Quel profil pour le futur président de la Mauritanie? Rencontre avec Jemila Abdel Vetah

« Dès qu’on leur donne un cadre anonyme d’expression, les mauritaniens se sentent en confiance pour révéler leur soif de changement efficient. Cependant, ce sentiment est réfréné majoritairement par un instinct de survie, tout à la fois individuel et surtout communautaro-tribal ; et on ne peut pas construire ainsi un pays : les crocs sortis de tous les côtés, sans une volonté politique effective d’apaisement » pose d’emblée Jemila. Ce sondage est effectué sur un échantillon de 732 individus sur une période de deux semaines ; celui-ci est plus que viable et représentatif à ses yeux, par rapport à la démographie mauritanienne. En France par exemple, la plupart des sondages sont effectués sur un échantillon de 1000 à 1500 personnes pour une population totale de presque 70 millions d’habitants. 82% d’hommes ont répondu, contre 18% seulement de femmes. « Cela peut s’expliquer par une place plus ou moins relative, pour ne pas dire marginales, des femmes dans le débat d’idées » argue la jeune femme.

36% de l’échantillon a entre 18 et 34 ans, 34% entre 35 et 54 ans, et 30% ont plus de 55 ans. Ainsi, d’un point de vue de l’âge, le questionnaire a réussi à respecter une certaine homogénéité. « A chaud, quand on regarde l’évolution de la fréquence des réponses, on se rend compte que de prime abord, il y a un certain ombrage, mais très vite, une fois rassuré sur le cadre purement anonyme du questionnaire, les citoyens répondent volontiers à celui-ci. »

Un sondage qui porte sur 17 questions, dont les résultats les plus marquants sont partagés à la fin de cet article, et qui taillent la structure essentielle du profil attendu par les mauritaniens à l’égard du prochain président en 2019. Et le moins qu’on puisse dire, est que le désir de renouveau est en effet immense, au vu des données agrégées.

Le sondage, lancé par cette initiative de jeunes « de moins de 30 ans », a révélé principalement deux points sur les caractéristiques espérées du prochain président : les mauritaniens veulent un vrai changement dans la façon de gérer les affaires du pays, et sur le profil de celui ou celle qui aurait cette charge. « L’écrasante majorité des sondés veulent un président, dans l’idéal, anciennement Haut Fonctionnaire émanant d’une Organisation Internationale, plutôt extérieur à l’échiquier politique actuel mais en en comprenant les rouages, un esprit académique chevronné, relativement mur, et par-dessus tout, capable de mener une politique volontaire de cohésion sociale et de dialogue national. Comme président idéal, sans porter de considération pour l’origine régionale, ethnique, sociale ou au parti politique de celui-ci, ils veulent un homme consensuel, intelligent et surtout à l’intégrité morale reconnue de tous.»  souligne la jeune femme.

« Ils ne dressent pas un profil utopique mais assez rationnel, cela démontre d’ailleurs toute l’intelligence de nos concitoyens, leur prise de recul constante sur leur environnement immédiat, ainsi que leur désir profond de voir un changement s’enclencher lors des prochaines élections. Ils semblent d’ailleurs de plus en plus réalistes quant à l’efficacité plus que relative des partis politiques, de tout bord, à représenter et porter la voix et les opinions de la population.» développe Jemila.

Les champs sont réduits avec une telle image d’Epinal dessinée, mais loin d’être dans les parages de zéro. De ce portrait-robot, elle évoque différents candidats potentiels « Comme certains, j’ai ma préférence, une idée assez précise de la personne, répondant au profil rêvé au vu des données, qui pourrait manifester une volonté politique comme elle est tant espérée, mais au-delà de ma préférence, la Mauritanie recèle des femmes et des hommes d’exception de cet acabit, qu’on doit aller dénicher. L’un des succès majeurs du CMJD durant la Transition, était d’avoir attiré des fils du pays compétents, capables de construire une Mauritanie nouvelle » affirme Jemila.

