Révision de la constitution au Mali : Des avancées à la Pyrrhus

Ils sont nombreux ces chefs d’Etat qui ont essayé d’actualiser la loi fondamentale du Mali. D’Alpha Omar Konaré à Amadou Toumani Touré, le résultat s’est toujours soldé par un échec. Le président Ibrahim BoubaKar dit IBK va peut-être rompre avec une réalité tellement ancrée dans la pratique politique qu’elle n’était pas loin d’en devenir une tradition. Ce n’est cependant pas tant les verrous juridiques empêchant une facile modification de la constitution que la volonté collective des Maliens qui a retardé une telle révision. Les évènements de ces dernières années, notamment la guerre au nord du pays, ont constitué un élément accélérateur de la nécessité d’une modification. En effet, l’accord d’Alger signé le 20 juin 2015 par le groupe rebel AZAWAD nécessite, pour une mise en œuvre efficiente, une refonte de la loi fondamentale.[1]

Un projet de loi a en conséquence été introduite à l’Assemblée Nationale par le gouvernement et doit faire l’objet d’un vote référendaire pour entériner son adoption ou acter son rejet. Ce projet de loi fait surtout l’objet d’une vive contestation au sein de la classe politique. D’aucuns accusent le président IBK de rêver d’une présidence autoritariste où il détiendrait les pleins pouvoirs exécutifs et une influence considérable sur les autres institutions de la République. La majorité présidentielle dénonce, de son coté, une opposition prête à tout pour s’opposer et soutient que son projet de loi est une avancée pour la démocratie malienne.

Démêler le vrai du faux, la dénonciation politicienne de la critique républicaine, telles sont les tâches auxquelles le présent article va s’atteler.

De notables avancées institutionnelles

Depuis la révolution du 25 mars 1991[2], le Mali est souvent salué dans la sous-région pour la réussite de ses échéances électorales. Ce n’est qu’avec la crise sociopolitique de 2012 que la culture démocratique du Mali a été fortement ébranlée. Certaines dispositions du projet de révision constitutionnelle viennent rappeler l’attachement du pays à la démocratie.

En effet, l’article 143 alinéa 4 prévoit que la modification des dispositions relatives à la limitation ou la durée du mandat présidentiel ne pourra se faire que par voie référendaire. Il s’agit là d’une grande avancée démocratique en comparaison aux récents évènements survenus dans la sous-région. L’échec de la tentative de révision constitutionnelle via le congrès de l’ex président Burkinabé, Blaise CAMPAORE, a fort probablement servi de repère au gouvernement malien. Pour des pays africains, en quête de solidité démocratique, c’est certainement un gage supplémentaire de stabilité institutionnelle et politique que de réserver au seul arbitrage populaire la modification d’une telle norme fondamentale.  En France, par exemple, le recours au congrès par le président Chirac pour adopter les traités européens suite au rejet de la constitution européenne par voie référendaire, avait été qualifié de déni de démocratie par une partie de la classe politique et de la société civile[3].

La mise en place d’une circonscription électorale pour la diaspora

Après le Sénégal, le gouvernement malien veut également octroyer à la diaspora le droit de siéger au parlement. L’adoption de cette disposition constituera une avancée majeure en ce qui concerne la conformité de la loi fondamentale à la réalité sociale. Le poids économique de la diaspora malienne est en effet d’une importance non négligeable[4]. Mis à part   la jouissance de ses droits politiques, il était nécessaire que la représentativité de la diaspora soit matérialisée par sa présence à l’assemblée nationale. Si cette analyse est vraie pour le Mali, elle peut être dupliquée dans de nombreux autres pays africains où la diaspora est devenue un acteur économique et social important (selon des travaux de l'AfDB).

La prise en compte de la question environnementale dans la constitution

L’Afrique est frappée de plein fouet par le changement climatique alors même que le continent ne fait pas partie des gros pollueurs de la planète. Le Mali, en particulier, a vu sa production agropastorale diminuer drastiquement en raison de la forte sécheresse. En 2015, des reporters du site www.sahelien.com ont enquêté au nord du pays. Près de 75.000 enfants étaient menacés de malnutrition selon leur rapport. Le gouvernement a décidé d’inscrire la question climatique dans la norme constitutionnelle par la mise en place d’un « Conseil économique et environnemental ».

Si la prise en compte de la problématique environnementale est une innovation majeure  à saluer, certaines dispositions du projet de révision peuvent laisser sceptiques.

Un présidentialisme revendiqué

L’opposition et la société civile sont vent debout contre la révision constitutionnelle qui fera sans doute passer le Mali d’un régime semi-présidentiel à un véritable régime présidentiel voire présidentialiste.

