Bâtiment d’Afrique, un gouffre énergétique !

batimentL’Afrique  d’aujourd’hui connaît un processus d’urbanisation très  rapide qui est nourri par une croissance démographique élevée. Il faut souligner que le bâtiment et, plus généralement, l’urbanisation se situent au cœur des enjeux économiques, sociaux et environnementaux de nos sociétés. Il est donc vital d’anticiper les besoins en infrastructures et en ressources et de limiter les dégradations environnementales et sociétales associés au processus d’urbanisation, particulièrement au regard de la durée de vie importante des constructions urbaines. Le bâtiment durable s’inscrit dans cette perspective et vise également à proposer des éléments de réponses aux difficultés rencontrées par certains pays en matière de lutte contre la pauvreté et les inégalités, d’accès à l’énergie et à un approvisionnement énergétique durable et sobre en carbone, de gestion des ressources naturelles et d’adaptation au changement climatique.

Problèmes énergétiques du Bâtiment en Afrique

L’Afrique est confrontée à des problèmes d’approvisionnement énergétique ainsi qu’à un déficit d’accès à l’électricité pour une part importante de sa population. Près de 530 millions d’habitants dépendent de sources d’énergies polluantes et peu efficientes (bois, charbon, gaz) pour la cuisson, le chauffage et l’éclairage[1]. La demande en énergie devrait s’accroître considérablement avec l’urbanisation et pourrait, par exemple, être multipliée par cinq d’ici 2030 et par douze d’ici 2050 dans les pays de la Coopération Économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO)[2].

Il faut souligner que les économies africaines restent, à l’heure actuelle, très dépendantes des énergies fossiles, notamment du pétrole (42 % de la consommation énergétique en 2011), du gaz (15 %) et du charbon (13 %), mais aussi de la biomasse (29 %) et dans une moindre mesure de l’hydroélectricité. Malgré un potentiel considérable, moins de 1 % du mix énergétique est attribuable aux énergies renouvelables[3]. Une augmentation de la demande aura donc des effets sensibles sur les émissions de gaz à effet de serre, sur l’exploitation de certaines ressources, mais également sur un prix de l’énergie déjà élevé[4].

Le développement du marché du bâtiment durable doit s’inscrire donc dans ce contexte, avec la mise en place de politiques visant à la fois à réduire les besoins à travers l’efficacité énergétique mais également à permettre le développement de sources d’énergies moins polluantes.

La structure DEV-ENERGY PLUS, mise en place depuis 2015 au BENIN, s’inscrit entièrement  dans cette logique. Cette jeune entreprise témoignera au fil du temps  de son savoir-faire dans le domaine des énergies renouvelables, de l’efficacité énergétique et du développement durable dans la région de l’Afrique de l’Ouest.

Le bâtiment durable rime avec efficacité énergétique et énergie renouvelable

L’objectif premier du bâtiment durable est la mise en œuvre de mesures permettant d’atténuer l’impact environnemental du bâtiment (neuf ou existant), notamment au travers d’une plus grande efficacité énergétique et d’une meilleure gestion des ressources, tout en garantissant un niveau de confort élevé pour les occupants. Cela peut prendre la forme de stratégies de conception dites « passives » (architecture bioclimatique), de stratégies « actives » (intégration des énergies renouvelables, usage de matériels performants…)[5] et d’interventions sur l’ensemble du cycle de vie du bâtiment (usage de matériaux locaux, gestion optimale des déchets, etc.).

Parmi les nombreux autres avantages de la construction durable  on citera : une baisse des coûts de construction (8 à 9 % selon McGraw-Hill construction[6]) et des coûts d’exploitation et d’entretien, une meilleure résilience aux changements climatiques, ou encore un plus grand confort menant à une réduction des dépenses de santé et une hausse de la productivité des occupants (de 1 à 9 %, source GIEC[7]).

Intégrer les énergies renouvelables dans la conception des bâtiments en Afrique (panneaux solaires, éolienne de toit, climatisation solaire…) peut, par ailleurs, être un des éléments de réponse aux problèmes déjà évoqués de pauvreté énergétique, de manque d’accès à l’énergie, d’utilisation de sources d’énergies polluantes ou encore d’exploitation non durable de certaines ressources (biomasse), et ce sans avoir recours à des investissements onéreux en infrastructures. La promotion de l’utilisation de matériaux et de techniques de conception traditionnels, généralement mieux adaptés aux conditions locales, peut également être un moyen de valoriser des compétences spécifiques, y compris dans le secteur informel, et apporter un soutien aux économies locales.

L’Afrique reste  le continent disposant le plus de ressource énergétique naturelle mais demeure toujours le moins alimenté. Pour atténuer donc ce paradoxe  il faut absolument une adéquation entre la conception des bâtiments et la maitrise de leur consommation énergétique. La promotion des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique s’avère nécessaire. Des entreprises africaines tout comme  DEV-ENERGY PLUS en  fait une priorité : « procurer des solutions énergétiques sur mesure pour assurer un développement durable de l’Afrique » telle est notre mission.

 


[1] Oi, A., design and simulation of photovoltaic water pumping system. Partial fulfillment of the requirements for the Degree of Master of Science in Electrical Engineering, Faculty of California Polytechnic State University, San Luis Obispo, September 2005.

 

[2] Kane Mamadou, R.A., Les onduleurs pour systèmes photovoltaïques. Cythelia, Juillet  2001: p. 49

 

[3] P.A.B. James, A.S.B., R.M. Braid, PV array <5 kWp + single inverter = grid connected PV system: Are multiple inverter alternatives economic? Solar Energy, September2006. 80(9): p. 1179-1188

 

[4] cherfa, F.B., Etude et réalisation d’une centrale photovoltaïque connectée au réseau de distribution électrique BT Mémoire de magister, Ecole nationale Polytechnique Elharach, 2004

 

[5] Marcelo Gradella Villalva, J.R.G., and Ernesto Ruppert Filho, Comprehensive Approach to Modeling and Simulation of Photovoltaic Arrays IEEE TRANSACTIONS ON POWER ELECTRONICS, mai 2009. 24

 

[6] Patel, M.R., Wind and Solar Power Systems. Ph.D, édition CRC PRESS

 

[7] XU, J., Filtrage active shunt des harmoniques des réseaux de distribution d’électricité, Thèse de doctorat de l’INPL, Nancy, Janvier 1994

 

La place des villes dans un Sénégal émergent

dakarAvec près de la moitié de la population résidant en zones urbaines, le Sénégal présente un taux d’urbanisation supérieur à la moyenne observée en Afrique subsaharienne (40 %). Dans ce pays, la proportion de citadins a quasiment doublé ces dernières décennies — de 23 % dans les années 1960, elle est passée à 43 % en 2013 — et devrait s’établir à 60 % à l’horizon 2030. Certes, cet essor s’accompagne d’immenses défis, mais il offre aussi aux responsables sénégalais l’occasion d’opérer une transformation structurelle de l’économie.

