Crises politique, économique et sociale en RDC : Un chaos quasi atavique?

La République Démocratique du Congo (RDC), un pays aux dimensions continentales (2.345.000 km2 de superficie), peuplé d’environ 70 millions d’habitants[1], disposant de ressources naturelles notamment minières parmi les plus fournies, a tout pour être un mastodonte au cœur de l’Afrique. Paradoxalement, ce potentiel géant se voit confiner aux dernières places des principaux classements internationaux sur le développement humain, la bonne gouvernance, la démocratie, entre autres.[2]

Indépendante depuis 1960, cette ancienne colonie belge n’a pas su s’émanciper des cycles de conflits et de violences sous différentes formes, de crises politiques, de tensions sociales. Dans cette analyse, nous décryptons successivement les crises politique, économique et socio-sécuritaire du moment dans ce pays et les défis qu’elles posent.

 

Crise politique

Le mandat constitutionnel du président Kabila est arrivé à son terme le 19 décembre 2016. Il est toutefois resté au pouvoir. En effet, les élections n’ont pas été organisées dans les délais prévus par la Constitution, le gouvernement justifiant le report des scrutins par un manque de moyens financiers conséquents et par la nécessité d’une actualisation du dernier fichier électoral désuet. Cependant, les prétextes avancés sont peu convaincants. Dès janvier 2015, le pouvoir voulait conditionner la tenue des élections à un recensement général de la population qui, sans doute, allait retarder le processus électoral. Le pouvoir a dû faire marche arrière face à la pression populaire contre cette tentative. Ensuite, certains tenants du pouvoir évoquaient les options de la révision constitutionnelle et surtout du référendum, le tout pour permettre au président de briguer un autre mandat à la tête du pays. Un arrêt de la Cour Constitutionnelle dont le dispositif allait en faveur du maintien au pouvoir du président en exercice jusqu’à l’élection de son successeur a donné du tonus aux partisans du « glissement ». Puis, en vertu d’un accord négocié entre le pouvoir, l’Opposition et la « Société civile », le président Kabila demeure à la tête de l’État pour une période de transition devant aboutir à l’organisation des élections en fin 2017. C’est précisément au niveau de l’application de l’Accord du 31 décembre 2016, dit « Accord de la St-Sylvestre » que les violons ne s’accordent pas entre le pouvoir et la frange majoritaire de l’opposition, réunie au sein du Rassemblement des forces politiques et sociales acquises au changement. Les principaux points d’achoppement sont la nomination d’un premier ministre présenté par le Rassemblement, conformément au prescrit de l’accord, la nomination du président du Conseil national de suivi de l’accord – après le décès d’Etienne Tshisekedi, figure historique de l’opposition à qui revenait ce poste-, le partage des postes ministériels et les mesures dites de « décrispation politique ». Le président Kabila a nommé Bruno Tshibala, un dissident du Rassemblement de l’opposition comme premier ministre et ce dernier a nommé un gouvernement quasiment dupliqué sur le précédent gouvernement. Kabila et sa majorité réclamaient une liste de candidats présentée par le Rassemblement, requête qui n’a pas reçu l’assentiment du Rassemblement qui a rétorqué que,selon les termes de l’accord, il n’était pas question de présenter une quelconque liste, mais un seul nom que le président devait tout juste nommer, eu égard à ses prérogatives constitutionnelles.

Plusieurs mois de négociations n’ont pas suffi à surmonter les antagonismes. Il convient surtout, de noter que la nomination du premier ministre Tshibala ne règle en rien la crise politique et de légitimité du pouvoir. Les quelques dissidents du Rassemblement ne bénéficient d’aucune légitimité et légalité pour représenter cette plateforme. En effet, le seul Rassemblement qui bénéficie du soutien populaire et de la reconnaissance internationale est celui piloté par le tandem Félix Tshisekedi-Pierre Lumbi.

