En Afrique la ville est fabriquée en permanence par la planification et par l’informel.

Le constat d’une urbanisation galopante n’est plus à démontrer dans les villes africaines : d’après les prévisions des Nations Unies et de l’OCDE, en 2050, environ 60 % des Africains devraient vivre dans des villes. Les villes s’urbanisent à outrance, car elles sont perçues comme des lieux d’opportunités économiques et sociales, comme des eldorados qui offrent des conditions de vie meilleures aux populations modestes, provenant principalement des zones rurales (plus de 50 % des ruraux migrent vers les villes : exode rural). Cette forte urbanisation massive qui prend forme depuis 1960 — date à laquelle plusieurs pays africains sont devenus indépendants — n’est pas proportionnelle au niveau de développement économique des villes concernées. Ainsi se pose le problème de l’occupation anarchique, informelle des espaces périurbains. La majorité des grandes villes a une configuration spatiale duale — voire marxiste — avec d’une part, un pôle urbain qui abrite les principaux services publics, privés et les quartiers résidentiels aux alentours pour les riches et d’autre part une périphérie qui s’étale horizontalement, animée par des habitations éparpillées d’une couche de population modeste. La prise en compte de cette configuration spatiale — appelée autrement centre-périphérie — est particulièrement intéressante pour comprendre le processus de fabrication des villes africaines. En effet, si des plans d’urbanisme et d’aménagement existent depuis les indépendances dans la plupart des villes, leur application est défaillante, car des dysfonctionnements sont constatés dans l’espace vécu. Les documents d’urbanisme existants sont appliqués dans les différentes politiques urbaines — cela renvoie à la dimension formelle de la planification des villes — cependant, les villes africaines sont également fabriquées foncièrement par l’informel. En effet, s’il existe des textes juridiques qui régissent l’occupation des espaces, une analyse lucide de la réalité permet de comprendre que les habitants — surtout les plus pauvres — sont des acteurs importants dans le processus de fabrication des villes, à travers notamment des pratiques informelles.

   Comment la prise en compte du maillage entre les pratiques formelles et informelles peut permettre de comprendre la fabrication des villes africaines ?

Dans cet article, il s’agit d’analyser, dans un premier temps, les particularités des documents d’urbanisme dans villes africaines ; ensuite, de montrer en quoi les villes africaines s’autoconstruisent avec l’informel ; enfin, de proposer quelques pistes pour trouver un équilibre entre le formel et l’informel pour une planification harmonieuse des villes africaines.

     Nous vivons dans des villes où les citadins aux catégories sociales variées ont des intérêts divers : ils ont besoin de se loger, de se déplacer, de se divertir. Les besoins sont nombreux, mais les intérêts des uns et des autres sont antagonistes. Ainsi, pour veiller à la qualité de vie de tout un chacun dans le temps et dans l’espace, les acteurs doivent faire de sorte que l’intérêt général soit assuré. Cela nécessite une planification. L’objectif de la planification c’est d’organiser les espaces urbains de sorte qu’ils soient occupés de manière rationnelle avec une bonne gestion des transports et mobilité, du foncier et la création des conditions de développement économique pour les habitants.

Dans les villes africaines, les plans d’urbanisme existent, mais c’est plutôt leur opérationnalité par rapport aux réalités africaines qui mérite des réflexions. Si ces documents ont permis de rationaliser en partie l’occupation des espaces urbains, force est de constater que l’évolution et l’état actuel de la plupart des villes africaines ne permettent pas de valider l’efficacité de ces plans qui, en réalité, ne sont pas mis à jour et restent des vœux pieux jamais opérationnalisés entièrement. Les plans, faits généralement par des bureaux d’étude étrangers qui ignorent les aspects sociologiques africains, sont inadaptés. De plus, leur production prend du temps et leur application est souvent programmée sur le long terme : planifier une ville à l’horizon 2065, alors qu’il existe des problèmes urgents en 2018 : voilà l’incohérence des documents d’urbanisme dans les villes africaines ! « L’Afrique est un cimetière de plans mort-nés », caricaturait Philippe Hugon en 1985. En effet, entre le début et l’élaboration du plan, les dynamiques économiques, sociales et surtout démographiques de plusieurs villes africaines évoluent complètement. Il est tout à fait intéressant de planifier, car on ne peut pas continuer à faire abstraction de l’occupation anarchique des espaces, notamment dans les zones périurbaines du fait de la croissance démographique et de l’inaccessibilité des centres urbains pour les populations modestes. Cette planification nécessite un réajustement régulier des documents d’urbanisme pour qu’ils puissent répondre aux enjeux changeants et évolutifs des villes. Ainsi, s’il existe bel et bien une dimension formelle de l’organisation des villes — bien que celle-ci cause des problèmes évoqués plus haut —, il est tout de même intéressant de comprendre que les villes africaines s’autoconstruisent en permanence dans l’informel.

Les villes africaines sont aussi fabriquées par l’informel. En effet, lors de la première phase d’urbanisation des villes, les espaces périurbains représentaient des réserves foncières. Lorsque l’urbanisation est accentuée, les plus pauvres sont rejetées dans ces espaces sans que ces derniers aient de documents de planification prévus pour leur organisation. Loin des considérations politiques et institutionnelles, les habitants se font leur propre conception de la ville, l’auto-organisent en permanence et de façon circonstancielle en fonction de leurs activités : ils se fixent leur propre limite de la ville, définissent les zones d’activités commerciales à travers d’installations de boutiques ou stands informels, autoconstruisent des infrastructures (bricolage de dos-d’âne, système d’irrigation dans les rues en période hivernale) pour pallier à leur manque de confort dû à un déficit d’infrastructures publiques formelles, s’autoérigent comme des propriétaires fonciers dans ces espaces périurbains s’autodélimitent des espaces d’habitat informels — faits souvent avec des matériaux trouvés — quitte à empiéter sur les voies publiques. Les conditions de vie de ces espaces sont souvent marquées par une grande précarité : insécurité, contiguïté du voisinage, défaillance des réseaux publics d’assainissement, d’adduction en électricité, en eau potable, absence de voiries publiques : c’est l’exemple du quartier Guinaw Rail, à Pikine, à la banlieue de Dakar. Ces espaces informels — construits en permanence dans l’illégitimité sur plusieurs décennies — traduisent une réponse informelle face au caractère inadaptable des documents d’urbanisme classiques et l’insuffisance de l’offre formelle des acteurs publics. Ils font partie — au même titre que les centres urbains planifiés — dans le processus de fabrication de la ville.

