L’impact de la société civile sur le développement : l’exemple du Cameroun

De nombreux pays africains ont eu des difficultés à atteindre leurs Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD). L’amélioration de la gestion de l’aide internationale, passant par une participation accrue de la société civile, était alors au cœur des débats.

Alors que les gouvernements du monde entier se sont engagés à atteindre les nouveaux Objectifs du Développement Durable avant 2030, la société civile pourrait jouer un rôle décisif dans leur réussite. L’ampleur de ce rôle et ses conditions d’effectivité sont analysées dans cette étude qui aboutit sur des recommandations concrètes en matière de politiques publiques. Lisez l’intégralité de ce Policy Brief.

L’électrification rurale en Afrique: comment déployer des solutions décentralisées ?

A peine plus de 30% de la population d’Afrique subsaharienne dispose d’un accès à l’électricité, souvent précaire. Cette proportion chute à moins de 20% en milieu rural. Alors que l’extension du réseau électrique est souvent privilégiée pour pallier ce déficit, cette étude démontre que les solutions décentralisées sont particulièrement efficaces en milieu rural. En effet, l’électrification décentralisée fera partie de la solution pour nombre d’Africains, au moins pour un temps.

Cependant, soutenir son développement implique d’ajuster les politiques publiques et de créer de nouveaux modèles d’affaires, qui n’intègrent pas encore cette nouvelle conception de l’électrification. A l’aide d’études de cas, l’auteure décrit comment la technologie hors-réseau et les micro-réseaux ont été déployés avec succès au Sénégal, au Maroc et au Kenya. Les enseignements qui en résultent peuvent être utiles aux autorités en charge de l’électrification rurale en Afrique. Lisez l’intégralité de ce Policy Brief.

Le Rwanda et les ambitieuses politiques en matière de développement durable

Classé parmi les pays les plus vulnérables au changement climatique, le Rwanda a depuis la fin du génocide repensé sa politique environnementale et son développement économique, qui se veut durable et responsable.

Les changements climatiques : des effets dévastateurs pour le pays des mille collines

Petit pays d’environ 26 000km², le Rwanda est particulièrement exposé aux risques environnementaux en raison de sa position géographique. Au centre de l’Afrique de l’Est et de l’Afrique des Grands Lacs, le pays dit des mille collines est situé dans une zone sismique, en proie aux éboulements et aux inondations du fait de de son relief très accidenté. De manière générale,les pays de la région, s’ils sont très liés économiquement le sont encore plus géologiquement. En témoigne le récent tremblement de terre qui a frappé la Tanzanie en septembre 2016. Les secousses ont été ressenties dans les pays voisins et jusque dans la capitale rwandaise à Kigali.[1]

Les études de l’Alliance Mondiale contre le changement climatique démontrent bien que le changement climatique génère un déséquilibre environnemental mais également une insécurité alimentaire et sanitaire qui touchent directement les populations.  [2]

Au Rwanda, on observe plusieurs cercles vicieux dus à ces perturbations environnementales. Tout d’abord autour de la politique économique du pays : l’agriculture pluviale faisait encore vivre  80% de la population en 2013 et représentait 30% du PIB[3] . Or les effets du changement climatique génèrent dans le pays des anomalies pluviométriques allant de pluies intenses au retard de la deuxième saison des pluies, voire à la sécheresse comme en l’an 2000. L’Etat prend alors conscience qu’il dépend de son agriculture pluviale et que cette dernière dépend elle-même des changements climatiques. Ainsi, à la fin des années 2000, le Rwanda se rend compte qu’il doit faire preuve d’une « adaptation aux changements climatiques ». Selon le Third Assessment Report – IPCC 2001, on entend par adaptation aux changements climatiques, «  les ajustements du système humain ou naturel en réponse aux stimuli actuels ou attendus et leurs effets et qui atténuent les dommages ou exploitent les opportunités favorables au développement. [… Elle est différente de ] l’atténuation [qui] est l’effort d’éviter ou de réduire le changement climatique »[4]. En second lieu, on observe un territoire mis à mal par des phénomènes migratoires importants et un habitat dispersé qui empiète sur les terres agricoles productives[5]. Dans les zones de forte densité de population, les terres sont surexploitées et le couvert végétal fortement endommagé. Ce qui provoque des migrations de populations vers le sud et le sud-est du pays (moins peuplé), où le risque de sécheresse et de désertification y est néanmoins plus élevé[6], mais aussi des politiques de déforestation pour augmenter la capacité productive du pays. En outre, la dégradation de l’environnement a posé le problème de la production énergétique nationale qui s’alimente principalement de la biomasse (combustibles ligneux et résidus végétaux)[7].; source énergétique majoritaire des ménages et l’industrie et l’artisanat, le gouvernement doit alors faire face à cette dépendance environnementale[8]. On perçoit donc bien ici encore le phénomène de vulnérabilité du Rwanda, dont l’économie est directement liée aux ressources naturelles.

Face à la vulnérabilité, l’adaptation au changement climatique se concrétise

Le Rwanda a mis en place depuis les années 2000 des politiques de développement durable pour faire face aux changements climatiques. Les coûts économiques pourraient s’avérer très élevés et atteindre jusqu’à 1% du PIB jusqu’à 2030[9]. Ces changements répondent aux attentes nationales mais aussi à celles des Nations Unies avec les Objectifs de développement durable (ODD). Le pays des mille collines a donc décidé d’associer « développement responsable » et « lutte contre la pauvreté ».

