Somalie : Les origines d’une situation chaotique

Depuis de nombreuses années, la Somalie est plongée dans un conflit à ce point complexe qu’on ne parvient pas à le juguler, ni même à le contenir. Ce conflit est si complexe et aux multiples facettes que le géographe et professeur émérite Alain Gascon s’interroge en ces termes : «Quelle(s) étiquette(s) apposer sur le(s) conflit(s) en Somalie : guerre civile, conflits de clans, guerre des gangs, jihad, séparatismes, éleveurs contre agriculteurs, lutte de « la croix contre le croissant », guerre contre le terrorisme ? Toutes sans doute. En effet, au cours de l’enchaînement tragique qui a abouti à la catastrophe actuelle, les affrontements ont, tour à tour et simultanément, pris toutes ces significations »[1]

Les familiers de l’actualité africaine ne doivent être que trop médusés, choqués et doivent se sentir impuissants devant le bal d’attentats sanglants perpétrés avec pertes et fracas à Mogadiscio et dans d’autres localités de ce territoire. Les récits et les images à glacer le sang qui nous parviennent par voie de média sont proprement écœurants. L’Afrique Des Idées vous propose une série de deux articles pour tenter de comprendre ce bourbier dans lequel est engluée la Somalie,. Dans ce premier article, nous  retournerons à la genèse du conflit en tentant d’expliquer les facteurs internes et externes qui ont contribué à plonger ce pays de la corne d’Afrique dans le chaos.

La dictature du Géneral Siad Barre ou le début de la tragédie Somalienne

Jusqu’à son indépendance en 1960, la Somalie était dominée par l’empire Britannique dans sa partie Nord tandis que le Sud du pays était sous le contrôle des Italiens. L’indépendance de 1960 réunifia ces deux entités territoriales. [2] Le 21 Octobre 1969, soit six jours après l’assassinat du président Ali Shermarke, un coup d’État mené par le général Mohamed Siad Barre remettait en question neuf années de démocratie parlementaire.[3] Ce dernier va diriger la Somalie d’une main de fer de 1969 à 1991. Durant ses années de pouvoir, ce dirigeant autoritaire a fait preuve d’une gestion clanique et patrimoniale de la chose publique. Ces mauvaises pratiques qui ont, hélas connu leurs beaux jours dans bon nombre de pays africains ont poussé les clans qui se considéraient désavantagés, sinon spoliés à s’organiser pour tenter de renverser le régime.

Par ailleurs, en ce qui concerne ses relations internationales, le régime de Siad Barre était à ses débuts, proche de Moscou et de Cuba mais ses visées expansionnistes auront raison de ces alliances. En effet, la Somalie  en 1977, sous la férule du Général Barre, fera la guerre à l’Éthiopie voisine qui  à l’époque, était déstabilisée depuis la chute du Négus Hailé Sélassié en 1974.  Compte tenu des relations devenues inamicales avec les communistes, la Somalie se tournera vers l’Ouest, notamment les États-Unis qui seront un soutien de poids de ce régime dictatorial avant de le « vomir » lorsque sa chute apparut inéluctable. La campagne militaire des troupes de Siad Barre en Ethiopie  ne fera pas long feu. En effet, dès 1978, elles se retirent de ce pays. Cette aventure malheureuse va susciter l’émergence de nouveaux groupes rebelles somaliens, bénéficiant de l’appui de l’Éthiopie.[4]

Le crépuscule du régime de Siad Barre ne marquait pas la fin des souffrances, pour ne pas dire du martyr imposé au peuple Somalien. Il s’en suivit une période de forte instabilité marquée par des violences, des affrontements incontrôlés et l’émergence de nouveaux groupes rebelles. Ces affrontements et violences avaient comme visées apparentes « l’appropriation de biens de production (terres agricoles et entreprises publiques), le contrôle des ports et aéroports reliant le pays à l’extérieur, le tout dans le cadre d’une véritable économie de guerre où les war lords étaient les figures politiques dominantes »[5].

  Les  sécessions  des années  1990 ou l’enlisement de la tragédie Somalienne

En mai 1991, il y eut une sécession dans le Nord du pays. Le Somaliland, ancienne colonie britannique rattachée à l’indépendance au reste de la Somalie anciennement italienne déclara son indépendance du reste du territoire de Somalie. Le Somaliland ne bénéficie cependant pas d’une reconnaissance ou légitimité internationale. Notons toutefois que le Somaliland ne connaît pas l’instabilité chronique que connait la Somalie et organise même des élections démocratiques. Ensuite, c’est le Puntland qui va déclarer son autonomie. Le Puntland ne remet pas en cause son appartenance à la Somalie mais se considère autonome et administre son territoire sans égards aux atermoiements de Mogadiscio. Il y a donc une sorte de partition du pays en trois entités : Somalie, Somaliland, Puntland.

Enfin, au titre des facteurs externes, notons que la grave sécheresse de 1991-1992 poussa les partenaires extérieurs à mettre en place une importante aide humanitaire qui entraîna fort malheureusement des détournements massifs. Lesquels détournements ont été à la base d’affrontements ayant comme motivation principale l’appropriation de cette aide. On voit bien que les facteurs internes et externes sont très imbriqués dans le cas somalien.

Tous ces éléments factuels ci-dessus analysés expliquent en partie la situation chaotique actuelle de la Somalie que nous verrons dans la seconde et dernière partie de cette série d’articles consacré à ce pays de la corne de l’Afrique.

Thierry SANTIME

[1] Gascon, Alain. 2008 « La Somalie en mauvais État ». http://journals.openedition.org/echogeo/4484

[2] Véron, Jean-Bernard. 2009. « La Somalie : un cas désespéré »

[3] https://academic.oup.com/rsq/article-abstract/13/2-3/75/1561614?redirectedFrom=fulltext

[4] « L’intervention en Somalie 1992-1993 ». Anne-Claire de Gayffier-Bonneville

[5] «Véron, Jean-Bernard. 2009. « La Somalie : un cas désespéré »

Conflit au Soudan du Sud : de la négligence institutionnelle au désastre humanitaire

Le Soudan du Sud est le plus jeune État du monde. La partie méridionale de l’ex-condominium anglo-égyptien du Soudan peuplé de près de 12 millions d’habitants a obtenu son indépendance en 2011 après un référendum. Depuis fin 2013, le Soudan du Sud est en proie à une guerre civile sanglante qui a engendré une sévère crise humanitaire.

Cette analyse s’articulera autour de trois axes majeurs : nous analyserons quelques éléments à l’origine de la crise, puis nous ferons un point sur la grave crise sécuritaire et humanitaire qui secoue ce pays et enfin, nous proposerons des voies de sortie de cette crise.

Origines de la crise

De nombreux éléments ont concouru à cet état de catastrophe dans lequel est plongé le dernier né des États africains. Nous avons sélectivement opté de nous pencher sur deux éléments qui nous paraissent essentiels dans l’analyse des déterminants de la crise : les imperfections de l’Accord de paix global de 2005 et une gouvernance viciée par une gestion « néo-patrimoniale » des ressources de l’État.

L’accord de Naivasha (Kenya) de 2005 qui a mis fin à un conflit de 21 ans entre le Nord et le Sud du Soudan comportait des failles qui ont fait le lit de l’escalade de violence que connaît aujourd’hui le Sud-Soudan. Comme le constate l’historien Gérard Prunier, l’accord susmentionné a maintenu les provinces du Nil et du Sud Kordofan au Soudan alors qu’elles étaient en bonne partie sous le contrôle des milices affiliées à la Sudan People’s Liberation Army (SPLA), la branche armée de l’ex mouvement rebelle indépendantiste (SPLM) qui s’est mué depuis en parti politique, actuellement au pouvoir à Juba. Dans ces deux régions, les combats n’ont eu de cesse de se produire malgré l’indépendance de 2011. Cette année-là, il y a eu la création du Sudan People’s Liberation Movement in North Sudan (SPLM-N), une branche dissidente du SPLM qui refusait d’enterrer la hache de guerre avec le septentrion. Comme le note Gérard Prunier, le régime de Juba apportait son soutien à ses anciens frères d’armes au tout début de leur mouvement. Cependant, lorsque le pouvoir de Khartoum dirigé par le président Omar El Béchir commençait à menacer de couper les oléoducs reliant les champs pétroliers à Port-Soudan, Salva Kiir prenait de plus en plus ses distances avec ses anciens camarades. Néanmoins, ce faisant, il provoquait l’ire d’une partie de ses lieutenants, notamment le Vice-Président Riek Machar, demeuré en bons termes avec la branche dissidente[1]. Certains auteurs considèrent plus généralement que l’absence de processus de réconciliation entre les communautés et factions belligérantes depuis la signature de l’Accord de paix global de 2005 a favorisé la résurgence des mouvements rebelles qui a débouché sur le bourbier actuel[2].

À la lumière de ce qui précède, on peut considérer que les violences qui ont découlé de la rupture entre le président et son vice-président ne sont donc pas étrangères aux limites des clauses de l’accord de paix de Naivasha.

