Quels mécanismes de financement pour accompagner la politique urbaine des villes africaines ?

Le continent africain connaît une urbanisation galopante et contraignante. En effet, selon la Banque Mondiale (février 2017), les agglomérations urbaines y abritent environ 472 millions d’habitants, un chiffre voué à doubler au cours des vingt-cinq prochaines années. Les grandes villes situées sur les littoraux du continent connaissent le phénomène de saturation urbaine et ne peuvent donc plus accueillir les flux de population. En outre, l’urbanisation est contraignante, car elle n’évolue pas dans les même proportions que la croissance économique. Par conséquent, les populations — notamment les plus pauvres et vulnérables — sont livrées à elles-mêmes ; ainsi, les villes africaines connaissent une informalité grandissante expliquée par une absence de réglementation de l’occupation du sol. Cette informalité est un problème alarmant auquel il faut trouver une solution ; mais qui doit s’en charger ? Les Etats ou les villes (les collectivités locales) ? En Afrique, si les États disposent des moyens plus importants pour mener des politiques d’envergure, la plupart des pays, sont régis par un contexte de décentralisation. Toutefois cette décentralisation est incomplète en raison des faibles ressources financières dont disposent les collectivités locales pour le financement de politiques locales. Comment financer le financement des villes africaines pour leur permettre d’accompagner de façon efficiente la forte urbanisation ? Nous allons, dans un premier temps, nous interroger sur les différents enjeux liés à l’occupation foncière, en exposant les relations de cause à effet entre l’urbanisation, la saturation urbaine et l’informalité. Ensuite, nous montrerons en quoi « la formalisation de l’informel » influe sur la morphologie des villes africaines. Enfin, nous exposerons en perspective différents mécanismes de réglementation qui permettraient aux villes africaines d’avoir des recettes financières plus solides pour financer leurs différentes politiques locales.

 

L’occupation foncière dans les villes africaines pose trois enjeux fondamentaux

 

   D’abord, l’informalité se manifeste par une occupation irrégulière, spontanée de l’espace, précisément du foncier urbain. En effet, généralement touchées par l’étalement urbain, conséquence d’une saturation urbaine, les grandes villes africaines ne disposent plus de suffisamment d’espace pour accueillir tous les candidats à l’exode rural. Ainsi, les populations, notamment les plus démunies, sont souvent obligées de s’installer sur le long des parties périurbaines en formant des bidonvilles, donc des habitats non lôtissés, avec une absence de système d’adressage et cadastral.

 

Ensuite, l’occupation foncière est la problématique la plus préoccupante et complexe dans les villes africaines. Une bonne partie du foncier urbain échappe à la fiscalité aussi bien le foncier réglementé (refus volontaire ou involontaire de payer la taxe d’acquisition d’une parcelle et la taxe foncière annuelle) que le foncier non réglementé (illégitimité administrative : occupation irrégulière, pas de permis de construire ni de permis d’aménager). Donc, si la mise en place d’équipements et d’infrastructures locales relève de la compétence des collectivités locales dans le cadre de la décentralisation, l’absence d’une taxe foncière solide condamne les villes à la pauvreté et rend la finance locale défaillante. 

 

Enfin, les activités économiques informelles, notamment les petites exploitations commerciales (des marchands ambulants et des petits commerces de proximité), échappent généralement au contrôle de la fiscalité. Plus les activités économiques et commerciales sont importantes, plus les collectivités souffrent d’un « manque à gagner » financier. Elles doivent donc être programmées dans les politiques locales, avec la réservation d’espaces réglementés, accessibles et favorables pour les investisseurs et les petits commerçants locaux. Mais cela nécessite des ressources financières solides.

 

    Le principal défi posé par ces trois enjeux est de réfléchir sur des mécanismes de réglementation qui permettraient d’avoir des finances locales plus solides à travers des recettes fiscales non seulement sur le foncier (taxe sur la propriété et l’occupation du sol), mais aussi sur les petites et moyennes activités commerciales informelles (taxes sur les activités, quelles qu’elles soient. Il s’agit donc de réfléchir sur des moyens de financement des collectivités locales pour qu’elles puissent améliorer le niveau de vie des populations. Ces solutions sont entre autres des politiques d’investissement solides pour améliorer l’offre de services existante pour les populations ; « la formalisation de l’informel » à travers une profonde réforme foncière qui passe la réorganisation du système cadastral et d’adressage.

 

   Dans les collectivités locales africaines, une part des ressources provient de l’État dans le cadre de la décentralisation — même si ces ressources sont généralement insuffisantes pour financer toutes les politiques locales, du fait de la distribution clientéliste : « le parti politique avant la patrie » —, les recettes fiscales locales faibles, les subventions des bailleurs de fonds et les dons des associations à but non lucratif. Ces différentes sources de revenus n’étant pas suffisantes pour assurer toutes les dépenses publiques locales, le recours à l’investissement s’avère important. En quoi l’investissement consiste-t-il ? Selon J. Chenal (2013), l’investissement consiste d’une part à répondre à la forte demande d’équipements et d’infrastructures de la part des populations locales et d’autre part la fourniture de l’offre de services (équipements, infrastructures, etc.) qui s’inscrit dans une logique d’anticipation des besoins des populations. L’investissement est donc un mécanisme important pour relever le défi de la finance dans les collectivités locales africaines et il doit être centré sur la fourniture d’infrastructures pour accompagner la forte urbanisation et favoriser l’attractivité pour l’implantation d’entreprises.

