LES BLEUS DE TREVOR NOAH

Le 15 juillet dernier, l’Equipe de France de football remportait la vingt-et-unième coupe du monde de l’Histoire, lors d’une victoire face à la Croatie (4-2). La particularité de cette équipe : seize des vingt-trois joueurs Français sont d’origine subsaharienne. Une particularité que n’a pas manqué de mettre en avant, Trevor Noah, dans son émission The Daily Show, dès le lendemain. Une mise en avant qui a soulevé un tollé en France, de la part de nombreux citoyens, mais aussi de personnalités comme le basketteur Nicolas Batum ou l’animateur Nagui et jusqu’à l’Ambassadeur de France aux Etats-Unis. Dans le même temps, la presse italienne et l’ex-sélectionneur croate s’adonnaient à des réflexions racistes sur cette même équipe de France, dans un anonymat confondant. Décryptage d’un événement qui en dit bien plus qu’il n’y paraît. Continue reading « LES BLEUS DE TREVOR NOAH »

La polémique du «joueur typique Africain », est-elle le symbole d’un football africain pas encore indépendant?

En novembre dernier, les déclarations d’un entraîneur français relancent le débat du racisme au sein des institutions du football français, et le style du football africain. Des propos qui poussent à la réflexion. Explication en remontant le temps.

Retour sur la polémique

L’ancien international français (58 sélections), et entraîneur des Girondins de Bordeaux, Willy Sagnol, répondait aux questions de lecteurs d’un journal local. La thématique de la CAN, et le départ d’une partie de ses joueurs internationaux africains (12) furent abordés. L’entraîneur dérape et déclenche la polémique. Il annonce que sous son mandat la politique de recrutement du club bordelais ne sera plus tournée vers l’Afrique. Dans des propos remplis de préjugés, il y va de sa caricature en décrivant le joueur « typique » africain comme « pas cher quand on le prend, (…) qui est prêt au combat généralement, qu'on peut qualifier de puissant sur un terrain. Mais le foot (…), c’est aussi de la technique, de l’intelligence, de la discipline». L’entraîneur s’enfonce en appuyant son discours d’une comparaison avec les « Nordiques » et leurs « bonnes mentalités ». Des propos condamnables et condamnés qui seront rapportés par l’ensemble des médias nationaux, sortant de la grille de lecture sportive de cette intervention.  

Photo 1 (2)Symptomatiques d’une France schizophrène de sa diversité qui flirte avec le parti d’extrême droite à chaque élection, l’ensemble des joueurs noirs et maghrébins sont considérés comme des joueurs africains. Faisant abstraction de ceux qui sont nés, ont grandi, et ont été formés en France. Les propos sont jugés de racistes par certains, ou de maladroits par d’autres. Au final, ce fut un buzz médiatique, qui disparut dans des excuses publiques aussi rapidement qu’il est apparu. Seul l’auteur des propos restera avec ses propos sur la conscience. Beaucoup de bruit, pour une bonne leçon. Et une casserole de plus pour le football français, habitué des polémiques racistes dans ses plus hautes sphères.

 

Le paradoxe du style africain. L’histoire comme preuve. 

Depuis de nombreuses années, les sélections nationales de football d’Afrique subsaharienne ont la réputation d’être construites sur les qualités physiques et athlétiques de ses joueurs. 

Paradoxalement, ce ne sont pas des qualités qui correspondent à la pratique naturelle et généralisée du football. Les matchs joués sur des espaces réduits et pas toujours uniformes contribuent à développer la technique et l’agilité. Comme au Brésil, où les plus grands joueurs sortent des Favelas et de leurs terrains vagues. L’histoire elle aussi va dans ce sens-là.

Chercheur à l’Observatoire du football de Neuchâtel, Raffaele Poli date les premières filières de transfert dans les colonies africaines au début des années 50. Le Portugal recruta, en 1960, le meilleur joueur de son histoire au Mozambique. « O pantera Negra » EUSÉBIO. L’AS Saint-Étienne fera fuir illégalement Salif Keita pour qu’il puisse les rejoindre. Des efforts immenses à l’époque pour attirer des joueurs très talentueux qui avaient fait leurs preuves sur le continent. 

Photo 2 (1)Dans son livre sur le parcours du triple champion d’Afrique, le HAFIA FC de Conakry, Cheick Fantamady Condé nous rapporte des propos de Maitre Naby Camara. L’actuel président du CNOSF de Guinée était l’entraîneur de l’équipe de Conakry quand il répondait aux questions du journaliste Amady Camara. C’était juste après la défaite face au CANON de Yaoundé, en finale de la coupe des champions d’Afrique, perdue en 1978. (0-0 à Conakry, et 2-0 au Cameroun).  Questionné sur les ingrédients utilisés par l’entraîneur Serbe Ivan RIDANOVIC,  il déclare : « La recherche du résultat a tout pris a provoqué le recours à des tactiques peu spectaculaires, le béton, et à des expédients peu élégants comme l’antijeu. (…) Ce n’était pas le vrai visage du football camerounais. Les Leppé, Koum, Tokoto, Léa, Ndongo, Milla, etc., ce sont épanouis en jouant avant tout au ballon ».

Car le spectacle était de rigueur dans les tribunes africaines. En Guinée, le président Sékou Touré, avait la volonté de valoriser l’indépendance de son pays, en démontrant la supériorité de ses représentants. Pendant 8 ans, il contribuait à la réputation flatteuse du style de jeu d’une équipe qui portait le sceau de sa révolution.

Outre la philosophie de certains entraîneurs, qu’est-ce qui a conduit à ce changement radical? La réponse se trouve peut-être en France.

