La place des villes dans un Sénégal émergent

dakarAvec près de la moitié de la population résidant en zones urbaines, le Sénégal présente un taux d’urbanisation supérieur à la moyenne observée en Afrique subsaharienne (40 %). Dans ce pays, la proportion de citadins a quasiment doublé ces dernières décennies — de 23 % dans les années 1960, elle est passée à 43 % en 2013 — et devrait s’établir à 60 % à l’horizon 2030. Certes, cet essor s’accompagne d’immenses défis, mais il offre aussi aux responsables sénégalais l’occasion d’opérer une transformation structurelle de l’économie.

En effet, on note que ce sont les centres urbains, et principalement la capitale Dakar, qui tirent la croissance. Ils sont globalement à l’origine de 65 % du PIB national, Dakar se taillant la part du lion (55 %). La région de Dakar abrite 50 % de la population urbaine sénégalaise, concentre plus de 52 % des emplois créés dans le pays et regroupe plus de 80 % des sociétés immatriculées au registre du commerce. À elle seule, la capitale accueille 62 % des créations d’entreprises.

Cependant, les villes sénégalaises souffrent dans leur ensemble d’un déficit infrastructurel chronique et d’une carence de services publics. Dans les villes secondaires, en particulier, 68 % des ménages sont raccordés au réseau d’alimentation en eau, tandis que les 32 % restants dépendent de bornes-fontaines. Par ailleurs, seuls 36,7 % des foyers en milieu urbain disposent d’équipements sanitaires de base (latrines, fosses septiques). Outre Dakar, seuls six centres urbains bénéficient d’un accès partiel à un système d’égout, à savoir Rufisque, Louga, Saint Louis, Kaolack, Thiès et les villes touristiques de Sally et Mbour. La gestion des ordures ménagères est en outre problématique dans la plupart des villes du pays, aussi bien sur le plan de l’enlèvement que du traitement des déchets. À cela s’ajoute une capacité limitée de planification de l’aménagement urbain : moins de 20 % des villes et des municipalités possèdent un plan d’urbanisme, et la plupart de ces plans sont obsolètes ou ne sont pas appliqués faute de capacités de gestion urbaine suffisantes dans les collectivités locales. L’inadéquation de la réglementation en matière de gestion et d’aménagement du territoire entraîne des distorsions sur les marchés foncier et immobilier, et conduit au développement d’implantations sauvages à la périphérie des villes, dans des zones sujettes aux inondations.
 
Mais, en dépit de ces difficultés, il existe plusieurs leviers d’action que les responsables publics sénégalais pourraient mettre en œuvre.
                                                                                                                                                        
Renforcer le rôle des villes secondaires et améliorer la gouvernance de la zone du Grand Dakar

Le manque de réseaux d’infrastructures et de services adéquats dans les villes secondaires exacerbe l’exode rural vers la capitale, ce qui a pour effet de dégrader encore davantage les conditions de vie des populations pauvres et de mettre à rude épreuve les capacités techniques et financières déjà limitées des autorités municipales et métropolitaines. Aussi faut-il répondre aux besoins de financement à deux niveaux différents :

  • en renforçant le rôle des villes secondaires, notamment des capitales régionales, pour qu’elles deviennent des pôles de développement plus productifs et plus vivables, afin de soulager l’agglomération urbaine de Dakar ;
  • en investissant dans l’agglomération urbaine de Dakar afin de répondre au manque d’équipements infrastructurels non financés ces vingt dernières années.

 
Les autorités sénégalaises peuvent également améliorer la gouvernance urbaine et surmonter les difficultés associées à l’urbanisation en mettant l’accent sur des enjeux communs et en y faisant face avec anticipation. En particulier, elles doivent mettre sur pied de nouveaux modèles de gestion décentralisée et une coopération multidimensionnelle afin de créer des systèmes économiques en zones urbaines plus efficaces et des villes inclusives qui garantissent l’égalité d’accès au logement, aux services et à l’emploi.
 
La Revue de l’urbanisation au Sénégal préconise de s’orienter vers les priorités stratégiques suivantes : revoir et moderniser les outils de planification territoriale ; dynamiser l’économie urbaine au moyen de programmes ciblés ; améliorer l’offre et l’accès aux services urbains ; développer les structures de gouvernance du territoire ; et réfléchir à des stratégies innovantes pour financer l’expansion du stock d’infrastructures urbaines. Ces cinq thématiques clés seront traitées dans le cadre de la mise en œuvre de « l’Acte III de la décentralisation » et de l’actuelle stratégie économique nationale, le « Plan Sénégal émergent » (PSE).

