Zimbabwe : voyage au bout de la nuit

Les superstitieux y verront sans doute une confirmation de leur mauvais présage. Dernier pays dans l'ordre alphabétique, le Zimbabwe occupe également la dernière place du classement des Nations Unies sur le développement humain. Une triste position de lanterne rouge qui témoigne de l'état de déliquescence engendré par la crise aiguë que connaît le pays depuis une décennie maintenant. Opposition baillonée et violation récurrente des droits de l'homme, mise au ban de la communauté internationale, corruption endémique et clientélisme, hyperinflation et économie en lambeaux, délabrement inquiétant des structures sanitaires et éducatives, taux de prévalence élevé du VIH et espérance de vie en chute libre, émigration accélérée des forces vives de la nation…

Dans la vaste galerie des trophées chers aux afro-pessimistes, le Zimbabwe est assurément une pièce de choix. Celle que les esprits chagrins du continent noir montrent afin de conforter leur propos, balayer définitivement toute objection, comme pour dire d'un air entendu : "Vous voyez, c'est bien ce que je vous disais…" Un condensé poussé jusqu'à la caricature de toutes les tares frappant encore l'Afrique, où même les meilleures volontés s'échinent à trouver des motifs d'espérance.

Il semble y avoir dans le destin contemporain du Zimbabwe une fatalité dont la logique défie le bon sens. Voilà une nation qui est à bien des égards favorisée : des ressources minières importantes, des terres fertiles en abondance, un réseau décent d'infrastructures laissé par l'ancien colonisateur britannique, et surtout une population jeune et proportionnellement mieux éduquée que dans bon nombre d'autres pays africains. Une combinaison a priori gagnante et qui permettait de justifier un optimisme de bon aloi lorsque le pays accéda définitivement à l'indépendance en 1980. Trois décennies plus tard, l'espoir raisonnable de lendemains meilleurs s'est mué en défiance absolue. Tragique présent fait d'accablements, et sans perspective immédiate d'horizon plus dégagé.

Un pays en faillite

Précaire, difficile, préoccupante, catastrophique… Les qualificatifs pour juger la situation actuelle du Zimbabwe donnent le ton. La violation des droits élémentaires de la personne restent pratique courante et malheur à qui ose protester. Le tout puissant parti ZANU-PF continue toujours d'exercer son impitoyable magistère et contrôle sévèrement médias, armée, police, services secrets et justice. Il lui faut bien cela pour faire le vide autour de lui et régner sur un pays en banqueroute, où 95 % de la population active est au chômage (terreau propice au secteur informel et aux combines en tous genres qui sont nécessaires à la survie de tout un chacun). Autrefois grenier de toute l'Afrique Australe, le Zimbabwe est désormais dans la situation ubuesque de vivre sous perfusion de l'aide alimentaire mondiale (près de la moitié de ses 12 millions d'habitants avait ainsi besoin d'une assistance nutritionnelle en 2008). L'expropriation massive des fermiers blancs alliée à un clientélisme dévastateur (consistant principalement à redistribuer les terres ainsi libérées aux anciens compagnons de lutte de la guerre d'indépendance) auront à cet égard été particulièrement néfastes.

Conséquence de la dégradation continue des infrastructures, les coupures d'électricité sont légion et les systèmes éducatifs et sanitaires partent à vau l'eau. S'agissant de ce dernier, les conditions sont désastreuses : fermeture de structures hospitalières pour défaut de paiement des fonctionnaires, choléra endémique, prévalence élevé du VIH (près d'un cinquième de la population adulte est infecté, un des plus forts taux de la planète) et chute continue de l’espérance de vie (tombée de 60 ans à 45 ans entre 1990 et 2009).

Cette conjonction de difficultés ne pouvait qu'aboutir à une catastrophe économique. Le PIB actuel est ainsi inférieur à ce qu'il était en 1980, au moment de l'indépendance. 30 ans pour rien. Quant à l'inflation, les zimbabwéens se souviendront pendant longtemps des dernières années de la décennie 2001-2010. Au pic de la crise économique à la fin de 2008, alors que le monde entier faisait face au spectre de la pire dépression depuis 1929, le pays s'asphyxiait à lutter en vain contre une hyperflation qui ravageait le pouvoir d'achat de ses résidents, déjà dérisoire.. Un taux annualisé de 231 millions % et 1 $ américain correspondant à un peu plus de… 11 milliards de $ du Zimbabwe. Dans l'histoire contemporaine, il faut remonter à l'Allemagne vaincue de la république de Weimar des années 20 pour pouvoir disposer d'un exemple comparativement équivalent.

