Comment les TIC peuvent-elles permettre à l’Afrique d’atteindre ses objectifs de développement ?

Les Objectifs de Développement Durable (ODD) ont passé la barre des 18 mois de vie. L’heure du bilan inaugural passée, les compteurs sont remis en marche. Il ne faut point s’arrêter, il faut accélérer, tant la route apparaît longue et laborieuse. Mais la pauvreté n’est pas une fatalité et ensemble les Hommes pourront rendre à l’humanité entière, le droit à la dignité, le droit à une vie décente.  Car, comme l’avait compris  Nelson Mandela, « La pauvreté n’est pas naturelle, ce sont les hommes qui la créent et la tolèrent, et ce sont les hommes qui la vaincront. Vaincre la pauvreté n’est pas un acte de charité, c’est un acte de justice. ». La bonne nouvelle, c’est qu’il existe des armes non négligeables à disposition, des outils des temps modernes qui peuvent s’appeler : TIC, les Technologies de l’Information et de la Communication.

Comment les TIC, telles que nous les côtoyons de nos jours, peuvent-elles favoriser l’atteinte des ODD, en Afrique en particulier ? Telle est la problématique à laquelle le présent article se propose d’apporter des éléments de réponses pragmatiques.

Par choix, nous nous pencherons d’abord sur l’éducation et l’entrepreneuriat orientés TIC. Ensuite nous analyserons la corrélation entre les TIC, la femme et les ODD. Nous nous intéresserons enfin, à l’Intelligence Artificielle et son rapport au développement durable. Mais avant toute chose, nous présenterons  un panorama rapide des ODD, un an après leur adoption.Sur la question des données, un article précédemment publié par L’Afrique des Idées mettait en exergue la nécessité de données fiables pour les ODD.

Les données sources du bilan inaugural sont issues du Rapport sur les objectifs de développement durable 2016

  1. Education technologique, start-up et ODD : une triangulaire qui marche !

L’apprentissage et l’appropriation du langage et des outils des nouvelles technologies, notamment par la gente féminine peuvent se révéler aussi nécessaires que porteurs. En effet, éduquer la jeunesse, celle féminine, en particulier dans un contexte africain, peut favoriser aussi bien l’objectif de l’éducation pour tous que celui de la réduction des inégalités entre les sexes : ODD 4 et 5. Cela peut également propulser l’entrepreneuriat féminine, l’emploi des femmes en général et la croissance (ODD 8).

Des initiatives naissent sur le continent africain, dans ce sens. C’est le cas notamment du mouvement #iamtheCODE et du programme WHISPA.

  • Le mouvement #iamtheCODE

Le mouvement #iamtheCODE créé par Marième Jamme, a pour but de mettre en œuvre des actions visant à l’atteinte des ODD, par le biais de la science, la technologie, l'ingénierie, les arts, la mathématique et le design (STEAMD). Pour ce faire, il mise sur l’investissement dans les jeunes femmes à travers la formation technologique. L’objectif est d’initier à l’horizon 2030, 1 millions de filles et femmes au codage. Fort d’une méthodologie éprouvée, ce mouvement reconnu par ONU Femmes, travaille avec les gouvernements, les entreprises et les investisseurs pour faire des jeunes femmes, des leaders numériques. Une première édition de « SDGs Hackathon » co-organisé par #iamtheCODE et ONU Femmes en Novembre 2016 au Sénégal, a réuni une cinquantaine de filles formées aux techniques de codage.

« A movement has been launched, as we get girls interested in new technologies. The pilot that we organised in partnership iamtheCODE meet our desire and our commitment to helping women and girls, and especially it will allow us to achieve the Sustainable development Goals with inclusivity.»[1]Oulimata Sarr, ONU Femmes

Brenda Katwesigye qui a bénéficié du programme de « mentorship » de #iamtheCODE, témoigne des avantages que les filles et femmes peuvent en tirer :

« I greatly benefitted from the iamtheCODE mentorship. On top of getting the drive and resources to learn how to code, I got a mentor who has held my hand through good times, tough times and periods of uncertainty. When you have some one that has walked your path before by your side, its almost like walking on a paved way. Tough things always get easier and entrepreneurship ceases to be a blind journey »[2]
Brenda Katwesigye – PDG de
Wazi Vision

  • Le programme WHISPA

WHISPA (Women High Impact Startup Preparation Academy)  est une initiative conjointe de TEKXL et de l’ONG EtriLabs qui s’est donnée pour mission : « La promotion des Technologies de l'Information et de la Communication dans l’éducation et pour le développement humain, économique et social en Afrique. ». Chaque année, une promotion de jeunes filles volontaires, est gratuitement formée aux rouages du numérique, dans le domaine de la programmation web, du marketing digital et du web design. Les plus endurantes et les plus méritantes des filles finissent l’aventure avec un bagage conséquent, un parchemin reconnu et des armes solides pour se lancer dans l’entrepreneuriat technologique.

Pour Senam Beheton, Directeur exécutif à Etrilabs : « Préparer adéquatement un petit nombre de femmes chaque année pour les startups en Afrique peut avoir un effet catalyseur sur l’ensemble de l’écosystème. A la fin de la première année, une cohorte de 25 jeunes femmes fera plus que doubler le nombre de talents actuellement disponibles dans la plupart des pays. En 3 ans, toutes choses considérées, le nombre de femmes peut égaler celui des hommes ayant des compétences similaires. Après cinq ans de formation, les femmes pourraient facilement dépasser les hommes pour ce qui est des programmeurs hautement qualifiés, des spécialistes du design, du marketing et d’autres compétences avancées nécessaires pour bâtir des startups réussies.
Une Afrique où la parité est facilement réalisée dans les équipes de startups, mieux, où les startups exclusivement féminines existent et prospèrent est possible. »[3]