Après les Accords de la Cité de l’OUA d’Octobre 2016, le pouvoir, conscient du manque d’inclusivité de cet accord et des risques de soulèvement et menaces de sanctions internationales s’était vu contraint bon an mal an de retourner à la table des négociations.  Alors que le dialogue entre le pouvoir et l’opposition a été infructueux, que cette opposition utilise de plus en plus un ton offensif et comminatoire vis-à-vis du régime kabiliste, que la communauté internationale maintient sa pression sur le président sortant pour la mise en œuvre intégrale de l’accord et que la situation sécuritaire est pour le moins volatile, deux scénarios semblent plausibles. On pourrait assister à un nouveau cycle de négociations pour parvenir à l’inclusivité voulue et à la formation d’un nouveau gouvernement de transition. Il se peut également que le statu quo perdure avec un risque certain d’entraîner une surenchère et une escalade de la violence qui ne pourront qu’hypothéquer encore plus la tenue des élections déjà incertaines .

Crise économique

L’économie congolaise est essentiellement extravertie, l’industrie extractive, tournée surtout vers l’exportation étant prépondérante. Face à la baisse des cours des matières premières, cette économie peu diversifiée n’a pas été assez résiliente pour surmonter ce choc exogène. Pour preuve, le franc congolais, monnaie nationale qui coexiste avec le dollar US comme intermédiaire des échanges dans ce pays connaît une dépréciation substantielle. Selon le gouverneur de la Banque Centrale du Congo, le franc congolais a enregistré une dépréciation de plus de 20% pour la seule année 2016. [3]Depuis quelques mois déjà, les fluctuations erratiques de cette monnaie pénalisent grandement les congolais qui voient les prix des biens et services grimper. Face à cette dépréciation du franc congolais par rapport au dollar US, la pilule est particulièrement dure à avaler pour les fonctionnaires et autres salariés payés en francs congolais, dont l’enveloppe salariale en proportion du dollar US -toutes choses étant égales par ailleurs- se trouve défalquée en termes de pouvoir d’achat malgré eux.

En ce qui concerne le taux de croissance économique, il a aussi connu un net recul, passant de 7,7% en 2015 à 2.5% en 2016. Le chômage y demeure endémique, surtout celui des jeunes.

Par ailleurs, la crise politique a évidemment créé une incertitude sur le plan économique entraînant une contraction des investissements étrangers dans le pays. Pour ne rien arranger à la situation, des menaces de sanctions et  mesures restrictives de certains partenaires internationaux (États-Unis, Grande Bretagne Belgique, France entre autres) viennent noircir le tableau économique.[4]

Dans cette situation de profondes difficultés financières et d’instabilité politique, la tenue des élections dans les délais conformes à l’Accord de la St-Sylvestre semble des plus hypothétiques.  

Crise socio-sécuritaire

Il faut dire que le second mandat de Joseph Kabila a été très mouvementé. La quiétude sociale n’a pas été au rendez-vous. À la suite des résultats controversés de la présidentielle de 2011, Kabila souffrait d’un déficit de légitimité aux yeux d’un grand nombre d’acteurs politiques de la scène nationale et d’une partie non-négligeable de la population. Lorsqu’en 2012 la rébellion du M23 fit son apparition, avec à son actif des massacres et actes exécrables au Nord-Kivu, la RDC s’est retrouvée en situation de crise et a dû consacrer de moyens conséquents pour rétablir l’autorité étatique dans les zones occupées par les rebelles.  Cette reconquête de la souveraineté territoriale a nécessité selon les tenants du pouvoir de surseoir ou « sacrifier » certains engagements pour cet impératif de souveraineté nationale. Alors que la défaite et la capitulation du M23 laissaient espérer des jours assez paisibles pour les ressortissants des territoires touchées- malgré la présence d’autres groupuscules armés- la résurgence dès 2013 d’actes de barbarie ignobles et crapuleux dans le territoire de Beni (Nord-Kivu) notamment par les rebelles ADF-Nalu ougandais a tôt fait de replonger le pays dans la spirale de violences et de crimes imprescriptibles. Tout récemment, ce sont les milices Kamwina Nsapu qui semèrent la terreur au Kasai (centre du pays). La non-organisation des élections dans les délais, le maintien de Kabila au pouvoir et les vicissitudes de l’application de l’accord du 31 décembre 2016 n’ont fait qu’exacerber les tensions sociales sur fond de répression, d’arrestations arbitraires et d’atteinte aux droits de l’Homme  en général.