La mauvaise gouvernance du régime de Juba fait également partie des principales raisons qui ont plongé le pays dans le précipice actuel. L’ex-rébellion du SPLM a pris le contrôle de quasiment toutes les structures  institutionnelles. Les officiers des forces armées, les principaux animateurs des organes étatiques et les leaders des institutions publiques et parapubliques sont essentiellement issus (du) ou cooptés par le pouvoir. Jean-Bernard Véron illustre bien la situation lorsqu’il soutient :

« Le système politique en place est largement dominé par le SPLM et les Dinka dans la répartition des postes gouvernementaux ainsi que dans la haute administration civile et militaire. Sous-produit de plus de deux décennies de guerre, c’est donc un pouvoir autoritaire qui s’est mis en place, fondé sur la force des armes, sûr de la légitimité qu’il estime avoir conquise de haute lutte et donc assez peu enclin à faire une place conséquente tant à une éventuelle opposition qu’aux non Dinka, c’est-à-dire aux Shilluk, aux Nuer et aux Azandé ».[3]

 Ainsi que le notent Lotje de Vries et al., la gravité de l’échec de gouvernance du Soudan du Sud, patent dès 2005, a été sinon ignorée, du moins minorée, aussi bien par l’élite politique et militaire sud-soudanaise, mais aussi par les partenaires internationaux qui ont accompagné le Sud-Soudan dans son chemin vers l’indépendance[4]. Les élans de corruption, de népotisme et de cooptation visibles dès 2005 n’ont pas connu de freins. Tout au contraire, ont-ils peut-être, fort malheureusement, évolué à une cadence supérieure. On peut considérer que cet état de fait a beaucoup contribué à la crise actuelle, en créant un fossé entre l’élite et la population et incidemment en frustrant les laissés pour compte parmi les ex-rebelles.

La crise actuelle : caractéristiques et enjeux

Depuis fin 2013, le Soudan du Sud est plongé dans une spirale de violences qui a engendré une crise humanitaire abyssale. La crise a pris une dimension ethnique marquée par une confrontation entre les membres de la communauté Dinka (au pouvoir) et les Nuer (ethnie de R. Machar).

Ce conflit a occasionné de nombreuses pertes en vie humaine et un délitement, sinon un net recul des investissements dans les structures institutionnelles et infrastructurelles encore embryonnaires dans ce pays. Il est estimé que le Soudan du Sud produit aujourd’hui peu ou prou 120 000 barils par jour, soit près de 50% de moins qu’avant le début de la crise[5]. Comme corollaire de cette contraction de la production, on note un important déficit dans l’économie nationale, lequel est aggravé par la chute du prix du baril. Par ailleurs, le pays se classe au 4ème rang des pays les plus corrompus du monde. En outre, l’aide étrangère fournie sert essentiellement à couvrir les besoins humanitaires plutôt que les objectifs de développement[6].

De plus, malgré la décision du Conseil de sécurité d’augmenter les effectifs de la Mission des Nations-Unies au Sud Soudan (MINUSS), malgré les sanctions de l’ONU et des États-Unis contre des officiers militaires (du camp gouvernemental et des chefs rebelles) accusés de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, la situation n’a pas vraiment connu l’embellissement espéré. Malgré les multiples accords de paix et de cessez-le-feu entre les différents protagonistes, les armes ne se sont pas tues. Au contraire, la cruauté des exactions commises est sans commune mesure : on dénombre des  « exécutions sommaires, des enlèvements et détentions arbitraires, des habitations incendiées volontairement, des établissements médicaux détruits et des pillages de biens publics et privés, en ce compris l’aide humanitaire »[7] et l’utilisation du viol comme arme de guerre. Ces quelques illustrations témoignent de l’extrême violence qui caractérise ce conflit.

Une autre conséquence de cette crise est évidemment le flux de réfugiés qu’elle a généré. Face aux atrocités, les populations n’ont d’autres choix que de se chercher un refuge, où au moins ils pourront échapper au crépitement régulier des armes et à l’horreur généralisée. On compte plus de 2.5 millions de personnes déplacées (internes et externes). En février 2017, l’ONU a déclaré officiellement l’état de famine dans le pays, déclarant que « 40% de la population » a un besoin urgent de nourriture. La crise humanitaire a atteint des proportions pour le moins inquiétantes.

Voies de sortie de crise

La crise actuelle nécessite de pistes de solutions durables et efficaces. Ces solutions doivent constituer non seulement une sortie de crise mais également un tremplin vers des lendemains paisibles et prospères. Cela exige de s’attaquer d’abord et avant tout aux insuffisances et failles structurelles à l’origine de cette crise.

Pour ce faire, il est essentiel de mettre fin à l’impunité et de renouveler le leadership politique. Concrètement, la mise du Sud-Soudan sous administration internationale (ou de l’Union africaine) transitoire s’avère impérieuse. L’élite politique actuellement aux affaires a démontré son incapacité à répondre aux attentes légitimes des citoyens. Cela ne signifie évidemment pas que le Soudan du Sud manque de compétences à même de conduire le pays vers le progrès. Toutefois, dans la situation actuelle d’« État failli » dans laquelle se trouve le pays et au regard des profondes divisions et meurtrissures de la guerre,  des solutions drastiques peuvent être envisagées. L’Union Africaine pourrait, de concert avec l’ONU et les autres partenaires internationaux de ce pays, notamment les États-Unis, considérés comme le principal « parrain » de l’accession du Soudan du Sud à l’indépendance, piloter une telle initiative. On a déjà vu des cas semblables au Timor Oriental ou au Kosovo au sortir de crises d’envergure.

Cette administration internationale aurait pour mission de redonner une certaine vitalité à cette nation.[8]

Il serait vain de continuer à injecter des milliards de dollars pour soutenir ce pays, tant qu’il a à sa tête des dirigeants peu enclins à une meilleure redistribution des richesses. Le pays demeurera longtemps sous perfusion internationale dans un tel cas de figure. Cependant, si ces moyens peuvent être mis à la disposition d’une autorité internationale neutre d’administration transitoire, les résultats pourraient être conséquents. On pourrait aussi tout simplement envisager la mise à l’écart des protagonistes actuels de la crise et l’avènement subséquent d’un nouveau leadership politique national à l’issue d’élections crédibles, même s’il faut reconnaître qu’il y a loin de la coupe aux lèvres.

Il est enfin important de diversifier l’économie pour ne plus rester dépendant d’une économie de rente qui fait les affaires d’une certaine élite mais ne bénéficie aucunement à la majorité de la population. L’or noir est une ressource non-renouvelable, épuisable et dont le cours – en conséquence la prévision des revenus- échappe au contrôle des autorités. Il est nécessaire d’investir dans d’autres secteurs tels que l’agriculture, les énergies renouvelables et le capital humain (éducation et santé…) pour assurer un avenir porteur d’espoir pour les futures générations.

Thierry SANTIME

[1] Bernard Calas, « Actualité Sud Soudan : une guerre des tubes ordinaire en Afrique », Les Cahiers d’Outre-Mer [En ligne], 263 | Juillet-Septembre 2013. URL : http://com.revues.org/6936

[2] Lotje de Vries et al., « Un mode de gouvernement mis en échec : dynamiques de conflit au Soudan du Sud, au-delà de la crise politique et humanitaire », Politique africaine 2014/3 (N° 135), p. 160

[3] Véron, Jean-Bernard. 2011. «Sud-Soudan : une indépendance semée d’embûches » https://www.cairn.info/revue-afrique-contemporaine-2011-3-page-11.htm

[4] Lotje de Vries et al., « Un mode de gouvernement mis en échec : dynamiques de conflit au Soudan du Sud, au-delà de la crise politique et humanitaire », Politique africaine 2014/3 (N° 135), p. 160

[5] Aissatha Athie. 2017. « Soudan du Sud : la difficile émergence du plus jeune État du monde »  http://quebec.huffingtonpost.ca/un-seul-monde/soudan-du-sud-plus-jeune-etat-du-monde_b_14138874.html

[6] Ibid.

[7] Pascal De Gendt. 2016. « Le Sud-Soudan : cinq ans d’indépendance, trois ans de catastrophe humanitaire », p. 6 https://www.academia.edu/27522949/Le_Sud-Soudan_cinq_ans_dind%C3%A9pendance_trois_ans_de_catastrophe_humanitaire

[8] De rétablir la sécurité et l’intégrité territoriale (1), de la formation de nouvelles unités de forces armées et de la police qui devront être professionnelles, patriotes, équipées et détribalisées (2), de préparer et organiser des élections libres et transparentes(3), de mettre sur pied une commission vérité et réconciliation (4), d’assurer un désarmement des groupes factieux(5), de jeter les bases d’un renouveau institutionnel (Exécutif, judiciaire, législatif) (6)

Mise en ligne le 13.07.17

Crises politique, économique et sociale en RDC : Un chaos quasi atavique?

La République Démocratique du Congo (RDC), un pays aux dimensions continentales (2.345.000 km2 de superficie), peuplé d’environ 70 millions d’habitants[1], disposant de ressources naturelles notamment minières parmi les plus fournies, a tout pour être un mastodonte au cœur de l’Afrique. Paradoxalement, ce potentiel géant se voit confiner aux dernières places des principaux classements internationaux sur le développement humain, la bonne gouvernance, la démocratie, entre autres.[2]

Indépendante depuis 1960, cette ancienne colonie belge n’a pas su s’émanciper des cycles de conflits et de violences sous différentes formes, de crises politiques, de tensions sociales. Dans cette analyse, nous décryptons successivement les crises politique, économique et socio-sécuritaire du moment dans ce pays et les défis qu’elles posent.