Une « WHISPA » s’exprime : « Sans WHISPA, j’en serais pas arrivée là, je ne me serais jamais intéressée à la programmation, ni au design et encore moins au marketing. C’est grâce à WHISPA que j’ai pu travailler sur Save et que j’ai rencontré Aziz qui m’a permis de vivre cette merveilleuse aventure que fut le: MTN App Challenge 2015. (…) Avant WHISPA je ne savais même pas écrire une ligne de code malgré ma licence en informatique. Je pourrais même dire que la programmation ne m’intéressait pas. Mais en suivant la formation WHISPA j’ai trouvé un réel intérêt à la programmation et en plus de la programmation, WHISPA m’apprend le marketing et le design. Travailler sur Save était un exercice pour mettre en pratique mes acquis en programmation, marketing et design. »[4]Hadjara IDRISS, Promotion WHISPA 2015, Co-fondatrice de Save Co-fondatrice de mentorat.club

 2- Le digital, la Femme et les ODD : une combinaison gagnante dans le monde de la Fintech

De la femme africaine qui épargne via son téléphone, sur le compte bancaire qu’elle a ouvert en quelques clics…

Diamond Bank et le Women’s World Banking ont compris une chose à laquelle ils travaillent ensemble depuis quelques années : Pour espérer atteindre le plein potentiel financier des zones émergentes et celles les moins avancées, il faut miser sur ceux qui sont en dehors du système financier formel. Il faut surtout aller à la rencontre des femmes qui, en 2012 n’avaient pas pour 74% d’entre elles au Nigéria, de comptes bancaires. Pourtant, ce sont elles qui animent les places de marché.

En 2012, ces deux institutions ont lancé le « BETA Savings Account », un produit d’épargne relavant du segment de la clientèle à faible revenu et, visant la population active sans comptes bancaires, surtout les femmes nigérianes, à la base. Le BETA way est simple : ouverture d’un compte bancaire en moins de 5 min sur téléphone portable, avec zéro dépôt initial. Des ambassadeurs de la banque vont rencontrer les femmes où elles sont, pour les initier à l’outil.

Le BETA Savings Account a eu du succès, très vite, auprès des femmes. En seulement 6 mois, il a enregistré 35000 ouvertures de comptes dont 40% par des femmes[5]. Elles ont voulu plus, par exemple épargner pour des causes précises comme une naissance, la scolarisation de leurs enfants. Le « BETA Target Savers Account » a été conçu pour répondre à ces attentes.

…à la femme 100% solvable qui obtient, par clics, un prêt pour développer ses affaires

Il faut noter que les femmes utilisatrices du BETA sont actives, souvent auto-employeurs dans l’informel ou non. Ce sont des opératrices qui ont besoin de ressources financières pour développer leurs activités; ressources auxquelles elles ont rarement et difficilement accès dans l’environnement bancaire traditionnel. Elles sont pénalisées par une distance physique, un déficit de confiance, l’illettrisme et l’absence de garanties solides. Là où la magie BETA va opérer, c’est bien au niveau du contournement assez spectaculaire de toutes[A1]  ces barrières. La demande de prêt est tout aussi simple qu’un envoi de SMS. Aucune garantie n’est requise car la solvabilité est présumée sur la base de l’historique de dépôts du client. La réponse à la demande se reçoit sans délais par SMS et les fonds sont immédiatement disponibles sur le mobile. Testé en mode « projet » par Diamond Bank et le Women’s World Banking, il avait été très concluant avec un taux de remboursement de 100%[6].

Au final, que prouve le BETA ?

  • que les femmes les moins « lettrées » peuvent rapidement s’approprier un service digital ;
  • que les femmes peuvent faire d’un outil technologique, numérique ou digital, un usage à très forte valeur ajoutée pour elles (ex : santé, soins de maternité) et pour leurs proches (ex : scolarisation des enfants, survenances aux besoins vitaux), réduisant ainsi toutes les formes d’inégalité: ODDs 1 ; 2 ; 3 ; 4 ; 5 et 6
  • qu’on peut faire confiance aux femmes, même celles sans garanties financières, en matière de prêt parce qu’elles battent beaucoup de records de solvabilité, contribuant ainsi au dynamisme de l’économie réelle et à la croissance économique : ODD 8 et 10

3- L’Intelligence Artificielle : De la pure fiction ? Du délire ? Un facilitateur de développement durable ?

L’intelligence Artificielle (IA) au cœur des débats et de l’actualité

L’IA fait l’objet de beaucoup de thèses relevant tant de la fiction que de la philosophie voire de la réalité proche. Il y a, entre autres, ceux qui n’excluent pas des scénarios à la « Matrix » ou à la « Terminator », ceux qui ont peur de la machine remplaçant l’homme notamment dans le monde professionnel et, ceux qui défendent « dur comme fer » les nombreux atouts de l’IA. Mais notre but ici, n’est pas d’arguer en faveur d’une théorie ou d’une autre mais plutôt de recourir à l’actualité récente, pour essayer de situer l’IA par rapport aux avancées pouvant impacter les ODD dans le bon sens. Ce qu’on peut dire est que l’IA se fait de plus en plus présente dans notre quotidien de manière perceptible ou moins visible dans certains cas. Les voitures autonomes, par exemple, en sont l’œuvre. En Août 2016, l’IA d’IBM, Watson a diagnostiqué chez une patiente japonaise, une forme de Leucémie rare que les médecins n’avaient pas pu détecter.

Les grands groupes technologiques investissent beaucoup dans l’IA auquel ils semblent fermement croire. Nombreux sont-ils à se lancer dans la lutte contre le cancer, au moyen d’IA.

Un « partenariat pour l’intelligence artificielle au bénéfice des citoyens et de la société » par les géants des TIC !

Le 28 septembre 2016, Amazon, Facebook, Google, IBM et Microsoft ont lancé le  « Partnership on Artificial Intelligence to Benefit People and Society » qui vise à soutenir les bonnes pratiques en matière d’IA, à œuvrer pour une meilleure compréhension de l’IA et à offrir une plate-forme d’échanges et d’expression d’engagement.

Ce partenariat repose sur huit (08) principes qui portent la promesse de l’IA, d’accroitre la qualité de vie des hommes et d’aider l’humanité à faire face à ses grands défis mondiaux comme le changement climatique, la faim, les inégalités, la santé et l’éducation (pouvant impacter plusieurs objectifs comme ODD 1 ; 2 ; 3 ; 4 ; 5 ; 10 et 13).

Les dirigeants du monde parlent peu de l’IA mais récemment, la maison blanche d’Obama a marqué un grand pas en sortant un rapport sur l’IA.

