de spectacle. Malheureusement, cette dépendance face aux subsides de l’Etat a tué plus d’une compagnie : délais importants dans le traitement des dossiers, orientations culturelles, etc. HSL a donc préféré s’en libérer au maximum. Dans une logique entrepreneuriale, il finance bon nombre de ses projets sur fonds propres ou en report de budget. Investir aujourd’hui pour gagner demain. Financer une pièce avec les entrées de la précédente. Le but étant la visibilité : un produit doit être connu pour être demandé sur le marché ; il n’hésite pas à prendre des risques (thèmes, formats, etc.) pour faire connaître sa vision. Il faut certes penser au public potentiel, mais l’artiste est avant tout un agitateur et même, un avant-gardiste ! 

Côté humain ? Il faut avoir les nerfs solides et faire appel à tous ses talents de manager. Régler un problème de paie avec un comédien avec lequel on passera quelques minutes après sur scène impose sang-froid, savoir-vivre, professionnalisme, tant dans ses obligations d’employeur que de metteur en scène. Le spectateur se déplace en effet pour apprécier une œuvre. Pour le reste ? Un téléphone, internet, la palabre. Rien ne tombe tout seul dans le bec. Même la Bible encourage à l’action. Message à ceux qui attendent les mains croisées, sous prétexte de prier. 

16H : Ne pas confondre culture et divertissement

En imperméable beige et écharpe rouge, un homme peste sur le désordre du présentoir à l’entrée de l’Espace Rabelais. Je l’aide à ramasser tracts et flyers éparpillés dans un mouvement d’impatience alors qu’il les rangeait. Il s’agit de Dominique Marchès, le directeur artistique du Service culturel de Chinon. Passionné d’art contemporain, entre autres faits d’armes, il vient prendre la température de l’organisation.
HSL demande des modifications, la distribution ayant changé, mais également, le nom de sa compagnie. Me voilà transportée dans les locaux du service culturel de Chinon pour suivre les modifications et réimpressions de supports. Surréaliste ? Non ! Je suis du Zaïre, où l’article 15 de la constitution de la Province du Sud Kasaï assenait à ses citoyens : débrouillez-vous ! Ainsi donc, je me débrouille comme je peux pour mener ma petite enquête et profiter du lieu pour prendre la température du patient Culture. Le patient pour l’instant, ne se porte pas trop mal économiquement, même si en ces temps de crise, les budgets publics sont revus à la baisse, les urgences étant ailleurs. Mais philosophiquement, la culture ne veut plus dire grand-chose. Le public consomme sans analyse, sans enjeu, sans questionnement. Symptomatique d’une époque où l’on a l’impression d’avoir mené toutes les batailles ? La distribution est mise à jour avec les noms des comédiens qui représenteront Hamlet le lendemain. En savant perroquet, j’explique à Chloé que Bosangani, le nouveau nom de la compagnie, qui signifie rassemblement en lingala, est plus porteur que Boyokani qui signifie entente. En effet, le rassemblement implique l’adhésion de tous, dans l’acceptation de toutes les diversités : âges, pays, cultures, religions, sexes, idéaux. 

18h30 : Afrique-Europe, deux continents, deux visions du jeu 

Habitué de la scène sur les deux continents, HSL nous le confirme, il y a une différence entre l’Afrique et l’Europe sur le rapport au théâtre et aux arts en général. Le public africain ne fait pas dans la circonvolution. Très dur, les artistes ne sont pas à l’abri de Remboursez ! sonores et repris en chœur par la foule, lorsque la prestation n’a pas été convaincante. Tandis qu’en Europe, une distance entre le travail de l’artiste et l’accueil du public sera mise en exergue. C’est donc avec une certaine délectation masochiste qu’HSL aime éprouver ses pièces en terres africaines. 

De son côté, Franck Betermin aka le spectre, aka Guildenstern, aka un Comédien, aka 2ème fossoyeur m’apprendra, citant Peter Brook, qu’il y a en Europe, un jeu qui va du sommet du crâne au menton. Quid du reste du corps ? J’imagine que pendant que les voix portaient haut le verbe, les corps élevaient les sculpteurs au sommet de leur art. Si la scène africaine ne manque pas de vitalité, elle souffre par contre de son manque d’ambitions, de son manque de moyens. Le théâtre africain est un théâtre fonctionnel qui parle aux gens des gens. Maboke ou Masolo aux deux Congo, Koteba au Mali, Hira gasy à Madagascar, etc. Et nous les avons déserté, ces théâtres, pour séduire un public occidental, plus à même de payer pour la culture. L’argent appelle l’argent…dit la chanson. 

