Burkina Faso: C’est une révolte ? Non, Sire, c’est une révolution !

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L’image est saisissante : en ce jeudi 30 octobre, matin de révolution, une bande de manifestants s’empare du siège de la Radio-télévision du Burkina (RTB). Armés de bâtons, d’une chemise rose et d’une stéréo portable, ils posent jubilants sur un plateau télé où, à peine quelques heures plus tôt, un journaliste soucieux de ménager le pouvoir en place s’évertuait à reléguer leur révolte au second plan. 

Encore plus saisissant est le contraste entre cette joyeuse troupe et les visages fermés d’un groupe d’officiers qui, au printemps 2012, annonçait à la télévision nationale du Mali voisin qu’ils venaient de renverser le régime du président Amadou Toumani Touré et d’instaurer une junte militaire. Quelle que soit l’issue – à cette heure encore incertaine – de la transition actuellement engagée au Burkina Faso, cette image ne pourra pas être oubliée : en ce 30 octobre 2014, alors que le Parlement s’apprêtait à réviser la Constitution pour permettre au président Blaise Compaoré de se représenter en 2015, c’est bien le peuple burkinabè qui s’est levé en masse pour dire non.

Compaoré a joué, et il a perdu ; en dépit des avertissements d’une société civile toujours plus combative, des manifestations sans cesse plus fréquentes et fréquentées, il s’est obstiné sur la voie d’une révision constitutionnelle hasardeuse. Convaincu qu’après 27 ans au pouvoir, sa propre personne valait plus que toutes les institutions du pays réunies, il a sous-estimé l’aspiration au changement d’une grande partie de la population, et surtout d’une jeunesse qui est née et a grandi toute sa vie dans l’ombre de son portrait officiel. Compaoré serait probablement sorti par la grande porte s’il avait accepté de quitter le pouvoir à l’expiration de son mandat en novembre 2015 ; sa longue carrière de médiateur dans de nombreux conflits ouest-africains aurait pu été récompensée par une position prestigieuse dans une institution internationale. Il n’en sera rien de cela : le pompier devenu pyromane, chassé de son propre pays, est finalement sorti de l’Histoire en catimini.

Dans une réponse éclatante à la mégalomanie des hommes au pouvoir, la foule a subitement laissé éclater sa colère, contenue pendant les manifestations de ces derniers mois. Les leaders de l’opposition, qui avaient lancé une campagne de désobéissance civile quelques jours plus tôt, se sont retrouvés complètement dépassés. De l’Assemblée nationale, envahie et saccagée alors que les députés rentraient dans l’hémicycle, l’insurrection s’est propagée aux locaux de la RTB, et de là à tous les symboles du régime – des bureaux du parti au pouvoir aux résidences privées des proches de Compaoré. Cette opération improvisée d’abolition des privilèges a eu son revers de la médaille, avec des vagues de pillages et la destruction de certains bâtiments publics – comme le Palais de Justice de Bobo-Dioulasso ou l’Assemblée nationale – qui manqueront certainement au Burkina Faso durant les mois à venir. L’opération mana mana, lancée ce samedi 1er novembre pour nettoyer les rues de Ouagadougou, est pourtant de bonne augure pour un retour au calme rapide.

Devant l’ampleur des protestations, l’armée a finalement pris la main. Blaise Compaoré a été contraint de démissionner et a trouvé refuge en Côte d’Ivoire. Divisée pendant près de 48 heures, l’institution militaire s’est finalement accordée sur le lieutenant-colonel Isaac Yacouba Zida pour conduire une transition. Zida semble avoir le soutien des principales organisations de la société civile, qui se méfiaient de son principal concurrent, le général Honoré Traoré, chef d’état-major des armées.

Mais l’intervention de l’armée est loin de faire l’unanimité, et il faut maintenant veiller à ce que cette transition militaire ne s’éternise pas. Même si l’opposition politique est faible et parfois discréditée pour s’être associée dans le passé avec le régime de Compaoré,  il est impératif que le pouvoir revienne aux civils dans les plus brefs délais. Dans un tel climat révolutionnaire, des nouveaux leaders, qu’ils proviennent de l’opposition établie ou de la société civile, vont être amenés à émerger dans les prochaines semaines avec l’assentiment populaire ; c’est à eux, et non pas aux militaires, qu’il doit revenir de conduire le Burkina Faso vers un nouveau chapitre de son histoire politique.