 

Crise politique

Le mandat constitutionnel du président Kabila est arrivé à son terme le 19 décembre 2016. Il est toutefois resté au pouvoir. En effet, les élections n’ont pas été organisées dans les délais prévus par la Constitution, le gouvernement justifiant le report des scrutins par un manque de moyens financiers conséquents et par la nécessité d’une actualisation du dernier fichier électoral désuet. Cependant, les prétextes avancés sont peu convaincants. Dès janvier 2015, le pouvoir voulait conditionner la tenue des élections à un recensement général de la population qui, sans doute, allait retarder le processus électoral. Le pouvoir a dû faire marche arrière face à la pression populaire contre cette tentative. Ensuite, certains tenants du pouvoir évoquaient les options de la révision constitutionnelle et surtout du référendum, le tout pour permettre au président de briguer un autre mandat à la tête du pays. Un arrêt de la Cour Constitutionnelle dont le dispositif allait en faveur du maintien au pouvoir du président en exercice jusqu’à l’élection de son successeur a donné du tonus aux partisans du « glissement ». Puis, en vertu d’un accord négocié entre le pouvoir, l’Opposition et la « Société civile », le président Kabila demeure à la tête de l’État pour une période de transition devant aboutir à l’organisation des élections en fin 2017. C’est précisément au niveau de l’application de l’Accord du 31 décembre 2016, dit « Accord de la St-Sylvestre » que les violons ne s’accordent pas entre le pouvoir et la frange majoritaire de l’opposition, réunie au sein du Rassemblement des forces politiques et sociales acquises au changement. Les principaux points d’achoppement sont la nomination d’un premier ministre présenté par le Rassemblement, conformément au prescrit de l’accord, la nomination du président du Conseil national de suivi de l’accord – après le décès d’Etienne Tshisekedi, figure historique de l’opposition à qui revenait ce poste-, le partage des postes ministériels et les mesures dites de « décrispation politique ». Le président Kabila a nommé Bruno Tshibala, un dissident du Rassemblement de l’opposition comme premier ministre et ce dernier a nommé un gouvernement quasiment dupliqué sur le précédent gouvernement. Kabila et sa majorité réclamaient une liste de candidats présentée par le Rassemblement, requête qui n’a pas reçu l’assentiment du Rassemblement qui a rétorqué que,selon les termes de l’accord, il n’était pas question de présenter une quelconque liste, mais un seul nom que le président devait tout juste nommer, eu égard à ses prérogatives constitutionnelles.

Plusieurs mois de négociations n’ont pas suffi à surmonter les antagonismes. Il convient surtout, de noter que la nomination du premier ministre Tshibala ne règle en rien la crise politique et de légitimité du pouvoir. Les quelques dissidents du Rassemblement ne bénéficient d’aucune légitimité et légalité pour représenter cette plateforme. En effet, le seul Rassemblement qui bénéficie du soutien populaire et de la reconnaissance internationale est celui piloté par le tandem Félix Tshisekedi-Pierre Lumbi.

Après les Accords de la Cité de l’OUA d’Octobre 2016, le pouvoir, conscient du manque d’inclusivité de cet accord et des risques de soulèvement et menaces de sanctions internationales s’était vu contraint bon an mal an de retourner à la table des négociations.  Alors que le dialogue entre le pouvoir et l’opposition a été infructueux, que cette opposition utilise de plus en plus un ton offensif et comminatoire vis-à-vis du régime kabiliste, que la communauté internationale maintient sa pression sur le président sortant pour la mise en œuvre intégrale de l’accord et que la situation sécuritaire est pour le moins volatile, deux scénarios semblent plausibles. On pourrait assister à un nouveau cycle de négociations pour parvenir à l’inclusivité voulue et à la formation d’un nouveau gouvernement de transition. Il se peut également que le statu quo perdure avec un risque certain d’entraîner une surenchère et une escalade de la violence qui ne pourront qu’hypothéquer encore plus la tenue des élections déjà incertaines .

Crise économique

L’économie congolaise est essentiellement extravertie, l’industrie extractive, tournée surtout vers l’exportation étant prépondérante. Face à la baisse des cours des matières premières, cette économie peu diversifiée n’a pas été assez résiliente pour surmonter ce choc exogène. Pour preuve, le franc congolais, monnaie nationale qui coexiste avec le dollar US comme intermédiaire des échanges dans ce pays connaît une dépréciation substantielle. Selon le gouverneur de la Banque Centrale du Congo, le franc congolais a enregistré une dépréciation de plus de 20% pour la seule année 2016. [3]Depuis quelques mois déjà, les fluctuations erratiques de cette monnaie pénalisent grandement les congolais qui voient les prix des biens et services grimper. Face à cette dépréciation du franc congolais par rapport au dollar US, la pilule est particulièrement dure à avaler pour les fonctionnaires et autres salariés payés en francs congolais, dont l’enveloppe salariale en proportion du dollar US -toutes choses étant égales par ailleurs- se trouve défalquée en termes de pouvoir d’achat malgré eux.

En ce qui concerne le taux de croissance économique, il a aussi connu un net recul, passant de 7,7% en 2015 à 2.5% en 2016. Le chômage y demeure endémique, surtout celui des jeunes.

Par ailleurs, la crise politique a évidemment créé une incertitude sur le plan économique entraînant une contraction des investissements étrangers dans le pays. Pour ne rien arranger à la situation, des menaces de sanctions et  mesures restrictives de certains partenaires internationaux (États-Unis, Grande Bretagne Belgique, France entre autres) viennent noircir le tableau économique.[4]

Dans cette situation de profondes difficultés financières et d’instabilité politique, la tenue des élections dans les délais conformes à l’Accord de la St-Sylvestre semble des plus hypothétiques.  

Crise socio-sécuritaire

Il faut dire que le second mandat de Joseph Kabila a été très mouvementé. La quiétude sociale n’a pas été au rendez-vous. À la suite des résultats controversés de la présidentielle de 2011, Kabila souffrait d’un déficit de légitimité aux yeux d’un grand nombre d’acteurs politiques de la scène nationale et d’une partie non-négligeable de la population. Lorsqu’en 2012 la rébellion du M23 fit son apparition, avec à son actif des massacres et actes exécrables au Nord-Kivu, la RDC s’est retrouvée en situation de crise et a dû consacrer de moyens conséquents pour rétablir l’autorité étatique dans les zones occupées par les rebelles.  Cette reconquête de la souveraineté territoriale a nécessité selon les tenants du pouvoir de surseoir ou « sacrifier » certains engagements pour cet impératif de souveraineté nationale. Alors que la défaite et la capitulation du M23 laissaient espérer des jours assez paisibles pour les ressortissants des territoires touchées- malgré la présence d’autres groupuscules armés- la résurgence dès 2013 d’actes de barbarie ignobles et crapuleux dans le territoire de Beni (Nord-Kivu) notamment par les rebelles ADF-Nalu ougandais a tôt fait de replonger le pays dans la spirale de violences et de crimes imprescriptibles. Tout récemment, ce sont les milices Kamwina Nsapu qui semèrent la terreur au Kasai (centre du pays). La non-organisation des élections dans les délais, le maintien de Kabila au pouvoir et les vicissitudes de l’application de l’accord du 31 décembre 2016 n’ont fait qu’exacerber les tensions sociales sur fond de répression, d’arrestations arbitraires et d’atteinte aux droits de l’Homme  en général.

Depuis 2013, il y a eu les  « Concertations Nationales », le dialogue de la cité de l’Union Africaine, le dialogue sous la médiation de la CENCO qui étaient censés renforcer la cohésion nationale et préparer à la tenue d’élections paisibles et crédibles dans les prochains mois (spécifiquement les deux derniers dialogues évoqués) mais force est de constater que la RDC demeure pour le moment dans une situation instable et potentiellement explosive (loin de nous toute logique d’hypertrophie).

On peut percevoir une lassitude des congolais face aux errements de la classe politique. Aussi bien au niveau de la majorité que de l’opposition politique[5], nombre de politiciens ont déçu les attentes des congolais. Edem Kodjo, ancien premier ministre togolais et médiateur du dialogue de la cité de l’OUA déclarait dans Jeune Afrique à propos de cette classe politique : « J’ai eu affaire à une classe politique à la fois brillante, adepte des faux-fuyants, intelligente, toxique. L’argent joue un rôle prépondérant : en Afrique de l’Ouest, les gens pensent qu’ils sont riches quand ils ont 100 millions de F CFA. Ici, ils le sont quand ils ont la même somme, mais en dollars »[6] Même si Edem Kodjo n’est pas un parangon d’exemplarité politique, son constat sonne plutôt juste. Nous estimons qu’une loi de moralisation de la vie politique, comme celle défendue par le président Macron, mais adaptée au cas congolais serait à-propos en RDC (comme d’ailleurs dans bon nombre de pays du continent éventuellement). Il pourrait par exemple être question dans cette loi d’interdire aux anciens rebelles ou chefs rebelles d’exercer de fonctions politiques[7], de s’assurer que les titulaires de charges publiques ne sont ni des repris de justice, ni des personnes qui se sont enrichies illicitement, pas plus qu’ils ne doivent être mêlés dans des conflits d’intérêts de nature à compromettre l’exercice de leurs fonctions, d’exiger une déclaration de patrimoines des candidats à la présidence de la République et du président élu et des ministres au début et en fin de mandat. Pour cela, il pourrait être mis en place un organe (ou une cour) supérieur(e) de surveillance et d’arbitrage chargé(e) de s’assurer du respect de ces principes.

 Il est somme toute, essentiel que nos pays africains se dotent d’institutions judiciaires solides, neutres et véritablement justes pour sanctionner quiconque contrevient aux textes légaux en vigueur. Les politiques devraient être esclaves de leur engagement ou serment. Il nous revient à l’esprit ici la notion de théorie de l’expectative légitime, qui est à peu près en droit administratif québécois le pendant de la théorie de « l’Estoppel » de la Common Law et selon laquelle les responsables politiques, qui tiennent des promesses à la population créent des « attentes ou espérances légitimes » qu’ils sont contraints de tenir de jure, sauf impondérables. Si un tel principe avait force de loi dans nombre de pays africains, on n’assisterait sans doute pas à autant de valses et convulsions rétrogrades qui retardent la marche de nos pays vers l’émergence.

Il est évident que la RDC a tout le potentiel humain et naturel pour se relever. Il faut pour cela un leadership politique responsable et éclairé et une révolution de mentalités au niveau de la population qui passe entre autres par une éducation et une formation civique de qualité. Ainsi, le chaos « quasi atavique » ne sera-t-il qu’un lointain souvenir.

 

                                                                                                                                                                                        Thierry SANTIME

 

 

 

 


[1] Le dernier et unique recensement scientifique de la population nationale datant de 1984, ce chiffre est approximatif des données compilées par des institutions comme la BM, le PNUD, entre autres.

