Comment financer l’accès à l’énergie en zone rurale?

Le constat : L’Afrique subsaharienne est la région où le taux d’accès à l’énergie électrique est le plus faible. Le constat est encore plus alarmant quand l’on considère les zones rurales où vivent plus de 60% de la population. L’électrification rurale a toujours été au cœur des enjeux de développement du continent africain. Sa spécificité tient du fait qu’au nom de la péréquation spatiale, toutes les régions d’un pays doivent être raccordées au courant conventionnel, en garantissant à chaque habitant un même service, une même qualité et un même prix d’accès. Mais compte tenu de l’hétérogénéité des superficies des pays du continent, l’enjeu des politiques d’électrification rurale est multiple quand à PIB quasiment égaux, le Bénin (PIB 2005 : US$ 13Milliards) avec une superficie de 112 622km2 doit électrifier toutes ses zones rurales au même titre que le Mali (PIB 2005 : US$ 15Milliards) avec une superficie de 1.240.192km2. Pourtant, ces pays ont tous ratifié les Objectifs du Millénaire pour le Développement avec des cibles d’environ 30 à 50% de couverture des zones rurales à l’horizon 2015.

Nouvelle imageToute politique d’électrification doit répondre à un besoin de développement économique pour la valorisation des régions et localités, et d’équité sociale pour l’amélioration du bien être des populations touchées. Avec le coût onéreux de l’extension du réseau, et du déploiement des énergies renouvelables qui demeurent encore cher au niveau international, la rentabilité financière ne doit pas être une des conditions sine qua non de l’investissement dans le secteur de l’énergie, mais plutôt la rentabilité économique et sociale.

D’après les statistiques relatives au taux d’accès à l’énergie électrique en zone rurale, nous remarquons une certaine homogénéité des pays africains hors Afrique du Sud et Afrique du Nord : Madagascar a un taux d’environ 5% en 2012, le Bénin entre 4 et 6%, la Côte d’Ivoire une moyenne de 34%, le Cameroun est à 12%, la Zambie à 4.5%, le Niger à moins d’un pour cent et enfin la Somalie à environ 20%.

Il est donc indispensable de trouver le modèle de financement le plus approprié pour la réalisation d’infrastructures énergétiques rurales quand bien même les secteurs public et privé, tous deux impliqués ont des valeurs et des stratégies différentes.

Le cadre : D’après les conclusions de l’étude du Club des agences et structures Africaines en charge de l’Electrification Rurale (Club-ER), le partenariat Public-Privé est marqué par une faible mobilisation des financements privés, l’existence de risques liés à des contrats imparfaits ou mal rédigés, l’absence d’un cadre juridique favorable et un besoin ardent de gros investissements du secteur public. La plupart des experts sont unanimes sur le fait que l’électrification rurale est déficitaire en termes de moyens financiers et de compétences humaines et techniques.

Que faire ?  L’ampleur et la diversité des besoins de même que la complexité et la variété des réponses impliquent une bonne compréhension des aspects soci-culturelles des populations cibles. C’est dans ce cadre qu’EDF leader français et européen du secteur de l’énergie propose une stratégie reposant sur 5 piliers :

  • Partenariat : Maximiser les partenaires locaux privés/publics.
  • Continuité : Avec des cycles relativement longs dans le secteur, tous les projets doivent s’inscrire dans la durabilité.
  • Innovation et partage d’expériences : La nécessité de la Recherche et du Développement permet d’obtenir des effets d’échelle importants dans le temps, sur le coût aussi bien que sur l’adoption d’une technologie. C’est pour cela qu’il est très important de partager les expériences pour une progression efficace.
  • Rentabilité : L’accès  à l’énergie doit entrainer le développement de plusieurs activités qui génèrent des revenus pour pérenniser le projet.
  • Mesure d’efficacité : Il est nécessaire de s’appuyer sur des évaluations régulières, que le constat soit positif ou négatif afin d’améliorer le retour d’expériences.

