Ultras, Les sentinelles des manifestations Nord-Africaines (2)

Un mouvement qui fait des adeptes

L’Afrique du Nord occupe une place stratégique dans le bassin méditerranéen, c’est un carrefour de civilisations frontalier de l’Europe et de l’Asie où la religion musulmane s’est culturellement installée. Dans l’agitation des grandes villes, l’étalement des richesses et l’occidentalisation des mœurs désorientent une partie de la jeunesse qui ne sait plus où se situer entre mondialisation et traditions. Les études scolaires voire universitaires ne conduisent que très peu souvent à des emplois ou des rémunérations espérées. Beaucoup doivent se résoudre à rejoindre un travail avec peu de perspectives ou apprendre à se débrouiller par soi-même. 

Encadrées par les codes du mouvement ultra, les tribunes sont devenues un endroit privilégié par des milliers de jeunes de cette génération pour s’exprimer. L’effet de masse désinhibe et l’esprit de famille véhiculé rassure.

En traversant la Méditerranée, le mouvement Ultra a subi une évolution qui symbolise bien son adaptation dans la région. Chaque nouvelle saison de football est marquée par la sortie des albums regroupant les nouveaux chants des différents groupes de supporters. Comme si les jeunes, ici, avaient beaucoup de choses à dire… Ils chantent à la gloire de leurs clubs et de leurs couleurs et moquent leurs rivaux, bien sûr. Mais ils font aussi l’éloge de leur style de vie et dénoncent les agissements répressifs des forces de l’ordre. Des chants qui rassemblent et dans lesquels peuvent s’identifier les jeunes. Disponible en libre écoute sur Internet, le phénomène viral accroît la propagation de « l’esprit » Ultra. Bien au-delà des stades. Bien au-delà des traditionnels magazine « fanzines » de la culture ultras européenne.

illustration image d'album

Illustration 1

Un mouvement qui dérange… et dérape

En encourageant son équipe avec fanatisme au sein d’un groupe associatif organisé, que ce soit pour les matches à domicile, ou lors des déplacements, les ultras se placent souvent aux frontières de la loi. Dans des affrontements avec les groupes adverses, les forces de l’ordre, ou les deux. Les agissements ont lieu au sein du stade parfois et dans la rue souvent. Les policiers sont obligés de réagir par anticipation et amplifient le phénomène d’opposition et de rébellion. 

Quand les médias locaux parlent des ultras, c’est pour aborder des faits divers de débordements. C’était le cas lors du match de championnat marocain de botola pro, entre les l’AS FAR et le DHJ, le 19 octobre dernier au stade du centre de Rabat. L’arbitre a dû interrompre le match suite à une altercation en tribune entre Ultras de l’AS FAR. En direct à la télévision, les forces de l’ordre n’ont pas su tenir leurs positions. Pire, en voulant intervenir, cela dégénère et un policier finit par se fait tabasser sur le terrain. Les interpellations et les condamnations interviendront rapidement après le match, mais la démonstration de force est faite, sous les chants de la tribune. Ces actualités  font la « une » et sont à chaque fois abordées avec beaucoup de véhémence. Elles peuvent pourtant trouver un écho favorable pour toute une génération de jeunes qui ne trouvent pas leurs places dans le système. Dans des pays aux régimes autoritaires où la classe moyenne tarde à émerger, le mouvement ultra se marque comme un courant contestataire qui rassemble. Il devient même omniprésent dans certains quartiers où les Fresques et Tags marquent les territoires. Les jeunes viennent chercher leurs doses de liberté hebdomadaire au stade, et alimentent leurs combats dans une ambiance de fête. Des joints de haschich circulent lors des différents rassemblements tout comme l’alcool et des pilules de drogue. Ajouté aux frissons des matchs et aux déplacements en camionnette à travers le pays, cette vie de rebelle fait beaucoup d’adeptes. 

AS FAR DHJ vol de bache - Version 2

Illustration 2

En Égypte, autour d’un championnat de football historique avec des clubs datant de l’époque coloniale, certaines équipes ont des identités fortes et des rivalités prononcées. Une aubaine pour les Ultras du Al Ahly SC, dont la popularité et l’image de « club du peuple » de leur équipe a permis l’ouverture de section de supporteur dans de nombreuses villes du pays. Partout où joue le club, les Ultras Ahlawy sont présents. Ils dérangent et sont confrontés aux forces de sécurité dans toutes les villes du pays, car où qu’ils aillent, on redoute leurs présences. Après la révolution du printemps arabe, les généraux militaires du SCAF ont rapidement mis à profit le temps qu’ils passent au pouvoir pour faire payer aux UA 07 leurs investissements dans les manifestations de la place Tahrir. Ils savaient très bien que la révolution n’était pas une finalité pour eux, et que la menace se représentera lors des prochaines grandes manifestations civiles. Les ultras n’ont jamais cessé de pousser des chants contestataires et de se frotter à la loi. En plus des 74 victimes, la tragédie de Port-Saïd a provoqué l’arrêt du championnat pour 2 années. En guise d’avertissement et d’ultimatum. Mais dès que cela a été possible, notamment lors des compétitions continentales de la CAF, les Ultras cairotes ont montré qu’ils sont toujours là, plus solidaires et soudés que jamais. Pourtant, les matchs étaient organisés loin de l’agitation du Caire, à El Gouna, station balnéaire plus connue pour son spot de kitesurf que son stade de football. La volonté de ne pas voir de supporter était affichée. Manqué ! Plus de 5000 personnes se sont déplacées à plusieurs reprises, en reprenant leurs chants et leurs nombreuses animations derrière leur bâche et leurs drapeaux. À la vie, à la mort. 