«A l’heure où les gens récoltent les cartes électorales des citoyens, nous semons des questionnements, que nous croyons pertinents, pour récolter leurs opinions »

Aujourd’hui, une initiative de ce type ouvre des perspectives crédibles sur l’avènement d’une structure de sondage sérieuse en Mauritanie. Aux yeux de Jemila : « C’est important que les dirigeants d’aujourd’hui et de demain soient au fait et en phase avec ce que pense le peuple VRAIMENT. De ce point de vue, les partis politiques dans leur globalité, qui ont des moyens financiers et humains variables pour devenir la voix du peuple, ont échoué. L’objectif ici n’étant pas de les éreinter mais peut être de leur lancer un appel à se repenser pour mieux agir avec et en direction des citoyens, à l’heure où, partout dans le monde, les populations nationales mettent à rude épreuve leurs partis politiques.» assène-t-elle.

«Je suis madame-tout-le-monde qui aime son pays ; une citoyenne-lambda. Je n’ai rien accompli de particulier en 26 années d’escalade de la vie, mais j’ai été offerte une éducation d’excellence, francophone sans le moindre complexe ( !), définitivement portée sur la critique et l’analyse que je souhaite constructive, cela me permettant plus aisément de formuler une opinion plus ou moins audible. Mais avec mes petits moyens j’essaie de participer à ce genre d’initiatives qui ont du sens, et qui peuvent apporter une amélioration qualitative au débat public en Mauritanie. A un moment où la cacophonie des extrêmes est telle, nous voulons encourager les autres voix du pays à s’exprimer, à débattre, à convaincre et à vaincre tout préjugé ou fatalisme. C’est un des enjeux de cette initiative. En effet à l’heure où les gens récoltent les cartes électorales des citoyens, nous préférons semer des questionnements pertinents pour récolter leurs opinions, à une échelle plus humble évidemment» raconte-t-elle, calmement mais fermement. « Notre voix, que l’on soit femme, homme, jeune ou moins jeune, d’ici ou de plus loin, c’est notre voix qui fait notre citoyenneté, que l’on pense comme la majorité silencieuse ou la minorité assourdissante. »

Issue des tribus guerrières du grand nord mauritanien, Jemila naît « 20 jours après la Constitution de 1991 », une période éprouvée par la guerre du Golfe, celle au Kosovo, la crise des Grands Lacs… « Une période pas très belle, qui a accouché d’une génération de cyniques élevée par une génération désenchantée ; personnellement cela m’a rendu paradoxalement optimiste, notamment dans le contexte mauritanien » concède-t-elle. « L’optimisme est une question de survie en Mauritanie ; c’est une réelle obligation sinon on ne s’en relève pas. Cet optimisme, les Mauritaniens l’ont encore et ne finiront jamais de prier et d’espérer le changement. En 2018, au temps des grandes intégrations régionales, l’engagement de création d’une zone de libre-échange africaine, du passeport unique africain, nous devons amorcer ce grand changement profond de notre méthode de penser et de faire la politique dans ce pays» ajoute-t-elle.

« Ce miracle africain, rwandais, a été fondé sur deux piliers : une volonté politique ferme et sans équivoque d’amorcer le changement et la place centrale donnée à l’éducation des Rwandais dans la réalisation de cette volonté. »

Insistant sur un contexte « flou », où tous les scénarios ne sont pas clairs, la jeune citoyenne estime que le pays est « pour la deuxième fois à la croisée des chemins» (2005 était la première – ndlr). « Si le pouvoir en place veut que cette jeunesse dont je suis issue œuvre à ses côtés pour un avenir meilleur, qu’il fasse en sorte que le pays ait une vraie chance d’alternance pacifique ! Et quitte à ce qu’il ‘préfère’ un candidat, dans le but d’assurer une transition que nous pourrions qualifier de plus douce, qu’il porte sa préférence dans ce terreau fertile qui regorge de femmes et d’hommes d’Etat!» implore-t-elle non sans quelques traits d’humour.

Le grand enjeu de l’après-élection ? Une idée claire, précise : « L’éducation seule construit un état-nation que nous sommes à mille lieues de voir avec le leadership qui, depuis des décennies, focalise malheureusement son discours sur une communautarisation des enjeux économiques et sociaux». Depuis le 12 juillet 1978, quand Moustapha Saleck changeait l’appellation des régions, cela a été la porte ouverte au tribalisme et au communautarisme, d’où cette communautarisation des discours selon elle.