Tout d’abord le Rwanda fut signataire dans les années 90  de l’agenda 21, connu pour être l’un des plans d’action d’envergure pour  le développement durable. La politique engagée semble être plus fructueuse depuis la fin du génocide en 1994 et l’ amorce de la reconstruction du pays. M. Stanislas Kamanzi, Ministre des ressources naturelles du Rwanda, pointe ce renouveau lors du sommet RIO+20 en 2012 : « Le développement durable est placé au coeur de [la] stratégie nationale de développement. Une évaluation récente a montré que les efforts engagés ont contribué à diminuer de 12% le taux de pauvreté jusqu’en 2012. Avec l’appui de ses partenaires, le Gouvernement rwandais a cherché à faire en sorte que les efforts en vue du développement reposent sur des principes promouvant la bonne gouvernance, la participation aux processus de prise de décisions, l’égalité entre les sexes, en insistant sur le rôle clef de l’autonomisation des femmes et le partenariat avec le secteur privé »[10]. Une économie verte est alors prônée au nom de la lutte contre la pauvreté et l’amélioration des conditions de vie. La question du développement durable devient par conséquent une question politique, permettant au Rwanda d’être à la hauteur des exigences des Nations Unies. Pour preuve,  en 2014 le Groupe National de Référence (GNR)[11] du Rwanda a exigé le renforcement les institutions comme gage de rempart face aux changements climatiques[12]. Les participants au GNR ont permis de constituer un « front rwandais contre le réchauffement climatique » en invoquant une meilleure connaissance de la population sur les risques environnementaux, une base de données météorologique fiable ou encore des politiques nationales de qualité[13]. Le Rwanda a alors lancé des projets et des politiques publiques en faveur d’un développement durable et d’une anticipation des changements climatiques.

Nous pourrions en citer un bon nombre tant les programmes sont multiples et dénotent un véritable engagement du pays. Par exemple, dans le cadre de la politique de la vision 2020,  le gouvernement s’efforce de réduire l’utilisation du bois dans le bilan énergétique national de 94 à 60%[14]. Pour cela, il est aussi engagé conjointement avec les Nations Unies à travers un projet d’adaptation aux changements climatiques (PNUE)[15] sur la réduction de la vulnérabilité du secteur énergétique aux impacts du changement climatique au Rwanda[16]. C’est ainsi qu’en 2015 la politique forestière du Rwanda a été récompensée par l’ONU pour « sa gestion locale, autonome et durable »[17]. Le gouvernement a en oûtre mis en place plusieurs grands programmes nationaux renouvelés et renouvelables comme le PANA-RWANDA ou encore le Plan National de Gestion des Catastrophes (2003). Enfin, nous pouvons noter que dans les années 2000, le Ministère de l’Agriculture et des Ressources Animales (MINAGRI) a adopté l’agriculture irriguée et l’a rendue prioritaire dans la région du Bugesera, particulièrement touchée par les changements climatiques[18]

En plus de cela, nombreuses sont les mesures visant à mettre en place un véritable développement durable qui ont été prises. C’est le cas, par exemple, de l’interdiction de l’utilisation des sacs en plastique (2004, pionnier avec l’Afrique du sud), la loi des 3R (Reduce-Reuse-Recycle), ou encore des usines de transformation des déchets plastiques[19]. A Kigali, la capitale se démarque par une architecture urbaine innovante grâce -entre autres- à deux cabinets spécialisés dans la conception de solution durable des espaces urbains à croissance rapide : MASS Design Group et Light Earth Design. Ces deux groupes privilégient la construction basée sur des matériaux rwandais afin de réduire la dépendance du pays aux importations coûteuses[20]. On estime que la population urbaine va doubler d’ici à 2030. Ces projets pilotes tentent alors de montrer que des zones à forte densité de population n’engendrent pas nécessairement naissance de «  bidonvilles ». Enfin, le pays s’est engagé dans l’énergie solaire afin de réduire sa dépendance aux hydrocarbures et permettre un accès plus généralisé à l’électricité (Programme de déploiement de l’électricité, EARP)[21].

Néanmoins, il est vrai que le Rwanda doit relever de nombreux défis pour faire de ses programmes de véritables succès écologiques (manque d’infrastructures ou de financements par exemple). C’est pour cette raison que le gouvernement Rwandais a participé à une demande d’aide internationale conjointe avec les autres dirigeants africains à la COP21 et a mis en place divers fonds nationaux. A titre  illustratif,: le FONERWA, le fond pour l’environnement et le changement climatique qui vise à « mobiliser et canaliser les fonds domestique et international, financer les projets de l’environnement et du changement climatique public et privé, et travailler avec les projets qui aident l’engagement fort et prospère de l’économie verte du pays »[22]. En 2013, la somme collectée atteignait près de 60 milliards de francs rwandais. Le fond avait attiré une vingtaine de projets et avait contribué pour 4 milliards de francs rwandais à la Banque Rwandaise de Développement.

En dépit des persistantes  difficultés, les avancées sont  somme toute nombreuses et cela permet de dire aujourd’hui que le pays trouve la voie de l’économie verte avec une véritable politique d’adaptation aux changements climatiques. Le Rwanda est en passe de devenir un véritable modèle écologique pour l’Afrique. Le pays des mille collines  n’est cependant pas un cas isolé et doit s’intégrer dans  la dynamique régionale, traversée par des phénomènes semblables. Ainsi, en 2015, une étude informative sur le commerce, le changement climatique et la sécurité alimentaire a été effectuée dans l’East African Community (EAC) afin de lier agriculture-commerce-climat dans la région orientale. Il en a été de même avec la SADC (Communauté de développement d’Afrique Australe) ou le COMESA  (marché commun de l’Afrique australe et orientale) afin de lancer des programmes de développement durable et de renforcer l’unité diplomatique sur la thématique des changements climatiques.

