Perspectives économiques régionales: une croissance à plusieurs vitesses en Afrique subsaharienne!

Selon les dernières prévisions du FMI, le taux de croissance économique (la croissance moyenne)  de l’Afrique subsaharienne devrait descendre à son plus bas niveau depuis plus de vingt ans. Ces  prévisions publiées précisément le 16 Octobre 2016   dans son rapport semestriel  sur «les Perspectives économiques régionales pour l’Afrique subsaharienne » soulignent  aussi une croissance hétérogène entre les différents pays de la région.

En effet, la conjoncture actuelle de l’économie mondiale, dominée précisément par la baisse continuelle des cours du pétrole et des matières premières,  a eu des effets différents sur les pays de la région en fonction de la structure de leur économie (pays exportateurs ou importateurs de pétrole, pays riches ou pauvres en ressources naturelles).

weo

             Afrique subsaharienne : croissance du PIB réel

De facto, les pays  tributaires des exportations de ressources naturelles (le pétrole) connaissent aujourd’hui un fort ralentissement    de leur économie. Des tensions causées, en partie, par la chute des exportations vers la Chine – premier partenaire commercial de la région (qui fait face à d’énormes difficultés économiques)  – mais aussi vers le reste du monde. Ainsi les pays comme le Nigéria, l’Afrique du sud et l’Angola ont vu leurs recettes nationales amputées  dans des proportions allant de 15 % à 50 % de leurs PIB depuis le milieu de l’année 2014.

Cependant, cette situation l’économie mondiale profite à d’autres pays comme le Sénégal, la Côte d’ivoire, le Kenya, l’Éthiopie …qui continuent d’afficher de bons résultats, car bénéficiant de la baisse des prix des importations de pétrole, de l’amélioration du climat des affaires. Ces pays devraient  continuer d’enregistrer des taux de croissance allant de 6 %  à  8%  dans les deux prochaines années, selon le même rapport. Mais dans l’ensemble, la production de la région ne devrait progresser que de 1,4 % en 2016. Un chiffre correspondant à ceux des années 1977, 1983,1992 et aussi de l’année 2009  date à laquelle la plupart des pays industrialisés du monde sont rentrés en récession la suite du krach de l'automne 2008.

weof

Afrique subsaharienne : croissance du PIB réel Pendant les épisodes de ralentissement économique actuel et passés

En plus de ces facteurs exogènes, la manque de transparence  des politiques publiques des pays les plus touchés a fortement contribué à leurs relentissements actuels et aux tensions économiques qu’ils connaissent. En ce qui concerne la politique économique, la réaction des différents gouvernements  fut lente voire même parcellaire.Et les progressions ou les croissances prévues pour les pays comme  la Côte d’ivoire, le Sénégal, l’Ethiopie, etc. pour les années à venir n’auraient pas d’effets ou d’impacts  sur l’économie des pays touchés  en raison de la faible intégration économique de la région.

Toutefois, les prévisions du FMI annoncent aussi une reprise modeste, avec une croissance d’un peu moins de 3 % pour l’année prochaine mais sous certaines conditions. Cette reprise ne serait possible que si  les différents gouvernements concernés, c’est-à-dire ceux qui dependent de l’exportation du  pétrole, mettent en place un ajustement budgetaire efficace à moyen terme.En d’autres termes,ces pays doivent  trouver des nouveaux moyens de financement de leurs économies  qui pourraient contribuer à attenuer l’effet de freinage à court terme sur la croissance et réduire l’incertitude qui fait actuellement obstacle à l’investissement privé.

D’ailleurs, cette problématique du financement des économies africaines a été le thème de la Conférence annuelle 2016 de l’Afrique des Idées qui avait réuni plusieurs experts au sein de l’université Paris Dauphine le 4 juin 2016.  L’élargissement de l’assiette fiscale, les Partenariats Public-Privé (PPP) sont des pistes à explorer pour garantir des moyens durables de financement des économies africaines.

Hamidou CISSE

L’économie bleue: une opportunité pour assurer une croissance inclusive en Afrique Subsaharienne!

blueDurant ces dernières décennies, les pays  d’Afrique Sub-Saharienne ont enregistré de forts taux de croissance entrainant une croissance moyenne de 5 % dans la région en 2014. Même si l’on note une baisse de ce taux en 2015 due à la chute des prix du pétrole, certains pays tels que la Côte d’Ivoire, le Kenya et le Sénégal continuent d’enregistrer  de belles performances en matière de croissance. Toutefois, malgré ces performances, la plupart des pays d’Afrique Subsaharienne restent minés par des niveaux de pauvreté  et d’inégalités élevés, des systèmes de santé et d’éducation peu performants, ce qui explique  leurs indices  de développement humain (IDH) très bas. Selon le rapport du PNUD sur le développement humain en 2015, 38 pays sur les 48 que compte l’Afrique Sub-Saharienne sont dans le quatrième et dernier cadrant, soit le cadrant des pays ayant un faible développement humain. On peut attribuer à cette situation, une inexploitation de toutes les potentialités dont disposent les pays africains. Parmi ces potentialités se trouvent celles offertes par les mers, les océans, les lacs, les fleuves et les rivières à travers la pêche, le tourisme, le commerce, la fourniture d’énergie et la production des produits pharmaceutiques qui permettent de créer de la richesse et des emplois. Si le commerce maritime est développé dans les pays côtiers d’Afrique sub-saharienne, la pêche, le tourisme, la production énergétique et la production pharmaceutique restent peu exploités. Cet article revient sur les aspects sous-exploités de l'économie bleue en Afrique subsaharienne et qui présentent un fort potentiel de croissance économique pour la région.

