Eradiquer la menace terroriste au Nigéria par la coopération régionale: nécessité et moyens d’actions

nigeria-dc-protestLa présente note d’analyse s’intéresse aux initiatives nationales et régionales de lutte contre le terrorisme au Nigéria.  Elle établit le constat selon lequel la menace terroriste incarnée par la secte Boko Haram résulte de défaillances dans la gestion par l’Etat d’une secte religieuse ayant un fort ancrage local. La secte Boko Haram est analysée comme un mouvement religieux dont les actions se sont radicalisées au fil des années en réponse aux prises de position et de décision des dirigeants locaux et fédéraux nigérians. L’internationalisation de ses attaques en Afrique de l’Ouest et du Centre justifie la détermination des États de ces sous-régions à mener des actions concertées en vue d’aboutir à son éradication.  L’auteur analyse ensuite comment « la responsabilité de protéger » pourrait fonder l’organisation de l’action défensive et offensive régionale contre Boko Haram. Lisez l’intégralité de ce Policy Brief.

La coopération internationale est-elle suffisante pour les opérations de maintien de la paix en Afrique ?

Suite et fin d’une analyse relative aux opérations de maintien de la paix en Afrique, rédigée par Mouhamadou Moustapha Mbengue  dont la première partie a été publiée il y a quelques semaines. Dans cette dernière partie, Mouhamadou aborde les raisons pour lesquelles cette collaboration demeure insuffisante.

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Les opérations de maintien de la paix en Afrique sont caractérisées par un important manque de coopération entre les différentes parties prenantes à la résolution des conflits. Entre 1997 et 2014, 14 missions de maintien de la paix ont eu lieu dans la seule République Centrafricaine provenant d’acteurs aussi variés que l’ONU, l’UA, la CEEAC, l’UE et la France. Chaque entité déploie son personnel et ses moyens logistiques sans tenir compte d’un agenda commun devant aboutir à un rétablissement durable de la paix dans le pays concerné. Dans d’autres pays, les responsabilités sont tellement imbriquées qu’une lecture claire est impossible. Ainsi en Somalie, l’AMISOM dispose d’un personnel provenant de l’UA mais rémunéré par l’ONU, ainsi que d’un support technique provenant de l’UE, de l’Ethiopie, de Djibouti, de l’Ouganda, de l’UNSOA, et d’un organisme américain (Bancroft Global Development). La multiplicité des acteurs n’aide pas à une coordination harmonieuse de cette mission, d’autant qu’en la matière, la philosophie des acteurs engagés n’est pas toujours la même. D’aucuns adoptent une position de neutralité entre les belligérants (opération de police) tandis que d’autres comme l’UA donnent des directions plus offensives à leurs opérations de maintien de la paix.

De plus, contrairement au dispositif actuel, les missions de maintien de la paix devraient être accompagnées d'une stratégie globale de résolution des conflits, qui se matérialiserait par un processus de pacification. Ce volet politique est  en effet, indispensable à un véritable rétablissement de la paix. Lorsque ce processus n’est pas mis en œuvre  (République Centrafricaine, Somalie, Soudan du Sud), il a tout simplement échoué (RDC, Soudan, Mali, Ethiopie/Erythrée). D’autre part, les troupes de ces missions sont peu préparées aux aspects civils des crises, aspects pourtant incontournables dans toute résolution de conflit. Les différentes opérations de maintien de la paix sur le continent ont très peu intégré cette dimension politique dans leur agenda. C’est pour cette raison qu’en RDC par exemple, la force onusienne n’a pu empêcher les nombreuses violations de droits humains par les FARDC (forces armées congolaises) et les nombreux crimes commis contre les populations. De même, au Soudan du Sud, l’UNAMIS n’a pu empêcher l’irruption d’une guerre civile.