La culture, qui est un élément de base dans chaque évènement, dans chaque manifestation, est notre quotidien en Afrique. Mais nous avons tendance à oublier nos fondamentaux, à apprendre l’autre avant de se connaître soi, à oublier d’où l’on vient. Et ce, au point de ne plus savoir décrypter nos propres codes. Et ce, jusqu’à pousser l’automutilation en nous soustrayant de la communauté humaine qui crée des universaux culturels, des universaux qui sont le lieu commun de cette même humanité. Ainsi par exemple au théâtre, le boulevard n’est pas une spécificité française, c’est un style qui se décline, dans diverses cultures. Et HSL est fier d’avoir pu brandir l’étendard congolais, dans des contrées reculées du Chili par exemple, où Noir, comme Congolais, étaient autant de nouveautés.

Et pendant ce temps-là à Chinon, les comédiens font un filage allégé. Les uns, les autres connaissent la pièce. C’est pour Vict Ngoma aka Horatio et la Française Marie Do Freval aka Gertrude qu’une répétition un peu plus poussée sera nécessaire. Pour Vict Ngoma, vous avez lu la raison plus haut. Pour Marie Do Freval qui a fait partie de la distribution en 2006, il s’agit de remplacer la comédienne congolaise qui, n’ayant pas obtenu de visa, n’a pu faire le déplacement. 

20H : De Bacchus…

Avec Abdoulaye Seydi et la reine Marie Do Freval, nous sommes de la suite de notre prince Hamlet, aka HSL, pour ripailler chez la famille Brazey, les marionnettistes de la Compagnie du Petit Monde. La chanteuse Manue est également de la partie. Vie d’artiste, famille, condition animale, OGM, culture, voyages, nous trinquons au chinon mais pour tout l’Indre-et-Loire : pas de rivalité entre communes à table. Exception pour Abdoulaye Seydi, car le chinon n’est pas encore halal ! Rires et embrassades, nous retournons au Plantagenêt.

01H : …A Morphée !

Après chaque jour, vient une nuit. Et je dis merci. La journée a été passionnante et longue !

Gaylord Lukanga Feza

A suivre sur Terangaweb – l'Afrique des idées : le jour II du journal de bord 

Rencontre avec BlonBa, producteur artistique au Mali (2)

Suite de la première partie d'interview publiée sur Terangaweb : 

Vous revenez du Mali, où la situation est très complexe avec tout un pan du pays qui est entre les mains de troupes islamistes radicales qui imposent la charia dans la zone occupée, et dans certains cas, détruisent des pans entiers de l’histoire malienne. Quelle est la situation à Bamako ? Pensez-vous l’atmosphère propice pour la reconstruction d’une salle du BlonBa et de manière plus générale, aux manifestations culturelles ?

Historiquement, les grandes manifestations culturelles propres aux traditions maliennes sont liées aux évènements de la vie sociale. C’est le cas notamment du kotèba, satires burlesques des tares de la société, qui jouait et joue encore un rôle important de critique et de liberté d’expression. Les 3000 personnes qui sont venues à la première représentation de Tanyninibougou en témoignent. Ce spectacle présente un tableau au vitriol d’une société enivrée et concassée par la religion de l’argent. Policiers, élus, marabouts, jeunes filles, mères de famille, militaires, chacun en prend pour son grade. Et pourtant, la magie du kotèba opère. La communauté des citoyens, grâce au rire, fait ensemble son examen de conscience et en ressort ragaillardie. Ces formes artistiques sont souvent considérées comme des forums plus fiables et plus véridiques que les débats de l’Assemblée nationale, obscurs pour beaucoup, ou une presse peu étanche à la corruption. Cela peut paraître paradoxal, mais j’ai le sentiment que la période fait justement réapparaître l’urgence de l’art et de la culture, qui s’était un peu affaissée dans les années précédentes où, comme le dit une de nos pièces, beaucoup de Maliens « avait pris la liberté pour une mangeoire ».

Vous animez BlonBa France qui est une succursale du projet malien en France. Dans ce cadre, une collectivité de l’Essonne vous a confié la gestion du théâtre de l’Arlequin de Morsang-sur-Orge en Essonne. Dans quelle direction orientez-vous la programmation artistique de ce théâtre ? Avez-vous plus de pièces africaines dans votre exercice annuel ?