« L’arroseur, arrosé »

Depuis la victoire au mondial 1998, les orientations données par la Direction Technique Nationale de la Fédération Française de Football, prônent un style de jeu fondé sur la solidité défensive. Les éducateurs sont formés dans cette optique. La recette du succès du football français qui s’est généralisée dans les centres de formation s’appuie essentiellement sur le physique. Même si des exceptions existent, beaucoup de joueurs furent recalés, car trop petits ou pas assez rapides, et malgré leurs talents certains.

La France est le pays qui recrute le plus de joueurs africains depuis l’arrêt Bosman en 1996.  Et pour répondre aux attentes des clubs qui les emploient, les recruteurs Français, sont à la recherche de joueurs qui correspondent à ces critères. 

Une fois expatriés, le statut des joueurs suffit à en faire des joueurs internationaux. Accompagnés des bi-nationaux formés en France, au fil du temps,  certaines sélections africaines se sont transformées en armada de joueurs du même profil : physique et défensif. 

En caricaturant le footballeur africain, Willy Sagnol n’a fait que pointer le doigt sur le football de son pays, et les directives de ses dirigeants.

Photo 3 (1)Car bien au contraire, « Le joueur typique africain » avait pour mission de faire lever les foules grâce à ses dribbles et ses actions imprévisibles. C’est ce qu’ont fait chaque week-end les meilleurs joueurs du continent. Salif Keïta, Pierre Kalala, Laurent Pokou, Roger Milla, George Weah, Rashid Yekini, Japhet N’Doram,  Nwankwo Kanu, Samuel Eto’o, Mickael Essien, Yaya Touré… 

Mais seulement quand leurs entraineurs leur laiss(ai)ent la possibilité de s’exprimer, ce qui n’est pas toujours le cas. Comme Hervé Renard qui avant la finale de la dernière CAN 2015, déclarait que pour gagner, il faut : « bien fermer leurs joueurs offensivement importants (… ) Ce sera très serré. Peut-être que ça se décidera sur coup de pied arrêté ». Soit bétonner et être réaliste, comme le Canon de Yaoundé de Ivan RADINOVIC en 1978, malgré Roger Milla, malgré Gervinho, Yaya, etc… 

Pierre-Marie GOSSELIN

 

Source citation et données :

Lien vers l’intégralité de l’intervention de Willy Sagnol dans son face à face avec les lecteurs. La question que nous abordons est disponible à partir de la 18ième minute : https://www.youtube.com/watch?v=wv6JVci1XG4&feature=player_embedded

Cheikh Fantamady CONDÉ (2009) Sport et Politique en Afrique, Le Hafia Football Club de Guinée, L’Harmattan Guinée

Conférence de presse de Hervé RENARD le 08/02/2015 avant la finale de la CAN, source AFP, disponible sur www.lequipe.fr http://www.lequipe.fr/Football/Actualites/Renard-ne-pas-laisser-passer-cette-chance/534891

Bibliographie : 

Raffaele POLI : Migrations et commerce de footballeurs africain : aspect historique, géographique et culturel, We Are Football Association http://www.wearefootball.org/PDF/une-nouvelle-traite.pdf

Illustration :

Photo 1 : l’équipe de France en 2008, Willy Sagnol (n°19) entouré de Patrick Viera et Lilian Thuram

Photo 2: Le Hafia FC de 1977, photo de couverture du livre de Cheick Fantamady CONTÉ

Photo 3 : Caricature de Dadou, sur le style de jeu des girondins lors de la saison 2013/2014, et la réaction des supporteurs . www.foot-land.com

CAN 2015 : Édition 100% Africaine, avec ses charmes, ses surprises et ses aléas

Des suites de la surprenante défection du Maroc au mois de novembre 2014, la Guinée-Équatoriale a accepté d’organiser la grande fête du football africain à la dernière minute. Le président camerounais de la CAF, Issa Hayatou, ne s’y est pas trompé "A deux mois de l'événement, pour accepter d'organiser une compétition comme celle-là, il faut avouer qu'il faut être vraiment un vrai Africain". Les prémisses d’une belle édition pour cette 30ème Coupe d’Afrique des Nations. Dans un pays qui avait co-organisé avec succès l’édition de 2012.

Une demi-finale offerte à l’organisateur 

En tant que pays hôte, la sélection équato-guinéenne, sportivement éliminée, est repêchée au dernier moment pour jouer la compétition. Le Nzalang National, qui a pourtant un niveau de jeu limité, se retrouve dans l’obligation de réaliser de grands exploits pour que le peuple puisse fêter son équipe ; à tout prix. Le président Teodoro Obiang Nguema Mbasogo le sait, et il est obligé de se couvrir.

photo 1 Hayatou remet un présent à Obiang NguemaMême si les équipes participantes savent où elles posent leurs crampons, cette délocalisation bouleversera invariablement la hiérarchie sportive. Logiquement, les premières plaintes apparaissent très tôt dans la compétition, pour critiquer le favoritisme qui entoure l’équipe équato-guinéenne. Malgré toute son expérience, l’entraîneur des Diables rouges du Congo, Claude Leroy, dénonce l’accueil particulier que son équipe reçoit pour le match d’ouverture.  Puis c’est au tour du Burkina Faso et du Gabon de signaler un manque d’équité. Que ce soit sur le terrain ou en amont des matchs, depuis la chambre d’hôtel jusqu’au transport en bus, tous les moyens sont bons pour déstabiliser l’adversaire. La Guinée finira deuxième de son groupe avec 5 points. 2 matchs nuls et une victoire décisive contre le Gabon, pour clôturer la phase de poules. 