Un problème nommé Robert Mugabé

Alors, à qui la faute ? On ne saurait réduire l'explication de la trajectoire (malheureuse) de toute une nation à un seul élément. Pourtant, s'il était donné de fixer un visage à la fatalité qui touche si durement le Zimbabwe, celle-ci prendrait les traits d'un vieillard cacochyme et ombrageux. Vindicatif, tout en étant doué de lucidité et de rouerie. Et quand cette fatalité personnifiée se trouve tenir le gouvernail du navire depuis plus de 30 ans, les conséquences ne peuvent qu'être à la mesure du pouvoir exercé sur les destinées de la nation : énormes. Hier héros de la guerre d'indépendance et chef d'Etat portant sur les fonds baptismaux la jeune nation zimbabwéenne, Robert Mugabe n'est plus aujourd'hui qu'une figure lugubre de président s'accrochant désespérément à un pouvoir qui l'a enivré jusqu'à la dernière extrémité. Résumant fort justement le cas Mugabe, un article paru sur le site d'information Rue 89 le qualifiait de "libérateur devenu oppresseur". On ne saurait mieux dire.

L'homme est complexe. De Mugabe le chef de guérilla en Rhodésie du Sud (ancien nom du Zimbabwe avant l'indépendance), on retiendra le courage, la combativité et la détermination. Courage d'affronter un adversaire aux forces très souvent supérieures. Combativité lorsque le révolutionnaire "Comrade Bob" dirigeait en personne les opérations coups de poing de la ZANLA (branche militaire et clandestine de la ZANU), au péril souvent de sa propre vie. Enfin, détermination à ne jamais abandonner la lutte, et ce en dépit de toutes les afflictions qu'il eut à connaître (10 ans de prison entre 1964 et 1974, perte de nombre de ses proches…) jusqu'à la victoire finale des accords de Lancaster House qui aboutirent à la véritable indépendance du pays en 1980 (par opposition à celle décrétée unilatéralement par la minorité blanche en 1965 et fondée sur un régime raciste similaire à l'apartheid du voisin sud-africain). C'est le Mugabe héros, celui chanté et célébré par toute une nation en liesse il y a trente ans. Mais un homme doit toujours être pris d'un bloc, afin d'être pesé et jugé à l'aune de ses forces et faiblesses, sa part de grandeur et de compromissions.

A cet exercice délicat, l'actuel président zimbabwéen a échoué, d'ores et déjà condamné unanimement par ses contemporains. Quant à la Postérité, elle se chargera probablement de remettre en perspective ce singulier parcours, mais on a peine à croire que son jugement sera différent. Personne ne pouvait prédire en 1980 ce qu'il adviendrait au cours des décennies suivantes. L'observateur attentif de l'Histoire a néanmoins pour lui cette faculté de regarder la séquence des évènements a posteriori et d'en tirer ainsi une logique susceptible de clarifier le cheminement ultérieur suivi. Tout ce raisonnement pour répondre à cette lancinante double question : comment en est-on arrivé là ? Et à qui en incombe la responsabilité ?
La mainmise écrasante du parti ZANU-PF aujourd'hui fait oublier qu'il ne fut pas le seul récipiendaire de la légitimité acquise dans le sang et les larmes, pour la lutte indépendantiste. Au vrai, il fut précédé par un autre grand parti historique, le ZAPU, et trouva à se distinguer en jouant sur la corde ethnique (les Shonas majoritaires de Mugabe face aux Ndébélés dont était issu l'autre grand leader, Josuha Nkomo). Première erreur funeste de divisionnisme, et qui atteindra son paroxysme au début des années 80 par la violente répression dont furent victimes les Ndébélés(10.000 morts). En tant que membre fondateur et dirigeant du ZANU, puis plus tard chef du gouvernement, la responsabilité de Mugabe est incontestable.

