Qu’est-ce que la réforme de l’Etat ?
Les programmes de réforme de l’Etat ont connu différentes fortunes à travers le monde. Dans des pays comme les Etats-Unis, le Royaume-Uni, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, les administrations publiques ont été modernisées suivant les théories de la « nouvelle gestion publique » (New Public Management), qui prennent le contrepied de l’Etat wébérien. Ce dernier met l’accent sur les procédures écrites, la hiérarchie administrative et la neutralité des agents de l’État : il est caractérisé par une bureaucratie lourde et sclérosée, dont les décisions sont lentes et peu efficaces. Le NMP propose une simplification des procédures utilisées dans l’administration publique, avec l’adoption d’une organisation horizontale qui permet la rapidité de la prise de décision grâce à la polyvalence des agents de l’Etat. Il repose sur la nécessité de prendre en compte l’évolution des sociétés humaines, dans un contexte de mondialisation accrue où l’information, les flux financiers, les biens et services circulent de manière ultra rapide. De même, les besoins des usagers du service public ont évolué fortement dans tous les secteurs et commandent l’adaptation de l’Etat à cette évolution. Le NMP est donc apparu dans les années 1980 en prônant une utilisation plus efficiente des ressources de l’Etat, dans une optique d’accomplir plus de services publics avec moins de moyens financiers en considération du besoin de rationalisation des dépenses publiques.
Ainsi, dans le cadre du NMP la finalité du service public est privilégiée et non le caractère réglementaire et légal-rationnel du processus de décision. Le résultat obtenu importe plus que le respect des lois et de l’autorité dans l’action publique. Cela a favorisé l’apparition de l’Etat qui fait faire au détriment de l’Etat qui fait lui-même ; d’où la multiplication des procédés de gestion privée dans l’administration publique (concessions et délégations de service public, partenariats public-privé, appels d’offre). La centralisation du pouvoir qui caractérise l’Etat wébérien disparaît au profit de la décentralisation vers des autorités locales de plus en plus autonomes et responsables. L’Etat se fait entrepreneur en confiant des missions spéciales à des agences et entreprises publiques. Ou alors il les confie à des organismes privés spéciaux.
Les obstacles à la réforme de l’Etat en Afrique
En Afrique, l’introduction de ce concept de nouveau management public a probablement été plus difficile qu’ailleurs. Nombre d’Etats africains, caractérisés par des systèmes centralisés et autoritaires, peinent à s’adapter à la modernité. Dans bien des cas, l’organisation du pouvoir politique est encore trop verticale: c’est le pouvoir central qui définit les orientations, nomme aux postes à responsabilité, octroie les fonds, définit la marche à suivre, surveille à tout moment : ceci favorise le développement d’un système patrimonial, qui ne bénéficie qu’à une petite élite connectée au pouvoir politique et ignore en définitive le but ultime du service public, à savoir le bien commun. Ainsi, la plupart des tentatives de réforme de l’Etat ont connu peu de succès.
Cela a été le cas en République démocratique du Congo (RDC), où le pouvoir exécutif et les hauts fonctionnaires qui devaient mettre en œuvre les programmes de réforme les ont délibérément entravés ou ont tout simplement détourné les fonds qui y étaient alloués. La corruption généralisée et l’absence de culture démocratique ont eu raison des efforts des partenaires internationaux qui visaient à reconstruire le pays au début des années 2000. De plus, la centralisation du pouvoir opérée au sommet a beaucoup entravé la réussite des programmes de réforme. Joseph Kabila a concentré entre ses mains l’essentiel des pouvoirs de décision, pendant que son cabinet se chargeait de mettre au pas les fonctionnaires et même les ministres. Cela a mené à une véritable paralysie des efforts des bailleurs de fonds pour moderniser l’Etat, ainsi qu’à un malheureux statu quo.
Au Mozambique, les programmes de réforme de l’Etat se sont heurtés au manque de formation des agents publics aux principes les plus élémentaires de la gestion publique en grande partie. Dans ce pays, les structures administratives étaient quasi-inexistantes au moment où le NMP se mettait en place. Ainsi, les autorités politiques ont mis la charrue avant les bœufs car les agents de l’Etat ignoraient les principes de base de la gestion publique ; ce qui a entravé une mise en place adéquate des outils de modernisation : e-gouvernement, guichets uniques, concurrence, etc. Le gouvernement a donc créé des programmes de formation destinés aux cadres publics pour les doter des compétences managériales nécessaires à la conduite des réformes. Chez le voisin sud-africain, une tare majeure de la réforme de l’Etat a été la politisation de l’administration et la confusion entre la hiérarchie du parti au pouvoir (l’ANC) et la hiérarchie administrative. Il est vrai que l’administration publique sud-africaine était caractérisée par un centralisme très fort, imposé par le système d’apartheid. Le pouvoir politique déterminait les grands critères de la vie administrative : nomination des hauts fonctionnaires, salaires, grades, etc. Mais en essayant de rompre avec ces pratiques à son arrivée au pouvoir en 1994, l’ANC s’est lui-même transformé en un véritable parti-Etat dans l’Afrique du Sud postapartheid. En voulant se débarrasser à tout prix de l’ancien système, le gouvernement ANC a introduit des mesures de discrimination positive dans la fonction publique en ce qui concerne les recrutements comme les promotions. Cependant, des excès en la matière ont été commis. La Commission du Service Public qui était chargée de mettre en place la réforme de la fonction publique était contrôlée par le pouvoir exécutif. De ce fait, la fonction publique sud-africaine s’est transformée en un réceptacle des militants de l’ANC, et les nominations à des postes administratifs ont avant tout permis de récompenser la loyauté politique. Bien entendu, plusieurs mesures ont été bénéfiques au pays, mais un grand effet pervers de la réforme a été la politisation accrue de l’administration.
Comment faire pour mieux réformer l’Etat ?
Plusieurs paramètres importants ont été ignorés lors de la conception des programmes de réforme de l’Etat en Afrique. Moderniser l’administration publique n’est pas chose aisée, et les résultats d’une réforme ne peuvent pas apparaître du jour au lendemain. Mais quelques lignes directrices peuvent être retenues pour arriver à une meilleure réforme de l’Etat en Afrique. Globalement il faudra privilégier la culture du résultat, la simplification des procédures administratives, et le choix des meilleurs profils pour l’ensemble de l’administration publique, afin de parvenir à un meilleur succès de la réforme de l’Etat. Dans le même temps, il sera nécessaire de desserrer les liens entre le politique et l’administratif pour permettre aux hauts fonctionnaires d’exécuter correctement les programmes de réforme. Il faudrait également que les autorités politiques s’engagent beaucoup plus dans leur mise en œuvre, en les défendant clairement et en y apportant beaucoup d’énergie, afin d’insuffler un souffle d’encouragement à tous les niveaux d’exécution. Il serait aussi bon d’injecter suffisamment de fonds à ces programmes de réforme pour chercher, trouver, et se donner les moyens de les réussir. La réforme de l’Etat n’est pas une gageure pour l’Afrique ; elle doit être menée avec engagement et résolution pour permettre de rattraper le retard accusé dans la modernisation administrative. En particulier, il faudra accorder une grande importance à la formation des cadres publics chargés d’implémenter les réformes, afin qu’ils s’en approprient et garantissent leur succès. Il faudra également lutter contre les pratiques corruptrices auxquelles les agents publics chargés de mettre en œuvre les programmes de réforme sont exposés. Enfin, il faudra opérer un diagnostic des priorités économiques et sociales pour chaque projet de réforme afin de toujours placer l’intérêt général au début et à la fin de toute action publique.