Comment la ruée éthiopienne vers l’hydroélectricité a remis en question l’équilibre préétabli de sa région

Le-barrage-Grand-RenaissanceDurant l’Antiquité, l’historien Hérodote décrit que «L’Egypte est un don du Nil.» En effet, ce fleuve a joué un rôle majeur dans le développement de ce pays d’Afrique du Nord tant dans l’agriculture que le transport et a conditionné la vie de ses habitants dans les domaines sociaux et économiques. Au début du 20ème siècle, l’octroi par le tuteur britannique d’un Traité établissant un droit sur l’ensemble du Bassin du Nil, la reconnaissance, 10 ans plus tard par l’Italie, d’un droit supplémentaire sur le bassin du Nil éthiopien et la construction de grands barrages, comme à Assouan, lui ont permis de devenir la puissance régionale dans cette partie du monde. Toutefois, les récentes crises politiques intérieures, l’affaiblissement de son économie survenu après le printemps arabe, mais surtout, la ruée contemporaine vers l’électricité amorcée par certains pays voisins, notamment l’Ethiopie, remet en cause cette hégémonie.

Après une longue phase d’instabilité marquée par des guerres et des graves crises alimentaires, l’Ethiopie, d’où partent 80% des eaux du Nil, a connu un essor économique sans précédent dans son histoire. Actuellement classée par le Fonds monétaire international (FMI) parmi les cinq économies les plus dynamiques du monde, il a eu une croissance moyenne annuelle de 10,3% au cours de la dernière décennie et, celle-ci devrait se poursuivre en 2016. De plus, son gouvernement aspire, via de larges investissements publics, à devenir un pays à revenu intermédiaire, dont le Revenu national brut (RNB) par habitant se situerait entre 1 036 et 4 085 dollars, d’ici à 2025.

Dans ce contexte et afin de soutenir ce développement, les dirigeants du Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien (FDRPE) – parti au pouvoir depuis 1991 –   ont conçu un ambitieux plan d’électrification. Pour ce faire, ils ont misé sur l’énergie provenant de l’eau car il dispose d’un potentiel hydroélectrique parmi les plus importants d’Afrique (deuxième après la République démocratique du Congo) s’élevant à 40.000 MW et ont donc entrepris la construction de plusieurs barrages, dont le projet colossal du « barrage de la Renaissance », lancé en 2011 et qui aura une capacité de 6000 MW.  Toutefois, plusieurs obstacles légaux et politiques ont dû être surmontés.

En effet, le partage des eaux du Nil était défini par les termes d’un accord signés en 1959 entre le Soudan et l’Egypte. Celui-ci prévoyait une répartition de 55,5 et 18,5 milliards de mètres cubes d’eau en faveur du Caire et de Khartoum respectivement, sans prendre en compte les nations localisées en amont du fleuve. Face à cette situation, Addis-Abeba entreprit plusieurs actions diplomatiques afin de réunir les pays riverains du Nil et remettre en cause ce pacte issu de la guerre froide.  En 2010, un traité, le New Nile Cooperative Framework Agreement qui prévoit de nouvelles modalités dans la gestion du Nil et des projets de construction de barrages, est signé entre six nations (Burundi, Éthiopie, Kenya, Rwanda, Tanzanie et Ouganda). Libéré du droit de regard et du veto égyptien, il démarra la construction de plusieurs centrales hydroélectriques.

Grâce à ces dernières, il devrait disposer d’une capacité électrique de 25.000MW à l’horizon 2030, contre 2180 MW en 2013. De plus, il est aussi prévu de créer un réseau interconnecté régional dont le cœur sera l’Ethiopie. « La principale interconnexion reliera l’Éthiopie au Kenya sur 1 100 km, pour délivrer d’abord 400 MW et per­mettre le transport de 2 000 MW lorsque les autres pays seront raccordés. Ce réseau comprendra aussi une ligne Kenya-Tanzanie de 400 kV, une ligne de 500 kV reliant l’Éthiopie au Soudan et une ligne à partir des chutes de Rusumo, pour re­lier la Tanzanie, le Rwanda et le Burundi. » À termes, cette nation de plus de 96 millions d’habitants devrait devenir le plus grand pourvoyeur d’énergie en Afrique de l’Est, lui permettant d’avoir d’énormes rentrées en devises pour assurer son développement et disposant d’un important levier politique pour maintenir sa puissance à travers la région. Mais, comment expliquer sa rapide expansion?