L'arrivée aux affaires de ce dernier à partir des années 80, correspond à un violent retournement de conjoncture économique, le prix des matières premières exportées par le Zimbabwe chutant fortement (et partant les recettes générées au profit de l'Etat et des opérateurs économiques). Une contingence extérieure aux effets négatifs, qui ne relève donc pas de la responsabilité du pouvoir zimbabwéen. En revanche, les réponses apportées à cette nouvelle donne le furent et force est de constater qu'elles s'avérèrent désastreuses (mesures protectionnistes contre-productives, établissement de la loi martiale pour mater toute agitation sociale, stigmatisation raciale de la minorité blanche et expropriation de ses terres, clientélisme forcené pour s'assurer la base des supporters du ZANU, souvent composée d'anciens guérilleros démobilisés et sans ressources).

A partir des années 2000, face à l'effondrement économique, à la contestation sociale grandissante et aux protestations internationales, Mugabe a alors sciemment décidé de jouer l'épreuve de force. Quitte à voir tout l'édifice s'effondrer. Au mépris de son propre peuple, et en foulant aux pieds des précédents idéaux révolutionnaires. Un nouveau Néron pyromane contemplant Rome en train de brûler.

Un fragile espoir à confirmer

Il ne pourra lutter indéfiniment contre le vent du changement historique. D'autant plus que celui-ci frappe déjà à la porte. Après une campagne électorale pour les présidentielles de 2008 marquée par la violence et la fraude massive, le rapport de force s'est progressivement détérioré pour Mugabe. Sous la pression grandissante de la société civile et des états voisins, un gouvernement d'union nationale avec Morgan Tsvangirai (le dirigeant du parti d'opposition MDC) a été mis en place depuis février 2009. Ce changement est assurément porteur d'espoir. Mais d'un espoir qui se veut mesuré et lucide, car ayant conscience des innombrables difficultés et contrariétés rencontrées dans l'exercice effectif du pouvoir. Rien n'est gagné et deux ans et demi après la constitution de ce gouvernement élargi, Mugabe bloque toujours l'accord concernant l'équilibre des pouvoirs.

De petites améliorations apparaissent pourtant. L'hyperinflation a finalement été stoppée par un moyen radical : L'abandon du dollar zimbabwéen au profit du dollar US. Tant pis pour la souveraineté économique nationale mais dans les présentes circonstances, c'était très certainement la meilleure décision à prendre. Les salaires des fonctionnaires sont de nouveau payés, ce qui a permis de rouvrir écoles et hôpitaux. Les denrées alimentaires qui avaient au plus fort de la crise disparues des échoppes réapparaissent et le pays revient progressivement à un semblant de normalité. Les indicateurs sociaux ont cessé de chuter et après une décennie de récession économique profonde, le pays a enregistré un taux de croissance de 5.9 % en 2010. Conséquence de la remontée du cours des matières premières et d'un environnement socio-politique plus stable.

Cette reprise demeure cependant extrêmement précaire, car à la merci d'un possible retournement. Tant conjoncturel que (surtout) politique. En la matière, les écueils à surmonter au cours du proche avenir ne manqueront pas. Le bras de fer Mugabe-Tsvangirai est plus que jamais d'actualité, celui-ci s'étant récemment cristallisé sur les prochaines présidentielles, qui devraient finalement avoir lieu en 2012. Mugabe, fidèle à lui-même, s'est déclaré candidat à sa propre succession. Il est plus que jamais dans une logique jusqu'au boutiste où tous les coups sont permis, et où la force seule prévaut. Et puis il y a enfin cette dernière inconnue qui plane, telle une épée de Damoclès : quid après la disparition du vieux dirigeant ?

Pour un homme de sa génération arrivé au soir de sa vie, et qui aura consacré une grande partie de celle-ci à lutter pour accéder au pouvoir, et le conserver ensuite coûte que coûte, la perspective du néant est probablement terrifiante. Mais pour son adversaire plus jeune qu'est Tsvangirai, nul doute que l'hypothèse ne soit à considérer avec la plus grande attention. Le leader du MDC sait pertinemment que le temps joue pour lui, et que la patience est une vertu en politique. N'en déplaise à certains de ses partisans qui estiment que le changement tant espéré ne s'est pas encore matérialisé et que chaque jour qui passe est une trahison de plus au regard des attentes immenses de tout un peuple qui, trois décennies après son indépendance officielle, attend toujours de pouvoir assumer librement son Destin.
 

