Fiction-Miroir-Réalité et vice versa : Le cas Nollywood (2)

photo de tete E-interview SH

Ken, une amie sénégalaise – peut-être la connaissez-vous, elle est entre autres l’auteure du Baobab Fou, de la Folie et la Mort, de Aller et Retour – m’a confié attendre l’interview de Shari Hammond.

Shari, notre sœur ghanéenne-ougandaise qui était entre ses deux pays pour des raisons professionnelles, a, dès qu’elle a pu convenablement s’installer, pris le temps de nous consacrer un peu du sien. Polyglotte, je lui ai emprunté les mots des langues qu’elle parle ou perfectionne pour vous souhaiter mukulike (luganda), tusemerirwe kukulora (lutooro), akwaaba (twi et ga), wilkommen (allemand), welcome (anglais), bienvenue dans une réalité – celle d’une femme africaine, instruite, professionnelle, globe-trotter, intelligente, comme me l’a dit un certain ambassadeur honoraire en parlant d’elle – bienvenue dans une réalité qui n’est point fiction.

Pour mémoire, ceci est la suite de mon papier diffusée dimanche 6 juillet. Papier dans lequel je vous entretenais via une interview avec Serge Noukoue, de la deuxième édition du Nollywood Week Festival qui a eu lieu du 5 au 8 juin au cinéma parisien l’Arlequin.

Cet évènement a été l’occasion de me faire des nœuds au cerveau, pour reprendre l’expression d’une autre amie, en voulant analyser l’interpénétration entre fiction et réalité. En attendant de partager avec vous mes réflexions profondes, je vous remercie de trouver dans les lignes qui suivent mon e-interview avec Shari Hammond, Responsable Partenariats au sein de l’association Okada Media. Association qui organise le Nollywood Week Festival.

Clic-Text-Send avec Shari Hammond, Responsable Partenariats

Shari HammondGaylord Lukanga Feza : Shari, quel est votre parcours ? Votre histoire ? Votre relation avec les industries créatives ?

Shari Hammond : J’ai fait des études de droit international en me focalisant sur l’Afrique. J’ai toujours aimé me cultiver en lisant, aller à des expositions et découvrir différents artistes. Je m’interrogeais beaucoup sur les différentes scènes artistiques africaines et j’ai donc débuté en m’impliquant dans une revue en ligne d’art contemporain africain (Afrikadaa), en 2011. Par la suite, j’ai rencontré Serge et les autres co-fondateurs de la Nollywood Week.

Dernièrement, j’ai pu collaborer au sein d’un festival d’arts littéraires en Ouganda (Writivism).

Promouvoir, stimuler et développer les industries créatives africaines, qu’il s’agisse des arts visuels, du monde de l’édition ou du cinéma s’avère être pour moi une nécessité, de par leurs contributions au panthéon culturel et à l’essor économique d’un pays.

GLF : Votre formation vous a-t-elle été utile dans vos activités ?

SH : Ma formation de juriste m’a donné discipline et organisation dans mes activités. Il m’est plus facile par exemple de rédiger et relire des contrats de partenariats et autres. Ou encore de prendre en compte les diverses options et mesures juridiques à garantir.

GLF : Quels conseils pouvez-vous donner à ceux qui voudraient se lancer dans les industries créatives, pour leur éviter des écueils ?

SH : Je dirai juste qu’il faut oser relever ses manches et se mettre à la tache dès que l’on a une vision de ce que l’on veut accomplir. Avoir une idée c’est bien, mais une vision c’est mieux. La vision est cette feuille de route qui permettra à tout entrepreneur culturel de ne pas flancher dans les moments difficiles, car il y en a, comme dans toute entreprise. Ce genre d’industrie souffre hélas d’un manque de financements et cela est encore plus difficile en Afrique. Il faut croiser les bonnes personnes : Celles qui croiront en votre projet et qui seront prêtes à s’investir moralement et financièrement.

GLF : Comment choisissez-vous vos partenaires ? Je pense notamment à Total qui a soutenu l’évènement et à l’Arlequin qui l’a de nouveau accueilli.

SH : Nous aimons travailler avec des personnes qui mettent en avant des produits et services de qualité à destination d’une audience africaine ou portée vers l’Afrique. Des personnes qui ont conscience du potentiel et des évolutions, tout comme des avancées exceptionnelles qui ont lieu sur le continent. Des personnes, des mécènes qui promeuvent cette Afrique-là.

Nous ne sommes pas restrictifs quant à nos collaborations. Nous souhaitons stimuler des relations sur le long terme avec des entreprises qui ont fait leurs preuves et qui ne lésinent pas sur la qualité et le respect de leurs clients.

Notre rencontre avec Total a eu lieu par le biais de nos partenaires de l’Association France-Nigéria en 2013. Nous avons depuis engagé de multiples discussions afin de mieux connaître les valeurs et visions de chacun. La Fondation Total a décidé de nous soutenir cette année en raison de notre contribution à un dialogue interculturel et parce que nous créons de nouveaux accès pour de nouvelles audiences.

Le Cinéma l’Arlequin, lieu emblématique au cœur de Paris, nous a donné notre chance lors de la première édition et nous ont fait confiance après cette première réussite. Leur soutien tout au long de la préparation à l’aboutissement du Festival nous a été précieux et nous leur remercions à nouveau pour cela.

GLF : A qui, à quoi seront alloués les bénéfices de ce festival ?

SH : Une chose à savoir est que les festivals de cette envergure ne font pas encore de bénéfices. Le peu d’argent récolté sera affecté à la préparation de l’édition prochaine et à des activités connexes de l’association portant le Festival : Okada Media.

Mother of GeorgeGLF : Présente la journée de samedi au festival, j’ai pu constater l’engouement du public. Nombreux sont ceux à qui on a répondu « Séance complète ! », même pour celles du lendemain. Où tous ceux qui n’ont pu se rendre au festival ou accéder aux différentes séances, peuvent-ils retrouver les films de la sélection ?

SH : En effet, comme dans la plupart des festivals, il est préférable de bien identifier les projections auxquelles on veut assister et prendre son billet dès que possible. Beaucoup de séances ont affiché complet et nous en sommes ravis. Ce festival a pu proposer des premières de films inaccessibles en France et le public qui y était présent a témoigné de son intérêt et de son envie de voir plus de films provenant de l’industrie nigériane.

Notre plus grand souhait, ainsi que celui des directeurs et producteurs présents lors du festival, est d’avoir ces films disponibles sur le plus de plateformes possibles. Des partenaires comme Canal + ou Nollywood TV envisagent d’acquérir les droits de diffusion de certains de ces films. Il reste donc à attendre et voir.

GLF : Si c’était à refaire que changeriez-vous à cette édition 2014 ? Peut-on déjà prendre rendez-vous pour l’année prochaine ?

SH : Question difficile ! Les challenges ne sont là que pour nous faire grandir et nous en apprendre. J’accentuerais peut-être plus la communication, notamment pour inviter le public à prendre ses billets dès la veille du Festival ou en Early Bird comme nous l’avions déjà fait.

Oui. Vous pouvez déjà prendre rendez-vous pour l’année prochaine avec, nous l’espérons, encore plus de films qui vous toucheront et encore plus de rencontres avec ceux qui font Nollywood.

GLF : Le cinéma, grâce à une technique et des moyens de diffusion, met à notre disposition des images, des sons, nous dépeignant un tableau vivant, imitant ou distinguant la réalité. Quelle est selon vous le rôle de ceux qui créent ces images ?

SH : Le cinéma porte bien son surnom de septième art.

Le cinéma étant un art, il est là pour sublimer, dévoiler, dépeindre ou adapter une réalité. L’artiste, ici le réalisateur ou le producteur n’a le devoir que de suivre sa propre ambition et vision, même si cet art est un vecteur considérable d’influences que nous ne pouvons négliger. C’est pour cela qu’il y aura toujours des messages plus ou moins directs dans les films. Le rôle des créateurs selon moi n’est pas d’aboutir à une mission spécifique, mais de faire ce qu’ils font avec brio et ardeur, en définitive de laisser leur marque en ne cessant d’inspirer.

GLF : Shari Hammond, merci.

SH : Merci à vous

Propos recueillis par Gaylord Lukanga Feza

Fiction-Miroir-Réalité et vice versa : Le cas Nollywood

ARLEQUINMusique, cinéma, séries tv, mode : des secteurs liés à l'image. Des secteurs qui rapportent. Des secteurs à la vitalité économique témoin de la capacité et du besoin du continent de créer de la valeur ajoutée à partir de ses cultures et pour répondre à ses préoccupations. Des secteurs rangés sous le fanion : Industries créatives.

Et les industries créatives Chers Tous, sont, comme nous l'indique notre ami commun Wikipédia, « les acteurs majeurs de l'économie de la connaissance. Leur développement rapide est le reflet de la contribution de plus en plus importante de l'économie de l'immatériel à la croissance économique. » Je reviendrai vers vous sur les effets de cet immatériel dans nos vies, à l'occasion d'autres articles.

Je vais ici vous rapporter la voix d'un des acteurs de cette industrie.

E-Interviews

Il s'est déroulé du 5 au 8 juin 2014 au cinéma l'Arlequin à Paris, la deuxième édition du Nollywood week festival.

Serge Noukoue en est le Directeur exécutif. Afféré et très sollicité, c'est par e-mail qu'il a finalement pu nous consacrer quelques minutes d'un temps toujours précieux.

