Théâtre et tension à Bangui

Créer dans Bangui sous couvre-feu 

30 octobre 2015. Toute la journée, le tournoiement des hélicoptères et le crépitement épisodique des armes à feu ont rappelé à qui aurait voulu s’en évader les atroces règlements de compte qui secouent la capitale centrafricaine. L’Alliance française de Bangui décide d’y montrer malgré tout, à 16h, « La soupe de Sidonie »[1], spectacle inspiré d’une pièce de kotèba[2] créé il y a dix ans par la compagnie malienne BlonBa[3].

LasoupedeSidonieL’acteur qui joue le rôle principal –celui d’un chef de famille musulman rêveur et désabusé – est chrétien. Il vit non loin du quartier de Fatima où, ce jour-là, se concentrent les événements meurtriers qui opposent des protagonistes des deux confessions. Il laisse dans les coulisses le téléphone qui le relie à sa famille restée là-bas, entre sur scène. Comme on dit au théâtre, il n’est pas tout à fait là. Le texte s’évapore, revient. Le jeu prend néanmoins. Il prend avec le public, très « mis en jeu » comme le veut la lignée théâtrale du kotèba, mais beaucoup de spectateurs gardent leur portable en main, vibreur aux aguets.

Dès sa version malienne, la pièce compte deux personnages potentiellement poreux à des chimères repeintes aux couleurs de l’Islam ou du christianisme. Ces constructions mentales contagieuses sont fondées sur l’espoir d’un salut magique, éruptif et sans appel qui est l’autre face du désespoir. Elles contribuent à alimenter l’imaginaire criminogène des islamistes de Boko Haram, de l’Armée de résistance du Seigneur qui baptise ses massacres au nom du Christ, au Mali des groupes de narco-djihadistes ou en Centrafrique même des petits gangs qui pullulent dans la foulée confessionnalisée des appétits politiques. Les personnages de la pièce ont été imaginés dans un contexte alors moins violent, moins prégnant, imaginés pour qu’on en rie. Ils ne portent pas de bombes. Ils déambulent sur un espace scénique où le réel n’est que signalé, stylisé. Mais lorsque le personnage de Dieumerci, alias Ben Laden, entre sur le plateau éructant ses objurgations fanatiques, deux dames lancent spontanément contre lui (le personnage ? le comédien ?) des malédictions qui ne sont pas théâtrales, des malédictions in vivo : feu, feu, feu, au nom du seigneur Jésus ! Puis, comme un miracle, elles sont reprises par le rire, qui annule la malédiction et l’élève au rang de symbole communicable.

Pour accéder à l’aéroport de Bangui M’Poko, il faut traverser durant environ un kilomètre le quartier « Combattant ». Le marché envahissant, désordonné, empiète sans façon sur la voierie. Chaque jour, des petits groupes armés y dépouillent les automobilistes imprudents. Les signes extérieurs d’islamité y sont menacés de mort. Pour prendre leur avion, c’est en convoi, précédés par un blindé des casques bleus de la Minusca, que les voyageurs franchissent la zone. Les visages sont à vingt centimètres des vitres impérativement closes. A l’entrée du quartier, un panneau déserté par la publicité commerciale est barré de l’inscription « Mort à la France », accompagnée d’une croix gammée. Une frustration dévorante environne l’ancienne puissance coloniale. Le sentiment justifié qu’elle a historiquement quelque chose à voir avec le délabrement du pays se traduit par l’effusion quotidienne, impuissante et douloureuse de rumeurs l’accusant de développer les stratégies les plus tordues pour entretenir le chaos. « La soupe de Sidonie » ne contourne pas cette réalité, ni la responsabilité historique, ni les ridicules de rumeurs fantasmées. Elle les montre. La pièce est donnée dans l’enceinte paisible et protégée de l’Alliance française et les Moundiou (les Blancs) sont dans le public. Alors, conformément à une pratique répandue dans toute l’Afrique, mais au théâtre cette fois, les personnages passent à l’entre-soi de la langue nationale, le sango, catimini dans lequel la critique devient à la fois plus tranchante, plus drôle et moins honnête. La communauté du public en est amputée, même si les Moundiou devinent sans peine qu’on les brocarde et le sujet de la moquerie. Là encore, le rude débat entre le réel et le théâtre est à deux doigts d’être englouti par la « vraie vie ».

