Comores : De l’art et des femmes puissantes

Marche des femmes dans la capitale pour les droits des femmes, 2014. Copyright RFI
Marche des femmes dans la capitale pour les droits des femmes, 2014. Copyright RFI

"Ce dont une femme a besoin, c'est d'une chambre à soi, et d'un peu d'argent", disait Virginia Woolf. En attendant la chambre, les femmes Comoriennes s'attaquent depuis longtemps aux fondements mêmes leur société, à travers l'art notamment, et parfois sans avoir conscience de leur impact sur les tabous qui les encerclent. Peut-être grâce au droit de cité que leur cède, bon an mal an, la structure matrilinéaire de leur société, elles posent les problématiques propres au pays : Education des enfants, condition féminine, vivre-ensemble dans un pays morcelé. Echo de ces voix qui s'expriment principalement par la musique, le cinéma et, plus récemment, la littérature.


Bora : Le chant-transmission

Comme un secret murmuré a l'oreille, le bora dévoile plus que ne le laisse soupçonner son.rythme entrainant. Le refrain de cette litanie poétique populaire, fréquente dans les mariages et les cérémonies,  se chante en chœur et accompagne une soliste qui, la plupart du temps, se sert des confidences quelle fait dans ses couplets pour sonder la société dans laquelle elle vit. Ainsi, dans ulindo mgu, on retrouve la problématique du mariage arrangé et de la déchéance programmée de la femme en tant que sujet de la société : mariée jeune, mère (trop) tôt, puis affublée par son époux d'une coépouse ou d'une maîtresse plus jeune, car flétrie avant l'âge. Le chant deplore la situation de cet être Éternellement défini selon une autre personne et jamais selon ce qu’il est. Debe, un autre chant, prend le parti de triompher de la vie malgré tout et de célébrer l' éternité dans l éphémère de la beauté féminine. Ce faisant, le chant érige la femme, perdante dans de nombreuses batailles, en gagnante de la guerre, car il lui reste finalement les mots et leur poésie :
 

" C'est le destin qui m' a donné cet homme, ô Tarora ; mais il n' a pas mon coeur
Et quand je me drape de mon hami, que je l' attache à ma hanche pour en faire un pli
Quiconque me voit ne baisse point les yeux, mais me fait du sourcil ! "


Côté nouvelle génération, on connaît surtout Imany et sa voix atypique.  Avant elle, les deux voix engagées du pays, Chamsia Sagaf et Zainaba Ahmed, ont assuré une transition entre les complaintes formulées a demi voix dans les bora et l'entrée dans la  musique contemporaine. Leurs chansons a messages démontrent une prise de position plus ferme dans tous les apsects qui touchent à la sociét, comorienne. Tantot Controversées, tantôt louangées, Zainana Ahmes, « la voix d’or », et Chamsia Sagaf, sa congénère, ont exhorté la femme d' aujourd'hui à sortir de son mutisme, à "rompre ses chaînes", à "se prendre en charge sans tarder" et à participer activement à l'avenir de l'humanité comme égale de l'homme. Aujourd'hui, les voix de Nawal et Mame, pour ne citer que celles-là,  font entendre l’héritage spirituel soufi de l’archipel, et continuent de percer la coquille.

 

L'identité et la maternité au cinéma

Le cinéma comorien est encore tout jeune, mais ce qu'il a de surprenant, c'est que les femmes en sont les pionnières. Dans une communauté réputée pour surprotéger ses femmes, la matrilinéarité, en faisant de la femme la gardienne des traditions, semble évoluer avec son temps et pousser, malgré les tabous sociaux, des femmes à libérer leur parole. Ces trois dernières années, deux des  héritières de cette parole  se sont distinguées par leurs productions : Sania Chanfi, réalisatrice d'Omnimum, et Hachimiya Ahamada, réalisatrice de L'ivresse d'une oasis. Les sujets abordés sont loin du plaidoyer pour le droit des femmes, et s'attaquent directement à des questionnements profondément universels. L'ivresse d'une oasis, deuxième œuvre de Hachimiya Ahamada, suit la réalisatrice dans son  parcours à travers un  pays-archipel morcelé par la mer, dont les habitants se ressemblent bien plus qu'ils ne se connaissent entre eux. Omnimum traite, avec transparence et délicatesse, des  méandres de la monoparentalité, situation d'extrême solitude dans une communauté où le mariage est une institution sacrée.


Littérature : Le corps censuré

Taboue dès la puberté, destinée au mariage et a la maternité, car  "femme avant tout" : Le corps de la femme comorienne serait il un prêt, dont elle ne peut se servir que comme support de sa tête en attendant que les propriétaires le récupèrent ? C'est en tout cas le message qui ressort dans les discussions féminines, et gare à celle qui oserait affirmer un peu trop fort son droit  de propriété sur son propre corps. Faiza Soulé Youssouf, auteure du roman Ghizza, (éditions Coelacanthe 2015, 12e), en a fait les frais : La présence d"une scène érotique dans son ouvrage, où il est question d'une jeune fille qui tente de reprendre le contrôle de son corps confisqué par la société, a soulevé le débat sur les réseaux sociaux. Une polémique qui dessine, à n'en pas douter, les contours du prochain grand thème artistique comorien : L'appropriation par la femme de son propre corps. A l’instar de Woolf, de Simone de Beauvoir ou de Sylvia Plath, on  peut compter sur les intéressées pour s'emparer de la question, avec ou sans une chambre à soi. 

