L’union fait la force, dit-on souvent. Cette force dont l’Afrique a tant besoin pour peser elle aussi sur la scène internationale, les pères fondateurs de l’Organisation de l’Unité Africaine en ont rêvé. Dire aujourd’hui que de l’intégration africaine est un échec n’est que pur euphémisme. La révolution que devait constituer l’Union Africaine, substitut de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA), n’a été qu’un écran de fumée. Les pouvoirs politiques ne sont pas encore prêts à donner à une telle organisation supranationale les moyens dont elle a besoin pour une réelle politique d’intégration devant baliser le terrain vers de véritables « Etats-Unis d’Afrique », comme le préconisait l’ancien dirigeant de la Jamahiriya arabe libyenne Mouammar Kadhafi. Outre quelques timides réalisations telle que la mise en place du conseil de sécurité de l’UA (dont l’efficacité et l’utilité restent à démontrer), l’adoption récemment de l’accord sur la zone de libre échange continentale, que peut-on bien mettre en toute objectivité à l’actif de cette organisation ?
Le cas des organisations sous-régionales est encore plus patent. Que ce soit la CEDEAO, L’UEMOA ou encore la CEMAC, les objectifs fixés par ces différentes institutions sont loin d’être atteints. Les fréquentes raquettes aux frontières des Etats de la CEDEAO témoignent de la difficulté de mise en œuvre de la liberté de circulation des personnes et des biens dans la sous-région. L’appartenance à une identité africaine est loin d’être acquise. La symbiose entre l’échec politique de l’intégration et l’absence de sentiments d’identité panafricaine constituent le véritable frein d’une avancée vers les Etats-Unis d’Afrique.
Le football, notre rédempteur ?
Le constat décrit perd tout son sens lorsque nous parlons d’activités sportives et précisément de football. En effet cette discipline sportive à un impact de transcendance certain sur le panafricanisme, notamment lors des rendez- vous mondiaux.
Rappelons-nous de l’été 2002, lorsque des foule immenses inondaient les villes africaines pour célébrer les successives victoires et qualifications du Sénégal pour les huitièmes et quarts de finale de la Coupe du monde organisée en Asie. Avant ce rendez-vous planétaire du football, les Togolais connaissaient-ils ne serait ce qu’une partie de l’Histoire de cette Nation ouest-africaine ? Aurais-je demandé à un Loméen lambda le nom du Premier ministre Sénégalais de l’époque, tout porterait à croire qu’il aurait été incapable de répondre. Et pourtant ils étaient dans les rues pour célébrer la victoire de cette Nation. La Nation, ce solide terme riche d’Histoire et d’appartenance à une certaine identité culturelle perd tout son sens lors des rendez-vous planétaires du football. En tout cas ceci est vrai en ce qui concerne le continent africain. L’appartenance à une Nation s’éclipse derrière une identité continentale, une appartenance à cette terre mère de l’humanité qu’est l’Afrique. Aujourd’hui il suffit de faire un tour sur les réseaux sociaux lors des rencontres des Nations africaines lors du Mondial pour attester de la véracité de mes dires.
Quel Tanzanien n’était pas fier du parcours des Black stars lors du Mondial africain de 2010 ? Quel Malien n’était pas révolté et désolé des frasques et de la piètre image laissée par les Camerounais lors des coupes du monde 2002 et surtout 2014 ? Allons encore plus loin et sortons la boite à archives avec la victoire de l’équipe olympique du Nigéria en 1996 en éliminant des grandes nations du football telles que le Brésil et l’Argentine. L’identité africaine avait pris le pas sur la Nation nigériane. La question qui traverse l’esprit ne peut pas être posée en des termes on ne peut plus clair : et si les Etats-Unis d’Afrique se faisaient à travers le football ?
Football, élément pacificateur ?
Plus de 50 années après les indépendances, l’Afrique est toujours minée par des crises politiques de forte envergure. Nombreux sont les pays au sein desquels le tissus national est déchiré et la « réconciliation nationale » est devenue une marque de fabrique. En Côte d’Ivoire, Laurent Gbagbo mais aussi l’actuel président de la république Alassane Ouattara ont misé sur le talent et les prouesses de l’équipe nationale pour ramener la paix et la réconciliation dans le pays. Si les résultats escomptés sont loin d’être atteints, il faut quand même souligner le poids politique de ce sport. L’implication de Didier Drogba, la grande star ivoirienne du football, dans le processus de réconciliation nationale n’est pas anodine et témoigne une fois encore de l’influence politique du football. On peut citer aussi l’exemple du Togo. Après une année 2005 obscure marquée par le décès du président Eyadema et les violences pré- et post-électorales qui ont émaillé le processus devant désigner son successeur, la qualification des éperviers pour le Mondial 2006 a apporté du baume au cœur à cette nation. Le temps d’une qualification, les clivages politiques et ethniques ont été oubliées pour laisser place à la fierté vis-à-vis de cette équipe nationale.