L’apparition de nouveaux acteurs internationaux, avec en tête la Chine, a facilité l’apport de nouveaux moyens de financement tout en permettant, aux états africains, de se libérer des contraintes imposées – comme, par exemple, initier des réformes démocratiques ou l’obligation de trouver un accord avec tous les partis impliqués dans la négociation d’un traité –  par les institutions financières tels que le Fond monétaire internationale (FMI). Par exemple, alors que des partenaires se retiraient des projets éthiopiens d'énergie hydraulique en raison de préoccupations liées à l'environnement, les compagnies chinoises prenaient une part active finançant parfois plus de 80% de ceux-ci, comme c’est le cas pour les deux barrages sur la rivière Gebba à l’ouest du pays.

Au-delà du fait que sa ruée vers l’électrification a grandement contribué et contribue à son ascension régionale, le cas éthiopien pourrait inspirer d’autres pays africains.  Si la Guinée, qui représente à elle seule le quart du potentiel hydroélectrique de l’Afrique de l’Ouest, arrivait à exploiter ces 200 sites de production identifiés à travers son territoire,  elle pourrait devenir, tout comme l’Ethiopie, un « château d’eau » qui bouleverse l’équilibre des forces dans son environnement géographique.

Szymon Jagiello​

Références

Bâtiment d’Afrique, un gouffre énergétique !

batimentL’Afrique  d’aujourd’hui connaît un processus d’urbanisation très  rapide qui est nourri par une croissance démographique élevée. Il faut souligner que le bâtiment et, plus généralement, l’urbanisation se situent au cœur des enjeux économiques, sociaux et environnementaux de nos sociétés. Il est donc vital d’anticiper les besoins en infrastructures et en ressources et de limiter les dégradations environnementales et sociétales associés au processus d’urbanisation, particulièrement au regard de la durée de vie importante des constructions urbaines. Le bâtiment durable s’inscrit dans cette perspective et vise également à proposer des éléments de réponses aux difficultés rencontrées par certains pays en matière de lutte contre la pauvreté et les inégalités, d’accès à l’énergie et à un approvisionnement énergétique durable et sobre en carbone, de gestion des ressources naturelles et d’adaptation au changement climatique.

Problèmes énergétiques du Bâtiment en Afrique

L’Afrique est confrontée à des problèmes d’approvisionnement énergétique ainsi qu’à un déficit d’accès à l’électricité pour une part importante de sa population. Près de 530 millions d’habitants dépendent de sources d’énergies polluantes et peu efficientes (bois, charbon, gaz) pour la cuisson, le chauffage et l’éclairage[1]. La demande en énergie devrait s’accroître considérablement avec l’urbanisation et pourrait, par exemple, être multipliée par cinq d’ici 2030 et par douze d’ici 2050 dans les pays de la Coopération Économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO)[2].

Il faut souligner que les économies africaines restent, à l’heure actuelle, très dépendantes des énergies fossiles, notamment du pétrole (42 % de la consommation énergétique en 2011), du gaz (15 %) et du charbon (13 %), mais aussi de la biomasse (29 %) et dans une moindre mesure de l’hydroélectricité. Malgré un potentiel considérable, moins de 1 % du mix énergétique est attribuable aux énergies renouvelables[3]. Une augmentation de la demande aura donc des effets sensibles sur les émissions de gaz à effet de serre, sur l’exploitation de certaines ressources, mais également sur un prix de l’énergie déjà élevé[4].

Le développement du marché du bâtiment durable doit s’inscrire donc dans ce contexte, avec la mise en place de politiques visant à la fois à réduire les besoins à travers l’efficacité énergétique mais également à permettre le développement de sources d’énergies moins polluantes.

