Afrimarket : au délà du buzz médiatique, une potentielle réussite ?

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Afrimarket est devenu en quelques mois la référence du « cash to goods » en Afrique. La startup française a su très rapidement se positionner  comme leader sur une niche du marché du transfert d’argent vers l’Afrique. Les mastodontes du secteur ont –ils des raisons de s’inquiéter de l’arrivée de cette innovante startup ?

L’environnement 

Le transfert d’argent vers l’Afrique : Taille du marché et contraintes

En 2014, les transferts de fonds de la diaspora africaine en direction du continent représenteront 32,5% du total des apports financiers à destination de l’Afrique (soit un volume de 60 Milliards en USD courants). Ce sera la plus grande source de revenus extérieurs de l’Afrique devant les Investissements Directs Etrangers (29,3%) et l’aide publique au développement (26,7%)[1]. Et encore, cette estimation ne tient pas compte des transferts informels (de particuliers à particuliers).

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 Apports financiers extérieurs et recettes fiscales en Afrique 2000-2014

Source : Calculs des auteurs d’après CAD/OCDE, Banque mondiale, FMI et les données des Perspectives économiques en Afrique.

Ces données mettent en évidence la taille colossale du marché de transfert de fonds que se partagent les deux (2) principaux acteurs du marché que sont Western Union (40% de part de marché) et Money Gram (25% de part de marché)[2]. D’après un article de Corine Moncel pour Mondafrique.com, « …cette situation « duopolistique » leur a permis de taxer au prix fort les transactions sur l’argent. En mai 2013, la Banque mondiale confirmait que les commissions pratiquées par les sociétés de transfert d’argent en Afrique étaient en moyenne de 12,2 % – mais avec des écarts très grands – contre 8,96 % pour le reste du monde. C’est sur les transactions entre pays africains que ces commissions sont les plus élevées : 20 %, voire plus, vers l’Afrique du Sud, le Ghana ou la Tanzanie ! Un manque à gagner considérable pour les Africains : si ces taxes baissaient de 5 %, l’Afrique recevrait 4 milliards de dollars de plus.« [3]

En plus des taux de commissions élevés, le transfert d’argent vers l’Afrique est confronté à d’autres contraintes parmi lesquelles on peut citer :

  • L’insécurité après encaissement des fonds réceptionnés. Les personnes sortant d’un bureau de transfert de fonds étant susceptibles de transporter d’importantes sommes en liquide, elles deviennent de potentielles victimes de vol.
  • Le taux élevé de potentiels bénéficiaires de transfert qui ne disposent pas des papiers d’identité requis pour le retrait de fonds. Cette situation oblige les expéditeurs à passer par des intermédiaires qui sont parfois peu scrupuleux ou qui prélèvent une commission supplémentaire.
  • Les fonds envoyés sont très souvent utilisés pour des raisons autres que celles pour lesquelles ils sont transférés.

Le cash to goods 

Contrairement au transfert d’argent classique, où le réceptionnaire reçoit le montant transféré en liquide et peut ainsi en disposer comme bon lui semble, le principe du cash to goods permet à l’expéditeur des fonds de contrôler l’usage de la somme envoyée en payant directement pour le  bien ou le service dont le besoin a été exprimé par le bénéficiaire. Ainsi,  les fonds transférés sont réceptionnés directement par le fournisseur du bien/service vendu.

Le cash to goods permet ainsi de lever les contraintes liées à la sécurité et à l’usage des fonds transférés. Demeurent cependant les risques de revente des produits reçus contre de l’argent liquide. 

Même s’il ne fait pas le bonheur de certains bénéficiaires, le principe du cash to goods a le potentiel pour séduire les expéditeurs dont 70%, d’après une étude réalisée par la Banque mondiale, souhaiteraient avoir davantage de contrôle sur les usages des fonds transférés. De nombreux bénéficiaires sont aussi sensibles à l’aspect sécuritaire et à la réduction de tracasseries.

Afrimarket…

La jeune startup a donc flairé un bon filon. Même si de petites initiatives de cash to goods  pour l’Afrique existaient déjà (congoprox, niokobok, etc.), elles étaient cantonnées à des communautés ou ciblées pays.  Lancée(?) en Juin 2013 par trois jeunes français avec le soutien de grands noms tels que Xavier Niel (Free), Jacques-Antoine Granjon (vente-privee.com) et David Foskett (ex cadre de Western Union),  Afrimarket est passé par l’accélérateur de Startup de Orange (Orange Fab France) et a très rapidement su se positionner comme la référence du cash to goods sur le continent.