Suivra l'interview de Shari Hammond, Responsable des partenariats.

J'ai demandé à ces deux personnes clefs du festival, de répondre à des questions sur cet événement, sur les industries créatives et sur l'interpénétration entre fiction et réalité.

Clic-Text-Send avec Serge Noukoue – Directeur exécutif

SN(1)GLF : Serge, quel est votre parcours ? Votre histoire ? Votre relation avec les industries créatives ?

SN : Après un Master en Management de Projets Culturels à Paris, je me suis dirigé vers l'audiovisuel de manière générale, en faisant tout d'abord des stages. Puis, très rapidement, je me suis mis en tête de contribuer au développement du secteur audiovisuel en Afrique. C'est une vaste tâche et ce n'est pas évident de savoir par où commencer quand on a à cœur une mission comme celle-là.

J'ai d'abord travaillé en tant que Chargé de projets à Canal France International. Par la suite, j'ai décidé de voler de mes propres ailes en montant ce projet de festival, que j'envisage comme un outil de développement au service de l'industrie du cinéma nigérian.

GLF : Nollywood week festival est un événement organisé par Okada Media, une association loi 1901 en France et créée en 2013.

Quel objet poursuit cette association ? Qui en sont les membres ? L'association est-elle la meilleure structure juridique pour encadrer un tel évènement ?

SN : L'association nous a en effet semblé être la meilleure forme juridique pour ce projet. Mais le projet a précédé la création de l'association. Okada Media a donc été créée parce qu'il fallait une entité juridique pour porter le festival.

Ses membres sont les 3 personnes qui dirigent le festival : Nadira Shakur, Shari Hammond et moi-même. Nous avons également d'autres personnes qui nous ont aidées tout au long de la préparation du festival et qui souhaitent s'impliquer à long terme autour de ce projet.

En tout, l'association compte une petite vingtaine de membres.

GLF : La NWF existe(ra)-t-elle dans d'autres pays ? Présumez-vous ou connaissez-vous le besoin des consommateurs en cinéma nigérian sur les différents continents ? Quelle est votre unité de mesure ?

SN : Potentiellement oui, la Nollywood Week peut avoir lieu dans d'autres endroits. Nous ne nous y sommes pas encore attelés car cela nécessite un travail important en amont et en premier lieu un modèle économique.

GLF : « Okada est l'appellation communément donnée aux moto-taxis que l'on trouve dans de nombreuses villes du Nigéria. Synonyme de débrouillardise et de créativité, l'arrivée de l'Okada a permis de combler un vide et de faciliter l'accès à des zones autrement inaccessibles. En tant que créateur d'accès au meilleur du contenu "Made in Nigeria", ce nom s'est imposé comme une évidence aux organisateurs de la Nollywood Week. » in nollywood.com

Quel est votre ambition à court, moyen et long terme ? Est-ce d'être une courroie de transmissions pour d'autres industries, d'autres géants du continent ? Ou est-ce de travailler dans cette industrie ?

SN : Créer un accès qualitatif au contenu Nollywoodien de qualité est notre objectif. On peut estimer que notre festival nous permet de remplir cet objectif. Cependant, le combat est encore long. Et nous aurons gagné la bataille que lorsqu'il sera normal de voir au cinéma en France, des films nigérians à l'affiche, ou alors sur les grandes chaînes de télévisions de ce pays.

Il est important que l'Afrique consomme ses propres produits culturels et il est important qu'elle les exporte également. Nous avons décidé de nous focaliser sur un pays : le Nigéria. Mais globalement, c'est de ça dont il s'agit. Le cinéma est un secteur stratégique, mais il n'est pas impossible que dans le futur on élargisse notre action à d'autres disciplines.

SALLEGLF : Dans un avenir plus ou moins lointain, le Nigéria pourrait-il devenir un centre de formation cinématographique pour le continent ?

SN : C'est possible, mais ce qui serait davantage intéressant serait que le modèle nigérian fasse des émules ailleurs sur le continent.

Et ce que j'appelle le modèle nigérian ici, consiste à produire des films de manière indépendante avec une véritable optimisation des coûts de production et une autonomie financière.

Dans d'autres parties du continent, les longs-métrages de cinéma ne voient le jour que lorsque les financements en provenance de l'Occident sont obtenus. Cette situation n'est pas acceptable et le Nigéria représente à cet égard un exemple.

GLF : L'Etat nigérian, accompagne-t-il, encadre-t-il cette industrie ? De quelle manière ?

SN : Au Nigéria, qui est un Etat fédéral, force est de constater que depuis peu, le gouvernement central tout comme les Etats locaux – avec une mention particulière pour celui de Lagos qui fait partie des plus dynamiques en la matière – ont donné le La pour que l'investissement culturel soit considéré comme un élément clé de la politique publique.

Des prêts sont proposés aux réalisateurs, des salles de cinéma voient le jour un peu partout. L'importance du secteur est enfin reconnue par l'administration qui y voit un pourvoyeur d'emplois pour la jeunesse, ainsi qu'un vecteur de bonne image du pays à l'étranger.

GLF : Vous étiez présent au Forum économique de la Cade sur Bâtir des industries modernes et compétitives en Afrique. Jeudi 12 juin, vous avez, aux côtés de Sylvestre Amoussou (Réalisateur-Producteur de cinéma), Xavier Simonin (Directeur technique du Festival A Sahel Ouvert de Mbumba au Sénégal) et Jacques Nyemb (Avocat associé), été invité d'honneur de la rencontre-débat de la Cade sur Economies culturelles et créatives d'Afrique : Quelles contributions au développement socio-économique ?

Doit-on comprendre que miser sur la culture et incidemment sur les valeurs ajoutées créées par les activités de ce secteur-industrie peut-être un levier de développement pour notre continent ?

SN : La Culture, les Industries créatives représentent effectivement un outil pour le développement. La difficulté est qu'il faut  avoir conscience de cela pour pouvoir élaborer des stratégies appropriées et les mettre en œuvre. Les industries créatives doivent créer de la richesse et des emplois en Afrique, comme elles le font ailleurs. Le potentiel est là. Les stratégies un peu moins. Mais c'est pour ça qu'il faut regarder vers ce qui fonctionne.  Et le Nigeria, malgré tous les problèmes auquel ce pays est actuellement confronté, semble avoir pris conscience de l'importance des industries créatives. Il faut que d'autres pays s'inspirent de ce qui se fait là-bas et adaptent certains procédés à leurs réalités propres.

GLF : Pour finir, j'aimerais en revenir à des considérations socio-philosophico-culturelles. Le continent est confronté comme partout ailleurs à des problématiques identitaires. Et vous ? Etes-vous un Français d'origine béninoise ou un Béninois de nationalité française ?

SN : J'ai les deux nationalités. Les deux passeports. Maintenant en ce qui concerne mon identité personnelle, elle est on ne peut plus hybride. J'ai vécu en France certes, mais aussi au Sénégal, au Cameroun, en Centrafrique, aux Etats-Unis, au Brésil et ma femme est Afro-Américaine.

Tous ces voyages m'ont nourri. J'ai toujours été curieux et ouvert sur le monde. Le Nigeria m'influence énormément. J'y puise mon inspiration pour beaucoup de choses. Je rêve de décloisonnements, d'échanges. L'Afrique en a besoin. J'ai été dans toutes les régions en Afrique, qu'il s'agisse d'Afrique Centrale, d'Afrique de l'Ouest, d'Afrique Australe, d'Afrique de l'Est, du Nord… Et même si j'ai horreur des généralisations, je peux affirmer une chose : Personne ne connait moins l'Afrique que les Africains eux mêmes… C'est une triste réalité qui puise ses sources dans un passé douloureux que nous connaissons tous. Mais c'est bien à nous-mêmes de choisir si l‘on veut que ce passé continue de nous définir ou pas.

FILE ATTENTEGLF : Quel est l'accès des Nigérians à son cinéma ? Que reflète ce cinéma de ce pays ?

SN : Cet accès pourrait être amélioré. Le cinéma nigérian est populaire sur place bien évidement, mais nous sommes loin de ce que représente Bollywood pour les Indiens par exemple.

GLF : Vous ne semblez pas être un prestataire au service de la culture nigériane, mais un entrepreneur qui investit avec toute l'acuité d'un citoyen conscient des différents enjeux, dans un domaine à forte valeur ajoutée.

J'évoque là votre sélection méticuleuse, aussi bien dans la diversité des sujets évoqués dans les différents films, que dans les personnalités de la délégation nigériane. Des personnes que je qualifierais d'éclairées et engagées. Pouvez-vous nous édifier sur ces points? Quel public visait cette programmation ?

SN : L'idée était de mettre en avant la qualité de l'industrie cinématographique nigériane et de mettre également en avant sa diversité. Il fallait donner à voir un panel de films qui traite des thèmes différent les uns des autres.

L'idée était aussi de présenter ce pays sous son meilleur jour. C'est une sorte d'Opération-séduction d'une certaine manière.

Je pense que ça permet de tordre le cou aux idées reçues. Le Nigeria fait partie de ces pays qui font l'objet de beaucoup de clichés. Clichés négatifs la plupart du temps. Il est important d'aller à l'encontre de tout ça et de rendre possible un véritable échange, un véritable dialogue.