Malgré la confusion de ces derniers jours, l’optimisme est de mise quant au déroulement de cette transition. L’exercice du pouvoir par les hommes en armes, au même titre que les révisions constitutionnelles, est devenu de moins en moins acceptable au cours de ces dernières années : la pression des organisations régionales africaines (CEDEAO et Union africaine), s’ajoutant à celle de la rue, devrait rapidement contraindre l’armée à confier les rênes du pouvoir à des autorités civiles. La transition devrait être étroitement surveillée par les institutions internationales et les puissances occidentales (la France et les États-Unis), qui ne peuvent se permettre de voir le Burkina Faso plonger dans l’instabilité. De plus, contrairement à ses voisins malien ou ivoirien, le Burkina Faso ne connaît pas de divisions régionales ou ethniques susceptibles de précipiter le pays sur la voie de la guerre civile.

Les évènements de ces derniers jours dépassent largement le seul cadre du Burkina Faso. L’insurrection populaire des Burkinabè envoie un signal fort à l’ensemble du continent africain, à sa jeunesse en quête de démocratie, et surtout à tous ces dirigeants qui, comme Blaise Compaoré, rechignent à quitter le pouvoir lorsque leurs États n’ont plus besoin d’eux. Le temps où l’Ouganda du président Museveni modifiait sans broncher sa Constitution pour effacer la limite des deux mandats (2005) est désormais révolu. Du côté de Brazzaville (Congo), Kinshasa (RD Congo) ou Bujumbura (Burundi), les présidents Sassou-Nguesso, Kabila et Nkurunziza ont certainement regardé avec appréhension la chute de leur indéboulonnable collègue, tandis que la vindicte populaire contre les proches de Compaoré a sûrement fait réfléchir plus d’un parmi leur entourage. Une délégation du parti au pouvoir en RDC, présente à Ouagadougou cette semaine pour observer le vote par le Parlement de la révision constitutionnelle, s’est d’ailleurs retrouvée bloquée dans la capitale du fait des manifestations ; espérons qu’une fois de retour à Kinshasa, ils retiendront les enseignements de leur visite en terre burkinabè… 

Vincent Rouget

De notre génération à Mohamed Morsi

Morsi Cover TimePlus que l’insipide « où vous trouviez-vous à l’annonce des attentats du 11 Septembre 2001 ?» (au terrain de foot, dans mon cas personnel), avoir été ou non troublé par ce recours à l’armée pour résoudre une crise politique, dans le cas de l’Egypte et de Mohamed Morsi, introduit une rupture sinon philosophique, du moins intellectuelle, au sein des membres de notre génération. Je suis de ceux qui ont été troublés.

Jusqu’à preuve du contraire, Terangaweb-l’Afrique des Idées n’a pas encore exprimé de position officielle sur le sujet. Cet article sera certainement suivi (en toute probabilité, dès la semaine prochaine) par d’autres contributions, présentant des arguments d’un autre ordre, et peut-être d’une autre teneur. Mais, pas besoin de remonter au peintre autrichien pour savoir que des institutions démocratiques peuvent être subverties et utilisées à des fins autoritaires : les écoutes illégales de la NSA en sont une illustration.

Il se trouve que de l’autre côté de la barrière sahélo-saharienne, ce cas de figure, l’armée intervenant pour « résoudre » une crise politico-constitutionnelle est assez familier. Le plus récent exemple étant le Niger, où les forces armées durent intervenir pour mettre un terme à l’aventurisme politique du Président Tandja qui avait bravé les cours de justice, le parlement et la rue, dans l’idée d’obtenir le droit de se présenter à nouveau aux élections présidentielles. L’intervention de l’armée a été bénéfique pour la démocratie, étant donné qu’elle tint sa promesse et qu’elle a assez rapidement rendu le pouvoir aux civils.