 

En ¼ de finale, pour le premier match à élimination directe, c’est au tour de la Tunisie de subir un « coup de machette » Équato-photo 2 tunisie_guinne_equatoriale_arbitre_can2015Guinéen. Les décisions de l’arbitre pour le moins litigieuses influent largement sur le résultat final, et provoquent la colère des tunisiens. Ces derniers seront a posteriori sanctionnés pour leurs critiques virulentes. La CAF sait ce qu’elle doit à la Guinée-Équatoriale qui les a sortis d’un sale pétrin, et elle se doit de la remercier.

Dans ce contexte favorable, les joueurs équato-guinéens obtiennent une qualification historique en ½ finales. Ils s’inclineront face à la très belle équipe des Black Stars du Ghana, bien supérieure dans tous les secteurs du jeu ; défaite 3 à 0. Malheureusement, la dernière image qui marquera cette épopée inachevée, celle qui restera dans les esprits, n’est pas sportive. Mauvais perdant, les supporters locaux agressent les fans ghanéens avec des jets de projectiles. Pour y remédier, la gendarmerie décide d’utiliser le vol stationnaire d’un hélicoptère, à quelques mètres des tribunes, afin de disperser les plus insatisfaits. Une méthode inédite, mais très virulente. Pourtant, jusqu’à cette élimination, la fête avait été belle.

photo 3 Hélico Guinée Ghana

 

 

 

 

Une élimination par tirage au sort et la fièvre autour du fleuve Congo

Toutes les équipes ne se sont pas confrontées à la Guinée-Équatoriale, et l’on assiste à une très belle compétition. Elle est disputée dans les règles du photo 4 tirage-sort-canfair-play, avec son lot de surprise. Il y a du suspense et de l’enjeu à tous les matchs. On doit même recourir à une règle surprenante, pour départager le Syli de Guinée Conakry et les Aigles du Mali. À la fin du premier tour, les deux équipes sont à égalité parfaite (Points, différence de buts, nombre de buts marqués et encaissés). Une scène surréaliste dans le sport d’aujourd’hui, quand la victoire se joue le lendemain du match, suite au choix d’une boule dans un saladier. Un choix célébré sans retenue à Conakry, où il est perçu comme une grande victoire contre la malchance latente.

 

Du côté des grandes nations favorites, les Algériens n’ont pas réussi à confirmer leurs magnifiques performances de la coupe du monde en se faisant éliminer dès les ¼ de finale. Les lions camerounais et sénégalais ont donné beaucoup d’espoirs à leur pays sans pouvoir les satisfaire pleinement. Ce sera partie remise, dans 2 ans…

Cette 30ème édition de la CAN restera historique pour les deux Congo. Au-delà du fait que les diables rouges de Brazzaville ont réussi à gagner un match pour la première fois dans cette compétition depuis leur dernière demi-finale en 1974, le tableau nous a réservé un duel fratricide en ¼ de finale. Les cris de joie des uns et des autres traversent le fleuve entre Kinshasa et Brazza, dans un match au scénario incroyable, où les léopards de RDC sont venus s’imposer 4-2 après avoir été menés 2 à 0 jusqu’à l’heure de jeu. 

La Côte d’Ivoire enfin au sommet

photo 5 coppa barry porté en triompheAu final, c’est une Côte d’Ivoire orpheline de son prophète Didier Drogba, qui  remporte la compétition face au Ghana. Au bout du suspense, au terme d’une séance de tirs au but interminable dont sortira vainqueur le gardien Coppa Barry. Considéré jusque-là comme le maillon faible de son équipe, il est le nouveau  héros, celui qui effectue le tir vainqueur. Celui qui permettra à tout le peuple ivoirien de faire la fête pendant plusieurs jours, au président Ouattara de faire un tour d’honneur dans un stade comble, et à la diaspora de ressortir les drapeaux et de se brancher sur la RTi. Le trophée effectuera une tournée dans les plus grandes villes du pays pendant plusieurs mois.

À Kinshasa, les manifestations de la jeunesse qui ont dégénéré en guérilla en janvier 2015, étaient en pause lors des matchs des Léopards. Une trêve comme l’avait imaginé les grecques dans l’Antiquité, en instaurant les jeux Olympiques. Même si cette atmosphère ne dure qu’un temps, et que la ligne entre l’euphorie et la colère est très mince, cela justifie amplement que cette compétition se joue tous les deux ans. Comme une bouffée d’air frais dont l’Afrique a besoin… Prochaine édition en 2017, pas loin, chez le voisin gabonais. Une garantit pour cette compétition qui veut préserver son authenticité. 

Pierre-Marie GOSSELIN

Citation : conférence de presse d’officialisation de l’organisation de la CAN par la Guinée-Équatoriale, source AFP

Photo de couverture : Le président OUATTARA  tout sourire au côté de Yaya Touré lors de la présentation du trophée au stade Houphouët-Boigny d’Abidjan. Source  Reuters

Source photo 1 : Le président de la CAF Issa Hayatou offre un cadeau au président Théodorin     Obiang Nguema lors de la cérémonie d’ouverture de la CAN 2015. Source AFP

Photo 2 : Altercation entre l’arbitre Mauricien Radjindapasard Seechurn et les joueurs tunisiens. Source AFP

Photo 3 : l ‘hélicoptère au dessus de la tribune. Source : Issouf Sanogo AFP

Photo 4 : Tirage au sort entre le Mali à Gauche, et la Guinée à droite. Source  AFP

Photo 5 : Coppa Barry porté en triomphe par Wilfried Bony. Source AFP

Mascottes : les professionnels des tribunes d’Afrique

L’ambiance des tribunes de foot africaines peut prendre une dimension incroyable, lorsque les événements concourent dans ce sens. Un rugissement qui donne des ailes aux joueurs sur le terrain et permet des matchs incroyables, une sorte de turbo qui augmente l’intensité de la fête. Le fameux rôle du « douzième homme » qui permet de réaliser les plus grands exploits. Ici, les spectateurs sont rares, on ne retrouve que des supporteurs. Aux joueurs de provoquer la pulsion nécessaire à leurs réveils.