GLF : Afrique anglophone/Afrique francophone, avez-vous observé des disparités entre ces deux blocs ? Que ce soit au niveau culturel, structurel, économique ou autre ?

SN : Les disparités sont importantes… L'Afrique Anglophone est plus avancée économiquement. Peut-être plus décomplexée culturellement aussi. Mais ce qui est primordial, c'est de faire en sorte que ces deux blocs se parlent et échangent, parce qu'ils n'ont finalement que très peu l'occasion de le faire. Et la Nollywood Week sert aussi ça. A décloisonner.

J'ai la chance de parler anglais et français et je suis assez content que cela permette à des Nigérians d'échanger avec des Sénégalais pendant le festival par exemple. Ce sont de petites choses, mais on peut en espérer d'heureux résultats : des amitiés qui se créent, qui pourront déboucher sur des partenariats, sur des co-productions… Qui sait ? C'est aussi ça la magie des rencontres et c'est pour ça qu'il faut plus de rencontres entre Africains francophones et Africains anglophones.

GLF : Serge Noukoue, merci.

SN : Merci à vous. Merci pour votre intérêt et pour vos bonnes questions!

Clic-Text-Send avec Shari Hammond – Responsable Partenariats

SH(1) Chers internautes, Shari Hammond est en ce moment entre deux voyages, non pas de type astral, mais professionnel et d'ordre privé. Dès qu'elle posera un pied sur la terre ferme d'Ile-de-France (région administrative de France au coeœur de laquelle se niche sa capitale : Paris), je m'en irai lui porter un verre d'eau fraîche, lui transmettrai vos meilleures salutations et lui demanderai de m'accorder pour vous un entretien.

En attendant cet autre rendez-vous, j'espère que cette petite e-causerie avec Serge Noukoue vous a édifié sur l'importance de donner à voir du beau, de la qualité, du rêve, sans nier ou renier la réalité.

Mais surtout, à ceux qui sciemment ou pire en moutons de Panurge méconnaissent, sabotent, outragent leurs cultures, empêchant rayonnements culturels et retombées économiques, sachez qu'il n'est pas trop tard pour faire amende honorable, revenir à de meilleurs sentiments et surtout affronter votre miroir culturel en toute sérénité.

Gaylord Lukanga Feza.

Kyle Shepherd joue Xamissa au Festival d’Automne à Paris

Neuvième mois de l’année du calendrier grégorien, septembre est un mois de récolte : vendanges, impôts sur les revenus des ménages et autres contributions fiscales, prix littéraires et lauriers pour les heureux admis.

C’est également un mois où le soleil des pays du nord rejoint de plus en plus précipitamment sa couche, laissant pauvres hères comme joyeux drilles sous les feux électriques des grandes métropoles. C’est le mois qui accueille l’automne en zones tempérées.

Et c’est avec un puissant rayon arc-en-ciel que l’Afrique du Sud illumine et réchauffe de sa culture la Ville-Lumière, à l’occasion de la 42e édition du Festival d’Automne à Paris.

Dans les  lignes qui suivent : la performance du musicien Kyle Shepherd… prétexte à causerie.


graph1Dîners et autres évènements mondains : Et le quidam devient expert

En spécialiste ès Afrique lorsque j’ai en majorité des autochtones, ès RDC lorsque j’ai en majorité pour assemblée des Africains, m’interroge-t-on quasi invariablement sur les Noirs : de Adama à Zenaba, en passant par Ngoyi, Haïle, Nafissatou, une vraie panafricaine quoi ! Sur Koffi Olomide : un bonheur puisque je l’adore. Sur les ‘‘lacunes’’ des langues africaines : le français, l’anglais, l’arabe voir d’autres idiomes, étant copieusement saupoudrés dans nos parlers et chansons. Sur la sape : toujours imités, jamais égalés. Sur l’authenticité de mes cheveux ; ou comment faire preuve de savoir-vivre. Sur la pauvreté des miens dans l’abondance de notre territoire. Sur Tintin au Congo : référence culturelle s’il en est. Sur les banlieusards : dans une Afrique de castes et des classes sociales fortement clivées, la banlieue a mis tous les ‘‘Blacks’’ – on ne dit que peu ‘‘Noir’’ en France, et même, dans la bouche de certains individus on n’entendra que ‘‘personne de couleur’’ – à égalité : tu es au ban, toi comme celui qui d’après toi ne te ressemble pas !

Et dernièrement, parlant musique lors d’une soirée parisienne, un convive rwandais de souligner la perte de vitesse de la musique congolaise sur le continent, au bénéfice des anglophones du Nigeria et même du Ghana. Celui togolais d’affirmer que la musique congolaise restera l’eau sur la table. L’autre de renchérir en vantant les qualités vocales des Sud-Africains, leurs chœurs étant mondialement connus.

Le hasard est une loi qui voyage incognito

graph2Quelques semaines après ce débat musical, en me baladant dans Paris dans les environs du Quartier Latin, mon regard s’arrête sur une grande affiche ciglée Festival d’Automne, l’Afrique du Sud à Paris. Affiche illustrée avec des hommes en habit européen, portant des chéchias rouges. Je suis perplexe. Des Arabes en Afrique du Sud ? Je ne savais pas. Que vont-ils (les organisateurs) encore vouloir montrer ? Yvonne Chaka Chaka née à Soweto et aujourd’hui ambassadrice de bonne volonté aux Nations Unies (dont nous dansions Stimela dans nos boums au Zaïre), Johnny Clegg aka le Zulu blanc (dont on a vu et revu le clip Asimbonanga  sur Télé Zaïre), Miriam Makeba aka Mama Africa (icône de la lutte anti-apartheid dont la chanson Malaïka – ange en swahili – chantée avec Harry Belafonte est un frisson de romantisme), Brenda Fassie (la diva de la pop dont le tube Vul’indlela a été un incontournable des soirées franciliennes), Culoe de Song (super dj qui mixe avec brio musiques africaines et house), n’est-ce pas ça la musique sud-africaine ?

Le hasard donc a fait escale à Paris pour m’ouvrir les portes Festival d’Automne. Festival qui tel un album photo montre différents visages de la famille Afrique du Sud : sous ses jours musique, théâtre, art plastique, performance, cinéma.  

Et sur la première diapo : Kyle Shepherd au Théâtre des Bouffes du Nord, pour la première de Xamissa, le mercredi 25 septembre.

Une brique Brics pour Paname 

Le cadre de cette rencontre est celui de la coopération culturelle et diplomatique entre l’Afrique du Sud et la France.

L’Afrique du Sud, première puissance d’un continent vers lequel tous les regards se tournent – de nouveau, encore, lorgnant sur sa jeunesse, ses terres, son sous-sol, ses émissions de gaz, son soleil, ses eaux, ses matières premières – est le pays arbitre de conflits, tendant à devenir une sorte de Suisse africaine. Au top mondial des puissances minières, il est aujourd’hui également un pays dit émergent et est considéré comme une des grandes puissances de demain avec quatre autres pays : le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine. Ce groupe de cinq est réuni sous l’acronyme anglais BRICS.

La France, membre du G8 (groupe de discussions et de partenariats économiques, représentant les huit pays les plus puissants du monde, économiquement) est aujourd’hui une puissance qui stagne. ‘‘Ces jeunes sont malheureux voire désespérés. Ils ne savent plus où investir leur savoir et leur vouloir […] Une génération sacrifiée […] En France, tout projet social ou économique est analysé en termes de lutte des classes’’ Volker Schlöndorff, cinéaste allemand, dans le numéro 357 de Challenges.

La culture, la diplomatie sont donc ainsi autant d’instruments propices aux dialogues des cultures, aux échanges humains, scientifiques, commerciaux et aux développements économiques subséquents. Mais également, ils confortent des liens créant une reconnaissance mutuelle qui permet protections en période de conflits, aides en cas de crises.

En 2012, la France avait fait rayonner sa culture en Afrique du Sud. En 2013, l’invité devient hôte.

Qui est Kyle Shepherd ?

graph3De ce que j’ai vu et entendu sur scène…

Un artiste talentueux, conscient, à la plastique comme sa musique : métisse, faussement badine, véritablement travaillée.

De ce que j’ai lu sur le net…

Il a 26 ans : né au Cap en 1987. Il se définit sur son site comme un musicien, un poète, un artiste créatif (creative artist).

Il affiche au compteur trois albums : South African History !X, A Portrait of Home et fineART. Il touche à la poésie et a collaboré à différents projets artistiques.

Il est entré en musique par le violon. Il s’en élèvera par le piano, grâce à sa rencontre avec Abdullah Ibrahim aka Dollar Brand, dans une vie précédente. Un musicien qui comme lui est né au Cap et a été pour le jeune multi-instrumentiste en plus d’un maître en musique, un maître spirituel : Il lui aura permis d’atteindre non seulement une nouvelle élévation musicale, mais encore de se révéler à lui-même, en découvrant sa propre musique.

De ce que j’ai glané ça et là après la représentation…

Rien de plus. Ayant posé la question, on m’a répondu : Il est né au Cap.

C’est vrai que le jeune homme déteste les étiquettes.

Et dans un pays où ‘‘ta peau était ton étoile jaune’’ pour reprendre les mots de Barbara Masekela, la question de l’identité reste une question sensible.