Clémence Lepape

 


[1] « Tanzanie: séisme meurtrier dans le nord-ouest du pays », rfi.fr, septembre 2016 http://www.rfi.fr/afrique/20160910-tanzanie-seisme-meurtrier-le-nord-ouest-pays

 

 

[2] Programme d'adaptation et d'atténuation des changements climatiques en Afrique australe et orientale (COMESA-EAC-SADC), Alliance mondiale contre le changement climatique, 2012

 

 

[3] Alexandre Taithe, Le réchauffement climatique dans la région des Grands Lacs, Observatoire des Grands Lacs, Note N°8, novembre 2013

 

 

[4] PROGRAMMES D’ACTION NATIONAUX D’ADAPTATION AUX CHANGEMENTS CLIMATIQUES (PANA-RWANDA), Ministère des terres, de l’environnement, des forêts, de l’eau et des mines, décembre 2006

 

 

[5] PROGRAMMES D’ACTION NATIONAUX D’ADAPTATION AUX CHANGEMENTS CLIMATIQUES (PANA-RWANDA), op. cit

 

 

[6] Ibid.

 

 

[7] Ibid.

 

 

[8] Ibid.

 

 

[9] « Rwanda: Au-delà des chiffres de croissance économique (3ème partie) », op. cit.

 

 

[10] Florent Breuil, « Le Rwanda à Rio+20 : Résolument engagé en faveur du développement durable », Médiaterre, juin 2012 http://www.mediaterre.org/international/actu,20120626132712.html

 

 

[11] Think tank national qui existe dans de nombreux pays

 

 

[12] Le front Rwandais contre le réchauffement climatique, Ambassade du Rwanda en Belgique, septembre 2014

 

 

[13] Le front Rwandais contre le réchauffement climatique, op. cit

 

 

[14] PROGRAMMES D’ACTION NATIONAUX D’ADAPTATION AUX CHANGEMENTS CLIMATIQUES (PANA-RWANDA), op. cit

 

 

[15] Programme des Nations Unies pour l’environnement

 

 

[16] Ibid.

 

 

[17] Emmanuelle Lecomte, « Saviez-vous que l’Afrique bouge en matière d’écologie ? », consoGlobe, septembre 2015 http://www.consoglobe.com/afrique-rwanda-ecologie-cg

 

 

[18] Ibid.

 

 

[19] Emmanuelle Lecomte, op. cit

 

 

[20] David Thomas, « Kigali, un modèle pour construire une ville respectueuse du climat », Les affaires, novembre 2015 http://www.lesaffaires.com/dossier/changements-climatiques-40-solutions-business/kigali-un-modele-pour-construire-une-ville-respectueuse-du-climat/583416

 

 

[21] Thomas Livingstone, « Le Rwanda mise sur l’énergie solaire », L’Energeek, décembre 2015 http://lenergeek.com/2015/12/01/le-rwanda-mise-sur-lenergie-solaire/

 

 

[22] « Rwanda : Mise en place d’un fond « FONERWA » pour l’Environnement et le changement climatique », Ibidukikije, octobre 2013 http://www.ibidukikije.com/2014/10/rwanda-mise-en-place-dun-fond-fonerwa-pour-lenvironnement-et-le-changement-climatique/

 

 

 

 

La réforme de l’Etat en Afrique : obstacles et perspectives

169498522Qu’est-ce que la réforme de l’Etat ?

Les programmes de réforme de l’Etat ont connu différentes fortunes à travers le monde. Dans des pays comme les Etats-Unis, le Royaume-Uni, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, les administrations publiques ont été modernisées suivant les théories de la « nouvelle gestion publique » (New Public Management), qui prennent le contrepied de l’Etat wébérien. Ce dernier met l’accent sur les procédures écrites, la hiérarchie administrative et la neutralité des agents de l’État : il est caractérisé par une bureaucratie lourde et sclérosée, dont les décisions sont lentes et peu efficaces. Le NMP propose une simplification des procédures utilisées dans l’administration publique, avec l’adoption d’une organisation horizontale qui permet la rapidité de la prise de décision grâce à la polyvalence des agents de l’Etat. Il repose sur la nécessité de prendre en compte l’évolution des sociétés humaines, dans un contexte de mondialisation accrue où l’information, les flux financiers, les biens et services circulent de manière ultra rapide. De même, les besoins des usagers du service public ont évolué fortement dans tous les secteurs et commandent l’adaptation de l’Etat à cette évolution. Le NMP est donc apparu dans les années 1980 en prônant une utilisation plus efficiente des ressources de l’Etat, dans une optique d’accomplir plus de services publics avec moins de moyens financiers en considération du besoin de rationalisation des dépenses publiques.