Tourisme : un secteur à forte recette mais très peu exploité par les pays de l’Afrique sub-saharienne

Selon l’Organisation mondiale du tourisme, les recettes mondiales du tourisme ont atteint 1500 milliards d’USD en 2014  dont  221 milliards d’USD de recettes de transports de voyageurs et 1245 milliards d’USD de dépenses des visiteurs en hébergement, repas et boissons, loisirs, achats et autres biens et services. Cela offre une très grande opportunité en termes d’emplois directs surtout pour la jeunesse.  Cependant, bien que les recettes mondiales du tourisme  soient élevées, l’Afrique n’en tire que 3 %, soit donc moins de 3 % pour l’Afrique Subsaharienne. Ce faible taux de recettes liées au tourisme est dû à un manque de politique d’envergure pour accroître les recettes du secteur touristique. Cette insuffisance de politique est caractérisée par des plages très peu aménagées et développées, une insuffisance d’infrastructures, un manque de promotion des sites touristiques et très souvent une forte instabilité politique.  Si les pays africains au Sud du Sahara, à travers les potentialités de tourisme qu’offrent les mers, peuvent améliorer leur secteur touristique et obtenir au moins 10 % de la part des recettes mondiales du tourisme, soit donc 150 milliards de dollars, alors ils pourront disposer de ressources supplémentaires pour financer des projets de développement.

Pêche et aquaculture : une faible production africaine dans la production mondiale

Le rapport de la FAO sur la situation mondiale des pêches et de l’aquaculture de 2016 montre que le poisson continue de faire partir des produits de base les plus échangés dans le monde et que plus de la moitié des exportations en valeur proviennent des pays en développement. Cependant, la production aquacole marine et côtière de l’Afrique en 2014 n’a été que de 0,2 % (FAO, 2014), ce qui donne un chiffre moins que cela pour l’Afrique Sub-Saharienne. Quand on sait que l’Afrique dispose d’une zone maritime de 13 millions de kilomètres carré sur sa juridiction, on peut se demander pourquoi la production de l’Afrique est ci-basse. L’importance de la pêche et de l’aquaculture dans la transformation économique des pays d’Afrique Sub-Saharienne vers des économies inclusives réside dans leur capacité à créer des emplois directs surtout pour des populations défavorisées. Par exemple en Ile Maurice, le secteur de la pêche a permis de créer 29400 emplois en 2014 selon la FAO.  Il n’y a aucun doute que la pêche et l’aquaculture ont joué un rôle important dans l’essor économique des pays asiatiques durant ces dernières décennies. La preuve est qu’en 2014, 53 % de la production aquacole maritime et côtière mondiale de poissons viennent de l’Asie. Autrement dit, les exportations mondiales en valeur de poissons, citées au début de la section, viennent principalement des pays asiatiques.

Hydro-énergie : une potentialité à exploiter pour alimenter l’Afrique à 100 %

Il n’est pas sans doute que l’énergie est indispensable dans le développement économique de tout pays. L’électricité est indispensable pour le bon fonctionnement des services de santé, des services d’éducation et pour le bon fonctionnement des affaires, créatrices d’emplois. L’accès à l’énergie surtout en milieu rural permettra de créer un certain nombre d’emploi permettant de réduire structurellement le  niveau de pauvreté. En dépit de ces bénéfices de l’énergie, plus de 640 millions d'Africains n'ont pas accès à l'énergie, ce qui correspond à un taux d'accès légèrement supérieur à 40 %, selon la Banque africaine de développement. De même, selon la même source, la consommation d'électricité par habitant en Afrique subsaharienne (Afrique du Sud exclue) est de 180 kWh, contre 13 000 kWh par habitant aux États-Unis et 6500 kWh en Europe.  Bien que l’hydroélectricité fournisse  environ un cinquième de la capacité actuelle, le potentiel utilisé n’atteint même pas le dixième du total. Pourtant, selon l’Agence Internationale de l’Énergie, l’énergie renouvelable des océans pourrait fournir jusqu’à 400 % de la demande globale d’énergie. Autrement dit, les 28 pays côtiers pourraient alimenter 100 % de leur population et également exporter de l’énergie vers les 20 pays restant d’Afrique sub-saharienne. Les États africains doivent donc songer à une exploitation totale de l’hydroélectricité pour fournir de l’énergie à toute la population, ce qui permettra de créer des emplois et assurer une croissance inclusive.

Prise en compte des changements climatiques

Si les océans, les mers, les rivières et les lacs offrent d’énormes richesses à la population, leur surexploitation ou mauvaise exploitation pourraient avoir de conséquences néfastes sur l’environnement. En effet, l’indice de vie des espèces maritimes a connu une baisse de 39% de 1970 à 2010. Pour donc prendre en compte la production de l’environnement tout en profitant des bénéfices de l’économie bleue, il est primordial de respecter quelques règles. Les pays souhaitant donc profiter de l’économie bleu peuvent se référer aux recommandations du rapport Africa’s Blue Economy : a policy  handbook de la Commission économique des nations unies pour l’Afrique. Ces politiques comprennent entre autres le développement d’un cadre pour promouvoir des infrastructures respectant l’environnement telles que les ports verts, l’utilisation des technologies renouvelables… Le rapport préconise également l’investissement dans les services d’informations sur l’environnement pour faciliter et la disponibilité des informations sur le climat et l’environnement.

