Comment la ruée éthiopienne vers l’hydroélectricité a remis en question l’équilibre préétabli de sa région

Le-barrage-Grand-RenaissanceDurant l’Antiquité, l’historien Hérodote décrit que «L’Egypte est un don du Nil.» En effet, ce fleuve a joué un rôle majeur dans le développement de ce pays d’Afrique du Nord tant dans l’agriculture que le transport et a conditionné la vie de ses habitants dans les domaines sociaux et économiques. Au début du 20ème siècle, l’octroi par le tuteur britannique d’un Traité établissant un droit sur l’ensemble du Bassin du Nil, la reconnaissance, 10 ans plus tard par l’Italie, d’un droit supplémentaire sur le bassin du Nil éthiopien et la construction de grands barrages, comme à Assouan, lui ont permis de devenir la puissance régionale dans cette partie du monde. Toutefois, les récentes crises politiques intérieures, l’affaiblissement de son économie survenu après le printemps arabe, mais surtout, la ruée contemporaine vers l’électricité amorcée par certains pays voisins, notamment l’Ethiopie, remet en cause cette hégémonie.

Après une longue phase d’instabilité marquée par des guerres et des graves crises alimentaires, l’Ethiopie, d’où partent 80% des eaux du Nil, a connu un essor économique sans précédent dans son histoire. Actuellement classée par le Fonds monétaire international (FMI) parmi les cinq économies les plus dynamiques du monde, il a eu une croissance moyenne annuelle de 10,3% au cours de la dernière décennie et, celle-ci devrait se poursuivre en 2016. De plus, son gouvernement aspire, via de larges investissements publics, à devenir un pays à revenu intermédiaire, dont le Revenu national brut (RNB) par habitant se situerait entre 1 036 et 4 085 dollars, d’ici à 2025.

Dans ce contexte et afin de soutenir ce développement, les dirigeants du Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien (FDRPE) – parti au pouvoir depuis 1991 –   ont conçu un ambitieux plan d’électrification. Pour ce faire, ils ont misé sur l’énergie provenant de l’eau car il dispose d’un potentiel hydroélectrique parmi les plus importants d’Afrique (deuxième après la République démocratique du Congo) s’élevant à 40.000 MW et ont donc entrepris la construction de plusieurs barrages, dont le projet colossal du « barrage de la Renaissance », lancé en 2011 et qui aura une capacité de 6000 MW.  Toutefois, plusieurs obstacles légaux et politiques ont dû être surmontés.

En effet, le partage des eaux du Nil était défini par les termes d’un accord signés en 1959 entre le Soudan et l’Egypte. Celui-ci prévoyait une répartition de 55,5 et 18,5 milliards de mètres cubes d’eau en faveur du Caire et de Khartoum respectivement, sans prendre en compte les nations localisées en amont du fleuve. Face à cette situation, Addis-Abeba entreprit plusieurs actions diplomatiques afin de réunir les pays riverains du Nil et remettre en cause ce pacte issu de la guerre froide.  En 2010, un traité, le New Nile Cooperative Framework Agreement qui prévoit de nouvelles modalités dans la gestion du Nil et des projets de construction de barrages, est signé entre six nations (Burundi, Éthiopie, Kenya, Rwanda, Tanzanie et Ouganda). Libéré du droit de regard et du veto égyptien, il démarra la construction de plusieurs centrales hydroélectriques.

Grâce à ces dernières, il devrait disposer d’une capacité électrique de 25.000MW à l’horizon 2030, contre 2180 MW en 2013. De plus, il est aussi prévu de créer un réseau interconnecté régional dont le cœur sera l’Ethiopie. « La principale interconnexion reliera l’Éthiopie au Kenya sur 1 100 km, pour délivrer d’abord 400 MW et per­mettre le transport de 2 000 MW lorsque les autres pays seront raccordés. Ce réseau comprendra aussi une ligne Kenya-Tanzanie de 400 kV, une ligne de 500 kV reliant l’Éthiopie au Soudan et une ligne à partir des chutes de Rusumo, pour re­lier la Tanzanie, le Rwanda et le Burundi. » À termes, cette nation de plus de 96 millions d’habitants devrait devenir le plus grand pourvoyeur d’énergie en Afrique de l’Est, lui permettant d’avoir d’énormes rentrées en devises pour assurer son développement et disposant d’un important levier politique pour maintenir sa puissance à travers la région. Mais, comment expliquer sa rapide expansion?

