Tierno Monemembo : L’aîné des orphelins

Tierno Monemembo raconte l'histoire de Faustin Nsenghimana. On ne sait pas grand-chose de ce jeune homme de 12 ans. Quand commence ce roman, il hésite à suivre la foule de badauds. Les massacres sont en cours. Il est seul. Ayant refusé l’invitation de Funga, le sorcier de son village, de le prendre sous sa férule.


Le texte est un cheminement que le lecteur fait avec cet orphelin. Trois ans. Après la folie du génocide des Tutsi du Rwanda. Faustin est un métis. Hutu, tutsi.

La construction de ce roman est assez sophistiquée. L’écriture de Monemembo n’est pas linéaire. Il choisit de lever le voile progressivement sur la personnalité de Faustin par le biais de ses relations avec les enfants de la rue, par les interrogatoires de police, par son interprétation, son déni ou ses absences sur ce qu’il a enduré, par sa relation fantasmée avec Claudine…

Ce sont les vagabondages de sa pensée depuis les geôles rwandaises qui nous sont ensuite transmises. Là encore, il y a un malaise, parce que le lecteur n’a aucune idée des mobiles de son incarcération. La chose qui semble certaine, c’est la solitude de cet adolescent dans la promiscuité d’une prison où acteurs du génocide et délinquants de droit commun se côtoient. Et sa personnalité retors apparaît peu à peu, au fil de ses évocations.

Comment exister quand on a tout perdu ? Comment poursuivre sa route quand on n'a plus de repère ? C’est à cette difficile question que Tierno Monemembo s’attache à répondre en prenant le soin d’interroger le sort des orphelins du génocide rwandais. Il offre, à l’instar de L’ombre d’Imana de Véronique Tadjo, un témoignage dense, bouleversant et magnifique. Des dernières pages de ce roman se dégagent une puissance et une émotion que je ressens encore en pianotant sur mon clavier. Mais au-delà de la folie, on est désemparé par la complexité de la nature humaine. Ce roman est porté par une sorte d’optimisme de Faustin et le sentiment d’une enfance trop tôt éteinte. Il est soutenu par l’espoir de Claudine qui déploie toutes ses compétences et sa personne pour trouver une voie de sortie à l’aîné des orphelins.

Un livre à lire et à faire lire. Je suis particulièrement heureux de découvrir cet auteur au travers de ce texte, et si le Roi de Kahel est de la même facture que ce roman, je comprends l’attribution du Renaudot à cet auteur guinéen.
 
Lareus Gangoueus, article initialement paru sur son blog
 
Editions du Seuil, 1ère parution en 2000
157 pages

Rwanda : le peuple batwa risque de disparaître

Ces quinze dernières années au Rwanda, le nombre de Batwa a été quasiment divisé par deux ! Peu d'entre eux mangent à leur faim, se soignent correctement ou vivent dans des logements décents. Mendier ou disparaître, l'avenir de ces hommes sans terres ni moyens s'annonce sombre… Lentement, mais sûrement, les Batwa disparaissent au Rwanda. Alors qu’ils étaient 45 000 en 1994, puis 35 000 en 2004, le recensement du ministère de l’Administration locale de 2010 n’en comptait plus que 25 000. "Les mauvaises conditions de vie suffiront pour exterminer ces autochtones", met en garde Zéphirin Kalimba de Coporwa (Communauté des potiers du Rwanda, qui compte bon nombre de Batwa), association pour la promotion et la défense des droits des potiers, "le groupe le plus vulnérable et le plus pauvre du pays". Selon M. Kalimba, huit Batwa sur dix mangent à peine une fois par jour et vivent dans un habitat inadéquat. D'où une mortalité croissante.

D’après une étude publiée par Coporwa en juin 2011, à peine un Batwa sur trois accède aux soins de santé à travers les mutuelles ; le ticket modérateur (contribution du patient aux services de santé) les empêche généralement de se soigner. Angélique Nireberaho, vice-maire chargée des Affaires sociales du district de Nyaruguru (Sud), une région qui abrite une importante communauté, confirme : "La mutuelle de santé est gratuite, mais cela n'empêche pas un taux élevé de mortalité infantile. Les Batwa ne participent pas aux programmes d'éducation au centre de santé. Nous voulons déployer un agent social qui s'occupe uniquement d'eux." Craignant de voir leur communauté s'éteindre à jamais, ces derniers ne limitent par ailleurs pas les naissances. Rugero, 32 ans, n’a plus que trois enfants en vie sur les six qu'il a eu au départ. "Imaginez, si j'en avais eu seulement trois, qu'est-ce qui me resterait ? Quand la mort vient en prendre un, le lendemain je mets au monde un remplaçant !"