Dans le projet de loi du gouvernement,  les prérogatives du président de la république sont considérablement accrues. A titre d’exemple, le président nommerait le président de la cour constitutionnelle alors que ce dernier est choisi par ses pairs dans la présente loi fondamentale. Les détracteurs du président IBK dénonce une machination du président sortant dans le but d’assurer sa réélection en 2018. C’est en effet le président de la cour constitutionnelle qui dispose des prérogatives de proclamation définitive des élections présidentielles. La révision met également en place un bicaméralisme inégalitaire par la création du Sénat. Le président sera chargé de nommer le tiers des membres devant siéger dans la chambre haute alors que le reste des sénateurs sera issu d’une élection au suffrage universel indirect. Là encore, les opposants dénoncent un subtil moyen du président IBK de mettre dans sa poche les responsables de la société civile, les responsables religieux et certains responsables de collectivités territoriales avec en ligne de mire les prochaines consultations électorales.

Conformément à l’actuelle constitution, le président de la république nomme le premier ministre ; mais le chef de l’Etat ne peut pas contraindre le premier ministre à quitter ses fonctions. Le premier ministre ne peut quitter son poste (excepté dans l’hypothèse d’une motion de censure à l’assemblée nationale) qu’en cas de démission. Cette démission constitue un acte positif et volontaire de sa part.

Avec la réforme, le président de la république pourra limoger le premier ministre qu’il aura choisi. D’un point de vue du fonctionnement des institutions, la réforme sur ce point, semble cohérente. Elle permet surtout de constitutionnaliser une réalité factuelle.  Le premier ministre, lorsque la majorité parlementaire est du même bord politique que le président de la république, n’est qu’un instrument entre les mains du chef de l’Etat. Cette révision est d’autant plus cohérente que le même projet prévoit que « la politique de la nation » est déterminée par le président de la république. Or dans la constitution actuelle, c’est le premier ministre qui détermine et conduit la politique de la nation. C’est pour cette raison que le gouvernement que dirige le premier ministre est responsable devant le parlement. Il n’en sera plus de même, si les Maliens décident de valider le projet de révision du gouvernement. Ce sont de véritables signes du basculement d’un régime semi parlementaire vers un régime présidentiel.

L’irresponsabilité politique du président de la république : un oubli outrancier ?

Le projet présente cependant une certaine incohérence. Si en effet, le président détermine la politique de la nation et qu’il nomme et démet de ses fonctions le premier ministre, le chef de l’Etat devient le véritable chef de l’exécutif. Dans un souci d’équilibre des pouvoirs, il devrait pouvoir rendre compte devant le parlement sur la manière dont il utilise les larges pouvoirs constitutionnels qui lui sont conférés. Il n’en est malheureusement pas le cas, puisque le premier ministre et le gouvernement, (dont les prérogatives seront désormais limitées), restent responsables devant le parlement.

Le projet de révision semble érigé le président de la république en un monarque absolu qui n’a de compte à rendre que lors des échéances électorales. Les contre-pouvoirs n’existent presque pas dans le projet de loi proposé par  le gouvernement. Si la nomination des membres de la cour constitutionnelle ainsi que de leur président relève des prérogatives du chef de l’Etat, le parlement devrait disposer du pouvoir de valider ces nominations. C’est la pratique aux USA qui représentent  l'exemple type du régime présidentiel.

Toutes ces dispositions transférant d’importants pouvoirs au président de la république expliquent l’inquiétude d’une partie de l’opposition, de la société civile et des populations.  Cependant, une refonte profonde de la loi fondamentale du Mali est somme toute nécessaire, pour permettre à ce pays sahélien d’être gouverné différemment notamment par la mise en place d’une décentralisation très poussée. Il y va de la bonne administration des régions en l’occurrence celles de la partie septentrionale du pays.

Giani GNASSOUNOU


[1] Notamment en ce qui concerne l’administration de l’Etat. L’accord prévoit un transfert d’un certain nombre de compétences du pouvoir central vers les collectivités territoriales.

 

 

[2] http://www.rfi.fr/afrique/20120326-mali

 

 

[4]  http://maliactu.net/migration-la-diaspora-malienne-contribue-a-hauteur-de-300-milliards-de-fcfa-dans-leconomie/

 

 

Burundi, Bénin, Congo, RDC, Rwanda… : pas touche à ma constitution ?

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Depuis plusieurs mois, un même débat faisait rage, dans de nombreux pays africains. Au Burundi, au Burkina Faso, au Bénin, au Congo, en République démocratique du Congo (RDC) et au Rwanda pour ne citer qu’eux, la classe politique et les citoyens se déchiraient sur une éventuelle révision de la constitution autorisant le chef de l’État à briguer un nouveau mandat, ce que la loi fondamentale, en l’état, lui interdit. 