L’apparition de nouveaux acteurs internationaux, avec en tête la Chine, a facilité l’apport de nouveaux moyens de financement tout en permettant, aux états africains, de se libérer des contraintes imposées – comme, par exemple, initier des réformes démocratiques ou l’obligation de trouver un accord avec tous les partis impliqués dans la négociation d’un traité –  par les institutions financières tels que le Fond monétaire internationale (FMI). Par exemple, alors que des partenaires se retiraient des projets éthiopiens d'énergie hydraulique en raison de préoccupations liées à l'environnement, les compagnies chinoises prenaient une part active finançant parfois plus de 80% de ceux-ci, comme c’est le cas pour les deux barrages sur la rivière Gebba à l’ouest du pays.

Au-delà du fait que sa ruée vers l’électrification a grandement contribué et contribue à son ascension régionale, le cas éthiopien pourrait inspirer d’autres pays africains.  Si la Guinée, qui représente à elle seule le quart du potentiel hydroélectrique de l’Afrique de l’Ouest, arrivait à exploiter ces 200 sites de production identifiés à travers son territoire,  elle pourrait devenir, tout comme l’Ethiopie, un « château d’eau » qui bouleverse l’équilibre des forces dans son environnement géographique.

Szymon Jagiello​

Références

Le pari éthiopien d’une économie verte : vers l’émergence d’un modèle africain?

 L’accord survenu lors de la conférence de Paris en décembre 2015 marque, une avancée positive quant aux menaces  et aux défis liés aux modifications météorologiques de notre planète. En effet, le texte adopté est le premier accord universel sur le dérèglement climatique car celui-ci a été signé par les 195 pays ayant participé à la Convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUC) de 1992. De plus, ils se sont engagés à limiter le réchauffement de la terre à 2°C, voire même à 1,5°C, à partir de 2020.  En revanche, des zones d’ombre subsistent, notamment sur comment atteindre ce but. Toutefois, certaines nations n’ont pas attendu un accord au niveau international  pour s’engager dans la lutte contre le réchauffement climatique en mettant en place des plans cherchant à limiter l’impact de leurs activités économiques sur l’environnement au niveau national. À cet égard, un état mérite certainement que l’on s’y attarde.