Ces communautés sont considérées par beaucoup d’historiens comme les plus anciens habitants des Grands lacs et de l’Afrique centrale. Elles se trouvent notamment au Rwanda, au Burundi et dans la partie orientale de la RD Congo. Leur intégration sociale et économique dans la société rwandaise reste cependant extrêmement limitée à cause d'une stigmatisation liée à l’histoire et à la pauvreté. On estime ainsi que, dans tout le pays, 36 Batwa seulement ont atteint l’université…

"Vivre de la poterie"

La poterie représente pour eux une expression de leur identité, mais les terres marécageuses d'où ils tirent l’argile sont en grande partie consacrées à la riziculture collective. A cela s’ajoute la politique de conservation de l’environnement qui freine aussi leur accès à cette matière première… "Ils ont besoin d'argile pour améliorer leur poterie qui peut être un métier rentable, souligne M. Kalimba. Jusqu'à présent, 95 % des Batwa font la poterie traditionnelle, avec des produits vendus à un prix inférieur au coût de production. Une bonne politique nationale spécifique aux potiers devrait les aider à moderniser leur métier", suggère ce responsable de Coporwa.

Ils n'ont guère d'autres choix… Marginalisés, près de la moitié d'entre eux n’ont aucun lopin de terre et la création des aires protégés et parcs nationaux les a chassés des forêts. Actuellement, l’exercice d’enregistrement des terres bat son plein. "S'il se termine sans que les Batwa n'accèdent à la terre, ils vont rester mendiants et dépendants à jamais", pronostique, pessimiste, un potier de Bugesera (Est). En 2007, la mendicité était la première source de revenus de 40 % des membres de cette communauté.

Selon Angélique Nireberaho, "le peu de Batwa qui ont reçu des parcelles dans les villages modernes comme celui de Coko ne veulent pas y habiter ou y cultiver. Ils préfèrent faire des pots." Ce à quoi un responsable de Coporwa répond : "Ils veulent rester semi-nomades, vivre de la poterie, pas de l'élevage ou de l'agriculture. Les intégrer dans la société moderne ne veut pas dire les priver de leur identité".

 

Sam Gody, article initialement paru sur Syfia Grands-Lacs

4 exemples de lutte réussie contre le paludisme

Le paludisme est une maladie qui touche plus de 220 millions de personnes par an et qui en tue environ 785 000, dont 90% en Afrique. Elle est l’une des causes principales de la mortalité infantile en Afrique subsaharienne et la deuxième maladie meurtrière du continent après le VIH/SIDA. Le paludisme n’est pas seulement un énorme problème de santé publique en Afrique, c’est aussi un obstacle au développement. En effet, on estime à 12 milliards de dollars par an, le coût imposé par la maladie en termes de baisse de la productivité potentielle. Selon les économistes, la présence du paludisme dans un pays africain entraîne une pénalité de croissance de 1.3%. Un cercle vicieux s’établit alors, le paludisme apparaissant comme une cause et une conséquence de la pauvreté.

Pendant longtemps, le paludisme a été une maladie relativement négligée. Mais depuis le milieu des années 2000, il existe une vraie mobilisation internationale et un investissement réel de certains gouvernements africains pour lutter contre le fléau. Des programmes ambitieux de lutte ont été mis en place et sont, en général, axés sur : la distribution massive de moustiquaires imprégnées longue durée ; la pulvérisation d’insecticides à l’intérieur des habitations ; le traitement préventif des femmes enceintes ; le traitement des sites où prolifèrent les moustiques ; l’accès à de nouveaux tests de diagnostic rapide, et à de nouvelles combinaisons de médicaments très efficaces à base d’artémisinine, un composé dérivé d’une plante chinoise.

De francs succès ont été enregistrés comme l’illustrent les 4 pays suivants.

Erythrée

En une décennie, l’Erythrée a réduit la mortalité due au paludisme de plus de 90% puisqu’elle est passée de 100 000 cas en 2000 à environ 8000 cas en 2008 ! Ce succès a été obtenu grâce à un engagement fort du gouvernement érythréen qui en plus d’avoir introduit des médicaments anti-paludisme plus efficaces, a traité les sites de prolifération des moustiques, facilité l’accès aux moustiquaires imprégnées et encouragé les populations à pulvériser les intérieurs pour tuer l’agent vecteur de la maladie.