Tout au long de la pièce, le personnage de Sidonie prépare un plat destiné à convaincre un « bailleur » moundiou d’abonder le compte en banque d’une ONG attrape-tout constituée pour attirer « toutes les subventions qui passent par là ». Mais les péripéties de l’histoire laissent finalement l’entreprenante mère de famille seule avec un plat constitué d’aliments qu’elle avait sous la main, « sans bailleur » et délicieux, mais trop copieux pour le manger seule et qu’elle choisit de partager avec un public trop nombreux pour en être rassasié. Par une pirouette née des contraintes de la situation centrafricaine et des conditions pratiques de la création, le directeur de l’Alliance française, puissance invitante, arrive alors, signale à tous qu’il a parfaitement suivi les lazzis en langue sango dont l’humanitarisme moundiou a été abondamment servi, mais qu’il va néanmoins compléter le met au motif qu’ « on est ensemble » ! L’artifice de cette brutale mondialisation humanitaire détend magiquement l’atmosphère et déchaine les applaudissements. La joie du théâtre fait son œuvre. Purement fictionnelle. Purement théâtrale. Si désirable dans ce qu’elle appelle !

Le rire d’autodérision est une spécialité et un talent de l’Afrique. Ce continent a été férocement placé par l’Histoire en position subalterne. L’autodérision est une marche sur laquelle montent les Africains pour se hisser au dessus d’eux-mêmes, prendre le large d’avec l’abaissement et manifester ainsi leur humaine grandeur. L’autodérision, le théâtre occidental la pratique peu et souvent la méprise. Prendre le risque de se moquer de soi-même est un danger pour le dominant. Au nord de la Méditerranée, l’Afrique malheureuse, révoltée, martyre ou combattante se vend mieux que la rigolade autour de laquelle se vivent, sur le continent, tant de prises de consciences essentielles. Il est du coup très compliqué de réunir par le théâtre une communauté mondialisée autour d’un rire capable d’étreindre ensemble les uns et les autres. La pirouette y parvient néanmoins, provoquant une joie sincère, réconfortante et partagée.

Ces quelques anecdotes, je les évoque ici parce qu’elles me travaillent et que j’ai envie de les travailler, de les mettre en débat. Jamais je n’ai ressenti aussi fort qu’à Bangui déchirée, de façon si tendue, si fragile et si puissante le fil incandescent qui sépare le réel de la fiction, feu par lequel la fiction produit le réel, en opère la sublimation et lui ouvre la voie. Feu toujours menacé par la poix glauque et muette d’un réel privé de la parole et inapte à la symbolisation. Je crois que ces situations cachent des enjeux fondamentaux pour la renaissance d’un art en voie d’épuisement là où il est prolixe et menacé d’étouffement dans les failles où affleurent les germinations nouvelles. J’ai envie de continuer l’enquête et d’en partager l’interprétation avec vous.

Jean-Louis Sagot-Duvauroux

Prochaines livraisons : Théâtre et tension (2) – l’œuvre aux prises avec l’événement ; Théâtre et tension (3) – sur la faille sismique de l’Histoire

[1] D’après « Bougouniéré invite à dîner » de Jean-Louis Sagot-Duvauroux et Alioune Ifra Ndiaye, mise en scène de Patrick Le Mauff. Adaptation dramaturgique et scénique de Jean-Louis Sagot-Duvauroux, avec Léonie Assana (Sidonie), Boniface Olsène Watanga (Boubakar), Benjamin Noway Wagba (Dieumerci), Louis-Marie Ngaïssona (Dieudonné), Silius Travolta Amoda (Gloiradieu). Régie générale Silvère Kpassa-Ba-Nona. Régie son et lumière Bruno Baleboua. Décor Paul Vinlot et son équipe. Conception du lion Bamara Michel Djatao. Costumes Emmanuel Youmélé. Bruitage Gabriel Yénimatchi. Une production de l’Alliance française de Bangui. Co-production BlonBa (Mali), avec le soutien de la FAO. Un grand merci à François Grosjean, directeur de l’Alliance française, à Laetitia Pereira son assistante, à notre infatigable accompagnateur Hervé Kangada, à tout le magnifique personnel de cet espace dont ils ont su faire un lieu de ressourcement culturel au rayonnement mérité. Mes amitiés à tous les artistes, étudiants, intellectuels qui se le sont approprié dans ces temps de déchirure. Et toute mon amitié à Alain, à Albert son cuisinier et à toute son équipe qui ont inspiré et rendu possible le succulent plat de gboudou aux bananes plantain partagé par tous à la fin du spectacle.