Cette absence de stratégie politique s’accompagne d’une mauvaise compréhension des mandats donnés aux missions d’intervention. Cette mauvaise compréhension est due au   manque de clarté des mandats conférés. Souvent, les résolutions des Nations Unies autorisant les interventions ordonnent le maintien de la paix « par tous les moyens nécessaires ».  Les différents Etats qui participent aux missions à travers l’envoi de troupes n’ont pas toujours la même compréhension de ce terme. Si les troupes onusiennes sont généralement plus préparées à une interposition entre les acteurs du conflit (désarmement, démobilisation, réinsertion), les troupes opérant sous l’autorité de l’UA et des organisations sous-régionales tendent à adopter une posture plus offensive et guerrière. Les personnels des missions d’interventions ont une interprétation divergente  de leur mandat lorsqu’ils sont censés protéger les civils, sachant qu’ils ne peuvent protéger l’ensemble des populations sur l’ensemble du territoire d’un pays en conflit. Ces acceptions diverses de leurs responsabilités ont fait que l’Union Européenne (en RDC, en République Centrafricaine et au Tchad) et l’Union Africaine (au Darfour et en République Centrafricaine, au début des années 2000) ont rencontré des limites sur le terrain quand il fallait protéger les civils uniquement « sous menace imminente » ou « dans leur zone de déploiement », surtout lorsque dans certains pays, leur présence a été considérée comme illégitime par les belligérants voire par des Etats concernés par le conflit (comme au Burundi en 2006, en Erythrée en 2008, ou au Tchad en 2009). La mission Eufor au Tchad par exemple a été fortement remise en question par les groupes armés dénonçant une proximité gênante entre la France et le régime Tchadien considéré comme corrompu et autoritaire.  Les troupes d’intervention rencontrèrent donc d’énormes résistances de la part des groupes armés (Aqmi au Mali, Shebab en Somalie, M-23 en RDC, ou les Séléka et anti-Balaka en RCA).

Un autre exemple du manque de coordination entre les différents acteurs des opérations de maintien de la paix en Afrique est celui de la Côte d’Ivoire. Malgré les efforts fournis pour arriver à un règlement politique de la crise (Accra I/Accra II, Marcoussys et Pretoria), le conflit ivoirien a connu un enlisement tenace pendant une bonne décennie. Lorsque Henri Konan Bedié a introduit le concept d’ivoirité lors de l’élection présidentielle de 1995 pour faire barrage à son rival d’alors, l’actuel Président Alassane Ouattara, les divisions au sein de l’armée se sont amplifiées. Elles ont mené au renversement du pouvoir par une milice qui le confia au Général Robert Guei.

Sur le fondement de ce concept d'Ivoirité, Alassane Ouattara sera, en 2000, écarté des élections présidentielles organisées et qui seront alors remportées par Laurent Gbagbo. C’est donc dans un contexte de grande instabilité que les forces françaises de l’Opération Lincorn sont donc intervenues, avec notamment des violences dans l’Ouest du pays. Ni Lincorn, ni l’ECOMICI, ni la MINUCI ne parvinrent à faire respecter les accords d’Accra et de Marcoussis.

Le processus de paix se heurta à de fortes résistances du fait du non-respect de ces accords, auxquels il faut ajouter celui de Pretoria en 2005. Le Président Gbagbo ignora complètement la résolution 1721 du Conseil de Sécurité des Nations Unies. La situation sur le terrain continua à se détériorer jusqu’aux contestées élections présidentielles de 2010 qui ont acté par la force la fin du règne de Laurent GBAGBO ; ce dernier ayant refusé de reconnaître sa défaite. Les malheureux événements qui s’en suivirent, notamment une guerre civile à partir de mars 2011, illustrent encore une fois les insuffisances des différentes initiatives internationales enclenchées pour répondre à la crise ivoirienne. La présence de multiples acteurs sur le terrain n’a pas facilité une résolution rapide du conflit. Il a fallu une intervention armée des forces françaises pour arrêter le président Laurent Gbagbo et installer  Alassane Ouattara au pouvoir le 04 mai 2011.

Lors de la crise au Mali, le  principe de subsidiarité a été encore une fois mis à mal. Après avoir fait face aux résistances de la junte dirigée par le Capitaine Sanogo avec force sanctions et gel d’avoirs, la CEDEAO s’est employée à enrayer l’avancée des groupes armés du Nord. Elle a ensuite eu du mal à recevoir l’autorisation nécessaire du Conseil de sécurité de l’ONU pour déployer ses troupes, avant de devoir passer le relai à l’UA. Durant cet épisode, elle n’a pas apprécié l’appropriation de son plan d’intervention par l’UA et a considéré ce transfert d’autorité comme une « erreur de calcul stratégique »[1]. La collaboration entre ces deux acteurs, malgré une répartition des tâches[2], s’est donc mal déroulée au Mali.