Alors qu’il y a encore une génération, l’Ethiopie, qui subissait entre autres la guerre et une forte mortalité infantile, a connu une métamorphose impressionnante au cours des 30 dernières années. À l’instar de sa capitale Addis-Ababa qui se projette dans le 21ème siècle à coups de grands chantiers,  immobiliers, routiers et même ferroviaires –  deux lignes de tramways ont récemment vu le jour dans cette ville, fait très rare en Afrique sub-saharienne -, ce pays de plus de 96 millions d’habitants a vu son économie croître de manière substantielle avec un taux de croissance d’approximativement 10 % en moyenne par an depuis 2006 (ce qui lui vaut d’être considéré aujourd’hui comme l’une des 5 économies les plus dynamiques du monde par le Fonds monétaire internationale (FMI).  De plus, beaucoup de secteurs clés ont enregistré des résultats remarquables, comme l’industrie (14% du PIB) qui a affiché une croissance annuelle de 18,5% en 2013 et 21,2% en 2014. Mais, il y a aussi l’agriculture (40.2 % du PIB) ou le secteur des services (46.2 % du PIB) qui ont suivi une voie similaire avec une hausse de 5.4% et 11.9% respectivement. Cette mise en orbite économique s’est accompagnée d’une demande en énergie qui ne cesse d’augmenter. Selon les analyses publiées par le Ministère de l’énergie de l’Ethiopie, ce pays d’Afrique de l’Est a actuellement besoin d’accroître sa production électrique de 20 à 25% par an pour se développer. Cette croissance a aussi provoqué une augmentation de la pollution. À l’heure actuelle, elle émet 150 millions de tonnes de CO2 par an. Les experts estiment que ses émissions pourraient plus que doubler, pour monter jusqu’à 400 millions de tonnes, au cours des 15 prochaines années. Dans ce contexte, les autorités éthiopiennes   ont conçu, en 2011,  une stratégie pour une économie verte résistante aux changements climatiques (CRGE) qui favorise le développement durable. Son principal objectif consiste à faire de l’Ethiopie un pays à revenu intermédiaire, dont le revenu national brut  (RNB) par habitant s’élève entre 1035 et 4085 dollars par an, en 2025 tout en limitant le taux national des émissions de gaz à effet de serre (GES) au niveau actuel. Celui-ci s’appuie sur plusieurs piliers comme l’agriculture, la foresterie, les transports et l’énergie, pour lesquels une profonde transformation est prévue afin d’éviter une augmentation de 250 millions de tonnes des émissions de CO2 d’ici à 2030. Mais, quelles sont les raisons derrière ce choix et comment seront menés les changements ?

D’un côté, cette décision répond à une logique financière. En effet, bien qu’un gisement de gaz ait été récemment découvert dans le bassin de l’Ogaden, cette nation possède très peu de réserves liées aux énergies fossiles. Cette situation l’oblige à les importer, notamment le pétrole, pour répondre aux besoins de son essor économique, avec un impact conséquent sur les dépenses publiques.  Selon l’Observatoire de la complexité économique du  Massachussetts Institute of Technology (MIT),  l’Ethiopie a importé pour 1.6 milliards de dollars de pétrole raffiné en 2013, ce qui place ce produit à la première place dans ses importations. De l’autre, son choix est aussi dicté par des raisons climatiques car elle doit faire face à de longues périodes de sécheresse alternées avec des fortes précipitations. Récemment, elle a même rejoint le club des dix pays les plus exposés aux périls climatiques selon un rapport publié par le cabinet de conseil, Maplecroft. Face à ces circonstances, les autorités éthiopiennes se sont tournées vers les technologies vertes à commencer par l’hydroélectricité car leur territoire dispose d’un potentiel parmi les plus grands d’Afrique qui s’élève à 40.000 mégawatts et est aussi la source de plusieurs fleuves, notamment le Nil. C’est donc sans surprise que des barrages hydrauliques ont vu le jour et ceux-ci assurent actuellement plus de 98% de la production électrique. Néanmoins, ces immenses édifices sont dépendants du débit de l’eau et en période sèche, lorsque ses cours d’eau sont à des niveaux bas, les turbines ne peuvent fonctionner à plein régime. Afin d’atténuer les risques liés au problème de l’eau dû au déficit de pluviométrie, Addis-Ababa a aussi misé sur l’énergie éolienne. En effet, les périodes de vent dans ce pays coïncident avec les saisons sèches, ce qui permet aux éoliennes de compenser les pertes liées à l’activité hydraulique. Cette complémentarité n’est pas passée inaperçue aux yeux des hommes politiques, lesquels ont jugé bon  d’investir massivement  dans cette filière en bâtissant, notamment, l’une des plus grandes fermes éoliennes d’Afrique,  Adama II.  Le pays dispose également d’importantes ressources d’énergie géothermique et solaire.