[2] « Bougouniéré invite à dîner » http://www.blonbaculture.com/pdf/theatre/blonba-bougounierre-diner.pdf

[3] http://www.blonbaculture.com/pdf/textes/blonba-15-ans.pdf

Sakakounou : Le BlonBa chez ma mère !

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Lassine Coulibaly dit King Massasy – source BlonBa
Il y a deux semaines, ma mère évoqua la possibilité qu'un spectacle se passerait chez elle, dans une de ces villes dortoirs de l’Essonne. Vous savez, c’est parfois le genre d’informations que l’on reçoit avec un attention relative, mais qui laisse l’empreinte d'une interrogation insidieuse. Un spectacle dans son petit appartement ? Bizarre, comme c’est bizarre. Le fils distrait ne s’est pas attardé plus longtemps sur l’information et sa part de mystère. La daronne, comme disent désormais les jeunes, m’a envoyée à raison une relance sur la dite rencontre.

Hier, je suis arrivé chez ma mère avec le quart d'heure africain de retard. Avec tout le respect que je lui dois, je peux m’autoriser, c’est ma mère et jouir de la plasticité du temps dans ce cadre familial, ça a le don de l'agacer. Il y avait une demi-dizaine de personnes sont présentes. J’ai eu le sentiment qu’on m’attendait. Hum, le goujat. Gâteau. Coca et autres boissons gazeuses qui ponctueraient le fameux spectacle : Découvrant un prospectus, je lis SAKAKOUNOU et une information très importante: BlonBa. Oh ! Les choses sont plus sérieuses que je ne le pense. Présentations. Le blogueur international présenté par sa maman chérie et peu objective quand il s'agit de parler de son fils, le spectacle va pouvoir commencer. Un rasta sort d’une pièce de l’appartement de ma mère. Vraiment. Il était caché où celui-là? Et le show commence.

Sakakounou ou l’homme aux six noms

Le comédien n’est pas Ramsès, vu au Grand Parquet, cet été dans l’interprétation d’Ala té sunogo de la compagnie du BlonBa également. Ici s’agit de Lassy King Massassy. Malien. Rasta. Mais avec un nom de scène qui en lingala ferait sourire la plèbe. Massassy : balle d’une arme à feu.

Je suis conscient que je vais avoir droit avec l’assemblée à un spectacle de qualité. Dans une langue poétique et chargée de cette oralité héritière des grands kouyatés, portée par des proverbes toujours appropriés et qui assurent l’assisse de la narration, l’artiste raconte l’histoire d’un homme aux six noms. Adjoua. La joie. Une femme. Un environnement pauvre. Une femme libre. Même si, personnellement, je ne sais pas ce que signifie pour beaucoup la question même de la liberté… Adjoua. Une naissance. Un nourrisson. Une survie faite de compétition avec les mouches qui tètent à l’instar des hommes. Un nom. Nous portons le nom de nos mères. N’en déplaise. Être l’enfant d’une femme pauvre mais pas d’une pauvre femme.

L’enfance, un autre épisode de vie. Dans un quartier populaire d’Abidjan. La violence d’un ventre affamé où les hommes trompent la faim et des mômes se transforment en tueurs en série de margouillats. Oui, ces petits lézards humoristes qui peuplent les parcelles des quartiers populaires. Tous les lézards morts connaissent son nom. Mbadou. Il traque avec férocité les quadrupèdes, génocidaire lucide et nerveux. Le comédien plaide pour la création verte de Dieu. On sourit. Le verbe du malien est haut, habité qu’il est par son texte. 