Depuis 2013, il y a eu les  « Concertations Nationales », le dialogue de la cité de l’Union Africaine, le dialogue sous la médiation de la CENCO qui étaient censés renforcer la cohésion nationale et préparer à la tenue d’élections paisibles et crédibles dans les prochains mois (spécifiquement les deux derniers dialogues évoqués) mais force est de constater que la RDC demeure pour le moment dans une situation instable et potentiellement explosive (loin de nous toute logique d’hypertrophie).

On peut percevoir une lassitude des congolais face aux errements de la classe politique. Aussi bien au niveau de la majorité que de l’opposition politique[5], nombre de politiciens ont déçu les attentes des congolais. Edem Kodjo, ancien premier ministre togolais et médiateur du dialogue de la cité de l’OUA déclarait dans Jeune Afrique à propos de cette classe politique : « J’ai eu affaire à une classe politique à la fois brillante, adepte des faux-fuyants, intelligente, toxique. L’argent joue un rôle prépondérant : en Afrique de l’Ouest, les gens pensent qu’ils sont riches quand ils ont 100 millions de F CFA. Ici, ils le sont quand ils ont la même somme, mais en dollars »[6] Même si Edem Kodjo n’est pas un parangon d’exemplarité politique, son constat sonne plutôt juste. Nous estimons qu’une loi de moralisation de la vie politique, comme celle défendue par le président Macron, mais adaptée au cas congolais serait à-propos en RDC (comme d’ailleurs dans bon nombre de pays du continent éventuellement). Il pourrait par exemple être question dans cette loi d’interdire aux anciens rebelles ou chefs rebelles d’exercer de fonctions politiques[7], de s’assurer que les titulaires de charges publiques ne sont ni des repris de justice, ni des personnes qui se sont enrichies illicitement, pas plus qu’ils ne doivent être mêlés dans des conflits d’intérêts de nature à compromettre l’exercice de leurs fonctions, d’exiger une déclaration de patrimoines des candidats à la présidence de la République et du président élu et des ministres au début et en fin de mandat. Pour cela, il pourrait être mis en place un organe (ou une cour) supérieur(e) de surveillance et d’arbitrage chargé(e) de s’assurer du respect de ces principes.

 Il est somme toute, essentiel que nos pays africains se dotent d’institutions judiciaires solides, neutres et véritablement justes pour sanctionner quiconque contrevient aux textes légaux en vigueur. Les politiques devraient être esclaves de leur engagement ou serment. Il nous revient à l’esprit ici la notion de théorie de l’expectative légitime, qui est à peu près en droit administratif québécois le pendant de la théorie de « l’Estoppel » de la Common Law et selon laquelle les responsables politiques, qui tiennent des promesses à la population créent des « attentes ou espérances légitimes » qu’ils sont contraints de tenir de jure, sauf impondérables. Si un tel principe avait force de loi dans nombre de pays africains, on n’assisterait sans doute pas à autant de valses et convulsions rétrogrades qui retardent la marche de nos pays vers l’émergence.

Il est évident que la RDC a tout le potentiel humain et naturel pour se relever. Il faut pour cela un leadership politique responsable et éclairé et une révolution de mentalités au niveau de la population qui passe entre autres par une éducation et une formation civique de qualité. Ainsi, le chaos « quasi atavique » ne sera-t-il qu’un lointain souvenir.

 

                                                                                                                                                                                        Thierry SANTIME

 

 

 

 


[1] Le dernier et unique recensement scientifique de la population nationale datant de 1984, ce chiffre est approximatif des données compilées par des institutions comme la BM, le PNUD, entre autres.