Que faut-il donc faire pour trouver l’équilibre entre le formel et l’informel dans la planification des villes africaines ?

D’une part, il faudrait encadrer davantage les espaces formels. Pour ce faire, il est important de prendre en considération des réalités sociologiques. Aujourd’hui, les documents de planification existants sont en décalage avec les réalités locales, soit par le temps (car les pratiques évoluent et les documents sont destinés à des périodes différentes), soit par l’espace (les espaces changent également) ; ils sont donc inefficaces. Les règles de bases prescrites dans les documents doivent être ajustées par rapport aux contextes locaux pour conduire un programme de restructuration progressive des quartiers informels, en concordance avec les pratiques des habitants et les moyens techniques et financiers des collectivités locales.

D’autre part, il s’agit de « formaliser l’informel », on ne peut pas déloger des habitants (des acteurs entiers de la fabrication des villes) qui habitent depuis des décennies dans un endroit sous prétexte de planification qui, à terme, risque de produire des mêmes effets : nous pouvons citer l’exemple de la cité Jaxaay créée par l’ancien président du Sénégal, Wade, pour déloger les habitants des quartiers informels de Médina Gounass, touchés alors par des inondations. Jaxaay connaît le même sort : de terribles inondations, car des règles d’occupation de l’espace y étaient quasi-absentes.

La formalisation du secteur informel part de la mise en œuvre de modalités strictes : délimiter la trame urbaine, interdire et sauvegarder des espaces non propices à l’habitat (les zones à risque et les zones naturelles et agricoles), veiller sur l’occupation des espaces destinés aux équipements publics.

En définitive, au regard du caractère ambivalent de l’occupation des espaces — avec le formel d’une part et l’informel d’autre part — il est important de comprendre que les villes africaines ne sont pas fabriquées uniquement par les planificateurs ; elles sont aussi fabriquées de façon informelle par les habitants sur le long terme (les représentations individuelles et collectives : les différentes formes d’appropriation de l’espace urbain). C’est l’informel et quelques restrictions très rudimentaires des documents d’urbanisme qui font foncièrement la ville. La volonté de planifier la ville africaine doit impérativement partir de la prise compte du secteur informel comme un indicateur fondamental, sans quoi toute analyse, toute politique relèverait d’un pur fantasme.

 

Comment créer une «  ville intelligente » à l’africaine ?

Marquées depuis plusieurs décennies par des crises urbaines, beaucoup de villes africaines (Diamniadio, Casablanca, Kigali, etc.) s’autoproclament comme des « villes intelligentes » — influencées par un contexte de mondialisation et de course à la métropolisation. Alors qu’elles doivent faire face à une urbanisation galopante, une pression et spéculation foncière, une bidonvilisation des espaces périphériques des grandes villes et la question épineuse de la pauvreté d’une part importante des populations, elles cherchent à s’inspirer de modèles de planification urbaine importés des pays développés.

En effet, l’expression ville intelligente devient une marque de fabrique et s’inscrit dans une approche de planification urbaine stratégique, de marketing pour attirer des touristes et des investisseurs internationaux. Cependant, peut-on valider cette conception africaine de la ville intelligente, si l’on sait que chaque pays, chaque ville a des réalités particulières ? Ne serait-il pas plus pertinent de penser une ville intelligente à l’africaine qui prendrait en compte — dans sa fabrication — tous les problèmes que rencontrent les villes africaines comme des équations à résoudre de façon « intelligente » ?

Pour expliquer la problématique de la ville intelligente en Afrique, dans cet article, nous interrogerons d’abord l’expression « ville intelligente » pour connaître ses caractéristiques et ses modalités, avant d’analyser les conditions de son adaptabilité dans les pays africains.

Définition et identification de la ville intelligente

D’abord, la ville intelligente est généralement définie comme une ville « connectée » — en faisant référence à l’accès au numérique et à l’internet. G. Dupuy (1992), évoque l’idée « d’informatisation de la ville ». Cette définition paraît simpliste, car la ville intelligente s’inscrit dans une dynamique plus globale qui met en interaction — selon une approche systémique — plusieurs éléments complémentaires (loisir, habitat et logement, transport et mobilité, services essentiels comme l’accès à l’eau, l’électricité et plus récemment le numérique) afin de créer un équilibre et une amélioration des conditions de vie des habitants, quelle que soit leur catégorie sociale. Giffinger, dans un article publié en 2011, a mis en évidence cette approche globalisante de la ville intelligente. Pour lui, les villes intelligentes peuvent être identifiées selon six principales dimensions : une économie intelligente (collaborative et adaptée), une administration intelligente (souple, intégrée et participative), un environnement intelligent (écologique, sobre, vertueuse), une mobilité intelligente (douce et efficiente), des habitants intelligents (acteurs dans fabrication de la ville). En d’autres termes, une ville intelligente est un système qui concilie de façon cohérente plusieurs « sous-systèmes » qui tournent autour de trois principales thématiques : l’économie, le social et l’environnement avec les usages numériques comme toile de fond. Toutefois, les usages numériques ne fabriquent pas fondamentalement et exclusivement une ville intelligente ; ils doivent être compris et pris comme des outils qui interagissent avec d’autres éléments structurants et non une fin.