Ethiopie

Comme l’Erythrée, l’Ethiopie a adopté une démarche intégrée de lutte contre le paludisme qui inclut les mêmes axes de lutte. En 2009, l’Ethiopie a lancé un Plan Stratégique National de Lutte contre le paludisme qui à la différence de l’Erythrée a placé en première priorité la responsabilisation et la mobilisation des communautés. Le but du programme était donc, en plus des axes courants de lutte, d’améliorer la compréhension et les compétences des populations en matière d’accès, de suivi et d’évaluation. Des données récentes montrent une réduction nette du nombre de malades du paludisme de même qu’une baisse de 60% de la mortalité chez les mères et de 20% chez les enfants.

Rwanda

La stratégie de lutte contre le paludisme au Rwanda se rapproche beaucoup de celle de l’Erythrée mais elle s’est construite en deux étapes lors de la dernière décennie. En 2005, le Rwanda constatant une résistance largement étendue aux médicaments alors utilisés (une combinaison d’amodiaquine et de sulfdoxine/priméthamine) se rallie à l’utilisation des thérapies à base d’artémisinine, en vogue sur le continent. Grâce à ce virage et aux importants efforts réalisés pour prévenir la maladie, le nombre de décès dus à la maladie déclina de 1.5 million en 2005 à 800 000 en 2008 et la mortalité infantile se réduisit de 32% durant la même période.

Mais ce sont les résultats en matière de prise de conscience et de comportement des populations qui sont les plus encourageants et les plus prometteurs. On note par exemple une augmentation de 40% du taux d’utilisation des moustiquaires imprégnées par les ménages entre 2005 et 2008. Dans la même période, l’accès aux soins de santé hospitaliers a crû de 16.8%. Le Rwanda dont la population toute entière courait jadis le risque du paludisme est aujourd’hui l’un des champions de la lutte contre la maladie.

Zambie

A l’image de l’Ethiopie, le Ministère Zambien de la Santé a adopté un plan de lutte contre le paludisme fait d’interventions spécifiques mais avec en arrière plan une amélioration générale du système de santé. Ce dernier point inclut notamment la décentralisation du planning et de la budgétisation et le renforcement du suivi et de l’évaluation des programmes de santé publique. Les résultats de cette approche ont été probants. 3,6 millions de moustiquaires imprégnées d’insecticides à effet longue durée ont été distribuées entre 2006 et 2008. La pulvérisation d’insecticides à l’intérieur des habitations a elle fait un bond en passant de 15 districts en 2006 à 36 en 2008. En seulement deux ans, le nombre de morts dues au paludisme a baissé de 47% et des réductions de plus de 50% ont été remarquées quant au nombre d’infections et de cas de sévère anémie chez les enfants.

Un document récent publié par la Banque Mondiale intitulé The Malaria Control Success Story (L’histoire du Succès de la lutte contre le Paludisme) renferme de plus amples détails sur les succès présentés ci-dessus. Dans les différents cas mentionnés, la clé du succès a résidé dans la combinaison d’une volonté manifeste du gouvernement à mettre fin à la maladie et d’une mobilisation de moyens financiers importants pour la combattre.

Il faut cependant remarquer que tous les pays africains n’affichent pas des résultats aussi bons. Dans certains pays, la situation stagne voire se dégrade. D’après Eric Mouzin, médecin épidémiologiste au sein du Partenariat international Roll Back Malaria (Faire reculer le paludisme), « C’est le cas, d’une part, de grands pays d’Afrique, comme le Nigeria, ou la République démocratique du Congo, où les défis logistiques pour intervenir auprès des populations sont considérables ; il y a d’autre part des pays qui ont du mal à trouver des partenaires, comme le Tchad, ou la Centrafrique ». Sur le terrain, la situation est donc contrastée mais d’un point de vue global, le nombre de décès dus à la maladie a été réduit de 25% au cours de la dernière décennie.

