Vers une nouvelle crise de la dette en Afrique subsaharienne ?

dette-grece-colosse-mai-2011Les annulations de dette consécutives à l’atteinte du point d’achèvement des PPTE (entre 2001 – 2012) ont offert aux pays africains[1], ceux d’Afrique subsaharienne en particulier, une fenêtre d’opportunités pour financer leur développement, qu’ils semblent pour la majorité avoir saisi [2]. Pour financer ces dépenses, les pays se sont appuyés sur de nouveaux emprunts. La dette publique des pays d’Afrique subsaharienne qui est passée de 104% du PIB fin 2000 à 39% à fin 2012[3], a d’ores et déjà atteint 50,6%, soit une augmentation annuelle moyenne de 4 points de %[4]. Cette forte croissance de la dette dans les pays africains, qui excède celle de l’accélération de la croissance suscite aujourd’hui plusieurs interrogations. Devrait-on réellement s’en inquiéter ? Cet article revient sur la politique de financement du développement la dette des pays africains et les risques potentiels liés à cette stratégie.

A la lecture des statistiques disponibles (WEO du FMI) – même les plus pessimistes –  sur la performance économique et le niveau de la dette des pays africains, on est tenté d’exclure tout risque que pourrait induire la dette sur les économies africaines. Cependant, en considérant les facteurs qui soutiennent cette performance économique, la capacité limitée des pays africains à collecter davantage les ressources domestiques et le rythme soutenu de croissance de la dette, la question se pose avec pertinence[5]. Dans un article précédent, il a été montré que la dette n’est profitable à une économie que si elle permet de financer des activités permettant d’accélérer la croissance à un niveau excédant les taux d’intérêt escomptés et si l’Etat est suffisamment capacité pour collecter les fruits de ces investissements. Ce qui n’est pas encore forcément le cas dans les pays africains.[6] La capacité de mobilisation des ressources intérieures (et donc de la richesse créée) est faible et repose sur une petite partie de l’économie alors que la croissance générée est davantage le fruit d’investissements étrangers dans des secteurs qui ne favorisent pas la transformation structurelle de l’économie.

A juste titre, les analyses de viabilité de la dette (AVD) réalisées[7] par le FMI et la Banque Mondiale, montrent que le profil de risque d’endettement des pays africains a rapidement évolué entre 2012 et 2015. Sur les 39 pays bénéficiaires de l’IPPTE, 7 ont déjà atteint un risque élevé d’endettement (contre 5 en 2012), 18 sont classés en risque modéré (13 en 2012) et 5 sont classés en risque faible (contre 11 en 2012).  Il apparaît donc évident que l’évolution de la dette dans les pays africains n’est pas sans risques que plusieurs facteurs contribuent à accentuer. 

Premièrement, le profil de la dette dans les pays africains a beaucoup changé. En plus d’un recours accru aux marchés financiers locaux, et pour certains pays aux marchés financiers internationaux, les pays africains se tournent de plus en plus vers les pays émergents, notamment la Chine, l’Inde et la Turquie. Ces nouveaux emprunts, s’ils répondent à un besoin de diversification des partenaires et des risques, paraissent toutefois onéreux pour les économies africaines. Sur les marchés financiers internationaux et locaux, les taux d’intérêts varient entre 5 et 10% – cas des récentes émissions effectuées par la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Nigéria, le Sénégal ou encore la Zambie. Auprès des émergents, non soumis aux règles d’APD de l’OCDE, les emprunts se font à des conditions dit semi-concessionnels – soit à des taux variant entre 0.5 et 1%.