En effet, on note que ce sont les centres urbains, et principalement la capitale Dakar, qui tirent la croissance. Ils sont globalement à l’origine de 65 % du PIB national, Dakar se taillant la part du lion (55 %). La région de Dakar abrite 50 % de la population urbaine sénégalaise, concentre plus de 52 % des emplois créés dans le pays et regroupe plus de 80 % des sociétés immatriculées au registre du commerce. À elle seule, la capitale accueille 62 % des créations d’entreprises.

Cependant, les villes sénégalaises souffrent dans leur ensemble d’un déficit infrastructurel chronique et d’une carence de services publics. Dans les villes secondaires, en particulier, 68 % des ménages sont raccordés au réseau d’alimentation en eau, tandis que les 32 % restants dépendent de bornes-fontaines. Par ailleurs, seuls 36,7 % des foyers en milieu urbain disposent d’équipements sanitaires de base (latrines, fosses septiques). Outre Dakar, seuls six centres urbains bénéficient d’un accès partiel à un système d’égout, à savoir Rufisque, Louga, Saint Louis, Kaolack, Thiès et les villes touristiques de Sally et Mbour. La gestion des ordures ménagères est en outre problématique dans la plupart des villes du pays, aussi bien sur le plan de l’enlèvement que du traitement des déchets. À cela s’ajoute une capacité limitée de planification de l’aménagement urbain : moins de 20 % des villes et des municipalités possèdent un plan d’urbanisme, et la plupart de ces plans sont obsolètes ou ne sont pas appliqués faute de capacités de gestion urbaine suffisantes dans les collectivités locales. L’inadéquation de la réglementation en matière de gestion et d’aménagement du territoire entraîne des distorsions sur les marchés foncier et immobilier, et conduit au développement d’implantations sauvages à la périphérie des villes, dans des zones sujettes aux inondations.
 
Mais, en dépit de ces difficultés, il existe plusieurs leviers d’action que les responsables publics sénégalais pourraient mettre en œuvre.
                                                                                                                                                        
Renforcer le rôle des villes secondaires et améliorer la gouvernance de la zone du Grand Dakar

Le manque de réseaux d’infrastructures et de services adéquats dans les villes secondaires exacerbe l’exode rural vers la capitale, ce qui a pour effet de dégrader encore davantage les conditions de vie des populations pauvres et de mettre à rude épreuve les capacités techniques et financières déjà limitées des autorités municipales et métropolitaines. Aussi faut-il répondre aux besoins de financement à deux niveaux différents :

  • en renforçant le rôle des villes secondaires, notamment des capitales régionales, pour qu’elles deviennent des pôles de développement plus productifs et plus vivables, afin de soulager l’agglomération urbaine de Dakar ;
  • en investissant dans l’agglomération urbaine de Dakar afin de répondre au manque d’équipements infrastructurels non financés ces vingt dernières années.

 
Les autorités sénégalaises peuvent également améliorer la gouvernance urbaine et surmonter les difficultés associées à l’urbanisation en mettant l’accent sur des enjeux communs et en y faisant face avec anticipation. En particulier, elles doivent mettre sur pied de nouveaux modèles de gestion décentralisée et une coopération multidimensionnelle afin de créer des systèmes économiques en zones urbaines plus efficaces et des villes inclusives qui garantissent l’égalité d’accès au logement, aux services et à l’emploi.
 
La Revue de l’urbanisation au Sénégal préconise de s’orienter vers les priorités stratégiques suivantes : revoir et moderniser les outils de planification territoriale ; dynamiser l’économie urbaine au moyen de programmes ciblés ; améliorer l’offre et l’accès aux services urbains ; développer les structures de gouvernance du territoire ; et réfléchir à des stratégies innovantes pour financer l’expansion du stock d’infrastructures urbaines. Ces cinq thématiques clés seront traitées dans le cadre de la mise en œuvre de « l’Acte III de la décentralisation » et de l’actuelle stratégie économique nationale, le « Plan Sénégal émergent » (PSE).

En outre, à la suite des recommandations formulées dans la Revue de l’urbanisation, le ministère de la Gouvernance locale et du Développement a fait appel à la Banque mondiale afin qu’elle appuie la mise en place d’interventions dans plusieurs villes du pays, dans l’objectif de prolonger durablement l’impact des efforts engagés. Le renforcement des autorités municipales et la réalisation des objectifs de développement économique à long terme du pays passent par l’instauration de systèmes de financement locaux fiables et autosuffisants. Le gouvernement tient par ailleurs à multiplier les réseaux interconnectés entre les villes et les régions et à tirer parti des opportunités économiques que recèle la population urbaine.

L’heure est venue pour les dirigeants sénégalais de fixer le cadre qui permettra de relever les défis du développement urbain et de répondre aux besoins d’une population en plein essor, dans un souci d’inclusion et d’efficacité.

Pour plus d'informations, s'il vous plaît voir Perspectives urbaines : villes émergentes pour en Sénégal émergent (French).

 

Cet article est issu des Blogs publiés par la Banque Mondiale et a été soumis par SALIM ROUHANA.

Le transport et la mobilité dans les villes africaines: Enjeux et défis!

urbaLa promotion d’une mobilité « intelligente et « intégrée » qui prend en compte les attentes variées et évolutives des populations, positionne au cœur des enjeux contemporains la question du : « comment mieux-vivre ensemble avec un système de transport efficient ? », dans les villes africaines. Les populations africaines, par l’usage des modes de transport « classiques » – du taxi à l’autobus, en passant par la voiture individuelle et des systèmes de covoiturage informels – se déplacent classiquement pour la courtoisie, le travail, les soins, etc. Aujourd’hui, avec l’émergence de nouveaux besoins en transports et mobilités, liée à la forte urbanisation (40% en 2015, selon la Banque Mondiale) à la croissance démographique (solde naturel[1] et solde migratoire[2] relativement élevés) et le développement des activités dans les grands pôles urbains, les attentes des populations se redéfinissent en fonction des exigences de la modernité et de la mondialisation. Le système de transport classique (un bon indicateur de développement de la ville africaine, car étant en forte corrélation avec le niveau de développement socio-économique des pays et l’hétérogénéité des niveaux de vie) n’est plus forcément adapté et suffisant. Cet article revient sur le système de transport des villes africaines et les enjeux et défis auxquels elles font face.