 

Tite Yokossi

Le Rwanda, une Nation phénix (2ème partie)

 

Les causes de cette Renaissance

Les facteurs explicatifs de cette réussite sont nombreux et il serait vain de vouloir établir une liste exhaustive de ceux-ci. Toutefois, un certain nombre d'entre eux peuvent être dégagés. Autant par commodité que par souci de clarté du propos, ils pourraient être résumés en 4 axes, sans intention de les hiérarchiser :

Une aide massive de la communauté internationale qui a d'une certaine façon voulu racheter son impuissance, si ce n'est sa lâcheté au moment du Génocide. Ce soutien extérieur étant soit de nature inter-étatique, soit non gouvernemental (via le biais des nombreuses ONG). Aujourd'hui, environ 50 % du budget de l'Etat (410 milliards de francs rwandais sur un montant total de 838 milliards en 2009, soit environ 700 millions $) provient de l'aide internationale, une part qui se réduit progressivement au fil des ans. Non pas tant en raison d'un apport financier externe qui diminuerait dans l'absolu, que parce que les ressources domestiques générées sont de plus en plus importantes. A noter que les principaux donateurs sont aujourd'hui anglo-saxons (Royaume-Uni et Etats-Unis), devant les anciennes puissances tutélaires (France, Belgique) qui perdent irrémédiablement de leur influence, bien que toujours partenaires importants. Dans le jeu subtil des rapports géopolitiques, nul doute que le Rwanda a su jouer habilement sa carte, en diversifiant ses interlocuteurs et en s'affirmant comme une puissance régionale sur laquelle il faudra compter pour l'avancement de certains grands dossiers (conflit au Congo, instauration de la Communauté Est-africaine…). Élément important de la réalité rwandaise post-Génocide, l'aide étrangère ne saurait toutefois à elle seule expliquer les résultats spectaculaires obtenus. Elle apporte tout au plus un premier élément de réponse. Continue reading « Le Rwanda, une Nation phénix (2ème partie) »

Le Rwanda, une Nation phénix (1ère partie)

La polémique qui a entouré l'inauguration de la statue de la Renaissance africaine à Dakar, pour les festivités du cinquantenaire de l'indépendance, aura presque réussi à faire oublier le message que le monument veut transmettre: Le réveil du continent noir, faisant fi de ses complexes d'hier, dissipant ses doutes présents, et regardant résolument vers l'avenir. Mais pour que ledit message porte, encore faut-il qu'il repose sur un début de réalité tangible, un précédent. Une voie qui, aussi ténue et perfectible soit-elle, indiquerait une possible piste, un chemin éventuel vers des lendemains meilleurs. C'est ce qu'apporte le Rwanda, dont l'étude du spectaculaire renouveau des dernières années constitue un matériau de choix dans le cadre d'une réflexion plus large sur ce que pourrait être une Renaissance africaine.

Les limites propres à cet exercice sont bien entendu connues. Les spécificités nationales et le contexte d'ensemble rendent difficilement transposables un modèle unique de réussite qui n'aurait plus alors qu'à être dupliqué par chaque pays ; a fortiori plus encore à l'échelle entière du continent africain. Au reste, le Rwanda ne doit nullement être vu comme un modèle (susceptible d'être copié) mais préférablement comme un exemple (susceptible d'être analysé, à la lumière de ses succès et échecs, réussites et insuffisances). Celui d'une nation ayant su insufflé une dynamique nouvelle forte, faite d'une croissance économique élevée profitant au plus grand nombre et d'une stabilité politique enviable, mais qui n'est pas dénué de zones d'ombre. Cette précaution une fois prise, un examen attentif de la Renaissance rwandaise peut à présent être envisagé.

S'agissant de ce pays, le terme de Résurrection paraît même plus approprié que celui de Renaissance, tant il revient de loin et qu'il aura vécu dans sa propre chair la symbolique liée à ce terme : Mort et retour à la Vie. Dans l'imaginaire collectif de notre temps, il restera pour longtemps associé à l'indicible horreur du Génocide contre les Tutsis en 1994. Drame effroyable qui vit un million d'hommes, femmes et enfants (un huitième de la population totale du pays à cette époque) périr sous les coups de machette de leurs propres compatriotes en l'espace d'à peine trois mois. Ce fut finalement le Front Patrotique Rwandais, dirigé par Paul Kagamé, qui parvint à reprendre le contrôle définitif du pays mais sans avoir pu empêcher l'hécatombe.

Depuis, 17 ans ont passé. C'est progressivement une nouvelle nation qui se fait jour, se libérant peu à peu de sa gangue traumatique et de ses cicatrices, et tournant résolument son regard vers l'avenir. A l'image de la mythologie du Phénix, oiseau légendaire qui renaîtrait perpétuellement de ses cendres après s'être consumé sous l'effet de sa propre incandescence et symbole par excellence des cycles de Vie et de Mort, le pays des Mille Collines semble avoir fait sienne cette surprenante faculté de régénération.

