L’usage rationnel du médicament dans le traitement des maladies est en branle sur le continent africain. L’Afrique est toutefois à la traîne dans la création de ses propres laboratoires pharmaceutiques. Malgré les nombreuses maladies endogènes au continent noir, la majorité des médicaments continuent à être fabriqués dans le Nord pour le Nord. Face à cette situation, de nombreux Etats tentent de réagir. Par exemple, le Burkina Faso a adopté une politique nationale pharmaceutique visant à « mettre à la disposition des populations des médicaments essentiels, sûrs, efficaces, de qualité, disponibles sur l’ensemble du territoire et à moindre coût ». Malgré ce volontarisme apparent, l’Afrique reste la première destination des médicaments illicites. Les médicaments se vendent dans les rues au même titre que les cacahuètes, posant un véritable danger de santé publique. Mais comment en est t’on arrivé là?
Un trafic juteux et organisé
Le circuit légal du médicament suit un processus à trois niveaux de transactions : entre industriel-grossiste, grossiste-officine et officine-clients. Toute commercialisation pharmaceutique sortant de ce cadre relève d’un circuit illicite. L’importation du médicament dans la plupart des pays africains nécessite plusieurs certifications fournies par les structures compétentes dont la DGPML au Burkina-Faso (Direction Générale de la Pharmacie du Médicament et des Laboratoires). L’authenticité du médicament est garantie à la frontière par les différentes certifications et attestée par les services douaniers. Cependant, des failles dans ce système de contrôle existent, qui favorisent un flux considérable de médicaments illicites sur les marchés africains. L’implication directe de certains douaniers et de certaines autorités dans ce commerce mafieux est indéniable, comme en témoigne le coup de filet de l’Organisation Internationale des Douanes en juillet dernier : en trois jours, 82 millions de médicaments illicites furent saisis dans 16 villes portuaires d’Afrique pour une valeur de 40 millions de dollars. Si ce marché illégal est aussi dynamique, c'est aussi parce qu'il a su se trouver sa clientèle.
Une clientèle désemparée ?
Les raisons avancées par cette clientèle sont entre autre liées au coût exorbitant des médicaments dans les pharmacies, inaccessibles pour une majorité de la population. De ce fait, les consommateurs se rabattent vers le marché noir où les prix des médicaments, vendus au détail, leur sont plus accessibles. L’inaccessibilité géographique des pharmacies, surtout en zone rurale, comparée à la proximité des vendeurs ambulants est un élément à prendre en compte pour expliquer le succès de ce commerce illicite et dangereux. De plus, l’acquisition de médicaments en pharmacie nécessite un processus long et coûteux. Il faut d’abord consulter un médecin, avec les frais que cela exige, avant de pouvoir aller à la pharmacie qui occasionnera des dépenses supplémentaires. Pour toutes ces raisons, les consommateurs se rabattent vers « les pharmaciens de la rue ». Ce choix comporte toutefois plusieurs risques.
Outre les répercussions économiques dues à la fraude et à la concurrence déloyale pour la profession des pharmaciens, le véritable danger demeure le risque que ces médicaments font peser sur la santé publique. Le principal danger à court terme est l’intoxication aigüe. La méconnaissance des prescriptions d’utilisation des médicaments par les usagers peut conduire à des overdoses entraînant vomissements, convulsions, douleurs abdominales, coma, ou même la mort, dans le pire des cas. A plus long terme, l’usage intempestif de médicaments de la rue facilement accessibles entraîne une accumulation lente d’effets toxiques sur l’organisme. C’est ce qui arrive aux consommateurs réguliers de l’Ibuprofène pour les douleurs musculaires et articulaires. L’usage répété de cet anti-inflammatoire occasionne des lésions digestives qui peuvent conduire à de l’ulcère gastrique.
Les « médicaments de la rue », vendus sans prescription médicale alors même que les usagers ignorent les traitements adaptés à leur mal, ou encore se laissent prescrire par « les pharmaciens de la rue », conduisent régulièrement à des échecs thérapeutiques. Au vue de toutes les complications que peuvent causer ces médicaments, dangers permanents qui sillonnent nos rues, des solutions doivent impérativement être trouvées pour une éradication définitive de ce fléau.
Quelles solutions ?
Ce trafic, comme tous les trafics illégaux, est entretenu et protégé par tous ceux qui en tirent bénéfice, de près ou de loin. Ce fléau est à ranger dans la longue liste des priorités en suspens par manque de volonté politique, alors même qu’il s’agit d’une question de santé publique cruciale. Pour plus d’efficacité dans la lutte contre ce commerce mafieux, les Etats Africains doivent aller au-delà des discours incantatoires, des incinérations médiatiques de quelques kilogrammes de médicaments illicites saisis aux mains des petits détaillants et combattre le mal courageusement à sa source.
Les contrôles douaniers doivent être plus sévères surtout quand il s’agit d’exportation de médicaments et les législations pharmaceutiques en vigueur dans nos différents pays appliquées à la lettre. Tout comme dans la grande majorité des pays africains, la douane Burkinabè occupe une bonne place dans le classement des services les plus corrompus du pays. Des enquêtes panafricaines, indépendantes et discrètes, sont donc primordiales pour lutter efficacement contre les trafiquants et leurs complices cupides et avides.
En ce qui concerne le commerce légal de médicaments, la rareté ou même l’absence de pharmacies ou des petits dépôts pharmaceutiques légaux dans certaines zones rurales, ne laisse parfois pas le choix aux populations. Face à une douleur accablante et à un manque de pharmacies, le « pharmacien ambulant » entrant jusque dans les domiciles fait souvent figure d’homme providentiel. Des efforts doivent donc être faits à ce niveau pour une couverture complète de nos régions en pharmacies ou en dépôts légaux. Les subventions publiques de couverture médicale doivent être mises en place ou renforcées. Ce n’est qu’ainsi que la sensibilisation aux dangers des médicaments de la rue pourra être entendue et suivie d’effet.
Ismaël Compaoré et Kobéané Siaka