Ces différents investissements permettent déjà aux autorités fédérales d’exporter de l’électricité vers les pays limitrophes tel que le Djibouti. Toutefois, l’énergie ne représente que 3% des émissions totales éthiopiennes. En effet, ce sont surtout l’agriculture et la foresterie qui prennent une grande part dans la pollution de l’atmosphère. Elles représentent à elles seules plus de 85% des émissions GES. La pratique de l’agriculture sur brûlis ou l’utilisation de combustibles biomasses telle que le charbon pour la préparation des aliments sont autant d’éléments qui contribuent à la dégradation environnementale. C’est pourquoi, il est prévu qu’une reforestation massive à hauteur de 15 millions d’hectares ainsi que l’introduction de nouvelles technologies dans les milieux ruraux soient effectuées. Toutefois, dans cette bataille face au dérèglement climatique, un facteur important est à prendre en compte : l’argent, nerf de beaucoup de guerres dans le domaine du développement. Effectivement, le CRGE nécessitera la mobilisation de 150 milliards de dollars (80 milliards pour les investissements et 70 milliards pour les dépenses liées au fonctionnement) pour sa réalisation. En termes d’investissements, la plus grande part devra être réservée au développement de l’électricité et de l’infrastructure énergétique, dont le coût avoisine les 38 milliards de dollars. Bien que l’état éthiopien s’est engagé à couvrir une tranche de ce montant et qu’une partie du peuple, dont le revenu national brut (RNB) par habitant s’élève à 550 dollars[i], ait été sollicitée, notamment pour le financement du barrage de la « Renaissance », la vision du feu Président Melenes Zenawi ne pourra être menée à terme sans aides financières extérieures, qu’elles soient publiques ou privées. Selon les estimations, les ressources financières, locales et internationales, s’élèvent à 18 milliards de dollars, ce qui sous-entend que plus de 50% doivent être encore trouvés  pour pouvoir développer l’électricité. De ce fait, une partie des 100 milliards de dollars que les pays industrialisés ont promis de mobiliser par an à partir de 2020 pour aider les pays en développement à combattre le réchauffement climatique, pourrait certainement contribuer à aider de manière significative cet état d’Afrique de l’Est. De plus, la probabilité que cet argent soit perdu est faible car, comme le démontrent les différents ouvrages déjà réalisés tels que les fermes éoliennes Adama I et II ou les barrages Gibe I et II, il fait partie des pays en développement ayant mené à bien des grands projets d'infrastructures. 

Depuis 1960, la température moyenne a augmenté entre 0.5 et 1,3 degré[ii] en Ethiopie, engendrant une érosion et une dégradation importante des sols, notamment dans le nord du pays. Les spécialistes prévoient aussi que ce pays pourrait connaître une hausse supplémentaire de 1,2 degré d’ici à 2020, ce qui allongerait les périodes de sécheresse et augmenterait le risque de famine pour des millions de personnes. Conscient de cette menace, l’état éthiopien s’est engagé à transformer sa politique énergétique en investissant dans les énergies renouvelables pour favoriser une croissance verte. Bien qu’il soit encore trop tôt pour prédire les résultats que produira le CGRE,  celui-ci inspire déjà d’autres pays comme le Mali ou le Nigéria qui se sont renseignés sur son processus. Mais fait plus important, si les objectifs mentionnés dans ce projet titanesque peuvent être atteints, cette nation, qui devrait compter 120 millions d’habitants en 2030[iii], pourrait émettre presque autant de CO2 que l’ensemble des pays scandinaves aujourd’hui dont les émissions de CO2 s’élèvent à 135 millions de tonnes.

 

 

 

 

 

 

 

 

 


[i] “Ethiopia’s Economic Overview.” Rapport de la Banque Ethiopia’s Economic Overview mondiale. 23 septembre 2015.

 

 

 

 

 

 

 

[ii]Climate Trends in Ethiopia.” Rapport de l’Africa Climate Change Resilience Alliace 5ACCRA). 2011.

 

 

 

 

 

 

 

La Guinée : une puissance énergétique en 2020 ?