Ensuite, une ville intelligente est aussi résiliente et inclusive. Autrement dit, c’est une ville qui répond aux besoins urgents et fondamentaux de ses habitants pour l’amélioration de leur cadre de vie et l’assurance d’un minimum de confort et de bien-être. La résilience d’une ville intelligente se mesure par sa capacité à se remettre, à revenir à son état de départ, suite à une perturbation ou un choc majeur (catastrophes naturelles, etc.). Une économie équilibrée, intégrée, une justice sociale et spatiale assurent l’inclusivité d’une ville.

Les différents paramètres évoqués sur la ville intelligente sont parfois mal-maîtrisés, voire non pris en compte dans les villes africaines. À Dakar — par exemple —, il suffit d’avoir quelques gouttes d’eau de pluie pour que des inondations à ruissellement urbain bloquent toutes les activités, donc une bonne partie de l’économie — sans compter les conditions de précarité que celles-ci créent chez de nombreux habitants vivant dans des habitats informels sur le long des espaces périphériques de la ville (Pikine, Yeumbeul, Médina Gounass, etc.). Dans ces circonstances, la planification d’une ville intelligente serait de faire en sorte que la ville soit résiliente, c’est à dire capable de se redresser aussitôt après un choc naturel ; au lieu de miser sur un modèle de ville connectée, importé des pays développés, qui améliorerait le quotidien d’une partie infime de la population.

Quelle ville intelligente pour l’Afrique ?

 Au regard de la définition globalisante de la ville intelligente, l’approche la plus appropriée serait d’adapter son modèle de ville aux réalités locales. En effet, l’intelligence et la cohérence de la démarche d’une ville intelligente se trouvent dans cette capacité d’adaptation et de prise en compte des spécificités locales. Malheureusement, les démarches de planification de quelques villes africaines qui s’autoproclament « villes intelligentes » ne sont pas dans cette dynamique d’adaptation. Comment peut-on qualifier une ville « intelligente », si le modèle de ville est importé d’un pays où les configurations socioéconomiques et spatiales sont différentes des siennes ? Un problème de réalisme se pose !

En réalité, il n’existe pas un modèle de ville intelligente figé ; un modèle s’adapte à un contexte. L’intelligence prend tout son sens quand la ville assure un minimum de confort et de réponses aux besoins urgents et contemporains de la majorité des habitants. En outre, l’intelligence d’une ville ne se trouve pas forcément dans la course à la modernité 2.0 ; mais plutôt dans sa capacité à être utile à tous ses habitants. Diamniadio et Kigali tendent vers des modèles de « villes intelligentes », importés de l’occident et vitrines de la mondialisation, mais une analyse pragmatique permettrait de remettre en cause leur réelle utilité, si l’on sait déjà les conditions de vie précaires des habitants aux alentours (l’accès à l’électricité et l’adduction en eau potable défaillants à proximité de Diamniadio, urbanisation anarchique autour de Kigali) et le prix à payer pour mettre en place ces villes, dans un contexte de tarissement des finances publiques. De même, dire que Nairobi a son « Silicone Valley » est bien pour son image de marque, pour sa propension à devenir la plus grande « technopole » africaine, mais cette image paraît surprenante et inutile, car les solutions à apporter pour la régulation des habitats informels en périphérie de la ville sont plus préoccupantes et urgentes. Que faire de ces milliers de pauvres qui peinent à bénéficier des rentes de cette « technopole » ? L’urgence est donc ailleurs ! Promouvoir des solutions et innovations technologiques toutes faites est bien, mais interroger les conditions de leur intégration cohérente dans l’existant est un important travail à faire en amont.

En outre, en Afrique, la généralisation progressive de l’accès au numérique et à internet est prise comme des atouts et des « arguments » par les politiques pour la mise en place de « villes intelligentes », mais l’intelligence de cette démarche est de reconnaître — en amont — que la fracture numérique, la pauvreté, l’accès aux services essentiels tels que l’eau potable, l’électricité (« une condition de base pour une ville connectée »)…. sont encore de réelles équations à résoudre dans les grandes villes africaines (Dakar, Bamako, Nouakchott, etc.). La démarche idéale serait — par exemple — d’injecter des possibilités d’usages numériques dans ces services essentiels pour faciliter leur accès, pour donner également un confort de vie aux populations par rapport à leurs besoins les plus urgents.

 Enfin, le projet de ville intelligente est bien, mais — en Afrique — il faudrait que tous les habitants y soient investis. En effet, une ville intelligente met l’humain au cœur des dispositifs des politiques de la ville. Donc toute idée de ville intelligente est dénuée de sens si les habitants ne n’y sont pas intégrés comme des acteurs.

Conclusion

Nous estimons finalement qu’une ville intelligente est une ville construite selon une approche systémique et globale qui met en symbiose le développement urbain et le développement humain. L’intelligence de la fabrication d’une ville intelligente à l’africaine se trouve dans la capacité à l’adapter aux réalités socio-économiques et culturelles des villes pour répondre aux besoins et aux préoccupations les plus alarmantes et utiles des populations, notamment le plus grand nombre (généralement les pauvres dans les villes africaines). Ces préoccupations peuvent être orientées vers les besoins essentiels : parvenir à améliorer l’accès aux soins, à l’électricité ; mettre en place des systèmes de déplacement doux, adaptés et peu coûteux ; parvenir à créer une mixité fonctionnelle et sociale afin de donner les mêmes chances à toutes les catégories de population. 

En définitive, l’intelligence d’une planification se trouve dans sa démarche cohérente et non dans un fantasme que l’on montre et vend. 

Bibliographie :

 Dupuy G (1992) L’informatisation des villes ; Que sais-je ? ; 2701. Ed : PUF, 1992.

Quels mécanismes de financement pour accompagner la politique urbaine des villes africaines ?