Une success story africaine Petit pays d'Afrique Centrale (26.000 km²) dépourvu de ressources naturelles significatives et devant nourrir une population jeune et nombreuse (environ 11 millions d'habitants), le Rwanda a réussi le tour de force d'absorber avec une remarquable résilience les conséquences du choc consécutif au Génocide et de progresser depuis à marche forcée vers le développement. Un bref rappel des faits s'impose. En 1994, l'année du Génocide, en raison des pertes humaines terribles subies et du chaos qui en avait résulté, l'économie rwandaise avait entamé une véritable descente aux enfers, chutant de plus de moitié. Au cours des années qui ont suivi, et sous le strict contrôle de l'actuel pouvoir en place, le pays s'est alors lancé dans une reconstruction nationale considérable, ramenant dès 1999 son PIB (Produit Intérieur Brut) au niveau d'avant le Génocide. En une décennie et demi, la tâche prométhéenne de panser les plaies du passé, redémarrer de zéro, insuffler un sentiment nationaliste dénué de tout ethnicisme, et relancer à toute vapeur la croissance (en moyenne 7 % par an au cours des dernières années, avec un pic à 11,2% en 2008, supérieur à celui de la Chine) tout en renforçant les bases économiques a été accomplie. Toute proportion gardée, ce gigantesque mouvement collectif d'efforts concertés, tendu comme un seul corps vers cette Renaissance est comparable à la dynamique du Japon de l'ère Meiji, au miracle allemand de l'après guerre, à la vague montante de la Chine de Deng Xiaoping.

Pays agricole et rural, où près de 90 % de la population vit encore d'une agriculture de subsistance, le Rwanda n'en a pas moins une conscience aiguë des enjeux et défis de demain. Les autorités du pays ont ainsi proposé au début des années 2000 la mise en place d'un projet national transformationnel, à l'échelle de deux décennies, et fort ambitieusement dénommé "Vision 2020". Vaste plan qui vise à faire du Rwanda à l'horizon 2020 un pays émergent à revenu intermédiaire, et pariant pour ce faire dès aujourd'hui sur le "triptyque gagnant" : Un développement massif d'infrastructures modernes, un cadre politique stable et libéral (le Rwanda est classé depuis plusieurs années par la Banque Mondiale dans son rapport "Doing Business" comme l'un des pays les plus réformateurs au monde en matière d'environnement économique), enfin la primauté accordée à l'économie du Savoir et aux nouvelles technologies. Devenu un véritable leitmotiv national, Vision 2020 se veut l'étalon de mesure ultime, à l'aune duquel toutes les forces vives doivent converger pour réaliser cette grande entreprise.

 

Image de synthèse du futur Convention Complex de Kigali Les résultats sont déjà visibles : Le pays, à commencer par sa capitale Kigali, est un chantier à ciel ouvert permanent où les entreprises chinoises, aidées de leurs sous-traitants nationaux et de leur main d'oeuvre locale, s'affairent pour achever dans les temps les ouvrages qui seront plus tard livrés à leur commanditaire. Les gens, petites comme grandes, se lèvent tôt, travaillent dur et trouvent souvent encore le temps de suivre des cours du soir dans l'un des nombreux établissements d'enseignement technique et supérieur qui ont éclos dans le pays au cours des dernières années. Les uns pour apprendre l'anglais (devenu de facto principale langue d'enseignement du pays depuis 2008, en remplacement du français), les autres pour obtenir une spécialisation financière ou informatique, tous pour saisir les opportunités de ces temps nouveaux et ne pas rester à quai. Une classe moyenne de fonctionnaires et de commerçants apparaît progressivement, tandis qu'une bourgeoisie naissante goûte aux joies de la grande consommation dans les nouveaux temples commerciaux du centre-ville, ouverts non-stop.

Certes, tout n'est pas rose. Au pays de Kagamé, il est recommandé de rester dans le rang et de ne pas faire de vague. Certains observateurs soulignent la mainmise absolue du FPR (actuel parti au pouvoir) sur les destinées de la Nation, le bâillonnement de l'opposition et parfois la disparition pure et simple de certains de ses membres. La majorité s'accordera en tous les cas à reconnaître, et avec raison, le dirigisme assumé des autorités et le nationalisme sourcilleux qui peut à l'occasion être affiché, au gré de l'actualité (relations avec la France, rapport de l'ONU sur les supposées exactions passées des forces armées rwandaises au Congo…). Néanmoins, le pouvoir en place dispose d'une légitimité populaire incontestable. Celle d'hier, acquise de haute lutte sur les champs de bataille et qui permirent in fine d'arrêter les dernières exactions du Génocide et de ramener à la normale la trajectoire tragique du pays. Celle d'aujourd'hui, liée au miracle économique et à la prospérité pour tous.