Il se trouve hélas que d’autres exemples existent, de recours aux armées qui n’ont fait qu’amplifier la crise et conduit à la tête de l’Etat des généraux de pacotille, plus ou moins sanguinaires, plus ou moins antidémocrates. De la Côte d’Ivoire au Nigéria, les exemples sont légions.

Dans les pages même de Terangaweb, j'avais dénoncé la rigidité du droit de l’UA qui condamne de façon indiscriminée tous les coups d’états, quel que soit le caractère du régime renversé. La réalité peut-être complexe, les institutions doivent pouvoir s’adapter à cette complexité : qui ici oserait condamner d'avance un coup d'état contre Obiang Nguema?

Certes, mais et les hommes ?

Pour l’agnostique que je suis resté, la notion même d’«Islamisme modéré » me semble une aberration, sinon un mensonge. Je suis incapable de comprendre la dynamique de l’islam politique, du Hamas aux Frères Musulmans ou à l’AKP. Je vois mal Mahomet ou Jésus soumis au suffrage universel. Ou Dieu existe et ses commandements sont des lois, ou il n’est qu’un guide de voyage, aux avis consultatifs : tu ne voleras pas – à moins d’avoir vraiment la dalle, etc. Pour ce que ça vaut et si j’avais des pouvoir dictatoriaux, je crois que j’interdirais aux croyants de participer à la vie politique, une fois pour toute.

Hélas, les libertés de conscience, de culte et d’association sont des droits fondamentaux. Et les Frères Musulmans sont arrivés au pouvoir sur un programme politique fondamentalement illibéral, par des voies démocratiques, dans un contexte de transition non-démocratique. Leur parti longtemps ostracisé semble avoir une assise populaire assez forte, (même si les images de ces hordes de femmes voilées de la tête aux pieds, exigeant l’instauration de la Sharia, sont insupportables).

Il y a peu de chances que ma vie personnelle soit affectée directement et immédiatement, par ce qui se déroule en Egypte. Pourtant, il y a un arrière-goût d’intimidation et de kidnapping dans les propos tenus depuis une semaine par les tenants de l’islamisme politique, en Egypte et à travers l’Afrique du Nord : l’expulsion de Morsi est la preuve que la voie radicale est celle qu’ils auraient dû privilégier depuis le début. Ce n’est pas entièrement rassurant d’être informé que la démocratie leur était un choix par dépit, en attendant mieux.

La gestion absolument chaotique de la présidence par Mohamed Morsi est directement liée au dédain à peine voilé qu’il n’a cessé de démontrer pour ce machin démocratique : de la « déclaration constitutionnelle » aux pressions directes sur les autres pouvoirs, ou l’impression qu’il donnait que tout n’était que question de temps et que l’opposition avait déjà perdu, tout cela aurait dû alerter la plupart des observateurs.

Salvador Dali avait l’habitude de dire : « dans toutes les circonstances importantes de ma vie, je retrouve des évêques allongés sur une chaise longue, à la plage ». Dans mon cas personnel, je peux dire que chaque fois que je suis confronté à une crise morale forte, la page éditoriale du Wall Street Journal m’aide à trouver le bon chemin. Dans un éditorial mis en ligne, ce jeudi, le quoditien américain recommande aux « nouveaux » leaders militaires de l’Egypte de suivre « l’exemple »… du général Pinochet. C’est bien ce que je pressentais : le recours à l’armée pour résoudre des crises politiques ouvre précisément la voie à ce type de régime. C’est pour cette raison qu’il faut condamner le putsch contre Morsi.

Tunisie, Egypte: la « Révolution » et après?

photo 1Il y'a plus de deux cent ans, le vocabulaire politique moderne s’enrichissait d'un nouveau concept: l« Révolution ». Différent de « révolution » qui signifie le mouvement d'un mobile tournant sur lui-même, la Révolution dont il est question ici, est un bouleversement à un moment donné de l'histoire politique, économique et socio-culturelle d'une société donnée par une remise en cause de ses soubassements institutionnels.

