La coopération internationale est-elle suffisante pour les opérations de maintien de la paix en Afrique ?

Suite et fin d’une analyse relative aux opérations de maintien de la paix en Afrique, rédigée par Mouhamadou Moustapha Mbengue  dont la première partie a été publiée il y a quelques semaines. Dans cette dernière partie, Mouhamadou aborde les raisons pour lesquelles cette collaboration demeure insuffisante.

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Les opérations de maintien de la paix en Afrique sont caractérisées par un important manque de coopération entre les différentes parties prenantes à la résolution des conflits. Entre 1997 et 2014, 14 missions de maintien de la paix ont eu lieu dans la seule République Centrafricaine provenant d’acteurs aussi variés que l’ONU, l’UA, la CEEAC, l’UE et la France. Chaque entité déploie son personnel et ses moyens logistiques sans tenir compte d’un agenda commun devant aboutir à un rétablissement durable de la paix dans le pays concerné. Dans d’autres pays, les responsabilités sont tellement imbriquées qu’une lecture claire est impossible. Ainsi en Somalie, l’AMISOM dispose d’un personnel provenant de l’UA mais rémunéré par l’ONU, ainsi que d’un support technique provenant de l’UE, de l’Ethiopie, de Djibouti, de l’Ouganda, de l’UNSOA, et d’un organisme américain (Bancroft Global Development). La multiplicité des acteurs n’aide pas à une coordination harmonieuse de cette mission, d’autant qu’en la matière, la philosophie des acteurs engagés n’est pas toujours la même. D’aucuns adoptent une position de neutralité entre les belligérants (opération de police) tandis que d’autres comme l’UA donnent des directions plus offensives à leurs opérations de maintien de la paix.

De plus, contrairement au dispositif actuel, les missions de maintien de la paix devraient être accompagnées d'une stratégie globale de résolution des conflits, qui se matérialiserait par un processus de pacification. Ce volet politique est  en effet, indispensable à un véritable rétablissement de la paix. Lorsque ce processus n’est pas mis en œuvre  (République Centrafricaine, Somalie, Soudan du Sud), il a tout simplement échoué (RDC, Soudan, Mali, Ethiopie/Erythrée). D’autre part, les troupes de ces missions sont peu préparées aux aspects civils des crises, aspects pourtant incontournables dans toute résolution de conflit. Les différentes opérations de maintien de la paix sur le continent ont très peu intégré cette dimension politique dans leur agenda. C’est pour cette raison qu’en RDC par exemple, la force onusienne n’a pu empêcher les nombreuses violations de droits humains par les FARDC (forces armées congolaises) et les nombreux crimes commis contre les populations. De même, au Soudan du Sud, l’UNAMIS n’a pu empêcher l’irruption d’une guerre civile.

Cette absence de stratégie politique s’accompagne d’une mauvaise compréhension des mandats donnés aux missions d’intervention. Cette mauvaise compréhension est due au   manque de clarté des mandats conférés. Souvent, les résolutions des Nations Unies autorisant les interventions ordonnent le maintien de la paix « par tous les moyens nécessaires ».  Les différents Etats qui participent aux missions à travers l’envoi de troupes n’ont pas toujours la même compréhension de ce terme. Si les troupes onusiennes sont généralement plus préparées à une interposition entre les acteurs du conflit (désarmement, démobilisation, réinsertion), les troupes opérant sous l’autorité de l’UA et des organisations sous-régionales tendent à adopter une posture plus offensive et guerrière. Les personnels des missions d’interventions ont une interprétation divergente  de leur mandat lorsqu’ils sont censés protéger les civils, sachant qu’ils ne peuvent protéger l’ensemble des populations sur l’ensemble du territoire d’un pays en conflit. Ces acceptions diverses de leurs responsabilités ont fait que l’Union Européenne (en RDC, en République Centrafricaine et au Tchad) et l’Union Africaine (au Darfour et en République Centrafricaine, au début des années 2000) ont rencontré des limites sur le terrain quand il fallait protéger les civils uniquement « sous menace imminente » ou « dans leur zone de déploiement », surtout lorsque dans certains pays, leur présence a été considérée comme illégitime par les belligérants voire par des Etats concernés par le conflit (comme au Burundi en 2006, en Erythrée en 2008, ou au Tchad en 2009). La mission Eufor au Tchad par exemple a été fortement remise en question par les groupes armés dénonçant une proximité gênante entre la France et le régime Tchadien considéré comme corrompu et autoritaire.  Les troupes d’intervention rencontrèrent donc d’énormes résistances de la part des groupes armés (Aqmi au Mali, Shebab en Somalie, M-23 en RDC, ou les Séléka et anti-Balaka en RCA).