 

[2] L’IDH (indice de développement humain) du PNUD classe la RDC 176ème sur 188 pays classés dans son dernier classement.  http://hdr.undp.org/en/data  L’ONG Freedom House qui étudie la démocratie dans le monde classe les États selon le niveau de droits politiques et de libertés civiles des populations place dans son classement la RDC comme État non-libre (not free).

 

[4] L’ONU menace de saisir la CPI pour les massacres au Kasai. http://www.mediacongo.net/article-actualite-25754.html

Les États-Unis et l’UE ont imposé des sanctions contre de « hauts responsables » congolais. https://vacradio.com/lue-et-les-etats-unis-imposent-des-sanctions-contre-de-hauts-responsables-de-rd-congo/

 

[5] Le réalisateur belge Thierry Michel, bien au fait des questions congolaises parle d’ « opposants alimentaires » pour décrire les opposants congolais. http://www.congoforum.be/fr/interviewsdetail.asp?id=207170&interviews=selected

 

[6]   « RDC : Kabila, Tshisekedi, Katumbi… L’ex-médiateur Edem Kodjo dit tout ». Jeune Afrique. 2016  http://www.jeuneafrique.com/mag/382533/politique/edem-kodjo-mediateur-ne-dire-ca/

 

[7] Il faut noter que l’impunité est une sérieuse préoccupation en RDC où des rebelles ou miliciens ayant perpétré des actes hideux bénéficient de l’amnistie et parfois deviennent des interlocuteurs du pouvoir.  http://www.afrik.com/rdc-kyungu-mutanga-alias-gedeon-de-chef-de-guerre-a-heros

 

 

The State Of Democracy in Africa: half in Earnest, half in Jest

In 2017, what can be said about the democratic situation in African States? Whereas some countries are strengthened year after year, the democratic benefits often obtained come with difficulty and lots of sacrifices. Others don’t succeed in breaking free from the long-lasting and important lingering odour of authoritarianism. Whereas we witness pacific transfers of power and democratic alternations in some countries, we still deal with political leaders who use clever processes to unduly prolong their position as heads of the state. This is the demonstration that the obsession of power remains a perennial issue in the head of lots of political authorities in Africa. It shall be first specified that the democratic health condition of African countries cannot be determined only with regard to free and transparent elections in those countries. This would be  a really minimalist and subjective conception of democracy.

The Good Performers of Democracy in Africa

Ghana and Benin experienced last year, pacific elections and a democratic alternation at the head of the state. In these two countries, the political pluralism is seen as strength and is not stifled. Trade unions are well organized and constitute pressure means against the government. Benin is also the first country which organized the first national conference on the continent in 1990. Benin is moreover the pioneer in the establishment of an independent electoral commission. Benin is worthy  of note due the fact that this country didn’t stay paralyzed in a kind of excitement following this historical role of democratic precursor, but as the analyst Constantin Somé rightly underlines in his master’s thesis: « Benin distinguishes itself by its innovation ability in all fairness and transparency, which shows progress. Refusing the usurpation of political power by any group or faction that wouldn’t originate from the electoral body choice. This is why  an independent and autonomous « a mediator »  charged with elections has been established. Benin cultivates pacifism by an increasingly healthy management of electoral competitions and a progressive institutionalization of organs charged with regulating elections and above all their independence towards the government, the parliament and public authorities ». [1]

Ghana takes second place in Africa behind Namibia and the 26th at the global level of 2016 Reporters without Borders (RSB) ranking about press freedom. [2] This prominent place in this international ranking conveys the steady challenge of guaranteeing press independence and freedom of speech and opinion prerogatives. On the political level, the popular vote is respected and the losers accept their defeat. During the presidential election of 2012, Dramani Mahama was declared the winner by the Constitutional Court against Akuffo Addo after recourse of the latter before the said court. Following this sentence, he admitted his defeat and called Mahama to congratulate him. In 2016, the outgoing president Mahama was defeated by Akuffo-Addo during the elections and admitted instantly his defeat. This gives every reason to believe that the Ghanaian democracy is constantly growing.

Still in West Africa, Senegal is also an avant-garde in terms of democracy in our continent. Even if this country has known intermittent episodes of « crisis », it always knew how to recover. The longstanding and strong tradition of activism in the political, community and trade union spheres (Ex : Collectif Y’EN A MARRE, Raddho, Forum Civil as well as other organizations of the civil society and lively and committed political parties) forms a significant safeguard against authoritarian and anti-democratic vague desires. President Wade’s defeat against his opponent Macky Sall in 2012, the constitutional referendum organized in 2016, illustrate the healthy democratic condition of this country and the desire of citizens and political leaders to preserve the Senegalese democratic ethos. The insular States that are Cape Verde and Mauritius deserve as well to be mentioned as model democracies in the continent. These countries experience a political stability which is in particular the result of an institutionalization and of the respect of democratic rules and practices that govern the public action as well as the private sphere.

In respect to South Africa, it is a democracy which works well generally. Unlike a lot of countries in our tropics, we can add to the credit of this nation that the judicial power is still independent from the executive one. As proof of this, we can quote the legal problems of president Zuma entangled in corruption and abuse of power scandals. We all recall the reports of the Republic ex mediator Thuli Madonsela who revealed in all independence –even if she suffered political pressures- the « Nkandlagate » which refers to the renovation of a private residence with public funds and also the case concerning the narrow collusion between Zuma and the wealthy Gupta family. Even if the targeted murders are plentiful in this country, we can still notice that on the institutional field, freedom of speech is guaranteed and respected, as shown by EEF (Economic freedom fighters),deputies’ severe grumblings of Julius Malema during parliamentary sessions in the presence of president Zuma.

Sao Tomé and Principe is a democratic role model in Africa. Even if this little country, not much strategic in a geographical and economical perspective arouses little interest for the international observers and analysts, the essentials of democracy are established there and have value. The same analysis can be made for Tanzania.

According to a 2014 Reporters Without Borders (RSB) rank about press freedom, Namibia is the only country in Africa to get a score more or less similar to Scandinavian countries’, performing better (19th at global level) than France (37th) and many more countries of the Old Continent. Namibia is also the first African country to organize presidential and legislative elections by electronic vote in November 2014.Botswana is also quite reputable for its democracy. This country organizes regularly free and transparent elections, has good results in respect of good governance and fight against corruption even if we cannot ignore the coercive and repressive measures taken against the San minority, also called Bushmen. In North Africa, Tunisia tries to stand out from his neighbours. Tunisia adopted a progressive constitution and organized in 2014, free and transparent elections. Trade union or civil society activism such as the UGTT (Tunisian general union of work) and the Human rights league in Tunisia (LTDH) has without a doubt been an essential contribution in this democratic burst.

The political systems resistant to the long-term establishment of democratic principles

Alongside these countries that show notable democratic profiles, there are countries that counteract the good effects and are  still hostages to authoritarian systems or insufficiently democratic. In Africa, many regimes establish “cosmetic” or facade democracies. Many regimes claim that they become infatuated with democracy fundamentals such as multi-party system, free and transparent elections, Rule of law and basic law, even though the running of their countries reflects clearly an arbitrary power, autocratic or/and corrupt…the choice is yours. The Great Lakes region of Africa (Uganda, DRC, Rwanda and Burundi) and countries such as Eritrea, Gambia, Zimbabwe, Sudan, Djibouti, Ethiopia, Egypt, to name but a few, are among many that are far from having achieved the advisable or desired standards of a democracy. It is clear that the democratic situation of these countries is not utterly uniform. Some of these countries are led by tyrannical and last-ditch regimes, frontally resistant to populations’ democratic ambitions. Whereas in other countries, despite serious democratic gaps, some basic democratic principles are relatively, sometimes according to the desires of the regime, well promoted and applied.

African populations and especially the youth are very thirsty for democracy to freely express their potentials. They don’t want be stifled anymore by authoritarian obsolete drifts. Lately, we saw how Yahya Jammeh’s regime in Gambia attempted to carry out an illegitimate takeover in order to stay in power despite his defeat. This megalomania got fortunately what it deserved: a failure. The African Union as well as the sub regional organizations must assume an active role to stop the authoritarian momentums. It will be good when African democracy rises from the ashes and moves forward to progress!

 

[1] Somé, Constantin (2009, pp.31-32): “Pluralisme socio-ethnique et démocratie : cas du Bénin », a dissertation made to achieve a Master in political science at Quebec University in Montreal.

 

[2] RSF rank: https://rsf.org/fr/classement

Translated by

Corinne Espartero

 

La crise au Cameroun anglophone : un mal profond aux racines lointaines

L’euphorie qui a suivi la victoire des Lions Indomptables lors de la CAN 2017 ne devrait pas faire oublier la crise anglophone et ses plaies encore purulentes et qui ne demandent qu’à être cicatrisées. Depuis fin 2016, les régions anglophones du sud-ouest et du nord-ouest du Cameroun sont vent debout pour protester contre ce qu’elles estiment être un traitement inégal en leur défaveur, de la part du gouvernement camerounais. Les manifestants soutiennent que le pouvoir est déconnecté de leurs réalités et ne semble opposer à leurs revendications, sinon des mesures répressives, un désintéressement ou un silence assourdissant. Pourtant, les protestataires font remarquer qu’ils expriment ces revendications via des canaux reconnus par la Constitution et les textes légaux en vigueur. Notons que la minorité anglophone représente environ 20% des 22.5 millions de Camerounais.

Bref rappel historique

Il est important de faire un bref rappel historique pour mieux appréhender les revendications actuelles.