BlonBa avait suscité la création d’une association de droit français pour permettre l’organisation des tournées de la compagnie. Quand la communauté d’agglomération du Val d’Orge, dans l’Essonne, m’a proposé de prendre la direction du théâtre de l’Arlequin, à Morsang-sur-Orge, la convention a été signée avec l’association BlonBa. C’est un signe des temps. Jamais une compagnie née en Afrique ne s’était vu confier un théâtre public en France. Le théâtre de l’Arlequin n’est pas grand : 84 places. Il n’est pas très doté et notre petite équipe ne compte aucun plein temps. Son projet est fondé sur deux axes : l’ouverture aux publics populaires, qui est facilitée par notre tarification originale de 2€, 5€ ou 10€ au choix du spectateur ; une programmation ouverte sur la diversité culturelle. Les spectacles que nous proposons sont d’origines très variées, mais nous consacrons chaque année, au printemps, un « mois de BlonBa » à la création venue d’Afrique et bien sûr du Mali. Cette salle est aussi un point d’appui pour l’organisation des tournées de la compagnie de BlonBa en Europe, pour finaliser des créations, pour faire voir des œuvres… Nous sommes très reconnaissant aux collectivités françaises – la région Ile-de-France, le département de l’Essonne, l’agglomération du Val d’Orge – de nous avoir donné ces possibilités, sans dévier de leur responsabilité propre qui est le service de leurs habitants. Il y a là une préfiguration de partenariats Nord-Sud où chacun trouve son compte, où une vraie convergence mutuelle s’établit.

Il y a deux ans, la compagnie théâtrale BlonBa a joué de manière remarquable la pièce « Vérité de Soldat » qui met en scène le dialogue d’un ancien tortionnaire d’un camp militaire de Moussa Traoré et du prisonnier qui eût à subir durant de longues années ses sévices. Le thème de la réconciliation nationale est au cœur de ce projet avec une construction originale. Y-a-t-il des possibilités de revoir ce spectacle en France ?

« Vérité de soldat » s’inspire du récit du capitaine Soungalo Samaké, l’homme qui a arrêté Modibo Keïta, le premier président du Mali. Ce texte a été recueilli par Amadou Traoré, un des artisans de l’Indépendance que le capitaine a lui même torturé. Ce témoignage d’un militaire placé par les hasards de l’histoire en position de jouer un rôle exorbitant dans la vie politique de son pays, est d’une grande actualité. Il sera présenté au Grand T, à Nantes, du 13 au 16 novembre 2012 et au Drakkar de Dieppe les 21 et 22 novembre, dans le cadre du festival Automne en Normandie. Ce spectacle a également été filmé dans notre salle, à Bamako, et est disponible en DVD, dans la collection de la Copat (www.copat.fr), une coopérative qui réunit d’importants théâtres francophones et dont BlonBa est le premier membre africain. Les DVD de cinq de nos spectacles y sont édités et plusieurs ont été diffusés par des chaines francophones (TV5, France O, Canal à la demande, les télévisions nationales du Bénin, du Congo, etc.).

Pouvez-vous nous présenter les prochains spectacles à venir en France du BlonBa, et les lieux de représentation ?

Nous sommes engagés dans la création d’une série de portraits théâtraux d’artistes maliens que nous appelons « Le Chant du Mali ». Le premier, « L’Homme aux six noms », a été créé l’an dernier avec Lassy King Massassy, un des pionniers du rap malien. Il sera représenté le 17 novembre, à la Maison des peuples et de la paix d'Angoulême, le 23 novembre à la Médiathèque d’Ivry et une dizaine de fois en version « théâtre d’appartement » en décembre et janvier, dans la région parisienne. « Plus fort que mon père », le deuxième épisode de cette série, est en cours de montage autour d’un autre rappeur, Ramsès Damarifa, fondateur du groupe Tata Pound. Ramsès est le fils d’Idrissa Soumaoro, un des chanteurs les plus prenants de la scène malienne. « Plus fort que mon père » sera en création au théâtre Antoine Vitez d’Ivry-sur-Seine en janvier et février 2013 avec une vingtaine de représentations prévues durant le mois de février, à Ivry (samedis 2, 9 et 6 février à 18h, dimanches 3, 10 et 17 février à 16h, mercredis 6 et 13 février à 14h30 + 11 représentations scolaires) et à Morsang (21 et 23 février).