Les termes de la controverse ont radicalement changé le 30 et le 31 octobre. Au Faso, la contestation grandissante pour sauver la constitution et son article 37 – celui qui empêchait le président Compaoré de rempiler après 27 ans de pouvoir – s’est transformée en révolution. Un tournant politique qui sonne comme un avertissement pour tous les chefs d’État  de la région.

Les arguments favorables à une révision constitutionnelle sont connus : stabilité du régime, paix et sécurité, approfondissement de politiques déjà engagées, voire adhésion de la population à la présidence en cours et à un changement de constitution qui pourrait dit-on être confirmé par référendum. Qu’en est-il des opinions inverses ? Voici les principaux arguments défendus par ceux qui s’opposent à tout “tripatouillage électoral”.

 1- Parce que tout a changé depuis la Burkina

 La révolution burkinabè annonce-t-elle des mouvements de contestation à venir dans les deux Congo, au Burundi, au Rwanda? Difficile à dire bien sûr. Le contexte a en tout cas radicalement changé depuis ces derniers jours d’octobre. Dans les pays concernés, les responsables de l’opposition ne s’y sont d’ailleurs pas trompés : “la leçon qu’il faut tirer de cela c’est que les différents chefs d’État doivent comprendre que plus rien ne sera comme auparavant. Et ceci doit être une leçon qui doit être retenue pour chez nous aussi, où nous avons choisi la lutte pacifique», a ainsi déclaré Vital Kamerhe, leader de l’Union pour la nation congolaise (UNC) en RDC.

 Certes, il y a plus de trois ans et demi déjà, avait lieu les printemps arabes. L’inquiétude était alors palpable dans certaines capitales africaines. Mais le Maghreb restait lointain, et la dégradation des conditions sécuritaires qui s’est installée depuis dans certains pays, devenait même pour certains chefs d’État un argument pour revendiquer leur indispensable rôle dans le maintien de la stabilité du continent.

 Le cas burkinabè rebat incontestablement les cartes. D’abord parce qu’il est plus proche et repose exactement sur la même équation : toucher ou non à un article de la constitution devenu le totem qui cristallise les revendications de l’opposition. Ensuite, parce que le régime de Blaise Compaoré ressemblait à s’y méprendre à certains cités plus haut.

Le parallèle le plus parlant étant sans doute celui avec le Congo-Brazzaville.  27 ans de pouvoir pour le « beau Blaise », près de 30 pour Denis Sassou Nguesso, aux commandes depuis 1979 (malgré une interruption entre 1992 et 1997). Et une stratégie commune : se rendre indispensable sur la scène internationale. Un rôle de médiateur au Mali pour Compaoré, une médiation en Centrafrique pour Sassou Nguesso, très impliqué dans la crise en cours à Bangui.

 2 – Pour permettre l’alternance

 Faut-il empêcher un président qui fait du bon travail de le poursuivre s’il est soutenu par sa population ?  Sans être absurde, l’argument reste au moins intrigant pour ceux qui, comme Compaoré ou Denis Sassou Nguesso, ont passé plusieurs dizaines d’années au pouvoir et ont eu tout le loisir de mettre en œuvre les politiques qu’ils estimaient utiles à leurs pays.

 Les cinq pays pourront aussi prendre l’exemple du Sénégal avec son alternance pacifique entre Diouf et Wade en 2000, puis l’élection de Macky Sall en 2012, qui ont montré les vertus d’un changement à la tête de l’État pour assurer un renouvellement des élites et des pratiques du pouvoir ; ou celui du du Ghana où après deux mandats, le président Kufuor a cédé la place à son successeur Atta-Mills en 2009.

3 – Pour respecter ses engagements nationaux et internationaux

Les opposants à tout changement constitutionnel invoquent aussi le respect des engagements nationaux et internationaux des gouvernants. Ainsi dans bien des pays, la constitution envisage des possibilités de révision mais exclut précisément tout changement qui concernerait la durée et le nombre de mandats. C’est l’article 185 à Brazzaville ou le 220 à Kinshasa qui précise que “ le nombre et la durée des mandats du Président de la République (…) ne peuvent faire l'objet d'aucune révision constitutionnelle.”