Des actions concrètes : Plusieurs actions ont été menées et il est important de mettre en exergue les plus phares à notre connaissance :

L’expérience EDF : EDF a développé un modèle pour l’électrification rurale décentralisé, en partenariat avec l’ADEME nommé « SSD ». Il s’agit d’un concept pour proposer un ensemble de services portés par une société de droit local. Ce programme est effectif en Afrique du Sud, au Maroc, au Mali et au Sénégal. Les SSD, ou sociétés de services décentralisés sont gérées par des entrepreneurs locaux. Initialement, une Joint Venture est mise en place avec EDF et sur le long terme, toutes les parts sont transférées vers l’entrepreneur local. Au Maroc, plus de 23 000 clients soit 161 000 personnes sont concernés par ce programme.

Le GERES au Bénin : Il s’agit d’un projet de développement d’une filière locale de production d’agro carburant dans des activités mécaniques en milieu rural. Doté d’un budget de 3,3 millions d’euros,  le projet a permis l’installation d’unité d’extraction d’huile d’une capacité de 250L/jour avec un réseau de consommateurs riche de plus de 500 propriétaires de moteur diesel qui améliorent ainsi leur empreinte écologique.

UpEnergy en Ouganda : UpEnergy contribue à combattre la pauvreté, améliorer la santé des populations et protéger les forêts en mettant à la disposition des populations des technologies propres comme les foyers améliorés. Le financement est en assuré par les mécanismes de la finance carbone. Chaque four permet d’économiser 19h de cuissons par semaine, et 5 heures de temps de collecte de bois, l’équivalent d’un litre de carburant. Au total, cela a permis d’économiser 200 000T de et de sauver plus de 600 000 arbres.

En conclusion : Etant donné que l’accès à l’énergie constitue un moyen d’accélérer l’atteinte des Objectifs du Millénaire pour le Développement, nombreux sont les programmes nationaux ou internationnaux qui se développent autour de l’accès à l’énergie. Sous formes de dons, de conventions de concession ou purement financiers, la réussite de ces projets réside dans la façon dont ils seront appropriés par les populations cibles et dans la pérennisation financière de ces derniers. C’est pourquoi une formation professionnelle adaptée  et une forte sensibilisation sont nécessaires.

Au niveau régional, il s’agit de promouvoir les solutions locales, décentralisées, sur l’ensemble de la filière : de la production à la consommation. La valorisation des énergies locales aura un effet d’échelle important sur l’emploi des jeunes, l’autonomie des femmes ainsi que l’accroissement de la valeur ajoutée économique des zones qui auront accès à une énergie abordable, disponible et propre.

Enfin, Le rôle des Etats sera de définir des plans ambitieux pour le très long terme, garantissant une législation appropriée de même que de fortes incitations pour stiumler le secteur privé et indirectement l’activité économique. La gouvernance efficace ainsi que l’émergence des nouveaux cœurs de métier sont donc les mots d’ordre.

Accès à l’énergie : Pourquoi le secteur privé est un partenaire sûr pour la valorisation des ressources locales ?

L’accès à l’énergie en quantité et en qualité constitue un frein au développement économique de l’Afrique. Alors que le secteur privé est de plus en plus sollicité pour accompagner les Etas dans leur politique de développement des infrastructures ou des TIC, le secteur énergétique semble moins  profiter de ce partenariat. Cette situation induit des interrogations sur le rôle que pourrait jouer le secteur privé pour le développement du secteur électrique en Afrique subsaharienne en s’appuyant sur les énergies renouvelables. Cet article expose la problématique du secteur en Afrique subsaharienne, tout en identifiant la nécessité de l’intervention du secteur privé, notamment sur la base des ressources énergétiques locales.


energieL’un des défis majeurs aux plans de développement des pays d’Afrique subsaharienne est l’insuffisance d’énergie, input incontournable pour l’expansion industriel. Il devient encore plus pressant, dans la mesure où l’intérêt que suscite l’Afrique subsaharienne aux investisseurs, conjugué à l’évolution des sociétés africaines fait croître considérablement la demande en énergie. Cependant, la production énergétique croît très peu depuis les années 90, limitant ainsi l’exploitation des opportunités économiques existantes et générant des tensions sociales, préjudiciables à l’environnement des affaires. Pourtant, le potentiel énergétique de l’Afrique est énorme, notamment dans les énergies renouvelables. Selon l’Agence Internationale pour l’Energie Renouvelable (IRENA), le potentiel hydroélectrique de l’Afrique se chiffre à 1 844 TWh. L’éolienne et le solaire sont aussi utilisables dans la production d’électricité en Afrique. Greenpeace estime qu’avec le solaire photovoltaïque, il est possible de produire entre 15 et 62 GW d’électricité en Afrique. Le Programme Régional Géothermique de l’Union Africaine complète ce tableau en indiquant que le géothermique est aussi prometteur avec un potentiel estimé entre 7 et 15 GW.