Ainsi, dans le cadre du NMP la finalité du service public est privilégiée et non le caractère réglementaire et légal-rationnel du processus de décision. Le résultat obtenu importe plus que le respect des lois et de l’autorité dans l’action publique. Cela a favorisé l’apparition de l’Etat qui fait faire au détriment de l’Etat qui fait lui-même ; d’où la multiplication des procédés de gestion privée dans l’administration publique (concessions et délégations de service public, partenariats public-privé, appels d’offre). La centralisation du pouvoir qui caractérise l’Etat wébérien disparaît au profit de la décentralisation vers des autorités locales de plus en plus autonomes et responsables. L’Etat se fait entrepreneur en confiant des missions spéciales à des agences et entreprises publiques. Ou alors il les confie à des organismes privés spéciaux.

Les obstacles à la réforme de l’Etat en Afrique

En Afrique, l’introduction de ce concept de nouveau management public a probablement été plus difficile qu’ailleurs. Nombre d’Etats africains, caractérisés par des systèmes centralisés et autoritaires, peinent à s’adapter à la modernité. Dans bien des cas, l’organisation du pouvoir politique est encore trop verticale: c’est le pouvoir central qui définit les orientations, nomme aux postes à responsabilité, octroie les fonds, définit la marche à suivre, surveille à tout moment : ceci favorise le développement d’un système patrimonial, qui ne bénéficie qu’à une petite élite connectée au pouvoir politique et ignore en définitive le but ultime du service public, à savoir le bien commun. Ainsi, la plupart des tentatives de réforme de l’Etat ont connu peu de succès.

Cela a été le cas en République démocratique du Congo (RDC), où le pouvoir exécutif et les hauts fonctionnaires qui devaient mettre en œuvre les programmes de réforme les ont délibérément entravés ou ont tout simplement détourné les fonds qui y étaient alloués. La corruption généralisée et l’absence de culture démocratique ont eu raison des efforts des partenaires internationaux qui visaient à reconstruire le pays au début des années 2000. De plus, la centralisation du pouvoir opérée au sommet a beaucoup entravé la réussite des programmes de réforme. Joseph Kabila a concentré entre ses mains l’essentiel des pouvoirs de décision, pendant que son cabinet se chargeait de mettre au pas les fonctionnaires et même les ministres. Cela a mené à une véritable paralysie des efforts des bailleurs de fonds pour moderniser l’Etat, ainsi qu’à un malheureux statu quo.

Au Mozambique, les programmes de réforme de l’Etat se sont heurtés au manque de formation des agents publics aux principes les plus élémentaires de la gestion publique en grande partie. Dans ce pays, les structures administratives étaient quasi-inexistantes au moment où le NMP se mettait en place.  Ainsi, les autorités politiques ont mis la charrue avant les bœufs car les agents de l’Etat ignoraient les principes de base de la gestion publique ; ce qui a entravé une mise en place adéquate des outils de modernisation : e-gouvernement, guichets uniques, concurrence, etc. Le gouvernement a donc créé des programmes de formation destinés aux cadres publics pour les doter des compétences managériales nécessaires à la conduite des réformes. Chez le voisin sud-africain, une tare majeure de la réforme de l’Etat  a été la politisation de l’administration et la confusion entre la hiérarchie du parti au pouvoir (l’ANC) et la hiérarchie administrative. Il est vrai que l’administration publique sud-africaine était caractérisée par un centralisme très fort, imposé par le système d’apartheid. Le pouvoir politique déterminait les grands critères de la vie administrative : nomination des hauts fonctionnaires, salaires, grades, etc. Mais en essayant de rompre avec ces pratiques à son arrivée au pouvoir en 1994, l’ANC s’est lui-même transformé en un véritable parti-Etat dans l’Afrique du Sud postapartheid. En voulant se débarrasser à tout prix de l’ancien système, le gouvernement ANC a introduit des mesures de discrimination positive dans la fonction publique en ce qui concerne les recrutements comme les promotions. Cependant, des excès en la matière  ont été commis. La Commission du Service Public qui était chargée de mettre en place la réforme de la fonction publique était contrôlée par le pouvoir exécutif. De ce fait, la fonction publique sud-africaine s’est transformée en un réceptacle des militants de l’ANC, et les nominations à des postes administratifs ont avant tout permis de récompenser la loyauté politique. Bien entendu, plusieurs mesures ont été bénéfiques au pays, mais un grand effet pervers de la réforme a été la politisation accrue de l’administration.

Comment faire pour mieux réformer l’Etat ?

Plusieurs paramètres importants ont été ignorés lors de la conception des programmes de réforme de l’Etat en Afrique. Moderniser l’administration publique n’est pas chose aisée, et les résultats d’une réforme ne peuvent pas apparaître du jour au lendemain. Mais quelques lignes directrices peuvent être retenues pour arriver à une meilleure réforme de l’Etat en Afrique. Globalement il faudra privilégier la culture du résultat, la simplification des procédures administratives, et le choix des meilleurs profils pour l’ensemble de l’administration publique, afin de parvenir à un meilleur succès de la réforme de l’Etat. Dans le même temps, il sera nécessaire de desserrer les liens entre le politique et l’administratif pour permettre aux hauts fonctionnaires d’exécuter correctement les programmes de réforme. Il faudrait également que les autorités politiques s’engagent beaucoup plus dans leur mise en œuvre, en les défendant clairement et en y apportant beaucoup d’énergie, afin d’insuffler un souffle d’encouragement à tous les niveaux d’exécution. Il serait aussi bon d’injecter suffisamment de fonds à ces programmes de réforme pour chercher, trouver, et se donner les moyens de les réussir. La réforme de l’Etat n’est pas une gageure pour l’Afrique ; elle doit être menée avec engagement et résolution pour permettre de rattraper le retard accusé dans la modernisation administrative. En particulier, il faudra accorder une grande importance à la formation des cadres publics chargés d’implémenter les réformes, afin qu’ils s’en approprient et garantissent leur succès. Il faudra également lutter contre les pratiques corruptrices auxquelles les agents publics chargés de mettre en œuvre les programmes de réforme sont exposés. Enfin, il faudra opérer un diagnostic des priorités économiques et sociales pour chaque projet de réforme afin de toujours placer l’intérêt général au début et à la fin de toute action publique. 