 

[2] L’IDH (indice de développement humain) du PNUD classe la RDC 176ème sur 188 pays classés dans son dernier classement.  http://hdr.undp.org/en/data  L’ONG Freedom House qui étudie la démocratie dans le monde classe les États selon le niveau de droits politiques et de libertés civiles des populations place dans son classement la RDC comme État non-libre (not free).

 

[4] L’ONU menace de saisir la CPI pour les massacres au Kasai. http://www.mediacongo.net/article-actualite-25754.html

Les États-Unis et l’UE ont imposé des sanctions contre de « hauts responsables » congolais. https://vacradio.com/lue-et-les-etats-unis-imposent-des-sanctions-contre-de-hauts-responsables-de-rd-congo/

 

[5] Le réalisateur belge Thierry Michel, bien au fait des questions congolaises parle d’ « opposants alimentaires » pour décrire les opposants congolais. http://www.congoforum.be/fr/interviewsdetail.asp?id=207170&interviews=selected

 

[6]   « RDC : Kabila, Tshisekedi, Katumbi… L’ex-médiateur Edem Kodjo dit tout ». Jeune Afrique. 2016  http://www.jeuneafrique.com/mag/382533/politique/edem-kodjo-mediateur-ne-dire-ca/

 

[7] Il faut noter que l’impunité est une sérieuse préoccupation en RDC où des rebelles ou miliciens ayant perpétré des actes hideux bénéficient de l’amnistie et parfois deviennent des interlocuteurs du pouvoir.  http://www.afrik.com/rdc-kyungu-mutanga-alias-gedeon-de-chef-de-guerre-a-heros

 

 

La coopération internationale est-elle suffisante pour les opérations de maintien de la paix en Afrique ?

Suite et fin d’une analyse relative aux opérations de maintien de la paix en Afrique, rédigée par Mouhamadou Moustapha Mbengue  dont la première partie a été publiée il y a quelques semaines. Dans cette dernière partie, Mouhamadou aborde les raisons pour lesquelles cette collaboration demeure insuffisante.

maintien-de-la-paix

Les opérations de maintien de la paix en Afrique sont caractérisées par un important manque de coopération entre les différentes parties prenantes à la résolution des conflits. Entre 1997 et 2014, 14 missions de maintien de la paix ont eu lieu dans la seule République Centrafricaine provenant d’acteurs aussi variés que l’ONU, l’UA, la CEEAC, l’UE et la France. Chaque entité déploie son personnel et ses moyens logistiques sans tenir compte d’un agenda commun devant aboutir à un rétablissement durable de la paix dans le pays concerné. Dans d’autres pays, les responsabilités sont tellement imbriquées qu’une lecture claire est impossible. Ainsi en Somalie, l’AMISOM dispose d’un personnel provenant de l’UA mais rémunéré par l’ONU, ainsi que d’un support technique provenant de l’UE, de l’Ethiopie, de Djibouti, de l’Ouganda, de l’UNSOA, et d’un organisme américain (Bancroft Global Development). La multiplicité des acteurs n’aide pas à une coordination harmonieuse de cette mission, d’autant qu’en la matière, la philosophie des acteurs engagés n’est pas toujours la même. D’aucuns adoptent une position de neutralité entre les belligérants (opération de police) tandis que d’autres comme l’UA donnent des directions plus offensives à leurs opérations de maintien de la paix.

De plus, contrairement au dispositif actuel, les missions de maintien de la paix devraient être accompagnées d'une stratégie globale de résolution des conflits, qui se matérialiserait par un processus de pacification. Ce volet politique est  en effet, indispensable à un véritable rétablissement de la paix. Lorsque ce processus n’est pas mis en œuvre  (République Centrafricaine, Somalie, Soudan du Sud), il a tout simplement échoué (RDC, Soudan, Mali, Ethiopie/Erythrée). D’autre part, les troupes de ces missions sont peu préparées aux aspects civils des crises, aspects pourtant incontournables dans toute résolution de conflit. Les différentes opérations de maintien de la paix sur le continent ont très peu intégré cette dimension politique dans leur agenda. C’est pour cette raison qu’en RDC par exemple, la force onusienne n’a pu empêcher les nombreuses violations de droits humains par les FARDC (forces armées congolaises) et les nombreux crimes commis contre les populations. De même, au Soudan du Sud, l’UNAMIS n’a pu empêcher l’irruption d’une guerre civile.