Je ne vous ai parlé que deux noms (voir trois) de notre personnage. Vous ne pensez pas que je vais vous raconter toute l’histoire ? Ce sont des épisodes de vie que narre Lassine Coulibaly avec dextérité. Une jeunesse pauvre à Abidjan. La construction d’une identité. Un jeune malien en Côte d’Ivoire. Y passent quelques maux de la société ivoirienne comme cette nauséeuse xénophobie qui a conduit beaucoup à quitter cette ancienne terre d’accueil. Et par la suite, la découverte de la terre des ancêtres, le Mali…

Ce spectacle de maison est réellement une réussite. Car figurez-vous que c’est également une comédie musicale. Les épisodes de vie du personnage sont entrecoupés par des phases mélodieuses et rappées en bamanan, sur un fond de musique malienne. Car, c’est l’originalité de ce hip-hop malien qui trouve un écho large au Mali dans sa capacité de s’ancrer dans un terroir et dans des langues africaines. C’est surement les phases les plus émouvantes du spectacle que l’inculte en bambara que je suis devinais dans le jeu de l’artiste.

Naturellement, j’observe du coin de l’œil le public. A la fois émerveillé mais aussi sur ses gardes. Les échanges avec l’artiste en fin de spectacle autour d’une collation permettront à l’artiste de jauger l’impact sur le public d’un spectacle très personnel…

Le pari du BlonBa est celui de la foi. En se proposant d’aller avec ce format de prestations vers un public populaire et souvent réticent à ce type de projet culturel ou aux salles obscures, il démontre qu’une population se construit, s’initie lentement mais sûrement. L’investissement du Théâtre de l’Arlequin de Morsang/Orge se traduira forcément par un retour sur recherches de spectateurs.

Sakakounou est l'adaptation pour un théâtre de maison de la pièce L'homme aux six noms avec Lassine Coulibaly, dit King Massassy

Rencontre avec BlonBa, producteur artistique au Mali (2)

Suite de la première partie d'interview publiée sur Terangaweb : 

Vous revenez du Mali, où la situation est très complexe avec tout un pan du pays qui est entre les mains de troupes islamistes radicales qui imposent la charia dans la zone occupée, et dans certains cas, détruisent des pans entiers de l’histoire malienne. Quelle est la situation à Bamako ? Pensez-vous l’atmosphère propice pour la reconstruction d’une salle du BlonBa et de manière plus générale, aux manifestations culturelles ?

Historiquement, les grandes manifestations culturelles propres aux traditions maliennes sont liées aux évènements de la vie sociale. C’est le cas notamment du kotèba, satires burlesques des tares de la société, qui jouait et joue encore un rôle important de critique et de liberté d’expression. Les 3000 personnes qui sont venues à la première représentation de Tanyninibougou en témoignent. Ce spectacle présente un tableau au vitriol d’une société enivrée et concassée par la religion de l’argent. Policiers, élus, marabouts, jeunes filles, mères de famille, militaires, chacun en prend pour son grade. Et pourtant, la magie du kotèba opère. La communauté des citoyens, grâce au rire, fait ensemble son examen de conscience et en ressort ragaillardie. Ces formes artistiques sont souvent considérées comme des forums plus fiables et plus véridiques que les débats de l’Assemblée nationale, obscurs pour beaucoup, ou une presse peu étanche à la corruption. Cela peut paraître paradoxal, mais j’ai le sentiment que la période fait justement réapparaître l’urgence de l’art et de la culture, qui s’était un peu affaissée dans les années précédentes où, comme le dit une de nos pièces, beaucoup de Maliens « avait pris la liberté pour une mangeoire ».

Vous animez BlonBa France qui est une succursale du projet malien en France. Dans ce cadre, une collectivité de l’Essonne vous a confié la gestion du théâtre de l’Arlequin de Morsang-sur-Orge en Essonne. Dans quelle direction orientez-vous la programmation artistique de ce théâtre ? Avez-vous plus de pièces africaines dans votre exercice annuel ?