Plus prosaïquement, la vie est chère, pénible condition d'un modeste pays sans accès à la mer, qui dépend intégralement de ses grands voisins limitrophes (Tanzanie, Kenya, Ouganda) pour son approvisionnement. Les salaires demeurent faibles également, même si ils sont en progression constante car tirés par la croissance et le besoin de plus en plus pressant de collaborateurs qualifiés et compétents. Parents et étudiants se plaindront du coût de la scolarité, prohibitif au regard du revenu d'un ménage moyen, surtout s'agissant des études supérieures (600.000 francs rwandais par an, soit 1.000 $ environ). Mais cela ne les empêchera nullement de s'acquitter du montant exigé, car cette charge immédiate est considérée ici encore plus qu'ailleurs comme un investissement indispensable pour le futur.

 

Cérémonie de remise de diplômes au Rwanda Les chiffres parlent d'eux mêmes : 1 Université Nationale en 1994 pour environ 5.000 étudiants ; aujourd'hui 13 établissements d'enseignement supérieur (6 publics et 7 privés, sans compter les actuelles demandes d'accréditation) pour plus de 45.000 étudiants. Quant au taux d'alphabétisation à l'échelle du pays, il est passé durant ce laps de temps de 48 % à plus de 70 %. Certes, il est bon de rappeler que cette tendance à la massification de l'éducation touche aujourd'hui toutes les zones en développement du monde, à commencer par l'Afrique. Mais rares sont les exemples d'un tel saut quantique.

Dans le domaine de la santé aussi, le pays montre la voie. En instaurant le dispositif de la Mutuelle, le Rwanda peut se targuer d'avoir l'une des meilleures couvertures de soins médicaux du continent. Couverture maladie universelle, la Mutuelle permet à tout un chacun de bénéficier des équipements et services médicaux de base, et ce moyennant le paiement d'une annuité de 1000 francs rwandais par personne(1.6 $ environ), auxquels seront rajoutés les coûts liés au ticket modérateur, principe selon lequel le patient prend à sa charge 15 % (Le reste étant subventionné par l'Etat) des frais de son ordonnance. Et pour les personnes désireuses d'une offre de services de santé plus sophistiquée et complète, des mécanismes d'assurances privées sont bien entendu proposés en parallèle, au prix du marché dans ce cas de figure. Seul point noir majeur : un taux de prévalence du Sida élevé, fort heureusement en diminution régulière depuis plusieurs années grâce à une effective politique de prévention et à la généralisation de nouveaux traitements (trithérapie).

Dans ce contexte, on ne sera guère étonné d'apprendre que nombre de rapports et études des principales institutions financières internationales (FMI, Banque Mondiale, Banque Africaine de Développement…) soulignent avec un confondant unanimisme, les remarquables progrès accomplis par le pays depuis le début de l'ère post-Génocide. Dans tous les domaines socio-économiques de quelque importance (croissance économique stable et conséquente, dépenses publiques importantes en matière de santé et d'éducation, haut niveau de bonne gouvernance, faible niveau de corruption, niveau de sécurité élevé, environnement des affaires qualifié de "stable et attractif"…), les félicitations succèdent aux dithyrambes. A une époque où calamités et autres mauvaises nouvelles semblent frapper avec une perverse régularité l'Afrique, générant par ricochet et pas toujours à tort des représentations souvent sombres du continent Noir, l'exception rwandaise constitue un salutaire exemple d'indéniable réussite.

Interrogé en Juillet 2009, le journaliste vedette Fareed Zakaria de la chaîne américaine CNN n'hésitait pas à qualifier le pays de "plus belle success story d'Afrique" (Africa's biggest success story), opinion éminemment subjective que l'on pourra toujours discuter mais aucunement infondée et traduisant au fond assez bien le nouveau regard positif de la communauté internationale à l'égard du pays.

Jacques Leroueil

Bibliographie sur le sujet "A Thousand Hills: Rwanda's Rebirth and the Man Who Dreamed It" (anglais), de Stephen Kinzer "Paul Kagame And Rwanda: Power, Genocide and the Rwandan Patriotic Front" (anglais), de Colin Waugh "Rwanda : histoire d'un génocide" (français), de Colette Braeckman

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