Initialement, le Cameroun était une colonie allemande. Après la première guerre mondiale, le Cameroun fut placé sous la tutelle de la Société des Nations (ancêtre de l’ONU), et confié à la double administration française et britannique. Le territoire sous domination française acquit son indépendance en 1960. Peu de temps après, le territoire sous administration britannique s’émancipa lui aussi de sa subordination vis-à-vis de la Couronne. Dans ce contexte, anglophones et francophones avaient convenu en 1961 de constituer une fédération à deux États. Le Cameroun Occidental (anglophone) et la République du Cameroun (francophone) décidaient en ce moment-là de constituer la République fédérale du Cameroun et donc de se réunifier. Amadou Ahidjo de la République du Cameroun devint président de la République fédérale du Cameroun et John Ngu Foncha du Cameroun Occidental son vice-président. Toutefois, la fédération ne fit pas long feu, en ceci que le Cameroun retrouva le statut d’État unitaire, suite au référendum organisé par le président Ahidjo en 1972. Ce retour à l’unitarisme étatique, sur fond de marginalisation de la minorité anglophone fut le déclencheur d’un vent fluctuant, ondoyant mais solide d’animosités et de protestations des anglophones vis-à-vis du pouvoir central.  

En 1964 – donc avant même le Référendum de 1972 qui a consacré l’unitarisme-, dans un article intitulé « Construire ou détruire » paru dans la revue culturelle Abbia qu’il a fondée, un ancien ministre et universitaire issu de la province du nord-ouest, Bernard Fonlon, par ailleurs fervent défenseur du bilinguisme, faisait déjà remarquer: « Après la réunification, on conduit sa voiture maintenant à droite, le franc a remplacé la livre comme monnaie, l'année scolaire a été alignée sur celle des francophones, le système métrique a remplacé les mesures britanniques, mais en vain ai-je cherché une seule institution ramenée du Cameroun anglophone. L'influence culturelle des Anglophones reste pratiquement nulle ». Ce diagnostic poignant et incisif traduisait le malaise ressenti par de nombreux ressortissants des régions anglophones à propos de cette supposée volonté des autorités du pays de gommer de vastes pans de l’héritage culturel de la minorité anglophone pour assurer la prépondérance des régions francophones majoritaires.

Avec la fin du fédéralisme et l’instauration d’un État Unitaire en 1972, la méfiance vis-à-vis du pouvoir central qui commençait à sourdre après la réunification de 1961 et ses corollaires jugés défavorables aux régions anglophones n’a fait que se renforcer. Les velléités centrifuges et sécessionnistes apparaissent en ce moment-là.   

Crise actuelle et recommandations

Les autorités camerounaises ont souvent minoré l’importance, pour ne pas dire l’existence d’un « problème anglophone ». Pourtant, il suffit de mettre en veilleuse son positionnement partisan et procéder à un diagnostic objectif et désintéressé pour s’apercevoir du problème. Les évêques Camerounais des régions anglophones ont justement fait ressortir dans leur mémorandum adressé au chef de l’État en décembre dernier quelques-uns des traits ou éléments corroborant l’idée d’une politique deux poids, deux mesures, au détriment des régions anglophones et qui ont poussé les anglophones à manifester. Ces facteurs sont, entre autres[1] :

-La sous-représentation des anglophones dans les jurys des concours d’entrée aux grandes écoles, à la fonction publique, dans le gouvernement et les grandes instances décisionnelles en général;

– la non-utilisation (ou un recours approximatif) de l’anglais (pourtant langue officielle, au même titre que le français) dans les examens d’État et les documents publics;

– l’affectation d’une majorité de magistrats, personnel enseignant ou sanitaire francophones dans les régions anglophones;

– La négligence des infrastructures de l’ouest anglophone.

Les revendications de ces derniers mois ont d’abord été assez apolitiques avant de se muer en une véritable poussée de fièvre politique contre les velléités ou pratiques jugées sectaires et assimilationnistes du pouvoir de Yaoundé. Au départ, il s’agissait d’une série de grèves organisées par les enseignants et avocats anglophones pour dénoncer le peu d’intérêt que les autorités réservent à leurs desiderata. Ensuite, le conflit s’est généralisé et les revendications revêtent désormais un caractère militant et politique. Les ressortissants des régions anglophones qui manifestent ne veulent plus que le régime continue aisément à marcher sur leurs plates-bandes et à favoriser les régions francophones majoritaires. Ils veulent avoir voix au chapitre et jouir d’une certaine autonomie dans la gestion de leurs territoires. Ils estiment en grande partie que le fédéralisme serait une meilleure option que l’unitarisme actuel, même si une relative minorité aux visées sécessionnistes n’hésite pas à sonner le tocsin en brandissant la carte séparatiste. Mais, dans le chef des revendications exprimées, l’option la plus plausible et en tout état de cause la plus défendue par les manifestants reste celle du fédéralisme. En effet, dans un État fédéral, les compétences sont partagées entre le pouvoir fédéral et les entités fédérées. Il y a donc une plus grande autonomie et des pouvoirs plus importants concédés aux entités fédérées, qu’elles soient dénommées régions, provinces ou États.

En effet, il faut bien se rendre compte que malgré la promulgation d’une loi de décentralisation, en pratique, le Cameroun demeure un État fort centralisé. Ce qui n’est pas sans poser de problèmes dans un pays à multiples sensibilités ethniques et culturelles. Certains auteurs et le parti politique de l’opposition SDF se déclarent pro-fédéralistes et pensent que pour éviter de fragmenter encore plus le pays, le gouvernement gagnerait à organiser une consultation populaire ou référendum sur la question du fédéralisme.[2] D’autres estiment qu’à défaut du fédéralisme, il est impérieux que le gouvernement Camerounais s’emploie à exécuter son plan de décentralisation. De l’autre côté, le gouvernement et les défenseurs de l’État unitaire battent en brèche l’idée de fédéralisme soutenue par certains et insistent que l’unité nationale reste le gage de la paix et de la stabilité nationales et que cette unité nationale n’est mieux entretenue et garantie ailleurs que dans le cadre d’un État unitaire au Cameroun.[3]

Thierry SANTIME


[2] Alain Nkoyock. 2017. « Le fédéralisme est-il porteur d’espoir » Jeune Afrique. http://www.jeuneafrique.com/396895/politique/crise-anglophone-cameroun-federalisme-porteur-despoir/

Célestin Bedzigui. « Le fédéralisme est la solution au Cameroun ». http://www.camer.be/56685/30:27/celestin-bedzigui-le-federalisme-est-la-solution-au-cameroun-cameroon.html

« Cameroun : le SDF se dit favorable au fédéralisme ». BBC Afrique. http://www.bbc.com/afrique/region-39402226

 

[3]  « Cameroun : pas de retour au fédéralisme ». BBC Afrique. http://www.bbc.com/afrique/region-38232646

« Cameroun, Vincent Sosthène Fouda : « Non au fédéralisme et encore moins à la sécession » http://www.camer.be/57477/30:27/cameroun-vincent-sosthene-fouda-34non-au-federalisme-et-encore-moins-a-la-secession34-cameroon.html

« Le fédéralisme au Cameroun : une arme à double tranchant ». http://www.camernews.com/le-federalisme-au-cameroun-une-arme-double-tranchant/

 

MONUSCO :Un bilan en demi-teinte

Les opérations de maintien de la paix de l’ONU sont destinées à aider des pays ravagés par des conflits en vue d’un retour de la paix et d’une consolidation ultérieure de celle-ci.

À la suite du déclenchement de la deuxième guerre du Congo (1998-2002) et de ses nombreuses conséquences tragiques, l’ONU avait décidé d’envoyer une mission en RDC, la Monuc en 1999. Depuis 2010, elle est devenue Monusco, mission des Nations-Unies pour la stabilisation du Congo. La Monusco est la plus vaste et la plus couteuse des opérations de maintien de la paix dans le monde.[1]

 Cet exposé vise à analyser les forces et les faiblesses de cette mission.

En dépit de vives critiques dont elle est l’objet, on ne doit pas occulter les réalisations de la Monusco pour favoriser la paix et la stabilité en République démocratique du Congo.

   Contribution aux efforts pour le retour de la paix

La Monusco a joué un rôle majeur dans les négociations pour favoriser autant le dialogue inter-congolais que le dialogue avec les pays voisins, impliqués dans les différents conflits en RDC. En 2001, lorsque le président Laurent Désiré Kabila fut assassiné et remplacé par son fils, Joseph Kabila, le gouvernement congolais n’avait pas le contrôle sur toute l’étendue du territoire national. Les groupes armés, notamment le MLC (Mouvement de Libération du Congo) et le RCD (Rassemblement congolais pour la démocratie) contrôlaient le nord-est et le sud-est de la RDC, le gouvernement ne contrôlant plus que la moitié ouest En plus de l’emprise de ces groupes armés sur d’importants pans du territoire national, de nombreux groupes rebelles et milices venus de l’étranger comme les FDLR du Rwanda, la LRA d’Ouganda, le CNDD-FDD du Burundi, le Parti pour la libération du peuple Hutu et l’Unita d’Angola étaient toujours dans le pays. Tous ces mouvements armés commettaient sans coup férir des exactions sur les populations civiles et s’enrichissaient sur l’exploitation illicite et effrénée de nombreuses richesses du sous-sol congolais. Même si nombre de ces groupes armés sont encore présents et actifs, il faut dire que leur capacité de nuisance est beaucoup moins considérable. En effet, la mission de l’ONU en RDC a joué un rôle important de facilitateur et de médiateur pour le retour de l’autorité de l’État sur tout le territoire.

La Monusco a joué un rôle de médiateur lors du dialogue inter-congolais de Sun City qui  donna lieu à l’Accord global et inclusif de Pretoria le 17 décembre 2002 (à Pretoria), mettant fin à la deuxième guerre du Congo (1998-2002). Cet accord de Pretoria, corollaire du dialogue placé sous les auspices de la mission onusienne a permis la réunification du pays et l’avènement d’un gouvernement d’union nationale.