Le système de transport et de la mobilité dans les villes africaines.

Le circuit des transports et de la mobilité a donc besoin d’être réactualisé et étudié en profondeur pour comprendre sa complexité, mais cela nécessite, dans un premier temps, une analyse du système de transport existant. Le système de transport africain n’est pas une exception. Son analyse nécessite la prise en compte – comme partout ailleurs – de trois éléments : les services, les équipements-infrastructures et les usagers.

D’abord, les services sont les moyens de transports : les véhicules déployés par les pouvoirs publics ou par les entrepreneurs privés pour la mobilité des usagers, la voiture individuelle, le bus, le vélo, etc.

Sur le continent africain, les services de transport peuvent être répartis en fonction du niveau de développement socio-économique des pays : plus un pays est développé, plus il dispose de ressources technico-financières pour bien s’équiper en services de transport efficaces. À l’échelle du continent, les plus grandes villes se situent sur le long des littoraux (Atlantique et Méditerranéen), notamment un premier ensemble « Afrique maghrébine- Afrique Australe » qui se distingue grâce à un niveau de développement économique plus affirmé par rapport à un deuxième ensemble de villes littorales relativement développées (Afrique de l’ouest : Dakar, Abidjan, etc.) et un troisième ensemble composé de villes de l’Afrique continentale, peu dynamiques économiquement. L’inventaire des services de transport disponibles nous permet de lister quelques pays qui ont le tramway (Maroc, Algérie, Afrique du Sud, Rwanda, etc.) avec bien-sûr les autres services de transport (bus, taxi, etc.) et la quasi-totalité des pays africains qui a le bus, le taxi ainsi que d’autres services de transport hérités de la culture locale (calèche d’âne dans les villages, etc.).

 Ensuite, les équipements et les infrastructures sont des moyens techniques, des voies de circulation sur lesquelles circulent les services de transport. C’est la route pour la voiture individuelle (les particuliers) et collective (le bus, le taxi, etc.) ; le rail destiné au train et au tramway, des parkings pour le stationnement des véhicules, enfin, des passages piétons pour les passagers piétons. Le niveau de ces équipements dépend fortement du développement économique du pays et des politiques publiques de planification des transports.

Enfin, les usagers (les piétons, les conducteurs automobiles, les cyclistes) sont les utilisateurs des services et des infrastructures de transport qui expérimentent la mobilité. Nous avons deux ensembles d’usagers : les usagers « complets » et les usagers « réduits » (les personnes à mobilité réduite : handicapés, femmes enceintes, personnes âgées, etc.). Généralement, dans la planification des transports, ces derniers sont négligés, à cause la non-maîtrise de leurs attentes liée à l’absence d’études sociologiques, de l’informalité, mais aussi et surtout du manque de volonté politique. En revanche, l’avènement du numérique avec le développement de nouveaux services de transport et de mobilité (système de covoiturage de proximité – bien que informel, l’informatisation de la location de voiture, le déploiement croissant de nouveaux mobiliers urbains « intelligents », la recrudescence de nouvelles entreprises innovantes dans le secteur du transport grâce à la « Main Invisible » des ingénieurs et concepteurs de la diaspora africaine en Europe et aux États-Unis), les usagers « réduits » sont de plus en plus pris en compte dans le circuit de la mobilité.

Au regard des attentes de populations, il est donc difficile d’appréhender un système de transport efficient sans une bonne maîtrise des usagers et leurs besoins en terme de mobilité. Les usagers représentent le barycentre sur lequel toutes les innovations et toutes les politiques publiques et privées en matière de transport prennent source. La prise en compte des attentes des usagers est une condition sine qua none dans les différentes politiques publiques de transport.

En somme, les services de transport disponibles pour les différentes catégories d’usagers façonnent le niveau de vie socio-économique des espaces urbains africains. Aujourd’hui, plus une ville est développée économiquement, plus elle dispose de façon déterministe une population hautement qualifiée, plus elle a une propension à miser sur des moyens pour favoriser le développement de services innovants en matière de transport et de mobilité. L’existence d’applications mobiles (Talibi – Un GPS développé par des ingénieurs sénégalais), modifie positivement les manières et les raisons de se déplacer, les tarifications des services, etc.

L’efficience d’un système de transport dépend aussi fortement de sa planification.

 

 Une planification défaillante des transports dans les villes africaines.

La planification d’un système de transport nécessite la prise en compte des disparités spatiales qui caractérisent les territoires : les dualités rural/urbain, centres/périphéries, etc. ; les besoins quantitatifs (besoin en quantité d’infrastructures) et qualitatifs (préférence des unes par rapport aux autres, une bonne gestion) des usagers. La réalité africaine montre une complexité de la mobilité, notamment dans les zones urbaines : le système de transport y est globalement mal maitrisé. En effet, en plus de la forte urbanisation (40% en moyenne dans les pays africains) et de l’accélération du taux de motorisation (taux de motorisation de 27% et une croissance de 2% en moyenne depuis 10 ans, Echos, 2015); la non-prise en compte des réalités socioéconomiques des populations et la mauvaise qualité des voies de circulations – des routes bitumées et étroites, héritées généralement de la colonisation, causant une mobilité anarchique et des congestions urbaines chroniques – entrainent des pertes de temps ne serait- ce que pour faire un petit trajet. Cette situation provoque des externalités négatives sur le social, l’économie et l’environnement des villes, car plus une ville est encombrée, plus elle devient moins attractive à cause de la pollution sonore et atmosphérique, moins elle est compétitive sur le plan international.

Au Sénégal, les mouvements pendulaires, avec les déplacements campagne-Dakar et le sens inverse, sont une conséquence de l’urbanisation et de l’étalement urbain de la région de Dakar. En effet, la polarisation des activités et des services dans la capitale positionne la ville comme la centralité et le terminus de multiples trajets au quotidien.

De même, les déplacements inverses, Dakar-espaces périphériques et campagnes, deviennent importants, car la capitale s’étale, les infrastructures se développent et les candidats à l’exode rural gardent généralement des liens affectifs avec leur localité d’origine et n’ont pas forcément le choix à cause de la rareté et la cherté du foncier à Dakar. Par conséquent, les voies de circulation s’encombrent pendant les week-ends et les périodes de grandes fêtes culturelles et religieuses (Tabaski[3], etc.). Cet encombrement se conjugue avec une informalité dans les différents réseaux de circulation : la présence de marchands ambulants sur le long des routes, le non-respect du code de la route par certains automobilistes et la corruption entre ces derniers et les agents de régulation, une certaine insouciance des dangers de la circulation de la part des piétons : traversées anarchiques des voies routières, etc.

