Les transferts de fonds contribuent-ils au développement économique ?

APAForte d’une importante diaspora, l’Afrique perçoit chaque année d’importantes devises étrangères envoyées par les travailleurs émigrés. Un article antérieur faisait l’état des lieux de ces capitaux à destination de l’Afrique. Il indiquait que les fonds envoyés par les migrants vers le continent, ont atteint depuis le milieu de la dernière décennie un niveau tel qu’ils rivalisent avec les investissements directs étrangers (IDE) et rendent négligeable les aides publiques aux développements (APD). L’importance du phénomène a favorisé le développement des technologies de transfert d’argent en Afrique. Des agences dédiées se créent et l’informel prend du poil de la bête.

Compte tenu de leur importance et leur stabilité, ces capitaux pourraient fortement contribuer à l’effort économique. Cette note se propose d’examiner la contribution effective de ce flux financier au développement économique du continent.

Une contribution à l’activité réelle ?

Destinés seulement à soutenir la consommation, ces fonds participent moins à un effort de productivité. D’une part, la migration en Afrique est souvent motivée par la simple volonté d’apporter son soutien à la famille ou la communauté, qui a dû contribuer pour envoyer certains membres à l’extérieur, et non dans le but de constituer un fonds de commerce. . Comme l’illustre la figure ci-contre, le taux de croissance en Afrique semble ne pas être très lié aux transferts de fonds de sa diaspora.

L’impact que pourrait avoir ces capitaux dépend de l’utilisation faite des sommes reçues, de l’effet de l’émigration sur l’emploi domestique, la capacité de production du pays et de l’utilisation faite par les ménages bénéficiaires de ces transferts réguliers. Du point de vue de l’offre, les envois de fonds freinent la croissance[1]. En revanche, les études qui mettent en phase les transferts et le circuit d’investissement,  indiquent que les transferts stimulent la croissance[2].Ainsi dans le cadre africain où ces fonds sont destinés à soutenir la consommation, il est possible qu’ils ne contribuent pas à l’essor économique du continent.

 img_apa_iiSur les cinq dernières années, les transferts de fonds de la diaspora ont été stable, le taux de croissance a été assez forte (plus de 3% en moyenne) et la dette extérieure est restée à des niveaux assez élevés, bien qu’en baisse.[3] En réalité, la croissance en Afrique est tirée par les secteurs miniers, dont les investissements sont financés principalement par des capitaux européens, asiatiques ou arabes. Si cette dette, contractée pour financer l’appareil productif africain, était remboursée à des épargnants africains, cela engendrerait des capitaux à réinvestir sur le continent, une internalisation de la richesse créée en lieu et place de leur fuite vers l’étranger. Bien que les perspectives soient très bonnes pour le continent, chaque projet de développement nécessite des financements que les gouvernements africains mobilisent auprès de bailleurs qui ne font pas du philanthropisme ou nécessitent l’intervention d’industriels étrangers dont les intérêts résident dans leur pays d’origine. Si l’Afrique ne participe pas elle-même au financement de ses projets, le fort potentiel de croissance que l’on prête au continent ne lui serait pas effectivement profitable.

Pourquoi la solidarité ne serait-elle pas bénéfique ?

Il faudrait d’abord souligner que la solidarité « à l’africaine » telle que perçue (l’abandon du soi au profit de la communauté) n’a rien de condamnable. En effet, ces fonds contribuent énormément  à la réduction de la pauvreté. Une étude de la Direction de la Prévision et des Etudes Economiques du Sénégal réalisée en 2008 a révélé que les transferts reçus des migrants réduisent significativement la pauvreté au Sénégal. La Banque Mondiale et le FMI appuient volontiers cette thèse sur l’impact positif des transferts de fonds sur la réduction de la pauvreté et des inégalités. Toutefois, il serait nécessaire de voir dans cette solidarité africaine, un moyen de financement de l’économie africaine. Autant l’Afrique n’ose se passer des aides au développement (très controversées) et des prêts (qui alourdissent sa dépendance), autant le ménage dépendant de son membre de la diaspora trouvera du mal à se séparer de l’allocation mensuelle fournit par ce dernier.

