La coopération internationale est-elle suffisante pour les opérations de maintien de la paix en Afrique ?

Suite et fin d’une analyse relative aux opérations de maintien de la paix en Afrique, rédigée par Mouhamadou Moustapha Mbengue  dont la première partie a été publiée il y a quelques semaines. Dans cette dernière partie, Mouhamadou aborde les raisons pour lesquelles cette collaboration demeure insuffisante.

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Les opérations de maintien de la paix en Afrique sont caractérisées par un important manque de coopération entre les différentes parties prenantes à la résolution des conflits. Entre 1997 et 2014, 14 missions de maintien de la paix ont eu lieu dans la seule République Centrafricaine provenant d’acteurs aussi variés que l’ONU, l’UA, la CEEAC, l’UE et la France. Chaque entité déploie son personnel et ses moyens logistiques sans tenir compte d’un agenda commun devant aboutir à un rétablissement durable de la paix dans le pays concerné. Dans d’autres pays, les responsabilités sont tellement imbriquées qu’une lecture claire est impossible. Ainsi en Somalie, l’AMISOM dispose d’un personnel provenant de l’UA mais rémunéré par l’ONU, ainsi que d’un support technique provenant de l’UE, de l’Ethiopie, de Djibouti, de l’Ouganda, de l’UNSOA, et d’un organisme américain (Bancroft Global Development). La multiplicité des acteurs n’aide pas à une coordination harmonieuse de cette mission, d’autant qu’en la matière, la philosophie des acteurs engagés n’est pas toujours la même. D’aucuns adoptent une position de neutralité entre les belligérants (opération de police) tandis que d’autres comme l’UA donnent des directions plus offensives à leurs opérations de maintien de la paix.

De plus, contrairement au dispositif actuel, les missions de maintien de la paix devraient être accompagnées d'une stratégie globale de résolution des conflits, qui se matérialiserait par un processus de pacification. Ce volet politique est  en effet, indispensable à un véritable rétablissement de la paix. Lorsque ce processus n’est pas mis en œuvre  (République Centrafricaine, Somalie, Soudan du Sud), il a tout simplement échoué (RDC, Soudan, Mali, Ethiopie/Erythrée). D’autre part, les troupes de ces missions sont peu préparées aux aspects civils des crises, aspects pourtant incontournables dans toute résolution de conflit. Les différentes opérations de maintien de la paix sur le continent ont très peu intégré cette dimension politique dans leur agenda. C’est pour cette raison qu’en RDC par exemple, la force onusienne n’a pu empêcher les nombreuses violations de droits humains par les FARDC (forces armées congolaises) et les nombreux crimes commis contre les populations. De même, au Soudan du Sud, l’UNAMIS n’a pu empêcher l’irruption d’une guerre civile.

Cette absence de stratégie politique s’accompagne d’une mauvaise compréhension des mandats donnés aux missions d’intervention. Cette mauvaise compréhension est due au   manque de clarté des mandats conférés. Souvent, les résolutions des Nations Unies autorisant les interventions ordonnent le maintien de la paix « par tous les moyens nécessaires ».  Les différents Etats qui participent aux missions à travers l’envoi de troupes n’ont pas toujours la même compréhension de ce terme. Si les troupes onusiennes sont généralement plus préparées à une interposition entre les acteurs du conflit (désarmement, démobilisation, réinsertion), les troupes opérant sous l’autorité de l’UA et des organisations sous-régionales tendent à adopter une posture plus offensive et guerrière. Les personnels des missions d’interventions ont une interprétation divergente  de leur mandat lorsqu’ils sont censés protéger les civils, sachant qu’ils ne peuvent protéger l’ensemble des populations sur l’ensemble du territoire d’un pays en conflit. Ces acceptions diverses de leurs responsabilités ont fait que l’Union Européenne (en RDC, en République Centrafricaine et au Tchad) et l’Union Africaine (au Darfour et en République Centrafricaine, au début des années 2000) ont rencontré des limites sur le terrain quand il fallait protéger les civils uniquement « sous menace imminente » ou « dans leur zone de déploiement », surtout lorsque dans certains pays, leur présence a été considérée comme illégitime par les belligérants voire par des Etats concernés par le conflit (comme au Burundi en 2006, en Erythrée en 2008, ou au Tchad en 2009). La mission Eufor au Tchad par exemple a été fortement remise en question par les groupes armés dénonçant une proximité gênante entre la France et le régime Tchadien considéré comme corrompu et autoritaire.  Les troupes d’intervention rencontrèrent donc d’énormes résistances de la part des groupes armés (Aqmi au Mali, Shebab en Somalie, M-23 en RDC, ou les Séléka et anti-Balaka en RCA).