Deuxièmement, la dynamique économique des pays africains tend à s’estomper certes (à degré variable entre les pays). La chute des cours des matières premières[8], induits par le ralentissement économique des pays émergents, affectent les pays africains[9] et va se traduire par des entrées moins importantes de devises, nécessaires pour assurer le service de la dette extérieure notamment. Aussi la fin de la récente crise financière, et donc de la politique monétaire conciliante menée par la Fed américaine en réponse à cette crise et qui a poussé les investisseurs à s’intéresser aux marchés africains, va induire une baisse des investissements à destination du continent. Dans ce contexte, un effet de change pourra rendre plus onéreux le service de la dette libellé en devises, absorbant ainsi une bonne partie des ressources des pays et accentuant les pressions sur les finances publiques.

Si le ré-endettement s’est constitué comme une option aux pays d’Afrique sub-saharienne, notamment pour ceux ayant bénéficié de l’IPPTE, pour financer leur développement ; il ne s’est pas forcément appuyé sur une politique de financement global alliant mobilisation des ressources domestiques et externes. Il apparaît plutôt comme un outil utilisé mécaniquement par les Etats pour compenser l’insuffisance des ressources domestiques et financer leurs investissements. Cette stratégie est aujourd’hui porteuse de risques, révélant par la même occasion les limites de la politique économique menée par les pays durant la dernière décennie. Si une nouvelle crise de la dette n’est pas envisageable à court terme, la poursuite de cette stratégie peut s’avérer très contraignante pour les économies africaines à moyen-long terme d’autant plus que la perspective d’une nouvelle IPPTE est à écarter au regard du profil des créditeurs. Il apparaît dès lors nécessaires pour les pays africains d’inclure dans leur stratégie de développement une politique propre de gestion de l’endettement mais aussi de renforcer la collecte des ressources internes.

Foly Ananou


[1] Fin 2012, le nombre de pays africains ayant bénéficié de l’IPPTE s’établissait à 39.

[2] La réduction de la dette se traduit de fait par une di munition du service de la dette, créant donc des marges de manœuvre budgétaire pour déployer la politique publique.

[3] Cette donnée cache de fortes disparités. La Côte d’Ivoire et la Guinée qui ont bénéficié de l’initiative fin 2012, tire cette moyenne vers le bas ; certains pays ayant bénéficié de l’initiative assez tôt dès la première moitié de la décennie ont fait croître leur dette entre temps. Toutefois, elle révèle assez bien comment cette initiative a permis de réduire considérablement le poids de la dette des pays africains.

[4] Cette donnée s’applique à un pays moyen. Une analyse plus fine par pays révèle de forte disparité et des trajectoires différentes. Les pays exportateurs de matières premières ont une situation plus critique que les autres (cas du Ghana)

[5] En effet, ce qui inquiète, ce n’est pas tant le niveau de la dette mais son accélération qui se fait dans des conditions non maitrisées.

[8] Qui ne devrait pas se résorber à court terme selon les estimations de la Banque Mondiale (Commodity Market Outlook)

[9] Durement les exportateurs et les gains sont modérés pour les importateurs

La dette, un handicap au développement ?

185236742-281x300Le recours à la dette exterieure est connu pour sa capacité à drainer des fonds importants dans une économie en besoin de financement, contribuant ainsi à son développement via l’allocation qui se fait de ces nouvelles ressources. Cependant, il peut constituer une source de tensions dans l’économie. Les crises récentes de la dette en zone euro, les bisbilles survenues entre les élus américains autour du relèvement du plafond de leur dette souveraine ainsi que le cas argentin sont des exemples notoires d’un problème plus global. La question a déjà été abordée en partie dans un article de Foly Ananou. Il s’interrogeait en effet sur l’impact de la dette sur les performances économiques. Il a ainsi soulevé la controverse de l’endettement public en rapprochant de façon pertinente les différentes théories économiques en la matière. Le présent article pousse plus loin la réflexion en s’attachant particulièrement aux conséquences socio-environnementales.