Est-il utile de connaître son cépage pour apprécier un grand millésime ? Est-il nécessaire de savoir qui est Kyle Shepherd pour être touché par sa musique ?

L’information, nerf de la guerre, fait partie de notre société de consommation. Et le savoir fait partie de notre condition d’humains.

L’identité n’est pas une donnée accessoire, ni n’est un accessoire.

J’aurais volontiers poursuivi avec un petit crochet historique, pour rappeler les conditions qui ont mené cette partie du monde qu’on appelle aujourd’hui Afrique du Sud, à s’ériger en nation arc-en-ciel. Mais c’est une longue histoire.

Je suppose donc en anthropologue amateur que Kyle Shepherd a une ascendance indonésienne.

Xamissa ?

C’est une création commandée par la directrice artistique du Festival d’Automne, Joséphine Markovits, il y a un an. Elle avait alors, à l’occasion de ses repérages d’artistes pour organiser l’événement, eu de bons échos de la part d’une de ses amies sur le jeune Kyle Shepherd, star montante de la nouvelle génération de musiciens sud-africains.

Le talent de l’artiste aura une fois de plus été son meilleur avocat et commande lui aura été faite de composer une pièce musicale sur Le Cap.

Xamissa ? Prononcez Klamissa. Une sorte de X qui laisse claquer un K, suivi d’une sorte de clapotement salivaire dans ce particularisme lingual des Sud-Africains. C’est ainsi qu’en langue khoi on identifiait la région du Cap.

Xamissa signifie le lieu des eaux douces (the place of sweet waters). Eaux venant de la montagne de la Table. Aujourd’hui s’écoulant en réseaux souterrains, le sol ayant fleuri de constructions urbaines.

Xamissa est la région des premiers peuplements et des premières invasions. C’est la cité-mère. 

Le Cap est aujourd’hui une ville magnifique, cosmopolite, une cité touristique et un haut lieu de tournage de nombreuses réalisations cinématographiques et autres. C’est également une ville gayfriendly.

A noter : l’Afrique du Sud est la première nation africaine à légaliser (en 2006) le mariage homosexuel. Elle est la cinquième au monde. Et Desmond Mpilo Tutu, archevêque anglican sud-africain et prix Nobel de la paix en 1984, est quant à lui le premier homme d’église en faveur de l’homosexualité.

Ayant longtemps souffert l’enfer des discriminations raciales, l’Afrique du Sud a effectivement décidé de tourner le dos à toutes les  discriminations.

Un show en équipe

 

graph4Kyle Shepherd n’est pas seul sur scène. Et il y est très bien entouré.

Claude Cozens (premier à gauche) est aux percussions ghoema. Né en 1989, il a fait ses gammes comme beaucoup au Cap, à l’église, manipulant guitare basse, batterie, piano. Il est repéré à quatorze ans par le pianiste Fred Kruit, enseignant au lycée de Muizenberg, qui l’initiera au jazz. Expérience qui l’emmènera à jouer avec quelques grands du jazz sud-africain, comme Errol Dyers, Hilton Schilder, André Peterson. Il est diplômé de la prestigieuse Université de Cape Town.

Buddy Wells (grand Blanc au regard azur lorsque ses paupières ne tapissent pas ses rétines) est saxophone ténor. Né en 1972 dans une famille profondément anti-apartheid, il s’est très tôt passionné pour les musiques traditionnelles africaines et pour le jazz. Il passera de la flûte au saxophone à

l’écoute des Kippie Moeketsie, Barney Rachabane, Hugh Masekela et autres grandes icônes musicales.

Xolisile Yali, voix, (coupe à la main, yeux étincelants, soulignant mon amateurisme en photographie) a étudié et chanté au sein de l’Université du Western Cape. Il enseigne aujourd’hui les sciences et les mathématiques.

Bulelani Madondile (homme à droite, en blanc), Portia Shwana (femme à droite, en top blanc) et Busisiwe Ngejane (au centre, en chemise blanche) sont tous trois nés dans le township de Gugulethu et ont fait partie, à différentes périodes, du chœur du Lycée de Fezeka, lauréat de nombreuses récompenses. Chœur créé et dirigé par Phume Tsewu.

Bulelani Madonlile et Portia Shwana poursuivent leurs études à l’Université de Cape Town.

Il est de Soweto, mais on le sort quand même

Il ? Notre vuvuzela bien-sûr ! Il serait originaire de Soweto, banlieue de Johannesburg aux batailles et émeutes tristement célèbres, qui ont fait de ce township une des villes symboles de la lutte anti-apartheid.

Nous le sortons donc pour saluer le disciple d’Abdullah Ibrahim qui a enchanté le public du Théâtre des Bouffes du Nord. Un lieu hautement symbolique puisque c’est là que trente sept ans plus tôt se produisit, toujours au Festival d’Automne à Paris, Abdullah Ibrahim. Pour la petite histoire, Abdullah Ibrahim est un pianiste de jazz et compositeur sud-africain, autre grande figure de la lutte anti-apartheid.

Ainsi donc, les traits quelque peu fatigués de l’artiste n’ont en rien entamé son talent. Le petit est doué et le public a été conquis. Qui de s’essayer aux youyous maghrébins. Qui de hurler bravo. Qui de siffler. J’en suis venue à me demander si tous étions de ‘‘réels’’ spectateurs ou si la majorité était composée d’amis, de connaissances de quelqu’un aux Bouffes du Nord.

Pour sûr, le public semblait lui aussi arc-en-ciel, brassant coupe afro, cheveux défrisés, crépus coupés à ras, tressés au naturel ou avec rajouts, cheveux raides ou bouclés, longueurs blondes, brunes, poivre-sel, ‘‘elite financière (qui va à l’opéra) comme élite médiatique (qui va au cinéma)’’ pour reprendre une classification de l’homme de théâtre Olivier Py, dans un article sur le théâtre du numéro de septembre de La Terrasse. Un journal culturel qui a été distribué à l’entrée des Bouffes du Nord, par une demoiselle à qui le show aurait mis du baume au cœur.

Quelques temps forts du show

 

graph5Ma voisine de gauche, une Guadeloupéenne, accompagnée de son doudou et salariée de la Société Générale – l’un des trois piliers de l’industrie bancaire française non mutualiste et mécène de la soirée – était légèrement enrhumée. Elle a donc passé la soirée la tête amoureusement scotchée à l’épaule virile de son cher et tendre. Je suis sûre que les improvisations de Shepherd et les profondes vocalises des quatre fantastiques du Fezeka Youth Choir, lui auront évité tout torticolis.

Son homme, en pleine forme lui, et dont le bras enveloppant n’a pas souffert d’ankylose, battait la cadence sur les hanches de sa dulcinée. Cadence qui a commencé par des caresses, Shepherd ayant débuté la pièce avec un xaru. Un arc traditionnel, non pas pour chasser ou tuer lors de batailles, mais pour jouer, animer, rythmer les actes sacrés ou profanes du quotidien et j’ajouterai, pour enchanter le regard.

Enchanter le regard, car le xaru s’entend et se regarde. Ou plutôt fait regarder avec attention son joueur. C’est en effet dans l’union d’un baiser sensuel que l’instrument fait vibrer l’air des sons qu’on lui insuffle.

Un chœur de larmes. Confrontations des autochtones aux Européens. Exils. Apartheid. Mise au ban sur ses propres terres par des étrangers. Difficultés de se poser en chef de famille, d’éduquer ses enfants, ses cadets, de s’imposer en tant qu’adulte, en tant que citoyen d’une nation, lorsque sa dignité d’être humain est entachée, bafouée au plus intime et à la vue de tous. Souvenirs des meurtres, d’une injustice institutionnalisée. Embarras causé par une réconciliation entre mémoire vive et vivre ensemble jalonné d’obstacles sociaux et économiques que seule une volonté de fer, de tous les jours, peut surmonter. J’imagine combien forte peut être la charge émotionnelle, à l’évocation de toutes ces turpitudes de l’histoire sud-africaine.

Le ton grave et l’attitude du chœur suggèrent un épisode tragique de l’histoire du Cap.

Les larmes de Busisiwe Ngejane achèvent de me le confirmer.

Mon niveau d’anglais ne me permet pas de vous écrire quelques phrases de la pièce et de vous faire partager encore plus avant la beauté et la magie de ce live. Mais peut-être les percevez-vous ?

Solo du saxo. Il n’y a pas que sur les photos que Buddy Wells soustrait à notre vue ses yeux bleus. Il le fait également sur scène. Et c’est avec un jeu sui generis qu’il esquisse de son pinceau métallique un nouveau trait de Xamissa, révélant plus encore la personnalité sonore de la  cité-mère. Notre banc vibre. La femme enceinte à ma droite, une blonde, caresse son ventre rond d’une âme à accueillir : bébé doit swinguer.

J’arrive à détacher mon regard de la scène quelques secondes, pour jeter un coup d’œil sur le public. On dodeline de la tête. On sourit.

Shepherd aime, savoure son art. Mais c’est un plaisir qu’il ne veut pas solitaire. Et tel un amant plié par le désir mais attentionné, il sort de temps en temps la tête de son piano Steinway & sons pour s’enquérir de son public : vous êtes là ? Communions-nous ?