Le cas libyen a achevé de montrer les énormes difficultés que rencontrent les acteurs internationaux à répondre à une crise sécuritaire sur le continent africain. L’UA, l’ONU et l’OTAN ainsi que la Ligue Arabe en sont allées chacune de leur propre compréhension de la situation. Alors que l’UA recherchait une stratégie d’intervention politique et expérimentait d’importants désaccords internes entre Etats membres, le Conseil de Sécurité de l’ONU a adopté la résolution 1970 pour faire comprendre qu’elle tenait à diriger l’intervention. L’UA a ensuite formé un Haut-Comité ad hoc chargé de se pencher sur le cas libyen, avant que l’ONU n’émette la résolution 1973 établissant une zone d’exclusion aérienne, que l’OTAN exploita. Elle entreprit des bombardements aériens qui ont permis l’avancée des rebelles en Août 2011 et l’assassinat de Khadafi. Le Conseil National de Transition qui gérait le pays rendit le pouvoir à un Congrès National élu dont la mission était de gérer la transition dans le pays. Un important manque de collaboration fut constaté entre le Conseil de Sécurité des Nations Unies et  le CPS de l’UA ; cette dernière n’ayant jamais pu accomplir les actions qu’elle souhaitait. L’interprétation de l’article 4 de l’Acte Constitutif de l’UA est l’objet de sérieuses divergences entre Etats membres, dans l’optique de réponse rapide et coordonnée aux crises[3].

La gestion des crises politiques, notamment des conflits armés, n’est pas une mince affaire. En Afrique, la présence de multiples acteurs dans les opérations de maintien de la paix a donné lieu à la création de plusieurs institutions et mécanismes de gestion des conflits. Cependant, la collaboration entre les différentes entités n’est pas encore effective et comporte de nombreuses insuffisances. Les relations entre l’ONU et l’UA notamment, et souvent entre l’UA et les organisations d’intégration sous-régionales, se heurtent  à d’importantes résistances. Il urge de trouver un dispositif institutionnel de concertation et de collaboration entre l’UA et l’ONU pour une bonne division du travail. Au moment où les deux institutions renouvellent leur exécutif respectif (Antonio Gutterres pour l’ONU et probablement Abdoulaye Bathily pour l’UA), il sera intéressant de voir dans quelle mesure ces nouvelles figures réputées pour leur expérience et leur sens de la diplomatie apporteront des solutions appropriées au criant  manque de coordination dans les opérations de maintien de la paix dans les prochaines années.

 

 


[1] CEDEAO, “The Mali After-Action Review: Report of the Internal Debriefing Exercise”, novembre 2013.  

 

[2] Le leadership politique de l’AFISMA est revenu à l’UA (avec la nomination de Pierre Buyoya) et le poste d’adjoint au Représentant spécial de la CEDEAO, le leadership militaire revenant à la CEDEAO.

 

[3] Cilliers & Handy (2013), Lessons from African Peacemaking.

 

Afrique-France : une nouvelle ère de coopération

186545137Dans un contexte économique mondial marqué par une reprise difficile, la France n’est pas épargnée et fait face à un chômage qui peine à baisser (10,5% au troisième trimestre de 2013, son plus haut niveau depuis 1997) et surtout une perte de compétitivité de ses entreprises (191 usines ont fermé sur les neuf premiers mois de 2013 selon Trendeo[1])  subissant une appréciation de l’euro par rapport au dollar et un coût du travail assez élevé. « La France doit appeler de ses vœux et soutenir la croissance africaine. C’est ainsi qu’elle fortifiera sa place en Afrique et y trouvera le relais de croissance dont elle a besoin. » peut-on lire à la page 2 du Rapport « Afrique France : un partenariat pour l’avenir » réalisé par Hubert Vedrine, ancien ministre des Affaires étrangères en France, le banquier d’affaires franco-béninois Lionel Zinsou et le dirigeant d’entreprise franco-ivoirien Tidjane Thiam à la demande du Ministre de l’économie et des finances Français. L’heure est donc à la réaction pour se relever rapidement et le salut pourrait venir de : l’Afrique !

Ce qu’on sait déjà !