Même contre sa propre équipe

Banderole JSK EBossé 2 - Version 2

Illustration 3

Les Ultras ont besoin de leurs clubs pour exister. Lorsque l’intérêt sportif est faible, il est toujours plus difficile de rassembler du monde et de s’enthousiasmer. L’effet de masse est important pour affirmer la force du groupe. La frustration grandissante, les supporteurs n’hésitent pas à reprendre avec ardeur leurs équipes s’ils estiment qu’elles ne donnent pas leurs maximums. Ils ne tolèrent pas que des joueurs, qui ne sont que de passage dans leurs clubs, puissent mettre en péril la raison de leurs combats. Parfois cela dégénère. Vient alors la fâcheuse habitude, prise sur tout le continent, de jeter sur le terrain ce qu’il est possible de lancer. Dans les stades généralement vétustes, on trouve toutes sortes de débris. Ce qui a conduit au fait-divers tragique de Tizi Ouzou où le jeune joueur camerounais Albert Ébossé est victime d’un jet de pierre fratricide. Un geste qu’il faut condamner sévèrement, mais pas au détriment du mouvement Ultra. Lui, il n’est pas le coupable. Au contraire, il est le fruit de la négligence du système, dans la faillite de son éducation, la faillite de sa répression, la faillite de son entretien des lieux publics… Le stade est un reflet de la société.

Pierre-Marie Gosselin

 

Illustration 1 : Plaquette de présentation de l’album 2013 des ultras Helala Boys HB07 du KAC de Kenitra au Nord du Maroc.  Lien 

Illustration 2 : Photo illustrant les affrontements du 20/10/2014 entre les Ultras et la police. Lien vidéo

Illustration 3 et 4 : Photos  publiée sur la page facebook officiel des Ultras Samba Boys , groupe de la zone amazigh de la JSK Kabylie après la mort d’Albert Ebossé :  lien 

Ultras, sentinelles des manifestations Nord-Africaines

Petite histoire des tribunes animées

Tout au long de l’histoire, les stades ont été le théâtre de nombreux drames humains. Des milliers de supporters venus assister à des matchs de football et ne sont jamais rentrés chez eux, victimes d’accidents ou de bousculades. Si certains sont imprévisibles, beaucoup sont provoqués par des mouvements de foules déclenchés par les supporters, les forces de l’ordre, ou les deux parties. Prévisibles, surtout quand les matchs associent tous les ingrédients d’un cocktail qui peut exploser lorsque les enjeux sont importants ou qu’ils opposent des équipes aux rivalités fortes. L’antagonisme entre des supporters organisés en groupes et des forces de l’ordre prêtes à user de la violence pour les contrôler, s’ils estiment que c’est nécessaire, est une véritable poudre à canon. Par la réglementation imposée aux clubs pour accueillir des matches et la répression, l’Europe de l’Ouest et l’Amérique du Sud parviennent tant bien que mal à limiter ces tragédies. En Afrique, au contraire, on compte les victimes par centaines ces dernières décennies. Le plus alarmant est qu’elles sont de plus en plus récurrentes que ce soit au Ghana, en Guinée, en Côte d’Ivoire, en RD Congo ou au Maghreb. La vétusté des stades, l’absence d’issue de secours, les mauvais agissements de certains supporters et les réprimandes qui suivent des policiers, y sont pour beaucoup.

illustration article mouvement de foule

Le mouvement de foule qui a eu lieu le 1er février 2012 au Nord de l’Egypte, dans le stade de Port-Saïd, où 74 supporters du club Cairote du Al Ahly SC trouvent la mort, ne répond pas aux caractéristiques habituelles. Très présent lors de la révolution sur la place Tahrir, et à quelques jours du premier anniversaire de  la chute de Moubarak, les Ultras Ahlawy semblent être les cibles évidentes de ce massacre. L’absence de réaction des policiers et la violence inhabituelle des Ultras Green Eagles 07 du club local Al Masry,  sans réelle préméditation,  rentrés avec de nombreuses armes dans le stade,  intriguent.