 

Hamed Sambo

 

 

Source :

http://www.uneca.org/publications/africas-blue-economy-policy-handbook

http://www.undp.org/content/undp/fr/home/librarypage/hdr/2015-human-development-report.html

http://media.unwto.org/fr/press-release/2015-04-15/les-exportations-du-tourisme-international-grimpent-1-500-milliards-d-usd-e

http://www.afdb.org/fr/the-high-5/light-up-and-power-africa-–-a-new-deal-on-energy-for-africa/

http://www.fao.org/documents/card/fr/c/9ba59d60-6d96-4991-b768-3509eeffc4da/

http://www.worldwildlife.org/publications/reviving-the-oceans-economy-the-case-for-action-2015

 

Vers une nouvelle crise de la dette en Afrique subsaharienne ?

dette-grece-colosse-mai-2011Les annulations de dette consécutives à l’atteinte du point d’achèvement des PPTE (entre 2001 – 2012) ont offert aux pays africains[1], ceux d’Afrique subsaharienne en particulier, une fenêtre d’opportunités pour financer leur développement, qu’ils semblent pour la majorité avoir saisi [2]. Pour financer ces dépenses, les pays se sont appuyés sur de nouveaux emprunts. La dette publique des pays d’Afrique subsaharienne qui est passée de 104% du PIB fin 2000 à 39% à fin 2012[3], a d’ores et déjà atteint 50,6%, soit une augmentation annuelle moyenne de 4 points de %[4]. Cette forte croissance de la dette dans les pays africains, qui excède celle de l’accélération de la croissance suscite aujourd’hui plusieurs interrogations. Devrait-on réellement s’en inquiéter ? Cet article revient sur la politique de financement du développement la dette des pays africains et les risques potentiels liés à cette stratégie.

A la lecture des statistiques disponibles (WEO du FMI) – même les plus pessimistes –  sur la performance économique et le niveau de la dette des pays africains, on est tenté d’exclure tout risque que pourrait induire la dette sur les économies africaines. Cependant, en considérant les facteurs qui soutiennent cette performance économique, la capacité limitée des pays africains à collecter davantage les ressources domestiques et le rythme soutenu de croissance de la dette, la question se pose avec pertinence[5]. Dans un article précédent, il a été montré que la dette n’est profitable à une économie que si elle permet de financer des activités permettant d’accélérer la croissance à un niveau excédant les taux d’intérêt escomptés et si l’Etat est suffisamment capacité pour collecter les fruits de ces investissements. Ce qui n’est pas encore forcément le cas dans les pays africains.[6] La capacité de mobilisation des ressources intérieures (et donc de la richesse créée) est faible et repose sur une petite partie de l’économie alors que la croissance générée est davantage le fruit d’investissements étrangers dans des secteurs qui ne favorisent pas la transformation structurelle de l’économie.

A juste titre, les analyses de viabilité de la dette (AVD) réalisées[7] par le FMI et la Banque Mondiale, montrent que le profil de risque d’endettement des pays africains a rapidement évolué entre 2012 et 2015. Sur les 39 pays bénéficiaires de l’IPPTE, 7 ont déjà atteint un risque élevé d’endettement (contre 5 en 2012), 18 sont classés en risque modéré (13 en 2012) et 5 sont classés en risque faible (contre 11 en 2012).  Il apparaît donc évident que l’évolution de la dette dans les pays africains n’est pas sans risques que plusieurs facteurs contribuent à accentuer. 

Premièrement, le profil de la dette dans les pays africains a beaucoup changé. En plus d’un recours accru aux marchés financiers locaux, et pour certains pays aux marchés financiers internationaux, les pays africains se tournent de plus en plus vers les pays émergents, notamment la Chine, l’Inde et la Turquie. Ces nouveaux emprunts, s’ils répondent à un besoin de diversification des partenaires et des risques, paraissent toutefois onéreux pour les économies africaines. Sur les marchés financiers internationaux et locaux, les taux d’intérêts varient entre 5 et 10% – cas des récentes émissions effectuées par la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Nigéria, le Sénégal ou encore la Zambie. Auprès des émergents, non soumis aux règles d’APD de l’OCDE, les emprunts se font à des conditions dit semi-concessionnels – soit à des taux variant entre 0.5 et 1%.

Deuxièmement, la dynamique économique des pays africains tend à s’estomper certes (à degré variable entre les pays). La chute des cours des matières premières[8], induits par le ralentissement économique des pays émergents, affectent les pays africains[9] et va se traduire par des entrées moins importantes de devises, nécessaires pour assurer le service de la dette extérieure notamment. Aussi la fin de la récente crise financière, et donc de la politique monétaire conciliante menée par la Fed américaine en réponse à cette crise et qui a poussé les investisseurs à s’intéresser aux marchés africains, va induire une baisse des investissements à destination du continent. Dans ce contexte, un effet de change pourra rendre plus onéreux le service de la dette libellé en devises, absorbant ainsi une bonne partie des ressources des pays et accentuant les pressions sur les finances publiques.

Si le ré-endettement s’est constitué comme une option aux pays d’Afrique sub-saharienne, notamment pour ceux ayant bénéficié de l’IPPTE, pour financer leur développement ; il ne s’est pas forcément appuyé sur une politique de financement global alliant mobilisation des ressources domestiques et externes. Il apparaît plutôt comme un outil utilisé mécaniquement par les Etats pour compenser l’insuffisance des ressources domestiques et financer leurs investissements. Cette stratégie est aujourd’hui porteuse de risques, révélant par la même occasion les limites de la politique économique menée par les pays durant la dernière décennie. Si une nouvelle crise de la dette n’est pas envisageable à court terme, la poursuite de cette stratégie peut s’avérer très contraignante pour les économies africaines à moyen-long terme d’autant plus que la perspective d’une nouvelle IPPTE est à écarter au regard du profil des créditeurs. Il apparaît dès lors nécessaires pour les pays africains d’inclure dans leur stratégie de développement une politique propre de gestion de l’endettement mais aussi de renforcer la collecte des ressources internes.

Foly Ananou


[1] Fin 2012, le nombre de pays africains ayant bénéficié de l’IPPTE s’établissait à 39.

[2] La réduction de la dette se traduit de fait par une di munition du service de la dette, créant donc des marges de manœuvre budgétaire pour déployer la politique publique.