Le rapport estime que « Plus de cinquante ans après les premières indépendances, les relations de la France avec l’Afrique subsaharienne ne sont pas exemptes du poids de l’histoire, et ce malgré les appels répétés au renouveau y compris au plan européen : l’opinion publique française perçoit encore assez largement l’Afrique comme le continent de la pauvreté et des guerres, et qu’il convient d’aider. L’administration française ne semble pas avoir encore pleinement intégré la transformation du continent africain »

Heureusement, d’autres pays ont constaté que l’Afrique subsaharienne dispose aujourd’hui d’une conjoncture et d’un potentiel économiques exceptionnels qui devraient faire d’elle un pôle majeur de l’économie mondiale grâce notamment à ses ressources naturelles et ses richesses minières. Si par le passé, une grande partie de l’Afrique était sa chasse gardée, la France est entrain de perdre du terrain ou du moins d’autres pays notamment la Chine, l’Inde, le Brésil ou la Turquie sont entrain de lui faire de l’ombre en Afrique. En effet, la part de marché de la France en Afrique Subsaharienne a décliné de 10,1% à 4,7% entre 2000 et 2011, alors que la part de marché de la Chine y est passée de moins de 2% en 1990 à plus de 16% en 2011, chiffrent qui résument l’ampleur du déclin.

Comment la France compte relever la pente en Afrique ?

La France qui entretient des liens forts avec l’Afrique de par son statut d’ancienne métropole, les fortes communautés africaines en France et les nombreux français résidents en Afrique, sa prépondérance dans les institutions africaine notamment la Zone Franc ou encore la BAD, ne veut pas s’avouer vaincu et compte se repositionner en Afrique. Pour ce faire, elle doit innover dans son approche et renouveler ses relations avec l’Afrique : « La France doit modifier les fondements de sa relation économique avec l’Afrique : l’État français doit mettre au cœur de sa politique économique le soutien à la relation d’affaires du secteur privé et assumer pleinement l’existence de ses intérêts sur le continent africain » comme préconisé par le rapport ainsi qu’une meilleure concertation entre l’Etat français et ses entreprises afin de mieux saisir les opportunités en Afrique en fonction des besoins africains.

Ainsi, 15 propositions ont été faites en vue de replacer la France sur le continent africain qui est au cœur d’une guerre économique où s’affrontent la France, les pays émergents (Chine, Brésil, Inde, Turquie) ainsi que les Etats-Unis et d’autres encore sous fond de ressources naturelles, minières et énergétiques mais également de recherche de débouchés. Elles se présentent comme suit :

1 – poursuivre et amplifier les mesures révisant la politique française de visas économiques afin de faciliter la circulation des acteurs économiques entre la France et l’Afrique ;

2 – relancer la formation du capital humain, la coopération universitaire et de recherche, les échanges intellectuels et les orienter vers le développement ;

3 – soutenir le financement des infrastructures en Afrique ;

4 – réduire le coût de mobilisation des capitaux privés et des primes de risques appliquées à l’Afrique ;

5 – contribuer au renforcement des capacités de financement de l’économie africaine ;

6 – augmenter les capacités d’intervention de l’union européenne en faveur de l’Afrique ;

7 – susciter des alliances industrielles franco-africaines dans des secteurs clés pour les économies française et africaine ;

8 – promouvoir l’économie responsable et l’engagement sociétal des entreprises ;

9 – accompagner l’intégration régionale de l’Afrique ;

10 – renforcer l’influence de la France en Afrique ;

11 – réinvestir au plus vite la présence économique extérieure française en Afrique ;

12 – intensifier le dialogue économique entre l’Afrique et la France ;

13 – favoriser l’investissement des entreprises françaises en Afrique ;

14 – faire de la France un espace d’accueil favorable aux investissements financiers, industriels, commerciaux et culturels africains ;

15 – créer une fondation publique-privée franco-africaine qui sera le catalyseur du renouveau de la relation économique entre la France et l’Afrique.

Ces propositions comme on peut le constater font la part belle aux intérêts français laissant penser que finalement ce serait plus un changement plus dans la forme que dans le fond.

Et l’Afrique dans tout cela ?

L’Afrique ne sera un bon partenaire pour la France dans sa quête de renouveau que si elle continue sur sa lancée actuelle. En effet, si la France est à la recherche d’un second souffle pour repartir de l’avant, l’Afrique elle, continue sa marche en avant avec des transformations économiques et sociales flagrantes même si les inégalités persistent et qu’elle doit faire face aux défis perpétuels de la lutte contre la pauvreté, de la lutte contre la corruption et de la promotion de la bonne gouvernance.