Supporteur n°1, au service de l’exploit sportif

La musique et la danse sont présentes en tribune, elles se sont naturellement imposées comme un excellent moyen d’encourager les joueurs sur le terrain, et mobiliser le public. Les sélections nationales d’Afrique de l’ouest et centrale peuvent compter sur des groupes de supporteurs, composés d’hommes, de femmes, dévoués pour encourager l’équipe chérie pendant 90 minutes, Parmi eux, ils s’en distinguent toujours quelques-uns qui revêtissent des couvre-chefs ou qui ont leurs corps recouverts de peinture. Ils ravissent les photographes et les caméras des journalistes qui s’en servent souvent pour illustrer le public. Pas étonnant, ils sont uniques dans la planète football. Ce sont des mascottes indépendantes, qui remplissent ce rôle de manière quasi professionnelle, et sont de véritables supporteurs « numéro un ». Ils ont la reconnaissance de tous pour ce rôle.

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Ces fameux supporteurs, des hommes en grande majorité, possèdent un attachement particulier à leurs équipes et un don pour pouvoir continuer à encourager sans fin, quelque soit la tournure du match. Ils accompagnent les joueurs ou qu’ils aillent, et sont capables de voyager plusieurs jours dans des conditions difficiles pour leur donner le soutien qu’ils méritent. Ils peuvent percevoir une rémunération, mais celle-ci est dépendante du bon vouloir des autorités compétentes, quelle que soit du football ou du gouvernement. Mais il n’est pas rare de les voir sollicités pour des événements sportifs, et pas uniquement autour des stades de foot, même s'ils sont leurs terrains de jeu favori. Ces quelques supporteurs à plein temps vivent ainsi au rythme des compétitions sportives et des grands matchs de foot. Ils accompagnent les délégations lors des Coupe d’Afrique des Nations ou des compétitions régionales.  Une forme d’emploi modeste mais qui permet de voyager, un luxe pour beaucoup de monde en Afrique. Ils sont devenus des artistes des tribunes, jamais en manque d’inspiration pour transmettre au public l’énergie du terrain, et permettre d’atteindre ce fameux rugissement du stade, qui fait voler les dribbleurs et décomplexe les attaquants. Une transe footballistique que seule l’Afrique peut créer. 

Pas de motivations Marketing

Présentes en Europe autour de quelques équipes, les mascottes sont arrivées via les sports US que ce soit à l’université, ou dans les ligues majeures (NBA, NFL, MLB). Des personnes déguisées en animaux ou personnages représentatifs du surnom de l’équipe. Elles sont devenues rapidement un argument marketing pour cibler les plus jeunes, et une partie prenante de ces shows du sport business. Certains sont bénévoles, d’autres perçoivent une rémunération directe ou indirecte. En Afrique, la considération économique n’est pas à prendre en compte, les mascottes se sont imposées d’elles-mêmes dans la vie de ces gens, qui n’ont pas hésité à se jeter dans l’arène et adosser cette fonction de troubadour des temps modernes.

Le Bénin a perdu ses deux mascottes ces dernières années. Papa Boyayé puis Bernard Tapie ont quitté ce monde dans un émoi national. Ils ont été Illustration 4nombreux à les accompagner pour leurs derniers voyages. Car ils ont laissé les écureuils de la sélection Béninoise orphelins de leurs ambianceurs. Car, depuis leur départ, ces messieurs qui font « le spectacle dans le spectacle », selon Anselme Houenoukpo, journaliste Béninois à l’événement précis, n’ont pas encore eu des successeurs avérés. «Papa Boyayé faisait des tours de magie et quelques mouvements gymnastiques pour donner du sourire aux spectateurs. Il en profitait pour se faire un peu de sous aussi», il nous dit aussi que pour la relève, « ce sont deux jeunes, un qui supporte l'AS Police et l'autre Energie FC. Ils tentent à leurs manières de soutenir les équipes. Eux, ils n'ont pas les accoutrements de Bernard Tapie, mais ils feront de bons supporteurs ». En effet, il est difficile de succéder à ces mascottes qui étaient devenus des membres à part entière de la grande famille du mouvement sportif. Il est difficile de revêtir un costume de supporteur n°1 et de s’imposer aux yeux de tous. À l’image d’un super-héros.


Afrique des idees Supporters5Le Bénin peut compter sur la détermination et le talent de sa jeunesse, sur les rêves que provoque le football dans le Royaume du Dahomey. Seulement, il faut que les résultats des sportifs nationaux progressent, car si à l’image du football, en perpétuelle reconstruction, les participations à la CAN sont de plus en plus rares, des affluences faibles seraient un vrai préjudice dans cette période de transition de ces chefs de file du supporterisme local. Car cette vie n’a pas beaucoup d’avantages, outre le fait de pouvoir vivre sa passion à outrance, et de participer aux compétitions internationales en voyageant avec les délégations officielles. Il est difficile d’obtenir une rémunération décente, l’on devient cependant un personnage public, de grande notoriété. Ce qui n’est pas anodin dans une vie, mais suffisant pour éveiller de nouvelles vocations qui demeurent précaires? L’avenir nous le dira, le développement de la fédération aussi.