« Ala tè sunogo » (Dieu ne dort pas) est un spectacle qui mêle kotèba et danse contemporaine. Il moque de façon prémonitoire les embûches rencontrées par un jeune opérateur culturel dans l’exercice de son activité. Un des personnages, un enfant des rues, muet, ne s’exprime qu’en dansant… La création de ce spectacle a été interrompue par les événements de mars 2012. Elle va être finalisée à Bamako, puis à l’Arlequin en avril (représentations les 27 et 28 avril) et présentée au Grand-Parquet (Paris 18e) du 2 au 26 mai les jeudis, vendredis, samedis et dimanches. La réflexion de BlonBa autour de la danse contemporaine, que nous cherchons à mieux inclure dans les pratiques culturelles du Mali, aura également une ouverture sur le public les 6 et 7 avril avec de courtes pièces présentées dans le cadre des rencontres Essonne danse (théâtre de l’Arlequin à Morsang-sur-Orge, théâtre Jules-Verne de Brétigny-sur-Orge, centre culturel de La Norville). 

Enfin, nous essayons de faire venir au printemps 2013 le spectacle Tanyinibougou, à destination principalement des Maliens de France, puisqu’il est donné en langue bambara. Si nous y parvenons, ce sera l’occasion de mobiliser la communauté malienne émigrée autour des enjeux éthiques et politiques dont dépend le redressement du Mali.

Alioune Ifra N’Diaye proposait en avril dernier, à la suite de la fermeture de la salle du BlonBa, de créer une télévision communautaire. Avez-vous avancé dans ce projet ou sur d’autres champs de la production audiovisuelle ? 

Alioune continue à explorer les différentes possibilités de donner une nouvelle jeunesse à la production et la diffusion télévisée au Mali. C’est un enjeu capital dans cette période de remobilisation de la société. Mais dans ces temps d’incertitude, la visibilité est faible et la situation peu propice aux projets à long terme. Il faudra un peu de temps. Nous avançons par contre à grands pas dans un projet conçu avant la crise : le studio Wôklôni. Il s’agit d’un centre de formation et de production de films d’animation, qui a déjà réalisé plusieurs essais très convaincants. On peut notamment voir, sur internet, le petit film « Mon si beau village », un dessin animé de Florent Bathily 100 % made in Mali. Un groupe de jeunes graphistes travaille d’arrache-pied, avec beaucoup de talent et d’abnégation à donner vie à cette nouvelle activité qui permettra de fournir aux télévisions africaines des programmes inspirés de la culture et de l’histoire du continent. « Tombouctou », un premier projet de moyen métrage inspiré de la situation au Nord Mali est en cours de réalisation sur une idée d’Alioune Ifra Ndiaye et un scénario de la dramaturge Awa Diallo.

En espace de quelques mois, la démocratie malienne a été bousculée jusque dans ses fondements après plusieurs alternances démocratiques réussies. Aujourd’hui, quel regard portez-vous sur ce pays qui est le vôtre ? Le festival littéraire Etonnants voyageurs va quitter temporairement le Mali pour l’Afrique centrale. Pensez-vous que tout un pan de l’activité culturelle malienne subventionnée par l’aide française est menacée par l’instabilité actuelle du pays ? 

Le Mali est pris dans les paradoxes qui travaillent toute l’Afrique. Sa société est très dynamique : 6 % de croissance par an en moyenne durant les 20 dernières années. Et pourtant le pays n’a pas encore construit des institutions fiables, respectées, capables de représenter l’intérêt général. Les élections ont eu lieu en temps et en heure, la constitution a été respectée, mais l’Etat est vécu comme un corps étranger et il est rongé par la corruption. Le coup d’Etat manqué du 22 mars dernier est le symptôme de ce malaise. Il a eu des effets catastrophiques, aggravant brutalement la faiblesse structurelle de l’Etat et de l’armée, et pourtant, sur le coup, beaucoup de Maliennes et de Maliens ont eu de la sympathie pour les motivations des soldats mutinés. Il en est résulté beaucoup de confusion. Dans ces conditions, la question culturelle est d’une importance cruciale. C’est à travers la culture que se reconstruit l’image de soi, que se fondent des institutions respectées parce qu’ancrées dans les réalités du pays, qu’un imaginaire autonome prend forme et qu’un avenir indépendant se dessine. Il faut pour cela que la culture se recentre autour des urgences du pays. On ne peut répondre à ces enjeux en moulant ses projets dans le désir des « bailleurs » étrangers. C’est pourquoi je ne m’inquiète pas trop des problèmes que vous évoquez. Ils ne touchent pas à l’essentiel. Ils peuvent même être l’occasion d’une prise de conscience qui renouvellera la création malienne et peut-être aussi la conception des partenariats internationaux. Sauf bien sûr si les esprits étaient condamnés au silence par la terrible régression intellectuelle et morale qu’un fascisme à déguisement religieux impose aux habitants du nord du pays. Mais cette menace rend l’insurrection des intelligences et des sensibilités plus urgente encore.