 

Jacques Leroueil

 

Ces chefs d’Etat à qui il faut dire « Dégage! »

Blaise Compaoré, sous ses airs de médiateur et de faiseur de paix dans les crises africaines, est un assassin de grand chemin. Au palmarès de son régime, le Président burkinabé compte Thomas Sankara, Henri Zongo et Jean Baptiste Boukary Lingani, mais aussi le journaliste Norbert Zongo et tout dernièrement le jeune Justin Zongo. Cet ancien parrain politique de Charles Taylor a aussi soutenu l’Unita en Angola et la rébellion ivoirienne. Son pays est une base arrière pour tous les conflits d’Afrique de l’Ouest et ce fourbe fait office de sage en Afrique. Quel triste sort que celui de ce continent ! Arrivé au pouvoir par coup d’état en octobre 1987, ce militaire a réussi à se faire élire à 4 reprises avec des scores de 80%, à coups d’intimidations, de fraudes massives et de tripatouillages constitutionnels. Il fait aujourd’hui face à des mutineries, y compris au sein de sa propre garde personnelle, et à de vives protestations de la part des étudiants et d’autres couches de la société. Il ne faudrait pas que son régime y survive. Blaise dégage !

Paul Biya dirige de main de fer son pays depuis 1982 et l’essentiel des 19 millions de Camerounais n’ont connu que lui. Il a réussi la prouesse de faire passer le Cameroun du statut de pays à revenu intermédiaire à celui de pays très pauvre et son régime a institutionnalisé la corruption en mode de gouvernance. Mais c’est surtout au plan politique que Paul Biya donne toute la mesure de son autoritarisme. Au début des années 1990, l’homme n’a concédé un semblant d’ouverture démocratique qu’au prix d’un massacre de plusieurs centaines de personnes. A la suite de sa volonté de supprimer la limitation des mandats présidentiels telle qu’initialement prévue par l’article 6.2, le roi fainéant a encore autorisé l’armée à tirer à balles réelles sur ses propres concitoyens fin février 2008. Depuis cette constitutionnalisation unilatérale d’une présidence à vie, ce catholique formé à Louis-le-Grand, à la Sorbonne et à Sciences Po Paris est devenu Biya l’Eternel. 2011 est une année d’élection présidentielle au Cameroun et il faut que Biya aussi dégage !

Denis Sassou Nguesso occupe les devants de la scène politique congolaise depuis…1979. Il n’a donné de répit à son peuple que pendant un intermède de 5 ans, juste le temps de perdre les élections de 1992 et de revenir en 1997, par les armes et avec le soutien de l’Angola, à la suite d’une guerre civile post-électorale extrêmement violente. C’est dire à quel point cet homme est obnubilé par le pouvoir. Que 70% de sa population vivent avec moins d’un dollar par jour alors que la manne pétrolière est captée par une petite minorité, cet homme n’en a cure. Il préfère organiser des simulacres d’élections et dilapider à New York ou à Paris l’argent de son peuple. Il est l’un des principaux chefs d’Etat impliqués dans l’affaire des biens mal acquis. Après la mort de son beau fils Omar Bongo, Sassou Ngesso est devenu le symbole vivant et dégoutant de plusieurs décennies de Françafrique. Sassou Ngesso dégage !

Eduardo Dos Santos est sans doute le plus grand voleur d’Afrique, en concurrence avec son homologue Obiang Nguema. Il a érigé un détournement systématique de la manne pétrolière de l’Angola à son profit. Un rapport de l’ONU a ainsi prouvé que plus de 4,5 milliards de dollars de recettes liées aux ventes de pétrole n’étaient pas déclarées dans le budget de l’Etat. La clique du MPLA au pouvoir et de leurs affidés est une véritable mafia, un tique qui suce le sang du peuple angolais. Malgré les richesses minières et pétrolières du pays, 60% de la population vit sous le seuil de pauvreté. Malgré les immeubles haut-standing qui se construisent à Luanda, la majeure partie de la population de la capitale angolaise vit dans des bidonvilles indignes. L’Angola mérite mieux que cette classe politique qui a gardé ses réflexes prédateurs du temps de la guerre civile. Pour toutes ces raisons, Dos Santos dégage !