L’amoureuse a chaud. Elle enlève un habit. Shepherd aussi a chaud. Il déboutonne d’un cran sa chemise noire.

graph6Ghoema sessions. Figurez-vous un papillon géant qui fendrait l’air de ses ailes gigantesques. Réaction immédiate : une tempête de vibrations dans tout l’être. C’est l’effet percutant de Claude Cozens. Ghoema est un instrument de percussions sud-africain, qui a été spécialement monté en batterie pour le show. Et Bulelani Madondile ponctue chaque drums de pas bien sentis. 

Dirigiste le Shephed ? Son équipe est souvent tournée vers lui. Attendant de petits signes de tête, feu vert pour entonner les différents actes de la pièce musicale. Je ne sais quoi penser de ces petits signes de tête. S’il faut à chaque fois le regarder pour débuter un acte, pourquoi en chef d’orchestre ne s’est-il pas positionné mieux en avant ?

Mais peut-être est-ce là une mise en scène permettant d’illustrer des manières sud-africaines ? On sait ce qu’on a à faire, mais on accueille d’abord l’aval du chef avant de s’exécuter !

Ou n’est-ce que ses envolées, ses improvisations pour lesquelles deux jeunots s’extasiaient à la fin du spectacle imposent à son band une attention de tous les instants.

Ce que art ne peut, hasard achève

Et une nouvelle aventure riche d’enseignements ! Un voyage musical d’une heure quinze minutes à travers une ville, Le Cap, que je ne connaissais qu’en écrin pour films publicitaires, m’a mené vers une nouvelle acception de l’Afrique du Sud. A côté du beau Henry Cele, interprétant Shaka Zulu, d’après le roman historique de Thomas Mofolo et porté au cinéma dans les années 1980. A côté du grand Madiba (Nelson Mandela), icône africaine, icône mondiale. A côté de Carmen de Khayelitsha, film de Mark Dornford-May mettant en scène la Carmen de l’Opéra de Bizet dans un township du Cap. A côté de Tsotsi, le voyou porté au cinéma par Gavin Hood. A côté donc de mes vieilles photos, de nouvelles se sont ajoutés, dans mon album personnel de l’Afrique du Sud.

Cela m’aidera-t-il aidé à décrocher mon doctorat en ethnologie africaine ? En sociologie des diasporas – spécialité Noirs du monde ? En linguistique des dialectes subsahariens ?

Pour aujourd’hui, j’espère qu’il aura permis aux uns de redécouvrir l’Afrique du Sud. Aux autres aura-t-il sans doute donné envie de vivre la magie des spectacles vivants.

Le Festival d’Automne à Paris se poursuit jusqu’au 12 janvier 2014. Sa programmation réserve encore de nombreuses et belles surprises.

Faites du bien à vos sens et soutenez par la même occasion les cultures africaines, la culture en général, et à travers elle ses artistes : des hommes, des femmes, des citoyens du monde.

Ngiyabonga. Je vous remercie.

 

Gaylord Lukanga Feza

Nalingi yo, mes voeux pour la RDC

Depuis les mikili, d’où certains veulent véhiculer l’image de Congolais nombrilistes, occupés à ramasser des devises pour s’acheter de la sape.

Depuis mbenguè, d’où certains veulent véhiculer l’image de Congolais lubriques, occupés à arrondir leurs derrières pour mieux les faire tourner sur les pistes de danse.

Depuis abloki, d’où d’autres ne sachant plus quoi faire pour laisser la marque de leur passage sur terre, sont prêts une fois de retour au pays natal à tuer père et mère. Leurs doubles passeports soigneusement cachés et prêts à être dégainés pour se faire rapatrier, lorsqu’il y aura de l’eau dans le gaz qu’ils n’auront pas eu le temps de vendre à qui saura le commercialiser. Ci-après mes vœux pour la nouvelle année.

langues RDCEn lingala, une des quatre langues nationales de la RDC. En français, pour permettre aux jusque là majoritairement francophones lecteurs de Terangaweb.com de suivre ma démarche poétique : l’engagement passe par d’autres voies que celle des armes et des violences qui vont avec. 

Voix des armes qui incidemment donne accès à une part de ce gâteau géologique, auquel tout le monde veut goûter !

Avec les célébrations du mois dernier, sainte Nativité, païenne Noël, fervente Yom Kipour, internationale Kwanzaa, etc, nous n’avons raté aucune occasion pour nous repaître de la fécondité artistique de nos chanteurs, danseurs et musiciens. En mode CD/DVD, non piratés.

L’engagement c’est aussi respecter le travail d’autrui et donc acheter en VO pour permettre aux artistes de toucher leurs droits d’auteur. Ou via YouTube. Le mode live étant réservé aux meilleurs d’entre eux : nos chers frères et sœurs en Christ.

Les bienpensants arrivent ainsi, petit à petit, à entraver notre rayonnement culturel, au nom du développement de leurs futurs portefeuilles ministériels. Ci-après donc mes vœux, d’amour et de paix, pour ma RDC.

CARTERDCRDC… République Démocratique du Congo. 2.345.409 km². Plus grand que le Groenland, le Pérou ou l’Indonésie. 80 millions d’habitants. 10 millions de morts en 10 ans, au nom d’une guerre pour s’accaparer ses richesses. Car la RDC c’est… Un fleuve majestueux, pouvant alimenter en hydro-énergie l’Afrique du nord au sud, et pas seulement. Une faune variée, une flore luxuriante qui en fait le poumon de l’Afrique et un haut lieu ésotérique. Un sous-sol scandaleusement riche. En minerais, en pierres et métaux précieux. Des sociétés aux structures complexes, aux cultures hétéroclites et tout à la fois connectées. Des arts, premier dans le cœur des profanes comme dans celui des fins limiers. Et à ça s’ajoute une joie de vivre, hors compétition. Autant de convoitises qui n’en finissent pas de faire couler le sang de ses habitants. Le sang des miens. Mon sang.

Note vocale

Koyoka nsoni te po balelisi yo                                        N’aie pas honte qu’ils t’aient fait pleurer
Ngay, nakolinga yo kaka                                                 Moi, je t’aimerai toujours
Kobombana te po bakitisi yo                                          Ne te cache pas d’avoir été humilié
Nalinga yo, nakolinga yo lisusu                                     Je t’ai aimé, je t’aimerai encore
Kobanga te po na kombo to ekolo na biso                  Ne crains pas pour notre nom ou notre culture
Nalingi yo                                                                          Je t’aime

Yo, mwana ya mboka na ngay Congo                        Toi, l’enfant de ma patrie le Congo
Yo, mama na nga ata obota ngay te                            Toi, ma mère qui ne m’a pas mise au monde
Yo, tata na nga ata obokola ngay te                            Toi, mon père qui ne m’a pas élevée

Mosika naza, nayoki nsango na yo ya mawa             Bien que loin, j’ai entendu ton chagrin
Mosika navandi, nayoki nsango na yo ya mpasi       Bien qu’éloignée, par ta peine j’ai été touchée
Mosika nakenda, nayoki nsango na yo ya somo       Bien que partie, par les atrocités que tu subies j’ai été rattrapée

Na tiye pembeni bisengo to bampasi na ngay ya mukolo      J’ai mis de côté mes peines ou mes joies
Po nakomela yo mwa mokanda oyo                                           Pour t’adresser cette petite correspondance
Po natikela yo liloba na web otanga, to batangisela yoyang Pour te laisser à lire ces mots sur le web ou qu’on te les lise

Ndeko na ngay, ata toyebani te                                                 Mon frère, ma sœur, même si nous ne nous connaissons pas
Ata bokutani na biso ekokaki kosuka na mukuse                  Même si notre rencontre aurait pu tourner court
Nalingi yo                                                                                      Je t’aime

Losambo na ngay po na mikolo oyo ezo ya                           Ma prière pour les jours prochains
Makasi na biso ezala na kimia ata okati ya etumba             Que notre force soit dans la paix même au cœur des troubles

Salongo na biso ezala po na kotonga mboka, pona kotangisa makila te
Que nos chantiers visent à la construction de la patrie, pas à la destruction des chairs

Bafimbo bafiakulaka na yango bankoko,
Ces chicottes avec lesquelles furent châtiés nos anciens

Tolokota yango po nakofiakula oyo ya biso bandeko te
Ne les ramassons pas pour humilier les nôtres

Na mayele nini to koteya kimia, bosembo pe mosala na bana na biso?
Avec quelle discernement inculquerons-nous paix, justice et travail à nos enfants ?

Mbala boni to kosenga bolimbisi, mbala boni to kobandela masumu ?
Combien de fois demanderons-nous pardon ? Combien de fois perpetrons-nous les crimes ?

Na lokumu nini to kotambola o kati ya mokili oyo
Avec quelle dignité irons-nous par le monde ?

Soki po na mwa kimokonzi, totumba bandaku, toteka mapangu, toboma bana ?
Si pour un peu de pouvoir, nous brûlons nos maisons, vendons nos terrains, tuons nos enfants !

Lobi na yango, mususu aya, abongisa, tobandela matata po na kosenga oyo biso moko tobwakisaka !
Puis lorsqu’un autre viendra, arrangera ce qu’on a gâché, encore revendiquerons-nous ce que nous avions nous-mêmes abandonné ?