Un autre exemple du manque de coordination entre les différents acteurs des opérations de maintien de la paix en Afrique est celui de la Côte d’Ivoire. Malgré les efforts fournis pour arriver à un règlement politique de la crise (Accra I/Accra II, Marcoussys et Pretoria), le conflit ivoirien a connu un enlisement tenace pendant une bonne décennie. Lorsque Henri Konan Bedié a introduit le concept d’ivoirité lors de l’élection présidentielle de 1995 pour faire barrage à son rival d’alors, l’actuel Président Alassane Ouattara, les divisions au sein de l’armée se sont amplifiées. Elles ont mené au renversement du pouvoir par une milice qui le confia au Général Robert Guei.

Sur le fondement de ce concept d'Ivoirité, Alassane Ouattara sera, en 2000, écarté des élections présidentielles organisées et qui seront alors remportées par Laurent Gbagbo. C’est donc dans un contexte de grande instabilité que les forces françaises de l’Opération Lincorn sont donc intervenues, avec notamment des violences dans l’Ouest du pays. Ni Lincorn, ni l’ECOMICI, ni la MINUCI ne parvinrent à faire respecter les accords d’Accra et de Marcoussis.

Le processus de paix se heurta à de fortes résistances du fait du non-respect de ces accords, auxquels il faut ajouter celui de Pretoria en 2005. Le Président Gbagbo ignora complètement la résolution 1721 du Conseil de Sécurité des Nations Unies. La situation sur le terrain continua à se détériorer jusqu’aux contestées élections présidentielles de 2010 qui ont acté par la force la fin du règne de Laurent GBAGBO ; ce dernier ayant refusé de reconnaître sa défaite. Les malheureux événements qui s’en suivirent, notamment une guerre civile à partir de mars 2011, illustrent encore une fois les insuffisances des différentes initiatives internationales enclenchées pour répondre à la crise ivoirienne. La présence de multiples acteurs sur le terrain n’a pas facilité une résolution rapide du conflit. Il a fallu une intervention armée des forces françaises pour arrêter le président Laurent Gbagbo et installer  Alassane Ouattara au pouvoir le 04 mai 2011.

Lors de la crise au Mali, le  principe de subsidiarité a été encore une fois mis à mal. Après avoir fait face aux résistances de la junte dirigée par le Capitaine Sanogo avec force sanctions et gel d’avoirs, la CEDEAO s’est employée à enrayer l’avancée des groupes armés du Nord. Elle a ensuite eu du mal à recevoir l’autorisation nécessaire du Conseil de sécurité de l’ONU pour déployer ses troupes, avant de devoir passer le relai à l’UA. Durant cet épisode, elle n’a pas apprécié l’appropriation de son plan d’intervention par l’UA et a considéré ce transfert d’autorité comme une « erreur de calcul stratégique »[1]. La collaboration entre ces deux acteurs, malgré une répartition des tâches[2], s’est donc mal déroulée au Mali.

Le cas libyen a achevé de montrer les énormes difficultés que rencontrent les acteurs internationaux à répondre à une crise sécuritaire sur le continent africain. L’UA, l’ONU et l’OTAN ainsi que la Ligue Arabe en sont allées chacune de leur propre compréhension de la situation. Alors que l’UA recherchait une stratégie d’intervention politique et expérimentait d’importants désaccords internes entre Etats membres, le Conseil de Sécurité de l’ONU a adopté la résolution 1970 pour faire comprendre qu’elle tenait à diriger l’intervention. L’UA a ensuite formé un Haut-Comité ad hoc chargé de se pencher sur le cas libyen, avant que l’ONU n’émette la résolution 1973 établissant une zone d’exclusion aérienne, que l’OTAN exploita. Elle entreprit des bombardements aériens qui ont permis l’avancée des rebelles en Août 2011 et l’assassinat de Khadafi. Le Conseil National de Transition qui gérait le pays rendit le pouvoir à un Congrès National élu dont la mission était de gérer la transition dans le pays. Un important manque de collaboration fut constaté entre le Conseil de Sécurité des Nations Unies et  le CPS de l’UA ; cette dernière n’ayant jamais pu accomplir les actions qu’elle souhaitait. L’interprétation de l’article 4 de l’Acte Constitutif de l’UA est l’objet de sérieuses divergences entre Etats membres, dans l’optique de réponse rapide et coordonnée aux crises[3].