BlonBa avait suscité la création d’une association de droit français pour permettre l’organisation des tournées de la compagnie. Quand la communauté d’agglomération du Val d’Orge, dans l’Essonne, m’a proposé de prendre la direction du théâtre de l’Arlequin, à Morsang-sur-Orge, la convention a été signée avec l’association BlonBa. C’est un signe des temps. Jamais une compagnie née en Afrique ne s’était vu confier un théâtre public en France. Le théâtre de l’Arlequin n’est pas grand : 84 places. Il n’est pas très doté et notre petite équipe ne compte aucun plein temps. Son projet est fondé sur deux axes : l’ouverture aux publics populaires, qui est facilitée par notre tarification originale de 2€, 5€ ou 10€ au choix du spectateur ; une programmation ouverte sur la diversité culturelle. Les spectacles que nous proposons sont d’origines très variées, mais nous consacrons chaque année, au printemps, un « mois de BlonBa » à la création venue d’Afrique et bien sûr du Mali. Cette salle est aussi un point d’appui pour l’organisation des tournées de la compagnie de BlonBa en Europe, pour finaliser des créations, pour faire voir des œuvres… Nous sommes très reconnaissant aux collectivités françaises – la région Ile-de-France, le département de l’Essonne, l’agglomération du Val d’Orge – de nous avoir donné ces possibilités, sans dévier de leur responsabilité propre qui est le service de leurs habitants. Il y a là une préfiguration de partenariats Nord-Sud où chacun trouve son compte, où une vraie convergence mutuelle s’établit.

Il y a deux ans, la compagnie théâtrale BlonBa a joué de manière remarquable la pièce « Vérité de Soldat » qui met en scène le dialogue d’un ancien tortionnaire d’un camp militaire de Moussa Traoré et du prisonnier qui eût à subir durant de longues années ses sévices. Le thème de la réconciliation nationale est au cœur de ce projet avec une construction originale. Y-a-t-il des possibilités de revoir ce spectacle en France ?

« Vérité de soldat » s’inspire du récit du capitaine Soungalo Samaké, l’homme qui a arrêté Modibo Keïta, le premier président du Mali. Ce texte a été recueilli par Amadou Traoré, un des artisans de l’Indépendance que le capitaine a lui même torturé. Ce témoignage d’un militaire placé par les hasards de l’histoire en position de jouer un rôle exorbitant dans la vie politique de son pays, est d’une grande actualité. Il sera présenté au Grand T, à Nantes, du 13 au 16 novembre 2012 et au Drakkar de Dieppe les 21 et 22 novembre, dans le cadre du festival Automne en Normandie. Ce spectacle a également été filmé dans notre salle, à Bamako, et est disponible en DVD, dans la collection de la Copat (www.copat.fr), une coopérative qui réunit d’importants théâtres francophones et dont BlonBa est le premier membre africain. Les DVD de cinq de nos spectacles y sont édités et plusieurs ont été diffusés par des chaines francophones (TV5, France O, Canal à la demande, les télévisions nationales du Bénin, du Congo, etc.).

Pouvez-vous nous présenter les prochains spectacles à venir en France du BlonBa, et les lieux de représentation ?

Nous sommes engagés dans la création d’une série de portraits théâtraux d’artistes maliens que nous appelons « Le Chant du Mali ». Le premier, « L’Homme aux six noms », a été créé l’an dernier avec Lassy King Massassy, un des pionniers du rap malien. Il sera représenté le 17 novembre, à la Maison des peuples et de la paix d'Angoulême, le 23 novembre à la Médiathèque d’Ivry et une dizaine de fois en version « théâtre d’appartement » en décembre et janvier, dans la région parisienne. « Plus fort que mon père », le deuxième épisode de cette série, est en cours de montage autour d’un autre rappeur, Ramsès Damarifa, fondateur du groupe Tata Pound. Ramsès est le fils d’Idrissa Soumaoro, un des chanteurs les plus prenants de la scène malienne. « Plus fort que mon père » sera en création au théâtre Antoine Vitez d’Ivry-sur-Seine en janvier et février 2013 avec une vingtaine de représentations prévues durant le mois de février, à Ivry (samedis 2, 9 et 6 février à 18h, dimanches 3, 10 et 17 février à 16h, mercredis 6 et 13 février à 14h30 + 11 représentations scolaires) et à Morsang (21 et 23 février).

« Ala tè sunogo » (Dieu ne dort pas) est un spectacle qui mêle kotèba et danse contemporaine. Il moque de façon prémonitoire les embûches rencontrées par un jeune opérateur culturel dans l’exercice de son activité. Un des personnages, un enfant des rues, muet, ne s’exprime qu’en dansant… La création de ce spectacle a été interrompue par les événements de mars 2012. Elle va être finalisée à Bamako, puis à l’Arlequin en avril (représentations les 27 et 28 avril) et présentée au Grand-Parquet (Paris 18e) du 2 au 26 mai les jeudis, vendredis, samedis et dimanches. La réflexion de BlonBa autour de la danse contemporaine, que nous cherchons à mieux inclure dans les pratiques culturelles du Mali, aura également une ouverture sur le public les 6 et 7 avril avec de courtes pièces présentées dans le cadre des rencontres Essonne danse (théâtre de l’Arlequin à Morsang-sur-Orge, théâtre Jules-Verne de Brétigny-sur-Orge, centre culturel de La Norville). 