Teodoro Obiang Nguéma : Cet homme est une caricature ambulante. L’incarnation de l’Afrique bananière des bande-dessinées. Le fantôme contemporain des Bokassa et autres Mobutu Sesse Seko, en plus intelligent peut-être. Arrivé au pouvoir en 1979 par un coup d’Etat contre son oncle dont il était le chef d’Etat-major, Teodoro n’a eu de cesse depuis de faire de son pays sa propre ferme, des puits de pétrole équato-guinéens ses propres vaches à lait. Ses fils jouent les stars américaines à Hollywood tandis que les à peine 650 000 d’habitants de la Guinée-Equatoriale vivent privés de tout confort et manquant pour beaucoup du minimum vital. La Guinée Equatoriale est un eldorado pour quelques privilégiés et investisseurs étrangers, un enfer pour tous les autres. C’est peut-être le plus gros gâchis d’Afrique en rapport à son potentiel. Pour le bien du peuple équato-guinéen, Teodoro dégage !

Robert Mugabe est un Nelson Mandela qui a très, très mal tourné. Secrétaire Général de la Zimbabwe African National Union au début des années 60, alors que le pays est sous le joug d’une minorité blanche dirigée par Ian Smith, Robert Mugabe sera emprisonné pendant dix ans, de 1964 à 1974. Libéré en 1975, il rejoint le Mozambique d’où il participe à la lutte de libération du pays. La guerre terminée, Mugabe l’ancien prisonnier, le héros est élu Premier Ministre en 1980. Il opte pour la réconciliation nationale et forme un gouvernement d’union auquel participent toutes les fractions/partis rivaux y compris l’ancienne minorité blanche. Et puis, il y aura l’exacerbation des rivalités entre la ZANU et la Zimbabwe African Peoples Union, autre mouvement de résistance. Puis la Gukurahundi, la répression sanglante dès 1982 par les troupes de Mugabe des partisans de la ZAPU, quelques milliers de morts, beaucoup lors d’exécutions publiques. Et puis la fusion des deux mouvements en 1987. Puis la réforme agraire ratée, l’échec de la socialisation de l’économie, l’invasion du Congo, la catastrophe économique, sociale, alimentaire. Après viendront parachever le désastre, le tripatouillage des élections législatives et présidentielles en 2008. La répression des partisans de Tsvangirai. Et enfin le Robert Mugabe, autocrate sanguinaire, despote spoliateur, que l’on connaît aujourd’hui. Vraiment, Robert Mugabe doit dégager !

Mswati III. Sa majesté Mswati III. Ingwenyama. Le Lion. Chef de la tribu des Dlamini. 43 ans. 14 épouses. 24 Enfants. 200 frères et sœurs. Mswati, troisième du nom. Roi du Swaziland. Monarque absolu, dirige par décret et nomme le Premier Ministre et les Juges. 10% de la population swazi – essentiellement, la très large famille royale, ses alliés et obligés – concentre 60% de la richesse du pays. 69% des sujets du bon Roi Mswati III vivent avec moins d’un dollar par jour. 300.000 d’entre eux ne survivent que grâce à l’aide alimentaire mondiale. Les heureux habitants du royaume de Swaziland meurent en moyenne à 38 ans, à cause du fort taux de prévalence du VIH. Mswati III, né Prince Makhosetive (« Roi des Nations ») Dlamini, 67e fils du Roi Sobhuza II, a une fortune personnelle estimée à 100 millions de dollars et s’est alloué 13 millions d’euros, en 2004, sur les fonds publics, pour la construction d’une résidence pour ses épouses. Mswati III réprime aujourd’hui dans le sang les opposants et simples citoyens protestant contre la cérémonie prévue pour célébrer, toujours dans le faste le plus abject, les vingt-cinq ans de son arrivée au pouvoir. Faut-il encore préciser que Mswati III doit dégager ?