Le continent africain connaît une urbanisation galopante et contraignante. En effet, selon la Banque Mondiale (février 2017), les agglomérations urbaines y abritent environ 472 millions d’habitants, un chiffre voué à doubler au cours des vingt-cinq prochaines années. Les grandes villes situées sur les littoraux du continent connaissent le phénomène de saturation urbaine et ne peuvent donc plus accueillir les flux de population. En outre, l’urbanisation est contraignante, car elle n’évolue pas dans les même proportions que la croissance économique. Par conséquent, les populations — notamment les plus pauvres et vulnérables — sont livrées à elles-mêmes ; ainsi, les villes africaines connaissent une informalité grandissante expliquée par une absence de réglementation de l’occupation du sol. Cette informalité est un problème alarmant auquel il faut trouver une solution ; mais qui doit s’en charger ? Les Etats ou les villes (les collectivités locales) ? En Afrique, si les États disposent des moyens plus importants pour mener des politiques d’envergure, la plupart des pays, sont régis par un contexte de décentralisation. Toutefois cette décentralisation est incomplète en raison des faibles ressources financières dont disposent les collectivités locales pour le financement de politiques locales. Comment financer le financement des villes africaines pour leur permettre d’accompagner de façon efficiente la forte urbanisation ? Nous allons, dans un premier temps, nous interroger sur les différents enjeux liés à l’occupation foncière, en exposant les relations de cause à effet entre l’urbanisation, la saturation urbaine et l’informalité. Ensuite, nous montrerons en quoi « la formalisation de l’informel » influe sur la morphologie des villes africaines. Enfin, nous exposerons en perspective différents mécanismes de réglementation qui permettraient aux villes africaines d’avoir des recettes financières plus solides pour financer leurs différentes politiques locales.

 

L’occupation foncière dans les villes africaines pose trois enjeux fondamentaux

 

   D’abord, l’informalité se manifeste par une occupation irrégulière, spontanée de l’espace, précisément du foncier urbain. En effet, généralement touchées par l’étalement urbain, conséquence d’une saturation urbaine, les grandes villes africaines ne disposent plus de suffisamment d’espace pour accueillir tous les candidats à l’exode rural. Ainsi, les populations, notamment les plus démunies, sont souvent obligées de s’installer sur le long des parties périurbaines en formant des bidonvilles, donc des habitats non lôtissés, avec une absence de système d’adressage et cadastral.

 

Ensuite, l’occupation foncière est la problématique la plus préoccupante et complexe dans les villes africaines. Une bonne partie du foncier urbain échappe à la fiscalité aussi bien le foncier réglementé (refus volontaire ou involontaire de payer la taxe d’acquisition d’une parcelle et la taxe foncière annuelle) que le foncier non réglementé (illégitimité administrative : occupation irrégulière, pas de permis de construire ni de permis d’aménager). Donc, si la mise en place d’équipements et d’infrastructures locales relève de la compétence des collectivités locales dans le cadre de la décentralisation, l’absence d’une taxe foncière solide condamne les villes à la pauvreté et rend la finance locale défaillante. 

 

Enfin, les activités économiques informelles, notamment les petites exploitations commerciales (des marchands ambulants et des petits commerces de proximité), échappent généralement au contrôle de la fiscalité. Plus les activités économiques et commerciales sont importantes, plus les collectivités souffrent d’un « manque à gagner » financier. Elles doivent donc être programmées dans les politiques locales, avec la réservation d’espaces réglementés, accessibles et favorables pour les investisseurs et les petits commerçants locaux. Mais cela nécessite des ressources financières solides.

 

    Le principal défi posé par ces trois enjeux est de réfléchir sur des mécanismes de réglementation qui permettraient d’avoir des finances locales plus solides à travers des recettes fiscales non seulement sur le foncier (taxe sur la propriété et l’occupation du sol), mais aussi sur les petites et moyennes activités commerciales informelles (taxes sur les activités, quelles qu’elles soient. Il s’agit donc de réfléchir sur des moyens de financement des collectivités locales pour qu’elles puissent améliorer le niveau de vie des populations. Ces solutions sont entre autres des politiques d’investissement solides pour améliorer l’offre de services existante pour les populations ; « la formalisation de l’informel » à travers une profonde réforme foncière qui passe la réorganisation du système cadastral et d’adressage.

 

   Dans les collectivités locales africaines, une part des ressources provient de l’État dans le cadre de la décentralisation — même si ces ressources sont généralement insuffisantes pour financer toutes les politiques locales, du fait de la distribution clientéliste : « le parti politique avant la patrie » —, les recettes fiscales locales faibles, les subventions des bailleurs de fonds et les dons des associations à but non lucratif. Ces différentes sources de revenus n’étant pas suffisantes pour assurer toutes les dépenses publiques locales, le recours à l’investissement s’avère important. En quoi l’investissement consiste-t-il ? Selon J. Chenal (2013), l’investissement consiste d’une part à répondre à la forte demande d’équipements et d’infrastructures de la part des populations locales et d’autre part la fourniture de l’offre de services (équipements, infrastructures, etc.) qui s’inscrit dans une logique d’anticipation des besoins des populations. L’investissement est donc un mécanisme important pour relever le défi de la finance dans les collectivités locales africaines et il doit être centré sur la fourniture d’infrastructures pour accompagner la forte urbanisation et favoriser l’attractivité pour l’implantation d’entreprises.

 

La politique urbaine repose sur un assouplissement des rigidités administratives

 

   Ensuite, « la formalisation de l’informel » passe inévitablement par une réforme structurelle des marchés fonciers. En effet, face à l’augmentation accrue de la population, le défi est de parvenir à loger le plus grand nombre. Il s’agit de mener une politique d’habitat et foncière solide, en assouplissant les démarches administratives pour accéder à la propriété foncière et de renforcer la réglementation de l’occupation en mettant en place des documents d’urbanisme adaptables et adaptés aux contextes locaux.