JPG_Kaletadam 200116Souvent qualifiée de «scandale géologique»[1] tant ses ressources minières sont abondantes mais mal exploitées, la Guinée se trouve peut-être à un tournant de son histoire. Depuis la prise du pouvoir par l’éternel opposant Alpha Condé, mais surtout, la réalisation de certains projets hydroélectriques, un vent d’optimisme souffle parmi l’élite politique à Conakry, la capitale guinéenne. En effet, à en croire les dirigeants tels que l’ancien premier ministre, Lansana Komara, ce pays d’Afrique de l’Ouest ambitionne de devenir «une puissance énergétique en 2020.»[2] Pourquoi cet engouement ?

Ce pays dispose d’un potentiel conséquent, caractérisé par un ensemble de sources diversifiées telles que l’énergie éolienne, solaire ou thermique. Toutefois, ce sont ses cours d’eau et ses caractéristiques géo-hydrologiques qui constituent sont plus grand atout. En effet, cette nation «compte 23 bassins versants. Parmi ces derniers, 14 sont partagés avec les pays voisins  – soit près de 60% – ce qui signifie, en d’autres termes, que la plupart des grands fleuves prennent leur source sur le sol guinéen.»[3] Ceux-ci lui permettent de se doter d’un potentiel hydroélectrique estimé à 6000 mégawatts (MW), soit approximativement le quart des 25000 MW évalués en Afrique de l’Ouest. De ce fait et vu ce potentiel, il n’est pas étonnant que le gouvernement de Conakry ait décidé de développer cette filière. De plus, ce choix comporte un avantage stratégique majeur.

La construction de barrages en amont d’un fleuve permet, à un pays donné, de contrôler le flux des eaux et de créer, si celui-ci est doté d’une capacité de production électrique accrue et d’un réseau régional développé, une dépendance en approvisionnement des pays voisins. En d’autres termes, il accroit la puissance politique de l’état producteur d’électricité. À titre d’exemple, au cours de la dernière décennie, l’Ethiopie, source  de plusieurs cours d’eau importants, notamment le Nil Bleu, a entrepris la réalisation de grands barrages hydrauliques, ce qui a engendré une montée en puissance régionale d’Addis Ababa au détriment du Caire. Toutefois, dans le cas guinéen, des obstacles subsistent suscitant des doutes sur son aptitude à changer l’équilibre des forces dans le temps qu’elle s’est fixée. Quelles en sont les raisons ?

Premièrement, il y a un manque dans la production d’énergie.  Malgré l’existence de plusieurs centrales thermiques et hydroélectriques ainsi que l’inauguration récente du barrage de Kaléta qui permet l’injection de 240 MW sur le réseau, la Guinée doit toujours faire face à une carence énergétique. «En comparant la puissance disponible au besoin de puissance pour couvrir la  demande, le déficit de puissance est actuellement estimé aux alentours de plus 175 MW.»[4] Et, ce faussé risque d’augmenter car sa population qui devrait passer de plus au moins 12 millions d’habitants aujourd’hui à 18,5 millions en 2030.

À cette insuffisance, il faut rajouter la dégradation avancée des infrastructures et un réseau de distribution peu fiable voire inexistant dans certains cas. Au niveau national, bien que la compagnie Electricité de Guinée (EDG) qui évaluait la puissance électrique installée à 338 MW en 2014, la puissance disponible n’était que de 158 MW. «En raison de la vétusté des installations et des déperditions enregistrées lors du transport d’énergie, elle perdait ainsi 53% de l’énergie disponible.»[5]

Au niveau régional, le président Alpha Condé a promis que le Sénégal, la Guinée-Bissau et la Gambie recevront respectivement 20%, 6% et 4% de l’énergie produite par le récent barrage de Kaléta. Toutefois, deux problèmes persistent. D’un côté, Kaléta n’est pas encore en mesure de fournir les 240MW d’électricité tout au long de l’année. En effet, en période sèche lorsque les cours d’eau sont à leur niveau le plus bas, les turbines ne pourront pas fonctionner à plein régime réduisant le taux de rentabilité d’utilisation. Mais, il est prévu que Souapiti, dont la mise en service est prévue dans plus au moins 5 ans, sera doté de réservoirs assez grands pour pallier à ce problème. De l’autre côté, un réseau de distribution interconnectant ces pays doit encore voir le jour. Celui-ci est en phase de projet et des négociations sont en cours pour sa réalisation.

