La Négation du Brésil  

Negacao da Brazil

Le film, La Négation Du Brésil  de Joao Zito Araujo retrace l'histoire des telenovelas (novelas) ou des soaps operas brésiliens,  ces séries bien connues, qui jouissent d'une grande popularité en Amérique latine et même en Afrique aux heures de grande écoute.

Le réalisateur parcourt certaines séries brésiliennes qui ont marqué son enfance en s'interrogeant tout le long sur le rôle des acteurs noirs dans lesdites séries et sur la perception qu'il en a  tiré des Noirs, dans sa jeunesse. Ces séries télévisées sont vues  de manière panoramique, depuis 1963  jusqu'à 1997. On y voit des noirs ou des mulâtres campant principalement des rôles de subalternes.

Le réalisateur, qui est lauréat de la Fondation MacArthur, a déjà produit des films primés à de nombreux festivals. La Négation Du Brésil,  malgré la polémique qui a suivi sa sortie en 2000 reste un témoignage poignant de la réalité d'un racisme latent dans les médias brésiliens. Joao Zito Araujo questionne l'absence d'une communauté qui représente 50% de la population. Un nihilisme frappant, quant on sait aussi que sur "36 millions de personnes représentant la classe moyenne, les noirs représentent 6 millions", et pourtant, ils ne sont pas visibles dans les médias, comme le dit Joao Zito. La négation réside ici dans un nihilisme de l'existence d'une communauté pourtant bien présente.

Les 'petits' rôles dont on affuble bon nombre d'entre eux, ne sont pas assez représentatifs de cette communauté tout au plus sont ils dévalorisants. La force de  Joao Zito  Araujo est qu'en universitaire, il parvient à montrer plusieurs séquences où le spectateur peut percevoir la place du Noir dans les telenovelas, et comprendre l'arbitraire. Les personnages noirs n'ont quasiment pas d'existence. Ou s'ils sont là, ils doivent servir de faire-valoir.

Le réalisateur s'enquiert alors de nous montrer les divers rôles consacrés des personnages noirs en questionnant la force des stéréotypes et pourquoi pas du racisme de ce milieu télévisuel. En premier lieu arrive le  rôle de  la mammy noire,  grosse, rude et maternelle (comme dans Carinthoso). La 'mammy' confirme aussi les clichés sur la femme noire, tels qu'on le voit dans la littérature du XXème siècle. Ensuite vient  le rôle du serviteur loyal, comme dans Roque Santeiro, et le serviteur joué dans la série par Toni Tornado. Puis vient le personnage du barbouze, sorte de noir révolté et dangereux.

Tout cela indique une volonté semble-t-il de cantonner les Noirs dans des rôles secondaires et des stéréotypes où ils ne peuvent occuper les rôles d'envergure, comme le montre la série La Case de l'Oncle Tom, où un acteur blanc Sergio Cardoso est choisi pour jouer le rôle de  l'oncle Tom, ce qui provoqua une polémique, le choix d'un acteur blanc se justifiant par son talent, au lieu sans doute d'y voir une discrimination et un refus de donner à un noir un rôle principal. Tout ceci s'expliquant, aux dires  d'un réalisateur, par le "manque de maturité des acteurs noirs à cette époque" ou encore par le fait que 'les premières séries s'adressaient surtout à une classe moyenne blanche' et encore le fait que pour l'époque, "les noirs n'étaient pas télégéniques". Le même phénomène se remarquera dans Escrava ISaura où une blanche sera choisie pour jouer une esclave.

Regroupant nombre des acteurs noirs présents dans ces telenovelas, comme Zeze Motta, Ruth De Souza, Clea Simoes,  Milton Goncalves et bien d'autres,  Joao Zito Araujo tente de recueillir des témoignages expliquant le ressenti de tels rôles, et aussi du contexte dans lequel se faisait ces séries. Certains acteurs-phares vont alors donner leurs témoignages d'une époque où il n'était pas évident de dissocier le rôle joué et l'identité réelle. Plusieurs séries contribuaient à renforcer des clichés ou même dénotaient d'un certain racisme.