[3] Cette donnée cache de fortes disparités. La Côte d’Ivoire et la Guinée qui ont bénéficié de l’initiative fin 2012, tire cette moyenne vers le bas ; certains pays ayant bénéficié de l’initiative assez tôt dès la première moitié de la décennie ont fait croître leur dette entre temps. Toutefois, elle révèle assez bien comment cette initiative a permis de réduire considérablement le poids de la dette des pays africains.

[4] Cette donnée s’applique à un pays moyen. Une analyse plus fine par pays révèle de forte disparité et des trajectoires différentes. Les pays exportateurs de matières premières ont une situation plus critique que les autres (cas du Ghana)

[5] En effet, ce qui inquiète, ce n’est pas tant le niveau de la dette mais son accélération qui se fait dans des conditions non maitrisées.

[8] Qui ne devrait pas se résorber à court terme selon les estimations de la Banque Mondiale (Commodity Market Outlook)

[9] Durement les exportateurs et les gains sont modérés pour les importateurs

Conflits sociopolitiques et crises électorales en Afrique subsaharienne francophone

LCrises électorales’inscription des pays africains francophones dans un processus de consolidation démocratique témoigne des importants progrès accomplis ces dernières années sur cette voie. Cependant, comme l’illustre la récurrence des crises électorales, l’expérience demeure encore fragile. En effet, l’exacerbation des conflits sociopolitiques antérieurs aux élections lors de leur déroulement, conduit parfois à des irrégularités électorales ou des fraudes électorales. L’intensification des conflits sociopolitiques lors des élections présidentielles est donc l’une des principales causes des crises électorales dans certains pays d’Afrique subsaharienne francophone. La prévention des crises électorales, et surtout l’enracinement de la démocratie électorale, doivent, par conséquent, et en dépit de ces conflits sociopolitiques, s’appuyer sur une véritable culture démocratique parfois défaillante.  Lisez l’intégralité de ce Policy Brief.

Interdiction des emballages plastiques : Pourquoi certains pays échouent ?

embalCette dernière décennie, plusieurs pays africains,  Rwanda en 2008, Gabon en 2010, Cameroun en 2012, Côte-d’Ivoire en 2013 ou encore au Burkina Faso en 2014, ont règlementé la fabrication, l’importation, la détention, la commercialisation ou la distribution gratuite d’emballages plastiques. Si les motivations sont similaires, les textes et les résultats sont par contre différents.  Cet article revient sur les motivations ayant conduit à l’interdiction de l’utilisation des emballages plastiques en Afrique et les limites qu’on constate dans l’application des dispositions imposées pour faire respecter cette interdiction.

Justifications de l’interdiction de l'utilisation des emballages plastiques

L’impact négatif de ces emballages sur les populations et la nature constitue la motivation majeure des règlementations établies. En effet, comme indique le document sur la « Dangerosité des emballages plastiques » préparé par le Ministère du Développement Durable au Cameroun, le temps de dégradation de sacs plastiques dans la nature varie entre 100 et 500 ans. Cette détérioration lente a pour conséquence le ralentissement de l’infiltration de l’eau dans le sol, nuisant ainsi  à l’agriculture par exemple. Jetés dans la nature, ils sont consommés par les animaux, provoquant leur mort par étouffement. Ils obstruent également  les canalisations, provoquant des inondations. Brulés, les sacs plastiques dégagent des gaz qui sont susceptibles de provoquer des affections respiratoires.

Sur un continent touché par des problèmes de santé publique et réputé vulnérable aux risques écologiques,  la menace est encore plus accrue. Toutefois, les réponses réglementaires apportées varient d’un pays à un autre. 

Divergences sur l’objet de l’interdiction de l'utilisation des emballages plastiques

Au Cameroun et au Burkina-Faso, l’interdiction concerne les emballages plastiques non-biodégradables à basse densité (moins de 60 et 30 microns respectivement). Au Rwanda il s’agit d’une interdiction pure et simple des sacs plastiques. Le Rwanda s’inscrit ainsi parmi les pays les plus restrictifs en la matière. Cette approche radicale est néanmoins plus pragmatique au regard de l’objectif recherché de réduire les dommages environnementaux. De plus, ce dispositif laisse moins de place à l’interprétation. Enfin, sa mise en œuvre est simple car ne nécessite pas le déploiement de ressources complémentaires.

L’approche du Burkina-Faso et du Cameroun semble plus flexible et progressive mais n’apporte qu’une solution partielle au problème. Car, si les emballages tolérés sont plus facilement réutilisables, les chances pour qu’ils finissent leur vie dans la nature restent néanmoins élevées. De plus, pour garantir l’observance des règles de densité, les administrations et les entreprises doivent investir en équipements, expertise et sensibilisation des populations.  Ces coûts supplémentaires peuvent constituer un obstacle à l’application des textes. Enfin, dans des contextes marqués par la corruption, de tels textes peuvent favoriser l’arbitraire de la part des organismes de contrôle.

Disparités dans les sanctions imposées pour le non-respect de l'interdiction de l'utilisation des emballages plastiques

En général, une sanction vise la répression, la dissuasion et la prévention. Au Burkina-Faso et au Rwanda des amendes et/ou des peines de prison sont prévues alors que le Cameroun institue la saisie et la destruction des emballages au frais du contrevenant. Dans ce dernier modèle, la prévention et la dissuasion semblent prendre le pas sur la répression. Sur un plan hiérarchique, la saisie et la destruction de produits interdits seraient le plancher des sanctions car après tout c’est un minimum. Les amendes arriveraient en second et les peines de prison couronneraient le tout. Cette option pour le minimum sans mesures supplémentaires porte en elle-même les germes de l’inefficacité. De plus, dans une économie marquée par l’importance du secteur informel et la faiblesse des infrastructures d’élimination, la destruction au frais du contrevenant est un défi. Or, au regard des enjeux de l’interdiction, une approche fortement répressive aurait été plus objective et porteuse de résultats.