Mutualiser les transferts d’argent pour le développement

Les capitaux dont a besoin l’Afrique aujourd’hui pour son développement peuvent être levés à partir de ces fonds qui sont disponibles, stables et assez importants. Le seul problème, c’est qu’il s’agit de transactions individuelles. Ainsi, il faudrait déjà commencer par une structuration de la diaspora. Très souvent, il faut attendre la survenue d’un problème pour voir les ressortissants d’une communauté se regrouper pour mobiliser les fonds. Ce fût le cas du Mali lors des évènements de mars 2012. Supposons dans le cas malien, que la communauté se soit regroupée, faisait des cotisations prudentielles chaque mois. Dans ces conditions, il aurait été plus aisé pour la diaspora malienne d’apporter son soutien financier au Mali. Une telle initiative à grande échelle serait certainement dans l’intérêt du continent : il ne s’agirait pas de créer un club de Paris à l’africaine mais de mettre sur pied une structure panafricaine qui saura rassembler autour d’elle toute la diaspora et les amis de l’Afrique et qui serait une sorte de Banque d’Investissement financé par la diaspora. L’idéal serait de rassembler chaque communauté autour d’un point focal national, régional et ensuite africain en fédérant tous ces groupements. Ceci permettrait d’une part à ceux de la diaspora qui ont consenti au don de soi pour la communauté de mener tout au moins une vie décente dans leur pays d’accueil et d’autre part de participer à instaurer un climat favorable à l’émergence d’opportunités économiques sur le continent.

Faire participer les bénéficiaires

Il serait par ailleurs judicieux d’intégrer dans la mesure du possible les ménages bénéficiaires dans le secteur bancaire formel afin de favoriser l’épargne mais aussi de mettre en place un mécanisme permettant de canaliser cette épargne vers des utilisations productives. Les banques africaines peuvent  faciliter l’investissement des transferts en combinant des services financiers comme les produits d’épargne et des prêts aux entreprises pour les ménages bénéficiaires. Le marché est actuellement dominé par des agences de transferts de fonds qui ne visent pas directement le développement et qui ne sont d’ailleurs pas susceptibles de proposer à leurs clients des produits financiers annexes. Il s’agit là d’une opportunité à saisir par les autorités en mettant à profit les banques pour que ces transferts puissent participer à des activités productives.

Il est nécessaire de préciser toutefois que ces fonds seraient incapables de soutenir à eux seuls un développement durable et indépendant sur le long terme. L’émigration étant une fuite de mains d’œuvre, elle pourrait gravement affecter le marché national du travail, surtout quand il s’agit d’une émigration de travailleurs qualité. Par ailleurs, les apports élevés et croissants de ces fonds exigent que les autorités, prennent en compte les retombés éventuels du syndrome hollandais sur le taux de change réel.

Foly Ananou

 


[1] Caceres and Saca (What Do Remittances Do? Analyzing the Private Remittance Transmission Mechanism in El Salvador,” IMF Working Paper06/250, 2006)  ont montré, pour le cas du Salvador où les transferts des migrants financent principalement la consommation, font baisser l’épargne, résultant ainsi en une contraction de l’activité.

 

 

 

[2] Giuliano, Paola, and Marta Ruiz-Arranz, “Remittances, Financial Development, and Growth,” IMF Working Paper 05/234, 2005

 

 

 

[3] Justifiant les efforts consentis par les pays pour effacer leurs ardoises de la dette auprès de l’extérieur

 

 

 

Afrique: la guerre du transfert d’argent aura bien lieu

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Les files d’attente devant les bureaux africains de Western Union et Moneygram pourraient bientôt n’être qu’un lointain souvenir. L’essor de l’envoi d’argent par les travailleurs migrants par téléphone portable pourrait permettre à la concurrence de faire son entrée sur un marché très convoité : les services de transfert d’argent.

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Visa ne s’y est pas trompé et a flairé le filon : début octobre, le réseau international de cartes bancaires a annoncé le lancement de son premier système de paiement entre téléphones portables. Le détenteur d’une carte bancaire Visa peut dorénavant transférer de l’argent via une application, le destinataire étant averti en temps réel de la transaction. Bien que réservé pour l’instant à l’Europe, Visa  n’a pas caché sa volonté de l’étendre rapidement au continent africain, comme pouvait laisser présager l’acquisition en juin dernier par l’opérateur de Fundamo, une entreprise sud-africaine spécialisée dans la technologie du mobile banking.

Contre toute attente, l’impact de la crise financière mondiale sur le transfert d’argent en Afrique a été modéré, avec une baisse en 2009 de 6% par rapport à l’année précédente. Selon le FMI, pour la plupart des pays africains dépendant des devises envoyées par les immigrés, les fonds viennent du continent lui-même, et sont donc peu liés aux fluctuations conjoncturelles mondiales. L’envoi d’argent à destination de l’ Afrique est de nouveau reparti à la hausse en 2010, avec près de 40 milliards de dollars envoyés, soit  2.6% du PIB africain, d’après les estimations de la Banque mondiale. Le continent représente donc un marché intéressant pour les sociétés de transfert d’argent, qui peuvent tirer profit d’un double avantage concurrentiel : la sous-bancarisation de la plupart des pays africains, et le taux de pénétration élevé des téléphones portables.