 

Ces documents d’urbanisme, une fois adaptés aux contextes sociologiques des villes africaines, devraient également préconiser des règles pour la régulation du prix du foncier (pour éviter les spéculations qui condamnent les plus pauvres, et favorisent par conséquent, le développement des bidonvilles), des prescriptions sur des zones constructibles et les zones non constructibles ; les périmètres aménageables et les périmètres non aménageables. Ces politiques de réglementation foncière doivent s’appuyer, en somme, sur deux systèmes : l’adressage et le cadastre.

 

L’adressage et le cadastrage : les leviers de la rationalisation de l’espace en Afrique

 

D’une part, l’adressage est un système d’identification et de localisation géographique qui permet de se positionner, de se situer dans un espace, dans une ville. Autrement dit, « adresser » une ville, revient à faire une nomenclature des entités spatiales, de l’échelle la plus petite (parcelle, rue), à l’échelle la plus grande (avenue, boulevard, quartier). Mettre en place un bon système d’adressage permettrait donc d’avoir des informations sur les différentes échelles spatiales de la ville, mais également les coordonnées géographiques exactes de chaque entité spatiale pour la conception d’une base de données efficace pour la détermination des taxes foncières, donc pour l’amélioration des ressources financières locales.

 

D’autre part, un système cadastral solide permet de répertorier les différentes parcelles disponibles et occupées, suite à un bon adressage : c’est le cadastre fiscal. Le cadastre permet d’avoir des informations claires sur les caractéristiques d’une parcelle, d’une rue, d’une entité spatiale. Autrement, il permet d’avoir une lecture précise sur le foncier : sa propriété, sa situation, son périmètre pour la sécurisation foncière : c’est le cadastre juridique. Enfin, le cadre permet d’avoir une lecture d’ensemble sur la ville pour la planification urbaine : on parle de cadastre technique. En somme, un bon système cadastral doit, cependant, être réactualisé continuellement, sans quoi, il ne donne pas des informations efficaces pour la taxe foncière.

 

    En définitive, la croissance démographique est une illustration de la thèse anti-populationniste de Malthus dans les villes africaines. En effet, lorsqu’elle ne s’accompagne pas d’un encadrement et d’une politique d’aménagement du territoire, elle dégrade le cadre de vie, dérégule l’occupation foncière, augmente l’informalité, etc. Donc, aujourd’hui, le défi du développement économique et du financement des villes africaines est la maîtrise de la démographie et donc de l’urbanisation. Il faudrait donc faire en sorte que la croissance démographique évolue en même temps que la croissance économique ; et cela doit passer par une bonne gouvernance urbaine, car selon la Banque Mondiale (février 2017) : « grâce à une meilleure gestion urbaine, les pays africains pourraient s’appuyer sur les villes pour accélérer leur croissance et s’ouvrir aux marchés mondiaux. »

 

Sources

Chenal J., La ville ouest-africaine : modèles de planification de l’espace urbain, février 2013, Metispress.

Afrique : des villes productives et vivables, la clé pour s’ouvrir au monde, WASHINGTON, 9 février 2017

http://www.banquemondiale.org/fr/region/afr/publication/africa-cities-opening-doors-world

Le transport et la mobilité dans les villes africaines: Enjeux et défis!

urbaLa promotion d’une mobilité « intelligente et « intégrée » qui prend en compte les attentes variées et évolutives des populations, positionne au cœur des enjeux contemporains la question du : « comment mieux-vivre ensemble avec un système de transport efficient ? », dans les villes africaines. Les populations africaines, par l’usage des modes de transport « classiques » – du taxi à l’autobus, en passant par la voiture individuelle et des systèmes de covoiturage informels – se déplacent classiquement pour la courtoisie, le travail, les soins, etc. Aujourd’hui, avec l’émergence de nouveaux besoins en transports et mobilités, liée à la forte urbanisation (40% en 2015, selon la Banque Mondiale) à la croissance démographique (solde naturel[1] et solde migratoire[2] relativement élevés) et le développement des activités dans les grands pôles urbains, les attentes des populations se redéfinissent en fonction des exigences de la modernité et de la mondialisation. Le système de transport classique (un bon indicateur de développement de la ville africaine, car étant en forte corrélation avec le niveau de développement socio-économique des pays et l’hétérogénéité des niveaux de vie) n’est plus forcément adapté et suffisant. Cet article revient sur le système de transport des villes africaines et les enjeux et défis auxquels elles font face.

Le système de transport et de la mobilité dans les villes africaines.

Le circuit des transports et de la mobilité a donc besoin d’être réactualisé et étudié en profondeur pour comprendre sa complexité, mais cela nécessite, dans un premier temps, une analyse du système de transport existant. Le système de transport africain n’est pas une exception. Son analyse nécessite la prise en compte – comme partout ailleurs – de trois éléments : les services, les équipements-infrastructures et les usagers.

D’abord, les services sont les moyens de transports : les véhicules déployés par les pouvoirs publics ou par les entrepreneurs privés pour la mobilité des usagers, la voiture individuelle, le bus, le vélo, etc.

Sur le continent africain, les services de transport peuvent être répartis en fonction du niveau de développement socio-économique des pays : plus un pays est développé, plus il dispose de ressources technico-financières pour bien s’équiper en services de transport efficaces. À l’échelle du continent, les plus grandes villes se situent sur le long des littoraux (Atlantique et Méditerranéen), notamment un premier ensemble « Afrique maghrébine- Afrique Australe » qui se distingue grâce à un niveau de développement économique plus affirmé par rapport à un deuxième ensemble de villes littorales relativement développées (Afrique de l’ouest : Dakar, Abidjan, etc.) et un troisième ensemble composé de villes de l’Afrique continentale, peu dynamiques économiquement. L’inventaire des services de transport disponibles nous permet de lister quelques pays qui ont le tramway (Maroc, Algérie, Afrique du Sud, Rwanda, etc.) avec bien-sûr les autres services de transport (bus, taxi, etc.) et la quasi-totalité des pays africains qui a le bus, le taxi ainsi que d’autres services de transport hérités de la culture locale (calèche d’âne dans les villages, etc.).