Suite à la résurgence de nouvelles rébellions, notamment le M23 (Mouvement du 23 Mars) qui a occupé la ville stratégique de Goma durant plusieurs mois en 2012 et fait de nombreuses victimes, la Monusco a encouragé et facilité la tenue d’un dialogue entre la RDC, les pays voisins (Rwanda et Ouganda notamment) et le M23 afin de stabiliser la paix et de mettre en place un programme de DDR (Démobilisation, Désarmement et Réinsertion) des anciens rebelles. Ce dialogue a abouti à l’accord cadre d’Addis Abbeba qui enjoint aux pays voisins de cesser d’apporter leur soutien aux groupes rebelles, propose l’amnistie pour les responsables des « violations mineures » mais aussi des poursuites pour les auteurs des crimes contre l’humanité et demande au gouvernement congolais d’améliorer sa gouvernance. Ceci dit, au-delà de l’aspect positif du dialogue prôné par la Monusco, l’innovation majeure avec l’accord cadre d’Addis Abbeba est qu’il va permettre la mise en place d’une brigade d’intervention de la Monusco composée de 3000 soldats, conformément à la résolution 2098 du Conseil de Sécurité de l’Onu. En effet, alors qu’avant l’usage de la force était subsidiaire, désormais l’utilisation de la force fait partie intégrante du mandat de la mission.

 Appui logistique et institutionnel au gouvernement congolais

La mission de l’Onu en RDC offre un appui logistique et institutionnel au gouvernement congolais pour la stabilisation et la consolidation de la paix ainsi que la reconstruction du pays.

D’abord, notons que la Monusco a joué un rôle important dans la réforme du secteur de sécurité en RDC. Elle a joué un rôle de premier plan dans le désarmement et la démobilisation des anciens combattants et conjointement avec le gouvernement congolais et d’autres partenaires de la RDC (USA, UK, Chine, Belgique et Afrique du Sud), elle a œuvré activement pour la formation d’une nouvelle armée nationale inclusive et bien formée. De même, en ce qui concerne la police, la Monusco s’est-elle aussi ingéniée à réformer la police nationale congolaise (PNC) notamment en créant et coordonnant des centres de formation à travers le pays. En effet, il est estimé que la Monusco a directement contribué à la formation de 10000 officiers congolais dans des domaines aussi variés que les unités anti-émeutes, les instructeurs de police, les bataillons d’intervention rapide et les brigades de détective.

En outre, la Monusco a apporté un appui important au gouvernement congolais lors des premières élections démocratiques organisées en 2006. Le soutien  technique et opérationnel qu’elle a apporté a été déterminant dans la réussite du processus électoral. Par ailleurs, notons qu’un autre succès important de la Monusco concerne la protection des droits de l’homme et le renforcement du système judiciaire. La Monusco comporte en son sein une division des droits de l’homme qui est l’une des plus importantes unités civiles de la mission. Enfin, l’action de la Monusco, en partenariat avec les forces armées congolaises a permis d’appréhender et de traduire en justice des « seigneurs de guerre » comme Thomas Lubanga, Uzele Ubeme, Mathieu Ngudjolo, ou Germain Katanga.

Comme toutes les missions onusiennes à travers le monde, la Monusco n’est pas exempte de critiques, loin s’en faut. La Monusco a été vilipendée par nombre d’observateurs qui estiment qu’elle a simplement failli à sa tâche car 18 ans après sa mise en place, la RDC est toujours dans une situation précaire, avec la présence d’un ramassis de groupes rebelles étrangers et locaux qui sèment la terreur, parfois en toute impunité.

 Violations des droits humains par les casques bleus

La problématique des violations des droits humains par les casques bleus fait florès dans la littérature et dans les débats portant sur les missions onusiennes. En effet, les exemples illustratifs de ces violations sont légion et ne laissent guère d’incertitude.

On dénombre de nombreux cas de pédophilie, de prostitution à grande échelle, y compris avec des mineurs congolais des deux sexes, d’abus d’autorité, de harcèlement sexuel, viols ou tentatives de viols attribués au personnel de la Monusco. Les populations sont particulièrement  exaspérées et accusent ces  « émissaires de la paix qui se traînent au bras de nymphettes, les poches bourrées de dollars ».[2] Dans ce même ordre d’idées, il s’avère que dans le cadre d’enquêtes menées par le Bureau des services de contrôle interne de l’ONU (BSCI-OIOS), pas moins de 296 dossiers d’abus sexuels sur mineurs ont été ouverts concernant la période 2004-2006 et 140 cas avérés ont été recensés, essentiellement parmi les Casques bleus déployés en RDC.[3]

Ces abus et manquements aux droits humains ont fortement écorné l’image de la Monusco en RDC même si les viols et autres violations au Congo ne sont pas l’apanage du personnel de la Monusco mais sont aussi le fait des rebelles ou même des militaires congolais. De plus, en RDC « la MONUSCO a failli à son rôle en se montrant incapable d’empêcher des viols de masse perpétrés dans plusieurs villages», ainsi que le reconnaissait en 2008, le Sous-Secrétaire général de l’ONU chargé des OMP (opérations de maintien de la paix) de l’époque Alain le Roy.

 Situation toujours précaire à l’Est de la RDC 18 ans après

En dépit de la présence de la Monusco depuis 1999, la situation en RDC demeure toujours très volatile et instable. Certes, ce serait un leurre de penser que la Monusco peut à elle seule résoudre les problèmes  structurels et profonds à l’origine de la situation. Cependant, on ne peut  passer outre le fait qu’à plusieurs reprises, des massacres ont été commis dans des zones où la Monusco  était présente sans qu’elle n’intervienne efficacement alors qu’elle est dotée d’un mandat offensif pour la protection des civils. De nombreux exemples corroborent cette assertion. En 2003, par exemple, des populations civiles ont été tuées par des milices dans la ville de Bunia alors que le contingent uruguayen de la Monusco campait à l’aéroport, qui n’est pas à plus de 20 kilomètres de là. De même en 2004, les casques bleus n’ont pas pu empêcher les rebelles du général Nkunda  de commettre quatre jours durant des actes de viol, de pillage, et de meurtres dans la ville de Bukavu. En novembre 2008, les forces rebelles du même général Nkunda ont exécuté près de 150 civils dans la ville de Kiwanja pendant que les troupes de la Monusco étaient stationnées à quelques encablures de là. Aujourd’hui encore, les rebelles ougandais ADF continuent d’accomplir leur macabre besogne dans la ville de Beni. On peut, à bien des égards se poser des questions sur cette culture de « dissuasion passive » dont font montre les casques bleus de la Monusco face à certaines situations alors que leur mandat permet des actions offensives.

En définitive, disons qu’il est impérieux que le gouvernement congolais restaure son autorité sur toute l’étendue du territoire et que ses forces armées soient aptes à assurer seules la protection des civils avant d’envisager un départ définitif de la Monusco.

 

                                                                                                                                                                              Thierry SANTIME

 

 

 

 

[1] La Monusco est la plus grande en termes d’effectifs (22000 hommes) et la plus coûteuse (1.4 milliard de budget) des missions de maintien de la paix des Nations-Unies. Voir « Réflexions sur 17 ans de présence de l’ONU en RDC ». 2016. Afrique décryptage-blog du programme Afrique Subsaharienne de l’Institut français des relations internationales(IFRI)- https://afriquedecryptages.wordpress.com/2016/05/11/reflexions-sur-17-ans-de-presence-de-lonu-en-rdc/

[2] Kpatindé, Francis. 2004 « Scandale à la Monuc » Jeune Afrique. Paris. Juin 2004

 

 

 

 

 

 

[3] Zeebroek, Xavier, Marc Memier et Pamphile Sebahara. 2011 « La mission des Nations Unies en RD Congo : bilan d’une décennie de maintien de la paix et perspectives » p.24

 

 

 

 

 

 

L’état de l’intégration régionale : De criantes disparités entre l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique Centrale

Les théories économiques classiques nous informent que l’ouverture des pays aux échanges régionaux et internationaux permet une réduction des coûts de transaction et de production. Cette tendance à s’ouvrir aux marchés ne se fait cependant pas sans heurts. Elle est en défaveur des pays les plus pauvres et marginalisés. En ce sens, l’intégration régionale peut être vue comme une tentative coordonnée de lutte contre les chocs aussi bien endogènes qu’exogènes et asymétriques.  

Sur le plan politique, les défenseurs de l’intégration régionale soutiennent que celle-ci permet de créer une dynamique d’ensemble, favorable à la cohésion, à la paix et à la sécurité de la région.

 

Dans un environnement coopératif et libre-échangiste grandissant, l’Afrique n’a pas voulu être à la traîne. C’est ainsi que dès 1963, l’OUA, ancêtre de l’UA a été créée. À la suite de cette organisation panafricaine, diverses organisations subrégionales ont été mises en place pour renforcer et dynamiser la coopération intra régionale.

Dans cette analyse, nous nous intéressons à l’intégration sur les plans politique et économique en Afrique Centrale sous le leadership de la CEEAC (et la CEMAC)[1] et en Afrique de l’Ouest en ayant comme point de repère la CEDEAO (et l’UEMOA)[2].

Afrique centrale : un espace sous-intégré

L’intégration en Afrique Centrale se heurte encore à des résistances nationales. La liberté de circulation bien qu'existant dans les textes fondateurs de la zone CEEAC n'a jamais  été véritablement mise en oeuvre. Une situation assez surprenante puisqu’au sein de la CEDEAO les efforts sont mis en œuvre pour rendre effectif cette liberté de circulation; condition importante pour un véritable décollage des économies de ces sous régions. A titre illustratif, un gabonais souhaitant se rendre au Cameroun voisin peut encore faire face à des lourdeurs procédurières et consulaires.  Le projet de mise en œuvre d’un « passeport communautaire » est restée sans suite; la faute à un manque de volonté des décideurs politiques de la sous-région.