Na tuni lisusu : Na libota nini matata ezalaka te ?              Je demande : Dans quelle famille n’y a-t-il pas de problèmes ?
Ndeko, kanisa                                                                            Camarade, médite ceci
Bakati mbula na makasi, lifuta na bango : libungutulu       Le sort de ceux qui par la force font cesser la pluie : le néant
Kiamvu po na lifelo                                                                    Un pont pour l’enfer

Nzete oyo ezo kweya, esalaka makelele koleka nzamba oyo ezo bota
L’arbre qui tombe fait plus de bruit que la forêt qui pousse

Na nse ya masasi, ya bitumba, ya mobulu, bilelo, matanga
Sous le feu des balles, des combats, dans le désordre, les pleurs, les deuils

Elanga nini tokolona mpo na bana na biso ?
Quel champ des possibles pour nos enfants demain ?

Lisusu ndeko                                                                            J’ajouterai encore
Nzamba eza lititi moko to niama moko te                            La fôret n’est pas une herbe ou un animal
Mboka eza moto moko to mosala ya moto moko te          Une nation n’est pas un citoyen ou l’action d’un seul citoyen
Tozala lisanga                                                                          Soyons unis

Kasi, na maloba nyonso oyo natindeli yo ndeko na ngay, bomba oyo lyoko
Cependant, de tout ce que je t’ai écrit mon frère, ma sœur ne retiens que ceci

Nalingi yo
Je t’aime

Photos

Des mots, mais également des images.  J’ai tenu dans ma recherche à ce qu’il y ait des images d’hommes (je ne sais pas comment on vérifie qu’une image est libre ou non de droits).

La misogynie est un mal qu’on ne peut nier. En illustrant ma lettre de vœux, avec des images d’hommes et de femmes (des images poignantes, pas misérables), ça permet de toucher tout le monde et rappeler que les maux de la guerre ne touchent pas que les plus faibles. Ils éclaboussent tout le monde : les hommes (force de la nation), les femmes (sans qui aucune vie n’est possible), les enfants (l’avenir).

Ne voulant pas tomber dans la carte postale ou l’incitation au safari, je me suis limitée pour la nature (dans laquelle on vit) à la fois paisible et évoquant le danger (celui de la chute en l’occurrence).

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Crédits Photos: Girl du jour, Le Figaro, Guardian, CNN, Eralis.net, Wanuke.net

Gaylord Lukanga Feza

Hamlet : journal de bord d’une dernière représentation (jour II)

Cette article fait suite à la description du Jour I de la troupe de théâtre

Jeudi 15/11/2012

10h : Une genèse douloureuse
Atelier théâtre du lycée François Rabelais, rassemblant une vingtaine d’élèves de la seconde à la terminale. Les élèves veulent savoir comment Hamlet, le Danois, devient Hamlet, le Congolais.
Le premier élément de réponse est dans cette destination finale qui nous est commune à tous : la mort. En attendant de connaître la sienne, Hugues Serge Limbvani (HSL) a subit celle de sa mère. Une douleur, mais également une révélation. Le cartésien jeune homme, qui un temps avait fréquenté le séminaire a non seulement connu le désespoir d’un cœur orphelin, mais encore a-t-il vécu l’expérience de recevoir un message de l’au-delà, celui de sa mère. Peu de personnes ont le privilège d’une telle communication. Il n’est pas le plus choyé par hasard. Le deuxième élément de réponse vient d’une autre douleur, celle de la brutalité du mariage forcé : accomplir ses devoirs de femme, de mère, jour après jour, dans une intimité subie. Il l’a vécue à travers l’histoire d’une de ses amies sénégalaises, étudiante en pharmacie, qui pour fuir sa vente forcée, le supplia de l’épouser en premier. 

Nouveau bourdonnement : Est-il facile d’adapter un classique ? A cela, HSL confie qu’il n’est pas aisé pour tous de voir un classique revisité. Changer la mise en lumière des personnages peut gêner certains puristes. Il y a même ceux qui prennent position sans avoir vu la pièce. A ceux là : « une mangue, tant que tu ne l’as pas épluchée et mise en bouche, tu ne connais pas sa saveur. ». Pour ce qui est des comédiens qui composent sa troupe, il choisit ceux qui peuvent entrer dans son univers. La flexibilité est de mise, il faut des comédiens capables de changer leur jeu au pied levé. Ainsi, pour interpréter Hamlet dans un village au Niger où la francophonie n’a pas eu le monopole du verbe, des adaptations ont été nécessaires. Toutes les ressources de jeu du comédien sont alors sollicitées : gestes, interprétations, expressions. Les sentiments viennent au secours des mots. Egalement, cette fois où les costumes sont arrivés bien après la représentation ou lorsque la moitié de l’effectif n’avait pu répondre présent pour une représentation, les escales et correspondances ayant par trop rallongées le temps de trajet des comédiens, là encore, polyvalence, inventivité, force du jeu ont été les maîtres mots.

11h : Je me voyais déjà, en haut de l’affiche
Spontanéité, don de soi, les élèves sont conquis par la personnalité d’HSL et sont ravis d’être rentrés dans les confidences de l’artiste. Après la théorie, la pratique, par une initiation aux techniques de jeu : respiration, voix, intonations, en vocalisant sur une chanson africaine. Il transforme la classe en un chœur congolais, psalmodiant la perte de celle qui l’a porté : Maman est partie se plaint l’orphelin, Maman avec qui m’as-tu laissé ? Plus les élèves s’appliquent à rendre la parfaite tonalité, plus l’émotion à fleur de peau, va crescendo. Et HSL de ponctuer avec un « Donc voilà comment on fait », brusque et inattendu. Rires détendus et de soulagement. C’est du tréfonds qu’était tiré chaque son. L’hommage à la mère est fait. La leçon est donnée. Certains élèves repartent en fredonnant la chanson.

14h30 : Expression totale
Tantôt, c’était un sexagénaire ivoirien, canne à sa dextre, chapeau sur un crépu poivre et sel. Et voilà que paré d’un nouveau costume, celui de Polonius le géniteur d’Ophélie, c’est un Diabate Ngouamoué sautant, dansant, livrant une prestation à laquelle la lecture de la pièce ne m’avait pas préparée. Quand est-il en représentation ? Dans la vie, lorsqu’il va d’un pas tranquille et livre ses hautes pensées à qui veut prêter l’oreille ? Sur scène, lorsqu’il livre une prestation époustouflante ? Cette première représentation devant les élèves est suivie d’une rencontre avec HSL, metteur en scène, aka Hamlet. Les élèves ont été surpris par l’adaptation. On y chante, on y danse, on rit de la mort, il y a beaucoup de sexe. Oui, HSL est un homme des arts de la scène. Musique, chant, danse, tous les arts sont représentés et il les embrasse avec énergie et enthousiasme. En Afrique, la formation des artistes est en jeu complet : arts de la palabre, arts du mouvement. Son travail est donc un travail sur l’expression totale. 

Par ailleurs, HSL est un partisan farouche du métissage. Cela se voit sur scène. Les comédiens viennent d’horizons divers. Cela s’entend. Le répertoire musical qui habille les scènes va de Mozart l’Egyptien à Nora Jones ; les langues d’expression naviguent entre malinke, lingala, wolof. Et de bazonkion au moonwalk, il se fait également plaisir dans la mécanique corporelle. L’expressivité du corps se retrouve aussi dans la grivoiserie de certaines répliques ou certains gestes. Ainsi la scène torride d’ouverture entre le Camerounais Jean Bédiebé aka Claudius et Marie Do Freval aka Gertrude. On eu dit Mars et Venus. Ou encore, ce baiser qu’il n’a pas été au départ aisé à la jeune comédienne Lucile Delzenne aka Francesca, aka Ophélie, aka une Comédienne, d’échanger avec son partenaire et metteur en scène. A cela, HSL nous rappelle que le sexe est à la base de la vie. De même que cette mort dont il semble privilégier le comique au tragique. L’humour fait partie intégrante de la culture africaine. Elle est utilisée pour désamorcer et apaiser les tensions. On a eu et on a de nombreuses raisons de pleurer. Esclavages, colonisations, expressions négatives du langage, quand c’est noir, ça ne va pas. Rires des élèves.

17h : Ophélie ou la condition féminine. HSL ou la condition masculine
Ophélie est une jeune fille courtisée par un prince, Hamlet. Son père, son frère, la mettent en garde : les assauts du jeune homme ne sont que pour lui prendre sa virginité, sans jamais en faire une épouse. Elle doit préserver sa vertu. Qu’est-ce qu’une femme qui s’est ouverte mais à qui on a gardé closes les portes de l’union sacrée ? Ophélie n’est pas naïve. Mais Ophélie est retrouvée morte. A sa prochaine représentation, allez voir la pièce, vous vous ferez votre idée sur la question. 

HSL est un homme d’aujourd’hui. Entre deux cultures, comme Hamlet dans son adaptation. Souvent parti, comment gère-t-il sa vie de famille ? « Difficile de tout concilier. Mais je leur transmets aussi la valeur travail». Et avec un papa globe-trotter, si les périodes d’absence sont toujours désagréables, la géographie elle, s’apprend naturellement et dans le plaisir. Les enfants ont grâce à ça une conscience aigüe de faire partie d’un monde plus vaste que l’univers de leur quotidien.

19h30 : Réunion HSL et sa troupe : Passion doit rimer avec économie
Le manager est face à son équipe. Je ne suis pas autorisée. J’en profite pour siester. 