 Pour la Conférence épiscopale de RDC, qui ne cesse de réitérer son opposition à une révision constitutionnelle, “cet article pose les bases de la stabilité du pays et l’équilibre des pouvoirs dans les institutions. Le modifier serait faire marche en arrière sur le chemin de la construction de notre démocratie et compromettre gravement l’avenir harmonieux de la Nation”,  

Sur le plan international, les cinq États  cités ci-dessus ont également tous signé la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance de 2007 qui condamne dans son article 23(5) : “Tout amendement ou toute révision des Constitutions ou des instruments juridiques qui porte atteinte aux principes de l’alternance démocratique, "qui représenterait un “changement anticonstitutionnel de gouvernement et passible de sanctions appropriées de la part de l’Union”.

4 – Pour dépersonnaliser la loi

Rarement des constitutions auront suscité autant de passions dans les capitales du continent, laissant une drôle d’image d’une Afrique où tout débat constitutionnel apparaît inextricablement lié à celui du maintien au pouvoir du chef, comme si chose publique et chose privée étaient inévitablement mêlées. On ne débat plus de la constitution pour de réelles raisons juridiques ou sociales mais bien pour l’adapter à une situation individuelle d’un président :  la loi n’encadre pas l’exercice du pouvoir mais est aménagée en fonction de lui.

 En 1995, quand l’Assemblée nationale ivoirienne obligeait tout candidat à la magistrature suprême à fournir la preuve que ses deux parents sont effectivement nés en Côte d'Ivoire, l’objectif ultime était de transformer en loi “le concept d’”ivoirité” imaginé par le président Henri Konan Bédié afin de disqualifier son principal rival Alassane Ouattara.

Quant au Congo-Brazzaville, l’article 58 de la constitution de 2002 interdit à tout candidat de plus de 70 ans de se présenter à la présidentielle. Son adoption visait moins à rajeunir la classe politique qu’à empêcher les concurrents de Sassou Nguesso de l’époque, comme Pascal Lissouba, de se présenter. Un verrou générationnel qui se retourne aujourd’hui contre celui qui l’a fixé puisque c’est désormais Sassou lui-même qui a atteint la limite d’âge…

5 – Pour la stabilité institutionnelle

“L’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts mais d’institutions fortes”, affirmait Barack Obama en 2009 dans son discours d’Accra, précisant que l’Histoire n’est pas du côté de “ceux qui modifient les constitutions pour rester au pouvoir”.

Une constitution comme toute construction humaine n’a aucune de raison d’être immuable. Mais les règles du jeu qu’elle instaure méritent au moins d’être éprouvées dans la durée. La plupart des pays cités ont des constitutions récentes : 2006 pour la RDC, 2005 pour le Burundi, 2003 pour le Rwanda, 2002 pour le Congo.

Entretenir l’instabilité institutionnelle, c’est mettre à mal la confiance des citoyens à l’égard de leurs dirigeants. Le Congo-Brazzaville est “le plus vaste cimetière institutionnel de l’Afrique”, dénonçait en 2001 l’universitaire Félix Bankounda. Depuis son indépendance en 1960, le pays a connu treize textes fondamentaux (six constitutions et sept actes fondamentaux), dont huit sous la seule présidence de Sassou Nguesso.

6 – Pour échapper à la caricature

Si la présidence à vie n’est pas l’apanage de l’Afrique, il n’en reste pas moins comme le note le journaliste Tirthankar Shanda que “sur les 19 chefs d’État qui ont accédé au pouvoir au siècle dernier et qui s’accrochent à leur place, 14 sont Africains !”. Après le Burkina, la communauté internationale sera peut être – qui sait ? – plus exigeante. La France avait prévenu à plusieurs reprises le président Compaoré, semble insister l’Élysée depuis quelques jours.

Mais il faudra sans aucun doute des concessions. Peut-on, défendre par exemple un ambigu statut d’immunité qui garantirait une sécurité économique et judiciaire à des chefs d’Etat qui, s’ils lâchent le pouvoir, redoutent la revanche de ceux qui l’ont trop longtemps attendu ? Ou offrir une (prestigieuse) porte de sortie aux présidents en place en leur attribuant de nouvelles missions dans des institutions internationales comme le proposait François Hollande à Compaoré dans un courrier du 7 octobre l’invitant à ne pas toucher à la constitution.

Ou même, si finalement maintien au pouvoir il y a, négocier de réelles contreparties. Car la conclusion du débat dépendra bien sûr de la situation bien particulière de chacun des pays. Un responsable de l’opposition burundaise confiait ainsi il y a quelques semaines qu’il avait “toutes les raisons de croire que Pierre Nkurunziza serait toujours président après 2015”, compte tenu des équilibres politiques de son pays. Mais il réclamait en échange “une vraie négociation pour ouvrir le jeu politique alors qu’il est complètement crispé. Pour cela nous aurons besoin d’un réel appui et de toute la pression de la communauté internationale”. Ce serait le moins.

Adrien de Calan