 

Pierre-Marie Gosselin

Source Photos –  hommage à Bernard Tapie, le supporter / Perez Lekotan, journaliste béninois

Papa Boyayé et son vélo. Source BJfoot. Découvrir aussi l'interview de ce supporter mascotte aujourd'hui disparu

Couverture : Supporter des Etalons du Burkina Faso, équipe nationale de ce pays – Reuters

Ultras, Les sentinelles des manifestations Nord-Africaines (2)

Un mouvement qui fait des adeptes

L’Afrique du Nord occupe une place stratégique dans le bassin méditerranéen, c’est un carrefour de civilisations frontalier de l’Europe et de l’Asie où la religion musulmane s’est culturellement installée. Dans l’agitation des grandes villes, l’étalement des richesses et l’occidentalisation des mœurs désorientent une partie de la jeunesse qui ne sait plus où se situer entre mondialisation et traditions. Les études scolaires voire universitaires ne conduisent que très peu souvent à des emplois ou des rémunérations espérées. Beaucoup doivent se résoudre à rejoindre un travail avec peu de perspectives ou apprendre à se débrouiller par soi-même. 

Encadrées par les codes du mouvement ultra, les tribunes sont devenues un endroit privilégié par des milliers de jeunes de cette génération pour s’exprimer. L’effet de masse désinhibe et l’esprit de famille véhiculé rassure.

En traversant la Méditerranée, le mouvement Ultra a subi une évolution qui symbolise bien son adaptation dans la région. Chaque nouvelle saison de football est marquée par la sortie des albums regroupant les nouveaux chants des différents groupes de supporters. Comme si les jeunes, ici, avaient beaucoup de choses à dire… Ils chantent à la gloire de leurs clubs et de leurs couleurs et moquent leurs rivaux, bien sûr. Mais ils font aussi l’éloge de leur style de vie et dénoncent les agissements répressifs des forces de l’ordre. Des chants qui rassemblent et dans lesquels peuvent s’identifier les jeunes. Disponible en libre écoute sur Internet, le phénomène viral accroît la propagation de « l’esprit » Ultra. Bien au-delà des stades. Bien au-delà des traditionnels magazine « fanzines » de la culture ultras européenne.

illustration image d'album

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Un mouvement qui dérange… et dérape

En encourageant son équipe avec fanatisme au sein d’un groupe associatif organisé, que ce soit pour les matches à domicile, ou lors des déplacements, les ultras se placent souvent aux frontières de la loi. Dans des affrontements avec les groupes adverses, les forces de l’ordre, ou les deux. Les agissements ont lieu au sein du stade parfois et dans la rue souvent. Les policiers sont obligés de réagir par anticipation et amplifient le phénomène d’opposition et de rébellion. 

Quand les médias locaux parlent des ultras, c’est pour aborder des faits divers de débordements. C’était le cas lors du match de championnat marocain de botola pro, entre les l’AS FAR et le DHJ, le 19 octobre dernier au stade du centre de Rabat. L’arbitre a dû interrompre le match suite à une altercation en tribune entre Ultras de l’AS FAR. En direct à la télévision, les forces de l’ordre n’ont pas su tenir leurs positions. Pire, en voulant intervenir, cela dégénère et un policier finit par se fait tabasser sur le terrain. Les interpellations et les condamnations interviendront rapidement après le match, mais la démonstration de force est faite, sous les chants de la tribune. Ces actualités  font la « une » et sont à chaque fois abordées avec beaucoup de véhémence. Elles peuvent pourtant trouver un écho favorable pour toute une génération de jeunes qui ne trouvent pas leurs places dans le système. Dans des pays aux régimes autoritaires où la classe moyenne tarde à émerger, le mouvement ultra se marque comme un courant contestataire qui rassemble. Il devient même omniprésent dans certains quartiers où les Fresques et Tags marquent les territoires. Les jeunes viennent chercher leurs doses de liberté hebdomadaire au stade, et alimentent leurs combats dans une ambiance de fête. Des joints de haschich circulent lors des différents rassemblements tout comme l’alcool et des pilules de drogue. Ajouté aux frissons des matchs et aux déplacements en camionnette à travers le pays, cette vie de rebelle fait beaucoup d’adeptes. 

AS FAR DHJ vol de bache - Version 2

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En Égypte, autour d’un championnat de football historique avec des clubs datant de l’époque coloniale, certaines équipes ont des identités fortes et des rivalités prononcées. Une aubaine pour les Ultras du Al Ahly SC, dont la popularité et l’image de « club du peuple » de leur équipe a permis l’ouverture de section de supporteur dans de nombreuses villes du pays. Partout où joue le club, les Ultras Ahlawy sont présents. Ils dérangent et sont confrontés aux forces de sécurité dans toutes les villes du pays, car où qu’ils aillent, on redoute leurs présences. Après la révolution du printemps arabe, les généraux militaires du SCAF ont rapidement mis à profit le temps qu’ils passent au pouvoir pour faire payer aux UA 07 leurs investissements dans les manifestations de la place Tahrir. Ils savaient très bien que la révolution n’était pas une finalité pour eux, et que la menace se représentera lors des prochaines grandes manifestations civiles. Les ultras n’ont jamais cessé de pousser des chants contestataires et de se frotter à la loi. En plus des 74 victimes, la tragédie de Port-Saïd a provoqué l’arrêt du championnat pour 2 années. En guise d’avertissement et d’ultimatum. Mais dès que cela a été possible, notamment lors des compétitions continentales de la CAF, les Ultras cairotes ont montré qu’ils sont toujours là, plus solidaires et soudés que jamais. Pourtant, les matchs étaient organisés loin de l’agitation du Caire, à El Gouna, station balnéaire plus connue pour son spot de kitesurf que son stade de football. La volonté de ne pas voir de supporter était affichée. Manqué ! Plus de 5000 personnes se sont déplacées à plusieurs reprises, en reprenant leurs chants et leurs nombreuses animations derrière leur bâche et leurs drapeaux. À la vie, à la mort. 