Cette absence de stratégie politique s’accompagne d’une mauvaise compréhension des mandats donnés aux missions d’intervention. Cette mauvaise compréhension est due au   manque de clarté des mandats conférés. Souvent, les résolutions des Nations Unies autorisant les interventions ordonnent le maintien de la paix « par tous les moyens nécessaires ».  Les différents Etats qui participent aux missions à travers l’envoi de troupes n’ont pas toujours la même compréhension de ce terme. Si les troupes onusiennes sont généralement plus préparées à une interposition entre les acteurs du conflit (désarmement, démobilisation, réinsertion), les troupes opérant sous l’autorité de l’UA et des organisations sous-régionales tendent à adopter une posture plus offensive et guerrière. Les personnels des missions d’interventions ont une interprétation divergente  de leur mandat lorsqu’ils sont censés protéger les civils, sachant qu’ils ne peuvent protéger l’ensemble des populations sur l’ensemble du territoire d’un pays en conflit. Ces acceptions diverses de leurs responsabilités ont fait que l’Union Européenne (en RDC, en République Centrafricaine et au Tchad) et l’Union Africaine (au Darfour et en République Centrafricaine, au début des années 2000) ont rencontré des limites sur le terrain quand il fallait protéger les civils uniquement « sous menace imminente » ou « dans leur zone de déploiement », surtout lorsque dans certains pays, leur présence a été considérée comme illégitime par les belligérants voire par des Etats concernés par le conflit (comme au Burundi en 2006, en Erythrée en 2008, ou au Tchad en 2009). La mission Eufor au Tchad par exemple a été fortement remise en question par les groupes armés dénonçant une proximité gênante entre la France et le régime Tchadien considéré comme corrompu et autoritaire.  Les troupes d’intervention rencontrèrent donc d’énormes résistances de la part des groupes armés (Aqmi au Mali, Shebab en Somalie, M-23 en RDC, ou les Séléka et anti-Balaka en RCA).

Un autre exemple du manque de coordination entre les différents acteurs des opérations de maintien de la paix en Afrique est celui de la Côte d’Ivoire. Malgré les efforts fournis pour arriver à un règlement politique de la crise (Accra I/Accra II, Marcoussys et Pretoria), le conflit ivoirien a connu un enlisement tenace pendant une bonne décennie. Lorsque Henri Konan Bedié a introduit le concept d’ivoirité lors de l’élection présidentielle de 1995 pour faire barrage à son rival d’alors, l’actuel Président Alassane Ouattara, les divisions au sein de l’armée se sont amplifiées. Elles ont mené au renversement du pouvoir par une milice qui le confia au Général Robert Guei.

Sur le fondement de ce concept d'Ivoirité, Alassane Ouattara sera, en 2000, écarté des élections présidentielles organisées et qui seront alors remportées par Laurent Gbagbo. C’est donc dans un contexte de grande instabilité que les forces françaises de l’Opération Lincorn sont donc intervenues, avec notamment des violences dans l’Ouest du pays. Ni Lincorn, ni l’ECOMICI, ni la MINUCI ne parvinrent à faire respecter les accords d’Accra et de Marcoussis.

Le processus de paix se heurta à de fortes résistances du fait du non-respect de ces accords, auxquels il faut ajouter celui de Pretoria en 2005. Le Président Gbagbo ignora complètement la résolution 1721 du Conseil de Sécurité des Nations Unies. La situation sur le terrain continua à se détériorer jusqu’aux contestées élections présidentielles de 2010 qui ont acté par la force la fin du règne de Laurent GBAGBO ; ce dernier ayant refusé de reconnaître sa défaite. Les malheureux événements qui s’en suivirent, notamment une guerre civile à partir de mars 2011, illustrent encore une fois les insuffisances des différentes initiatives internationales enclenchées pour répondre à la crise ivoirienne. La présence de multiples acteurs sur le terrain n’a pas facilité une résolution rapide du conflit. Il a fallu une intervention armée des forces françaises pour arrêter le président Laurent Gbagbo et installer  Alassane Ouattara au pouvoir le 04 mai 2011.