La gestion des crises politiques, notamment des conflits armés, n’est pas une mince affaire. En Afrique, la présence de multiples acteurs dans les opérations de maintien de la paix a donné lieu à la création de plusieurs institutions et mécanismes de gestion des conflits. Cependant, la collaboration entre les différentes entités n’est pas encore effective et comporte de nombreuses insuffisances. Les relations entre l’ONU et l’UA notamment, et souvent entre l’UA et les organisations d’intégration sous-régionales, se heurtent  à d’importantes résistances. Il urge de trouver un dispositif institutionnel de concertation et de collaboration entre l’UA et l’ONU pour une bonne division du travail. Au moment où les deux institutions renouvellent leur exécutif respectif (Antonio Gutterres pour l’ONU et probablement Abdoulaye Bathily pour l’UA), il sera intéressant de voir dans quelle mesure ces nouvelles figures réputées pour leur expérience et leur sens de la diplomatie apporteront des solutions appropriées au criant  manque de coordination dans les opérations de maintien de la paix dans les prochaines années.

 

 


[1] CEDEAO, “The Mali After-Action Review: Report of the Internal Debriefing Exercise”, novembre 2013.  

 

[2] Le leadership politique de l’AFISMA est revenu à l’UA (avec la nomination de Pierre Buyoya) et le poste d’adjoint au Représentant spécial de la CEDEAO, le leadership militaire revenant à la CEDEAO.

 

[3] Cilliers & Handy (2013), Lessons from African Peacemaking.

 

La coopération internationale est-elle suffisante pour les opérations de maintien de la paix en Afrique ?

maintien-de-la-paixL’Afrique et les opérations de maintien de la paix ont une longue histoire à narrer. Si, sur l’échiquier mondial, un total de 175 opérations de maintien de la paix peut être dénombré, le continent africain compte à lui seul plus de 90 opérations de ce type entre 1947 et 2013[1].

Ces opérations déployées sous la coupe d’organisations internationales telles que l’ONU, l’Union Africaine (UA) et l’Union Européenne (entre autres missions menées par des organisations sous-régionales ou de simples Etats) se heurtent à plusieurs difficultés de mise en œuvre.

Ce sont des opérations qui se déroulent généralement sur des territoires dont la situation sécuritaire est souvent complexe et où la recherche de la paix n’est pas aisée.  La trentaine de pays africains[2] ayant connu ce type d’opérations – après environ 50 conflits qui ont eu lieu sur le continent depuis 1955 – ont témoigné de résistances considérables sur le terrain. A ces difficultés initiales, s’est ajouté un manque notoire de coordination et de gestion harmonieuse entre les entités qui ont déployé des missions de maintien de la paix (ONU, UA, UE, Organisations régionales).

Du point de vue du droit international, les interventions armées ne peuvent avoir lieu que dans le cadre du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies, du moins pour les pays signataires.  De ce fait, elles interviennent soit sous la bannière des Nations Unies, soit sous son autorité, soit sous sa permission. Parallèlement, l’Union Africaine et les Organisations de coopération sous-régionales[3] se sont dotées de mécanismes et de documents stratégiques de maintien de la paix ou de recherche de la stabilité. Ces dispositifs juridiques, alliés aux organes institutionnels[4] n’ont pas favorisé un niveau de réactivité acceptable face aux défis sécuritaires engendrés par les conflits de plus en plus multiformes et imprévisibles.  

La situation du Mali durant l’offensive des rebelles de l’AZAWAD et des Islamistes suite au coup d’Etat en 2012 est une illustration récente de l’échec desdits dispositifs.  Malgré la formation de l’AFISMA, – dont l’objectif était d’endiguer l’avancée des rebelles dans le nord du pays et des islamistes vers Bamako, – les forces non loyalistes n’ont eu aucun mal à gagner jour après jour les territoires désertées par l’armée loyaliste. Il a fallu le déclenchement de l’opération française Serval pour neutraliser les différents groupes armés qui ont mis l’Etat à terre, avant la création de la MINUSMA. Cette absence de réactivité – malgré l’existence de la Force Africaine en Attente, un Système continental d’alerte précoce et une Capacité de déploiement rapide – des organes et mécanismes institutionnels de maintien de la paix montre l’urgence pour l’Afrique et ses partenaires de se doter d’outils de coopération cohérents, rapides et coordonnés pour faire face à des situations sécuritaires de plus en plus complexes dans des pays en construction.