Cette situation amène de plus en plus les gouvernements à envisager des stratégies pour accroître l’offre énergétique, en s’appuyant sur les énergies renouvelables. Des stratégies relayées et soutenues par les principaux bailleurs. Pour ce faire,  on voit émerger de nouveaux bailleurs (asiatiques pour la plupart) et d’autres mécanismes, notamment ceux faisant intervenir le secteur privé. Si ce partenariat entre secteur public et secteur privé semble être plus développé en ce qui concerne les infrastructures de transport, il semble beaucoup moins intéresser les gouvernements en ce qui concerne le développement du secteur électrique. Si des marges existent pour le développement de ce secteur, les fonds pour y parvenir sont limités et apparaissent de plus en plus restrictifs, d’autant plus que l’investissement initial pour la production d’électricité à partir d’énergies renouvelables est particulièrement lourd. Une solution consisterait à s’appuyer sur les ressources propres en renforçant le système fiscal[1], en ayant recours à l’endettement ou en s’appuyant sur le secteur privé. Les deux premières options paraissent contraignantes dans la mesure où la fiscalité et l’endettement ne pourraient permettre de disposer des fonds nécessaires pour assurer le développement de ce secteur. Le secteur privé, capable de mobiliser des capitaux importants aussi bien auprès d’institutions financières internationales que nationales (notamment les banques), apparaît ainsi comme une solution pour le développement de ce secteur, soit par la privatisation[2], soit par le recours à des producteurs indépendants.

L’action d’entrepreneurs privés dans le secteur électrique n’est pas nouvelle. Elle est juste marginale, au regard des potentialités du secteur. Le retrait des partenaires au développement, qui finançaient les investissements dans les infrastructures, au début des années 90 a contraint la plupart des pays  à s’orienter vers le secteur privé (sous la forme de BOT, BOOT ou BOO)[3], en rang forcé avec les programmes d’ajustement structurel, pour la reprise de certains investissements dans les différents secteurs. Ces dispositions ont moins profité à l’énergie. Selon Proparco, en 2012, sur une capacité totale installée de près de 85 GW, seuls 6% étaient opérés par des producteurs privés dont 1% à partir d’énergies renouvelables (qui constituent à peine 5% de la capacité totale). D’autres projets sur la base d’énergies renouvelables sont en cours (soit 54 GW) et  sont soutenus pour la plupart par le privé : près de 98% des projets dans le solaire (dont 64% en Afrique du sud), 90% de ceux en éoliens. Ces chiffres mettent en exergue le manque de visibilité  du secteur privé, comme solution pour le développement des infrastructures dans le secteur électrique.

La quasi-absence du privé dans le secteur trouve son essence dans la perception qu’ont les autorités quant au secteur, qu’ils considèrent comme stratégique ou de leur réticence à porter certaines réformes jugées pénibles ou leur hantises d’éventuelles pratiques inflationnistes de la privatisation. Par ailleurs, les autorités adoptent une stratégie de gestion du secteur électrique qui n’incite pas les initiatives privées. Le caractère stratégique accordé au secteur électrique la dénue de toute transparence quant à sa gestion. Or, la clarté et la visibilité des règles dans un secteur aussi complexe que celui de l’électricité, sont importantes pour les investisseurs privés. En ce qui concerne les énergies renouvelables, il est considéré qu’elles reviennent plus chères que les énergies fossiles. Cependant, les quelques projets déjà mis en œuvre démontrent qu’elles sont assez compétitives et atteignent, dans certains cas, le coût moyen de production d’électricité. La situation est assez hétéroclite suivant les pays. Pour les pays ayant accès à des ressources fossiles en abondance, l’utilisation d’énergies renouvelables peut être perçue comme coûteuse alors que pour ceux disposant de ressources énergétiques naturelles (potentiel hydroélectrique par exemple), elle constitue une véritable alternative dans la production d’électricité. L’idée n’est pas d’utiliser les énergies renouvelables en tant que principal input dans la production mais de les intégrer dans un mix de production, regroupant  plusieurs ressources. Par ailleurs, il faut remarquer que la comparaison entre coût de production à partir d’énergies fossiles et celle à partir d’énergies renouvelables est biaisée dans la mesure où la première bénéficie de subventions qui obstruent la réalité sur leurs cours réels.