La micro-finance au-delà du mythe : atouts et limites

microfinanceCe billet soutient, contrairement à des théories longtemps en vigueur, que la microfinance ne peut permettre d’éradiquer la pauvreté, mais qu’elle constitue un mécanisme complémentaire aux politiques de développement. Cette analyse appelle ainsi à une rupture épistémologique et suggère une implication proactive des Etats.

Il est assez fascinant d’étudier la micro-finance et d’observer toutes les transformations qu’elle a subit dans le temps, étant passée d’un outil destiné à soutenir l’entreprenariat des pauvres à une stratégie  qui met en danger et exploite les pauvres. Scruter l’évolution du concept – de ses origines telles que définies par Muhamed Yunus dans les années 70 et la Grameen Bank dans les années 80 à son âge d’or dans les années 90 – 2000, puis à sa phase la plus cynique de la dernière décennie – est impératif. Une étude de Milford Bateman et Ha-joon Chang[1] en fournit une analyse intéressante. Nonobstant le scepticisme des auteurs, il est assez enrichissant de constater l’effort déployé pour déconstruire l’histoire de la micro-finance.

Aucune compréhension de la relation entre la micro-finance et le développement ne peut être précise sans avoir au préalable identifié comment l'institution de micro-finance a été pervertie du modèle de subventions de Grameen à un modèle d'affaires centré sur des bénéfices privés. Le plus symbolique de ces abus est résumé par le scandale Compartamos au Mexique où des taux d’intérêt avoisinant 195% ont été appliqués sur des microcrédits contractés par des pauvres. Même si ce cas ne peut être généralisé, reconnaître l’existence et la pratique de ce genre d’abus dans le domaine de la micro-finance est primordiale afin d’y apporter des corrections saines. Ceci met en exergue le caractère urgent de réglementer ce secteur.

La micro-finance présente d’importants risques pouvant entrainer les plus pauvres dans une trappe à pauvreté, dans laquelle ces derniers contracteront toujours plus de microcrédits pour rembourser les emprunts précédents. Cette situation peut les amener à perdre des actifs tels que des parcelles de terrain ou du bétail. En réalité, quand ils sont utilisés par les groupes les plus vulnérables avec des taux d'intérêts élevés, les services de la micro-finance constituent une stratégie de survie plutôt que des outils de développement, comme ce fut le cas dans l’Etat indien d’Andar Pradesh. Des problèmes additionnels en lien avec des primes trop onéreuses, des bulles ou au surendettement peuvent avoir des effets néfastes dans certaines régions. Au Maroc, qui a été l’un des pionniers dans le domaine, le secteur de la micro-finance a connu une grave crise du fait des taux d’intérêts élevés, des défauts de paiement et du surendettement des clients qui étaient encouragés à contracter plusieurs crédits.

La seconde dimension qu’il importe de soulever est la place de la micro-finance dans les trajectoires de développement. Si l’importance de l’entreprenariat privé et des initiatives pro-pauvres n’est plus à démontrer, notamment dans le cadre du modèle de développement « bottom-up », le rôle de l’acteur essentiel qu’est l’Etat, dont la responsabilité et l’impact ne peuvent être niés, ne saurait être remis en cause. Pour étudier la relation entre micro-finance et développement, nous avons adopté une approche d’analyse dichotomique état/individu, macro/micro, long terme/court terme et publique/privé et avons évalué la contribution de chacune des deux dimensions au bien-être des populations des pays en développement.

Il en résulte que les défis de la micro-finance sont liés à son déploiement à une échelle très petite. Ses services offrent des opportunités de financement et permettent aux personnes d’améliorer leurs conditions de vie. Cependant, la question de l’échelle de déploiement se pose. Contribue-t-elle au développement de la communauté ? Cette question a été pertinemment soulevée par M. Fazle Hasen Abed (BRAC) dans les termes suivant : « small is beautiful but big is also necessary ».[2] En ce qui concerne la micro-finance, il est indéniable que (dans le meilleur des cas) elle facilite l’insertion financière des plus pauvres et leur permet de disposer des outils et du capital nécessaires pour améliorer leurs conditions d’existence. Les outils de la micro-finance peuvent transformer la vie des personnes qui ont un accès limité aux ressources financières conventionnelles et leur donner l’opportunité d’épargner tout en investissant dans des activités génératrices de revenus. Toutefois, cet impact n’est pas systématique.

Si la micro-finance peut améliorer les conditions de vie des personnes dans certaines communautés, les transformations qu’elle opère à l’échelle de l’ensemble de la société sont très limitées. Par conséquent, l’Etat dans les pays en développement a encore un rôle majeur à jouer. Aujourd’hui, la tendance est au laisser-faire alors qu’empiriquement, l’histoire des pays industrialisés a démontré l’importance des interventions de l’Etat. Ainsi, la micro-finance ne devrait pas être perçue comme une solution miracle au développement économique d’une nation.