Des efforts soutenus dans la résolution des conflits et la recherche de la paix en Afrique

On remarque cependant que les pays africains, l’UA et leurs partenaires (ONU, UE, France, Royaume-Uni, OTAN) ont déployé des efforts considérables en faveur de la résolution des conflits sur le continent[5], contrairement à la pratique de l’OUA (Organisation de l’Unité Africaine), qui consistait à s’impliquer le moins possible dans les affaires internes des Etats, en application du principe de non-ingérence. Ce volontarisme remarqué, a permis de mettre en place des opérations telles que, UNAMID au Soudan, MISCA/MINUSCA en Centrafrique, AMISOM en Somalie, ECOMICI/MINUCI en Côte d’Ivoire, AFISMA/MINUSMA au Mali ainsi qu’AMIB au Burundi.

Sur la scène continentale, L’UA et les organisations régionales se sont également dotées de mécanismes juridiques et institutionnels destinés à répondre efficacement aux conflits. Le Conseil de Paix et de Sécurité de l’UA (CPS), , la Capacité africaine de déploiement rapide de la Force Africaine en Attente, la Capacité Africaine de réponse immédiate aux crises (CARIC) ou encore le Mécanisme de gestion, de prévention et de résolution des conflits de la CEDEAO, et l’Architecture de Paix et de Sécurité dont s’est doté le COPAX (Conseil Paix et Sécurité de l’Afrique Centrale) de la CEEAC, sont autant d’indicateurs de la volonté des Etats de répondre aux crises sécuritaires qui surviennent sur le continent. Depuis 2008, l’UA a signé un Protocole d’Accord sur la coopération pour la paix et la sécurité avec les organisations d’intégration africaines qui s’appuie sur le principe de subsidiarité pour opérer une division du travail entre acteurs internationaux. Dans plusieurs foyers de tension, l’UA a su faire prévaloir un avantage comparatif certain dans le cadre de la réponse aux conflits. C’est le cas avec l’AMIS en 2004, l’AFISMA en 2012 et la MISCA en 2013. La CEDEAO avec l’ECOMOG, avait par le passé démontré sa volonté d’intervenir dans les pays membres secoués par des conflits, comme ce fut le cas notamment au Libéria et en Sierra Leone, dans les années 1990.

Lorsqu’elles ne s’éternisaient pas comme en Somalie (AMISOM), les missions de maintien de la paix de l’UA préparent le terrain à celles de l’ONU, après qu’une relative stabilité ait été atteinte[6].  L’Union Africaine a ainsi gagné en expertise dans le cadre des missions de stabilisation ; le respect des accords de cessez-le-feu étant de l’apanage de l’ONU. La doctrine de l’organisation continentale se révèle donc plus offensive que celle des Nations-Unies. L’UA a également développé des partenariats à l’instar de l’Accord-cadre pour un Partenariat renforcé pour la paix et la sécurité signé avec l’ONU en 2014.  Le dialogue s’est accru entre le Conseil de sécurité de l’ONU et celui de l’UA en ce qui concerne les zones de conflit (Le Mali est un bon exemple). La présence d’un Représentant spécial du Secrétaire Général de l’ONU au siège de l’UA en Ethiopie témoigne de ce besoin de coordonner les actions. Cette collaboration s’est illustrée lors de la transition entre différentes missions en Centrafrique, où la MINUSMA (ONU) a remplacé la MISCA (UA), elle-même ayant pris le relai de la MICOPAX (EEAC) dans de bonnes conditions de coopération.

Cependant, dans des environnements sécuritaires difficiles, des insuffisances sérieuses sont nées dans la mise en œuvre des opérations de maintien de la paix par les différents acteurs. Ces insuffisances tiennent principalement au manque de collaboration, de coopération, et de division du travail entre les parties prenantes. Une étude approfondie sera consacrée à ce fait dans une seconde partie.

                                                                                                                             

                                                                                                                                                                                        Mouhamadou Moustapha Mbengue

Article mis en ligne le 10 novembre 2016


[1] Paul D. Williams, Peace Operations in Africa. Patterns, Problems and Prospects. George Washington University.