L’administration OBAMA sur la question de l’IA

Dans une longue interview accordée au MIT et diffusée en Octobre 2016 par WIRE, le 45ème Président des Etats Unis s’était prononcé sur l’IA en exposant sa vision des avantages et des enjeux qu’il peut porter. Pour Barack OBAMA, il importe de faire la différence entre l’IA générale et l’IA spécialisée. Cette dernière utilisant des algorithmes et des ordinateurs pour réaliser des taches extrêmement complexes. Rappelant la présence remarquable de l’IA dans notre quotidien, touchant par exemple aux domaine de la médecine, des transports et de l’énergie, il a souligné que l’IA peut ouvrir la voie à beaucoup d’opportunités et favoriser la prospérité, mais qu’il peut également faire place à d’autres préoccupations :

« We’ve been seeing specialized AI in every aspect of our lives, from medicine and transportation to how electricity is distributed, and it promises to create a vastly more productive and efficient economy. If properly harnessed, it can generate enormous prosperity and opportunity. But it also has some downsides that we’re gonna have to figure out in terms of not eliminating jobs. It could increase inequality. It could suppress wages. » – Barack OBAMA, Ancien Président des Etats- Unis

Il est indéniable que l’IA soulève une grande question d’éthique et de responsabilité qu’il faut pouvoir reconnaitre et encadrer. Dans ce cadre, la Maison Blanche a publié le 12 Octobre 2016 un rapport sur l’IA portant 23 recommandations générales.La question de l’IA ne paraît pas encore d’actualité en Afrique mais il peut être intéressant de s’y pencher.

Delphine Anglo

Nietzsche, le Bénin, et Mylène Flicka la chasseuse de talents

De gauche a droite : Mylène Flicka et Delphine Anglo a la place des Martyrs, Cotonou. Copyrigths : L'Afrique des Idees
Elle diffuse des histoires vraies ou imaginaires qui nous retournent comme jamais. Et elle insulffle de l'espoir à travers son site, Irawo. Voici son histoire, chapitre premier : Mylène Flicka, la chasseuse.

Elle n’a pas de repère physique mais elle sait trouver des talents.

Je sais que vous êtes une « inconditionnelle » des réseaux sociaux. N’est- ce pas ? Sur votre profil Twitter, on pouvait lire, au 22 août 2016 : « Je voue un culte malsain à Nietzsche. Et quand je m'ennuie, je joue à l'écrivain sur founmi.com  et à la chasseuse de talents sur irawotalents.com. Alors, une première question qui me ronge l’esprit, pourquoi Nietzsche ?

Mylène Flicka : Nietzsche, je l’ai connu comme tous les élèves du Bénin en classe de Terminal parce qu’on a parlé de Dieu et beaucoup de personnes le connaissent pour sa célèbre phrase « Dieu est mort ». Ça m’a toujours semblé atypique parce que les autres philosophes n’osaient pas le dire de cette manière.  J’ai décidé de lire le « Gai Savoir » à une époque où j’étais en stage au Ministère des Affaires étrangères du Bénin. Le stage me « tuait » et Nietzsche me rendait la vie. Je le comprenais facilement. Il est devenu en quelque sorte un repère, ce qui m’apparaissait incroyable car j’ai du mal à avoir des modèles. Il suffit juste qu’on appelle Nietzsche à côté de moi pour que je devienne complètement électrique. 

Je dis lui vouer un culte « malsain » parce qu’il pose toujours des dilemmes intellectuels ; c’est un auteur compliqué à lire: il affirme d’ailleurs que tout culte est malsain, d’où l’adjectif.

Ok, je comprends mieux. Aujourd’hui quand on entend le nom Mylène Flicka, on pense forcément à « Irawo ». Et mon bon sens voudrait par exemple qu’un jour (ou une nuit), vous ayez rêvé de talents pour que tout ait commencé. Est-ce cela ?

Mylène Flicka : Ce n’est pas çela. En fait, j’ai commencé à bloguer en Novembre 2014. J’ai créé mon premier blog qui s’appelait « myleneflicka.wordpress.com » et je faisais un peu de tout : j’écrivais des histoires et je partageais mes opinions. Un jour sur Internet, j’ai découvert Jowel Maestro qui dessine au stylo; il dessine de manière si réaliste que je me suis demandée pourquoi ne pas l’interviewer pour le faire connaître. Sur ce coup de tête, je l’ai contacté et il a accepté que je l’interviewe. L’interview publié a eu un tel impact que j’ai récidivé ici même à la « Place des Martyrs » de Cotonou  avec l’association « Ori-art Dance ». Cette dernière, composée de jeunes ayant pour passion la danse, y avait organisé un concours de danse. J’ai écrit l'histoire de leur amour pour la danse. La jeunesse du Bénin a un talent fou mais souvent personne pour y croire.

Pour les 10 ans de la Fondation Zinsou, j’ai rencontré Marie-Cécile Zinsou que J’ai interviewée en vue d’en savoir plus sur la fondation. Je me suis rendu compte de toutes ces petites initiatives de jeunes béninois qui ont tellement de poids mais dont on ne parle pas ou si on en parle c’est avec condescendance. La plupart des médias se concentrent sur les politiciens comme si c’était eux qui faisaient le Bénin. Mais ceux qui font le Bénin, ce sont ces « petits citoyens de rien du tout » auxquels personne ne pense, qui n’ont peut-être pas une fortune à faire valoir mais qui ont un talent, une passion qui les pousse en avant. C’est là que j’ai fait une pause dans le « blogging ». En Novembre 2015, à l’occasion de l’anniversaire de mon blog, j’ai dit officiellement que je l’ai tué pour créer un autre.  Irawo était né: un repertoire de jeunes  talents du Bénin.

Aujourd’hui, Irawo n’est plus un blog. C’est tout un média puisqu’on a le site web et la webTv. On se concentre sur le talent.

Irawo, pour les « nuls » serait quoi ?

Mylène Flicka : Etoiles, en langue Nago tout simplement. En une phrase, Irawo est un répertoire de jeunes talents du Bénin.

Et plus encore, qui sont les Irawo ?