En outre, nous notons une primauté du transport routier, donc une absence de diversification des réseaux. Le réseau ferroviaire assurait une bonne qualité de desserte et de circulation des personnes et des marchandises au Sénégal, mais il est aujourd’hui délaissé au profit du réseau routier qui ne suffit plus, au regard de l’augmentation des besoins en mobilité des populations aux catégories socioéconomiques variées.

Les services et les infrastructures de transport dépendent d’un choix politique opéré par les décideurs publics, résultant généralement d’enquêtes sociologiques réalisées en fonction des réalités socio-culturelles du pays. Cependant, face au tarissement des finances publiques et un système de décentralisation inachevée et vulnérable (les collectivités locales ne disposent pas de moyens financiers solides pour financer certains services locaux essentiels), plusieurs pays africains ne disposent pas suffisamment de moyens pour mettre en place des projets tangibles de construction d’infrastructures de transport.

 

Enjeux et défis.

Les différents contextes du transport et de la mobilité dans les villes africaines, soulèvent des enjeux et défis environnementaux, économiques, culturels, sociétaux.

D’un point de vue économique, la diversité et l’augmentation des services de mobilité plus innovants en fonction des besoins des populations ainsi que l’évolution des différents acteurs et usagers font que l’offre de mobilité se transforme au niveau des prix, des coûts et des modèles économiques. De plus, le secteur privé apparaît de plus en plus comme un relais pour compenser les limites financières du secteur public en terme d’innovation et de créativité des services de transport et de mobilité pour les différentes catégories de populations.

De plus, les transports et la mobilité présentent des effets structurants dans le développement économique d’une ville. En effet, plus les populations sont motorisées, plus elles sont mobiles et – corrélativement – plus l’économie est dynamique.

Sur le plan environnemental, l’innovation dans le transport et la mobilité, notamment les usages numériques, participe à la lutte contre la consommation d’énergie, à la réduction des coûts de la mobilité, et la lutte contre la pollution atmosphérique. L’hybridation entre le numérique et les services de transport favorise donc une certaine sobriété énergique dans la mobilité.

Les enjeux sociétaux concernent, d’une part, l’émergence d’une nouvelle forme d’urbanité, de sociabilité à distance avec notamment les communications à distance à la place de la mobilité physique et d’autre part, les nouveaux comportements liés aux usages d’équipements de passe-temps en plein voyage, l’usage de nouveaux modes de transport « smart », économiques et conviviaux (système de covoiturage – même si encore informel, location de voiture en groupe, etc.).

Nous estimons finalement que les services, les usagers, les équipements-infrastructures définissent le système de transport pour la mobilité des différentes catégories de population dans les villes africaines. Ce système de transport, au regard de ses différentes ambiguïtés, nécessite une maîtrise de la part des pouvoirs publics, en répondant mieux aux attentes variées des populations.

Par ailleurs, moyens de création d’emplois, de la richesse, de rapprochement entre les populations, le système de transport est consubstantiel au développement économique. Face au défi de la modernité, à la volonté de créer une cohésion sociale entre les différentes classes sociales, à l’ambition de favoriser une équité territoriale, l’innovation dans le transport et la mobilité, notamment l’émergence des mobiliers urbains « smarts » et des usages numériques, redonne une nouvelle lecture à la planification urbaine, en accordant par exemple un périmètre de « Providence » aux usagers à mobilité réduite (handicapées, les personnes âgées), en désenclavant les territoires « périphériques » des zones urbaines.

En définitive, révélatrice des disfonctionnements urbains, la question des mobilités et des transports est centrale en Afrique et sa maîtrise est présentée comme une alternative efficiente dans une perspective de développement durable des villes.

 

Cheikh CISSE

 


[1] Différence entre le nombre de naissances et le nombre de décès dans un espace donné.

 

 

[2] Différence entre les entrées et les sorties de populations dans un espace donné.

 

 

[3] Traduction wolof de l’Aïd – Kabir, une grande fête des musulmans

 

 

Financer l’urbanisation en Afrique : de la nécessité d’une fiscalité locale forte !

urbnL’urbanisation massive sera la transformation la plus importante de l’Afrique au 21ème siècle, selon le directeur du développement durable de la Banque Mondiale. La démographie galopante du continent combinée à l’exode rural engendre une forte croissance de la population urbaine des pays africains. La population urbaine devrait représenter 84% de la population du continent d’ici 2040 (contre 40% en 2010), selon la BAD. Cette dynamique urbaine, qui selon certains analystes, traduit l’émergence d’une classe moyenne dans les villes africaines, est porteuse de plusieurs défis ; notamment dans les domaines sociaux (assainissement, éducation, adduction d’eau et accès à l’électricité, alimentation, …). 

Faire face à ces défis nécessitera des ressources financières que les administrations centrales ne pourront à elles seules supporter à travers leur budget. De plus, les ressources dont disposent les administrations locales, provenant pour l’essentiel des transferts reçus de l’Etat, de quelques bailleurs et de leurs partenaires dans des grandes villes occidentales, ne pourraient suffire pour apporter une réponse adéquate à ces besoins. Les administrations locales doivent donc être capables, dans ce contexte, de mobiliser les ressources nécessaires pour assurer le développement de leurs collectivités. 

Alors que la mobilisation de ressources sur les marchés financiers (solution utilisée par plusieurs grandes villes au monde pour financer des projets rémunérateurs) semblent contraintes en Afrique – du fait de la forte dépendance des administrations locales aux administrations centrales –[1], les villes africaines pourraient renforcer davantage la collecte des ressources fiscales locales. En effet, bien que des dispositions légales en la matière existent dans la plupart des pays africains, les ressources fiscales locales ne constituent qu’une part congrue des budgets des collectivités. Plusieurs facteurs expliquent cette situation :

  • Un engagement politique faible des administrations locales : si la décentralisation s’est imposée dans les pays africains comme une approche participative pour développer les collectivités, les élus locaux ne prennent pas toujours la pleine mesure de la nécessité de mobiliser les ressources fiscales au niveau local pour asseoir leur autonomie financière. Selon des études du Fonds Mondial pour le Développement des Villes, les prélèvements obligataires des collectivités sur leurs économies locales atteignent à peine 1%, dans les pays africains.
  • Le manque d’un système d’information au niveau local : la difficulté persistante des pays africains à mettre en place un système statistique viable et significative à l’échelle nationale n’offre que peu d’opportunités pour la production de statistiques locales nécessaires pour la planification à l’échelle locale. Cette difficulté est exacerbée par la prédominance de l’informelle, mettant ainsi en exergue la nécessité pour les administrations locales de disposer de systèmes d’information permettant de suivre ces entités.
  • Une faible maitrise de la chaine fiscale : dans la plupart des pays africains la définition des taux et la composition de l’assiette fiscale est faite a priori par les administrations centrales. La collecte est dans la majorité assurer par les services du ministère des Finances, qui n’ont pas de relations formelles avec les collectivités locales, empêchant ces dernières d’avoir un contrôle sur les ressources prélevées pour elles.
  • Une dépense publique dont l’efficacité reste à prouver : dans les pays africains, le manque de transparence dans la gestion des finances publiques et la réponse mitigée apportée par les autorités (centrales et locales) à la demande sociale ont fini d’éroder la confiance des contribuables dans la capacité des élus à améliorer leur condition de vie, ce qui ne favorise par leur consentement au paiement des impôts.