 

[2] Afrique du Sud, Angola, Burkina-Faso, Burundi, Comores, Côte d’Ivoire, Egypte, Erythrée, Ethiopie, Guinée, Guinée-Bissau, Libéria, Libye, Mali, Maroc/Sahara Occidental, Mozambique, Namibie, Nigéria, Ouganda, République Centrafricaine, République Démocratique du Congo, Rwanda, Sierra Leone, Somalie, Soudan/Soudan du Sud, Tanzanie, Tchad, Zimbabwe. 

 

[3] La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ; la Communauté économique des États d’Afrique centrale (CEEAC) ; la Communauté des États sahélo-sahariens (CENSAD) ; le Marché commun pour l’Afrique australe et orientale (COMESA) ; la Communauté est-africaine (EAC) ; l’Autorité inter-gouvernementale pour le développement (IGAD) ; la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC) ; et l’Union du Maghreb arabe (UMA).  

 

[4] tels que la Commission Paix et Sécurité de l’UA, le Conseil de Sécurité de l’ONU, le Mécanisme de prévention, de gestion et de résolution des conflits de l’UA ou encore l’Architecture Africaine de Paix et de Sécurité,

 

[5] Plus de 40 000 troupes ont été envoyées par les Etats dans les opérations de maintien de la paix, hors Soudan.

 

[6] NUPI (2015), Options stratégiques pour l’avenir des opérations de paix africaines, 2015-2025.

 

L’OTAN emporte le vent… de la Révolte

Le vent de la Révolte souffle sur le monde depuis février et le trouble ivoirien jusqu’à la mort de Kadhafi le 20 octobre dernier, en passant par les révolutions égyptiennes et tunisiennes. Rien de tout cela n’aurait pu se faire sans l’OTAN. Mais, le 23 octobre la Charia a été proclamée en Libye et un parti islamiste arrive en tête des élections tunisiennes. Quel regard doit-on alors avoir sur l’action de l’Otan ?
 
L’OTAN a deux visages. D'un côté, ceux des ivoiriens en mesure de voter, eux qui étaient privés d’élections depuis 2000 ou des des foules en liesses de la place Tahrir ou de Benghazi. Et de l’autre, Celui d’un Laurent Gbagbo, humilié en compagnie de sa femme en pleurs, devant les télévisions du monde entier. Ou encore, celui d’un Mouammar Kadhafi vulgairement lynché sur le capot d’une jeep, du côté de Syrte. C’est de ce second visage de l’OTAN dont il sera question, dans cet article.
 
L’OTAN a incontestablement aidé ces différents pays à se libérer de leurs « dictateurs » respectifs. Mais qu’en est-il à présent ? Le 23 octobre dernier, soit moins de 72 heures après la mort du Colonel Kadhafi, Mustafa Abdul-Jalil, président du Conseil National de Transition (CNT), a proclamé l’instauration de la Charia en Libye. Le lendemain, en Tunisie, c’est le parti islamiste Ennahda –certes modéré- qui remporte les élections.
 
L’OTAN est-elle légitime ?
 
Ces événements très récents tendent à prouver une chose pourtant évidente : la démocratie n’est pas un produit d’exportation. Il serait utopique de croire que la simple disparition d’un « dictateur » puisse entraîner un pays dans un processus de démocratisation. Pire, l’action des forces de l’OTAN a provoqué des troubles susceptibles de propulser les pays concernés dans le chaos. Opposition entre les Forces Nouvelles et l’armée régulière en Côte-d’Ivoire. Guerre civile en Libye.
 
Les réponses exogènes à un problème endogène ne semblent pas être des solutions sur le long terme comme le prouvent les guerres d’Irak et d’Afghanistan. Il paraît incongru de décider pour un peuple du moment où il doit être libéré. La question soulevée ici est celle de la souveraineté nationale. Fallait-il le concours de l’OTAN pour que Libyens et Ivoiriens se débarrassent de leurs dirigeants ? Seront-ils en mesure de mener le processus démocratique à son terme sans aide extérieure ?  Il n’est en aucun cas question de remettre en cause la disparition des dictateurs, mais comme le dit un jeune Libyen après la déclaration d’Abdul-Jalil : « Nous n’avons pas vaincu Goliath pour vivre maintenant sous l’Inquisition. » (source : LeProgrès.fr  )La souveraineté du peuple par le peuple, pour le peuple, réside avant tout dans sa capacité à relever, seul, les défis qui lui sont posés.
 