Ultras, définition d'un mouvement quadragénaire

Les Ultras sont des groupes de supporters fanatiques structurés autour d’une association indépendante du club qu’ils encouragent. Cette forme de supporterisme est apparue en Italie à la fin des années 60, dans les tribunes de Milan, Gênes et Turin. Ils se sont fortement inspirés d’un mouvement Sud Américain.  Depuis le début des années 30, là-bas on anime activement les tribunes. Chants, applaudissements, drapeaux, tambours et fumigènes permettent de mettre l’ambiance et de représenter son club et son quartier dans les matchs contre les autres équipes de Buenos Aires, Sao Paulo, Rio de Janeiro ou Montevideo. Comme dans toutes fêtes, l’alcool est présent, la violence qui en découle aussi. Elle est même proportionnelle à la passion. Prémisse de la mondialisation, le phénomène déferlera sur l’Europe avec la diffusion TV des matches. Le mouvement Ultra se différencie du hooliganisme venue de Grande Bretagne, qui mise avant tout sur la violence pour déstabiliser son adversaire. Margareth Thatcher s’est chargée de mater le phénomène sur son île avec sa politique de fer à la fin des années 80. Certains hooligans œuvrent encore aujourd’hui en Europe, ils sont difficiles à contrôler et imprévisibles. La violence est également présente autour du mouvement Ultra, mais elle n’est pas l’élément de base du rassemblement. Les Ultras essaient davantage de se distinguer par leurs nombres et leurs animations en respectant certaines règles, dont l’obligation de ne pas s’attaquer aux gens qui ne sont pas du mouvement. Une fois par semaine, tous mettent en pause leurs vies pour rejoindre une zone où le jugement d’autrui n’est pas toléré. Un contexte fanatique imprévisible, où les couleurs du maillot suppriment toutes les barrières physiques ou morales. Une zone de liberté totale dans une atmosphère solidaire.

TIFO AL ALHY ILLUSTRATION 2

 

À la fin des années 90, les groupes ultras étaient déjà présents dans une grande partie des tribunes de l’Europe « Latine ». On retrouve des associations importantes en Espagne, au Portugal, en France, en Grèce, en Turquie et dans les Balkans. Ils sont les sentinelles de l’histoire de leurs clubs et veillent, à préserver un certain idéal du football, ils s’en nourrissent au même titre que les rivalités.   

 

Les Ultras sont apparus dans les pays du Nord du continent Africain en deux temps. Les précurseurs sont les African Winners du Club Africain de Tunis en 1995. Il faudra ensuite près de 10 ans pour voir de nouveaux groupes se créer. Sans doute le temps qu’ils s’adaptent à la culture arabo-musulmane et aux régimes autoritaires qui sont en place. La passion du foot est là, et depuis 2005 on assiste à une déferlante. Chaque club de foot ou presque, de Rabat au Caire, est soutenu par au moins un club d’Ultras dont les aspirations varient en fonction de la région et de l’histoire du club qu’ils supportent. Dans les grandes villes, les groupes sont très bien organisés et grandissent rapidement. En moins de 10 ans d’existence, ils sont déjà reconnus par leurs frères Européens. En 2011, un groupe d’Ultras, les Blue Lions, sont apparus à Khartoum au Soudan pour soutenir l’équipe de Al Hilal, une première en Afrique noire.

Dans les pays où les jeunes ont du mal à trouver du travail, Ultra est un style de vie. Même lorsque l’équipe ne joue pas ils continuentultras-ahlawy-showing-tantawy-the-red-card d’y consacrer leurs quotidiens. C’est une seconde famille qui permet de surmonter les difficultés quotidiennes de la vie. En Grèce et en Turquie les groupes atteignent plusieurs milliers d’adhérents.

Avec son apparition dans les pays du monde arabe, le mouvement Ultra a pris une nouvelle dimension. En 2011 les groupes des clubs rivaux du Zamalek et du Al Alhy, les White Knights 07 et les Alhawy 07, se sont unis lors des manifestations du printemps arabe sur la place Tahrir. Ils se sont associés à la population et se sont occupés de réduire la portée des répressions des policières qu’ils ont décidé de combattre ensemble sous des chants de stades. Ils obtiennent une victoire par KO sur Moubarak. Pas intéressés par la politique, ils se retirent des discussions une fois le régime parti. Cette nouvelle façon de contribuer à l’ordre démocratique,  a donné un nouvel élan que l’on a pu retrouver sur place Taksim à Istanbul (en Turquie), où les UltrAslan du Galatasaray, la Çarşı du Besiktas et les GençFenerbahçeliler du Fenerbahçe, ennemis héréditaires, ont signés une trêve pour soutenir et protéger les manifestants. Avec la aussi la victoire au bout.

Ces démonstrations de forces des Ultras dans les dernières grandes manifestations sont une nouvelle menace pour les dirigeants politiques. Au pont d’en arriver au massacre de Port-Saïd ? Nous prendrons de la hauteur sur ce mouvement en Afrique du Nord dans le second chapitre.

Pierre-Marie GOSSELIN

Légende photo 1 : Mouvement de foule à la fin du match entre l’AS Vita Club et le TP Mazembe au stade Tata-Raphael de Kinshasa le 11/05/14 source : Facebook officiel TPMazembe

Légende photo 2 : Tifo du groupe Ultras Ahly lors du match de ligue des champions Al Ahly – Tusker(Kenya). Pour le grand retour des Ultras Ahlawy après la tragédie de Port Saïd le 07/04/13 source : www.ultras-tifo.net

Légende photo 3 : Illustration de la prise de position des Ultras sur le conseil supreme des froces armées, au pouvoir en egypte depuis 2011. Latuff source : latuffcartoons.wordpress.com