Lors de la crise au Mali, le  principe de subsidiarité a été encore une fois mis à mal. Après avoir fait face aux résistances de la junte dirigée par le Capitaine Sanogo avec force sanctions et gel d’avoirs, la CEDEAO s’est employée à enrayer l’avancée des groupes armés du Nord. Elle a ensuite eu du mal à recevoir l’autorisation nécessaire du Conseil de sécurité de l’ONU pour déployer ses troupes, avant de devoir passer le relai à l’UA. Durant cet épisode, elle n’a pas apprécié l’appropriation de son plan d’intervention par l’UA et a considéré ce transfert d’autorité comme une « erreur de calcul stratégique »[1]. La collaboration entre ces deux acteurs, malgré une répartition des tâches[2], s’est donc mal déroulée au Mali.

Le cas libyen a achevé de montrer les énormes difficultés que rencontrent les acteurs internationaux à répondre à une crise sécuritaire sur le continent africain. L’UA, l’ONU et l’OTAN ainsi que la Ligue Arabe en sont allées chacune de leur propre compréhension de la situation. Alors que l’UA recherchait une stratégie d’intervention politique et expérimentait d’importants désaccords internes entre Etats membres, le Conseil de Sécurité de l’ONU a adopté la résolution 1970 pour faire comprendre qu’elle tenait à diriger l’intervention. L’UA a ensuite formé un Haut-Comité ad hoc chargé de se pencher sur le cas libyen, avant que l’ONU n’émette la résolution 1973 établissant une zone d’exclusion aérienne, que l’OTAN exploita. Elle entreprit des bombardements aériens qui ont permis l’avancée des rebelles en Août 2011 et l’assassinat de Khadafi. Le Conseil National de Transition qui gérait le pays rendit le pouvoir à un Congrès National élu dont la mission était de gérer la transition dans le pays. Un important manque de collaboration fut constaté entre le Conseil de Sécurité des Nations Unies et  le CPS de l’UA ; cette dernière n’ayant jamais pu accomplir les actions qu’elle souhaitait. L’interprétation de l’article 4 de l’Acte Constitutif de l’UA est l’objet de sérieuses divergences entre Etats membres, dans l’optique de réponse rapide et coordonnée aux crises[3].

La gestion des crises politiques, notamment des conflits armés, n’est pas une mince affaire. En Afrique, la présence de multiples acteurs dans les opérations de maintien de la paix a donné lieu à la création de plusieurs institutions et mécanismes de gestion des conflits. Cependant, la collaboration entre les différentes entités n’est pas encore effective et comporte de nombreuses insuffisances. Les relations entre l’ONU et l’UA notamment, et souvent entre l’UA et les organisations d’intégration sous-régionales, se heurtent  à d’importantes résistances. Il urge de trouver un dispositif institutionnel de concertation et de collaboration entre l’UA et l’ONU pour une bonne division du travail. Au moment où les deux institutions renouvellent leur exécutif respectif (Antonio Gutterres pour l’ONU et probablement Abdoulaye Bathily pour l’UA), il sera intéressant de voir dans quelle mesure ces nouvelles figures réputées pour leur expérience et leur sens de la diplomatie apporteront des solutions appropriées au criant  manque de coordination dans les opérations de maintien de la paix dans les prochaines années.

 

 


[1] CEDEAO, “The Mali After-Action Review: Report of the Internal Debriefing Exercise”, novembre 2013.  

 

[2] Le leadership politique de l’AFISMA est revenu à l’UA (avec la nomination de Pierre Buyoya) et le poste d’adjoint au Représentant spécial de la CEDEAO, le leadership militaire revenant à la CEDEAO.

 

[3] Cilliers & Handy (2013), Lessons from African Peacemaking.