 

La politique urbaine repose sur un assouplissement des rigidités administratives

 

   Ensuite, « la formalisation de l’informel » passe inévitablement par une réforme structurelle des marchés fonciers. En effet, face à l’augmentation accrue de la population, le défi est de parvenir à loger le plus grand nombre. Il s’agit de mener une politique d’habitat et foncière solide, en assouplissant les démarches administratives pour accéder à la propriété foncière et de renforcer la réglementation de l’occupation en mettant en place des documents d’urbanisme adaptables et adaptés aux contextes locaux.

 

Ces documents d’urbanisme, une fois adaptés aux contextes sociologiques des villes africaines, devraient également préconiser des règles pour la régulation du prix du foncier (pour éviter les spéculations qui condamnent les plus pauvres, et favorisent par conséquent, le développement des bidonvilles), des prescriptions sur des zones constructibles et les zones non constructibles ; les périmètres aménageables et les périmètres non aménageables. Ces politiques de réglementation foncière doivent s’appuyer, en somme, sur deux systèmes : l’adressage et le cadastre.

 

L’adressage et le cadastrage : les leviers de la rationalisation de l’espace en Afrique

 

D’une part, l’adressage est un système d’identification et de localisation géographique qui permet de se positionner, de se situer dans un espace, dans une ville. Autrement dit, « adresser » une ville, revient à faire une nomenclature des entités spatiales, de l’échelle la plus petite (parcelle, rue), à l’échelle la plus grande (avenue, boulevard, quartier). Mettre en place un bon système d’adressage permettrait donc d’avoir des informations sur les différentes échelles spatiales de la ville, mais également les coordonnées géographiques exactes de chaque entité spatiale pour la conception d’une base de données efficace pour la détermination des taxes foncières, donc pour l’amélioration des ressources financières locales.

 

D’autre part, un système cadastral solide permet de répertorier les différentes parcelles disponibles et occupées, suite à un bon adressage : c’est le cadastre fiscal. Le cadastre permet d’avoir des informations claires sur les caractéristiques d’une parcelle, d’une rue, d’une entité spatiale. Autrement, il permet d’avoir une lecture précise sur le foncier : sa propriété, sa situation, son périmètre pour la sécurisation foncière : c’est le cadastre juridique. Enfin, le cadre permet d’avoir une lecture d’ensemble sur la ville pour la planification urbaine : on parle de cadastre technique. En somme, un bon système cadastral doit, cependant, être réactualisé continuellement, sans quoi, il ne donne pas des informations efficaces pour la taxe foncière.

 

    En définitive, la croissance démographique est une illustration de la thèse anti-populationniste de Malthus dans les villes africaines. En effet, lorsqu’elle ne s’accompagne pas d’un encadrement et d’une politique d’aménagement du territoire, elle dégrade le cadre de vie, dérégule l’occupation foncière, augmente l’informalité, etc. Donc, aujourd’hui, le défi du développement économique et du financement des villes africaines est la maîtrise de la démographie et donc de l’urbanisation. Il faudrait donc faire en sorte que la croissance démographique évolue en même temps que la croissance économique ; et cela doit passer par une bonne gouvernance urbaine, car selon la Banque Mondiale (février 2017) : « grâce à une meilleure gestion urbaine, les pays africains pourraient s’appuyer sur les villes pour accélérer leur croissance et s’ouvrir aux marchés mondiaux. »

 

Sources

Chenal J., La ville ouest-africaine : modèles de planification de l’espace urbain, février 2013, Metispress.

Afrique : des villes productives et vivables, la clé pour s’ouvrir au monde, WASHINGTON, 9 février 2017

http://www.banquemondiale.org/fr/region/afr/publication/africa-cities-opening-doors-world

La place des villes dans un Sénégal émergent

dakarAvec près de la moitié de la population résidant en zones urbaines, le Sénégal présente un taux d’urbanisation supérieur à la moyenne observée en Afrique subsaharienne (40 %). Dans ce pays, la proportion de citadins a quasiment doublé ces dernières décennies — de 23 % dans les années 1960, elle est passée à 43 % en 2013 — et devrait s’établir à 60 % à l’horizon 2030. Certes, cet essor s’accompagne d’immenses défis, mais il offre aussi aux responsables sénégalais l’occasion d’opérer une transformation structurelle de l’économie.