Le rapport insiste sur la formation du capital humain, les dotations en infrastructures et l’accélération de l’intégration régionale. Sur ce dernier point, il s’agira de se rapprocher du Nigeria en passant par un élargissement de la Zone CFA aux pays limitrophes notamment le Liberia, la Sierra Leone et surtout le Ghana comme moteur de cet élargissement sous fond d’échanges commerciaux et de la levée de la barrière linguistique. Et c’est seulement quand ce nouvel espace économique verra le jour que le nom de « Zone Franc » pourrait disparaitre avec une possibilité de faire flotter la monnaie par rapport à l’euro.

Un autre défi du continent, est la sécurité. Elle est primordiale pour les investisseurs et pour les réformes en cours sur le continent. La sécurité était au cœur du sommet France-Afrique qui se déroulait du 06-07 Décembre 2013, au lendemain donc de la publication du  Rapport « Afrique France : un partenariat pour l’avenir » dans un contexte marqué par une présence militaire française en Afrique notamment en Côte d’Ivoire, au Mali et plus récemment en République Centrafricaine. Car s’il y a une volonté de plus en plus affiché des deux parties de mettre fin à ce qu’on appelle « la France-Afrique », la difficulté des Africains à gérer les crises et à mettre fin aux conflits armés amène la France à jouer le rôle de gendarme pour des raisons humanitaires et surtout pour protéger ses intérêts économiques.

Après tout, « Il n’y a pas d’amitié entre les peuples. Il n’y a que des intérêts. » comme disait le Général De Gaulle. C’est sans doute lui qui était le plus lucide.

 

Koffi ZOUGBEDE


[1] Trendeo : Observatoire de l’emploi et de l’investissement

 

 

 

La société civile par-delà les frontières : Entretien avec Momar Talla Kane

Entretien avec Momar Talla Kane, Ancien Président du REPAOC (2009 – 2010) Ancien Président du CONGAD (Conseil des ONG d’appui au développement, la plateforme nationale des ONG sénégalaises) et à ce titre, du REPAOC (Réseau des Plateformes nationales d’ONG d’Afrique de l’Ouest et du Centre), il a participé à plusieurs cadres de réflexion sur les politiques de développement en y portant la voix des ONG africaines. C’est de cette expérience dont il témoigne ici.


Quelles sont les missions des ONG, selon vous ?

Talla KaneAu fondement des ONG réside une mission, celle de participer aux efforts des populations et des citoyens à se prendre en charge dans la perspective d’une vie meilleure où les droits de chacune et chacun sont respectés. Les ONG ne sauraient se substituer aux populations, mais travaillent au renforcement de leurs capacités : elles les accompagnent, les appuient à concevoir et réaliser leur développement économique, politique, social et culturel. A cet effet, les ONG cherchent à influer sur les politiques publiques aux plans local, national et international pour la prise en charge effective des préoccupations des populations.
 

Que doivent-elles faire pour y arriver?

Elles doivent se constituer en acteurs majeurs dans l’élaboration, la mise en œuvre et l’évaluation de ces politiques. Elles doivent contribuer à l’approfondissement de la démocratie, de l’Etat de droit et des droits humains. Elles ont l’obligation de veiller à l’efficacité des politiques publiques pour le développement mais aussi à l’efficience de leur propre intervention auprès des populations, des Etats et de tout autre partenaire. Aussi doivent-elles chercher à établir un partenariat véritable avec tous les acteurs dans la seule perspective d’un développement harmonieux et durable de nos pays respectifs pour un monde juste et meilleur. C’est ainsi, en respectant ces obligations, que les ONG porteront haut la Voix Non-gouvernementale.

Comment appréciez-vous la collaboration entre ONG africaines et européennes ?

Ensemble, les ONG africaines et les ONG européennes contribuent fortement à la cohérence des politiques en faveur du développement, et ce au travers d’une collaboration multiforme. En particulier, la participation à deux Assemblées Générales de CONCORD qui ont porté entre autres sur la cohérence des politiques de l’Union européenne a été l’occasion d’un fort plaidoyer auprès du Parlement européen, en liaison avec les ONG européennes et CONCORD. Elles y ont porté ensemble les préoccupations des ONG africaines. Ces nombreux efforts de CONCORD en faveur de la cohérence des politiques de l’Union européenne doivent être poursuivis pour arriver à une large efficacité des politiques de coopération, d’aide et de développement.