Lors du mondial 2014 au Brésil, le Premier ministre centrafricain a voulu surfer sur la vague de la Coupe du monde pour ramener la paix dans son pays en demandant aux différents belligérants de faire une trêve le temps du plus prestigieux tournoi planétaire.
Le football possède des vertus pacificatrices. On ne saurait expliquer les raisons mais ceci est une réalité. Si sur le plan politique, la conception d’une Afrique politique unifiée demeure à l’heure d’aujourd’hui une chimère, sur le plan sportif, notamment, dans le cadre du football, le propos doit fortement être nuancé.
Fédérer les compétences des différentes instances dirigeantes de notre football, premier pas vers une véritable Union africaine
Contrairement au début du tournoi 2018, le mondial brésilien a révélé les tares organisationnelles et managériales de certaines fédérations africaines de football. Des maux qui ont une conséquence directe sur les prestations mais surtout sur les comportements de joueurs desdites nations. Le cas du Cameroun qui n’est pas à son premier chef d’œuvre est d’une tristesse inouïe pour cette grande Nation du football africain. C’est toute l’Afrique qui a pâti de ces comportements déplorables. Il n’y avait pas que les Camerounais qui se sont indignés car cette équipe représentait également tout un continent.
La synergie des fédérations africaines de football peut constituer une hypothèse de solution pour éviter de pareilles crises dans l’avenir. Il pourrait s’agir d’une sorte de coopération sud-sud, coopération qui est citée parmi les conditions incontournables du développement économique du continent africain. Si cette coopération sud-sud a du mal à poser les bases tant sur le plan politique qu’économique, pourquoi ne pas l’enclencher par le football ? Au moins sur ce terrain l’unanimité ou dans une moindre mesure le compromis est plus facilement trouvé car le seul et plus grand intérêt, c’est le rayonnement international du football africain.
Cette coopération pourrait par exemple se matérialiser par des échanges d’expériences entre différentes fédérations afin de s’instruire des réussites des fédérations sœurs mais également de tirer des leçons des échecs des autres fédérations. Pourquoi les dirigeants camerounais ne coopéreraient-ils pas avec leurs homologues Nigérians pour bénéficier de l’expérience de cette dernière dans la gestion de leur football ? Pourquoi la fédération togolaise ne signerait-elle pas des contrats de coopération avec sa sœur et voisine ghanéenne pour apprendre de cette dernière les raisons de ses gestions plutôt bien réussies des grands rendez-vous ?
Cette coopération pourrait même aller plus loin par la mise en place par exemple d’organisations africaines ou sous-régionales ayant pour mission de coordonner et de gérer les fédérations des différents pays pour ainsi améliorer leur qualité. Ne dit-on pas que qu’ensemble, on va plus loin ? C’est bel et bien dans ce domaine que les africains peuvent montrer au monde entier que l’Union africaine est une réalité. Il suffit de mettre en place les organes indispensables et de fixer les objectifs nécessaires à atteindre pour montrer la voie aux politiques africains.
Le rôle central du politique dans un tel projet
En effet si l’objectif de cet article est bien une « union sportive des peuples africains » pour baliser la route ensuite vers une « union politique », le rôle du politique dans une telle entreprise n’est pas moins importante. C’est une vérité que l’immixtion du politique dans les affaires du football est scrupuleusement interdite par la Fédération Internationale de Football Association (FIFA). Cependant avec la nouvelle stature du football, comment pourrait-il en être autrement ? L’ancien président Sepp BLATTER confessait cette réalité il y a quelques jours dans une interview.
En France après la débâcle de l’équipe nationale au mondial 2010 avec comme summum la grève de Knysna, le président de l’époque a reçu certains joueurs pour élucider les causes de cet invraisemblable scénario. En Afrique, il est de notoriété publique que les chefs d’Etat reçoivent les joueurs leader des sélections pour discuter des problèmes et de l’avenir du football dans leurs pays respectifs.
Aussi faut-il noter, que contrairement à l’occident, la concentration du pouvoir caractérise toujours la plupart des Etats Africains. Ceci a un impact plus ou moins direct sur les organisations sportives. Les élections ou les nominations à la tête des instances dirigeantes ne sont pas exempts de coloration et de connotation politique. Le rôle du politique se trouve encore plus renforcé par le fait que les fédérations des pays africains n’ont pas d’autonomie financière et dépendent largement du budget des Etats.
Partant de ces constats, le rôle du politique peut et doit être déterminant dans la mise en place d’une politique d’intégration régionale en matière sportive et spécifiquement concernant la question du football. Tout comme les ministres des finances et de la défense se réunissent occasionnellement pour discuter entre eux, il devrait être de même pour les responsables politiques chargés du sport de nos différents pays afin de pouvoir mettre en place de stratégies et prendre des décisions allant dans le sens de l’amélioration de la qualité de nos différentes instances dirigeantes. Utopie d’un rêveur ? Réponse certainement affirmative. Mais où va l’Afrique quand ses enfants cessent de rêver ?
Giani Gnassounou