En effet, on note que ce sont les centres urbains, et principalement la capitale Dakar, qui tirent la croissance. Ils sont globalement à l’origine de 65 % du PIB national, Dakar se taillant la part du lion (55 %). La région de Dakar abrite 50 % de la population urbaine sénégalaise, concentre plus de 52 % des emplois créés dans le pays et regroupe plus de 80 % des sociétés immatriculées au registre du commerce. À elle seule, la capitale accueille 62 % des créations d’entreprises.

Cependant, les villes sénégalaises souffrent dans leur ensemble d’un déficit infrastructurel chronique et d’une carence de services publics. Dans les villes secondaires, en particulier, 68 % des ménages sont raccordés au réseau d’alimentation en eau, tandis que les 32 % restants dépendent de bornes-fontaines. Par ailleurs, seuls 36,7 % des foyers en milieu urbain disposent d’équipements sanitaires de base (latrines, fosses septiques). Outre Dakar, seuls six centres urbains bénéficient d’un accès partiel à un système d’égout, à savoir Rufisque, Louga, Saint Louis, Kaolack, Thiès et les villes touristiques de Sally et Mbour. La gestion des ordures ménagères est en outre problématique dans la plupart des villes du pays, aussi bien sur le plan de l’enlèvement que du traitement des déchets. À cela s’ajoute une capacité limitée de planification de l’aménagement urbain : moins de 20 % des villes et des municipalités possèdent un plan d’urbanisme, et la plupart de ces plans sont obsolètes ou ne sont pas appliqués faute de capacités de gestion urbaine suffisantes dans les collectivités locales. L’inadéquation de la réglementation en matière de gestion et d’aménagement du territoire entraîne des distorsions sur les marchés foncier et immobilier, et conduit au développement d’implantations sauvages à la périphérie des villes, dans des zones sujettes aux inondations.
 
Mais, en dépit de ces difficultés, il existe plusieurs leviers d’action que les responsables publics sénégalais pourraient mettre en œuvre.
                                                                                                                                                        
Renforcer le rôle des villes secondaires et améliorer la gouvernance de la zone du Grand Dakar

Le manque de réseaux d’infrastructures et de services adéquats dans les villes secondaires exacerbe l’exode rural vers la capitale, ce qui a pour effet de dégrader encore davantage les conditions de vie des populations pauvres et de mettre à rude épreuve les capacités techniques et financières déjà limitées des autorités municipales et métropolitaines. Aussi faut-il répondre aux besoins de financement à deux niveaux différents :

  • en renforçant le rôle des villes secondaires, notamment des capitales régionales, pour qu’elles deviennent des pôles de développement plus productifs et plus vivables, afin de soulager l’agglomération urbaine de Dakar ;
  • en investissant dans l’agglomération urbaine de Dakar afin de répondre au manque d’équipements infrastructurels non financés ces vingt dernières années.

 
Les autorités sénégalaises peuvent également améliorer la gouvernance urbaine et surmonter les difficultés associées à l’urbanisation en mettant l’accent sur des enjeux communs et en y faisant face avec anticipation. En particulier, elles doivent mettre sur pied de nouveaux modèles de gestion décentralisée et une coopération multidimensionnelle afin de créer des systèmes économiques en zones urbaines plus efficaces et des villes inclusives qui garantissent l’égalité d’accès au logement, aux services et à l’emploi.
 
La Revue de l’urbanisation au Sénégal préconise de s’orienter vers les priorités stratégiques suivantes : revoir et moderniser les outils de planification territoriale ; dynamiser l’économie urbaine au moyen de programmes ciblés ; améliorer l’offre et l’accès aux services urbains ; développer les structures de gouvernance du territoire ; et réfléchir à des stratégies innovantes pour financer l’expansion du stock d’infrastructures urbaines. Ces cinq thématiques clés seront traitées dans le cadre de la mise en œuvre de « l’Acte III de la décentralisation » et de l’actuelle stratégie économique nationale, le « Plan Sénégal émergent » (PSE).

En outre, à la suite des recommandations formulées dans la Revue de l’urbanisation, le ministère de la Gouvernance locale et du Développement a fait appel à la Banque mondiale afin qu’elle appuie la mise en place d’interventions dans plusieurs villes du pays, dans l’objectif de prolonger durablement l’impact des efforts engagés. Le renforcement des autorités municipales et la réalisation des objectifs de développement économique à long terme du pays passent par l’instauration de systèmes de financement locaux fiables et autosuffisants. Le gouvernement tient par ailleurs à multiplier les réseaux interconnectés entre les villes et les régions et à tirer parti des opportunités économiques que recèle la population urbaine.

L’heure est venue pour les dirigeants sénégalais de fixer le cadre qui permettra de relever les défis du développement urbain et de répondre aux besoins d’une population en plein essor, dans un souci d’inclusion et d’efficacité.

Pour plus d'informations, s'il vous plaît voir Perspectives urbaines : villes émergentes pour en Sénégal émergent (French).

 

Cet article est issu des Blogs publiés par la Banque Mondiale et a été soumis par SALIM ROUHANA.