Poursuivis, de quelle façon?

Cela implique d'influer sur la conception et la mise en œuvre des politiques de coopération multilatérale et bilatérale est également un domaine important de la collaboration entre les ONG des deux continents. Elles ont pu, ensemble, participer au débat public international dans une interaction avec les autorités gouvernementales qui conduisent les négociations internationales. C'est d’ailleurs de cette collaboration, impliquant aussi les ONG des autres continents, qu’est né le Forum International des Plateformes Nationales d’ONG (FIP), un cadre idéal de dimension planétaire qui cherche à influer sur la gouvernance mondiale tout en renforçant les capacités de ses membres, donc des ONG. Cette plateforme des plateformes d’ONG défend essentiellement les préoccupations des ONG au niveau des instances internationales, mais aussi au niveau national. Il est un cadre légitime et représentatif dans lequel les ONG forgent des positions communes, partagées pour assumer et assurer leur ambition de prendre en charge les préoccupations des populations et des citoyens, dans toutes les décisions et politiques publiques les concernant.

Au-delà des ambitions, qu'a pu réaliser le FIP concrètement?

Ces deux dernières années (2010-2012) le FIP s’est efforcé de matérialiser ces objectifs à travers des exercices de diplomatie non gouvernementale dans des thématiques aussi porteuses d’enjeux que le changement climatique, l’aide publique et le financement du développement, la prévention des conflits, la lutte contre les inégalités sociales et l’exclusion, la régulation des marchés agricoles, l’accès à l’eau, l’assainissement et l’environnement favorable. Des rencontres du Groupe de Facilitation de l’époque avec les responsables des institutions internationales (Banque mondiale, Système des Nations Unies, UE, gouvernements, fondations…etc.) ont été bel et bien décisives. En outre, la mise en place du Partenariat mondial pour l’efficacité de la coopération au développement, lors du Quatrième Forum de haut niveau de Busan en Corée du Sud du 29 novembre au 1er décembre 2011, a été très bénéfique puisqu’elle a officiellement reconnu le rôle des Organisations de la Société Civile dans le développement. Cette reconnaissance a été l’aboutissement de plusieurs initiatives, en particulier l’Open Forum : un processus ouvert par lequel le FIP, avec de nombreuses ONG, a eu l’opportunité de contribuer à ce Partenariat mondial

La présence des ONG africaines sur la scène internationale est-elle effective ?

La voix des ONG africaines a été souvent portée dans beaucoup de foras mondiaux. Pour les OMD par exemple, lors du Haut Forum à New York, les ONG africaines se sont véritablement exprimées et cela se poursuit pour le Cadre de développement mondial pour l’Après OMD. Au sommet du G20 à Cannes en 2011 à travers le FIP, au sommet mondial de l’eau à Marseille en 2012, au Forum Social Mondial de Dakar et tant d’autres occasions nous avons contribué à porter haut la voix non gouvernementale. Sans aucun doute, les ONG africaines forgent leurs positions et les défendent partout à travers le monde, dans les rencontres internationales.

Paradoxalement, beaucoup de pays en développement n’atteindront certainement pas les Objectifs du Millénaire pour le Développement en 2015. Un pays comme le Sénégal aura pourtant fait beaucoup d’efforts en matière d’éducation, de lutte contre des maladies comme le paludisme et le Sida, qui ont été sensiblement réduites à travers le pays. Il y a eu également des avancées notoires en matière de droits des femmes, notamment avec l’adoption d’une loi instaurant la parité au sein des instances électives du pays. La lutte contre les violences faites aux femmes s’est aussi intensifiée ; les progrès sont donc réels, même s’ils restent insuffisants au regard des objectifs premiers.

Comment sortir de cette impasse?

Il faudra éviter le piège consistant à vouloir appliquer à tous une approche uniforme, et au contraire accorder plus d’attention à la souveraineté des Etats dans la conception des programmes de développement. En effet, il ne peut y avoir de solution préfabriquée pour les pays du Sud, mais c’est à leurs citoyens, leurs ONG et leurs gouvernements qu’il revient d’apporter des réponses endogènes durables.