Le recours systématique à l’endettement public dans le démarrage économique d’une collectivité entraine, sans nul doute, la  dévalorisation du rôle de l’épargne  nationale. Si aujourd’hui, de nombreux pays africains ne peuvent se prévaloir d’avoir une épargne nationale robuste capable de servir de levier aux investissements, c’est aussi parce que les outils financiers des Etats, font rarement appel à cette épargne. En outre, l’endettement public entraine  le drainage hors de la communauté  nationale  ou sous-régionale  des ressources financières nécessaires au développement local. Ceci prend notamment la forme d’intérêts sur le capital et d’intérêts sur les intérêts[1] ; une partie de la richesse créée étant consacré au remboursement de l’emprunt. Cette situation est d’autant plus critique quand les performances économiques du pays ne sont pas solides et inclusives. Le cas de l’Afrique subsaharienne est assez édifiant. En 1984, le service de la dette (les intérêts) ivoirienne représentait 12 %  de son pays. Il comptait pour plus de 40 % des recettes d’exportations de biens et services de la Guinée Bissau en 1987.

La réalité est que les pays africains n'étaient pas techniquement préparés à la gestion de cet afflux de capitaux. Depuis leur indépendance politique, ils n’ont pas connu une véritable révolution économique qui puisse assoir les bases d’une industrialisation réussie. En effet, les pays ont été embarqués dans ce programme d'aide initié par le président Truman en 1949, alors même que les conditions techniques pour son éclosion n’étaient pas au rendez-vous. Il s’agit notamment de la bonne gouvernance, de l’approche participative et axée sur les résultats ainsi que des capacités limités des gouvernants en matière de gestion de la dette. Ces insuffisances couplées avec le manque de contrôle de la part des pays donateurs ont entrainé des situations de crise de la dette souveraine, qui ont motivé les récentes initiatives PPTE[2] et ADM[3].

Une autre conséquence de l’endettement extérieur est l’extraversion des économies aidées du fait qu’il faut toujours et davantage exporter de matières premières pour acquérir les devises étrangères nécessaires au paiement du service de la dette. Les économies tendent ainsi à se spécialiser dans des secteurs pouvant rapporter, non davantage, mais le plus rapidement possible des devises. L’agriculture est orientée vers les cultures d'exportation, le secondaire se spécialise dans le secteur minier, avec parfois un ricochet sur l’industrie de l’équipement et le tertiaire est dominé par le commerce et les services. C’est le cas de nombreux pays en Afrique subsaharienne. Au sein de l’UEMOA (Union Economique Monétaire Ouest-Africaine) par exemple, les exportations de matériaux agricoles bruts du Burkina Faso font depuis 1995 plus de la moitié du total des exportations de marchandises du pays. Elles ont atteint 59 % en 2000 et représentaient 91 % des exportations du Mali, à la même période. En 2010, les exportations de matériaux agricoles s’établissaient à 56 % pour le Burkina Faso contre 48 % pour le Mali. En 2010, les exportations de minerais et de métaux du Niger représentaient 60 % du total de ses exportations de marchandises contre 41% 10 ans plus tôt.

Gelima (1994) considère que le délaissement accentué de l’agriculture vivrière au profit des cultures d’exportation  provoque  la dépendance alimentaire, la sous alimentation, souvent la famine, et constitue des pressions supplémentaires sur l’environnement, à l’heure où le réchauffement climatique est une réalité et une menace pour la survie de la race humaine[4]. Par ailleurs, l’endettement entraine une situation d’interdépendance accrue vis-à-vis de l’extérieur et une dépendance croissante envers les institutions financières internationales, rendant ainsi plus difficile la mise en œuvre de politiques économiques satisfaisant les réalités locales.