Actuellement présente dans trois pays (Bénin, Côte d’Ivoire et Sénégal), la startup ambitionne progressivement couvrir tout le continent. Le Mali, le Cameroun et le Togo sont les prochains pays sur sa liste. Elle travaille aussi d’une part, à nouer différents partenariats pour étoffer sa gamme de biens et services offerts, et d’autre part, à développer un réseau de collecte de cash à travers divers points de vente. Selon Rania Belkahia, une des cofondatrices, l’objectif est de  capter 1% des flux circulant via Western Union.

Le fonctionnement

« Si par exemple 100 euros sont envoyés, cette somme sera allouée dans le réseau Afrimarket. Le consommateur peut ensuite aller dans un point de vente, effectuer ses achats, et lors de son passage en caisse, c’est le téléphone qui se substitue à la carte bancaire« , explique Rania Belkahia. « Et son authentification se fait grâce à un téléphone mobile classique : le marchand entre le montant de l’acheteur, son numéro de téléphone tandis que le consommateur entre un code PIN dans le terminal. « Si le compte du bénéficiaire est créditeur, le serveur appelle le téléphone du client qui émettra alors un son crypté qui sera entendu par le terminal. Cela permet de vérifier si le client est le bon et de rendre la transaction irrévocable« [4].

Fonctionnement et Technologie Afrimarket

La technologie

La technologie utilisée pour la sécurisation des transactions est celle du NSDT (Near Sound Data Transfer) développée par la société Tagattitude. Elle permet d’utiliser n’importe quel type de téléphone mobile (même les Feature phones) pour effectuer un paiement grâce à un échange de signal audio contenant des données cryptées avec un terminal approprié détenu par le marchand. Une technologie qui a déjà fait ses preuves dans plusieurs pays africains dont la Côte d’ivoire, le Mali, L’Afrique du Sud, etc.

… la future référence du transfert de fonds vers l’Afrique?

Bien qu’installée sur une niche à forte croissance (qui peut même devenir un vrai marché?), et offrant l’un des plus bas taux de transfert du marché (5%), Afrimarket ne représente actuellement pas une menace pour les mastodontes du transfert d’argent vers l’Afrique.  L’une des principales raisons du succès des leaders du marché est la taille de leur réseau de distribution.  Western Union et Money Gram ont su, grâce à des partenariats avec des banques, des postes, des petits commerces, etc., se rapprocher le plus possible des usagers.

Pour devenir un concurrent réel du duo du transfert d’argent sur le continent africain, la jeune startup devra donc multiplier les partenariats sur le continent africain, et faire adhérer un nombre très important de commerçants de proximité à son réseau.

Le futur d’Afrimarket pourrait aussi s’envisager dans un rachat par l’un des leaders du marché du transfert d’argent ou de la grande distribution en Afrique. Car, au vu de l’intérêt du concept, les acteurs traditionnels ne resteront certainement pas les bras croisés à observer la jeune startup leur grignoter des parts de marché.

Ismael Christian JEKINNOU

Les transferts de fonds : L’Aide «privée» africaine…au développement?

APAPersonne n’aime quitter son chez soi pour des terres inconnues. L’émigration s’impose lorsqu’on veut contribuer à un meilleur avenir pour sa famille, sa communauté ou pour son pays. C’est le cas des étudiants à la recherche d’une meilleure formation en occident, ou des travailleurs qui profitent de la globalisation (mobilité du facteur capital). Cette contribution prend plusieurs formes : intellectuelle (les initiatives comme Terrangaweb) ou financière. Cette note se focalise sur la deuxième forme de contribution, qui est l’essence même de la solidarité entre la diaspora et leur pays d’origine. Selon la Banque Africaine de Développement, l’Afrique est la partie du monde qui bénéficie le plus de ces flux financiers. En 2012, on estime à 60 Mds USD le montant total des transferts effectués par la diaspora vers le continent. Ce montant devrait atteindre 64 Mds USD en 2013/2014. Des fonds assez importants dont on peut bien se demander l’utilité. Une chose est certaine ; c’est que ces fonds rentrent sur le continent et donc participent d’une façon ou d’une autre au bien-être de leurs destinataires.