En plus des économies d’échelle, les petites et moyennes entreprises jouent un rôle catalyseur dans le développement économique. Les PME sont importantes et présentent plus d’avantages par rapport aux micro-entreprises des secteurs agricole et industriel. D’une part, les PME ont la capacité d’expansion, d’innovation et de diffusion de la technologie, des facteurs importants soulignés par Schumpeter et Douglas North. D’autre part, les micro-entreprises opèrent toujours sous l’échelle minimale d’efficience et n’ont pas les capacités de se développer dans un environnement compétitif. En fait, les coûts liés à cette différence d’impacts sont encore plus importants lorsque nous intégrons les coûts d’opportunités associés à l’allocation des ressources financières des PME aux micro-entreprises. Par exemple, il a été prouvé que la pauvreté en Amérique Latine, était corrélée au détournement des ressources financières des “entreprises innovantes du secteur formel” au profit des “entreprises informelles”.[3]

Les micro-entreprises ont toutefois un rôle à jouer dans le développement. Les problèmes qu’elles soulèvent ne sont pas suffisants pour les rejeter, bien au contraire. De plus, la crise du secteur de la micro-finance n’implique pas qu’il faille l’abolir mais plutôt la réglementer. Toutefois, cela requiert du réalisme et de la régulation. Il faut pour cela une rupture épistémologique.

Les parties prenantes devraient reconnaître que l’idée originale qui sous-tend la micro-finance, ne fonctionne pas. La micro-finance ne peut être perçue comme un outil (suffisant) pour éradiquer la pauvreté, bien qu'elle soit essentielle pour l’inclusion financière. Ensuite, la réglementation adoptée devrait permettre d’atténuer les défauts et d’optimiser les aspects positifs. La réglementation est nécessaire à deux niveaux : la clientèle et les modalités. En effet, il est crucial de distinguer l’impact suivant les types de clients : notamment les pauvres qui s’inscrivent dans une stratégie de survie (impact minimal) et ceux qui sont relativement plus aisés avec la possibilité d’avoir une perspective à long terme. En plus, il faudrait choisir parmi la multitude et la diversité des services  de la micro-finance le plus prometteur de ses instruments. L’épargne semble être la plus sûre de ces interventions. Pour être stratégique dans l'allocation des ressources rares, les groupes d'épargne semblent être les plus durables.

microfinanceL’expérience de Saving for Change est très instructive à cet effet. [4] Le passage de la dette à l’épargne peut être très prometteur en termes d’impact et d’échelle de déploiement. En effet, les groupes d’épargne offrent non seulement des microcrédits mais créent un environnement favorable à l’épargne avec des règles assez souples permettant de s’ajuster aux besoins. En fait, l’avantage des groupes d’épargne dépasse le simple cadre financier et s’étend au social. Ces structures offrent des incitations et des institutions pour une gestion autonome et transparente des fonds ; offrant ainsi une possibilité effective d’épargner et d’entreprendre. Plus encore, elles apportent aux épargnants un espace d’apprentissage sur la gestion financière. Typiquement, les compétences en gestion financière qu’elles offrent aux épargnants constituent un investissement dont le retour est bien plus que monétaire. Les groupes d’épargne ont aussi mis à disposition de leurs membres des plateformes sociales favorables à la solidarité, au dialogue et à la créativité.

Par ailleurs, un autre avantage précieux des groupes d’épargne vient de leur potentiel de diffusion. Leur reproductibilité et l’autonomie des membres leur permettre de réussir. L’exemple du programme Saving for Change du Mali illustre parfaitement cet avantage. L’efficacité d’un tel modèle est liée au fait que les groupes d’épargne sont construits à partir de structures pré-existentes et sont appropriés et adaptés par les membres. La vision apportée par des praticiens comme Jeffrey Ashe[5] montre combien le problème d’échelle de déploiement peut être résolu grâce à la systématisation, l'autonomie, l'indépendance, la reproductibilité et les faibles coûts de ce modèle.

Somme toute, la micro-finance ne peut éradiquer la pauvreté mais peut certainement y contribuer. Les causes de l’extrême pauvreté ne sont pas toutes d’ordre financier et la solution ne réside pas dans le simple fait d’avoir accès au crédit. La micro-finance offre d’importantes opportunités pour l’inclusion financière tout en assurant une amélioration des conditions pour ceux qui sont en marge des systèmes conventionnels mais qui ont le potentiel de réussir. Ceci étant, la micro-finance ne devrait pas être perçue comme un substitut à l’intervention de l’Etat mais plutôt comme un mécanisme complémentaire aux politiques publiques de développement.

Lamia Bazir


[1] Milford Batman and Ha-joon Chang, Micro Finance and the Illusion of Development: from Hubris to Nemesis in thirty years, 2012.

 

 

 

 

 

[2] Nous avons préféré garder la version originale pour ne pas trahir la pensée de l’auteur.

 

 

 

 

 

[3] Bateman, Milford. 2013. 'La Era de las Microfinanzas: Destruyendo las economías desde bajo' http://www.olafinanciera.unam.mx/new_web/15/index.html

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[4] Jeffrey Ashe, Deep outreach financial inclusion Mass scale, low cost saving and borrowing for those that micro-finance cannot profitably reach, 2013.

 

 

 

 

 

[5] Jeffrey Ashe, “In their own hands money and power for the world's poorest women,” 2010.