Il faut également souligner que les conséquences de l’endettement extérieur ne se limitent pas seulement aux seuls pays aidés. Elles impactent aussi les pays donateurs, créant ainsi un cercle vicieux qui contribuent à maintenir le aidés dans leur situation. Dans son livre intitulé « effet boomrang, choc en retour de la dette du tiers-monde », George S. (1992) identifie les conséquences suivantes :

  • « La dégradation aux répercussions planétaires de l’environnement : destruction des forets tropicales, érosion et désertification dues à l’exploitation intensive et extensive des terres pour l’agriculture d’exportation ». Ces répercussions sur l’environnement n’épargnent en effet pas les pays développés.
  • « La migration en masse de miséreux et de réfugiés vers les pays riches, conséquence de l’appauvrissement et de la déstabilisation des sociétés sous-développées ». En effet, selon le rapport conjoint OCDE – Nations Unies, intitulé « les migrations internationales en chiffres » parut en octobre 2013, on recense aujourd’hui dans le monde 232 millions de migrants internationaux, dont environ six sur dix résident dans les régions développées. Depuis 1990, le nombre de migrants internationaux a augmenté d’environ 53 millions (65 %) dans les pays du Nord alors qu’il croissait d’environ 24 millions (34 %) dans ceux du Sud. Pendant la période 2000-2010, le nombre total de migrants a crû deux fois plus vite qu’au cours de la décennie précédente.
  • « La multiplication des conflits internes et externes ». McNamara (1991), secrétaire à la défense sous le président américain Kennedy, écrivait à cet effet : « au cours de ce dernier demi-siècle le tiers-monde a connu 125 guerres ou conflits armés laissant un bilan de 40 millions de morts, 65 conflits armés, tous internes, y ont été recensés entre 1989 et 1992 seulement. »

Le recours à la dette extérieure est une pratique en vigueur dans les pays en voie de développement depuis près de 70 ans. Malgré les efforts consentis jusque là par les pays africains concernés, le rattrapage économique semble encore très loin. Foly Ananou, dans un second article portant sur la question de la dette, expliquait que tant que les performances économiques de l’Afrique seront en lien avec la richesse de son sous-sol mis en valeur par des capitaux étrangers, elle ne pourra user de la dette pour asseoir son émergence. Moyo (2009),  insiste sur le fait que l’Afrique doit donc inventer son développement, et ne plus penser que le recours systématique à l’extérieur soit une solution pérenne pour financer leur développement. C’est d’ailleurs dans ce sens  que Georges évoque la fiscalité ou que Pauline discute du recours à des financements innovants. Si le recours à la fiscalité ou aux mécanismes de financements innovants constituent des solutions envisageables, elles demeurent cependant tributaires de l’environnement économique africain. Dans les pays de l’UEMOA par exemple, cet environnement est marqué principalement par une assiette fiscale très réduite, un secteur privé en proie à des problèmes existentiels, une bancarisation encore loin des attentes et un secteur informel prépondérant. Un prochain article discutera donc de la possibilité de renouer avec les vertus de l’épargne nationale qui est mobilisable en Afrique et proposera par la suite un modèle alternatif qui facilitera une croissance auto-entretenue.

Carmen Thirbus Agbahoungbata

Références 

Gélima, J. (1994),  Et si le tiers monde s’autofinançait : de l’endettement à l’épargne,  Ecosociété, Montréal (Québec),

George, S. (1992),  L’effet boomerang, Choc en retour de la dette du Tiers Monde, Paris, La Découverte.

McNamara, R. (1991), Toward a New World Order, in Ecodécision, N°2, P. 15

Moyo, D. (2009),  Dead Aid: Why Aid is Not Working and How There is Another Way for Africa, Ed. Allen Lane. Penguin Books


[1] Selon la Banque mondiale, les paiements d’intérêts sont « les montants réels d'intérêts payés par l'emprunteur en devises étrangères, en biens ou en services au cours de l'année donnée. Cet élément comprend les intérêts payés sur la dette à long terme, les frais du FMI et les intérêts payés sur la dette à court terme ».

 

[2] Pays Pauvres Très Endettés

 

[3] Allègement de la Dette Multilatérale

 

[4] Voir le quatrième rapport d’évaluation du GIEC (Groupe d'Experts Intergouvernemental sur l'Evolution du Climat) à ce sujet