Le Makhzen. Nous ne serons pas plus royaliste que le roi. Dans leur grande majorité, les manifestants marocains ne demandent pas tant le départ du roi Mohamed VI que la fin du système monarchique archaïque qui a fait de l’arbitraire et des passe-droits la règle, des Marocains des sujets passifs et non des citoyens responsables. Le mouvement du 20 février, mouvement des citoyens qui appellent au changement, veut la fin de ce système, le makhzen. Ils veulent faire du Maroc non pas un pays qu’il fait bon visiter, mais un pays où il fait bon vivre. Ils devront faire face aux pesanteurs du système, dont le personnel politique, à commencer par le roi lui-même, compte bien rester en place. Ils devront donner tort à la célèbre formule du Guépard : « tout changer pour que rien ne change ». Il faut que le makhzen dégage !

Abdellaziz Bouteflika : Ce n’est pas insulter le rôle historique qu’a pu jouer Bouteflika dans l’histoire contemporaine de l’Algérie que de dire que son troisième mandat est le mandat de trop. Un vieillard retranché dans son palais ne peut pas diriger un pays jeune, dynamique, sous tension économico-sociale, en pleine mutation. Il faut quelqu’un auquel les jeunes générations puissent s’identifier, quelqu’un qui soit au centre de l’action et au milieu de son peuple, quelqu’un qui insuffle de l’énergie. Bouteflika est un dinosaure d’un autre temps. Il aurait dû quitter la scène au bon moment. Réformer le système avant qu’il n’y soit contraint par le peuple. Un système sclérosé, gérontocratique, élitiste, militariste, corrompu, auquel il faudra s’attaquer et réformer de fond en comble pour améliorer la redistribution des richesses au-delà des seuls investissements en infrastructures. Pour que la nouvelle Algérie puisse prendre son envol, Bouteflika dégage !

Omar el-Béchir : Le président soudanais est accusé de crimes contre l’humanité par le Tribunal Pénal International. Sous sa présidence, son pays a connu des massacres terribles au Darfour et une guerre civile meurtrière au Sud-Soudan. Qu’il les ait personnellement guidés ou non, Omar el-Béchir est responsable. Responsable de la division interne au Soudan ; de la haine attisée entre les différentes composantes de sa population. Héritier d’une autre époque, celle de l’islamisme d’Etat triomphant, Béchir s’est reconverti depuis dans le développement à coups de pétrodollars chinois. Paria de la communauté internationale, acteur central des intrigues et exactions des années sombres du Soudan, il est aujourd’hui un boulet pour son pays qui cherche à aller de l’avant et à tourner la page. Suffisant pour dire, Omar dégage !

Isayas Afewerki. Le parcours d’Isayas Afewerki est typique du « Père » de l’indépendance Africain, lorsque celle-ci a été acquise par la voie des armes. Après une guerre de trente ans contre l’Éthiopie, en 1991, l’Érythrée obtient son indépendance (de facto, l’accession officielle se fera deux ans plus tard). Afewerki à la tête de l’Eritrean People's Liberation Front, accède au pouvoir. Son armée devient le People's Front for Democracy and Justice, parti unique. La constitution rédigée en 1998 n’a jamais été implémentée. Afewerki dirige seul, emprisonne les dissidents (chaque fois plus nombreux et plus proches de lui), interdit la presse indépendante, a chassé les ONG internationales du pays et se livre depuis une dizaine d’années à un aventurisme militaire dans la région. Isayas Afewerki déclarait en mai 2008 : « les élections polarisent la société ». C’est pour cette raison qu’il a décidé de les « repousser » de trois ou quatre décennies. Isayas Afewerki… Dégage !

Yoweri Museveni dirige l’Ouganda depuis 1986. Il fit partie, dans les années 1990, avec Paul Kagamé, Meles Zenawi et Isayas Afewerki de la… « Nouvelle génération de Leaders Africains ». Tous quatre sont arrivés au pouvoir par les armes. Museveni avait pourtant bien commencé. Hormis une première période marxiste-léniniste, sa première décennie au pouvoir le voit organiser un système politique avec restriction de la représentation politique – les partis politique sont autorisés, mais les candidats se présentent en tant qu’individus, hors parti – certes, mais un gouvernement élargi et à composante multiethnique et une relative restructuration de l’économie. Puis, dans cette région troublée des Grands Lacs, il y eut la seconde Guerre du Congo – 5 millions de morts – la répression des mouvements rebelles – dont la sinistre Armée de Libération du Seigneur – la réforme constitutionnelle suspendant la limite de deux mandats, l’intimidation et l’emprisonnement des opposants. Yoweri Museveni est au pouvoir depuis vingt-cinq ans. Les fleurs de la « nouvelle génération » ont fané. Museveni doit dégager !