Améliorer la capacité des administrations locales à mobiliser les ressources locales passera donc essentiellement par la résolution de ces défis. Les voies et moyens pour y arriver sont divers et varient en fonction des législations régissant la décentralisation de chaque pays mais quelques points mériteraient une attention particulière.

A l’échelle nationale, le processus de décentralisation à l’origine de la mise en place d’administrations locales, doit être approfondi, notamment en ce qui concerne l’autonomie financière de collectivités. La gestion et la mise en œuvre de la politique fiscale locale (fixation des taux, de l’assiette et du recouvrement) devrait ainsi être confiée aux administrations locales, avec un encadrement pour prévenir le dumping entre collectivités et la concurrence avec la politique fiscale nationale. Ceci nécessitera un engagement politique fort au travers d’un dialogue concerté entre les différentes administrations afin de convenir d’un cadre commun, au lieu que les décisions soient prises au niveau central et imposées aux administrations locales. En outre, les autorités nationales doivent consentir un effort pour mettre en place des systèmes d’informations viables et qui permettraient aux collectivités d’avoir une meilleure connaissance de leur potentiel économique et de mieux planifier leur développement.

Dans les collectivités, il sera nécessaire de mettre en place une administration fiscale locale qui sera en charge de piloter la politique fiscale, et plus généralement des services en charge de la finance de ces collectivités qui exerceront de façon concertée avec les services déconcentrés et centraux de l’administration centrale.

Plusieurs villes africaines engagées dans de telles stratégies ont vu leur capacité financière s’améliorer significativement au cours des dernières années. A Dakar par exemple, la mise en place d’une division dédiée aux taxes municipales (gérées directement par la ville) et sa collaboration avec les services centraux de la Direction Générale des Impôts et des Domaines (DGID) ont permis de porter la part de la fiscalité locale à 90% du budget de la ville en 2014 (contre moins de 80% en 2010). A Johannesburg, l’introduction d’une fiscalité locale a conforté les finances de la ville et à approfondir son urbanisation.

Si les autorités africaines ont pris la mesure de la nécessité de la décentralisation pour accélérer le développement de leurs pays, l’absence de moyen financier et la dépendance des administrations locales vis-à-vis des administrations centrales en matière de mobilisation des ressources locales, constituent une contrainte forte au rôle que ces administrations locales peuvent jouer dans le processus de développement. Il apparaît dès lors nécessaire de renforcer leurs capacités, notamment en ce qui concerne la gestion de leurs finances, et plus particulièrement en matière de fiscalité locale, pour leur permettre de participer pleinement aux efforts d’émergence du continent.

Foly Ananou


[1] La ville de Dakar a tenté en février 2015 d’émettre sur le marché financier local (20 Mds XOF au taux de 6,6% sur 7 ans) pour financer un centre commercial. Bien que l’opération est reçue l’accord des instances régionales chargées de la surveillance du marché financier, que la ville est notée A/A1 par l’agence de notation Bloomfield, basé à Abidjan et que les ressources financières que généreraient le projet permettraient de couvrir cet emprunt ; l’intervention des autorités sénégalaises (MEF), qui évoquaient la crainte d’une augmentation de la dette de l’Etat avec cette opération en cas de défaillance de la ville, a suffit pour annuler l’opération.

Les villes intelligentes, une piste pour construire l’avenir urbain des pays en développement

Les défis de l’urbanisation croissante des pays en développement[1]

En 2050, la proportion de la population mondiale vivant en milieu urbain devrait atteindre 66%[2], contre 54% en 2014. Ce phénomène d’urbanisation sera d’autant plus significatif dans les pays les moins développés[3], pour lesquels la population urbaine représentera 50% en 2050, alors qu’elle n’est que de 31% actuellement.

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Population urbaine mondiale de 1950 a 2050

L’attrait des populations pour les zones urbaines s’explique par l’activité économique et les opportunités d’emploi qu’elles concentrent : 80% de l’activité économique à l’échelle mondiale[4] se développe dans les villes. L’exode rural et la croissance soutenue des populations urbaines et périurbaines complexifient les challenges à relever pour les villes. On peut notamment citer les contraintes liées à leur approvisionnement en ressources et à l’élimination de leurs déchets. Bien que l’urbanisation soit reconnue comme un moteur de développement économique et social, elle s’accompagne de forts impacts environnementaux, aussi bien aux niveaux local que mondial, tels que l’assèchement des zones humides, l’extraction de matériaux de construction en grandes quantités, la pollution des eaux, la pollution atmosphérique, etc. Les villes sont ainsi à l’origine de 80% des émissions de gaz à effet de serre et représentent 75 % de la consommation mondiale d'énergie[5].

Contrairement aux pays développés, dont la population urbaine devrait croître plus modérément et qui disposent de solides infrastructures existantes, les pays en développement vont devoir déployer rapidement de nouvelles infrastructures efficaces et flexibles pour répondre aux évolutions démographiques de leurs territoires. Une urbanisation rapide et mal maîtrisée ne mettant pas en regard des besoins des habitants les infrastructures et la gouvernance adéquates risque en effet de s’accompagner d’un accroissement de l’extrême pauvreté urbaine et, dans certains cas, du développement ou de l’extension accélérée de bidonvilles. Des efforts de planification seront donc indispensables pour assurer aux populations la fourniture de services essentiels, tels que les accès à l’énergie, à l’eau, au traitement des déchets, au logement, à la santé et aux transports, tout en maîtrisant les impacts sociaux et environnementaux associés.

Les villes des pays en développement devront ainsi monter en compétence sur une large palette de problématiques (énergie, transport, etc.) et réaliser des investissements importants, en veillant à maintenir des coûts compatibles avec leurs cadres budgétaires souvent fortement contraints. La transition vers des villes plus communicantes et plus durables, s’appuyant sur de nouvelles méthodes d’aménagement et de gestion de l’espace urbain, peut constituer un levier clé pour relever ces défis.