La structure DEV-ENERGY PLUS, mise en place depuis 2015 au BENIN, s’inscrit entièrement  dans cette logique. Cette jeune entreprise témoignera au fil du temps  de son savoir-faire dans le domaine des énergies renouvelables, de l’efficacité énergétique et du développement durable dans la région de l’Afrique de l’Ouest.

Le bâtiment durable rime avec efficacité énergétique et énergie renouvelable

L’objectif premier du bâtiment durable est la mise en œuvre de mesures permettant d’atténuer l’impact environnemental du bâtiment (neuf ou existant), notamment au travers d’une plus grande efficacité énergétique et d’une meilleure gestion des ressources, tout en garantissant un niveau de confort élevé pour les occupants. Cela peut prendre la forme de stratégies de conception dites « passives » (architecture bioclimatique), de stratégies « actives » (intégration des énergies renouvelables, usage de matériels performants…)[5] et d’interventions sur l’ensemble du cycle de vie du bâtiment (usage de matériaux locaux, gestion optimale des déchets, etc.).

Parmi les nombreux autres avantages de la construction durable  on citera : une baisse des coûts de construction (8 à 9 % selon McGraw-Hill construction[6]) et des coûts d’exploitation et d’entretien, une meilleure résilience aux changements climatiques, ou encore un plus grand confort menant à une réduction des dépenses de santé et une hausse de la productivité des occupants (de 1 à 9 %, source GIEC[7]).

Intégrer les énergies renouvelables dans la conception des bâtiments en Afrique (panneaux solaires, éolienne de toit, climatisation solaire…) peut, par ailleurs, être un des éléments de réponse aux problèmes déjà évoqués de pauvreté énergétique, de manque d’accès à l’énergie, d’utilisation de sources d’énergies polluantes ou encore d’exploitation non durable de certaines ressources (biomasse), et ce sans avoir recours à des investissements onéreux en infrastructures. La promotion de l’utilisation de matériaux et de techniques de conception traditionnels, généralement mieux adaptés aux conditions locales, peut également être un moyen de valoriser des compétences spécifiques, y compris dans le secteur informel, et apporter un soutien aux économies locales.

L’Afrique reste  le continent disposant le plus de ressource énergétique naturelle mais demeure toujours le moins alimenté. Pour atténuer donc ce paradoxe  il faut absolument une adéquation entre la conception des bâtiments et la maitrise de leur consommation énergétique. La promotion des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique s’avère nécessaire. Des entreprises africaines tout comme  DEV-ENERGY PLUS en  fait une priorité : « procurer des solutions énergétiques sur mesure pour assurer un développement durable de l’Afrique » telle est notre mission.

 


[1] Oi, A., design and simulation of photovoltaic water pumping system. Partial fulfillment of the requirements for the Degree of Master of Science in Electrical Engineering, Faculty of California Polytechnic State University, San Luis Obispo, September 2005.

 

[2] Kane Mamadou, R.A., Les onduleurs pour systèmes photovoltaïques. Cythelia, Juillet  2001: p. 49

 

[3] P.A.B. James, A.S.B., R.M. Braid, PV array <5 kWp + single inverter = grid connected PV system: Are multiple inverter alternatives economic? Solar Energy, September2006. 80(9): p. 1179-1188

 

[4] cherfa, F.B., Etude et réalisation d’une centrale photovoltaïque connectée au réseau de distribution électrique BT Mémoire de magister, Ecole nationale Polytechnique Elharach, 2004

 

[5] Marcelo Gradella Villalva, J.R.G., and Ernesto Ruppert Filho, Comprehensive Approach to Modeling and Simulation of Photovoltaic Arrays IEEE TRANSACTIONS ON POWER ELECTRONICS, mai 2009. 24

 

[6] Patel, M.R., Wind and Solar Power Systems. Ph.D, édition CRC PRESS

 

[7] XU, J., Filtrage active shunt des harmoniques des réseaux de distribution d’électricité, Thèse de doctorat de l’INPL, Nancy, Janvier 1994

 