20h30 : Etre ou ne pas être conquis par Hamlet Congolais
C’est l’heure de la seconde et dernière représentation de la saison. Le bilan après huit années ? Le public est en premier lieu séduit par l’originalité de la démarche. D’autres sont fortement émus quant à certaines scènes. En effet, les Africains par exemple, ne se reconnaissent pas toujours dans cette Afrique contemporaine, confrontée à l’évolution du monde, « où l’amour perd sa pureté, la famille sa solidarité et l’homme son identité ». C’est vrai qu’il y a encore quelques décennies, voir quelques années, il était inconcevable et ressenti comme une honte de laisser errer des enfants, d’insulter ou battre ses parents. Ah !
Globalement en France, Cartoucherie, Fontainebleau,… la pièce a été bien reçue. A Chinon, le silence des élèves pendant la première représentation a été pour HSL, un silence bavard, témoignant de l’intensité de ce qu’ils vivaient en regardant la pièce.  En sortant de la salle, j’ai capté ça et là des « je suis ravie », « on ne s’y attend pas, n’est-ce pas ? » et des mines réjouies.

23h : Nous sommes avant tout des hommes
Les parents de Franck Betermin aka le spectre, aka Guildenstern, aka un Comédien, aka 2ème fossoyeur étaient du public. Bonheur et stress d’être vu par les siens. La soirée se termine autour d’un buffet avec différents artistes du Festival Plumes d’Afrique, comme les marionnettistes du Burkina Faso, qui ont ramené de très loin d’autres géants.  Le Festival Plumes d’Afrique est un festival initié par le Réseau Afrique 37, un collectif départemental des associations de coopération avec l’Afrique, qui a à cœur de montrer à ses concitoyens un visage autre que celui par trop connu du misérabilisme qu’on colle habituellement à l’Afrique. Rendez-vous bisannuel, très attendu par les habitants du département, le festival en est à sa sixième édition. Il crée un tel engouement, qu’à chaque année de nouvelles communes veulent elles aussi recevoir cette Afrique de richesses, de cultures, de savoirs. HSL n’aime certes pas les ghettos, être ramené à sa couleur, à sa race ou que sais-je, au lieu d’être simplement considéré dans sa dimension artistique. Cependant, c’est avec honneur qu’il a représenté son Congo, à Chinon, dont le directeur artistique, Dominique Marchès, a fait le choix et le bon, en l’invitant en marge du festival.

04h30 : Intermittent du spectacle, permanent de la vie
Le théâtre est une passion qui ne nourrit pas encore suffisamment Vict Ngoma aka Horatio. Ne pouvant y puiser sa seule source de subsistance (et d’intérêt), nous l’accompagnons HSL et moi avant le chant du coq à la gare de Tours, pour qu’il puisse prendre un train pour Paris et être à l’heure à sa formation en management, à neuf heures pétantes. 

08h : Fin de saison pour Hamlet. Et après ?
Nous remontons notre cheval mécanique pour rejoindre Paris. HSL adore Shakespeare. Cet anglais aborde pour lui les faits de société avec une vision particulièrement africaine. Sa philosophie se prête très bien aux expressions imagées de l’Afrique. Cet auteur est classique, certes, mais très simple, si ce n’est le plus simple à adapter. Après Othello en 1999, Hamlet en 2004, sa prochaine œuvre qu’il attaquera : Romeo et Juliette. Cette fois, la transposition se fera entre la Palestine et Israël. 

Cependant Shakespeare n’est pas le seul à avoir les faveurs d’HSL. Il a adapté la célébrissime Les bouts de bois de Dieu d’Ousmane Sembène, publiée en 1960 et relatant la lutte syndicaliste d’ouvriers africains d’une colonie française. Et il a eu le privilège de travailler avec l’auteur sur cette adaptation. C’est durant cette résidence que naîtra Hamlet. En 1992, il donnait A B C de notre vie de Jean Tardieu, au théâtre Mouffetard. En 1994, la Déchéance d’après Jazz et vin de palme d’Emmanuel Dongola, au théâtre Silvia Monfort. En 1996, les noces posthumes de Santigone de Sylvain Bemba, à Ouagadougou. En 1997, la valse interrompue, à Avignon off. Il anime également des stages à l’international. A quelle heure se repose HSL ? Je ne sais pas. Moi je suis ko. Je ne suis pas coutumière de tels rythmes !

 

Gaylord Lukanga Feza

Hamlet : journal de bord d’une dernière représentation (jour I)

La chose la plus choyée. Tel signifie en français Limbvani, le nom de ce Téké de 46 ans, heureux papa de deux enfants, issu d’une fratrie de onze frères et sœurs, enfant star dans le Brazza des eighties, qui revient d’une tournée de plusieurs mois en Amérique latine et au Québec, avec son adaptation d’Hamlet. Adaptation née en 2004, lors d’une résidence à Dakar et qui en huit années d’existence, a été représentée dans 31 pays, parmi lesquels on peut citer l’Allemagne, l’Argentine, le Chili, le Niger, le Sénégal, la Suisse. 

Hamlet est une pièce du XVIIe siècle, de l’Anglais William Shakespeare, qui traite de thèmes existentiels et de société comme le vide de l’existence, le suicide, la crainte de l’au-delà, l’avilissement de la chair, le mariage forcé ; à travers le meurtre d’un roi par son frère qui, d’amant, deviendra l’époux de la veuve et le nouveau roi, conformément à la tradition. Face à ce couple criminel, un jeune prince, Hamlet, partagé entre son devoir de vengeance pour l’honneur de son père et ses devoirs de prince pour l’harmonie du royaume. 

Hugues Serge Limbvani (HSL), notre Téké, a repris à 90% cette pièce élisabéthaine pour en faire une création originale, où l’action se déroule en terre africaine et où le doigt est pointé sur la condition féminine : mariage forcé, voie au chapitre, gloire et vertu de l’hymen préservé. Autant de sujets d’alors, qui sont encore d’aujourd’hui. Concours de circonstances, heureux hasard, un Gangoueus (mon responsable de rubrique) au carnet d’adresses bien rempli ? Toujours est-il que lorsqu’elle s’est présentée, j’ai saisi l’occasion de suivre la troupe Bosangani qui, après son périple international, a fini sa saison à Chinon. Je vous propose ci-après le journal de bord de cette intrusion au cœur d’une troupe de théâtre.

Mercredi 14/11/2012

8H : dans le cheval blanc mécanique

Départ de Porte d’Italie pour Chinon. A l’arrière, bouches en o et yeux ébaubis de fatigue, les têtes ballottent au rythme de notre cheval blanc mécanique : les uns sont en récupération de nuits trop courtes, les autres sont en conversation très privée. A l’avant, je suis assise entre le metteur en scène congolais HSL et l’Ivoirien Diabate Ngouamoué aka Polonius, aka 1er fossoyeur ; une bibliothèque vivante, thésard, ethno-méthodologue, qui a connu l’école (rendue obligatoire par décret colonial à tous les enfants de l’Afrique Occidentale Française) à l’âge des prémisses de l’adolescence (pour lui, jugement supplétif pour lui donner la chance d’une éducation pour tous). Les échanges sont riches. On égratigne aussi bien la géopolitique, la culture de la palabre que la distance entre nos élites intellectuelles auréolées de savoirs exotiques et leurs anciens. Les premiers récits passionnants de tournée des uns et des autres me parviennent également. Le brouillard épais, la musique de Wendo, de Madilu, d’Akedengue ou d’Aznavour passe ainsi presque inaperçue. Les kilomètres semblent foulés au grand galop, nous voilà déjà au cœur de la cité médiévale.

12H : un déjeuner haute culture

Une forteresse royale, une Vienne au repos, une ville de vins, de fortifications, telle est Chinon, le pays de François Rabelais ; ce prêtre catholique évangélique, médecin et auteur humaniste qui accoucha au XVIe siècle d’un géant glouton : Gargantua. Pour nous accueillir à l’Espace Rabelais, des techniciens : Fred, le baraqué ; Francis, le chocovore : une tablette pour une tasse de café. Des membres du service culturel de la mairie : Sarah, la stagiaire cherchant sa voie et qui a commis la bévue d’avouer aimer manger épicé. Nos amis de Bosangani, spécialistes du détournement verbal s’en donneront à cœur joie. Un des nombreux moments d’anthologie que j’aurai à partager avec eux. Il y a également Viviane du pôle administratif et financier, Elise, Eric, Chloé, Franck…
Au menu, après les betteraves et salades piémontaises de l’entrée, Viviane nous sert un couscous halal ! Le Sénégalais Abdoulaye Seydi aka Laerte, aka Rosencrantz, aka Marcellus, aka un Comédien, interroge : « Viviane, aurons-nous demain un Tiep bou dien ? » Et c’est reparti ! Viviane devient enfant de la Teranga, on la donne en mariage au célèbre petit frère du grand Youssou, ce chanteur qui voulait devenir président. Désormais on appelle Viviane, Madame Ndour. Après le couscous, suivront les fromages, yaourts, fruits, cafés, desserts chocolatés. Vous avez dit gargantuesque ? Zygomatiques, mâchoires et langues ont fait leur travail. La suite !