Un autre exemple du manque de coordination entre les différents acteurs des opérations de maintien de la paix en Afrique est celui de la Côte d’Ivoire. Malgré les efforts fournis pour arriver à un règlement politique de la crise (Accra I/Accra II, Marcoussys et Pretoria), le conflit ivoirien a connu un enlisement tenace pendant une bonne décennie. Lorsque Henri Konan Bedié a introduit le concept d’ivoirité lors de l’élection présidentielle de 1995 pour faire barrage à son rival d’alors, l’actuel Président Alassane Ouattara, les divisions au sein de l’armée se sont amplifiées. Elles ont mené au renversement du pouvoir par une milice qui le confia au Général Robert Guei.

Sur le fondement de ce concept d'Ivoirité, Alassane Ouattara sera, en 2000, écarté des élections présidentielles organisées et qui seront alors remportées par Laurent Gbagbo. C’est donc dans un contexte de grande instabilité que les forces françaises de l’Opération Lincorn sont donc intervenues, avec notamment des violences dans l’Ouest du pays. Ni Lincorn, ni l’ECOMICI, ni la MINUCI ne parvinrent à faire respecter les accords d’Accra et de Marcoussis.

Le processus de paix se heurta à de fortes résistances du fait du non-respect de ces accords, auxquels il faut ajouter celui de Pretoria en 2005. Le Président Gbagbo ignora complètement la résolution 1721 du Conseil de Sécurité des Nations Unies. La situation sur le terrain continua à se détériorer jusqu’aux contestées élections présidentielles de 2010 qui ont acté par la force la fin du règne de Laurent GBAGBO ; ce dernier ayant refusé de reconnaître sa défaite. Les malheureux événements qui s’en suivirent, notamment une guerre civile à partir de mars 2011, illustrent encore une fois les insuffisances des différentes initiatives internationales enclenchées pour répondre à la crise ivoirienne. La présence de multiples acteurs sur le terrain n’a pas facilité une résolution rapide du conflit. Il a fallu une intervention armée des forces françaises pour arrêter le président Laurent Gbagbo et installer  Alassane Ouattara au pouvoir le 04 mai 2011.

Lors de la crise au Mali, le  principe de subsidiarité a été encore une fois mis à mal. Après avoir fait face aux résistances de la junte dirigée par le Capitaine Sanogo avec force sanctions et gel d’avoirs, la CEDEAO s’est employée à enrayer l’avancée des groupes armés du Nord. Elle a ensuite eu du mal à recevoir l’autorisation nécessaire du Conseil de sécurité de l’ONU pour déployer ses troupes, avant de devoir passer le relai à l’UA. Durant cet épisode, elle n’a pas apprécié l’appropriation de son plan d’intervention par l’UA et a considéré ce transfert d’autorité comme une « erreur de calcul stratégique »[1]. La collaboration entre ces deux acteurs, malgré une répartition des tâches[2], s’est donc mal déroulée au Mali.

Le cas libyen a achevé de montrer les énormes difficultés que rencontrent les acteurs internationaux à répondre à une crise sécuritaire sur le continent africain. L’UA, l’ONU et l’OTAN ainsi que la Ligue Arabe en sont allées chacune de leur propre compréhension de la situation. Alors que l’UA recherchait une stratégie d’intervention politique et expérimentait d’importants désaccords internes entre Etats membres, le Conseil de Sécurité de l’ONU a adopté la résolution 1970 pour faire comprendre qu’elle tenait à diriger l’intervention. L’UA a ensuite formé un Haut-Comité ad hoc chargé de se pencher sur le cas libyen, avant que l’ONU n’émette la résolution 1973 établissant une zone d’exclusion aérienne, que l’OTAN exploita. Elle entreprit des bombardements aériens qui ont permis l’avancée des rebelles en Août 2011 et l’assassinat de Khadafi. Le Conseil National de Transition qui gérait le pays rendit le pouvoir à un Congrès National élu dont la mission était de gérer la transition dans le pays. Un important manque de collaboration fut constaté entre le Conseil de Sécurité des Nations Unies et  le CPS de l’UA ; cette dernière n’ayant jamais pu accomplir les actions qu’elle souhaitait. L’interprétation de l’article 4 de l’Acte Constitutif de l’UA est l’objet de sérieuses divergences entre Etats membres, dans l’optique de réponse rapide et coordonnée aux crises[3].