Mylène Flicka : Ce sont les jeunes talents que nous interviewons sur irawotalents.com. Des artistes photographes, peintres, des développeurs, acteurs culturels, danseurs, stylistes, écrivains, etc. Par ailleurs, il faut que les talents aient de préférence 30 ans au plus, qu’ils soient originaux, qu’ils aient une approche de travail différente et que leur travail ait un impact sur la communauté.

De la créativité 

Pour le moment, ce sont des métiers vraiment créatifs parce que je trouve que c’est beaucoup plus difficile pour nous de savoir par exemple si un DG (Directeur Général) est plus talentueux qu’un autre car c’est une fonction dépendante de beaucoup de circonstances ou d’éléments. Donc on ne peut, pour l’instant, pas dénicher des talents dans des métiers non créatifs.

Un idéal de 30 ans 

Il faut que les talents aient 30 ans ou moins parce que Irawo veut casser un préjugé ou plutôt une mentalité béninoise : celle qui voudrait que ce soit après 30 ans que ce soit plus légitime de réussir. Même les jeunes eux-mêmes ne croient pas en eux tout simplement parce qu’il y a toute une connotation négative autour de la définition de la jeunesse au Bénin. Imaginez-vous par exemple dans un groupe de jeunes qui voit passer un autre jeune avec une jolie voiture, une « bonne caisse » comme on dit, la première réaction serait « Sûrement qu’il fait des trucs louches ». La jeunesse elle-même ne s’imagine pas réussir véritablement ; on se dit que cette réussite ne peut être que truquée. Au-delà, je trouve qu’au Bénin il y une véritable condescendance des aînés envers la jeunesse. Quand vous êtes jeune, on ne vous respecte pas. Vous n’avez pas droit à la parole, on ne veut même pas vous laisser faire vos preuves. Pour eux, parce que vous êtes jeune, vous n’êtes pas compétent ; vous n’êtes pas digne de confiance. Emprunter de l’argent à une banque, c’est vous entendre rappeler que vous n’avez pas de garanties. On vous paye moins parce qu’on estime que vous êtes trop jeunes pour valoir certaines sommes.

En réponse à quelqu'un qui ne comprenait pas pourquoi il y a un critère d'âge, Mylène Flicka avait écrit ces lignes qui résument bien ses arguments :

Bénin talents

Capture d ecran du 24/08/2016. Source : Facebook.com, Page : Mylene Flicka

Une démarche différente

Nous insistons beaucoup sur la différence de la démarche. Par exemple, on m’a recommandé une fois,  une jeune personne qui travaillait dans une organisation internationale. La personne répondait au critère d’âge. Toutefois, je ne pouvais pas l’interviewer parce que le critère sur lequel repose son originalité était son âge et quand bien même j’aimerais me dire que l’âge est un plus, je crois qu’il n’est pas un critère de talent. Mais non: être le plus jeune quelque part ne nous rend pas plus meilleur que les autres. Ce n’est pas un mérite mais un avantage.

De l'impact sur la communauté 

Pour déterminer l’impact sur la communauté, nous essayons en amont, de discuter avec les potentiels Irawos pour en savoir davantage sur leur activité. Un exemple concret : pour un vendeur de sandwich, nous lui demanderions combien de sandwichs il a eu à vendre depuis le début de son activité, combien de personnes fréquentent son bar et aussi des questions subjectives comme : est-ce qu’on peut dire qu’il fait par exemple le meilleur sandwich de la ville ? On lui demanderait combien de personnes il emploie parce que nous accordons beaucoup d’importance au volet emploi. Les talents en vivant leur passion, la font vivre à d’autres personnes.

Une image sur un mot « Irawo »

Irawo bénin talents
Capture d ecran du 24/08/2016. Source : irawotalents.com
Elle a la main suffisamment forte et bien entourée pour élever un « groupe » !

Dénicher des talents jeunes et africains, les interviewer, arriver à transcrire puis partager l’émotion et le message voulu : ce sont des exercices non aisés qui exigent entre autres des qualités d’organisation, de communication et d’écriture. Alors, je ne peux m’empêcher de vous demander comment arrivez-vous à gérer cela.

Mylène Flicka : Quand je regarde le parcours, je me demande : comment on en est arrivé là ? J’ai toujours aimé écrire et rencontrer des gens qui  « font quelque chose ». J’aime découvrir leur personnalité. Avec Irawo, je réalise le rêve de ma vie parce que Irawo regroupe tout ce que j’aime faire : pouvoir interviewer des gens, parler d’eux, montrer ce qu’ils ont de plus beau, raconter une histoire vraie, transmettre l’émotion. J’ai appris à découvrir mon pays. J’ai découvert mon patriotisme. Irawo construit la fierté des gens à se dire béninois. Aujourd’hui, vous avez juste à visiter le site de Irawo pour avoir une dizaine de raisons d’être fier d’être béninois, juste parce qu’il y a des gens qui sont là et qui travaillent. Ce sont des repères.

Ensuite, par rapport à l’organisation, Irawo nous prend tout notre temps ; Je dis nous parce que nous sommes à présent une équipe: La Team Irawo est composée à l’heure actuelle de Mawunu Feliho, de Darios TossouYanick Folly, de Jessica Gaba et Jean Morel Morufux.. Ils sont là et donnent tout à Irawo. Nous croyons en l’objectif, en l’idéal de Irawo et par conséquent, tout passe après. On essaye de rester authentiques et atypiques afin de proposer à chaque fois, quelque chose d’accrochant. Dans chaque interview, on essaie d’imaginer par quel moyen « fun, high » ou bizarre,  faire passer le message.

Nombreux sont les internautes qui n’hésitent pas à vous adresser leur reconnaissance, leur fierté, leur félicitations et encouragements. Considérez- vous que l’objectif s’atteint ? A quel niveau vous situez-vous sur la trajectoire menant à ce que vous aviez comme cible et objectif au départ ?