 

Interview de Jean-Louis Sagot-Duvauroux réalisée par Lareus Gangoueus

Rencontre avec BlonBa, producteur artistique au Mali (1)

Bonjour, Jean-Louis Sagot-Duvauroux, vous êtes un des animateurs de BlonBa, une structure malienne indépendante de production artistique et d’action culturelle. Pouvez-vous en quelques mots nous présenter cette aventure culturelle que vous avez initiée avec Alioune Ifra N’Diaye à Bamako ?

BlonBa est né en 1998. Je venais de participer comme auteur et co–producteur à deux aventures artistiques : La Genèse, long métrage de Cheick Oumar Sissoko dont j’avais proposé l’idée et écrit le scénario (sélection officielle Cannes 1999 « Un certain regard ») ; l’Antigone du Mandéka théâtre, mise en scène par Sotigui Kouyaté, qui avait été joué dans d’importantes institutions francophones. Avec Alioune Ifra Ndiaye, nous voulions donner une perspective durable à ce qui s’était engagé là. Deux objectifs nous animaient : créer les conditions d’une économie culturelle autonome au Mali ; travailler d’abord en direction du public malien, en résonance avec les urgences du Mali, en nous inscrivant dans les lignées culturelles du pays. 

Blonba assure à la fois la production d’œuvres artistiques dans le théâtre, le cinéma, des programmes culturels pour la télévision, ou encore, il y a peu, organisait des concerts dans la salle Blonba qui a fermé. Quelle est la démarche de Blonba dans son investissement sur un projet artistique ? Comment choisissez-vous un projet ?

Nous avons commencé avec le théâtre, en reprenant le fil de la rénovation des comédies satiriques du kotèba engagée dans les années 1980 par des artistes courageux et inventifs qui avaient joué un rôle important dans la mobilisation des consciences contre le régime militaire de Moussa Traoré. Très vite, Alioune, qui est réalisateur de télévision, a ajouté à cette activité la production audiovisuelle, avec le même souci de créer un environnement culturel autonome, centré sur les priorités et l’imaginaire du Mali. Et puis nous nous sommes engagés dans l’aventure un peu folle de la salle, un lieu de spectacle, de divertissement et aussi un studio de télévision qui a vite été considéré comme un modèle en Afrique de l’Ouest, tant pour sa proposition artistique que pour la qualité de ses équipements techniques. Dans chacun de ces trois secteurs, nous nous sommes efforcés de construire une économie viable, même quand les subventions font défaut. La production théâtrale s’est essentiellement financée par la vente de nos spectacles à l’exportation. Nous sommes parvenus à un équilibre précaire mais reproductible, ce qui nous a permis de proposer très régulièrement de nouvelles créations. Pour la télévision, nous nous sommes spécialisés dans des programmes liés à la construction de la conscience civique, qui trouvent des commanditaires nationaux et internationaux. La salle a vécu vaille que vaille de la billetterie, de l’organisation d’évènements et comme studio d’enregistrement d’émissions télévisées. Sans nous enrichir, cette orientation nous a permis de vivre et de faire vivre une trentaine de personnes. Elle nous a donné une grande liberté dans nos choix artistiques, notamment en matière théâtrale.

Quel est l’impact, l’influence de la marque BlonBa sur la jeunesse bamakoise ? Y-a-t-il une adhésion à ce concept culturel original et unique dans l’espace francophone d’Afrique subsaharienne ?  