Même contre sa propre équipe

Banderole JSK EBossé 2 - Version 2

Illustration 3

Les Ultras ont besoin de leurs clubs pour exister. Lorsque l’intérêt sportif est faible, il est toujours plus difficile de rassembler du monde et de s’enthousiasmer. L’effet de masse est important pour affirmer la force du groupe. La frustration grandissante, les supporteurs n’hésitent pas à reprendre avec ardeur leurs équipes s’ils estiment qu’elles ne donnent pas leurs maximums. Ils ne tolèrent pas que des joueurs, qui ne sont que de passage dans leurs clubs, puissent mettre en péril la raison de leurs combats. Parfois cela dégénère. Vient alors la fâcheuse habitude, prise sur tout le continent, de jeter sur le terrain ce qu’il est possible de lancer. Dans les stades généralement vétustes, on trouve toutes sortes de débris. Ce qui a conduit au fait-divers tragique de Tizi Ouzou où le jeune joueur camerounais Albert Ébossé est victime d’un jet de pierre fratricide. Un geste qu’il faut condamner sévèrement, mais pas au détriment du mouvement Ultra. Lui, il n’est pas le coupable. Au contraire, il est le fruit de la négligence du système, dans la faillite de son éducation, la faillite de sa répression, la faillite de son entretien des lieux publics… Le stade est un reflet de la société.

Pierre-Marie Gosselin

 

Illustration 1 : Plaquette de présentation de l’album 2013 des ultras Helala Boys HB07 du KAC de Kenitra au Nord du Maroc.  Lien 

Illustration 2 : Photo illustrant les affrontements du 20/10/2014 entre les Ultras et la police. Lien vidéo

Illustration 3 et 4 : Photos  publiée sur la page facebook officiel des Ultras Samba Boys , groupe de la zone amazigh de la JSK Kabylie après la mort d’Albert Ebossé :  lien 

Ultras, sentinelles des manifestations Nord-Africaines

Petite histoire des tribunes animées

Tout au long de l’histoire, les stades ont été le théâtre de nombreux drames humains. Des milliers de supporters venus assister à des matchs de football et ne sont jamais rentrés chez eux, victimes d’accidents ou de bousculades. Si certains sont imprévisibles, beaucoup sont provoqués par des mouvements de foules déclenchés par les supporters, les forces de l’ordre, ou les deux parties. Prévisibles, surtout quand les matchs associent tous les ingrédients d’un cocktail qui peut exploser lorsque les enjeux sont importants ou qu’ils opposent des équipes aux rivalités fortes. L’antagonisme entre des supporters organisés en groupes et des forces de l’ordre prêtes à user de la violence pour les contrôler, s’ils estiment que c’est nécessaire, est une véritable poudre à canon. Par la réglementation imposée aux clubs pour accueillir des matches et la répression, l’Europe de l’Ouest et l’Amérique du Sud parviennent tant bien que mal à limiter ces tragédies. En Afrique, au contraire, on compte les victimes par centaines ces dernières décennies. Le plus alarmant est qu’elles sont de plus en plus récurrentes que ce soit au Ghana, en Guinée, en Côte d’Ivoire, en RD Congo ou au Maghreb. La vétusté des stades, l’absence d’issue de secours, les mauvais agissements de certains supporters et les réprimandes qui suivent des policiers, y sont pour beaucoup.

illustration article mouvement de foule

Le mouvement de foule qui a eu lieu le 1er février 2012 au Nord de l’Egypte, dans le stade de Port-Saïd, où 74 supporters du club Cairote du Al Ahly SC trouvent la mort, ne répond pas aux caractéristiques habituelles. Très présent lors de la révolution sur la place Tahrir, et à quelques jours du premier anniversaire de  la chute de Moubarak, les Ultras Ahlawy semblent être les cibles évidentes de ce massacre. L’absence de réaction des policiers et la violence inhabituelle des Ultras Green Eagles 07 du club local Al Masry,  sans réelle préméditation,  rentrés avec de nombreuses armes dans le stade,  intriguent.