Tout cela conteste farouchement l'image du Brésil se voulant 'le paradis de l'intégration raciale'. Les politiques voulant vanter l'existence d'une société sans identification raciale. Ceci s'avère finalement être un 'mythe' au regard des séries et même des sujets abordés.

Les personnages noirs n'ont d'existence que par leur proximité aux maîtres blancs. Si certains réalisateurs ont tenté de mettre en scène des Noirs avancés socialement, comme dans Setime Sentido (1982), qui montre un couple mixte de la classe moyenne, cela restait en fait une pure audace et non un signe des mœurs.
Les couples mixtes étaient rares à la télévision. Les séries qui s'y heurtaient recevaient des lettres de spectateurs, tout bonnement choqués par  cela. L'actrice Zeze Motta raconte de quelle manière étaient les réactions lors des diffusions de Corpo a Corpo, une série qui racontait la vie d'une famille mixte et recomposée. Un spectateur avait pu dire: "Si j'étais acteur de télévision et qu'on me forçait à embrasser une affreuse, horrible noire comme ça, et si j'étais en manque d'argent, je me désinfecterais la bouche au javel".  Ou encore : "Je ne pense pas que Marcus Paulo ait tant besoin d'argent qu'il s'abaisse à ce point".

Autant de réactions absurdes qui  en disent long sur le climat dans lequel se déroulait ces séries.

Une autre force du film est sans aucun doute sa  manière de nous faire vivre les telenovelas à diverses époques. Avec ces séries l'on peut percevoir la société brésilienne dans ses attentes et son évolution. Même le choix des actrices était un indicateur : on choisissait les femmes noires les plus claires possibles. Tout ceci questionne aussi sur un blanchiment de la télévision, une manière de  masquer la présence noire.
Un autre constat de ces séries réside dans le fait qu'elles restent dans le cadre blanc, bourgeois, et ne reflètent en rien les réalités des favelas (bidonvilles), qui, on le sait, jouxtent pourtant nombre de quartiers et de villes huppés du Brésil.
Cette non représentation des Noirs dans leurs propres médias amènent ces derniers comme l'acteur Milton Goncalves à  se battre pour la visibilité de ceux-ci.

Les thèmes abordés sont souvent empreints d'une certaine pudeur. Dans la série Por Amor, on  voit un couple mixte confronté à la venue de leur enfant. Le père qui est blanc, refuse catégoriquement la naissance à venir. La femme, noire lui dit enfin " tu refuses cet enfant parce qu'il est noir", ce que le père refusera d'admettre. Ce silence sur le refus de  la réalité d'un 'problème' noir, devient presqu'un secret de polichinelle. Certains réalisateurs vont choisir d'en parler par la suite afin d'exposer la réalité  de la question raciale.

Les jeux des acteurs sont également analysés comme dans une série où un jeune noir se fait accuser et presque molester, sans que celui ci ne réagisse.  Cette attitude sera critiquée par une association noire comme étant une mauvaise représentation des Noirs. Cette soumission du Noir dans le jeu, ne faisant plus partie de la  norme et confortant la domination blanche,

Le film La Négation Du Brésil,  est une réussite dans sa vision panoramique. Il permet de mesurer les avancements de l'industrie des séries brésiliennes. De plus, il nous offre à voir une société aux prises avec la réalité du métissage.

Pénélope Zang Mba

Cet article est écrit dans le cadre d'un partenariat avec le 5ème édition du FIFDA qui a eu lieu du 3 au 5 septembre 2015

Negacao da Brazil, de Joel Zito Araújo (2000, 90 minutes)

Macky Sall, Obama et la peine de mort

Nous vivons en un temps où, Dieu merci, une condamnation à mort ne déshonore plus personne.

Malatesta, II, 4, Malatesta

Henri de Montherlant

 

Que le président Macky Sall en soit conscient ou non, la logique qui mène à la pénalisation de l'homosexualité est proche de celle qui sous-tend la peine de mort. On ne peut pas etre abolitionniste "à moitié".