Bien que les embûches soient nombreuses et peuvent paraître difficiles à surmonter, il existe des cas qui prouvent qu’elles ne sont pas insurmontables. En effet, depuis la chute de l’Union soviétique en 1991, l’Ethiopie a connu une très forte expansion énergétique. Grâce à la formation d’alliances diplomatiques régionales, la conception de montages financiers astucieux au niveau national, comme le devoir des citoyens d’acheter des obligations qui ont permis de trouver 4 milliards de dollars, l’octroi d’aides extérieures, mais surtout une volonté politique basée sur le long terme,  l’état éthiopien est sur le point de devenir le plus grand pourvoyeur d’énergie électrique en Afrique de l’Est. Néanmoins, l’accession à ce statut a demandé beaucoup de temps. Débutée en 1994 avec la publication d’une politique nationale dessinant les contours d’une nouvelle stratégie énergétique, puis en 2005 avec un plan d’exécution de celle-ci sur 25 ans,  Addis-Ababa déclencha une campagne agressive d’investissements visant à réduire sa dépendance envers ses importations d’énergies fossiles et augmenter sa production électrique, notamment en faisant appel à l’hydroélectricité. Et, cette dernière est «aujourd’hui excédentaire avec une réelle volonté politique de se tourner vers l’exportation.»[6]

Depuis son indépendance en 1958, la Guinée a toujours souffert d’un manque crucial d’électricité, ce qui a contribué à prendre du retard dans son développement économique. L’inauguration, en septembre dernier, du barrage de Kaléta sur le fleuve Konkouré et la possible construction de centrales hydroélectriques supplémentaires donnent des raisons d’espérer que ce pays puisse, à terme, atteindre son objectif d’être un leader dans l’exportation d’énergie dans la sous-région. Toutefois, les déficits encore dans la distribution, la production et l’interconnexion régionale laissent entrevoir le chemin qui reste à parcourir rendant incertain le but fixé par le gouvernement de Conakry, celui d’être une puissance énergétique à l’horizon 2020. Néanmoins, le cas de l’Ethiopie, considéré, tout comme la Guinée, comme un des châteaux d’eau d’Afrique, démontre qu’il pourrait assouvir son ambition, mais à plus long terme.

Szymon Jagiello

[1] M. Devey Malu-Malu, Guinée: Remédier « au scandale géologique », Jeune Afrique, Juin 2011. Disponible sur http://www.jeuneafrique.com/31868/economie/guin-e-rem-dier-au-scandale-g-ologique/

[2] M. Diallo,  Energie : la Guinée en quête d’ 1 milliard de dollar pour devenir une puissance exportatrice, Afriki Press, Octobre 2015. Disponible sur http://www.afrikipresse.fr/economie/energie-la-guinee-en-quete-d-1-milliard-de-dollar-pour-devenir-une-puissance-exportatrice

[3] L'hydroélectricité de Guinée: un rôle à jouer dans la sous-région, World Investment News. Disponible sur http://www.winne.com/guinea_cky/cr07.html

[4] M. Mouissi, Electricité: le paradoxe guinéen, Mays Mouissi News, Octobre 2015, http://www.mays-mouissi.com/2015/10/19/electricite-le-paradoxe-guineen-2/

[5] Ibis.

[6] J. Favennec, L’Energie en Afrique à l’Horizon 2050, Rapport de l’Agence de Développement des Entreprises en Afrique, Septembre 2015. Disponible sur http://www.eurogroupconsulting.fr/sites/eurogroupconsulting.fr/files/document_pdf/eurogroup_livredenotes_n15_1sept15_bat.pdf

 

La Pologne: un nouvel acteur économique en Afrique ?