14H : spectacle vivant – une gestion à flux tendus

Nouvelle salle. Nouvelle arène. Après s’être sustentés et avoir donné à sa langue un petit échauffement avec des jeux de mots hautement relevés, la troupe se dirige vers la salle de spectacle attenante, pour une première prise de contact. On récite son texte. On écoute l’écho que renvoie l’architecture. On arpente la scène. On découvre les loges. La troupe en a connu des espaces en 31 pays de migration ! Grands espaces, haute technologie et luxe à Québec. Communisme asphyxiant à Cuba. Scène d’orage en Suisse. Tenues fesse-tives au Brésil… Chacun ayant marqué son territoire, pris ses repères et jauger un public qui n’est pas encore là, on se déporte vers l’hôtel.
Délice de kitsch, décor de roman d’Agatha Christie, avec un chat fier jouant les sourds, un jeune chiot, Hermine, qui pensait mes tresses comestibles, le Plantagenêt serait un cadre idéal pour un petit meurtre entre comédiens ! Mais l’heure est à un repos royalement mérité. Ou à quelques palabres bien senties sur cette condition d’artiste. Je n’aurai pas le temps de tendre l’oreille. Avec HSL, nous quittons la petite Angleterre pour acheter un billet de train à Vict Ngoma aka Horatio, qui remplacera au pied levé le comédien qui ne s’est pas présenté au départ de la Porte d’Italie. Un contentieux entre employeur et employé. Chut !

15H : De nombreuses ressources à mobiliser pour mener sa compagnie sur plusieurs continents

Réglages sons, conduite de lumières, impression du texte de la pièce pour les techniciens, liste des invités ; HSL est sur tous les fronts. Comment fait-il ? Est-ce d’avoir mangé beaucoup de manioc, de saka-saka ou de nkoko (quelques délices du Congo) ? Ses ressources, en plus d’une énergie folle, viennent aussi de ce que le théâtre, la vie d’artiste, n’ayant pas bonne presse dans le Congo de son époque, son père le laissait vivre cette distraction, à condition d’être toujours parmi les deux premiers au classement scolaire. Cette rigueur pour pouvoir s’adonner à sa passion, l’ont conduit à une licence en économie au Congo, un Master en économie en France puis un autre à la Conception et la Mise en œuvre de projets culturels. 

De plus, le champ des possibles artistiques étant restreint pour les Noirs en France, il a renoncé à la bataille des petits rôles et des silhouettes pour entrer de plain-pied dans la guerre du rôle sur mesure. Un parcours semé d’embuches mais aussi de victoires au goût de paradis. Parcours qui m’a rappelée celui du cinéaste béninois Sylvestre Amoussou, pour jouer quelqu’un d’autre qu’un voyou ou un marabout. Vous savez, ces figures familières dans l’inconscient du téléspectateur lambda. Côté finances ? En France, les ressources viennent en premier lieu des subventions publiques. La DRAC est à cette enseigne un des interlocuteurs dédiés pour les faiseurs de spectacle. Malheureusement, cette dépendance face aux subsides de l’Etat a tué plus d’une compagnie : délais importants dans le traitement des dossiers, orientations culturelles, etc. HSL a donc préféré s’en libérer au maximum. Dans une logique entrepreneuriale, il finance bon nombre de ses projets sur fonds propres ou en report de budget. Investir aujourd’hui pour gagner demain. Financer une pièce avec les entrées de la précédente. Le but étant la visibilité : un produit doit être connu pour être demandé sur le marché ; il n’hésite pas à prendre des risques (thèmes, formats, etc.) pour faire connaître sa vision. Il faut certes penser au public potentiel, mais l’artiste est avant tout un agitateur et même, un avant-gardiste ! 

Côté humain ? Il faut avoir les nerfs solides et faire appel à tous ses talents de manager. Régler un problème de paie avec un comédien avec lequel on passera quelques minutes après sur scène impose sang-froid, savoir-vivre, professionnalisme, tant dans ses obligations d’employeur que de metteur en scène. Le spectateur se déplace en effet pour apprécier une œuvre. Pour le reste ? Un téléphone, internet, la palabre. Rien ne tombe tout seul dans le bec. Même la Bible encourage à l’action. Message à ceux qui attendent les mains croisées, sous prétexte de prier. 

16H : Ne pas confondre culture et divertissement

En imperméable beige et écharpe rouge, un homme peste sur le désordre du présentoir à l’entrée de l’Espace Rabelais. Je l’aide à ramasser tracts et flyers éparpillés dans un mouvement d’impatience alors qu’il les rangeait. Il s’agit de Dominique Marchès, le directeur artistique du Service culturel de Chinon. Passionné d’art contemporain, entre autres faits d’armes, il vient prendre la température de l’organisation.
HSL demande des modifications, la distribution ayant changé, mais également, le nom de sa compagnie. Me voilà transportée dans les locaux du service culturel de Chinon pour suivre les modifications et réimpressions de supports. Surréaliste ? Non ! Je suis du Zaïre, où l’article 15 de la constitution de la Province du Sud Kasaï assenait à ses citoyens : débrouillez-vous ! Ainsi donc, je me débrouille comme je peux pour mener ma petite enquête et profiter du lieu pour prendre la température du patient Culture. Le patient pour l’instant, ne se porte pas trop mal économiquement, même si en ces temps de crise, les budgets publics sont revus à la baisse, les urgences étant ailleurs. Mais philosophiquement, la culture ne veut plus dire grand-chose. Le public consomme sans analyse, sans enjeu, sans questionnement. Symptomatique d’une époque où l’on a l’impression d’avoir mené toutes les batailles ? La distribution est mise à jour avec les noms des comédiens qui représenteront Hamlet le lendemain. En savant perroquet, j’explique à Chloé que Bosangani, le nouveau nom de la compagnie, qui signifie rassemblement en lingala, est plus porteur que Boyokani qui signifie entente. En effet, le rassemblement implique l’adhésion de tous, dans l’acceptation de toutes les diversités : âges, pays, cultures, religions, sexes, idéaux. 

18h30 : Afrique-Europe, deux continents, deux visions du jeu 

Habitué de la scène sur les deux continents, HSL nous le confirme, il y a une différence entre l’Afrique et l’Europe sur le rapport au théâtre et aux arts en général. Le public africain ne fait pas dans la circonvolution. Très dur, les artistes ne sont pas à l’abri de Remboursez ! sonores et repris en chœur par la foule, lorsque la prestation n’a pas été convaincante. Tandis qu’en Europe, une distance entre le travail de l’artiste et l’accueil du public sera mise en exergue. C’est donc avec une certaine délectation masochiste qu’HSL aime éprouver ses pièces en terres africaines. 

De son côté, Franck Betermin aka le spectre, aka Guildenstern, aka un Comédien, aka 2ème fossoyeur m’apprendra, citant Peter Brook, qu’il y a en Europe, un jeu qui va du sommet du crâne au menton. Quid du reste du corps ? J’imagine que pendant que les voix portaient haut le verbe, les corps élevaient les sculpteurs au sommet de leur art. Si la scène africaine ne manque pas de vitalité, elle souffre par contre de son manque d’ambitions, de son manque de moyens. Le théâtre africain est un théâtre fonctionnel qui parle aux gens des gens. Maboke ou Masolo aux deux Congo, Koteba au Mali, Hira gasy à Madagascar, etc. Et nous les avons déserté, ces théâtres, pour séduire un public occidental, plus à même de payer pour la culture. L’argent appelle l’argent…dit la chanson. 

La culture, qui est un élément de base dans chaque évènement, dans chaque manifestation, est notre quotidien en Afrique. Mais nous avons tendance à oublier nos fondamentaux, à apprendre l’autre avant de se connaître soi, à oublier d’où l’on vient. Et ce, au point de ne plus savoir décrypter nos propres codes. Et ce, jusqu’à pousser l’automutilation en nous soustrayant de la communauté humaine qui crée des universaux culturels, des universaux qui sont le lieu commun de cette même humanité. Ainsi par exemple au théâtre, le boulevard n’est pas une spécificité française, c’est un style qui se décline, dans diverses cultures. Et HSL est fier d’avoir pu brandir l’étendard congolais, dans des contrées reculées du Chili par exemple, où Noir, comme Congolais, étaient autant de nouveautés.

Et pendant ce temps-là à Chinon, les comédiens font un filage allégé. Les uns, les autres connaissent la pièce. C’est pour Vict Ngoma aka Horatio et la Française Marie Do Freval aka Gertrude qu’une répétition un peu plus poussée sera nécessaire. Pour Vict Ngoma, vous avez lu la raison plus haut. Pour Marie Do Freval qui a fait partie de la distribution en 2006, il s’agit de remplacer la comédienne congolaise qui, n’ayant pas obtenu de visa, n’a pu faire le déplacement. 

20H : De Bacchus…

Avec Abdoulaye Seydi et la reine Marie Do Freval, nous sommes de la suite de notre prince Hamlet, aka HSL, pour ripailler chez la famille Brazey, les marionnettistes de la Compagnie du Petit Monde. La chanteuse Manue est également de la partie. Vie d’artiste, famille, condition animale, OGM, culture, voyages, nous trinquons au chinon mais pour tout l’Indre-et-Loire : pas de rivalité entre communes à table. Exception pour Abdoulaye Seydi, car le chinon n’est pas encore halal ! Rires et embrassades, nous retournons au Plantagenêt.

01H : …A Morphée !

Après chaque jour, vient une nuit. Et je dis merci. La journée a été passionnante et longue !

Gaylord Lukanga Feza

A suivre sur Terangaweb – l'Afrique des idées : le jour II du journal de bord