Obama Macky SallLa presse africaine a fait grand cas de l’échange aussi courtois qu’"incisif" entre le président Barack Obama et son homologue sénégalais Macky Sall au cours de leur conférence de presse conjointe, jeudi dernier. La visite d’état d’Obama coïncidait avec la décision de la cour suprême américaine invalidant la loi de défense du mariage [voir Libération, 26/06/2013] qui le définit comme l’union entre un homme et une femme. Interrogé sur la portée de cette décision et la question du statut social de l’homosexualité, Obama eut recours à son sauf-conduit favori, le principe "éternel" et commun à toutes les « grandes religions » qui dit en susbstance : « ne fais pas à autrui ce que tu n’aimerais pas qu’on te fasse » [se reporter ici pour toutes les variantes de la « règle d’or »]. Macky Sall opta pour une défense plus subtile, rappelant que sur ces questions, il était nécessaire de respecter les dynamiques propres à chaque société, et glissant au passage que le Sénégal avait quant à lui déjà aboli la peine de mort… Cette réponse pas tout à fait du berger à la bergère a fait les gorges chaudes de bien des journalistes et commentateurs [voir Dakar Actu, la BBC, Afrik.com, le Journal du Mali, African Review, Guinée Conakry Info] et gagné les applaudissements de la rue dakaroise.

Macky Sall : la réponse du berger au berger

Ce qu’il faut pour être « courageux », aujourd’hui, n’arrête pas de me surprendre [Terangaweb, 08/05/2011]. La réponse toute en esquive et en approximations de Macky Sall, donnée dans un contexte apaisé, sur un ton mineur, souriant et détendu a été accueillie comme une version moderne de David contre Goliath, le courageux Macky contre le tout-puissant Barack [Le New York Times]. Sur le ton de la conférence de presse et la teneur exacte des échanges (loin de la chronique martiale relatée par la presse) le lecteur pourra se reporter à la retranscription de la rencontre [Département d’Etat, 27/06/2013]. Sur la réponse de Macky Sall, on ne peut que pointer les demi-mensonges et incohérences.

Prenons-en la partie centrale : "Le Sénégal est un pays tolérant qui ne fait pas de discrimination en termes de traitement sur les droits (…). Mais on n'est pas prêts à dépénaliser l'homosexualité. C'est l'option du Sénégal pour le moment. Cela ne veut pas dire que nous sommes homophobes. Mais il faut que la société absorbe, prenne le temps de traiter ces questions sans qu'il y ait pression. (…) "C'est comme la peine de mort, une question que chaque pays traite [à sa façon]. Nous l'avons abolie depuis longtemps. Dans d'autres pays, elle s'impose parce que la situation l'exige. Nous respectons le choix de chaque Etat."

Je ne sais que faire, personnellement, de la première partie : la pénalisation de l’homosexualité – article 319 du code pénal sénégalais (Ministère de la Justice, PDF) – est, par définition, une discrimination, un traitement différencié vis-à-vis de la loi, instauré en fonction des préférences et attitudes privées d’un individu. Quelqu'un de plus intelligent que moi devra m'expliquer comment cela cadre avec l’analyse de Macky Sall. Sur la question de la « tolérance » dont ferait preuve la société sénégalaise, il pourrait suffire de lire les réactions de la rue dakaroise à la réponse de Macky Sall, telles que recueillies par le correspondant du New York Times (cf. supra). On pourrait également se reporter à un rapport d’Amnesty International de Novembre 2010 sur les exactions commises au Sénégal contre les personnes homosexuelles ou perçues comme telles par la population et les forces de police [Amnesty International, « Craindre pour sa vie », 2010]. On pourrait enfin s’inquiéter du recours au terme « tolérance » qui pour toute son apparente innocuité, implique une « sorte de refus péniblement refoulé, une sorte de résignation » (Jean Dausset, Courrier de l’Unesco, Sept. 1982, p.69 – PDF)  