La gestion des crises politiques, notamment des conflits armés, n’est pas une mince affaire. En Afrique, la présence de multiples acteurs dans les opérations de maintien de la paix a donné lieu à la création de plusieurs institutions et mécanismes de gestion des conflits. Cependant, la collaboration entre les différentes entités n’est pas encore effective et comporte de nombreuses insuffisances. Les relations entre l’ONU et l’UA notamment, et souvent entre l’UA et les organisations d’intégration sous-régionales, se heurtent  à d’importantes résistances. Il urge de trouver un dispositif institutionnel de concertation et de collaboration entre l’UA et l’ONU pour une bonne division du travail. Au moment où les deux institutions renouvellent leur exécutif respectif (Antonio Gutterres pour l’ONU et probablement Abdoulaye Bathily pour l’UA), il sera intéressant de voir dans quelle mesure ces nouvelles figures réputées pour leur expérience et leur sens de la diplomatie apporteront des solutions appropriées au criant  manque de coordination dans les opérations de maintien de la paix dans les prochaines années.

 

 


[1] CEDEAO, “The Mali After-Action Review: Report of the Internal Debriefing Exercise”, novembre 2013.  

 

[2] Le leadership politique de l’AFISMA est revenu à l’UA (avec la nomination de Pierre Buyoya) et le poste d’adjoint au Représentant spécial de la CEDEAO, le leadership militaire revenant à la CEDEAO.

 

[3] Cilliers & Handy (2013), Lessons from African Peacemaking.

 

Quelle politique africaine pour l’Europe ?

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2014 a été une année charnière pour la relation Union européenne – Afrique. Le 4e sommet Union Européenne – Afrique a eu lieu en avril pour préparer l’avenir du partenariat entre les deux continents. L’Europe a aussi voté son nouveau budget et ses priorités pour la période 2014-2020. Enfin, l’ensemble des dirigeants européens viennent de changer, notamment la responsable de la diplomatie Catherine Ashton, remplacée par Federica Mogherini, à la tête du Service européen pour l’action extérieure  (SEAE). L’Afrique des Idées a voulu en profiter pour faire le bilan de la politique africaine de l’UE, quatre ans après la mise en place du SEAE et d’une diplomatie européenne en tant que telle.

1 – L’UE trop absente des grandes crises qui ont secoué l’Afrique

Les récents conflits qui ont secoué le continent africain ont montré les difficultés de l’Union européenne à faire entendre sa voix et à réagir à temps dans les contextes de crise. Au Mali ou en Centrafrique, c’est encore la France, seule, qui joue le rôle de premier plan  que lui confèrent sa puissance militaire et l’histoire ”particulière” qui la lie à l’Afrique.

“L’Europe n’a pas de véritable politique sécuritaire, elle n’est que le reflet des politiques nationales”, déplore ainsi Philippe Hugon, directeur de recherche à l’Institut des Relations Internationales (IRIS), “surtout parce que l’Allemagne est très réticente à intervenir dans ce qu’elle appelle le bourbier africain”.

Les dispositifs de préventions et de gestion des conflits de l’Union Africaine, en partie financés par l’UE, comme l’Architecture africaine de paix et de sécurité (AAPS) ont eux aussi montré leurs défaillances. “Quand il faut faire la guerre, il faut réagir tout de suite et c’est souvent la France seule qui y va” reconnaît Yves Gounin, auteur de La France en Afrique, “mais pour autant il y a plusieurs phases dans ce type de crise et il ne faut pas sous estimer le rôle de relais que peut jouer l’Union Européenne ou d’autres organisations internationales après l’intervention militaire rapide, comme on le voit avec les opérations EUTM-Mali au Mali ou EUFOR RCA en Centrafrique” nuance-t-il.

Sur les cinq opérations militaires pilotées par l’Union Européenne, quatre ont lieu sur le continent africain, ce qui montre selon ce diplomate,  que l’Afrique reste malgré tout “une priorité sécuritaire” pour l’Europe. Parmi ces opérations, le principal succès européen est sans doute l’Opération Atalante, engagée en 2008 et qui aura réussi à fédérer plusieurs pays européens dans la lutte contre la piraterie au large des côtes somaliennes.

2 – Une relation économique et commerciale en pleine redéfinition

La relation privilégiée entre l’Afrique et l’UE sur le plan économique et commercial est aussi en pleine redéfinition. Certes l’Europe reste le premier partenaire de l’Afrique et son principal investisseur, mais de nouveaux acteurs ont émergé avec l’essor de la coopération Sud-Sud. La Chine accroît inexorablement sa présence et met en avant ses prêts concessionnaires très avantageux, sans réclamer de progrès sur la voie de la bonne gouvernance comme le fait l’Europe. De plus en plus, l’UE devient un partenaire parmi d’autres.

Les intérêts aussi peuvent diverger. Puisque l’Europe reste parfois dans une logique traditionnelle d’importation de ressources naturelles et de matières premières et d’exportations de ses biens transformés, quand les pays africains, notamment émergents, réclament davantage de financements et de partenariats pour s’industrialiser, mettant en avant la croissance de plus de 5 % sur le continent.