Mylène Flicka : Euh…Nous avons des objectifs par talent. Sur le site de Irawo, il est marqué qu’Irawo vise entre autres à connecter les jeunes talents à des partenaires potentiels, chefs d’entreprise, acteurs du secteur public, etc. Pour chaque talent, nous essayons de voir si nous avons atteint tous ces objectifs. On pourrait se donner comme objectif 10 milles vues dans la journée. Le talent qui m’a le plus marquée jusque-là reste Ulrich Sossou parce que nous lui avons fait l’interview un jour et le jour d’après tout est parti en « vrille » ; nous avons atteint tous les objectifs d’Irawo avec lui. Le magazine « Canal + Réussite » a réalisé par la suite un interview sur lui. On a beaucoup de fierté à dire qu’il fait partie de nos « Irawos ». Je pense aussi à Maureen Ayité de Nanawax qui nous a raconté son histoire d’une manière qu’elle n’avait jamais faite. Elle travaille sans relâche. Elle a eu des coups bas, a sacrifié beaucoup de choses pour se retrouver là aujourd’hui. Elle nous a dit que c’était la meilleure interview de sa vie. Pour nous c’est une joie, tout simplement.

Vous le disiez rapidement en début d’entretien, Irawo ce n’est pas que le site des talents interviewés, c’est aujourd’hui tout un ensemble composé notamment d’une chaîne. J’ai envie de dire que c’est aussi une vitrine où on présente des « mamelles cachées » ou des plaies non soignées.  Pourriez- vous nous en dire davantage ?

Mylène Flicka : Nous avons lancé IrawoTV en Mai 2016.  On voulait créer une télévision sur Snapchat qui était en ce moment-là  le média sur lequel il fallait être. Le but c’était de pouvoir re-transmettre aux gens à travers Snapchat, les interviews, leur permettre de parler directement avec les talents qui sont passés en « guest » (Langage Snapchat pour dire « Invité ») et ensuite, pouvoir remédier aux critères assez carrés de Irawo (le site) en permettant à tous ceux qui font quelque chose pour l’Afrique de s’exprimer. C’était aussi de pouvoir montrer des talents dans la rue, montrer les petites choses du Bénin qui font sa fierté, faire des émissions sur tel métier ou telle expertise, retransmettre des événements ou faire découvrir des lieux. Ensuite ça a vraiment évolué parce qu’on s’est rendu compte qu’on pouvait remédier aux côté éphémère de ce média puisqu’un « Snap » dure 24h. Donc on a créé la WebTv qui sert actuellement de plateforme pour des reportages : « Yanick Folly et les enfants de Dangbo », « Les trois mamelles de Savalou » et « Bonouko, un petit enfer au Bénin », etc.

Irawo, ce sont des objectifs, une équipe solide, des activités à valeur ajoutée, etc. D’où ma question : Irawo, n’est- ce pas en réalité une entreprise qui pourtant ne s’en réclame pas une?

Mylène Flicka : J’ai en horreur les termes comme entrepreneur, CEO qui franchement me passent par-dessus la tête. Je ne veux pas encore dire qu’on est une entreprise parce qu’on n’a pas encore de business model pour moi et tant que c’est le cas, on n’est pas encore une entreprise, à mon sens. Je respecte beaucoup les entrepreneurs. Mais je trouve qu’il y a une certaine tendance malsaine à tout appeler “start-up’’. Il ne faut pas faire beaucoup de bruit pour ne finalement rien faire. Si un jour, on dit qu’Irawo est une entreprise, il faudrait qu’on soit en mesure de supporter le poids de ce mot : pouvoir montrer des chiffres, le besoin résolu, le business model, l’impact, etc. Pour le moment, on est un média sur internet qui veut valoriser le talent. Travaillons à cela d’abord.

Delphine Anglo

A suivre : L’histoire de Mylène Flicka, chapitre second

 

Mise en ligne le 09 novembre 2016

Le cadre juridique des activités transfrontalières en Afrique

La naissance de l’Union Africaine au tournant des annees 2000

Le 11 juillet 2000 à Lomé (Togo), 53 Chefs d’Etat et de Gouvernement des Etats membres de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) résolus à relever les défis multiformes auxquels sont confrontés le continent et les peuples africains ; convaincus de la nécessité d’accélérer le processus de mise en œuvre du Traité instituant la Communauté économique africaine afin de promouvoir le développement socio-économique de l’Afrique et guidés par une vision commune d’une Afrique unie et forte, ont adopté l’acte, instituant l’Union Africaine (UA) en son article 2.

De par ses objectifs originels, l’UA s’emploie dans l’intégration africaine sur la base de fondements juridiques solides. Toutefois, ses actions sont progressistes et sont souvent portées par des visions ou programmes à long-terme, comme en témoigne l’agenda 2063. Parmi les objectifs généraux de l’UA énumérés à l’article 3 de son acte constitutif, certains se distinguent par leur fort lien avec l’intégration africaine. Ainsi, l’UA vise à :

  • accélérer l’intégration politique et socio-économique du continent ;
  • promouvoir la coopération et le développement dans tous les domaines de l’activité humaine en vue de relever le niveau de vie des peuples africains ;
  • coordonner et harmoniser les politiques entre les Communautés économiques régionales existantes et futures en vue de la réalisation graduelle des objectifs de l’Union.

Les chefs d’État et de Gouvernement de l’Union Africaine, réunis à Addis-Abeba (Ethiopie), lors de la vingt-quatrième session ordinaire de la Conférence de l’Union, en janvier 2015, ont adopté l’Agenda 2063 « l’Afrique que nous voulons », en tant que vision et feuille de route collectives pour les cinquante prochaines années. Sept aspirations ont été exprimées et vient en second rang la volonté d’« un continent intégré, politiquement uni, basé sur les idéaux du panafricanisme et sur la vision de la renaissance de l’Afrique ».

Réaffirmant que l’Agenda 2063 se fonde sur les réalisations et les défis du passé et prend en compte le contexte et les tendances aux niveaux continental et mondial, ils se sont engagés à accélérer les actions dans plusieurs domaines notamment:

  • la création rapide d’une Zone de libre-échange continentale d’ici 2017, d’un programme visant à multiplier par deux le commerce intra-africain d’ici 2022, à renforcer la position commune et l’espace politique de l’Afrique dans les négociations commerciales internationales et à établir les institutions financières dans les délais impartis : la Banque africaine d’investissement et la Bourse d’échange panafricaine (2016), le Fonds monétaire africain (2018), et la Banque centrale africaine (2028/34).
  • l’introduction un passeport africain, délivré par les États membres, en capitalisant sur la migration dans le monde par l’émission de passeports électroniques, avec la suppression de l’obligation de visa pour tous les citoyens africains dans tous les pays africains d’ici 2018.