L’initiative de création d’une compagnie aérienne de la sous-région lancée par la CEMAC a également fait faux bond, les principaux protagonistes décidant de faire marche arrière en mettant fin au projet en 2015. Il faut dire que ce fiasco a été lourd de dommages financiers. En effet,  Air Cemac qui n’a pas effectué le moindre vol avait un siège à Brazzaville ainsi qu’un personnel dirigeant et un conseil d’administration et de ce fait, cette compagnie a dû débourser des frais non-négligeables pour son fonctionnement au quotidien.

L’existence de deux marchés boursiers concurrents n’est pas non plus un facteur d’intégration régionale: il existe en effet la BVMAC siègeant à Libreville et la DSX de Douala alors même que le Gabon et le Cameroun sont tous deux membres de la CEMAC. Il va sans dire que cette situation n’est guère de nature à favoriser l’éclosion d’un marché financier résilient et prospère à l’échelle de cette sous-région. Ainsi que le note le cabinet Roger Berger dans un rapport – cité par Jeune Afrique (2016)-  portant justement sur cette question, la fusion des deux bourses permettra de «  maximiser la profondeur, la liquidité et l’attractivité́ du marché tout en minimisant les coûts opérationnels et les risques » Le rapport soutient que : « Concrètement, cela doit passer par l’harmonisation des réglementations des deux Bourses et par le rapprochement des infrastructures technologiques en vue de la création d’une plateforme commune ». Le texte de Jeune Afrique cite aussi un dirigeant d’une firme d’intermédiation qui affirme que «la convergence rapide des Bourses est un impératif pour le développement de la sous-région et permettra de créer des palliatifs aux modes de financement classiques ». [3] En effet, dans le cas de ces embryonnaires économies de la CEMAC,[4]il sied d’harmoniser les réglementations existantes et de mettre en place une bourse régionale efficace et solide. Un tel effort serait à tout le moins un pas vers la bonne direction.

Si l’intégration économique de la sous-région est loin d’être un succès, les pays de la CEMAC ont réussi la gestion de certaines crises. La CEEAC a joué un rôle prépondérant dans la gestion du dernier conflit centrafricain à travers sa médiation entre la séléka et les milices anti-baraka.. En effet, le forum centrafricain de réconciliation nationale en 2014 à Brazzaville, tenu sous la médiation du Président congolais Sassou Nguesso, les différents sommets extraordinaires et les autres rencontres formelles et informelles dans la sous-région consacrés à la crise que connaissait l’ex Oubangui-Chari sont entre autres des actions à mettre à l’actif de l’entité sous régionale. Cette dynamique proactive de la CEEAC a été d’une portée considérable dans l’issue heureuse que constituent l’accord de cessation des hostilités et l’accord de désarmement des parties prenantes au conflit signés respectivement à Brazzaville et à Bangui en 2015.[5]  Outre la Centrafrique, la CEEAC a aussi mené des médiations, aux résultats mitigés pour tenter de juguler des crises ou différends politiques au cours des dernières années, notamment à Sao-Tomé et Principe (2006) en RDC (2008), et au Tchad (2008-2009), Burundi ( 2015) entre autres.[6]

Afrique de l’Ouest : une dynamique d’intégration volontariste et progressive

Au rebours de l’Afrique Centrale, l’Ouest de l’Afrique connaît un processus d’intégration plus dynamique. La libre circulation des personnes, bien qu’imparfaite au sein de la CEDEAO, est néanmoins opérationnelle. Un citoyen sénégalais n’a pas besoin de visa pour aller au Mali et vice versa; ce sont les textes légaux qui le prévoient.

En outre, la part du commerce intra-régional en proportion des échanges totaux est plus importante en Afrique de l’Ouest qu’en Afrique Centrale. Selon un rapport de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED) publié en 2013, au niveau de la CEDEAO cette part est de 10.4% entre 1996 et 2010, 10.9% entre 2001 et 2006 et 9.4% pour la période 2007-2011 alors que pour les mêmes périodes, la part du commerce intra régional en proportion du commerce total au sein de la CEEAC est respectivement de 1.7%, 1.5% et 1.9%.[7] Toutefois, les pays de la CEDEAO devraient continuer à renforcer leurs échanges commerciaux pour booster leurs économies car ces pourcentages sont tout de même hautement négligeables en comparaison à la part du commerce régional au sein des grandes zones économiques comme l’UE, L’ALÉNA ou l’ASEAN. A ce propos, il y a nécessité de promouvoir une plus grande coopération régionale, à l’échelle même du continent. 

L’efficacité de la bourse régionale des valeurs mobilières (BRVM) de la zone UEMOA est aussi un bon indicateur des progrès au niveau de l’intégration en Afrique de l’Ouest. Comme le relève le rapport du cabinet Roland-Berger susmentionné, « Avec une progression de 17,77 %, le BRVM Composite s’est ainsi classé en tête des indices boursiers du continent en 2015. D’ailleurs, des assureurs et des fonds souverains de la CEMAC préfèrent investir sur la place ouest-africaine, relève Roland Berger ».[8]

Sur le plan politique et institutionnel, la CEDEAO, tout comme la CEMAC se sont dotées d’instruments juridiques et de règles communes pour réguler la coopération sous régionale. Il existe une cour de justice de la CEDEAO qui a condamné de nombreux États dans la sous-région, notamment le Togo dans l’affaire du coup d’État manqué de 2009. Il y a également l’adoption d’un protocole au sein de la CEDEAO qui interdit toute réforme importante de la loi électorale dans les six mois qui précèdent la tenue d’une élection présidentielle à défaut d’un accord consensuel.

La CEDEAO s’est aussi illustrée par son rôle de médiateur et par ses interventions militaires lors des différentes crises ouest-africaines. L’ECOMOG (Brigade de surveillance du Cessez-le-feu de la CEDEAO) aussi connu sous le nom de « casques blancs » est intervenue au Libéria mais aussi en Sierra Leone et en Guinée Bissau lors des guerres civiles qui ont secoué ces pays. Plus récemment, la CEDEAO a été sous le feu des projecteurs, du fait de sa médiation à succès en Gambie. Mais elle n’a pas toujours connu la même fortune. Ses médiations en Côte d’Ivoire lors de la crise post-électorale de 2010 ou au Mali lors de la crise qui a suivi le départ du pouvoir du président Amadou Toumani Toure en 2012 ont été pour le moins infructueuses.

Au niveau de la CEEAC, un Conseil de paix et de sécurité de l’Afrique Centrale (COPAX) dont la mission est de prévenir les conflits et maintenir ou rétablir la paix dans la sous-région a été créé. Il y a également une brigade régionale de maintien de la paix (FOMAC).

Il importe, somme toute, que les différentes organisations régionales avancent vers une plus grande intégration communautaire pour limiter un tant soit peu l’extraversion des économies africaines. Plusieurs mesures doivent être prises en ce sens; notamment une diversification de la production, un allègement de la fiscalité, une réduction des barrières douanières et frontalières, le tout porté par une réelle volonté politique de changement.

 

                                                                                                                                                                           Thierry SANTIME

 


[1] La Communauté Économique des États de l’Afrique Centrale (CEEAC), créée en octobre 1983.La Communauté Économique et Monétaire des Etats de l'Afrique Centrale (CEMAC) regroupe 6 pays, à savoir le Cameroun, le Congo, le Gabon, la Guinée Équatoriale, la République de Centrafrique et le Tchad

 

 

 

 

 

[2] La Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CÉDÉAO) est une organisation intergouvernementale ouest-africaine créée le 28 mai 1975. L’Union économique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) a pour objectif essentiel, l’édification, en Afrique de l’Ouest, d’un espace économique harmonisé et intégré…

 

 

 

 

 

[3] Omer Mbadi et Stéphane Ballong. Jeune Afrique. 2016 « Afrique Centrale : cinq idées pour dynamiser le marché financier ». http://www.jeuneafrique.com/mag/303852/economie/5-idees-dynamiser-marche-financier/

 

 

 

 

 

[4] Embryonnaires en termes de développement financier et industriel et dont l’extraversion tous azimuts- ou presque-confine à une subordination économique vis-à-vis des grandes puissances économiques et des marchés émergents,

 

 

 

 

 

[5] Cyril Bensimon. « À Bangui, la fin troublée du Forum de réconciliation nationale ». Le Monde Afrique. 2015.  http://www.lemonde.fr/afrique/article/2015/05/12/a-bangui-la-fin-troublee-du-forum-de-reconciliation-nationale_4631850_3212.html

 

 

 

 

 

[6] Madeleine Odzolo Modo, « Fiche d’information de l’organisation : CEEAC ». Réseau de recherche sur les opérations de paix de l’Université de Montréal. http://www.operationspaix.net/3-fiche-d-information-de-l-organisation-ceeac.html

 

 

 

 

 

[7] CNUCED. Rapport 2013 sur le développement économique en Afrique. « Commerce intra-africain : libérer le dynamisme du secteur privé », p.18. http://unctad.org/fr/PublicationsLibrary/aldcafrica2013_fr.pdf 

 

 

 

 

 

[8] Omer Mbadi et Stéphane Ballong. Jeune Afrique. 2016 « Afrique Centrale : cinq idées pour dynamiser le marché financier ». http://www.jeuneafrique.com/mag/303852/economie/5-idees-dynamiser-marche-financier/

 

 

 

 

 

L’état des démocraties en Afrique : mi-figue, mi-raisin

En ce début d’année 2017, que peut-on dire globalement de la situation démocratique des États africains? Alors que certains pays consolident bon an mal an les acquis démocratiques obtenus souvent de haute lutte et au prix de moult sacrifices, d’autres n’arrivent pas encore à se défaire des relents encore bien vivaces et prégnants de l’autoritarisme. Alors qu’on assiste à des passations de pouvoir pacifiques et des alternances démocratiques dans certains pays, on a encore affaire à des dirigeants qui, avec leurs affidés et sinistres thuriféraires pas assez repus des ors de la République et autres avantages dantesques, s’emploient à user des procédés retors pour prolonger indûment leur bail à la tête de l’État. Preuve s’il en est que la hantise du pouvoir demeure un tropisme vivace dans le chef de bien d’autorités politiques en Afrique. Précisons déjà que nous ne mesurons pas la bonne santé démocratique des pays africains à l’aune de la seule tenue d’élections libres et transparentes dans ces pays. Ce serait là une conception fort minimaliste et subjective de la démocratie.