C’est un magnifique geste de jiu-jitsu politique de la part de Macky Sall que d’avoir transformé cette réponse inadéquate en attaque voilée contre la pratique de la peine de mort aux USA. Ça lui permet à la fois d’éviter complètement le sujet et de paraître résister aux tous puissants USA. S’en contentera qui voudra. Pour ceux que ça interesse et pour ce que ça vaut, comparé à plusieurs autres pays africains [Amnesty International, Juin 2013], le traitement réservé dans le droit et dans la société aux homosexuels  au Sénégal est relativement modéré. En grande partie parce que le texte de la loi n’est pas appliqué aussi souvent que cela – que même le Président de la République se réjouisse de l’inapplication des lois est assez rare pour être noté. Mais enfin… Depuis le temps que j’écris sur ce sujet, j’ai l’horrible impression de me répéter et d’ennuyer le lecteur – autant que je m'ennuie à répéter ces évidences.

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L'Etat, l'individu et la peine de mort

L’esquive de Macky Sall est un peu plus grave qu’il ne le semblerait à première vue. Dans la condamnation, la pénalisation de pratiques individuelles et personnelles, il y a un instinct autoritaire. Cette concession de pouvoir à l’Etat sur les vies des individus n’est pas, dans ses fondements moraux, si différente que ça de la peine de mort. L’utilisation aléatoire et mesquine de la peine de mort par le président Yahya Jammeh en Gambie [Geopolis France Info] ou les efforts des parlementaires Ougandais pour rendre l’homosexualité passible de la peine capitale [Terangaweb, 25 mai 2011] viennent renforcer cette similarité.

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Au-delà de tous les sentimentalismes et de toutes les positions morales ou religieuses, l’argument central contre la peine de mort, à mes yeux, a trait aux limites imposées au pouvoir de l’état. Tous les régimes totalitaires étaient des régimes d’homicides d’état, sans aucune exception. La suppression de la peine de mort de nos arsenaux juridiques est une réaffirmation de la primauté de l’individu, sur l’état et sur la société. Celle-ci peut condamner, ôter les libertés civiles et politiques, bannir et punir, elle n’a pas le droit d’être vengeresse et de supprimer ce droit inaliénable, individuel à la vie.

La mort est définitive, incorrigible, irrattrapable. La justice des hommes est imparfaite, corruptible et corrigeable. Pour ces simples raisons pratiques, la peine de mort devrait être ôtée des mains de l’Etat. Ainsi, ce qui rend la peine de mort « raisonnable » aux yeux de ses partisans, est précisément ce pour quoi elle est condamnable : son caractère définitif, absolu et totalitaire.

Il suffit de feuilleter le catalogue des indignités humaines que constitue l’application de la peine de mort aux Etats-Unis pour se rappeler que la plupart du temps, ce droit de tuer concédé à l’Etat ouvre la voie à une application capricieuse, mesquine, barbare et petite-bourgeoise de la loi : surreprésentation des minorités ethniques et des pauvres parmi les condamnés, malades mentaux et enfants croupissant dans les couloirs de la mort, exécutions pour la forme, organisées par convenance politique, les veilles d'élections présidentielles ou législtaives, etc.

La liste des « crimes » passibles de la peine de mort, à travers le monde, est hautement variable et incohérente, reflet des préjugés et arriérations de chaque société : on peut être condamné à mort pour adultère dans une dizaine de pays, la possession de certaines quantités de drogue peut vous valoir votre vie, dans plus d’une quinzaine d’Etats, vous pouvez être condamnés à mort pour « crimes de nature économique » dans quinze autres, etc. [Chacun pourra se construire, selon son estomac, un catalogue intime de ces incohérences sur ce site : Death Penalty Worldwide]

La survivance de la peine capitale aux USA est une infamie. L’utiliser comme parade à la pénalisation de l’homosexualité au Sénégal, comme le fit Macky Sall et ses compatriotes qui s’empressèrent d’acquiescer, est à peine moins grave. Là où l’Etat a obtenu le droit de régenter les esprits et de condamner des « aberrations » individuelles pour lesquelles il n’y a aucune victime, sur la simple désapprobation morale ou religieuse du chef, de son clan ou même de sa majorité, là s’ouvre une brèche et un acquiescement à l’autorité toute puissante et omnisciente de l’Etat qui sont dangereux.