Signe de cette redéfinition de la relation commerciale, les difficultés avec lesquelles ont été conclus les accords de partenariat économiques (APE) qui libéralisent les échanges entre les deux continents. Après d’âpres négociations, ces accords ont finalement été signés pour l’Afrique de l’Ouest. Mais le débat sur les APE a vampirisé pendant de longs mois la relation Afrique-Europe, empêchant d’avancer sur d’autres domaines de la coopération. Et la résistance des dirigeants africains a montré leur volonté de rééquilibrer la relation, en dénonçant les contradictions des Européens, notamment sur le plan agricole où l’UE subventionne ses exportations avec la Politique agricole commune (PAC), tout en affichant son soutien au développement de l’agriculture locale à travers les Fonds européens de développement (FED).

3 – Une diplomatie en apprentissage

La diplomatie européenne, dans sa dimension politique, est encore jeune puisque le SEAE est en place officiellement depuis 2010, à la suite du Traité de Lisbonne de 2007. Les délégations européennes sont désormais présentes dans la quasi totalité des États africains à l’exception de Sao Tomé, la Guinée équatoriale, ou le Soudan du Sud.

Les fonctionnaires européens, avant le Traité, travaillaient principalement sur les questions de développement. Ils ont depuis un nouveau portefeuille, beaucoup plus large et politique avec lequel ils doivent apprendre à composer. Pour les ambassades nationales traditionnelles françaises, britanniques ou allemandes… c’est aussi un nouvel acteur avec lequel il faut coordonner son action. “Cela prend du temps”, sourit le diplomate Yves Gounin, “mais c’est en train de se mettre en place avec le renouvellement des générations  et parce que des diplomates venus des Ministère des Affaires étrangères nationaux, dont des Français, prennent la tête de délégations européennes et comprennent mieux leur logique. Du côté des dirigeants africains, les représentants européens sont de plus en plus considérés, parce qu’ils ont bien compris que l’UE a des moyens.”

Les moyens justement: ceux de l’action extérieure de l’UE n’ont pas changé pour la période 2014-2020, un peu plus de 66 milliards d’euros pour la rubrique IV (« l’Europe dans le monde »), auxquels viennent s’ajouter les 30 milliards du FED destinés à l’aide au développement. Reste à définir une ligne politique claire et des priorités…

L’élargissement à 28 a conduit l’Union à orienter sa politique extérieure davantage vers l’est, avec une focalisation ces derniers mois sur la crise ukrainienne, et cela au détriment d’une “politique audacieuse pour l’Afrique”, regrette Philippe Hugon. “Le centre de gravité de l’Union européenne a clairement changé, et les nouveaux entrants n’ont pas de tropisme particulier pour l’Afrique”.

Quant à la politique de développement, comme d’autres bailleurs de fonds, l’Union Européenne affiche sa volonté de sortir d’une simple relation donateur – bénéficiaire verticale et de “différencier” l’aide, en la concentrant sur les pays les moins avancés ou les États faillis, pour privilégier d’autres formes de partenariats avec les pays qui se développent.

4 – Les migrations, zone d’ombre de la coopération Afrique – Europe

L’autre chantier de la coopération Afrique-Union européenne reste incontestablement celui des migrations. En 2013, plus de 30 000 migrants ont traversé la Méditerranée selon la Commission. Avec les drames que l’on connaît. L’intérêt partagé d’une Europe vieillissante et d’une Afrique en pleine vitalité démographique serait de redéfinir les bases d’une immigration légale renforcée, surtout pour les jeunes qualifiés, comme l’explique la politologue Corinne Valleix:

Mais les arguments électoralistes à courte vue et l'exacerbation des sentiments nationalistes poussent les dirigeants européens à ne pas franchir le pas et se contenter de brocarder l’immigration illégale. Ce défi majeur des migrations, comme les nombreux qui attendent la politique extérieure de l’UE en Afrique, ne peut faire l’économie d’une réflexion plus vaste sur l’identité européenne et la crise de son projet politique.

Dans un joli petit ouvrage, l’Europe depuis l’Afrique  Alain Mabanckou, racontait l’Europe telle qu’on la lui décrivait enfant, depuis les rivages de Pointe Noire, au Congo, où il a grandi. Une “idée,” une “croyance”,  une Europe ni à part, ni repliée sur elle même, mais tournée vers l’Afrique parce que  “l’Histoire nous a mis face à face” et “qu’on a toujours besoin d’un plus ou moins Européen que soi”. Le romancier congolais concluait ainsi:  “Nous autres originaires d’Afrique regardons l’Europe et espérons, pour son salut, qu’elle nous regarde aussi…”

Adrien de  Calan