Gouvernance et adaptation au changement climatique : rôles et enjeux pour les pays africains

chaIl est admis aujourd’hui que les risques liés au changement climatique constituent une menace sérieuse pour nos sociétés. C’est dans cette optique, que le concept de gouvernance climatique est apparu dans le jargon des experts climatiques. Gouverner le climat ? Cette question peut laisser doublement perplexe. Sur l’objet comme sur l’action ou le verbe qui s’appliquent à cet objet. Pour quelles raisons ? Par quel processus historique ? Selon quelles modalités ? L’objet climat relevant d’abord de la géographie, ensuite des sciences physiques et atmosphériques, est-il devenu un objet de gouvernance à la fin du XX ° siècle ? Mais le climat est-il gouvernable ? Alors que circulent chaque jour sur nos écrans des images de tornades, d’inondations et de dérèglements extrêmes en divers points de la planète.

En effet, la gouvernance s’applique à plusieurs niveaux. Et on peut retenir trois dimensions. Une dimension internationale, nationale ou régionale avant d’avoir une dimension locale. On parle de gouvernance locale, gouvernance territoriale, gouvernance d’entreprise, de l’emploi et mondiale. En plus, le mot gouvernance vient du latin « gubernare » qui traduit gouverné, piloter un navire. Il s’agit donc de l’art ou de la manière de gouverner, en favorisant un modèle de gestion des affaires. Selon Jacques Theys la gouvernance est : « une conception managériale des systèmes publiques et il s’agit essentiellement de trouver des solutions pragmatiques à des défaillances de marchés ou à des défaillances d’intervention publique » (Theys, 2002).

L’objectif de cet article est de déterminer les enjeux climatiques en Afrique et le rôle des Etats africains dans la gouvernance climatique mondiale.

Tout d’abord, l’Afrique est un continent qui consomme peu d’énergie avec 621 millions d’individus n’ayant pas accès à l’électricité. Ensuite, d’un pays à l’autre, les différences sont considérables. Par exemple en RDC l’accès à l’électricité est de 16%, 53% au Botswana et 85% en Afrique du Sud. C’est d’ailleurs en Afrique Subsaharienne, hormis l’Afrique du sud, que la consommation s’élève à hauteur de 139 milliards de KWH avec une population de 860 millions d’habitants, bien moins que l’Espagne qui consomme 243 milliards de KWH avec une population de 47 millions d’habitants (Le Monde, 2016). Ainsi, un tanzanien par exemple, mettra huit ans à consommer autant d’énergie qu’un américain en un mois. Par ailleurs, en Grande Bretagne une bouilloire utilisée par une famille consomme cinq fois plus d’électricité que la consommation moyenne annuelle d’un malien.

 

Cependant, si l’Afrique est le continent qui contribue le moins au réchauffement climatique à l’échelle mondiale, 4 % contre 15 % pour les États-Unis, et 26 % pour la Chine, il faut dire qu’elle subit de plein fouet les effets du changement climatique avec la multiplicité sur ces dernières années d’inondations et de sécheresses sur le continent. Il est donc urgent d’agir pour s’adapter au changement climatique sachant qu’une hausse des températures de deux degrés pourrait occasionner une baisse de la productivité agricole, jusqu’à moins 20 % en 2050 ce qui aggraverait la crise alimentaire. Cette adaptation doit être à la fois politique et environnementale pour se prémunir des risques majeurs du changement climatique. En effet, la définition de l’adaptation des systèmes humains au changement climatique la plus communément utilisée est celle du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), à savoir une « démarche d’ajustement au climat actuel ou attendu, ainsi qu’à ses conséquences, de manière à en atténuer les effets préjudiciables et à en exploiter les effets bénéfiques ». Cette définition fait référence aussi bien aux conditions climatiques actuelles que futures, et considère tant les changements climatiques d’origine naturelle que ceux anthropiques.

L’Afrique a-t-elle les moyens de s’adapter et de gouverner les risques climatiques ?