Depuis la période de la décolonisation, l’Afrique a connu bien d’évolutions. Souvent vu comme un continent pauvre caractérisé par des conflits et des crises humanitaires au cours du 20ème siècle, il semble qu’elle est à un tournant de son histoire. En ce début de nouveau millénaire, elle connait un développement économique impressionnant.  Effectivement, en dépit d’un environnement mondial fragile, elle a enregistré une croissance moyenne de 3.96% au cours des trois dernières années. Pour 2016, celle-ci devrait passer au-dessus de la barre des 5%, selon le rapport Perspectives économiques en Afrique (PEA) publié conjointement par la Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), la Banque africaine de développement (BAD) et l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

Dans ce contexte, la vision qu’avaient les experts financiers vis-à-vis du continent africain s’est radicalement transformée et l’Afrique est perçue aujourd’hui comme une terre offrant d’immenses opportunités. Pour preuve, cette région peut se targuer d’avoir attiré un montant record d’investissements directs étrangers (IDE) à hauteur de 57 milliards de dollars, ce qui représente une augmentation de 4% par rapport à l’année 2012. En outre, dans le récent rapport Doing Business de la Banque mondiale qui mesure chaque année la qualité et l'évolution du climat des affaires à travers le monde, cinq pays africains se hissent dans le top 10 des pays les plus réformateurs. Dès lors, il n’est pas étonnant que de plus en plus d’acteurs économiques aient émergé au fil du temps tels le que la Chine, l’Inde voire le Brésil. Parmi ceux-ci, un nouveau pays vient d’apparaitre, la Pologne.

Tout comme beaucoup de pays  africains, cette nation d’Europe centrale a connu d’énormes changements. Depuis la fin de la guerre froide, elle a entrepris de profondes réformes étatiques qui lui ont permis de devenir une démocratie,  rejoindre les rangs de plusieurs organisations internationales telle que l’Organisation du Traité Atlantique Nord (OTAN) et adhérer à l’Union européenne (UE). Elle s’est aussi attaquée à son économie en adoptant plusieurs politiques visant à passer d’une économie, fondée sur la propriété d'état et la planification centralisée, à une économie de marché de type capitaliste.

Aujourd’hui, elle est considérée comme une des économies les plus dynamiques sur le vieux continent. Grâce entre autres aux aides financières européennes, qu’elle a su exploiter efficacement, à une consommation intérieure soutenue et à une main d’œuvre bien formée qui a su attirer des investisseurs, elle a enregistré une croissance constante depuis plus de 25 ans, ce qui a permis de doubler son Produit intérieur brut (PIB) et augmenter substantiellement ses exportations, notamment vers les pays membres de l’UE qui représentent 78% de ses échanges commerciaux. Toutefois, le recul de la consommation européenne due à la crise, a poussé Varsovie à chercher de nouveaux débouchés pour ses produits.

À cet effet, le ministère de l’Economie a lancé en 2013 le programme « Go Africa » pour soutenir les entreprises polonaises dans leurs efforts de développement de relations bilatérales plus serrées avec les partenaires africains. Ce projet inclut plusieurs aspects telles que l’organisation de missions économiques, la mise en place de plateformes pour informer et créer des liens entre les entrepreneurs et des supports financiers pour aider les firmes polonaises à investir en Afrique.  Bien qu’étant récente, cette ouverture vers le marché africain a déjà porté ses fruits. Entre 2012 et 2014, les échanges commerciaux entre l’Afrique et la Pologne ont augmenté de 24% passant de 2.86 milliards à 3.61 milliards d’euros. Toutefois, ces chiffres ne représentent toujours qu’1% du total des échanges commerciaux polonais et la Pologne a émis, fin 2014, la volonté d’augmenter cette part à 3%.