 Ensuite, les équipements et les infrastructures sont des moyens techniques, des voies de circulation sur lesquelles circulent les services de transport. C’est la route pour la voiture individuelle (les particuliers) et collective (le bus, le taxi, etc.) ; le rail destiné au train et au tramway, des parkings pour le stationnement des véhicules, enfin, des passages piétons pour les passagers piétons. Le niveau de ces équipements dépend fortement du développement économique du pays et des politiques publiques de planification des transports.

Enfin, les usagers (les piétons, les conducteurs automobiles, les cyclistes) sont les utilisateurs des services et des infrastructures de transport qui expérimentent la mobilité. Nous avons deux ensembles d’usagers : les usagers « complets » et les usagers « réduits » (les personnes à mobilité réduite : handicapés, femmes enceintes, personnes âgées, etc.). Généralement, dans la planification des transports, ces derniers sont négligés, à cause la non-maîtrise de leurs attentes liée à l’absence d’études sociologiques, de l’informalité, mais aussi et surtout du manque de volonté politique. En revanche, l’avènement du numérique avec le développement de nouveaux services de transport et de mobilité (système de covoiturage de proximité – bien que informel, l’informatisation de la location de voiture, le déploiement croissant de nouveaux mobiliers urbains « intelligents », la recrudescence de nouvelles entreprises innovantes dans le secteur du transport grâce à la « Main Invisible » des ingénieurs et concepteurs de la diaspora africaine en Europe et aux États-Unis), les usagers « réduits » sont de plus en plus pris en compte dans le circuit de la mobilité.

Au regard des attentes de populations, il est donc difficile d’appréhender un système de transport efficient sans une bonne maîtrise des usagers et leurs besoins en terme de mobilité. Les usagers représentent le barycentre sur lequel toutes les innovations et toutes les politiques publiques et privées en matière de transport prennent source. La prise en compte des attentes des usagers est une condition sine qua none dans les différentes politiques publiques de transport.

En somme, les services de transport disponibles pour les différentes catégories d’usagers façonnent le niveau de vie socio-économique des espaces urbains africains. Aujourd’hui, plus une ville est développée économiquement, plus elle dispose de façon déterministe une population hautement qualifiée, plus elle a une propension à miser sur des moyens pour favoriser le développement de services innovants en matière de transport et de mobilité. L’existence d’applications mobiles (Talibi – Un GPS développé par des ingénieurs sénégalais), modifie positivement les manières et les raisons de se déplacer, les tarifications des services, etc.

L’efficience d’un système de transport dépend aussi fortement de sa planification.

 

 Une planification défaillante des transports dans les villes africaines.

La planification d’un système de transport nécessite la prise en compte des disparités spatiales qui caractérisent les territoires : les dualités rural/urbain, centres/périphéries, etc. ; les besoins quantitatifs (besoin en quantité d’infrastructures) et qualitatifs (préférence des unes par rapport aux autres, une bonne gestion) des usagers. La réalité africaine montre une complexité de la mobilité, notamment dans les zones urbaines : le système de transport y est globalement mal maitrisé. En effet, en plus de la forte urbanisation (40% en moyenne dans les pays africains) et de l’accélération du taux de motorisation (taux de motorisation de 27% et une croissance de 2% en moyenne depuis 10 ans, Echos, 2015); la non-prise en compte des réalités socioéconomiques des populations et la mauvaise qualité des voies de circulations – des routes bitumées et étroites, héritées généralement de la colonisation, causant une mobilité anarchique et des congestions urbaines chroniques – entrainent des pertes de temps ne serait- ce que pour faire un petit trajet. Cette situation provoque des externalités négatives sur le social, l’économie et l’environnement des villes, car plus une ville est encombrée, plus elle devient moins attractive à cause de la pollution sonore et atmosphérique, moins elle est compétitive sur le plan international.

Au Sénégal, les mouvements pendulaires, avec les déplacements campagne-Dakar et le sens inverse, sont une conséquence de l’urbanisation et de l’étalement urbain de la région de Dakar. En effet, la polarisation des activités et des services dans la capitale positionne la ville comme la centralité et le terminus de multiples trajets au quotidien.

De même, les déplacements inverses, Dakar-espaces périphériques et campagnes, deviennent importants, car la capitale s’étale, les infrastructures se développent et les candidats à l’exode rural gardent généralement des liens affectifs avec leur localité d’origine et n’ont pas forcément le choix à cause de la rareté et la cherté du foncier à Dakar. Par conséquent, les voies de circulation s’encombrent pendant les week-ends et les périodes de grandes fêtes culturelles et religieuses (Tabaski[3], etc.). Cet encombrement se conjugue avec une informalité dans les différents réseaux de circulation : la présence de marchands ambulants sur le long des routes, le non-respect du code de la route par certains automobilistes et la corruption entre ces derniers et les agents de régulation, une certaine insouciance des dangers de la circulation de la part des piétons : traversées anarchiques des voies routières, etc.

En outre, nous notons une primauté du transport routier, donc une absence de diversification des réseaux. Le réseau ferroviaire assurait une bonne qualité de desserte et de circulation des personnes et des marchandises au Sénégal, mais il est aujourd’hui délaissé au profit du réseau routier qui ne suffit plus, au regard de l’augmentation des besoins en mobilité des populations aux catégories socioéconomiques variées.