En outre, à la suite des recommandations formulées dans la Revue de l’urbanisation, le ministère de la Gouvernance locale et du Développement a fait appel à la Banque mondiale afin qu’elle appuie la mise en place d’interventions dans plusieurs villes du pays, dans l’objectif de prolonger durablement l’impact des efforts engagés. Le renforcement des autorités municipales et la réalisation des objectifs de développement économique à long terme du pays passent par l’instauration de systèmes de financement locaux fiables et autosuffisants. Le gouvernement tient par ailleurs à multiplier les réseaux interconnectés entre les villes et les régions et à tirer parti des opportunités économiques que recèle la population urbaine.

L’heure est venue pour les dirigeants sénégalais de fixer le cadre qui permettra de relever les défis du développement urbain et de répondre aux besoins d’une population en plein essor, dans un souci d’inclusion et d’efficacité.

Pour plus d'informations, s'il vous plaît voir Perspectives urbaines : villes émergentes pour en Sénégal émergent (French).

 

Cet article est issu des Blogs publiés par la Banque Mondiale et a été soumis par SALIM ROUHANA.

Le foncier : une équation complexe au Sénégal

foncLes villes africaines, notamment les grandes capitales d'État, connaissent depuis quelques décennies, une urbanisation galopante. Selon la Banque Mondiale, malgré le fait que l’Afrique soit au début de sa transformation urbaine, son taux d’urbanisation est estimé à 40% en 2015. Cette forte urbanisation – bien que significative dans la croissance économique des villes grâce à la création de richesse et la disponibilité d'une main d'œuvre abondante – soulève une problématique fondamentale: l'occupation foncière. En réalité, plus les grandes villes accueillent des populations, plus elles ont besoin d'espaces supplémentaires pour faire face au grignotage accru du foncier urbain. Dans cet article, nous exposons dans un premier temps, les caractéristiques actuelles du système foncier au Sénégal. Ensuite, nous montrons les méthodes de gestion du foncier existant, en interrogeant les différents jeux d’acteurs qui interagissent autour de ce système. Enfin, nous esquissons quelques pistes de réflexion qui pourraient éventuellement résoudre l’équation complexe du foncier dans les villes sénégalaises.

 

État des lieux du foncier au Sénégal

 

          Une minutieuse observation du processus d’étalement urbain des grandes villes sénégalaises, notamment la région urbaine de Dakar, permet de comprendre comment la question du foncier présente des enjeux fondamentaux dans les dynamiques d'occupation du territoire. Si l'urbanisation, à travers l'usage accéléré du sol, explique en partie la rareté foncière au cœur des grandes villes sénégalaises (Dakar, Thiès, Touba, etc.), l’éparpillement des villes en morceaux étalés est très fortement lié à une volonté politique de réalisation de nouveaux lotissements moins chers et accessibles en périphérie des grandes villes. Aujourd’hui, c’est le cas de la région urbaine de Dakar. En effet, l’hypertrophie de la capitale sénégalaise a favorisé la création d’une ville nouvelle (Diamnadio) en périphérie, avec une viabilisation du foncier qui a entraîné le développement de nouveaux lotissements sur le long de chemin qui mène vers cette Ville Nouvelle (Zone d’Aménagement Concerté de Mbao, Këër Mbaye Fall, Tivaouane Pëël, etc.). De plus, la mise en place de nouveaux équipements et infrastructures rend ces zones accessibles. Nous pouvons donc retenir une volonté de l’État d’encourager une croissance urbaine horizontale à travers la viabilisation des terrains et la mise en place d’équipements et d’infrastructures. Cependant, malgré cette volonté de l'État, nous pouvons quand même remarquer son inaction sur d’autres aspects du foncier au Sénégal.

          En effet, l’État est censé être le garant de l’intégrité territoriale ; le gendarme du foncier à travers des taxes et des exigences normatives, mais face à l’émergence de nouveaux types de propriétaires privés, parfois très riches, on note, de plus en plus, une indifférence, un désengagement de l’État, au niveau du droit de propriété foncière. En d’autres termes, les propriétaires privés gèrent, au même titre que l’État, des lotissements entiers ; ce qui leur assure une certaine puissance vis-à-vis de l’institution publique. Par exemple, si l’État sénégalais a mis les conditions adéquates et favorables pour le développement de nouveaux lotissements sur le long de la périphérie dakaroise, la plupart de ces lotissements sont des propriétés privés (Cité Këër Doudou Bass Njaxiraat, etc.).         Ensuite, dans un contexte de décentralisation progressive de l’appareil étatique dans la gestion locale du foncier, les collectivités territoriales locales voient leur marge de manœuvre augmentée. En effet, les collectivités locales, le notaire et le préfet doivent jouer le rôle d’arbitre pour éviter les litiges. Mais parfois, la réalité est tout autre: les usurpations sont plus que jamais présentes dans la gestion foncière. Les collectivités locales qui sont censés protéger les acheteurs et sécuriser le foncier apparaissent faibles et parfois même complices ; une situation qui montre la vulnérabilité et le risque qui caractérisent ce secteur très complexe. Enfin, un des constats que nous pouvons faire sur la question foncière dans les villes africaines est sa planification. Le foncier est-il bien utilisé ou bien valorisé ? En réalité, dans les villes sénégalaises, l’occupation foncière présente parfois des risques environnementaux, économiques et sociaux avérés. Il arrive que les lotissements soient faits dans des zones à risque d’inondation, d'érosion marine, ou dans foyers de conflits intergroupes, etc. Ainsi, l’aménagement du terrain est mis au second plan, alors que les pouvoirs publics, notamment les collectivités locales, dans un contexte de décentralisation, doivent assurer une certaines sécurisation foncière en délivrant par exemple des permis de lotir et de construire que dans des zones constructibles.