BlonBa est l’œuvre de la jeunesse. Alioune avait vingt sept ans quand nous l’avons créé. A part moi, qui suis plus souvent en France qu’à Bamako, toute l’équipe permanente est plus jeune que lui. Cette entreprise culturelle est très représentative de la montée de générations décomplexées, inventives, tranquillement ouvertes sur le monde, qui donnent tant de tonicité aux sociétés africaines en dépit d’une gouvernance souvent chaotique. La jeunesse bamakoise a rapidement fait de BlonBa un symbole de son dynamisme. A titre personnel, Alioune Ifra Ndiaye jouit d’un grand respect et d’une influence certaine sur les jeunes, qui le considèrent souvent comme un exemple à suivre. L’indépendance sans animosité que nous avons acquise par rapport à la coopération française, souvent considérée comme le guichet unique du financement culturel, souvent courtisée, souvent critiquée à cause de ça, est une des causes de cette popularité. Elle concrétise un « Yes we can » qui taraude la jeune génération. La fermeture de notre salle, après les éènements de mars 2012, a créé un choc. Mais quand nous avons repris notre activité publique, en début octobre, avec la présentation du spectacle d’Alioune Ifra Ndiaye « Tanyinibougou » au Palais de la Culture, 3000 personnes se sont déplacées, témoignant ainsi de l’adhésion du public à notre aventure et à notre propos. Beaucoup des personnes qui disposaient d’invitations ont même tenu à payer leur place pour manifester leur soutien.

Depuis le mois d’avril, la grande salle de spectacle du Blonba de Bamako est fermée pour des raisons techniques et foncières. Est-ce la fin de cette structure ? Quelles sont les alternatives pour reconstruire une telle salle ?

L’économie de la salle était le volet le plus précaire de notre activité. L’hostilité d’une partie de l’administration, la nécessité de rembourser les prêts bancaires, la location du terrain, qui ne nous appartenait pas, la modicité des rentrées de billetterie nous contraignaient à jongler de mois en mois, malgré la renommée d’un lieu qui était devenu au fil des ans un des centres de la vie culturelle bamakoise. Mais cette fragile stabilité n’a pas résisté à la panne d’activité consécutive à la crise malienne et, il faut bien le dire, à la voracité de la propriétaire, mise en appétit par les perspectives que lui ouvrait cette période de non-droit. En fermant la salle, Alioune a immédiatement annoncé que nous tenterions de la reconstruire ailleurs. Nous y travaillons. La crise a créé un électrochoc dans la population et on constate une certaine mobilisation de l’Etat en faveur d’un redressement devenu si urgent. Si la conjonction entre la volonté publique, l’énergie de notre équipe et le soutien des partenaires du Mali s’opère, la nouvelle salle sera rapidement ouverte. Mais au delà du lieu, la créativité de BlonBa est en plein essor. Le « hardware » est momentanément hors d’usage, mais les logiciels fonctionnent toujours. Le spectacle de kotèba Tanyinibougou créé le 6 octobre dernier a été un énorme succès populaire et va être à nouveau représenté à Bamako, dans les régions et à l’étranger. Il marque déjà un jalon dans l’histoire théâtrale du Mali, si liée aux soubresauts de sa vie politique. Et une soixantaine de représentations des spectacles de BlonBa sont programmées cette saison par des institutions culturelles françaises.

En feuilletant le blog de BlonBa, on note que le prix d'entrée des spectacles musicaux tourne autour de 5000 FCFA. Quel type de public se déplace pour voir ces spectacles ? Plutôt étrangers ? Maliens ? Jeunes ?

La salle proposait des spectacles et des divertissements de nature très diverses, financés essentiellement par la billetterie. La tarification visait bien sûr à l’équilibre financier, sans lequel nous perdions notre indépendance. Quand l’accès à un spectacle était à 5000 F CFA, cela limitait évidemment l’assistance aux classes moyennes. Mais nous proposions également des manifestations pour des prix nettement moindres, notamment le Nyènadyè club, qui mêlait soirée dansante et propositions artistiques et qui était fréquenté par beaucoup de jeunes des milieux populaires. Il est aussi arrivé que le Premier ministre de l’époque, M. Modibo Sidibé, un spectateur assidu de nos spectacles, finance des séries de représentations pour le public scolaire et universitaire. Des milliers de jeunes ont ainsi pu voir des pièces comme « Bougouniéré invite à dîner » ou « Vérité de soldat ». L’ouverture de notre activité sur la télévision est elle aussi un moyen de la rendre largement accessible. La question que vous posez reste malgré tout une des principales préoccupations pour une salle indépendante comme l’était le BlonBa. Dans l’état actuel des choses, seul un soutien public permettrait d’engager, comme nous le souhaiterions, une politique tarifaire plus démocratique.

 

Propos recueillis par Lareus Gangoueus, deuxième partie d'intreview à suivre sur Terangaweb