Les transferts de fonds comme second flux de capitaux étrangers en Afrique

Les transferts sont des transactions portant sur des sommes d’argent généralement comprise entre 50 et 1 000 euros.  Ils sont de l’épargne des migrants, des salaires envoyés directement par les employeurs et des transferts sociaux versés directement aux migrants ou à leur famille dans leur pays d’accueil (pensions, retraites, allocations familiales, frais de maladie, etc.)[1]. L’Afrique est l’une des régions du monde qui bénéficient de plus en plus de ces flux financiers[2]. Actuellement, les envois de fonds représentent environ plus du tiers du total des flux financiers vers l’Afrique (voir figure).

img_apa_iSelon les données de la Banque Mondiale, les transferts de fonds vers l’Afrique représentent en moyenne sur les 5 dernières années plus de 3 % du PIB de plusieurs Etats africains. Cette proportion va jusqu’à 30% pour le Cap Vert, qui est un pays qui présente la particularité d’avoir plus de ressortissants dans la diaspora que sur son territoire national. Les transferts des migrants constituent le deuxième flux de capitaux étrangers vers l’Afrique après l’investissement direct étranger (IDE) et devant l’aide publique au développement (APD). Selon une l’étude (1) de Flore Gubert, les transferts de fonds vers l’Afrique ont  été plus importants que l’aide publique au développement depuis le début des années 1990. Ces fonds présentent au moins l’avantage d’être plus stables que les autres flux de capitaux d’origine privée. En effet, malgré la crise de 2008/2009, la BAD estime que le montant des transferts est resté stable jusqu’en 2011 et devrait amorcer une hausse à partir de 2013.

Toutefois, ces données ne prennent pas en compte les transferts effectués de manière informelle vers l’Afrique, qui tendent à devenir de plus en plus importants. Ces importantes sommes d’argent acheminées par des canaux informels ne sont pas comptabilisables. Des réseaux bien plus flexibles et moins onéreux que les institutions classiques offrent ce genre de services et concurrencent sérieusement les sociétés de transferts de fonds. Au Sénégal par exemple, le système consiste à faire passer de l’argent par l’intermédiaire d’une entreprise d’import-export présent sur le territoire. Le migrant dépose le montant auprès d’un représentant dans son pays d’accueil moyennant une indemnisation moins importante qu’en cas de recourt à un agence spécialisée de transferts de fonds. Le correspondant de ce dernier résident au Sénégal remettra tout simplement le montant équivalent à la famille du migrant sur place. Tout se passe comme si l’on remettait un cadeau à une connaissance, qui une fois de retour, fera la commission à la famille. Tout ceci étant, l’aide « privée » africaine pourrait être en fait le premier flux de capitaux étrangers à destinations de l’Afrique, déduction faite des fonds issus de la cybercriminalité et qui emprunte les mêmes canaux.

Ces transferts créent une activité, tout au moins dans le secteur financier : bon nombre de services sont créés pour les transferts d’argent (W@ri par exemple) même si la concurrence se fait rude. Au-delà ; l’impact des transferts sur le bien-être des ménages devrait être positif car ils augmentent ou procurent un revenu aux familles ou aux communautés. L’investissement faisant appel à l’épargne, ces fonds devraient donc vraisemblablement contribuer à une amélioration de l’activité. Est-ce effectivement le cas ? Nous y reviendront dans l’acte 2 de cette note.

Foly Ananou.

 


[1] F. Gubert, L’impact des transferts de fonds sur le développement des pays d’origine : le cas de l’Afrique, Migrations, Transferts de fonds et développement, OCDE, 2005

[2] Rapport Perspectives Economiques en Afrique 2013. BAD.

Bitcoin : Une révolution pour la diaspora et la finance en Afrique ?

Avoir une monnaie mondiale libre de tout contrôle d’Etat qui peut être utilisée de façon presque intraçable semble être trop beau pour vrai. Mais, la monnaie Bitcoin est une réalité, et elle a le potentiel de transformer la finance en Afrique. En tant que monnaie électronique, maintenue par un réseau peer-to-peer, le Bitcoin est basé sur un réseau ouvert, indépendant non seulement des contraintes géographiques de devises fortes, mais aussi des mesures de manipulation d'approvisionnement, réduisant ainsi sa sensibilité à l'inflation. Sa qualité anti-inflationniste est renforcée par le fait que sa masse monétaire soit limitée à 21 millions de Bitcoins même si elle se développe à mesure que le réseau s'accroit.