« Un peuple éduqué, conscient d’un avenir commun, est un peuple dont les différentes composantes peuvent parvenir à un compromis ; or la culture autoritaire n’est pas une culture de débat, sans lequel on ne construit pas une cohésion sociale dans une société mauritanienne multiculturelle. Ce sont de vrais compromis qui construisent un pays. »

Des débats et compromis, qui à ses yeux peuvent être esquissés par des femmes et des hommes d’Etat sérieux et honnêtes, à qui on doit redonner une place dans ce pays. « Encore une fois, on en revient au fondement de l’éducation dans ce projet et de tout ce qu’il englobe. Prenez le Rwanda, Paul Kagamé était invité, pourrait-on dire d’honneur, du Sommet du G7 la semaine dernière, preuve, si besoin est, de la réussite et prospérité économique de son pays. Ce miracle africain a été fondé sur deux piliers : une volonté politique ferme et sans équivoque d’amorcer le changement et la place centrale donnée à l’éducation des Rwandais dans la réalisation de cette volonté. » Conclut-elle.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Article original sur MOZAIKRIM

Les habits neufs de Youssou Ndour

« Moi, morbleu ! perdu dans la foule obscure, il m’a fallu déployer plus de science et de calculs pour subsister seulement, qu’on n’en a mis depuis cent ans à gouverner toutes les Espagnes »
Le mariage de Figaro, Beaumarchais
 
La candidature de Youssou N'dour vedette internationalement reconnue de la chanson sénégalaise et homme d'affaires puissant et réputé, à l'élection présidentielle de février prochain dans son pays natal aurait pu prêter à sourire. C'est un phénomène assez connu. De nombreux capitaines d'industrie, sur le tard, ont souvent eu envie d'influer sur l'opinion publique. On se souvient de l'aventurisme hautement virevoltant de Jimmy Goldsmith, milliardaire franco-britannique qui racheta l'Express en France, créa le très éphémère « Now » en Angleterre et fonda le tout aussi éphémère Referendum Party au Royaume-Uni. Youssou N'dour réussit dans la chanson, il se lança ensuite dans la production audiovisuelle, puis dans l'humanitaire (paludisme et Sida), dans les médias par la suite (Future Médias) et enfin dans la politique. Parcours normal, a priori.
 
Tout Sénégalais après dix-huit ans rêve d'un visa, d'un titre universitaire et de la présidence de la République. Youssou N'dour a reçu tous les visas qu'il souhaitait et même plus, il veut maintenant être président de la République. Soit! Mais : il n'a pas fait d'études supérieures! Or il se trouve que les Sénégalais, moins que les Ghanéens mais certainement autant que les Portugais ou les Italiens souffrent d'une sorte d'obsession du papier! Le diplôme! Le diplôme! Ils continuent d'appeler Abdoulaye Wade, « maître »! La dernière fois qu'il a plaidé, Wade, Giscard était encore ministre! On imagine mal les Français élire « Maître » François Mitterrand ou chérir la mémoire de « Maître » Pierre Mendès-France! Au Sénégal ça passe…
 
Je m'étais promis de ne plus écrire sur le Sénégal : 1) ça n'a aucun impact réel dans ce pays et 2) hors antenne, je me fais chaque fois, très sévèrement, tancer par des « amis » plus ou moins proches. Je suis paresseux et très lâche. Alors, je me disais : pas de Sénégal.
 
Mais, mazette! La volée de bois vert que le bonhomme se prend depuis une semaine! « Comment a-t-il osé? » Le « guignol »! Le « plaisantin ». Le « fou »! 
 