 

L’administration foncière au Sénégal.

 

L’administration coutumière : pendant longtemps, dans les villes sénégalaises, la propriété de la terre est attribuée au « Buur »[1], autrement dit, n’appartenant à personne. Cette non-identification du foncier signifie que le foncier appartient à tout le monde. En revanche, il existe un chef de quartier ou de ville – généralement le « Buur » – qui assure son administration, sa distribution et sa sécurisation. Donc le foncier n’appartient en aucun cas, ni à l’État, ni à un propriétaire privé. Tout le monde, quel que soit son niveau de vie socio-économique, avait le droit de l’utiliser. Cependant, avec l’arrivée des colonisateurs, la gestion coutumière du foncier est délaissée au profit d’une gestion plus centralisée, plus administrée par l’autorité coloniale, considérée alors comme l’État.

 

La sécurisation foncière : étant le garant de la sécurisation foncière, le propriétaire majoritaire des terres, l'État rencontre différents problèmes avec ses populations. En effet, si dans la plupart des législations foncières, le terrain détenu par un propriétaire privé doit-être reconnu, cadastré (donc identifié) et sécurisé, il existe toutefois des problèmes, rencontrés principalement par les populations qui achètent des terrains sans connaître forcément les règles législatives du foncier à cause de la lourdeur des démarches administratives et le manque d’informations transparentes sur la question. Cette situation nécessite un questionnement lucide afin de trouver des solutions idoines pour les populations –acheteurs qui, au final, sont les grands perdants dans ce système.

 

Quelles solutions : faut-il prévoir ou faut-il faire avec en comblant le vide du système ?

 

         

Face à la lourdeur des démarches administratives, le favoritisme et le clientélisme qui existent au cœur de ce système foncier, il est très difficile de prévoir les éventuels problèmes. Pour prévoir quelque chose, cela suppose d’être d’abord à jour, donc en avance sur les problèmes présents. Or, l’administration est lente et parfois complice dans ce système. Ce qui fait qu’il n’est pas probable d’être dans une situation de prévention. Cette dernière est également compliquée dans un contexte de forte urbanisation, donc de demande accrue du foncier, et d’une méconnaissance avérée des législations foncières par certaines populations. Il suffit de voir comment l’habitat spontané s’est développé dans les années 1960-1970, à Guinaw Rail, un quartier populaire de la ville de Pikine, pour comprendre l'improbabilité de la prévention, sachant que l’administration est relativement faible et lente sur la question de la sécurisation foncière. N’ayant pas de solution, les collectivités locales sont obligées de subir, de céder face à la pression des populations. Donc, sans le vouloir, l’informalité est formalisée pour assurer une paix sociale et faire face à la forte pression démographique. En revanche, là où la formalité et la prévention prennent sens, c’est quand les autorités locales tentent d’assainir et d'équiper les habitats informels existants en mettant en place des services essentiels pour les populations : l’assainissement, l’eau, l’électricité, etc. Il y aurait donc une acceptation de l’informalité qui favorise une condition de prévention.

 

          En définitive, dans un contexte d’urbanisation accentuée, donc de grignotage accru du foncier dans les grandes villes sénégalaises, notamment la capitale, le foncier devient rare et est le nerf de plusieurs problèmes environnementaux, économiques et sociologiques à cause d’une gestion défaillante de la part de l’État et les institutions publiques locales. En effet, si l’État a balisé le terrain en mettant en place des équipements publics (infrastructures, etc.) pour encourager l’occupation des terrains situés en périphérie de Dakar, il existe tout de même un certain laisser-aller  de sa part sur les questions relatives à la sécurisation, à l’aménagement local, mais aussi et surtout à l’environnement.

 

 

Cheikh Cisse


[1] Le roi, le chef de quartier, etc.