Des résultats mitigés : si le Rwanda réussit, le Cameroun et le Burkina-Faso sont à la traîne

Depuis l’entrée en vigueur de la loi sur l’interdiction des sacs plastiques au Rwanda en 2008, la salubrité et l’aspect écologique de la ville ont été reconnus par de nombreuses institutions. La ville de Kigali a en effet été classée la ville la plus propre d’Afrique par l’ONU et figure dans le top 10 des endroits où il fait le mieux vivre en Afrique par le magazine Jeune Afrique. Elle apparaît dans la liste des plus belles villes d’Afrique établie par le site The Culture Trip ou encore est classée 3ème destination la plus verte au monde par le World Travel Guide.

La réduction de la pollution liée aux sacs plastiques y a certainement contribué. Et il est facile d’imaginer les impacts de tels classements sur l’économie d’un pays. Selon le réseau international d’experts Plateforme Resources, le succès de la réforme au Rwanda tient aussi à l’implémentation des mesures telles que les fouilles à l’aéroport et autres postes frontières, la traque des réseaux de trafic et la  distribution d’autres types d’emballages biodégradables. Le Rwanda détient donc la palme d’or dans ce domaine, devançant de loin le Cameroun et le Burkina-Faso.

Des mesures portant en elles-mêmes les germes de leur inefficacité 

Au Cameroun, malgré l’entrée en vigueur du texte en 2014, la présence des emballages plastiques interdits est notoirement observée sur le territoire. Les raisons en sont nombreuses. La mesure a été fortement décriée par les entreprises du secteur. Elles dénonçaient une période transitoire insuffisante,  une sensibilisation inefficace, la concurrence déloyale due à l’absence de lutte sérieuse contre la contrebande des emballages interdits.  De plus, les campagnes de sensibilisation des populations et la disponibilité de solutions alternatives n’ont pas été perceptibles. Or le document sur la « Dangerosité des emballages plastiques » prévoyait des alternatives comme les paniers en raphia, emballages en papier, tissu, etc. Au contraire, les populations se sont vues facturer les sacs plastiques dits « non-biodégradables », sans vraiment en comprendre les motivations profondes. Les nombreux contrôles et saisies d’emballages non conformes effectués en leur temps ont pu réduire temporairement la présence des sacs plastiques à basse densité sur le territoire. Mais ceux-ci sont réapparus quelques mois plus tard, démontrant ainsi l’inefficacité du dispositif.

Quant au Burkina-Faso, en juillet 2015 soit un an après le texte, le réseau Plateforme Ressources constate: la difficulté à distinguer le « biodégradable » du « non-biodégradable », l’utilisation de critères de distinction peu techniques, l’absence de sensibilisation des populations et le déficit de promotion de solutions alternatives. Le réseau a donc suggéré entre autres une communication plus intensive, la formation des parties prenantes clés comme la police, la douane, les administrations du commerce, la promotion des emballages écologiques, ou encore la défiscalisation des emballages conformes.

Session de rattrapage : nécessité de donner corps à la vision

Le Burkina Faso et le Cameroun doivent encore s’efforcer de concrétiser la vision de la réduction des impacts négatifs des emballages plastiques dans leurs environnements respectifs. Car au-delà des retombées sur l’écologie et la santé des populations, cette lutte constituera également un vivier pour la création d’emplois nouveaux dans la collecte et le recyclage des déchets plastiques.

En plus de la mise en pratique des propositions de Plateforme Ressources, il faut soutenir et encourager les initiatives  privées déjà existantes.  Tel est le cas de l’utilisation des matières plastiques pour fabriquer des pavés ou encore des broyeurs de plastiques en vue de la revente des granulés aux industries qui les incorporent dans la fabrication de biens. Il s’agit de créer un sentiment de bénéfice mutuel et d’équité entre toutes les parties prenantes. Si la loi sans force est impuissante, l’adhésion des intervenants est gage d’efficacité.

 

 

Caroline Ekoualla

Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE) : Pour des actions plus efficaces dans les pays en développement

rseLa politique RSE d’une entreprise basée à Londres pourrait-elle s’appliquer purement et simplement à sa succursale établie au Cameroun ou au Ghana ? Aujourd’hui la question de l’adaptabilité des modèles de RSE des pays développés aux pays en développement se pose. L’interrogation garde toute sa pertinence surtout lorsqu’on sait à quel point les urgences et contraintes des pays en développement diffèrent de ceux des pays développés. En France par exemple, le volet social de la RSE va porter sur l’amélioration de la situation des salariés ou des relations avec les clients, les fournisseurs et la société civile (INSEE 2012) alors que dans les pays en développement, la RSE prend d’autres formes. Cet article revient sur la RSE telle que pratiquée dans les pays en développement notamment en Afrique, et propose des pistes pour la rendre plus adaptée au contexte local.

 

La RSE dans les pays en développement, une nécessaire adaptation

 

La RSE, concept et pratique d’origine occidentale, s’est  étendue aux pays en développement en raison de la mondialisation. Ainsi, de nombreux programmes de RSE dans les pays en développement mettent, l’accent sur des activités telles que la construction d’écoles, points d’eau, centres multimédias, bibliothèques, laboratoires, centres de santé équipés, etc. Toutefois, la pratique de la RSE dans les pays en développement par les multinationales occidentales nécessiterait une intégration forte du contexte local. En effet, le courant de pensée qui milite pour une RSE spécifique aux pays en développement a commencé à émerger dans les années 1990. Il pose  la question de la capacité des modèles de RSE occidentaux à résoudre les problématiques des pays en développement (pauvreté, vulnérabilité aux questions environnementales, déficit des infrastructures d’éducation, de santé ou de transport, etc.)