Pour ce faire, elle s’est résolue à étendre son réseau diplomatique sur le continent africain en créant de nouvelles ambassades, outil qui contribue à la promotion et à la création de contacts pour développer des relations commerciales. À ce titre, il est prévu qu’une nouvelle ambassade voit le jour au cours des prochains mois à Dakar, la capitale sénégalaise.  De plus, elle a entamé des rapprochements stratégiques avec certaines nations, notamment l’Algérie qu’elle considère comme un pays d’excellence pour bâtir des plateformes industrielles orientées vers l'Afrique. C’est donc sans surprise que ce pays du Maghreb est devenu l’un de ses premiers partenaires commerciaux avec qui les échanges ont quasiment décuplé en un an passant de 395 millions de dollars en 2013 à 736 millions en 2014, ceci grâce, entre autres, à la signature de plusieurs accords et à la création de forums destinés aux chefs d’entreprises tant privés que publics. En outre,  il y a aussi le Nigeria, la Zambie, le Sénégal et l’Afrique du Sud dont les volumes d’échanges ont augmenté de 47%, 44%, 16% et 11% respectivement, ce qui a permis de doper les exportations polonaises vers l’Afrique de 48% pour atteindre 2.27 milliards d’euros en deux ans. Toutefois, la stratégie appliquée n’explique pas à elle seule cette explosion dans les exportations car la Pologne bénéficie d’autres atouts.

En effet, la souveraineté monétaire dont elle jouit lui permet d’avoir un taux de change flexible afin de soutenir les exportations. De plus, elle possède un capital humain de qualité accouplé à des salaires très compétitifs. Le coût horaire moyen de la main-d'œuvre  est l’un des plus bas d’Europe avec 7,9 euros contre 24.2 euros dans l’UE, selon les données publiées par la direction générale de la Commission européenne chargée de l'information statistique, Eurostat.  Au niveau qualitatif, 36.8% des 30-34 ans sont titulaires d’un diplôme d’enseignement supérieur et le système éducatif polonais est classé parmi les plus performants d’Europe par l’OCDE. Grâce à ces éléments, elle est en mesure de proposer des produits à des prix très attractifs ayant une qualité comparable aux biens fabriqués dans les pays occidentaux, comme c’est le cas pour les produits électroniques qui sont les moins chers en Europe (86 % du prix moyen) selon une récente étude de l’UE.

Bien qu’une relation existait durant l’ère soviétique, le nouveau rapprochement entre la Pologne et l’Afrique n’est encore qu’en phase de décollage mais celui-ci devrait s’intensifier dans les années à venir. En effet, Varsovie a récemment déclaré vouloir développer sa coopération économique avec les pays africains car ce continent, considéré comme le marché du 21ème  siècle par plusieurs organisations financières, offre d’énormes opportunités avec de nombreux marchés séduisants en raison de leur croissance, comme c’est le cas au Botswana, au Ghana voire en Ethiopie. De son côté, la Pologne représente aussi un débouché important pour l’Afrique.

Forte d’une position géographique au carrefour du vieux continent, d’une économie ayant doublé en dix ans, d’un marché avec une classe moyenne stimulant la demande de produits de consommation et d’un régime fiscal favorable aux investissements directs étrangers (IDE) qui se sont élevés à plus de 160 milliards d’euros entre 2004 et 2013, ce pays d’Europe centrale représente un pôle d’attractivité pour les produits et les investissements africains. À ce titre, beaucoup d’entreprises sud-africaines ont déjà profité des avantages qu’offre le marché polonais comme le démontrent les exportations qui se sont élevées à 164,2 millions de dollars en entre janvier et juin 2014, soit une augmentation de 9,7% par rapport à la même période l’année précédente. En outre, d’autres pays tels que Kenya, dont les exportations vers la Pologne ont dépassé les importations,  ont commencé à suivre cette voie et apparaissent progressivement sur le marché polonais, ce qui sous-entend que la part africaine dans les importations totales polonaises devrait augmenter au fil du temps.  Devrait, car la récente venue au pourvoir du parti ultra-conservateur Droit et Justice, lequel a émis la volonté d’augmenter les taxes à hauteur de 26 milliards de zloty soit presque 6 milliards d’euros au cours de la prochaine législature, pourrait quelque peu freiner l’engouement que connait la relation économique polono-africaine. 

Szymonz Jagiello