Abdoulaye Wade, au pouvoir depuis 2000 (seulement !), est un octogénaire sénile que sa mégalomanie a perdu. Après avoir fait rêver le Sénégal, il s’est attelé avec zèle à la dégradation de toutes les institutions publiques. Il a préféré humilier tous ceux que le pays comptait de compétents pour s’entourer d’ignares et de roublards de tous bords devenus les thuriféraires du régime. Il a ensuite confié la conduite du pays à son fils Karim pressenti pour lui succéder dans le cadre d’une dévolution monarchique du pouvoir. Au nom du père, du fils et du saint esprit ambiant, l’alternance politique est devenue une alternoce, cette course avide à qui s’enrichit le plus en un temps record. Malgré ses grandes idées pour l’Afrique, au Sénégal, sa stratégie de croissance accélérée est un échec patent. Ne pas arrêter ce vieillard et le clan qui l’entoure est un crime de non assistance à un pays en voie de sous-développement et de recul démocratique. Wade dégage !
 

Joel Té Léssia, Emmanuel Leroueil, Nicolas Simel Ndiaye

Le Zimbabwe entre impunité et cycles de violence

L'impunité est une  constante de l'histoire contemporaine du Zimbabwe. Cette impunité est rendue possible par la section 31I de la Constitution zimbabwéenne, qui accorde un droit de grâce exclusif au président de la République. Depuis l’indépendance du pays, Robert Mugabe a utilisé à trois reprises cette prérogative pour réduire les peines ou empêcher les poursuites judiciaires contre les membres des forces de sécurité ou membres et alliés de son parti politique la ZANU-PF (Zimbabwe African National Union – Patriotic Front) :

– En 1988, dans le cadre d’un accord d’unité entre la ZANU (Zimbabwe African National Union) et la ZAPU (Zimbabwe African People’s Union), une amnistie est promulguée pour toutes les violations des droits de l’homme commises par les membres des forces de sécurité et « dissidents » entre 1982 et 1987. Les principaux bénéficiaires de cette mesure se sont révélées être les membres de la « Cinquième brigade » – dirigée alors par Perense Shiri, cousin de Robert Mugabe, commandant en chef de l’armée de l’air et membre du Joint Operations Command (centre militaire supervisant la sécurité du pays) – responsable de graves violations durant la Gukurandi (répression sanglante de dissidents ayant causée près de 20.000 morts).

– En 2000 : nouvelle amnistie accordée pour tous les crimes politiques (y compris torture et kidnappings) commis par les supporters du ZANU-PF, milices de jeunes et membres des forces de sécurité – sauf dans les cas de viols, meurtres et fraudes.

– En juin 2008, un nouveau décret amnistie toutes les personnes arrêtées entre le 29 mars (jours des élections générales) et le 16 juin (juste avant le second tour des présidentielles) pour homicides, actes de torture et enlèvements – sauf dans les cas de meurtres[1], viols et fraudes – alors que, selon Human Rights Watch, 200 personnes ont été tuées et 5000 autres battues ou torturées.

Très peu des officiers de l’armée et de la Police, des alliés et membres du ZANU-PF, des miliciens et des vétérans de la guerre d’indépendance ayant commis ces crimes et violations des droits de l’homme n’ont eu à faire face à la justice. Tel est le climat d’impunité au Zimbabwe que le dernier rapport de Human Rights Watch, intitulé « Perpetual fear » (peur permanente), révèle.

L’impunité est double au Zimbabwe

Impunité de facto parce que l’Etat échoue par manque de moyen et/ou de volonté politique à poursuivre et condamner les auteurs de violations des droits de l’homme ; impunité de jure, vu que la loi et les règlements encadrant l’immunité et l’amnistie prolongent et renforcent l’impact de l’impunité de fait en limitant ou en rendant impossible de poursuivre les autres de ces actes. Cette double impunité permet aux auteurs de violations des droits de l’homme de commettre de nouveaux crimes et même d’intimider et menacer leur victime. Tel est le danger principal mis en évidence dans ce rapport.