Les services et les infrastructures de transport dépendent d’un choix politique opéré par les décideurs publics, résultant généralement d’enquêtes sociologiques réalisées en fonction des réalités socio-culturelles du pays. Cependant, face au tarissement des finances publiques et un système de décentralisation inachevée et vulnérable (les collectivités locales ne disposent pas de moyens financiers solides pour financer certains services locaux essentiels), plusieurs pays africains ne disposent pas suffisamment de moyens pour mettre en place des projets tangibles de construction d’infrastructures de transport.

 

Enjeux et défis.

Les différents contextes du transport et de la mobilité dans les villes africaines, soulèvent des enjeux et défis environnementaux, économiques, culturels, sociétaux.

D’un point de vue économique, la diversité et l’augmentation des services de mobilité plus innovants en fonction des besoins des populations ainsi que l’évolution des différents acteurs et usagers font que l’offre de mobilité se transforme au niveau des prix, des coûts et des modèles économiques. De plus, le secteur privé apparaît de plus en plus comme un relais pour compenser les limites financières du secteur public en terme d’innovation et de créativité des services de transport et de mobilité pour les différentes catégories de populations.

De plus, les transports et la mobilité présentent des effets structurants dans le développement économique d’une ville. En effet, plus les populations sont motorisées, plus elles sont mobiles et – corrélativement – plus l’économie est dynamique.

Sur le plan environnemental, l’innovation dans le transport et la mobilité, notamment les usages numériques, participe à la lutte contre la consommation d’énergie, à la réduction des coûts de la mobilité, et la lutte contre la pollution atmosphérique. L’hybridation entre le numérique et les services de transport favorise donc une certaine sobriété énergique dans la mobilité.

Les enjeux sociétaux concernent, d’une part, l’émergence d’une nouvelle forme d’urbanité, de sociabilité à distance avec notamment les communications à distance à la place de la mobilité physique et d’autre part, les nouveaux comportements liés aux usages d’équipements de passe-temps en plein voyage, l’usage de nouveaux modes de transport « smart », économiques et conviviaux (système de covoiturage – même si encore informel, location de voiture en groupe, etc.).

Nous estimons finalement que les services, les usagers, les équipements-infrastructures définissent le système de transport pour la mobilité des différentes catégories de population dans les villes africaines. Ce système de transport, au regard de ses différentes ambiguïtés, nécessite une maîtrise de la part des pouvoirs publics, en répondant mieux aux attentes variées des populations.

Par ailleurs, moyens de création d’emplois, de la richesse, de rapprochement entre les populations, le système de transport est consubstantiel au développement économique. Face au défi de la modernité, à la volonté de créer une cohésion sociale entre les différentes classes sociales, à l’ambition de favoriser une équité territoriale, l’innovation dans le transport et la mobilité, notamment l’émergence des mobiliers urbains « smarts » et des usages numériques, redonne une nouvelle lecture à la planification urbaine, en accordant par exemple un périmètre de « Providence » aux usagers à mobilité réduite (handicapées, les personnes âgées), en désenclavant les territoires « périphériques » des zones urbaines.

En définitive, révélatrice des disfonctionnements urbains, la question des mobilités et des transports est centrale en Afrique et sa maîtrise est présentée comme une alternative efficiente dans une perspective de développement durable des villes.

 

Cheikh CISSE

 


[1] Différence entre le nombre de naissances et le nombre de décès dans un espace donné.

 

 

[2] Différence entre les entrées et les sorties de populations dans un espace donné.

 

 

[3] Traduction wolof de l’Aïd – Kabir, une grande fête des musulmans

 

 

Le foncier : une équation complexe au Sénégal

foncLes villes africaines, notamment les grandes capitales d'État, connaissent depuis quelques décennies, une urbanisation galopante. Selon la Banque Mondiale, malgré le fait que l’Afrique soit au début de sa transformation urbaine, son taux d’urbanisation est estimé à 40% en 2015. Cette forte urbanisation – bien que significative dans la croissance économique des villes grâce à la création de richesse et la disponibilité d'une main d'œuvre abondante – soulève une problématique fondamentale: l'occupation foncière. En réalité, plus les grandes villes accueillent des populations, plus elles ont besoin d'espaces supplémentaires pour faire face au grignotage accru du foncier urbain. Dans cet article, nous exposons dans un premier temps, les caractéristiques actuelles du système foncier au Sénégal. Ensuite, nous montrons les méthodes de gestion du foncier existant, en interrogeant les différents jeux d’acteurs qui interagissent autour de ce système. Enfin, nous esquissons quelques pistes de réflexion qui pourraient éventuellement résoudre l’équation complexe du foncier dans les villes sénégalaises.

 

État des lieux du foncier au Sénégal

 

          Une minutieuse observation du processus d’étalement urbain des grandes villes sénégalaises, notamment la région urbaine de Dakar, permet de comprendre comment la question du foncier présente des enjeux fondamentaux dans les dynamiques d'occupation du territoire. Si l'urbanisation, à travers l'usage accéléré du sol, explique en partie la rareté foncière au cœur des grandes villes sénégalaises (Dakar, Thiès, Touba, etc.), l’éparpillement des villes en morceaux étalés est très fortement lié à une volonté politique de réalisation de nouveaux lotissements moins chers et accessibles en périphérie des grandes villes. Aujourd’hui, c’est le cas de la région urbaine de Dakar. En effet, l’hypertrophie de la capitale sénégalaise a favorisé la création d’une ville nouvelle (Diamnadio) en périphérie, avec une viabilisation du foncier qui a entraîné le développement de nouveaux lotissements sur le long de chemin qui mène vers cette Ville Nouvelle (Zone d’Aménagement Concerté de Mbao, Këër Mbaye Fall, Tivaouane Pëël, etc.). De plus, la mise en place de nouveaux équipements et infrastructures rend ces zones accessibles. Nous pouvons donc retenir une volonté de l’État d’encourager une croissance urbaine horizontale à travers la viabilisation des terrains et la mise en place d’équipements et d’infrastructures. Cependant, malgré cette volonté de l'État, nous pouvons quand même remarquer son inaction sur d’autres aspects du foncier au Sénégal.