Selon l’ONU, le coût d’adaptation de l’Afrique au changement climatique s’élève à 45 millions d’euros par an d’ici 2050. La question de la finance climatique des pays du Nord au bénéfice des pays du sud était un des enjeux de la COP21. En effet, un fond de soutien permettrait de trouver par exemple des alternatives au charbon de bois qui est très utilisé en Afrique, 4 africains sur 5 en utilisent pour la cuisine.  Les conséquences de cette utilisation sont écologiques mais aussi sanitaires. Chaque année, 600.000 africains meurent de l’inhalation de ce combustible, c’est presque autant que le paludisme et autant que le VIH.  Les énergies renouvelables sont une nouvelle alternative, c’est pour cela que de plus en plus de pays africains misent sur les énergies vertes. C’est ainsi qu’un pays comme l’Ethiopie a décidé de développer les énergies renouvelables de manière à réduire les risques climatiques.

Résoudre les problèmes liés au changement climatique, c’est aussi initier une gouvernance à l’échelle mondiale et locale qui permettra de trouver des solutions adaptées aux risques climatiques. Quel est le rôle de l’Afrique dans la gouvernance climatique mondiale ? La conférence de Paris sur le climat en décembre 2015 a démontré une nouvelle fois encore, la place dérisoire du continent africain dans les différents enjeux de négociations autour du climat. Ceci peut s’expliquer par le fait que pour les pays africains, le principal objectif est le développement économique. Mais, un développement économique sans préoccupations environnementales, est-il soutenable ?  La question du changement climatique est donc considérée comme aspect secondaire dans la hiérarchie des besoins en Afrique. Assez pour qu’on ne retienne qu’un seul point sur les différentes préoccupations climatiques africaines, l’aide aux pays pauvres pour s’adapter au changement climatique et réallouer 1000 milliards de dollars d’investissements privés vers l’économie de bas carbone.

Tout compte fait, le continent africain reste fragile face aux différentes menaces liées au changement climatique. Même si d’importantes initiatives autour d’une économie verte s’érigent dans certains pays qui sont en avance dans les politiques énergétiques comme le Maroc avec le plus grand parc solaire mondial. Il faudra également faire un travail au niveau local. Pour propulser une véritable dynamique dans la lutte contre les changements environnementaux. Et cela commence par une émancipation des consciences citoyennes locales et régionales. Cette vulgarisation des consciences citoyennes écologiques en vers la nature permettra une meilleure considération des préoccupations environnementales dans les préoccupations africaines. Cela ouvrira la voie à une meilleure valorisation des initiatives locales et régionales africaines dans l’élaboration des programmes environnementaux à l’échelle mondiale. Car jusqu’ici l’influence de l’Afrique dans cette géopolitique climatique est très limitée.  

Le pari éthiopien d’une économie verte : vers l’émergence d’un modèle africain?

 L’accord survenu lors de la conférence de Paris en décembre 2015 marque, une avancée positive quant aux menaces  et aux défis liés aux modifications météorologiques de notre planète. En effet, le texte adopté est le premier accord universel sur le dérèglement climatique car celui-ci a été signé par les 195 pays ayant participé à la Convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUC) de 1992. De plus, ils se sont engagés à limiter le réchauffement de la terre à 2°C, voire même à 1,5°C, à partir de 2020.  En revanche, des zones d’ombre subsistent, notamment sur comment atteindre ce but. Toutefois, certaines nations n’ont pas attendu un accord au niveau international  pour s’engager dans la lutte contre le réchauffement climatique en mettant en place des plans cherchant à limiter l’impact de leurs activités économiques sur l’environnement au niveau national. À cet égard, un état mérite certainement que l’on s’y attarde.