Le développement du secteur électrique africain passerait inéluctablement par les énergies renouvelables portées par des initiatives privées. Toutefois, compte tenu de la complexité et de la lourdeur des investissements à réaliser, il est nécessaire que les autorités se dotent d’un cadre de planification intégrant les énergies renouvelables. Une bonne planification permettra de définir la norme en termes de sécurité énergétique et de réaliser de bonnes prévisions quant à l’évolution de la demande, et de tirer ainsi un meilleur parti des offres pouvant émaner du secteur privé. Ce cadre permettra ainsi de déterminer les limites de la production que peut assurer le secteur public et d’orienter l’offre qui sera assurée par le privé sur la base d’un plan à moindres coûts. Les offres émanant d’entrepreneurs privés peuvent, en cas de manque de planification rigoureuse, induire à une hausse des prix du fait de coût de production élevé ou ne pas aboutir à la signature d’un contrat si ces derniers estiment que les conditions d’exercice ne sont pas satisfaisantes. Il faudra alors préciser toutes les règles, de l’appel d’offre aux conditions de rachat de la production en passant par les facilités qui pourront éventuellement être offertes. Certains pays d’Afrique subsaharienne ont tenté l’expérience, qui s’avère plutôt payante. La plus avancée en matière d’énergies renouvelables, l’Afrique du Sud, s’est dotée d’un programme d’appels d’offre dont la robustesse attire les investisseurs privés. D’autres comme le Kenya ont mis en place un mécanisme de rachat subventionné qui en incitent d’autres comme l’Ouganda, le Ghana, le Botswana, la Tanzanie ou encore le Rwanda. A  ce niveau, il faut préciser que le succès des mécanismes de rachat subventionné sont plus profitables aux pays disposant a priori d’un fort potentiel. Ainsi, développer le secteur électrique en Afrique et promouvoir l’émergence de ce dernier à partir de ressources renouvelables passera par le secteur privé mais nécessite l’adoption d’un cadre de transparence dans ce secteur. On pourrait envisager pour accélérer le processus une période de transition durant laquelle certains marchés sont octroyés de gré en gré, en s’assurant toutefois de la qualité et de la viabilité des projets.

Foly Ananou


[1] Voir l’article de Georges sur le suje

 

[2] Dont les résultats sont mitigés. Consulter l’article de Georges sur le sujet 

 

[3] BOT : Construire – Exploiter –  Transférer. BOOT : Construire – Exploiter – Maintenir – Transférer. BOO : Construire – Maintenir – Exploiter

Sources :

Eberhard et al. (2008). Africa’s Power Infrastructure: Investment, integration Efficiency. The World Bank

Briceño-Garmendia et al. (2008). Financing Public Infrastructure in Sub-Saharan Africa: Patterns, Issues and Options. World Bank

Secteur Privé & Développement, la revue de PROPARCO, n°18. Novembre2013. Les producteurs privés d’électricité : une solution pour l’Afrique ?

IRENA (2012). Prospects for the African Power Sector: Scenarios and strategies for Africa Project. Abu Dhabi

Agence canadienne de développement international (2001). Examen du rendement des services d’infrastructures.

UPDEA (2009). Bonnes Pratiques : les réformes du secteur de l’électricité.

Secteur Privé & Développement, la revue de PROPARCO, n°18. Novembre2013. Les producteurs privés d’électricité : une solution pour l’Afrique ?