Le développement des Smart Cities : une réponse possible

Le concept de Smart City a vu le jour avec les évolutions rapides observées dans le domaine des Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication (NTIC), qui offrent la possibilité de déployer à coûts maîtrisés des solutions performantes pour rendre les infrastructures urbaines plus communicantes (pilotage de l’éclairage public, télérelève des compteurs d’énergie, etc.). De nombreuses définitions de la Smart City coexistent, donnant une importance plus ou moins marquée à la composante technologique.

L’une des définitions les plus exhaustives a été proposée dans le cadre du projet européen TRANSFORM : « La Smart City permet d’offrir aux habitants un espace de vie agréable, abordable, respectueux de l’environnement et répondant aux besoins et aux intérêts de ses usagers et basé sur une économie durable. La Smart City est très efficace dans son utilisation de l’énergie et des ressources et elle est de plus en plus alimentée par des énergies renouvelables. Elle repose sur un système de ressources résilient et intégré ainsi que sur des approches de planification innovantes. Les technologies de la communication et de l’information sont souvent des moyens pour atteindre ces objectifs. »[6]

Les expérimentations Smart City bénéficiant actuellement de la plus grande visibilité se déroulent en Europe, aux États-Unis, en Asie et au Moyen-Orient. Ces projets promeuvent la vision d’une ville intelligente s’appuyant sur des investissements significatifs, requis par le déploiement de solutions de hautes technologies, et sur une implication renforcée des différents acteurs de l’espace urbain, dont les habitants. Cette approche très demandeuse en capitaux peut sembler moins adéquate pour les villes de pays en développement, et notamment celles ayant des capacités budgétaires limitées. Les financements nationaux et locaux pourraient cependant être complétés par des sources externes, bailleurs de fonds internationaux ou investisseurs étrangers.

L’acceptabilité sociale des changements constitue également un point critique du développement des Smart Cities dans les pays en développement. En effet, dans des pays où les structures décisionnelles sont historiquement centralisées et où les niveaux de corruption sont parfois élevés[7], la population peut se montrer méfiante vis-à-vis des pouvoirs publics. Il existe alors un risque important que les habitants ne voient dans la Smart City qu’un moyen pour les politiques et les industriels de justifier de lourds investissements servant avant tout leurs intérêts propres. La mise en œuvre d’une gouvernance associant la population à la conception de la ville représente ainsi un enjeu clé pour assurer une planification adaptée à ses attentes, en particulier quant à l’amélioration de la qualité de vie. L’exemple du déploiement de compteurs électriques communicants à Noida, en Inde, illustre cette nécessité d’impliquer les populations locales[8] dans la construction de la ville intelligente. Souhaitant réduire les vols d’énergie sur son réseau, le distributeur d’électricité NPCL a décidé d’installer des compteurs prépayés dans une zone particulièrement pauvre. Face au risque de rejet du projet par la population, la NPCL a sensibilisé les habitants à l’importance de la lutte contre le vol d’électricité via des spectacles de rue et leur a proposé des solutions simples de maîtrise de leurs consommations d’énergie. Cette implication de la communauté a ainsi contribué au succès du projet, loin d’être garanti initialement.

Etant donné les défis financiers et sociaux soulevés, la pertinence de la promotion et de l’application du concept de Smart City dans le contexte des pays en développement peut être questionnée. Pour exemple, des chercheurs de l’Africa Research Institute, think-tank britannique spécialisé sur l’Afrique subsaharienne, déclarent « Ces projets fantasques pour les grandes villes africaines remportent des récompenses. En général, ils mentionnent en passant les besoins des habitants des bidonvilles et prétendent viser d’autres fins louables. Cependant, la mise en œuvre de plans complètement non viables et inappropriés du point de vue du climat, des infrastructures disponibles (en particulier la production d’électricité) et des coûts révèle leurs défaillances. »[9]

Au premier abord, l’évolution vers les Smart Cities semble donc plus ardue pour les villes des pays en développement. En réalité, l’adaptation des infrastructures urbaines existantes requise dans les pays développés pour la mise en place de solutions innovantes engendre une complexité et des coûts d’intégration conséquents. A contrario, les pays en développement peuvent plus facilement déployer de nouvelles technologies au sein de leurs environnements urbains moins contraints par le poids de l’existant. Cette flexibilité confère un atout essentiel à leurs villes pour opérer le saut technologique vers la Smart City. Sur le volet énergétique, les pays en développement pourraient par exemple développer directement des infrastructures de type Smart Grids adaptées à leurs enjeux locaux (via le déploiement de compteurs intelligents prépayés et de moyens de production décentralisés notamment), sans avoir auparavant bâti des réseaux électriques robustes desservant l’ensemble de leurs territoires. Une dynamique similaire a déjà été observée dans le domaine de la téléphonie, où l’Afrique n’a pas attendu un taux de pénétration élevé des solutions filaires pour négocier le tournant vers le mobile.

Au-delà de l’angle technologique, l’importance des paramètres culturels et sociaux dans la mise en œuvre de la Smart City implique que les particularités locales soient placées au cœur des préoccupations de la ville. Seule une adaptation pragmatique du concept permettra de faire de cette transition un succès. Les modèles retenus par les villes de pays en développement ne peuvent ainsi se calquer sur ceux expérimentés dans les pays les plus riches. De même, des disparités importantes entre les solutions mises en place dans différentes villes de pays en développement sont inéluctables. En adoptant une approche raisonnée et propre à chaque contexte, l’exploitation des NTIC et l’association des populations aux processus décisionnels peut soutenir un développement efficace et une gestion intelligente des infrastructures des villes de pays en développement. La déclinaison du concept de Smart City deviendra alors un moyen de répondre aux besoins des populations tout en maîtrisant certains des risques majeurs inhérents à un développement urbain miné par une mauvaise planification : dégradation des services publics, développement de bidonvilles, pollution accrue, augmentation du chômage, de la pauvreté et de l’insécurité, etc.

Des initiatives d’utilisation de nouvelles technologies permettant de renforcer la qualité des services rendus aux habitants (énergie, transport, logement, santé, etc.) ont déjà émergé dans certains pays. Bien qu’encore marginales, elles montrent que des solutions « smart » peuvent dès aujourd’hui contribuer à l’amélioration des conditions de vie dans les villes de pays en développement.

Des exemples d’initiatives marquantes

  • OpenStreetMap (Tanzanie)

Les villes évoluent rapidement et souvent de manière incontrôlée dans les pays en développement, où d’immenses bidonvilles peuvent voir le jour en périphérie urbaine. Cette expansion désordonnée complexifie la tâche des municipalités pour analyser et résoudre les problèmes auxquels sont confrontés leurs habitants. Les autorités locales ne disposent alors que d’une faible visibilité sur l’organisation réelle du territoire et sur ses besoins en infrastructures.