Alors qu’il y a encore une génération, l’Ethiopie, qui subissait entre autres la guerre et une forte mortalité infantile, a connu une métamorphose impressionnante au cours des 30 dernières années. À l’instar de sa capitale Addis-Ababa qui se projette dans le 21ème siècle à coups de grands chantiers,  immobiliers, routiers et même ferroviaires –  deux lignes de tramways ont récemment vu le jour dans cette ville, fait très rare en Afrique sub-saharienne -, ce pays de plus de 96 millions d’habitants a vu son économie croître de manière substantielle avec un taux de croissance d’approximativement 10 % en moyenne par an depuis 2006 (ce qui lui vaut d’être considéré aujourd’hui comme l’une des 5 économies les plus dynamiques du monde par le Fonds monétaire internationale (FMI).  De plus, beaucoup de secteurs clés ont enregistré des résultats remarquables, comme l’industrie (14% du PIB) qui a affiché une croissance annuelle de 18,5% en 2013 et 21,2% en 2014. Mais, il y a aussi l’agriculture (40.2 % du PIB) ou le secteur des services (46.2 % du PIB) qui ont suivi une voie similaire avec une hausse de 5.4% et 11.9% respectivement. Cette mise en orbite économique s’est accompagnée d’une demande en énergie qui ne cesse d’augmenter. Selon les analyses publiées par le Ministère de l’énergie de l’Ethiopie, ce pays d’Afrique de l’Est a actuellement besoin d’accroître sa production électrique de 20 à 25% par an pour se développer. Cette croissance a aussi provoqué une augmentation de la pollution. À l’heure actuelle, elle émet 150 millions de tonnes de CO2 par an. Les experts estiment que ses émissions pourraient plus que doubler, pour monter jusqu’à 400 millions de tonnes, au cours des 15 prochaines années. Dans ce contexte, les autorités éthiopiennes   ont conçu, en 2011,  une stratégie pour une économie verte résistante aux changements climatiques (CRGE) qui favorise le développement durable. Son principal objectif consiste à faire de l’Ethiopie un pays à revenu intermédiaire, dont le revenu national brut  (RNB) par habitant s’élève entre 1035 et 4085 dollars par an, en 2025 tout en limitant le taux national des émissions de gaz à effet de serre (GES) au niveau actuel. Celui-ci s’appuie sur plusieurs piliers comme l’agriculture, la foresterie, les transports et l’énergie, pour lesquels une profonde transformation est prévue afin d’éviter une augmentation de 250 millions de tonnes des émissions de CO2 d’ici à 2030. Mais, quelles sont les raisons derrière ce choix et comment seront menés les changements ?

D’un côté, cette décision répond à une logique financière. En effet, bien qu’un gisement de gaz ait été récemment découvert dans le bassin de l’Ogaden, cette nation possède très peu de réserves liées aux énergies fossiles. Cette situation l’oblige à les importer, notamment le pétrole, pour répondre aux besoins de son essor économique, avec un impact conséquent sur les dépenses publiques.  Selon l’Observatoire de la complexité économique du  Massachussetts Institute of Technology (MIT),  l’Ethiopie a importé pour 1.6 milliards de dollars de pétrole raffiné en 2013, ce qui place ce produit à la première place dans ses importations. De l’autre, son choix est aussi dicté par des raisons climatiques car elle doit faire face à de longues périodes de sécheresse alternées avec des fortes précipitations. Récemment, elle a même rejoint le club des dix pays les plus exposés aux périls climatiques selon un rapport publié par le cabinet de conseil, Maplecroft. Face à ces circonstances, les autorités éthiopiennes se sont tournées vers les technologies vertes à commencer par l’hydroélectricité car leur territoire dispose d’un potentiel parmi les plus grands d’Afrique qui s’élève à 40.000 mégawatts et est aussi la source de plusieurs fleuves, notamment le Nil. C’est donc sans surprise que des barrages hydrauliques ont vu le jour et ceux-ci assurent actuellement plus de 98% de la production électrique. Néanmoins, ces immenses édifices sont dépendants du débit de l’eau et en période sèche, lorsque ses cours d’eau sont à des niveaux bas, les turbines ne peuvent fonctionner à plein régime. Afin d’atténuer les risques liés au problème de l’eau dû au déficit de pluviométrie, Addis-Ababa a aussi misé sur l’énergie éolienne. En effet, les périodes de vent dans ce pays coïncident avec les saisons sèches, ce qui permet aux éoliennes de compenser les pertes liées à l’activité hydraulique. Cette complémentarité n’est pas passée inaperçue aux yeux des hommes politiques, lesquels ont jugé bon  d’investir massivement  dans cette filière en bâtissant, notamment, l’une des plus grandes fermes éoliennes d’Afrique,  Adama II.  Le pays dispose également d’importantes ressources d’énergie géothermique et solaire.