Elle donne, pour être authentique, sur un changement palpable de l'appareil étatique par une révision souvent totale de ses fondements institutionnels et constitutionnels. D’une Révolution doit donc découler un nouvel ordre. Toutefois, l'instauration de ce nouvel ordre n'est pas sans risques, sans dangers, sans dérives de toutes sortes.
La Révolution française de 1789 est été caractéristique des dérives que les vagues du changement peuvent entraîner, des débordements qui ont chamboulé non seulement les principes moyenâgeux de la monarchie mais aussi l'intellect de ceux qui, de loin, observaient le changement s'effectuer, prendre différentes formes, connaître quelques soubresauts avant d'être effectif.

Cet après de la Révolution française vit encore, se perpétue. La rupture est consommée et les idées ont évolué et continuent de l’être. On voit que l'authenticité de toute Révolution réside dans sa capacité à faire évoluer les choses dans le bon sens ou plutôt dans le sens présent.
Quid du printemps arabe? Quelles observations découlent de ces soulèvements spontanés des peuples arabes? Le succès immédiat de ces revendications a fait couler beaucoup d'encre dans la presse mondiale. Personne n'a raté le jour où Ben Ali a été « dégagé » de la tête de la Tunisie ou le moment où Hosni Moubarak s'est vu isolé avant d'être demis de ses fonctions par son propre peuple.

photo 2Le printemps arabe a ainsi été la proie d'une sorte de tourisme journalistique voire politico- médiatique au grand bonheur des spécialistes de tout horizon qui n’ont pas manqué de lui donner une valeur hautement symbolique.
Quid de l'après "Révolutions" arabes? Les médias ont accordé moins de crédit à l'après Ben Ali et Hosni Moubarak si ce n'est en orchestrant une sinistre campagne de dénigrement qui ne fit pas long feu. Des partis islamistes ont su tirer profit du changement de régime. Est-ce réellement un changement d'ailleurs? La Révolution a-t-elle vraiment eu lieu dans ces pays?
À la demande de plus de démocratie, plus de liberté et plus de respect des droits fondamentaux et de la dignité humaine, le printemps arabe a-t-il répondu dans le sens positif?
Des dérives autoritaires de Mohamed Morsi qui se prend pour Ramsès II en élargissant, à chaque réveil, ses pouvoirs au risque de rendre l’Egypte ingouvernable aux nouveaux acteurs politiques qui peinent encore à stabiliser l'Etat Tunisien, à palier les déficits structurels et institutionnels, en somme, à répondre aux attentes des révolutionnaires, qui d'entre eux a su instaurer un changement rimant avec évolution?
Le désordre qui s'est installé dans ces pays n'est pas uniquement imputable à l'en soi de la Révolution elle-même. Il témoigne aussi d'une révolution spontanée, mal organisée voire irréfléchie, relayée par un appareil médiatique gardien du dogmatisme intellectuel et des interprétations anticipées, des conclusions hâtives et réductrices.
Les révolutions arabes m'interrogent et m'étonnent sous plusieurs aspects. Elles ont en effet servi à déconstruire, démystifier un appareil d'état patrimonial, sécularisé et verrouillé depuis des générations. Et après? Le chaos, le désordre, en gros le self-help, comme dirait Kenneth Waltz.
Je pense que c'est l'après qui définit toute acte révolutionnaire. La Révolution prend sens au lendemain de son déroulement, à la fin. Elle est donc, à la fois, moyen et fin. Elle doit permettre une renaissance palpable d'institutions sur des bases meilleures donc démocratiques.
Ce qui ne se voit guère au lendemain des printemps arabes. On semble plutôt entrer dans un cercle vicieux des évidences déconstructivistes qui témoigne d'une décadence alarmante et honteuse. Au lieu d'une Révolution, j'ai plutôt l'impression d'avoir vécu un mouvement physique, une simple révolution, brouillonne, bruyante et ennuyeuse, ajoutée à celle de la Terre. J’en conclus qu'ou la Révolution n'est pas encore finie, ou l'on s'est trompé de qualificatif, ou l'on a mal jugé, ou l'on a mal compris, ou l'on a trop anticipé ; on a surestimé une révolte. 

 

Pape Modou Diouf