L’imminence de nouvelles élections et d’un référendum constituant l’an prochain font craindre une résurgence des violences de la part des anciens bourreaux mais aussi des victimes qui peuvent décider de se rendre justice elles-mêmes pour éviter de l’être à nouveau. HRW documente de nombreux cas où la police refuse d’enregistrer les plaintes des victimes de violences politiques de 2008 – sans sanctions ni poursuites. Et le catalogue d’injustices ou de refus de justice recensés dans ce rapport publié le 08 mars dernier est proprement épouvantant, d’autant que dans certains cas, des membres du gouvernement de coalition mis en place en 2009 sont personnellement impliqués.

 

 

Le MDC-T du premier ministre de la coalition, Morgan Tsvangirai a envoyé dès octobre 2008 une lettre contenant les noms de 183 victimes et les les lieux de leur assassinat au Procureur Général de la République (Attorney General) Johannes Tomana, lui demandant d’ordonner, comme l’y autorise la Constitution, au Commissaire Général de la police de mener enquête. Un an et demi plus tard, cette lettre reste sans réponse.

Ce même Procureur Général est accusé, de même que sept membres du gouvernement de coalition par Mapfumo Ganutsa, militant pour les droits de l’homme, d’avoir assisté à sa torture durant sa détention arbitraire par des agents des forces de sécurité. Une plainte a été déposée en aout 2010. La procédure est toujours en cours.

Entre octobre et novembre 2008, Jestina Mukoko, militante pour les droits de l’homme internationalement reconnue et 14 autres militants sont arrêtés, détenus en secret avant d’être « confiés » à la police, accusés d’actes de banditisme et d’association en vue de commettre des actes de sabotages et d’insurrection. Ces militants seront torturés et subiront des simulacres d’exécutions. L’arrêt de la Cour suprême rejetant, en septembre 2009, les charges de terrorisme contre les accusés et jugeant que les libertés constitutionnelles de Jestina Mukoko ont été violées n’a toujours par été rendu public.

Un autre jugement de la Cour Suprême reconnaît que 43 activistes pour les droits de l’homme dont Chris Dhamini, Chef de la sécurité du MDC ont bel et bien été torturés à plusieurs reprises. Des officiers supérieurs de la police (dont deux identifiés nommément par les victimes) ayant planifié et supervisé les arrestations tout comme des membres de forces de sécurité ayant exécuté ces exactions, aucun n’a été suspendu. Aucune enquête n’a été ouverte.

L’accord politique global (Global Political Agreement) signé le 15 Septembre 2008 et ayant conduit au partage du pouvoir entre Robert Mugabe et Morgan Tsvangirai, reste pourtant silencieux sur la justice : il ne contient aucun échéancier, aucune mention d’une reforme fondamentale du système judiciaire qui restaurerait l’état de droit. Le MDC-T manque de pouvoir réel et ne semble pas prêt à risquer la survie du gouvernement actuel. Selon son leader, Morgan Tsvangirai, lors d’une conférence en septembre 2010 à Johannesburg, il ne sera pas question de poursuivre Robert Mugabe ni ses alliés lorsqu’ils auront quitté le pouvoir, un programme de justice punitif serait… contreproductif.

Il n’est pas assuré que le vœu du MDC que les prochaines élections et la nouvelle constitution mettent un terme au pouvoir de Mugabe et de ses alliés soit exaucé. Il est toutefois certain qu’une réconciliation bâtie dans le dos des victimes, malgré elles, sans justice, sans sanctions, payée au prix de l’immunité pour les bourreaux d’hier n’a pas de lendemain. Un terrible proverbe haïtien le rappelle « bay kou bliye, pote mak sonje» (« Celui qui porte le coup l’oublie ; celui qui porte la cicatrice s’en souvient. »)

 

Par Joël Té Léssia et Marie DOUCEY

 

 


 

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Une spécificité du droit zimbabwéen est cette distinction entre « murder « et « homicide » qu’on peut rapprocher de celle entre cas d’homicide volontaires et involontaires dans les systèmes juridiques d'inspiration française – à la différence que les crimes des forces de sécurité dans l’exercice de leurs fonctions entrent dans la seconde catégorie et sont donc couverts par l’amnistie.