 

Or ces domaines relèvent de la compétence des États et les entreprises n’ont pas vocation, à travers la RSE, à résoudre les problèmes sociaux et environnementaux. Une implication trop prégnante du secteur privé dans ces questions est par ailleurs assez risquée.  En effet, en prenant ces questions en charge de manière récurrente et en y apportant des solutions concrètes, le secteur privé contribue à conforter l’image, si ce n’est la réalité, de l’incapacité des États. Ceci n’est pas pour le bénéfice à long terme des États qui hypothéqueraient ainsi une partie leur souveraineté. En plus, cela peut entrainer une perception de connivence  entre les gouvernements et les entreprises. Perception selon laquelle les entreprises bénéficieraient des privilèges fiscaux et autres ; ceci en contrepartie d’une prise en compte, plus ou moins efficace, des questions sociales et environnementales, sous couvert de RSE. Enfin, la RSE est susceptible de créer des attentes auprès des communautés. Attentes qui, faute d’être comblées, peuvent générer une désaffection pour l’entreprise, menaçant sa pérennité.

 

Ne pas rester insensibles devant l’urgence des problèmes locaux

 

Toutefois, au regard de l’urgence des questions de santé, d’éducation ou de la dégradation rapide de l’environnement, les entreprises ne peuvent s’exempter de la réflexion et de l’action sur les questions qui minent la société dans laquelle elles opèrent. Parce les entreprises tirent leurs richesses des communautés, ne se doivent-elles pas de leur rendre service en retour, à travers la RSE ? Et ceci, au-delà de la part déjà versée aux États sous forme d’impôts et pour les mêmes fins ? Les entreprises devraient par conséquent éviter d’être dans une posture purement légaliste en se contentant de la simple conformité aux contributions exigées par les textes.   Elles devraient être plus audacieuses et opter pour des politiques de RSE énergiques et volontaristes qui contribueraient au développement local et par là même au leur.

 

En effet, payer des impôts peut s’avérer suffisant dans les pays développés où les gouvernements jouent pleinement leur rôle en subvenant aux besoins élémentaires des populations tout en intégrant l’environnement.  Mais sous nos latitudes, les dons d’une école, d’un centre de santé, d’un point d’eau, de matériel agricole pour la culture de subsistance, dans le cadre des activités de RSE, ne sont pas négligeables.  En plus, l’assurance que les destinataires soient touchés directement est un avantage.

 

Prendre en compte la durabilité des réalisations de la RSE

 

Lorsqu’une entreprise construit une école dans une localité, en l’absence d’un point d’eau potable proximité, les enfants délaisseront l’école pour aller s’approvisionner en eau nécessaire à la subsistance de la famille. Pareillement, lorsque la famille est dans la pauvreté, les enfants constituent une main d’œuvre utile et les parents peuvent alors considérer l’école comme une option ou une activité facultative. Le rapport de l’ONU sur les Objectifs du Millénaire pour le Développement de 2014 indique qu’ « une analyse de 61 enquêtes sur les ménages des pays en développement, entre 2006 et 2012, a montré que les enfants en âge de fréquenter l’école primaire des 20 % des ménages les plus pauvres étaient trois fois plus susceptibles d’être non scolarisés que les enfants des 20 % des ménages les plus riches. » Enfin, certains dons engendrent des coûts subséquents auxquels les bénéficiaires ne peuvent faire face. Un centre de santé par exemple doit être entretenu et ses équipements maintenus par des personnes compétentes.

 

Des limites à dépasser par la mise en place de relais fiables

 

Malgré ces limites, les actions menées par les entreprises à travers la RSE ne doivent pas être abandonnées pour autant.  Par contre pour assurer leur durabilité, il faut qu’elles soient menées de concert avec les autres parties prenantes notamment les gouvernements, ONG, associations, pour assurer en temps opportun un relais efficace. Ceci nécessite la mise en place d’un cadre pertinent de concertation et de responsabilisation entre les différents acteurs pouvant être traduits dans des Partenariats Public-Privé.

 

 

Caroline Ekoualla

Le retour russe en Afrique subsaharienne : enjeux, vecteurs et perspectives

Russie_-_Moscou_-_kremlin_cathedraleDepuis les années 2000 la Russie cherche à reprendre pied en Afrique Subsaharienne. Si l’Union soviétique a été active dans la région, la jeune Russie des années 1990 a en effet dû s’en désengager dans un contexte de manque criant de ressources.

Au plan politique, ce regain d’intérêt a vocation à démontrer la dimension mondiale de la puissance russe, Moscou souhaitant afficher sa capacité à projeter de l’influence dans « l’étranger lointain », bien au-delà de son seul « étranger proche ». Au plan économique, les entreprises russes cherchent quant à elles à étendre leurs positions dans les secteurs des matières premières et de la défense, où elles disposent d’avantages comparatifs, et à tirer profit de la croissance de certains leaders régionaux (Afrique du Sud, Nigéria).

Dans ce contexte, la présente note entend dresser une cartographie des intérêts russes en Afrique subsaharienne. Après avoir brièvement rappelé les contours historiques de la présence russe dans la région, elle y décrypte le réengagement de Moscou en matière politique, sécuritaire et de développement avant de proposer une analyse de la relation économique que la Fédération de Russie entretient avec l’Afrique subsaharienne. En tout état de cause, le renouveau de l’engagement russe conduit sous la bannière du pragmatisme et dénué d’affect, ne semble pas encore avoir permis à Moscou de retrouver l’acquis soviétique ni de rivaliser sérieusement avec ses concurrents directs, au premier rang desquels figurent les autres grands émergents tels que la Chine ou le Brésil. Lisez l’intégralité de cette Note d’Analyse.

N.B. Le manuscrit de la présente note a été achevé au cours de l’été 2015. Ce texte n’engage que son auteur qui en assume la responsabilité exclusive.