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Illustration du mapping du bidonville de Tandale

Partant de ce constat, un groupe d’étudiants de Dar es Salaam (Tanzanie) s’est formé à l’utilisation de tablettes numériques et de solutions de cartographie libres de droits afin de cartographier le bidonville de Tandale[10]. Parcourir la zone équipés de ces outils leur a permis de répertorier l’ensemble des rues, chemins, équipements publics (toilettes, fontaines à eau, points de collecte de bouteilles plastiques, etc.), écoles ou encore bâtiments religieux.

Ce projet illustre une application concrète du concept de Smart City, en montrant que l’usage innovant de nouvelles technologies numériques peut permettre à la ville et ses habitants de disposer d’une cartographie fiable du territoire, brique indispensable en vue d’une meilleure planification urbaine. L’intérêt de l’utilisation de solutions open source est également mis en avant, ces dernières étant facilement accessibles et adaptables aux besoins des villes des pays en développement.

  • E-health backpack (Brésil)

Pour répondre au défi du vieillissement des populations les plus pauvres, des expérimentations sont lancées dans certains pays dans le but de développer de nouvelles applications de télésanté (e-health). L’objectif consiste à tester des méthodes et solutions innovantes permettant d’améliorer la qualité des services de soins tout en réduisant les coûts induits pour la communauté.

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Oxymetre et tensiometre integres a l e-health backpack

Dans cette optique, un produit « e-health backpack » a été développé par General Electric (GE) et est expérimenté dans le cadre d’un projet pilote à Rio de Janeiro (Brésil). Le concept repose sur la fourniture de services de santé dans des zones urbaines pauvres, mal desservies par les transports en commun et faiblement pourvues en infrastructures médicales. La solution proposée par GE permet d’établir en quelques minutes des diagnostics sur site lors de la visite chez les patients, en comparaison avec un délai pouvant atteindre 2 semaines suite à une consultation à l’hôpital. Les premières analyses11 indiquent que les bénéfices économiques découlant de la réduction du nombre d’évènements médicaux et d’hospitalisations compensent le coût élevé (42 000 $) de l’équipement employé.

Une des prochaines étapes du projet visera à mettre à disposition des personnels soignants des tablettes sans fil pour collecter, stocker et analyser les données issues des examens menés au domicile des patients. Ceci permettra d’approfondir les opportunités offertes par l’utilisation de moyens médicaux high-tech au bénéfice des populations défavorisées.

Les villes des pays en développement peuvent s’inspirer du concept de Smart City pour exploiter pleinement le potentiel des NTIC au service de la gestion de leur espace urbain et de la qualité de vie de leurs citoyens. Une approche pragmatique tenant compte des spécificités locales est possible, et nécessaire : une smart city africaine ne ressemblera donc pas à une smart city européenne ou américaine !

Malgré la disparité des contextes et des besoins, la transition vers des villes plus intelligentes peut constituer une solution de premier plan pour permettre aux pays en développement de répondre aux défis résultant de la croissance de leurs populations urbaines. Ces pays, bénéficiant d’une inertie moindre dans leurs infrastructures et organisations, représentent en effet un terrain propice à une mutation rapide. La prise en compte des contraintes financières et l’association des populations aux processus décisionnels seront des facteurs clés pour concrétiser cette évolution et en faire une réussite.

Par Maxence BOCQUEL & Sylvain HIPPOLYTE

Yélé-Consulting


[1] Référence à la classification « Less developed regions » de l’ONU qui comptabilise l’Afrique, l’Asie (excepté le Japon), l’Amérique Latine et les Caraïbes, ainsi que la Mélanésie, la Micronésie et la Polynésie.
[2] United Nations Department of Economic and Social Affairs World Urbanization Prospect – 2014 Revision
[3] Référence à la classification « Least developed regions » de l’ONU qui comprend 49 pays (34 en Afrique, 9 en Asie, 5 en Océanie et 1 en Amérique Latine et aux Caraïbes.
[3b] Estimations venant du "World Urbanization Prospects: The 2014 Revision" de l'ONU
[4] McKinsey Global Institute, 2011 – Urban world: Mapping the economic power of cities
[5] The World Bank, 2010 – Cities and Climate Change: An Urgent Agenda
[6] TRANSFORM – Deliverable 1.1 Definition of Smart Energy City – http://urbantransform.eu/about/smart-energy-city/
[7] Transparency International – Indice de Perception de la Corruption 2012 < 40% pour les pays en développement http://www.transparency-france.org/ewb_pages/div/Indice_de_Perception_de_la_Corruption_2012.php
[8] Tackling Power Theft through Meter Data Management and Quality Analysis – http://www.metering.com/wp-content/uploads/i/p/Asia/1/RC-Agarwala.pdf
[9] Watson V, Agbola B, 2014 – Africa Research Institute – Qui va prendre en charge l’aménagement des villes africaines?
[10] Projet Open Mapping in Tandale – http://explore.ramanitanzania.org/
[11] Source : http://tandale.ramanitanzania.org/
[12] Source : http://www.newcitiesfoundation.org/wp-content/uploads/PDF/Research/New-Cities-Foundation-E-Health-Full-Report.pdf

De l’éfficacité énergétique par un éclairage public performant

Nouvelle image zL’électricité est un levier majeur de développement des activités économiques et un service essentiel pour l’amélioration significative des conditions de vie. Les services énergétiques améliorent en effet la vie des populations de plusieurs façons. L’éclairage public fournit des heures supplémentaires pour le travail, rend la vie des populations plus sûre le soir et constitue un facteur de cohésion sociale. En l’état actuel, c’est aussi grâce à l’éclairage public que beaucoup d’étudiants font leurs révisions le soir, sous les réverbères de grandes artères ou de la place publique.

Cependant, l’éclairage public est coûteux et il n'est pas facile pour les municipalités de trouver des mécanismes de financement et de gestion. Les solutions économent en énergie peuvent faciliter la fourniture de ce service, en réduisant les coûts de l'électricité à long terme.