Touhfat Mouhtare-Mahamadou

Congo RDC : loin des conflits, la peinture qui relie

Photo de l'exposition Paroles de Femmes à la Maison des Métallos, Paris.
Kushiripa. Coywright Matthieu Lombard

La première fois que j’ai entendu parler de peinture Kushiripa, c’était avec Manon Denoun, doctorante en anthropologie. Elle s’est penchée sur cette pratique qui consiste, entre le Congo Kinshasa et le nord de la Zambie, à agrémenter les façades des maisons avec des ornements divers. Ce qu’elles ont de particulier ? Elles sont une vitrine sur plusieurs mondes, elles sont différentes d’un village à l’autre, et surtout, elles cristallisent des relations. Entretien.

Une pratique domestique avant tout

Les décorations murales comme la peinture sont un phénomène assez répandu. On pourrait se demander en quoi celles de Mudenda, en Zambie, de Makwacha et de Calcielo, au Congo Kinshasa, sont particulières. Certaines de ces créations murales ont donné lieu à une exposition à la Maison des Métallos de Paris*, en mars 2014. On pouvait y voir, entre autres, des références à l’industrie pétrolière, des fleurs, des références à la bande dessinée. Une forme de résistance face à la mondialisation et au climat électrique qui règne dans la capitale du Congo Kinshasa ?

Manon Denoun n’est pas de cet avis : Je n’inscrirais pas ces pratiques dans la résistance. C’est  quelque chose de  propre à chaque village, c’est  le but de ma recherche. La première raison d’être de ces décorations est  domestique : à Calcielo, il y a quelques années, ce sont les habitants qui payaient un artisan pour réaliser des tableaux dans leurs maisons. En période pérenne, ils sont preneurs d’artisans. J’insiste sur la dimension domestique, qu’il ne faut pas sous-estimer ; c’est un foyer, on l’agrémente.

S'inscrire dans la mondialisation

Alors il s’agit probablement d’une manière de s’approprier les aspects de la mondialisation. Et cependant, il semble que chaque village, dans cette région de la Copperbelt, cultive son propre style :

MD : J’ai trouvé qu’il y avait des styles qui se renforçaient dans chacun des villages. On peut observer des bases et des motifs récurrents : les fleurs reviennent souvent, même si elles ne sont pas dessinées de la même manière. Des citations bibliques, des imprégnations Rastafari, de la part des jeunes qui font de la musique, et se projettent dans un idéal d’humanité  « peace and love ». Bob Marley  apparaît de temps à autre sur les façades.

Mais alors, comment cette pratique purement domestique s’est-elle retrouvée à la Maison des Métallos ? Les habitants ont-ils décidé d’exporter leur art ?

MD :  Le propre de ces décorations, c’est que c’est public, c’est une offrande aux passants. Parce que Makwacha est en bord de route, pas mal de voitures passent par cet axe. Il s’avère qu’un jour le directeur du centre culturel français de Lumumbashi est passé par cet axe routier, et s’est arrêté pour rencontrer les habitants. Une sorte de partenariat est né avec un collectif artistique de Lumumbashi, qui se sont mêlés aux habitants de Makwacha, et de ces échanges sont nées de plus en plus de décorations murales, travaillées par ces rencontres. A Makwacha, la décoration des maisons reprend beaucoup d'éléments figuratifs.

Faire tomber les clivages 

Exposition Paroles des femmes, Maison des Métallos, mars 2014.
Femme devant peinture murale. Copywright Picha

D’ailleurs, la plupart des œuvres exposées étaient réalisées par des femmes.. De quoi titiller la fibre féministe chez certaines d’entre nous, moi y compris. Très vite, l’idée d’une pratique artistique d’abord exclusivement féminine, sorte de revendication d’un espace propre aux femmes, me traverse l’esprit. Encore une fois, la réalité du terrain vient nuancer mes emportements :

MD : Si la pratique est principalement féminine, c’est parce qu’elle renvoie au soin de la maison, de l’habitat, chose traditionnellement dévolue à la femme. J'ai également rencontré des   hommes qui habitaient seuls et prenaient prennent plaisir à illustrer et enjoliver leur habitat.

Cette exposition au monde, cette ouverture artistique, n’ont-elles pas altéré, en quelque sorte, l’authenticité des oeuvres ?

MD: Je suis contre le procès d’intention concernant la production, cette sorte de clivage entre ce qui serait authentique et ce qui serait altéré. De manière subjective, je dirais que certaines choses sont très jolies… il est vrai que d'autres me paraissent vouloir plaire de manière trop évidente aux visiteurs. Des personnes sont sensibles et désirent encourager certains talents : reconnaître la dimension marchande ou l'influence d'une forme de mécénat n'enlève rien à la qualité et au plaisir associés à ces décorations. C'est une manière plus saine, à mon avis, d'aborder la question.

Poursuivez le voyage sur le blog de Manon Denoun.

* Cette exposition présente pour la première fois au public français l’art mural du village de Makwacha au sud de la province du Katanga en République démocratique du Congo (RDC).

A voir en Zambie : Le Moto Moto Museum, où sont conservées des traces de la pratique Kushiripa dans le cadre d’un rituel.