 

 

 

 

 

Les freins à la réforme de l’Etat en RDC (Fin)

Un calendrier de reformes pour la RDC

Le lien patriarcal conserve un sens très important dans l’arène politique congolaise. Les alliances politiques se font au gré presque exclusif des appartenances ethniques et familiales. Joseph Kabila n’hésita pas à se lier à Nsanga Mobutu, fils de l’ancien Président. De même, Antoine Gizenga, qui a réuni autour de lui des fidèles de Patrice Lumumba, se fit remplacer par son propre neveu, Adolphe Muzito, qui ne fit pas mieux que lui au poste de Premier ministre. Obtenir la délivrance d’une pièce d’état civil, d’un permis de conduire, ou d’autres documents administratifs, est beaucoup plus facile lorsqu’on a un « bon » patronyme. Les liens familiaux, au sens large, régissent la vie politique et administrative, et sapent la réforme.

La corruption qui passe par les dirigeants des firmes multinationales accentue le retard. L’effondrement en 1990 d’installations minières de Kamoto (Katanga), important pan de la Générale des Carrières et des Mines (Gécamines), qui assure en grande partie les fonds du Trésor de la RDC, témoigne de la négligence qui gangrène le secteur minier. Y passent argent, cuivre, or, cobalt, diamant, et des centaines de milliards de dollars. Le régime Kabila, d’une manière ou d’une autre, a réussi la malicieuse prouesse de la restauration des privilèges consentis aux cartels transnationaux qui gravitent autour des richesses minières sous Mobutu.

La Barrick Gold Corporation, L’Anglo-American Corporation, l’American Diamond Buyers, De Beers, etc. n’ont rien perdu de leur superbe en ce qui concerne l’opacité de leurs opérations financières, et continuent de sucrer éperdument les politiciens et fonctionnaires véreux pour acheter leur silence. En filigrane, apparaît un véritable nouvel ordre politique et économique voulu et entretenu par les dirigeants de ces multinationales, qui n’est pas sans rappeler une certaine Conférence tenue à Berlin, en 1885. La RDC, grande comme l’Union Européenne, frontalière de neuf Etats, est toute désignée pour de telles pratiques.

Assainir le secteur minier

Une redéfinition des termes d’exploitation qui prenne mieux en compte les besoins sociaux, notamment en termes d’emplois autochtones et de considérations environnementales, s’impose, en effet, en République Démocratique du Congo. Elle doit être protégée au plan politique et administratif. Il faudrait tout d’abord exiger une prise en compte systématique des méthodes de gestion qui permettent une transparence absolue dans les documents comptables de chaque entreprise pour parvenir à un assainissement de la vie privée. Il serait ensuite très opportun d’inclure des objectifs sociaux dans les conditions d’octroi d’agrément ou d’autorisation aux firmes multinationales, pour arriver à une exploitation optimale des ressources naturelles.

L’inclusion d’une forte dose de mesures revêtant un caractère de responsabilité sociale à l’octroi de licences d’exploitation accompagnera ces entreprises dans leur recherche d’assentiment de la part des populations autochtones. Ces mesures pourraient prendre la forme d’une augmentation du nombre d’emplois de type cadre, qui soient en tout cas importants et/ou bien rémunérés, aux populations locales.

Mieux, une priorité devrait être donnée aux Congolais disposant des qualifications requises pour accroître sensiblement les effectifs nationaux dans les grandes entreprises opérant dans le pays. Cette préférence nationale devra être étroitement surveillée, et intégrée au besoin dans les textes, afin de donner aux administrations compétentes la possibilité de la faire respecter.
Beaucoup plus de mesures participatives de la part des entreprises pourraient également se décliner sous forme d’actions régulières en faveur des associations ou groupements de certaines catégories sociales (jeunes, femmes, personnes âgées) pour les accompagner dans leurs activités citoyennes. Par ailleurs, il est plus que jamais utile d’augmenter la dose écologique dans les activités d’exploitation des ressources naturelles, qui fasse en sorte que l’activité industrielle ne se nuise pas à elle-même et profite également aux générations futures.

Mieux identifier les priorités des populations

Dans le même esprit, il serait utile de mieux prendre en compte les besoins des destinataires ultimes des réformes institutionnelles et administratives. Il s’agira pour les responsables politiques et les fonctionnaires d’inclure dans leurs prévisions et actions ultérieures le besoin criant de bien-être social qui s’est installé en République Démocratique du Congo. Au lieu de lamentablement suivre les orientations des bailleurs de fonds internationaux, notamment FMI et Banque Mondiale, les responsables politiques congolais, puisqu’ils disposent de la légitimé du suffrage universel, devraient plutôt s’enquérir au préalable des réelles priorités de leur peuple. Celles-ci ne sont pas inscrites dans des théories classiques internationalement admises, elles se trouvent à peu près dans chaque localité du pays.

Dans cette optique, les compétences des fonctionnaires formés à l’exécution de chaque tâche déterminée doivent dorénavant être mobilisées pour identifier les urgences sociales qui sévissent dans chaque partie de la RDC. Une certaine harmonie devrait se mettre en place dans les différentes actions entreprises par les administrations territoriales, les organismes publics destinés à l’accompagnement des initiatives locales, et les organes politiques locaux, pour atteindre une rationalisation des initiatives publiques en faveur du développement local.