Les stratégies de réduction de la pauvreté (DSRP) ont-elles été efficaces ?

img-8Depuis les années 2000, plusieurs pays africains se sont engagés dans des stratégies, initiées par la Banque Mondiale et étendues plus tard aux Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD), pour lutter contre la pauvreté. Ces stratégies, consignées dans ce qui est communément appelé « Document Stratégique de Réduction de la Pauvreté » (DSRP), s’appuient sur le dogme selon lequel la croissance suffit à réduire la pauvreté. Elles mettent donc l’accent sur l’accélération de la croissance et identifient des mesures à mettre en œuvre pour améliorer les conditions de vie des plus pauvres.

Discutant de l’efficacité de ces programmes, avec l’avènement des OMD, les institutions de Brettons Woods, FMI notamment, indiquaient que ces stratégies constituent une rupture par rapport aux autres programmes de développement existants et offraient un pool de mesures qui devraient sans doute permettre de résorber la pauvreté. Alors que les OMD ont atteint leur point d’achèvement et que les données sont disponibles, il est loisible de se demander si ces stratégies ont porté les fruits escomptés. Une tentative de réponse est fournie par Daouda Sembene[i] qui analyse l’impact des DSRP sur la croissance, les inégalités et la pauvreté dans les pays d’Afrique subsaharienne. Son analyse compare les pays ayant adopté les DSRP à ceux qui ne l'ont pas adopté.

De son analyse, il ressort que si la mise en œuvre des DSRP a permis une réduction significative de la pauvreté ailleurs dans le monde, dans les pays d’Afrique subsaharienne qui l’ont adopté (32 au total), il demeure difficile d'identifier son impact sur la pauvreté et les inégalités. En effet, le rythme de progression de la pauvreté est quasi-similaire dans tous les pays de la région, qu'ils aient adopté ou pas les DSRP. La bonne nouvelle est que les DSRP ont permis aux pays qui l'ont adopté d’être plus performants et plus résilients par rapport aux chocs économiques. Par exemple, les pays-DSRP enregistraient des taux de croissance bien plus stables et substantiels depuis la mise en place des DSRP (2.13% en moyenne en 1990-1999 contre 5.12% entre 2000 et 2012). Au contraire, les économies n'ayant pas adopté les DSRP ont connu des performances plus erratiques (de 7,1% en moyenne entre 1990-1990 à 5,3% entre 2000 et 2012). De plus, la crise financière et économique de 2008 a eu moins d'impact sur les pays-DSRP que sur les non-DSRP : croissance moyenne de -1,9% en 2009 pour les non-DRSP; alors que les pays DSRP affichaient une croissance moyenne de 4%. 

Au sens des DSRP, seule l’action publique peut permettre de générer une croissance durable, source de réduction de la pauvreté. Les actions à mettre en œuvre dans le cadre des DSRP dans les pays d’Afrique subsaharienne concernés étaient donc pro-croissance. Elles concernaient notamment les infrastructures et le capital humain (santé et éducation), la diversification et le développement du secteur privé mais aussi certains aspects transversaux comme la promotion de la bonne gouvernance et le développement rural. Pour que la croissance générée par le biais de ces mesures puissent réduire la pauvreté et les inégalités, il fallait donc renforcer les canaux de redistribution. Les DSRP prévoyaient, à cet effet, d’améliorer l’accès aux services sociaux de base, à l’emploi ou aux activités génératrices de revenus. Les transferts de fonds (conditionnels ou inconditionnels) et l’accès prioritaire des pauvres aux emplois publics constituaient en outre des piliers fondamentaux de ces documents de stratégies. 

L’échec de ces stratégies à réduire la pauvreté et les inégalités tient surtout à la stratégie de redistribution adoptée. Par exemple, les programmes de transferts sociaux ne sont généralement pas conditionnés à des résultats à atteindre de la part du ménage récipiendaire en matière de santé et d'éducation des enfants. Selon des travaux de Kakwani et al. (2005)[1], dans près de 15 pays d’Afrique subsaharienne, les programmes de transfert mis en place étaient conditionnés par l’inscription et la fréquentation régulière de l’école et les montants concernés n’était pas suffisant pour sortir les bénéficiaires de leur situation de pauvreté. Une autre forme de redistribution est la mise en place de subvention (soit dans le secteur de l’agriculture, de l’énergie, de l’alimentation ou de l’énergie). Il s’agit de loin de la forme de redistribution la plus pratiquée sur le continent ; chaque pays Africain dispose de subventions dans l’un ou plusieurs de ces secteurs : le Nigéria et le Ghana  par exemple ont mis en place des subventions pour les secteurs agricole et énergétique. D’autres sont plus concentrés sur le secteur agricole (Tanzanie) ou énergétique (Niger, Sénégal, Mali). Ces subventions censées bénéficier aux plus pauvres et qui mobilisent une part non négligeable des ressources budgétaires, ne produisent pas réellement les effets escomptés[2]. Elles profitent davantage aux plus riches, qui consomment une part importante des produits et services subventionnés.

Somme toute, la mise en œuvre des DRSP a notamment permis d'améliorer la gouvernance économique dans les pays qui l’ont adopté, se traduisant par une embellie de leurs performances économiques et une forte résilience aux chocs exogènes. En matière de pauvreté et d’inégalités, ces stratégies ont été moins performantes. Un échec qui serait lié à la stratégie de conception des DSRP. De fait, si dans leur conception, les DSRP offrent les conditions pour la réduction de la pauvreté avec un focus sur la croissance, leur mise en œuvre est rendue difficile par la capacité institutionnelle des pays à identifier avec précisions les cibles de ces politiques. Les politiques visant à réduire la pauvreté et les inégalités devraient davantage s’appuyer sur les réalités locales mais aussi intégrer des mesures visant à une appropriation par les autorités locales, afin de définir des politiques de redistribution plus adaptées au contexte local et dont la mise en œuvre serait plus en lien avec les compétences et les capacités institutionnelles du pays. C’est une démarche que les pays tentent déjà d’adopter dans le cadre de leurs propres programmes de développement qui sont ensuite soumis à leurs partenaires, pour financement. Les programmes régionaux, ou ceux initiés par des institutions internationales, devraient donc subir, suivant chaque pays, la même refonte pour renforcer davantage les mécanismes de redistribution.