Le role primordial des CER

Le 3 juin 1991, les chefs d’Etat et de gouvernements de l’Organisation de l’Unité Africaine (devenue UA) ont adopté le traité instituant la communauté économique africaine (CEA). Aux termes de l’article 4 dudit traité, la CEA devra assurer par étapes « le renforcement des communautés économiques régionales existantes et la création d’autres là où il n’en existe pas » et « la conclusion d’accords en vue d’harmoniser et de coordonner les politiques entres les communautés économiques sous régionales et régionales existantes et futures ». Un protocole d’accord signé en 2008 pose le contexte et le cade de la relation entre les CER et l’UA en vue de l’intégration continentale progressive. L’UA reconnaît et collabore avec les huit CER ci-après :

  • le Marché Commun pour l’Afrique de l’Est et l’Afrique Australe (COMESA),
  • la Communauté de l’Afrique de l’Est (EAC),
  • la Communauté de Développement de l’Afrique Australe (SADC),
  • l’Autorité Intergouvernementale pour le Développement (IGAD),
  • la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO),
  • la Communauté Économique des États de l’Afrique Centrale (CEEAC),
  • l’Union du Maghreb Arabe (UMA) et,
  • la Communauté des États Sahélo sahariens (CEN-SAD)

Concernant l’objectif capital de la libre circulation des personnes dans les CER, les dispositifs du droit primitif ne sont pas très avancés et se présentent comme suit :

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Source : Groupe de la banque africaine de developpement (2014), Rapport sur le developpement en Afrique 2014, p69.

Les activites financières et bancaires, connaissent une expansion transfrontalière importante sur le continent africain. Toutefois comme souligné dans un article publié par L’Afrique des Idées, il n’existe pas encore une réelle politique régionale encore moins continentale d’encadrement règlementaire et de supervision du secteur bancaire panafricain. La création prochaine de la Banque centrale africaine pourrait s’avérer un levier pour pallier ce vide règlementaire. L’Acte constitutif de l’UA a en effet, prévu en son article 19, la création de trois institutions financières suivantes, dont les statuts seraient définis par les protocoles y afférents :

CaptureDe façon globale, la régularisation des activités transfrontalières n'est pas encore inscrite comme un point prioritaire dans l'agenda des travaux de l'Union Africaine ; situation qui ralentit l'expansion de certaines entreprises sur le continent d'une part et qui n'offre pas d'outils aux pays face à des pratiques délictueuses de certaines entreprises d'autre part. L'intégration des pays, en favorisant les activités transfrontalières ne devrait pas engendrer des inégalités spatiales. Il urge donc que réflexion soit faite pour définir un cadre favorable au développement des entreprises à l'échelle du continent et qui s'attache à préserver les efforts des pays en matière de développement.

Le devoir de résilience des banques transfrontalières africaines

VISUAL_ECOLa décennie en cours a vu le continent africain émettre des sons retentissant avec une aberrante insistance, dans les oreilles averties, intéressées ou juste égarées. Les tonalités qu’ont pu distinguer les uns, ne font guère penser au murmure du bébé sapiens sapiens dans un imaginaire berceau. Ce ne sont pas non plus des gargouillements de ventres affamés qu’ont pu reconnaitre les autres, mais bien des échos d’une explosion de chiffres connus des économistes. Le constat est sans appel : l’Afrique a répondu au rendez-vous de la croissance. Les indicateurs ont explosé et empruntent une tendance remarquablement haussière dans l’horizon visible. Le défi actuel est de renforcer cette croissance sur le long terme. Pour cela, s’impose un intérêt songeur pour l’environnement bancaire du continent.

S’il demeure un secret pour certains que le secteur privé est au cœur de la croissance africaine ; il s’agit sans doute d’un secret de polichinelle. Pour soutenir leurs croissances interne et externe, les entreprises africaines comme toute autre organisation à but lucratif, ont besoin de sérieuses ressources. Apparaissent au sommet de la pyramide de leurs besoins en ressources, les capitaux financiers. Au-delà des capitaux propres actionnariaux, les dettes financières viennent en support considérable. C’est alors que les organismes bancaires sont appelés à financer le secteur privé.

La santé économique de ces organismes bancaires devient donc cruciale pour les économies africaines. En effet, un déclin du secteur bancaire affecterait l’équilibre financier du secteur privé et poserait ainsi les bases d’une chute aussi rapide que brutale de la croissance.

Cet article vise à mettre en exergue la criticité du risque bancaire et à souligner l’importance voir l’urgence pour le secteur bancaire africain en forte expansion, de déployer les outils nécessaires à la relève de ses nombreux défis pour maîtriser ces risques.

1. La petite histoire du secteur bancaire africain

La sphère bancaire en Afrique a connu plusieurs phases. Ses prémices remontent aux années coloniales qui ont vu s’implanter des banques occidentales principalement commerciales qui, soutenaient les entreprises étrangères implantées sur le continent. Sur le fond d’accords de non-concurrence entre les anciennes métropoles, il existait une domination des banques françaises dans les colonies françaises, celle des banques portugaises dans les colonies portugaises et une importante présence des banques britanniques dans les colonies anglaises. Mais les Etats nouvellement indépendants au début des années 1960, vont très vite dénoncer les pratiques de ces banques étrangères dont les stratégies furent jugées inopportunes pour répondre aux besoins des nations avides de développement et aux aspirations des populations locales. C’est alors qu’une vague de banques africaines virent le jour, dans une tendance plutôt keynésienne où l’Etat pesait aussi lourd dans l’environnement économique que dans le capital des banques.

Seulement, en 1980 le continent n’échappa pas aux effets de la crise économique. Lesquels effets furent renforcés par l’échec des politiques interventionnistes. Les organismes bancaires, majoritairement nationaux, connurent alors de grandes secousses qui mirent sérieusement en cause leur stabilité. Seules les banques éthiopiennes, kenyanes et zimbabwéennes, qui avaient ouvert leur capital aux investisseurs privés ou bénéficiaient de meilleures gestions, avaient pu maintenir un certain équilibre.