Enfin, nous essayons de faire venir au printemps 2013 le spectacle Tanyinibougou, à destination principalement des Maliens de France, puisqu’il est donné en langue bambara. Si nous y parvenons, ce sera l’occasion de mobiliser la communauté malienne émigrée autour des enjeux éthiques et politiques dont dépend le redressement du Mali.

Alioune Ifra N’Diaye proposait en avril dernier, à la suite de la fermeture de la salle du BlonBa, de créer une télévision communautaire. Avez-vous avancé dans ce projet ou sur d’autres champs de la production audiovisuelle ? 

Alioune continue à explorer les différentes possibilités de donner une nouvelle jeunesse à la production et la diffusion télévisée au Mali. C’est un enjeu capital dans cette période de remobilisation de la société. Mais dans ces temps d’incertitude, la visibilité est faible et la situation peu propice aux projets à long terme. Il faudra un peu de temps. Nous avançons par contre à grands pas dans un projet conçu avant la crise : le studio Wôklôni. Il s’agit d’un centre de formation et de production de films d’animation, qui a déjà réalisé plusieurs essais très convaincants. On peut notamment voir, sur internet, le petit film « Mon si beau village », un dessin animé de Florent Bathily 100 % made in Mali. Un groupe de jeunes graphistes travaille d’arrache-pied, avec beaucoup de talent et d’abnégation à donner vie à cette nouvelle activité qui permettra de fournir aux télévisions africaines des programmes inspirés de la culture et de l’histoire du continent. « Tombouctou », un premier projet de moyen métrage inspiré de la situation au Nord Mali est en cours de réalisation sur une idée d’Alioune Ifra Ndiaye et un scénario de la dramaturge Awa Diallo.

En espace de quelques mois, la démocratie malienne a été bousculée jusque dans ses fondements après plusieurs alternances démocratiques réussies. Aujourd’hui, quel regard portez-vous sur ce pays qui est le vôtre ? Le festival littéraire Etonnants voyageurs va quitter temporairement le Mali pour l’Afrique centrale. Pensez-vous que tout un pan de l’activité culturelle malienne subventionnée par l’aide française est menacée par l’instabilité actuelle du pays ? 

Le Mali est pris dans les paradoxes qui travaillent toute l’Afrique. Sa société est très dynamique : 6 % de croissance par an en moyenne durant les 20 dernières années. Et pourtant le pays n’a pas encore construit des institutions fiables, respectées, capables de représenter l’intérêt général. Les élections ont eu lieu en temps et en heure, la constitution a été respectée, mais l’Etat est vécu comme un corps étranger et il est rongé par la corruption. Le coup d’Etat manqué du 22 mars dernier est le symptôme de ce malaise. Il a eu des effets catastrophiques, aggravant brutalement la faiblesse structurelle de l’Etat et de l’armée, et pourtant, sur le coup, beaucoup de Maliennes et de Maliens ont eu de la sympathie pour les motivations des soldats mutinés. Il en est résulté beaucoup de confusion. Dans ces conditions, la question culturelle est d’une importance cruciale. C’est à travers la culture que se reconstruit l’image de soi, que se fondent des institutions respectées parce qu’ancrées dans les réalités du pays, qu’un imaginaire autonome prend forme et qu’un avenir indépendant se dessine. Il faut pour cela que la culture se recentre autour des urgences du pays. On ne peut répondre à ces enjeux en moulant ses projets dans le désir des « bailleurs » étrangers. C’est pourquoi je ne m’inquiète pas trop des problèmes que vous évoquez. Ils ne touchent pas à l’essentiel. Ils peuvent même être l’occasion d’une prise de conscience qui renouvellera la création malienne et peut-être aussi la conception des partenariats internationaux. Sauf bien sûr si les esprits étaient condamnés au silence par la terrible régression intellectuelle et morale qu’un fascisme à déguisement religieux impose aux habitants du nord du pays. Mais cette menace rend l’insurrection des intelligences et des sensibilités plus urgente encore.