Foly Ananou


[1] Kakwani, Nanak, Fábio V. Soares, and Hyun H. Son (2005). Conditional Cash Transfers in African Countries. UNPD International Poverty Centre, Working Paper n° 9, Brasilia.

[2] Lire Faut-il supprimer les subventions à l’énergie en Afrique ? pour le cas de l’énergie.

Au nom de la mère…

avortementDes grossesses qui surviennent chaque année en Afrique, 13% (les chiffres les plus récents datent de 2008) aboutissement à un avortement :  soit plus de 6 millions d’interruptions volontaires de grossesses provoquées sur le continent [PDF]. De ces avortements, 3% à peine ont lieu en milieu hospitalisé. Ce n’est pas une coquille, juste 3% et encore, « milieu hospitalisé » ici est un euphémisme de l’OMS pour signaler qu’au moins quelqu'un s'y connaissant se trouvait sur place : un garagiste fan de Grey's Anatomy ne ferait pas l'affaire, mais c'est juste juste…

Le plus souvent, d'ailleurs, il s’agit de sages-femmes sous-qualifiées, débordées et pas particulièrement amènes. Déjà qu’en Occident, le traitement que reçoivent les femmes souhaitant exercer leur droit à l’avortement, en centre hospitalier est parfois très limite – regards condescendants et interrogatoires agressifs, quand ce n’est pas leur équilibre mental même qui est remis en question – il est peu probable que la situation soit meilleure en Afrique subsaharienne.

Je me souviens personnellement de l’incroyable désinvolture et des jugements de valeur que les sages-femmes s’étaient senties le droit d’adopter et d’émettre devant ma propre mère, durant les mois précédant ma perte du statut de benjamin. Je n’ose imaginer ce que doivent affronter les jeunes filles et les femmes de situation plus modestes qui désireraient, elles, avorter… Ou plutôt j’imagine très bien : en Côte d’Ivoire, l’avortement n’est possible que… « pour sauver la vie de la femme ». Elles n'ont juste qu'à convaincre les matrones qu'elles risquent de mourir – ou opter pour la voie clandestine.Et encore, elles ont cette alternative…

Les interruptions volontaires de grossesses ne sont pas autorisées dans quatorze pays d’Afrique subsaharienne et dans toute l’Afrique du Nord (avec la seule exception tunisienne – mais pour combien de temps ? -) Ni le viol, ni la mise en danger de la vie de la mère, ni l’inceste, ni les malformations du fœtus : aucun de ces « motifs » n’ouvre aux femmes sénégalaises, congolaises, gabonaises ou somaliennes, entre autres, le droit à l’avortement. Pire, elles restent passibles de poursuites judiciaires dans la plupart de ces pays. Elles… et les personnes qui leur auraient porté assistance. Le géniteur trouve là une raison de plus de ne pas se mêler "au problème"…

Seuls le Cap-Vert, la Tunisie, l'Afrique du sud (et la Zambie dans une certaine mesure) autorisent les interruptions de grossesses "sur demande" – dans la limite ordinaire de 12 semaines après la procréation. Dans la plupart des autres pays d'Afrique subsaharienne, la question ne fait même pas débat : la légalisation de "l’évacuation volontaire du produit de la conception" (seules des assemblées d'hommes ventripotents et jouisseurs auraient pu inventer un euphémisme aussi sinistre que creux) n'a figuré sur aucune des plateformes politiques, d'aucun des partis politiques majeurs, durant l'ensemble des élections législatives et présidentielles organisées ces deux dernières années sur le continent.

On connaît tous le mensonge utilisé pour justifier cette situation : priorité à la contraception – "l'avortement ne peut pas être une alternative au planning familial". Laissons de côté le fait que ce mensonge est meurtrier (14% des décès maternels – soit 29.000 chaque année – sont "le résultat d'un avortement non-médicalisé", données de l'OMS "). Oublions en passant, le jeu politique scandaleux " mis en place aux Etats-Unis qui, sous les présidences républicaines, interdit le financement d'ONG promouvant la contraception (la "Mexico City Policy"). Ce qui est insupportable ici c'est que le législateur prétend qu'il y a une égalité de fait, au sein du couple, quant au choix des pratiques contraceptives. Le système fonctionne comme si. Comme si toutes les femmes africaines avaient la possibilité d'imposer le coït interrompu ou l'utilisation des préservatifs. Comme si toutes ces méthodes étaient à 100% efficaces. Comme si les femmes africaines perdaient le droit de choisir quand, à quelle fréquence et comment elles (re)deviennent mère, juste parce qu'elles ont atteint l'âge de l'être. Comme s'il n'y avait aucune pression sociale. Comme si donner le pouvoir aux femmes sur leur cycle reproductif n'était pas la solution la plus efficace jamais imaginée pour lutter contre la pauvreté. Comme si les portes du progrès s'arrêtaient au détroit de Gibraltar. Ceci rend d'autant plus scandaleux le fait que la question de la légalisation ne soit même pas posée, encore moins discutée. L'hystérie que l'avortement provoque aux Etats-Unis peut paraître puéril à bien des égards. Au moins, "là-bas", le droit des femmes à disposer de leur corps est au coeur du débat.

Mère, soeur (religieuse) ou putain. Rien d'autre. Ou plutôt si : stérile. Voici résumé tout ce à quoi une femme puisse aspirer dans quatorze pays africains, sans qu'aucun membre des classes politiques au pouvoir n'y trouve rien à redire. Si cette pensée ne vous révolte pas…

Joël Té-Léssia