Ces différents investissements permettent déjà aux autorités fédérales d’exporter de l’électricité vers les pays limitrophes tel que le Djibouti. Toutefois, l’énergie ne représente que 3% des émissions totales éthiopiennes. En effet, ce sont surtout l’agriculture et la foresterie qui prennent une grande part dans la pollution de l’atmosphère. Elles représentent à elles seules plus de 85% des émissions GES. La pratique de l’agriculture sur brûlis ou l’utilisation de combustibles biomasses telle que le charbon pour la préparation des aliments sont autant d’éléments qui contribuent à la dégradation environnementale. C’est pourquoi, il est prévu qu’une reforestation massive à hauteur de 15 millions d’hectares ainsi que l’introduction de nouvelles technologies dans les milieux ruraux soient effectuées. Toutefois, dans cette bataille face au dérèglement climatique, un facteur important est à prendre en compte : l’argent, nerf de beaucoup de guerres dans le domaine du développement. Effectivement, le CRGE nécessitera la mobilisation de 150 milliards de dollars (80 milliards pour les investissements et 70 milliards pour les dépenses liées au fonctionnement) pour sa réalisation. En termes d’investissements, la plus grande part devra être réservée au développement de l’électricité et de l’infrastructure énergétique, dont le coût avoisine les 38 milliards de dollars. Bien que l’état éthiopien s’est engagé à couvrir une tranche de ce montant et qu’une partie du peuple, dont le revenu national brut (RNB) par habitant s’élève à 550 dollars[i], ait été sollicitée, notamment pour le financement du barrage de la « Renaissance », la vision du feu Président Melenes Zenawi ne pourra être menée à terme sans aides financières extérieures, qu’elles soient publiques ou privées. Selon les estimations, les ressources financières, locales et internationales, s’élèvent à 18 milliards de dollars, ce qui sous-entend que plus de 50% doivent être encore trouvés  pour pouvoir développer l’électricité. De ce fait, une partie des 100 milliards de dollars que les pays industrialisés ont promis de mobiliser par an à partir de 2020 pour aider les pays en développement à combattre le réchauffement climatique, pourrait certainement contribuer à aider de manière significative cet état d’Afrique de l’Est. De plus, la probabilité que cet argent soit perdu est faible car, comme le démontrent les différents ouvrages déjà réalisés tels que les fermes éoliennes Adama I et II ou les barrages Gibe I et II, il fait partie des pays en développement ayant mené à bien des grands projets d'infrastructures. 

Depuis 1960, la température moyenne a augmenté entre 0.5 et 1,3 degré[ii] en Ethiopie, engendrant une érosion et une dégradation importante des sols, notamment dans le nord du pays. Les spécialistes prévoient aussi que ce pays pourrait connaître une hausse supplémentaire de 1,2 degré d’ici à 2020, ce qui allongerait les périodes de sécheresse et augmenterait le risque de famine pour des millions de personnes. Conscient de cette menace, l’état éthiopien s’est engagé à transformer sa politique énergétique en investissant dans les énergies renouvelables pour favoriser une croissance verte. Bien qu’il soit encore trop tôt pour prédire les résultats que produira le CGRE,  celui-ci inspire déjà d’autres pays comme le Mali ou le Nigéria qui se sont renseignés sur son processus. Mais fait plus important, si les objectifs mentionnés dans ce projet titanesque peuvent être atteints, cette nation, qui devrait compter 120 millions d’habitants en 2030[iii], pourrait émettre presque autant de CO2 que l’ensemble des pays scandinaves aujourd’hui dont les émissions de CO2 s’élèvent à 135 millions de tonnes.

 

 

 

 

 

 

 

 

 


[i] “Ethiopia’s Economic Overview.” Rapport de la Banque Ethiopia’s Economic Overview mondiale. 23 septembre 2015.

 

 

 

 

 

 

 

[ii]Climate Trends in Ethiopia.” Rapport de l’Africa Climate Change Resilience Alliace 5ACCRA). 2011.