Ultras, définition d'un mouvement quadragénaire

Les Ultras sont des groupes de supporters fanatiques structurés autour d’une association indépendante du club qu’ils encouragent. Cette forme de supporterisme est apparue en Italie à la fin des années 60, dans les tribunes de Milan, Gênes et Turin. Ils se sont fortement inspirés d’un mouvement Sud Américain.  Depuis le début des années 30, là-bas on anime activement les tribunes. Chants, applaudissements, drapeaux, tambours et fumigènes permettent de mettre l’ambiance et de représenter son club et son quartier dans les matchs contre les autres équipes de Buenos Aires, Sao Paulo, Rio de Janeiro ou Montevideo. Comme dans toutes fêtes, l’alcool est présent, la violence qui en découle aussi. Elle est même proportionnelle à la passion. Prémisse de la mondialisation, le phénomène déferlera sur l’Europe avec la diffusion TV des matches. Le mouvement Ultra se différencie du hooliganisme venue de Grande Bretagne, qui mise avant tout sur la violence pour déstabiliser son adversaire. Margareth Thatcher s’est chargée de mater le phénomène sur son île avec sa politique de fer à la fin des années 80. Certains hooligans œuvrent encore aujourd’hui en Europe, ils sont difficiles à contrôler et imprévisibles. La violence est également présente autour du mouvement Ultra, mais elle n’est pas l’élément de base du rassemblement. Les Ultras essaient davantage de se distinguer par leurs nombres et leurs animations en respectant certaines règles, dont l’obligation de ne pas s’attaquer aux gens qui ne sont pas du mouvement. Une fois par semaine, tous mettent en pause leurs vies pour rejoindre une zone où le jugement d’autrui n’est pas toléré. Un contexte fanatique imprévisible, où les couleurs du maillot suppriment toutes les barrières physiques ou morales. Une zone de liberté totale dans une atmosphère solidaire.

TIFO AL ALHY ILLUSTRATION 2

 

À la fin des années 90, les groupes ultras étaient déjà présents dans une grande partie des tribunes de l’Europe « Latine ». On retrouve des associations importantes en Espagne, au Portugal, en France, en Grèce, en Turquie et dans les Balkans. Ils sont les sentinelles de l’histoire de leurs clubs et veillent, à préserver un certain idéal du football, ils s’en nourrissent au même titre que les rivalités.   

 

Les Ultras sont apparus dans les pays du Nord du continent Africain en deux temps. Les précurseurs sont les African Winners du Club Africain de Tunis en 1995. Il faudra ensuite près de 10 ans pour voir de nouveaux groupes se créer. Sans doute le temps qu’ils s’adaptent à la culture arabo-musulmane et aux régimes autoritaires qui sont en place. La passion du foot est là, et depuis 2005 on assiste à une déferlante. Chaque club de foot ou presque, de Rabat au Caire, est soutenu par au moins un club d’Ultras dont les aspirations varient en fonction de la région et de l’histoire du club qu’ils supportent. Dans les grandes villes, les groupes sont très bien organisés et grandissent rapidement. En moins de 10 ans d’existence, ils sont déjà reconnus par leurs frères Européens. En 2011, un groupe d’Ultras, les Blue Lions, sont apparus à Khartoum au Soudan pour soutenir l’équipe de Al Hilal, une première en Afrique noire.

Dans les pays où les jeunes ont du mal à trouver du travail, Ultra est un style de vie. Même lorsque l’équipe ne joue pas ils continuentultras-ahlawy-showing-tantawy-the-red-card d’y consacrer leurs quotidiens. C’est une seconde famille qui permet de surmonter les difficultés quotidiennes de la vie. En Grèce et en Turquie les groupes atteignent plusieurs milliers d’adhérents.

Avec son apparition dans les pays du monde arabe, le mouvement Ultra a pris une nouvelle dimension. En 2011 les groupes des clubs rivaux du Zamalek et du Al Alhy, les White Knights 07 et les Alhawy 07, se sont unis lors des manifestations du printemps arabe sur la place Tahrir. Ils se sont associés à la population et se sont occupés de réduire la portée des répressions des policières qu’ils ont décidé de combattre ensemble sous des chants de stades. Ils obtiennent une victoire par KO sur Moubarak. Pas intéressés par la politique, ils se retirent des discussions une fois le régime parti. Cette nouvelle façon de contribuer à l’ordre démocratique,  a donné un nouvel élan que l’on a pu retrouver sur place Taksim à Istanbul (en Turquie), où les UltrAslan du Galatasaray, la Çarşı du Besiktas et les GençFenerbahçeliler du Fenerbahçe, ennemis héréditaires, ont signés une trêve pour soutenir et protéger les manifestants. Avec la aussi la victoire au bout.

Ces démonstrations de forces des Ultras dans les dernières grandes manifestations sont une nouvelle menace pour les dirigeants politiques. Au pont d’en arriver au massacre de Port-Saïd ? Nous prendrons de la hauteur sur ce mouvement en Afrique du Nord dans le second chapitre.

Pierre-Marie GOSSELIN

Légende photo 1 : Mouvement de foule à la fin du match entre l’AS Vita Club et le TP Mazembe au stade Tata-Raphael de Kinshasa le 11/05/14 source : Facebook officiel TPMazembe

Légende photo 2 : Tifo du groupe Ultras Ahly lors du match de ligue des champions Al Ahly – Tusker(Kenya). Pour le grand retour des Ultras Ahlawy après la tragédie de Port Saïd le 07/04/13 source : www.ultras-tifo.net

Légende photo 3 : Illustration de la prise de position des Ultras sur le conseil supreme des froces armées, au pouvoir en egypte depuis 2011. Latuff source : latuffcartoons.wordpress.com

 

 

Football africain, les sélections du foot-business

 

Le football est une religion en Afrique. Un coup d’œil dans n’importe quelle ville vous offrira un patchwork des clubs les plus célèbres d’Europe, et des incontournables sélections qui ont fait la fierté du continent. Mais jeunes et amateurs doivent se débrouiller pour jouer.