          En effet, l’État est censé être le garant de l’intégrité territoriale ; le gendarme du foncier à travers des taxes et des exigences normatives, mais face à l’émergence de nouveaux types de propriétaires privés, parfois très riches, on note, de plus en plus, une indifférence, un désengagement de l’État, au niveau du droit de propriété foncière. En d’autres termes, les propriétaires privés gèrent, au même titre que l’État, des lotissements entiers ; ce qui leur assure une certaine puissance vis-à-vis de l’institution publique. Par exemple, si l’État sénégalais a mis les conditions adéquates et favorables pour le développement de nouveaux lotissements sur le long de la périphérie dakaroise, la plupart de ces lotissements sont des propriétés privés (Cité Këër Doudou Bass Njaxiraat, etc.).         Ensuite, dans un contexte de décentralisation progressive de l’appareil étatique dans la gestion locale du foncier, les collectivités territoriales locales voient leur marge de manœuvre augmentée. En effet, les collectivités locales, le notaire et le préfet doivent jouer le rôle d’arbitre pour éviter les litiges. Mais parfois, la réalité est tout autre: les usurpations sont plus que jamais présentes dans la gestion foncière. Les collectivités locales qui sont censés protéger les acheteurs et sécuriser le foncier apparaissent faibles et parfois même complices ; une situation qui montre la vulnérabilité et le risque qui caractérisent ce secteur très complexe. Enfin, un des constats que nous pouvons faire sur la question foncière dans les villes africaines est sa planification. Le foncier est-il bien utilisé ou bien valorisé ? En réalité, dans les villes sénégalaises, l’occupation foncière présente parfois des risques environnementaux, économiques et sociaux avérés. Il arrive que les lotissements soient faits dans des zones à risque d’inondation, d'érosion marine, ou dans foyers de conflits intergroupes, etc. Ainsi, l’aménagement du terrain est mis au second plan, alors que les pouvoirs publics, notamment les collectivités locales, dans un contexte de décentralisation, doivent assurer une certaines sécurisation foncière en délivrant par exemple des permis de lotir et de construire que dans des zones constructibles.

 

L’administration foncière au Sénégal.

 

L’administration coutumière : pendant longtemps, dans les villes sénégalaises, la propriété de la terre est attribuée au « Buur »[1], autrement dit, n’appartenant à personne. Cette non-identification du foncier signifie que le foncier appartient à tout le monde. En revanche, il existe un chef de quartier ou de ville – généralement le « Buur » – qui assure son administration, sa distribution et sa sécurisation. Donc le foncier n’appartient en aucun cas, ni à l’État, ni à un propriétaire privé. Tout le monde, quel que soit son niveau de vie socio-économique, avait le droit de l’utiliser. Cependant, avec l’arrivée des colonisateurs, la gestion coutumière du foncier est délaissée au profit d’une gestion plus centralisée, plus administrée par l’autorité coloniale, considérée alors comme l’État.

 

La sécurisation foncière : étant le garant de la sécurisation foncière, le propriétaire majoritaire des terres, l'État rencontre différents problèmes avec ses populations. En effet, si dans la plupart des législations foncières, le terrain détenu par un propriétaire privé doit-être reconnu, cadastré (donc identifié) et sécurisé, il existe toutefois des problèmes, rencontrés principalement par les populations qui achètent des terrains sans connaître forcément les règles législatives du foncier à cause de la lourdeur des démarches administratives et le manque d’informations transparentes sur la question. Cette situation nécessite un questionnement lucide afin de trouver des solutions idoines pour les populations –acheteurs qui, au final, sont les grands perdants dans ce système.

 

Quelles solutions : faut-il prévoir ou faut-il faire avec en comblant le vide du système ?

 

         

Face à la lourdeur des démarches administratives, le favoritisme et le clientélisme qui existent au cœur de ce système foncier, il est très difficile de prévoir les éventuels problèmes. Pour prévoir quelque chose, cela suppose d’être d’abord à jour, donc en avance sur les problèmes présents. Or, l’administration est lente et parfois complice dans ce système. Ce qui fait qu’il n’est pas probable d’être dans une situation de prévention. Cette dernière est également compliquée dans un contexte de forte urbanisation, donc de demande accrue du foncier, et d’une méconnaissance avérée des législations foncières par certaines populations. Il suffit de voir comment l’habitat spontané s’est développé dans les années 1960-1970, à Guinaw Rail, un quartier populaire de la ville de Pikine, pour comprendre l'improbabilité de la prévention, sachant que l’administration est relativement faible et lente sur la question de la sécurisation foncière. N’ayant pas de solution, les collectivités locales sont obligées de subir, de céder face à la pression des populations. Donc, sans le vouloir, l’informalité est formalisée pour assurer une paix sociale et faire face à la forte pression démographique. En revanche, là où la formalité et la prévention prennent sens, c’est quand les autorités locales tentent d’assainir et d'équiper les habitats informels existants en mettant en place des services essentiels pour les populations : l’assainissement, l’eau, l’électricité, etc. Il y aurait donc une acceptation de l’informalité qui favorise une condition de prévention.

 

          En définitive, dans un contexte d’urbanisation accentuée, donc de grignotage accru du foncier dans les grandes villes sénégalaises, notamment la capitale, le foncier devient rare et est le nerf de plusieurs problèmes environnementaux, économiques et sociologiques à cause d’une gestion défaillante de la part de l’État et les institutions publiques locales. En effet, si l’État a balisé le terrain en mettant en place des équipements publics (infrastructures, etc.) pour encourager l’occupation des terrains situés en périphérie de Dakar, il existe tout de même un certain laisser-aller  de sa part sur les questions relatives à la sécurisation, à l’aménagement local, mais aussi et surtout à l’environnement.

 

 

Cheikh Cisse


[1] Le roi, le chef de quartier, etc.