Ce dernier pourrait utilement s’inspirer ou se faire aider par les mécanismes déjà mis en place au niveau national pour attirer les investissements privés internationaux et les financements des institutions publiques internationales. En d’autres termes, la coopération décentralisée, si elle est pensée en des termes plus soucieux des priorités du peuple congolais, pourra contribuer de manière décisive à l’essor économique de la RDC. Le programme de décentralisation, inscrit dans la Constitution et qui donna lieu à des heurts violents en 2009, pourra ainsi mettre à profit l’expertise internationale en la matière pour éviter toute sclérose. 

 

 

Mouhamadou Moustapha Mbengue

Emploi des jeunes : Que faire ?

La jeunesse de la population africaine constitue un atout pour sa croissance économique. Toutefois, les jeunes sont confrontés à un chômage deux à trois fois plus élevé que celui des adultes. Plusieurs politiques publiques sont envisageables. Laquelle choisir ?

La jeunesse de la population africaine est l’un des atouts majeurs pour son développement. Aujourd’hui, la frange de la population âgée de 15 à 24 ans représente 20% de la population totale, soit près de 200 millions de personnes. De plus, les projections démographiques prévoient son doublement en 2045[1]. Alors que ces données suscitent l’espoir d’une main d’œuvre abondante pour la croissance économique de l’Afrique, plusieurs obstacles subsistent et rendent plus difficile le choix des politiques économiques appropriées.

En effet, quoique la situation soit hétérogène d’un pays à l’autre, les pays Africains partagent certaines caractéristiques qui constituent des obstacles à l’emploi des jeunes. D’abord, l’offre de travail est limitée par une faiblesse du niveau et de la qualité de l’éducation. Il convient de noter toutefois que selon le récent rapport sur les perspectives économiques en Afrique, « la qualité est surtout insuffisante dans les pays pauvres ; alors que la quantité fait défaut dans les pays à revenus intermédiaires ». Ensuite, en ce qui concerne la demande de travail, elle reste inférieure à l’offre en partie du fait de la qualité de la croissance économique. Cette dernière est principalement tirée par le secteur des services, notamment les télécommunications. Or, ces secteurs ne sont pas abondants en main d’œuvre, surtout non qualifiée. Enfin, la troisième caractéristique commune aux pays africains est l’inadéquation entre l’offre et la demande. Cela se traduit par un taux de chômage plus élevé chez les jeunes les plus instruits et un taux de chômage deux à trois fois plus élevé chez les jeunes que chez les adultes.

Face à ces obstacles, on peut envisager plusieurs politiques publiques. Elles peuvent être des politiques de croissance, de l’éducation ou du marché du travail. Dans certains pays comme le Sénégal, le gouvernement privilégie les grands travaux pour réduire le taux de chômage des jeunes. Cependant, les emplois issus des politiques de grands travaux ne sont pas en général durables. Ainsi, certains pays privilégient le développement du secteur privé à travers la mise en place d’un environnement plus favorable aux affaires. Les emplois créés dans ce cadre prennent plus de temps pour être concrétisés mais sont plus durables.

En complément aux politiques de croissance, une amélioration de l’offre de travail des jeunes peut être envisagée via une augmentation de l’accès à l’éducation et un renforcement de la qualité de celle-ci. Une faiblesse de la qualité de l’éducation interagit avec la croissance économique pour créer un cercle vicieux du chômage des jeunes. Concrètement, la faiblesse de la productivité due à la qualité de l’éducation entrave la croissance économique, toute chose égale par ailleurs ; ce qui affaiblit la demande de travail. Il faut trouver un équilibre entre le cursus académique et le cursus professionnel. A ce niveau un diagnostic plus approfondi des perspectives économiques de chaque pays est nécessaire pour identifier le cursus auquel il faudra accorder plus de priorité.

Ces politiques d’amélioration de l’offre de travail sont surtout destinées aux jeunes – de plus de 15 ans – qui entreront plus tard sur le marché du travail. Quant à ceux qui y sont déjà et qui ne disposent pas des qualifications demandées, ils doivent être ciblés par des politiques du marché du travail appropriées. Les programmes de formation sont les plus répandus. Ils peuvent être intégralement financés par l’Etat ou pris en charge en partie par le secteur privé comme c’est le cas au Maroc. Sachant que le secteur privé est plus à même d’identifier les formations les plus appropriées, cette dernière option a permis de réduire le chômage des jeunes au Maroc selon les conclusions d’une évaluation menée par l’Agence Française de Développement. La seconde option serait un recrutement direct dans le secteur public, quoique les capacités d’embauche y soient limitées par le budget de l’Etat. D’autres options consistent à mettre en place des structures d’orientation et d’assistance à la recherche d’emploi pour favoriser l’insertion des jeunes, des subventions pour le recrutement des jeunes ou des incitations à l’entrepreneuriat des jeunes.

Face à cette pluralité des options de politiques publiques, les choix s’avèrent complexes surtout avec des ressources financières très limitées et l’existence de plusieurs autres priorités de développement. Par ailleurs, le manque d’évaluation rigoureuse des politiques déjà adoptées dans certains pays ne permet pas de dégager des « Bonnes Pratiques » pour les autres pays. Dès lors, à défaut d’une analyse spécifique à chaque pays en vue d’identifier les politiques les plus adéquates, il revient au lecteur de formuler des choix sur la base des connaissances qu’il ou elle possède sur un pays en particulier. A vos méninges !!!

Georges Vivien Houngbonon


[1] Perspectives économiques de l’Afrique, Banque Africaine de Développement, 2012.