Oui, la déclaration de candidature de N'dour est d'une franchise enfantine et son projet d'une naïveté grotesque quoique touchante : self-made man, il arrive avec l'expérience de celui qui sait s'entourer des bonnes personnes; il veut dégraisser le lion (réduire le train de vie de l'Etat); il compte amener le Sénégal à l'auto-suffisance alimentaire dès 2017 et – cerise – il veut rétablir la rigueur dans la gestion des affaires publiques… Rien sur la politique industrielle, rien sur la réforme électorale, rien sur la santé, rien sur l'emploi des jeunes, rien sur l'infrastructure, rien sur la politique fiscale ou monétaire. À part ça… c'est un assez bon programme…
 
Certes, pour qu'il présente sa candidature aux Sénégalais, son équipe de communication lui a fourni une paire de lunettes à monture épaisse (à la Thuram) qu'il ne quitte plus; ils lui ont fait perdre cinq kilos et ils lui ont infligé probablement des heures et des heures de cours de diction. C'est donc un Youssou neuf qu'on trimbale de plateaux-télés en émissions radiodiffusées. Ça fait machiné, artificiel. Il se trouve pourtant que les programmes des autres candidats déclarés à la présidentielle sénégalaise ne brillent guère plus par leur intelligibilité ou leur ambition. Mieux, l'adresse et l'intelligence avec lesquelles Youssou N'dour constitua son groupe de presse et développa sa carrière internationale témoignent d'une connaissance exceptionnelle de l'environnement politique et économique de son pays et d'une sagacité rare. L'enfant de la Médina s'est construit posément, patiemment et avec brio une stature de personnalité publique disponible, indifférente à l'argent public et possédant une sérieuse « conscience sociale ». à ce jour, aucun de ses adversaires potentiels, Abdoulaye Wade encore moins que les autres ne dispose d'un tel capital social. Ceci d'autant plus qu'une importante part de la jeunesse sénégalaise reste résolument insensible au fétichisme du diplôme, justement parce qu'elle n'en a pas. La cassure générationnelle est ici plus forte que jamais. Youssou N'dour peut très bien figurer au second tour de l'élection présidentielle sénégalaise. Et Face à Wade, l'emporter tout à fait.
 
Depuis trois générations au moins, le Sénégal est dirigé par des « intellectuels » avec la réussite qu'on connaît (à tel point que les seuls miracles « sénégalais » sont aujourd'hui sa relative « stabilité » et l'exode massif de ses citoyens…) Voici un homme doté d'un vrai sens des affaires, aussi à l'aise au contact des grands de ce monde que de l'homme de la rue, s'exprimant simplement et proposant une « alternative » crédible, limpide et intelligible à la grandiloquence impotente et corrompue d'Abdoulaye-2000-projets-farfelus-en-tête-Wade. Ajoutez à cela que la formidable bataille d'égos au sein de l'opposition sénégalaise l'a rendue incapable, jusqu'ici, et c'est un comble, de proposer ne serait-ce qu'un simili front commun face à Wade. En quoi ces gens-là sont nécessairement plus aptes à diriger le Sénégal que Youssou N'dour m'échappe totalement.
 
Je ne veux pas faire de peine à mes amis Sénégalais, mais si Arnold Schwarzenegger a pu être gouverneur de la Californie (400.000 km2, 37 millions d'habitants et un PIB de 2000 milliards de dollars), Youssou N'dour peut bel et bien diriger le Sénégal.

La candidature de Youssou N'dour peut être attaquée de mille façons, j'en ai indiqué quelques unes plus haut. N'empêche que les réponses qu'elle a suscité chez l'intelligentsia et une partie de la population de ce pays ne dit rien de bon. Ce qui est choquant et aberrant, c'est que l'indignation que sa candidature a soulevé dans certains quartiers de la population sénégalaise respire les séquelles coloniales : il n'est pas allé à l'école des "Blancs", comment peut-il oser vouloir diriger ce pays? L'intelligence avec laquelle il a bâti une carrière et fondé des entreprises florissantes s'efface soudain devant celle sanctionné par le crayon. À ce jeu-là, Malraux s'efface devant Frédéric Lefebvre…
 
C'est ce qui est rassurant néanmoins, avec le Sénégal : dans beaucoup de pays africains, à moins de quarante morts, on considère que l'élection s'est déroulée sans « incidents majeurs », à Dakar on s'écharpe sur la candidature d'un businessman-chanteur. N'est-ce pas merveilleux?
 
Je crois qu'on va bien se marrer en 2012.
 
Joël Té-Léssia