 

Interview de Jean-Louis Sagot-Duvauroux réalisée par Lareus Gangoueus

Rencontre avec BlonBa, producteur artistique au Mali (1)

Bonjour, Jean-Louis Sagot-Duvauroux, vous êtes un des animateurs de BlonBa, une structure malienne indépendante de production artistique et d’action culturelle. Pouvez-vous en quelques mots nous présenter cette aventure culturelle que vous avez initiée avec Alioune Ifra N’Diaye à Bamako ?

BlonBa est né en 1998. Je venais de participer comme auteur et co–producteur à deux aventures artistiques : La Genèse, long métrage de Cheick Oumar Sissoko dont j’avais proposé l’idée et écrit le scénario (sélection officielle Cannes 1999 « Un certain regard ») ; l’Antigone du Mandéka théâtre, mise en scène par Sotigui Kouyaté, qui avait été joué dans d’importantes institutions francophones. Avec Alioune Ifra Ndiaye, nous voulions donner une perspective durable à ce qui s’était engagé là. Deux objectifs nous animaient : créer les conditions d’une économie culturelle autonome au Mali ; travailler d’abord en direction du public malien, en résonance avec les urgences du Mali, en nous inscrivant dans les lignées culturelles du pays. 

Blonba assure à la fois la production d’œuvres artistiques dans le théâtre, le cinéma, des programmes culturels pour la télévision, ou encore, il y a peu, organisait des concerts dans la salle Blonba qui a fermé. Quelle est la démarche de Blonba dans son investissement sur un projet artistique ? Comment choisissez-vous un projet ?

Nous avons commencé avec le théâtre, en reprenant le fil de la rénovation des comédies satiriques du kotèba engagée dans les années 1980 par des artistes courageux et inventifs qui avaient joué un rôle important dans la mobilisation des consciences contre le régime militaire de Moussa Traoré. Très vite, Alioune, qui est réalisateur de télévision, a ajouté à cette activité la production audiovisuelle, avec le même souci de créer un environnement culturel autonome, centré sur les priorités et l’imaginaire du Mali. Et puis nous nous sommes engagés dans l’aventure un peu folle de la salle, un lieu de spectacle, de divertissement et aussi un studio de télévision qui a vite été considéré comme un modèle en Afrique de l’Ouest, tant pour sa proposition artistique que pour la qualité de ses équipements techniques. Dans chacun de ces trois secteurs, nous nous sommes efforcés de construire une économie viable, même quand les subventions font défaut. La production théâtrale s’est essentiellement financée par la vente de nos spectacles à l’exportation. Nous sommes parvenus à un équilibre précaire mais reproductible, ce qui nous a permis de proposer très régulièrement de nouvelles créations. Pour la télévision, nous nous sommes spécialisés dans des programmes liés à la construction de la conscience civique, qui trouvent des commanditaires nationaux et internationaux. La salle a vécu vaille que vaille de la billetterie, de l’organisation d’évènements et comme studio d’enregistrement d’émissions télévisées. Sans nous enrichir, cette orientation nous a permis de vivre et de faire vivre une trentaine de personnes. Elle nous a donné une grande liberté dans nos choix artistiques, notamment en matière théâtrale.

Quel est l’impact, l’influence de la marque BlonBa sur la jeunesse bamakoise ? Y-a-t-il une adhésion à ce concept culturel original et unique dans l’espace francophone d’Afrique subsaharienne ?  