L’éclairage public constitue un grand poste de consommation énergétique pour les communes. Plusieurs villes à l’instar de N’Djaména n’utilisent aucune technologie de système de gestion et les lampadaires restent en grande partie celles des premières générations. Des solutions d’efficacité énergétique existent, pouvant contribuer grandement à faire des économies mais également améliorer le service. Le remplacement des anciennes technologies couteuses par des nouvelles à service rendu équivalent ou amélioré en est un exemple.sodium basse Cela se traduit par  le remplacement des lampes au mercure en service par des lampes au sodium, d'une efficacité lumineuse double. Ce qui aurait pour conséquence de diminuer de moitié la consommation d’énergie due à l’éclairage. Mieux encore, le remplacement des luminaires de moyenne génération équipés de lampe au sodium par des luminaires haute performance. Les lampes au sodium (SHP) sont plus économes, ont une durée de vie plus longue et une meilleure performance lumineuse que les lampes au mercure (HPL). Des SHP de 75 W peuvent être substituées à des HPL de 150 W et des SHP 150 à des HPL 250, tout en conservant le même niveau d’éclairage et un bon rendu de couleur.

L’exemple de la Tunisie est assez édifiant. Dans ce pays, avant 2007 l’éclairage public consommait environ 277 GWh et la part des dépenses d’éclairage public dans le budget d’une municipalité était de 20 %, ce qui est considérable. Le pays a développé un schéma qui a permis de mettre l’accent sur l’introduction d’appareils variateurs-régulateurs de tension sur les réseaux contenant les deux types de lampes HPL et SHP : ces appareils réduisent la tension pendant le créneau horaire où la circulation est réduite (entre 23h et 5h30), ce qui permet d’économiser entre 25 % et 45 % d’énergie.

En plus des lampes économes, les systèmes de gestion intelligents sont les véritables perspectives d’une résolution efficace et durable du problème. De la télégestion, au système intégré d’éclairage en réseau, de détecteurs de présence en passant par des luminaires autonome photovoltaïques, il y a un grand potentiel d’amélioration de la consommation électrique grâce au choix de technologie d’éclairage public approprié. Ceci est bien entendu très lié au développement d’infrastructures de télécommunication notamment. Aussi, cette crise ne se résoudra pas sans une approche globale. L’efficacité énergétique n’en demeure pas moins un axe essentiel, et les villes africaines se doivent d’être ambitieuses dans ce domaine.

Plus que les solutions politiciennes parfois spectaculaires telles qu’on en observe çà et là, ce sont des solutions cohérentes et des stratégies claires qui sont sollicitées. Dans le contexte d’une urbanisation galopante, l’éclairage public n’est ni plus ni moins qu’un enjeu de sécurité majeur.

 

Djamal HALAWA

Nous aborderons dans un prochain article la question de l’éclairage domestique

Les petites villes : plus propices à réduire la pauvreté ?

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A l’image du reste du monde, l’Afrique connaît une grande période d’urbanisation. Selon les projections des Nations Unis, plus de la moitié de la population mondiale vivra en ville d’ici 2020. Ce constat soulève de nombreuses réflexions sur les conséquences économiques de l’urbanisation. Certains évoquent l’existence d’un cercle vertueux, alliant emploi et consommation, ainsi que l’envoi de fonds vers les familles restées en zone rurale. D’autres soulèvent le débat concernant l’urbanisation de la pauvreté. L’urbanisation cache cependant des réalités très diverses, particulièrement en Afrique. On y compte de nombreuses villes de petite taille et des métropoles gigantesques comme Le Caire ou Lagos. Depuis les années 1970, la croissance urbaine a surtout été celle des petites villes : plus de la moitié de l’expansion urbaine concernait les villes de moins de 500 000 habitants. Dans les années à venir, les grandes villes devraient enregistrer une croissance plus forte de leur population que dans les villes de petites tailles.

La recherche en économie et géographie des questions de développement s’intéresse depuis peu à la question des villes de petite taille, en regrettant le fait qu’elles aient été longtemps ignorées dans de nombreux travaux. Il s’agit par exemple d’étudier les ressorts de leur croissance, démographique et économique, ou leur autonomie par rapport aux grandes agglomérations. La question est particulièrement soulevée dans le cas de l’Inde, où la définition de la ville est spécifique et parfois restrictive. Aujourd’hui l’attention se porte également sur le continent africain. En particulier, des économistes de la Banque Mondiale ont cherché à comparer les effets de l’urbanisation sur la pauvreté, dans les grandes villes et dans les villes de petite taille. Les différents contextes urbains peuvent avoir une influence sur la réduction de la pauvreté, à travers plusieurs mécanismes contradictoires. Dans les grandes métropoles, on peut s’attendre à des économies d’échelle de plus grande ampleur, et à de grandes externalités positives favorables à l’emploi, par la proximité des transports et des besoins de consommation. Par contre, les petites villes sont plus faciles d’accès pour les ruraux, notamment les plus démunis, et elles  permettent à ces derniers de garder des liens plus forts avec la campagne.

Des chercheurs de la Banque mondiale (Luc Christiaensen et al.) ont réalisé une étude portant sur ce sujet, selon deux perspectives, locale et internationale. Ils ont tout d’abord étudié le cas de la région de Kagera, en Tanzanie, pour laquelle ils disposaient de données très précises, permettant de suivre sur vingt ans les mêmes individus. Ils ont ensuite confronté leurs résultats à une étude à plus grande échelle, comparant des données macro sociales de pays du monde entier. Il ressort de leur travail que les petites villes, si elles sont moins porteuses de croissance économique de manière générale, seraient plus propices à la réduction de la pauvreté. En effet, ils observent en moyenne une augmentation des dépenses de consommation beaucoup plus forte parmi les individus migrant vers les grandes villes, mais les individus se tournant vers les villes de petite taille (ou les secteurs non agricoles des zones rurales) connaissent moins de chômage, et une augmentation tout de même significative de leur consommation.

Ils invoquent plusieurs explications à ce phénomène. Ils soulignent le fait que le taux de chômage est très élevé dans les grandes villes parmi les migrants venant des zones rurales. Les problèmes d’emploi seraient moins criants dans les villes de petite taille. De surcroît, les individus se tournant vers les villes plus petites, ou vers les secteurs non agricoles des zones rurales, gardent davantage de liens avec leur région d’origine. Enfin, ces migrations sectorielles ou sur de plus courtes distances concernent plus d’individus, ce qui peut expliquer l’impact positif qu’ils ont sur la réduction de la pauvreté. De nombreuses études sont à l’œuvre dans ce domaine.

Ces résultats, s’ils nécessitent d’être prolongés par d’autres travaux,  invitent néanmoins à réfléchir sur les bénéfices du processus d’urbanisation en Afrique. Ils invitent également à favoriser le développement d’infrastructures dans les villes de taille moyenne (et zones rurales dans lesquelles un secteur non agricole est en expansion).  Ce développement d’infrastructures ne devrait alors pas se penser par rapport au domaine de l’agriculture, pour laquelle le soutien est toujours nécessaire, mais plutôt comme appui à un nouveau monde urbain porteur d’opportunités.

Clara Champagne