Comment cela marche ?

Pour pouvoir échanger des bitcoins, les internautes doivent installer un logiciel sur leur ordinateur. Ces utilisateurs allouent dès lors une partie de la capacité de calcul de leur ordinateur, et contribuent au processus de sécurisation des transactions. Les Bitcoins peuvent ensuite être stockés dans les portefeuilles virtuels cryptographiques sur des ordinateurs ou des smartphones, ce qui rend leur utilisation presque aussi anonyme que des espèces sonnantes et trébuchantes. « Par certains aspects, le bitcoin ressemble à des monnaies comme l'or car il y a une masse globale connue en circulation. Elle résiste donc à l'inflation et sa stabilité ne dépend pas d'un pays en particulier. Mais le bitcoin ressemble aussi à de la monnaie fiduciaire. Comme l'euro par exemple, la valeur d'un bitcoin dépend du fait que certaines personnes sont prêtes à l'accepter comme un moyen de paiement pour les biens et services », analyse Vili Lehdonvirta, spécialiste des biens virtuels et auteur d'une étude pour la Banque mondiale.

Une aubaine pour la diaspora africaine et leurs proches

Comment cette monnaie électronique peu connue pourrait décoller et transformer la finance en Afrique? Tout d’abord, notons que l'importance de l'argent envoyé par les diasporas vers les économies africaines est considérable. Ces entrées de capitaux privés ont une incidence directe sur le niveau des ménages et ont fait leurs preuves sur l’alimentation de la croissance locale, car elles pourvoient à des améliorations tangibles locales en fournissant un financement immédiat pour l'éducation et la santé ou des investissements dans les entreprises et les start-ups. Et, globalement ces paiements de transfert de fonds l'emportent sur les schémas d’aides humanitaires. Ce constat est vrai même dans un contexte où les transactions totales sont à la baisse en raison de la crise financière. Les migrants envoient toujours à la maison d’importantes sommes. Le Nigeria, par exemple, a reçu 10 milliards de dollars en 2009 en provenance de sa diaspora, et la contribution en pourcentage des paiements de transfert de fonds par rapport au PIB de certains pays est considérable avec, au Lesotho, un taux de près de 25%.

Le Bitcoin aide à résoudre bon nombre des problèmes actuels liés aux méthodes d’envoi d'argent vers les pays d’origines de la diaspora africaine. Les services de transfert d'argent sont efficaces, mais coûteux. Les virements bancaires peuvent également être coûteux tout en souffrant généralement d'un manque de rapidité et sont souvent inutiles pour les millions d'Africains sans compte en banque. De plus, envoyer de l'argent en utilisant régulièrement les services postaux est presque impensable. Le Bitcoin permet à ses utilisateurs de contourner les frais exorbitants pratiqués par les banques et les services de transferts, tout en offrant un service sécurisé, anonyme et surtout instantané. Ces facteurs sont clairement positifs pour l'impact économique et le développement des paiements de transfert de fonds car les expéditeurs qui seraient libérés des entraves de frais d'administration élevés pourraient fournir plus d'argent à leurs proches.

Transformer les paiements en Afrique

En outre, la monnaie pourrait apporter une sécurité renforcée pour les citoyens des pays où les mauvaises pratiques économiques et financières ont rendu leur monnaie trop instable ou, pire encore, sans valeur comme c’est le cas pour le dollar zimbabwéen. Bien qu'il soit peu probable que la monnaie représente un grand intérêt dans les pays à devise bien établie, l’attrait africain du Bitcoin est évident. Bien sûr, des problèmes d'infrastructure sont un obstacle majeur, et aucune monnaie africaine ne peut actuellement être échangée avec des Bitcoins. Cependant, avec la hausse des ventes de smartphones et une connectivité Internet qui devrait augmenter de façon exponentielle dans les prochaines années en Afrique, le Bitcoin semble plus que réalisable. Ces facteurs structurels associés à la réussite généralisée de M-Pesa, un système de transfert d'argent d’avant-garde via la téléphone mobile, montre que l'adoption de cette technologie ou quelque chose de similaire dans le futur n'est pas inconcevable.

 

Kader Diakité, article initialement paru chez notre partenaire Next-Afrique