BlonBa est l’œuvre de la jeunesse. Alioune avait vingt sept ans quand nous l’avons créé. A part moi, qui suis plus souvent en France qu’à Bamako, toute l’équipe permanente est plus jeune que lui. Cette entreprise culturelle est très représentative de la montée de générations décomplexées, inventives, tranquillement ouvertes sur le monde, qui donnent tant de tonicité aux sociétés africaines en dépit d’une gouvernance souvent chaotique. La jeunesse bamakoise a rapidement fait de BlonBa un symbole de son dynamisme. A titre personnel, Alioune Ifra Ndiaye jouit d’un grand respect et d’une influence certaine sur les jeunes, qui le considèrent souvent comme un exemple à suivre. L’indépendance sans animosité que nous avons acquise par rapport à la coopération française, souvent considérée comme le guichet unique du financement culturel, souvent courtisée, souvent critiquée à cause de ça, est une des causes de cette popularité. Elle concrétise un « Yes we can » qui taraude la jeune génération. La fermeture de notre salle, après les éènements de mars 2012, a créé un choc. Mais quand nous avons repris notre activité publique, en début octobre, avec la présentation du spectacle d’Alioune Ifra Ndiaye « Tanyinibougou » au Palais de la Culture, 3000 personnes se sont déplacées, témoignant ainsi de l’adhésion du public à notre aventure et à notre propos. Beaucoup des personnes qui disposaient d’invitations ont même tenu à payer leur place pour manifester leur soutien.

Depuis le mois d’avril, la grande salle de spectacle du Blonba de Bamako est fermée pour des raisons techniques et foncières. Est-ce la fin de cette structure ? Quelles sont les alternatives pour reconstruire une telle salle ?

L’économie de la salle était le volet le plus précaire de notre activité. L’hostilité d’une partie de l’administration, la nécessité de rembourser les prêts bancaires, la location du terrain, qui ne nous appartenait pas, la modicité des rentrées de billetterie nous contraignaient à jongler de mois en mois, malgré la renommée d’un lieu qui était devenu au fil des ans un des centres de la vie culturelle bamakoise. Mais cette fragile stabilité n’a pas résisté à la panne d’activité consécutive à la crise malienne et, il faut bien le dire, à la voracité de la propriétaire, mise en appétit par les perspectives que lui ouvrait cette période de non-droit. En fermant la salle, Alioune a immédiatement annoncé que nous tenterions de la reconstruire ailleurs. Nous y travaillons. La crise a créé un électrochoc dans la population et on constate une certaine mobilisation de l’Etat en faveur d’un redressement devenu si urgent. Si la conjonction entre la volonté publique, l’énergie de notre équipe et le soutien des partenaires du Mali s’opère, la nouvelle salle sera rapidement ouverte. Mais au delà du lieu, la créativité de BlonBa est en plein essor. Le « hardware » est momentanément hors d’usage, mais les logiciels fonctionnent toujours. Le spectacle de kotèba Tanyinibougou créé le 6 octobre dernier a été un énorme succès populaire et va être à nouveau représenté à Bamako, dans les régions et à l’étranger. Il marque déjà un jalon dans l’histoire théâtrale du Mali, si liée aux soubresauts de sa vie politique. Et une soixantaine de représentations des spectacles de BlonBa sont programmées cette saison par des institutions culturelles françaises.

En feuilletant le blog de BlonBa, on note que le prix d'entrée des spectacles musicaux tourne autour de 5000 FCFA. Quel type de public se déplace pour voir ces spectacles ? Plutôt étrangers ? Maliens ? Jeunes ?

La salle proposait des spectacles et des divertissements de nature très diverses, financés essentiellement par la billetterie. La tarification visait bien sûr à l’équilibre financier, sans lequel nous perdions notre indépendance. Quand l’accès à un spectacle était à 5000 F CFA, cela limitait évidemment l’assistance aux classes moyennes. Mais nous proposions également des manifestations pour des prix nettement moindres, notamment le Nyènadyè club, qui mêlait soirée dansante et propositions artistiques et qui était fréquenté par beaucoup de jeunes des milieux populaires. Il est aussi arrivé que le Premier ministre de l’époque, M. Modibo Sidibé, un spectateur assidu de nos spectacles, finance des séries de représentations pour le public scolaire et universitaire. Des milliers de jeunes ont ainsi pu voir des pièces comme « Bougouniéré invite à dîner » ou « Vérité de soldat ». L’ouverture de notre activité sur la télévision est elle aussi un moyen de la rendre largement accessible. La question que vous posez reste malgré tout une des principales préoccupations pour une salle indépendante comme l’était le BlonBa. Dans l’état actuel des choses, seul un soutien public permettrait d’engager, comme nous le souhaiterions, une politique tarifaire plus démocratique.

 

Propos recueillis par Lareus Gangoueus, deuxième partie d'intreview à suivre sur Terangaweb