Les bons élèves de la démocratie en Afrique

Le Ghana et le Bénin ont connu l’année dernière des élections apaisées et une alternance démocratique pacifique au sommet de l’État. Dans ces deux pays, le pluralisme politique est perçu comme une force et n’est pas étouffé. Les syndicats sont bien organisés, et constituent un moyen de pression vis-à-vis du gouvernement. C’est également le Bénin qui organisa la première conférence nationale sur le continent en 1990. Il est  aussi le pionnier dans l’établissement  d’une commission électorale nationale autonome. Le mérite du Bénin est qu’il n’est pas resté sclérosé dans une sorte d’exaltation de ce rôle historique de précurseur démocratique mais comme le souligne à juste titre l’analyste Constantin Somé dans son mémoire de maîtrise : «Le Bénin s'illustre par sa capacité d'innovation dans un souci d'équité et de transparence, signe de progrès refusant l'usurpation du pouvoir par tout groupe ou toute faction qui n'émanerait pas d'un choix du corps électoral. C'est pourquoi il a été mis sur pied «un arbitre» chargé des consultations électorales, qui revendique toute son autonomie et son indépendance.  Il semble cultiver le pacifisme par une gestion de plus en plus saine des compétitions électorales à travers une institutionnalisation progressive des organes chargés de réguler les élections et surtout leur indépendance vis à vis du gouvernement, du parlement et des pouvoirs publics ».[1]

En ce qui concerne le Ghana, il occupe la deuxième place en Afrique après la Namibie et la 26ème au niveau mondial du classement 2016 de Reporters Sans Frontières (RSF) sur la liberté de la presse.[2] Cette place de choix dans ce classement international traduit le souci constant de garantir à la presse ses prérogatives d’indépendance éditoriale et de liberté de ton et d’opinion. Sur le plan politique, le vote populaire est respecté et les perdants acceptent leur défaite. Lors de la présidentielle de 2012, la Cour Constitutionnelle avait déclaré Dramani Mahama vainqueur face à Akuffo Addo, après recours de ce dernier devant ladite cour. Face à ce verdict, il avait reconnu sa défaite et appelé Mahama pour le féliciter. En 2016, le président sortant Mahama a été battu lors des élections par Akuffo-Addo et a reconnu aussitôt sa défaite. Tout ceci porte à croire que la démocratie ghanéenne se consolide inéluctablement.   `

Toujours en Afrique de l’ouest, le Sénégal est également avant-gardiste en matière de démocratie sur notre continent. Même si ce pays a connu des épisodes ponctuels de « crise », il a toujours su se ressaisir. La longue et solide tradition de militantisme dans les sphères politique, associative et syndicale (Ex : Collectif Y’EN A MARRE, Raddho, Forum Civil ainsi que d’autres organisations de la société civile et des partis politiques alertes et engagés) constitue un garde-fou non-négligeable contre les velléités autoritaires et anti-démocratiques.  La défaite du président Wade contre son adversaire Macky Sall en 2012, le référendum constitutionnel organisé par ce dernier en 2016 sont illustratifs de la bonne santé démocratique de ce pays et de la volonté de ses citoyens et dirigeants de préserver l’ethos démocratique sénégalais. Les États insulaires que sont le Cap-Vert et Maurice méritent aussi d’être évoqués comme des démocraties exemplaires sur le continent. Ces pays connaissent une stabilité politique qui est notamment le fruit d’une institutionnalisation et du respect des règles et pratiques démocratiques qui encadrent aussi bien l’action publique que la sphère privée.

Pour ce qui est de l’Afrique du Sud, c’est une démocratie qui fonctionne aussi bien en général.. On peut porter au crédit de cette nation et contrairement à beaucoup de pays sous nos tropiques que le pouvoir judiciaire est quand même indépendant de l’exécutif. Pour preuve, on peut citer les démêlés judiciaires du président Zuma empêtré dans des scandales de corruption et d’abus de pouvoir. On a tous en mémoire les rapports de l’ex-médiatrice de la République Thuli Madonsela qui a révélé en toute indépendance- même si elle a ensuite subi des pressions politiques- le « Nkandlagate » qui réfère à la rénovation d’une résidence privée du président avec l’argent public et aussi l’affaire concernant l’étroite collusion entre Zuma et la richissime famille Gupta. Même si les assassinats ciblés sont encore légion dans ce pays, on peut quand même voir que sur le terrain institutionnel, la liberté de parole est garantie et respectée, comme en témoignent les sévères récriminations des députés de l’EFF (Economic freedom fighters) de Julius Malema lors des sessions parlementaires en présence même du président Zuma.

Sao Tomé et Principe est aussi un modèle démocratique en Afrique. Même si ce petit pays, peu stratégique du point de vue géopolitique et économique suscite peu d’intérêt pour les observateurs et analystes internationaux, il reste que les fondamentaux de la démocratie y sont établis et valorisés. La même analyse peut être faite pour la Tanzanie.

Selon un classement de Reporters Sans Frontières (RSF) de 2014 sur la liberté de la presse, la Namibie est le seul pays d’Afrique à obtenir un score peu ou prou comparable aux pays scandinaves, en étant mieux notée (19ème  à l’échelle mondiale) que la France (37ème) et bien d’autres pays du Vieux Continent. Il est également le premier pays africain à organiser des élections présidentielles et législatives par vote électronique en Novembre 2014.

Le Botswana jouit également d’une assez bonne réputation en matière de démocratie. Ce pays organise des élections libres et transparentes de façon régulière, présente aussi un tableau plutôt reluisant en matière de bonne gouvernance et de lutte contre la corruption même si on ne peut pas ignorer les mesures coercitives et répressives prises à l’encontre de la minorité San, aussi appelée Bushmen. 

En Afrique du Nord, la Tunisie essaie de se démarquer de ses voisins. Elle s’est dotée d’une constitution progressiste et a organisé en 2014 des élections libres et transparentes. L’activisme de certaines organisations syndicales ou de la société civile telles que l’UGTT (Union générale tunisienne du travail) et la ligue des droits de l’Homme en Tunisie (LTDH) a été sans contredit d’un apport capital dans ce sursaut démocratique.

Les régimes réfractaires à l’implantation durable des principes démocratiques

À côté de ces pays-à propos desquels, faut-il le rappeler on ne prétend aucunement une quelconque exhaustivité ni situation démocratique idyllique-qui présentent un profil démocratique assez remarquable, s’opposent des pays qui restent toujours prisonniers de régimes autoritaires ou peu démocratiques. En Afrique, nombreux sont les régimes qui instaurent des démocraties « cosmétiques » ou de façade. Nombreux sont les régimes qui feignent de s’enticher des fondamentaux de la démocratie comme le multipartisme, les élections libres et transparentes, un État de droit, une loi fondamentale, alors même que la gestion de leurs pays reflète nettement un pouvoir arbitraire, autocratique et/ou corrompu, c’est selon. L’Afrique des grands lacs (Ouganda, RDC, Rwanda et Burundi) et des pays comme l’Erythrée, la Gambie, le Zimbabwe, le Soudan, Djibouti, l’Ethiopie, l’Egypte, pour ne citer que ces quelques pays parmi bien d’autres sont encore loin d’avoir atteint les standards souhaitables ou escomptés d’une démocratie, pour parler en termes euphémiques. Il est évident que la situation démocratique de ces pays n’est pas tout à fait homogène. Certains de ces pays sont dirigés par des régimes tyranniques et jusqu’au-boutistes, frontalement réfractaires aux ambitions démocratiques des populations, alors que dans d’autres, malgré des lacunes démocratiques importantes, certains principes démocratiques de base sont relativement- parfois au gré des humeurs du régime- bien promus et appliqués.

Les populations africaines et notamment la jeunesse ont ardemment soif de démocratie pour exprimer librement leurs potentialités. Elles ne veulent plus que celles-ci soient étouffées par des dérives autoritaires surannées. Récemment, on a vu comment le régime de Yahya Jammeh en Gambie a tenté d’effectuer un coup de force illégitime pour demeurer au pouvoir malgré sa défaite. Cette mégalomanie de trop n’a fort heureusement connu que le destin qu’elle méritait : un échec. L’Union africaine ainsi que les organisations subrégionales se doivent de jouer un rôle actif pour enrayer les dynamiques autoritaires. Le principe de la non-ingérence dans les affaires intérieures d’un pays, braillé à tue-tête surtout par les despotes et leurs irréductibles ne saurait résoudre ces organisations du continent à de l’attentisme pendant que des populations se voient arracher injustement leur humanité et dignité. Vivement que la démocratie africaine renaisse de ses cendres et s’engage résolument vers le progrès!

                                                                                                                                                                                       Thierry SANTIME

 

                                                                                            

 

 

 

 

 

 

 


[1] Somé, Constantin (2009, pp.31-32) : « Pluralisme socio-ethnique et démocratie : cas du Bénin ». Mémoire en vue de l’obtention d’une maîtrise en science politique à l’Université du Québec à Montréal.

 

 

 

 

 

 

[2] Classement RSF : https://rsf.org/fr/classement