Le marché des transferts d’argent est pour l’instant dominé par le duopole Western Union et Moneygram, qui trustent à eux-seuls plus de 85% des parts de marché, en captant l’essentiel de l’argent envoyé par les immigrés à leurs familles. Apparues dans les années 1990 en Afrique et remplaçant peu à peu les envois de fonds informels, ces sociétés de transfert d’argent (STA) ont révolutionné le marché en permettant d’envoyer des fonds de manière sécurisée et en quelques heures. La stratégie d’alliance de ces STA avec des  opérateurs de services postaux, des organismes bancaires et des institutions de microfinance pour rendre les clients captifs s’est avérée payante : vingt ans plus tard, malgré les progrès technologiques et la multiplication des agences ouvertes en Afrique, les coûts de transaction facturés sont toujours aussi élevés, et sont difficiles à justifier, surtout lorsqu’ils atteignent 20% du montant de la transaction. Le succès persistant de ces usuriers des temps modernes s’explique selon la Banque africaine de développement par l’importance donnée par le travailleur migrant à la rapidité et la fiabilité de la transaction, qui l’emporte sur le prix de cette dernière.  

Le développement de l’envoi d’argent via la téléphonie mobile pourrait changer la donne en cassant le duopole actuel, et en permettant aux banques de se positionner comme concurrents directs des STA. La plupart des bénéficiaires des fonds ont en effet bien souvent un téléphone portable, et seraient donc  dispensés d’avoir un compte bancaire. Les banques sont de surcroît plus compétitives concernant les commissions facturées sur les transferts, ce qui écarterait définitivement les barrières à l’entrée de ce marché tant convoité.

L’attention portée par les banques de développement au transfert d’argent va au-delà de la condamnation des pratiques douteuses de certaines sociétés du secteur. L’enjeu se situe davantage au niveau macroéconomique, et plus précisément dans la capacité des Etats africains à attirer sur le long terme les flux d’argent envoyés par les migrants les plus qualifiés, désireux de mener des investissements durables dans leur pays d’origine. La progression des banques sur le marché du transfert d’argent est donc décisive pour baisser les coûts des fonds transférés, mobiliser les ressources envoyées par les travailleurs migrants et les faire fructifier sur le long terme, à travers le financement d’équipements collectifs pour la population, et le soutien à ceux qui désirent créer leur propre entreprise dans leur pays d’origine. L’intérêt bien entendu des banques rejoint donc parfois celui des communautés locales.

Leïla Morghad   



Transferts d’argent vers l’Afrique : quel impact sur la réduction de la pauvreté et le développement économique ?

Si l’Afrique, avec environ 8 % des envois d’argent, reste encore la région du monde qui reçoit le moins de transferts d’argent, ceux-ci constituent pour le continent la 2ème source de financement externe après les IDE (Investissements Directs Etrangers). 18 des 53 pays reçoivent chacun plus de 500 millions de dollars, flux largement sous estimés dès lors que de nombreux transferts s’effectuent par des canaux informels. Ces transferts d’argent représentent en moyenne 5 % du PIB du continent et atteignent 11 % dans certains pays.  En plus de maintenir un lien social fort entre les émigrés africains et leurs familles restées sur le continent,  les transferts d’argent présentent un réel enjeu économique. Leur développement profitera sans doute des synergies qu’offre l’essor de la téléphonie mobile par le biais de services tels que Mobile Money. Il reste qu’il faut optimiser le potentiel existant afin d’accroitre l’impact des transferts d’argent sur la réduction de la pauvreté et le développement économique de l’Afrique.

Le cabinet Performances Management Consulting a publié une étude sectorielle intitulée Les transferts d’argent en Afrique : problématiques, enjeux, défis et perspectives http://www.performancesconsulting.com/bibliotheque/publication/PDF/doc%20sectoriel/ES_Transfert_argent.pdf

La Banque Mondiale a quant à elle publié l’édition 2011 de son rapport ‘‘Migration and Remittances Factbook’ http://siteresources.worldbank.org/INTLAC/Resources/Factbook2011-Ebook.pdf dont une partie est consacrée aux transferts d’argent vers l’Afrique, avec des données détaillées sur les pays les plus concernés.

Nicolas Simel