Le processus de libéralisation du marché qui s’est timidement enclenché dans la deuxième moitié des années 1980, pour davantage s’affirmer dans les années 2000, a déclenché le renouveau du secteur bancaire africain. Alors que les banques étrangères, vieilles, voyaient leurs parts de marché décliner progressivement ; les banques africaines n’ont cessé de croître en capital et en surface. L’industrie bancaire africaine connaît désormais une expansion pour le moins rapide. Les dernières années ont été le témoin du développement spectaculaire des banques transfrontalières. Ecobank qui a été créé en 1985 au Togo, pour pallier l’absence de banques africaines non étatique dans la région ouest-africaine, est aujourd’hui présent dans 36 pays du continent. Le graphique ci-après donne un aperçu de l’évolution de la position géographique des principales banques transfrontalières.

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Source : – International Monetary Fund (2015). Pan-African Banks :Opportunities and Challenges for Cross-Border Oversight.

Le secteur bancaire africain connaît une forte expansion, visible dans la prolifération et le développement géographique des banques transfrontalières. Cette situation constitue une opportunité réelle pour les économies africaines. Elle porte en elle le soupçon de l’intégration africaine. Cependant, à la lumière de la crise financière de 2008 et dont la diffusion à l’économie réelle a été assurée par les banques ; l’importance des banques transfrontalières est aussi porteuse de risques qu’il conviendrait de contenir afin de ne pas fragiliser les perspectives socio-économiques du continent.

2. L’histoire bancaire contemporaine : entre expansions, crises et régulation

L’environnement bancaire et financier international a été récemment remis en cause, avec la crise de 2008. Cette crise a d’abord été immobilière, ensuite bancaire puis, rapidement économique, en raison de l’importance systémique des banques transfrontalières.

a. Focus  sur la crise de 2008

Des courtiers américains, non soumis à la règlementation bancaire, ont accordé des prêts immobiliers à des particuliers insolvables appelés « ninja : no income, no job, no assets ». Ces courtiers considéraient la prise spéculative de valeur des biens ou leur revente comme une garantie suffisante. Les emprunteurs sans ressources suffisantes, étant hors de tout registre normal de marché ; ces crédits étaient frappés de fortes marges d’où l’appellation « subprimes ». Seulement, en 2006 un effondrement confirmé du marché immobilier conduit à une vague de défauts de paiement et à des retards d’échéances pour des crédits hypothécaires « subprimes ». Or les banques dans leur majorité avaient eu recours aux services de ces courtiers, pour contourner la règlementation et alléger leurs actifs des éléments consommateurs de fonds propres. Des banques d’investissement de taille avaient investi dans des « subprimes ».  Par voie de conséquence, la crise immobilière intoxique l’environnement bancaire. En juin 2007, la banque d’investissement Bear Stearns annonce la chute de la valeur de deux de ses fonds qui ont investi dans des « subprimes ». Dans la même période, la banque allemande IKB se déclare en grandes difficultés. Quelques mois plus tard, la banque française BNP Paribas et la société de gestion Oddo annoncent le gel des souscriptions et rachats sur des fonds exposés aux « subprimes ». D’autres banques internationales comme Citigroup et UBS passent des provisions sur leurs engagements « subprimes ». Les produits « toxiques » n’étaient pas qu’à Wall Street. Ils étaient éparpillés dans le monde entier.

Le 15 septembre 2008, La banque d’investissement Merrill Lynch a été reprise de justesse par Bank of America et la 4ème banque d’investissement américaine Lehman Brothers, alors vieille de 158 ans et comptant 26000 collaborateurs dans le monde, se déclara en faillite. Cette banque pourtant considérée comme « Too big to fail » c’est- à- dire, trop critique de par sa taille et son poids, pour ne pas être sauvée, n’a pas été secourue par la réserve fédérale américaine. Celle-ci donnait un signal : aucune banque n’est à l’abri de la faillite.

Bear Stearns dont la valorisation boursière frôlait la dérision a été rachetée, pour un prix pour le moins symbolique, par JP Morgan. Cette dernière et Morgan Stanley prendront le statut de banque commerciale, sonnant ainsi la fin des banques d’investissement aux Etats-Unis.

La faillite de Lehman Brothers a accentué la crise bancaire. En effet, le manque de transparence et la difficulté de localisation de la contrepartie des 85 milliards de titres toxiques du géant disparu, a créé une défiance au sein du secteur et un assèchement de liquidité. Au plus fort de la crise, les Etats essentiellement par le biais des banques centrales, venaient au secours aux banques, en acceptant de racheter leurs produits toxiques et en injectant de la liquidité. Certaines banques au bord de la faillite sont nationalisées. Les conséquences sur l’économie réelle furent immédiates en raison notamment de la diminution des lignes de crédit et du refuge des agents économiques dans des matières premières jugées moins risquées comme le pétrole et les produits agricoles. Le prix du baril de pétrole grimpa, la confiance des ménages prit un coup et la consommation ralentit. Le secteur automobile est atteint : trois mois après l’effondrement de Chrisler, General Motors faisait faillite en 2009. L’Etat français vola à la rescousse de PSA et Renault pour éviter le pire. Les entreprises devaient revoir leurs stratégies financière et sociale pour survivre.

Nul doute que cette crise en est pour beaucoup dans la crise de la dette souveraine européenne.

b. Les réactions : renforcement des dispositifs de contrôle des banques

En matière de régulation du système bancaire mondiale, c’est le comité de Bâle sur le Contrôle Bancaire (CBCB) qui a la légitimité internationale. Sa charte donne un aperçu de son organisation et de ses activités.  Elle a considéré que la gravité de la récente crise est due au développement d’un effet de levier excessif, à la dégradation du niveau et de la qualité des fonds propres et à l’insuffisance des volants de liquidité. L’effet de massue (inversion de l’effet de levier) et l’interdépendance des établissements financiers d’importance systémique dans le cadre d’un grand nombre de transactions complexes, ont amplifié la situation. Pour la CBCB, il devenait aussi impératif qu’urgent de renforcer les dispositifs de contrôle et de supervision des activités bancaires afin d’assurer la résilience à court et à long terme des banques en générale et de celles transfrontalières en particulier. Le comité prend alors des mesures qui visent la solidité des systèmes de gouvernance et de gestion des risques puis, la transparence et la communication financière. L’ensemble de ces mesures a été publié en décembre 2010 sous le dispositif Bâle 3. Celle- ci complète le cadre règlementaire posé par les précédents dispositifs. Le premier, Bâle 1 instaurait le ratio dit « Cooke » de 8% du poids des fonds propres. L’essentiel des dispositifs suivants, Bâle 2 et Bâle 2,5 peut se résumer comme suit :

  • Bâle 2 diffusé en 2004, pour une mise en application dès la fin 2006 apportait des améliorations à la mesure du risque de crédit et intégrait le risque opérationnel. Il repose sur trois piliers : les exigences minimales de fonds propres (1er pilier), un processus de surveillance prudentielle (2e pilier) et la discipline de marché (3e pilier).
  • Bâle 2,5 approuvé en juillet 2009, pour une mise en application au 31 décembre 2011, a renforcé la mesure des risques liés aux titrisations et aux expositions du portefeuille de négociation.