 

L’Afrique n’est pas aveugle, le footbusiness venu d’Europe lui renvoie l’éclat de sa puissance financière chaque week-end à la télévision. Être footballeur professionnel rapporte plus que docteur ou avocat. Les terrains de foot, qu’ils soient en latérite, en sable, en goudron ou en herbe sont pris d’assaut les soirs et les week-ends. Seules les chaleurs écrasantes du soleil à son zénith ou les trombes d’eau accordent un sursis à ces espaces de jeu. Les plus jeunes rêvent tous de suivre les traces des légendes Samuel Eto’o et Didier Drogba, qui ont mis l’Europe à leurs pieds. Seulement, le football professionnel n’est que la vitrine luisante de la grande boutique que représente ce sport. Pour la rejoindre depuis l’Afrique, le chemin est long et parsemé d’embuches. Le Football n’est pas un métier, c’est un sport qui permet aux meilleurs et aux plus chanceux d’en vivre.

Footballeurs autonomes

Dans de nombreux coins d’Afrique, rien, où presque, n’est mis en place pour la pratique du football amateur et de loisir, celui qui concerne la masse et les jeunes. Ce constat n’empêche pas les gens de jouer : il suffit de peu pour s’organiser en deux équipes et d’occuper son après-midi. Seulement, cette structure anarchique du football « à la base »  n’est pas idéale pour son développement. L’intérêt du jeu est réduit au loisir sans compétition, annihilant par là même, un intérêt élémentaire du sport. Heureusement, de petits promoteurs philanthropes ou dans le business de la formation, organisent des tournois à l’échelle d’un quartier, d’une ville ou d’une région. Souvent lors des vacances scolaires, parfois même reconduits d’année en année. A côté de cette organisation informelle généralisée, aucun championnat officiel n’est organisé par les fédérations dans les catégories de jeunes sur le continent, où à de rares exceptions près.

Le système mis en place par la FIFA en Afrique via la Confédération Africaine de Football (CAF) ne s’adapte pas à l’environnement. La gestion financière opaque qui est effectuée ne permet pas une bonne utilisation des fonds. Qu’ils soient débloqués par la FIFA dans le cadre de ses subventions où de ses missions de développement, soutenu par l’état, ou issu du sponsoring de l’équipe nationale. Les montants arrivés à destination sont loin des sommes évoquées au départ, et varient d’une année sur l’autre au gré des besoins des intermédiaires. De ses bureaux  à Zurich, la FIFA valide la méthode et vient parader en Afrique avec des valises de dons. Pour financer la construction d’un nouveau siège pour les fédérations souvent, et des terrains pour les joueurs rarement…Aucun organisme de contrôle externe ne veille à ce que ces pratiques douteuses s’arrêtent. Petits arrangements entre amis donc.

Le rôle éducatif et social qui est pourtant à la base du sport, se trouve relégué au second rang des priorités exigées par la CAF, qui elle se soucie principalement de la bonne tenue des compétitions continentales. Que ce soit sur le plan des nations (CAN dans toutes les catégories d’âge et de genre, CHAN) ou des clubs (ligue des champions et coupe de la confédération). L’exigence demandée aux fédérations de chaque pays est la tenue des sélections, l’organisation d’un championnat national et d’une coupe qui suffisent à justifier des subventions obtenues. Beaucoup de présidents de fédération se prennent alors pour des « Bernard Tapie » version Olympique de Marseille 88-93 et bénéficient du soutien des états, qui veulent bien figurer à l’international. Les moyens mis en place pour gagner se font en dépit du bon sens. Les sélections présentent de plus en plus de joueurs binationaux, n’ayant la plupart du temps jamais mis les pied au pays dans un autre contexte que celui du football. Pire, des joueurs étrangers à qui on donne la nationalité. Les primes de matches sont négociées sur la base d’une réalité salariale occidentale. Les entraineurs étrangers touchent des salaires indécents rarement justifiés et bien sûr, l’inévitable corruption des matchs officiels.

Tout cela nuit au développement du football, de la formation des jeunes à la pratique amateur. Mais comme il suffit de faire croire à une boutique bien remplie, la fin des privilèges n’est pas à l’ordre du jour.

Les secteurs publics et privés au service du football

Le football est un sport de masse en Afrique qui compte des millions de pratiquants. Rien n’est mis en place pour organiser des championnats dans toutes les catégories d’âges et de tous les niveaux alors qu’ils permettraient à l'une majorité des joueurs d’évoluer dans un cadre où la motivation et le plaisir monteraient crescendo avec la compétition. Un rôle d’intérêt général qui doit encourager les institutions publiques à investir à la base, et non pas aider et encourager des fédérations frauduleuses. L’argent du peuple, utilisé aux services du peuple.

Dans un tel contexte, les clubs doivent souvent se débrouiller seul.  Les mécènes venues du secteur privé sont rares, mais un modèle se détache : celui de Moïse Katumbi au Tout Puissant Mazembe de Lubumbashi en RDC. Il a su doter son club des infrastructures qui lui permettront de survivre et de continuer de performer même au delà de son mandat.

Pour les clubs qui n’ont pas de président milliardaires, ils doivent parvenir à de nouvelles ressources. En Afrique l’argent est dans les poches étrangères. Le sponsoring des entreprises étrangères doit se généraliser. Certains clubs peuvent déjà compter sur le soutien de passionnés et d’anciens joueurs, qui une fois dans le secteur privée n’hésitent pas à effectuer les démarches pour pousser leurs directions à investir. Car sans la présence d’intermédiaire fiable, impossible pour les multinationales de se mêler dans cette « mafia » du football africain bien connue des cercles d’influences.

Pourtant elles seraient nombreuses ces sociétés internationales à pouvoir se servir du sport pour marquer leur contribution au développement des pays où ils s’enrichissent, et de se rapprocher des populations les plus vulnérables : Par effet domino accroitre leur notoriété et susciter la sympathie des supporters et du pays tout entier si les résultats sont probants. Gagnant-gagnant.  

 

Pierre-Marie Gosselin