Le dispositif Bâle 3 a été mis en application à compter du 1er janvier 2013 et ses exigences prendront pleinement effet au 1er janvier 2019 (Cf. Calendrier de mise en œuvre de Bâle 3). Il a pour principaux objectifs (Cf. Tableau synthétique des mesures de Bâle 3) :

  • le renforcement du dispositif mondial des fonds propres par l’amélioration de la qualité, de l’homogénéité et de la transparence des fonds propres ; l’extension de la couverture des risques ; la mise en place d’un ratio de levier; la réduction de la pro-cyclicité et ; la gestion du risque systémique et de l’interdépendance des établissements.
  • l’instauration de normes mondiales de liquidité par la mise en place d’un ratio de liquidité à court terme (LCR : Liquidity Corverage Ratio) ; d’un ratio structurel de liquidité à long terme (NSFR : Net Stable Funding Ratio) et d’outils de suivi.

La crise économique de 2008 a montré que les banques transfrontalières, peu importe leur taille, ne sont pas à l’abri de la faillite, sous les effets de crises qu’elles peuvent déclencher, favoriser ou faire propager. Le Comité de Bâle sur le Contrôle Bancaire a pleinement conscience de cela et réagit sans délai, en renforçant le contrôle et la supervision bancaire. En témoigne la mise en application récente du dispositif Bâle 3.

3. Les défis du secteur bancaire africain

Si le continent africain n’a pas trainé des séquelles de la crise de 2008, elle ne peut l’ignorer et devrait s’en approprier les enseignements. Le manque d’expérience ou la relative jeunesse du secteur bancaire africain ne seraient point des excuses. Le bon sens voudrait d’une Afrique qui prenne le train de la tendance bancaire mondiale en marche.

Le secteur bancaire africain qui se veut aussi prospère que résilient doit œuvrer pour :

  • une gouvernance transparente et responsable ;
  • de robustes systèmes de contrôle interne et de gestion des risques ;
  • un système d’information et de communication transparent et uniforme.

La supervision bancaire transfrontalière apparaît alors plus comme une exigence, qu’une option.

a. L’Afrique s’inscrit- elle dans la dynamique mondiale de la normalisation financière et de la régulation bancaire ? Ou en est- elle dans l’application des normes IFRS et des dispositifs Bâle ?

Le tableau suivant donne des éléments de réponse.

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Source : International Monetary Fund (2015), Pan-African Banks—Opportunities and Challenges for Cross-Border Oversight. CBCB (2015), Eighth progress report on adoption of the Basel regulatory framework. http://www.ifrs.org/Use-around-the-world/Pages/Jurisdiction-profiles.aspx

On peut noter que la majorité des Etats ont adopté ou prévoit d’adopter les normes IFRS. Toutefois, on ne saurait en dire autant des dispositifs du CBCB. Seule l’Afrique du Sud, unique pays africain dont la juridiction est présente au CBCB, est très avancée dans l’application des dispositifs Bâlois. A jour du calendrier d’adoption des mesures de Bâle 3, la South African Reserve Bank apparaît comme un bon élève de la classe des 28 membres du comité, comme le montre le rapport sur la mise en œuvre du cadre règlementaire de Bâle publié en Avril 2015.

b. Quelle posture s’impose aux banques transfrontalières africaines ?

La présente analyse n’est pas une plaidoirie pour un alignement systématique des banques transfrontalières africaines, sur le cadre international, par l’adoption automatique des dispositifs du CBCB en général et de Bâle 3 en particulier. Les mesures bâloises sont des exigences minimum d’application facultative pour ses membres et tout autre organisme bancaire. Il revient à l’Afrique bancaire d’en faire une source d’inspiration ou un usage réfléchi. Une théorie de la solution « prêt-à-transposer » ou du remède unique sans considération de l’environnement et du projet africain, ne serait qu’utopie. Le but premier est d’attirer l’attention sur les défis de cette Afrique bancaire qui n’a pas droit à la complaisance car sa résistance au choc est essentielle pour sa propre pérennité et vitale pour l’Afrique « émergente ».

Il urge que place soit faite à la réflexion pour imager le secteur bancaire africain qui allie expansion, prise de risques mesurés et stabilité. L’Afrique doit définir le plus rapidement, des outils de résilience bancaire adéquats, au regard du son environnement juridique, comptable, financier, du niveau actuel et visé d’intégration et des objectifs stratégiques bancaires.

Delphine Anglo

Références :

  • International Monetary Fund, (2015), Pan-African Banks—Opportunities and Challenges for Cross-Border Oversight
  • The World Bank, (2014), Making Cross-Border Banking Work for Africa
  • CBCB, (2015), Eighth progress report on adoption of the Basel regulatory framework
  • CBCB, (2014), Bâle III : Ratio structurel de liquidité à long terme
  • CBCB, (2013), Bâle III : Ratio de liquidité à court terme et outils de suivi du risque de liquidité
  • CBCB, (2010), Bâle III : dispositif réglementaire mondial visant à renforcer la résilience des établissements et systèmes bancaires
  • Banques transfrontalières africaines, Rapports annuels 2014
  • Sites internet des Banques transfrontalières africaines
  • http://www.ifrs.org/Use-around-the-world/Pages/Jurisdiction-profiles.aspx
  • https://www.bis.org/bcbs/index.htm?m=3%7C14