La contestation de l’action de l’OTAN est motivée également par sa légitimité, qu’il est intéressant de remettre ici  en cause.
L’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord est née le 4 avril 1949 dans un contexte de Guerre froide. Réponse à la doctrine Jdanov (1947) et au coup de Prague (1948), l’organisation politico-militaire cherchait avant tout à protéger son territoire (bloc de l’Ouest) contre d’éventuelles attaques du bloc soviétique. L’OTAN est donc initialement un organe de défense. Défense du territoire. Défense des valeurs véhiculées par le bloc occidental : libertés individuelles, démocratie, libéralisme économique. Peu à peu, l’OTAN va se substituer, en partie, à l’ONU dans la défense de la paix dans le monde. Aujourd’hui l’OTAN semble être une organisation toute puissante, faisant la pluie et le beau temps sur tel ou tel Etat, décidant unilatéralement du devenir des peuples.
 
 
La révolte ne devient révolution positive qu’à la condition que le nouveau régime, une fois installé, s’avère meilleur que le précédent. S’il est bien sûr trop tôt pour tirer des conclusions sur les changements qui s’opèrent en ce moment, on peut affirmer que l’OTAN a volé à ces peuples leurs révolutions. L’OTAN a emporté avec elle le vent de la révolte, pour des raisons bien éloignées de celles qu’elle prétend défendre.
Face à cela, la même question que pour les autres organisations internationales, se pose : à qui l’OTAN doit-elle rendre des comptes ?
 
Giovanni C. DJOSSOU
 
Sources :
·         http://www.nato.int
·         http://www.leprogres.fr

Vie(s) et mort du Colonel Khadafi

L’étonnante vague de sympathie que le Colonel Khadafi a réussi à créer en sa faveur, au cours des deux dernières décennies de son règne rend, pour certains, impossible d’évoquer sa fin sans immédiatement se raccrocher à leur sempiternel prêt-à-penser : l’anti-impérialisme. Qu’on ne s’y méprenne pas : ce n’est pas un anti-impérialiste que le CNT libyen a exécuté (nous reviendrons sur ce point) hier, c’est avant tout un dictateur fou, brutal et sanguinaire à la Amin Dada. Et ses excentricités ne doivent pas voiler la nature violente de son régime.
 
Derrière les insanités contenues dans son « Livre Vert »[1], les titres grandiloquents (« roi des rois et chefs traditionnels d’Afrique »), les amazones, la tente bédouine, ses travers de pétomane, derrière tout ça, il y avait un homme impitoyable avec ses adversaires et d’une brutalité inimaginable.
 
Comment croquer une personnalité aussi… multiple. Dans le même homme, il y avait :
 
le Khadafi des attentats de Lockerbie et le Khadafi qui soutint Mandela (un des petits-fils Mandela se prénomme… Khadafi) ; Khadafi, l’anticolonialiste, le nationaliste qui ferma les bases anglaises et françaises en Libye et Khadafi l’oppresseur des Libyens qui ordonna l’exécution de 1270 prisonniers politiques en 1996 ; Khadafi le héraut de l’unité africaine  et Khadafi le financier, le formateur des rébellions sierra-léonaises et libériennes ;
 
Khadafi l’Africain qui apportait 15% du budget de l’UA, payait les parts des pays les plus pauvres et Khadafi l’ami de Dada et de Mugabe, Khadafi qui giflait son ministre des Affaires étrangères en pleine réunion de l’Union ; Khadafi précurseur de Chavez et de ses mallettes de pétrodollars et Khadafi des 30% de chômeurs ; Khadafi le « théoricien social » et le Khadafi de la corruption, de la fin des libertés publiques, de la suppression de la représentation nationale ; 
 
Khadafi le « Guide » et Khadafi des femmes, Khadafi le violeur, Khadafi le tortionnaire des infirmières bulgares ; Khadafi le Père aimant et Khadafi le Patriarche cruel qui promettait de « nettoyer » les rebelles « ville par ville, rue par rue, cour par cour, jusqu’au dernier » ; Khadafi l’intraitable et Khadafi le fou. La tragi-comédie aura duré quarante-deux ans.
 
Les conditions de son décès sont ce qu’elles sont. Les sources divergent et se contredisent, mais un fait est établi : Khadafi a voulu se rendre, il a d’abord été blessé, dans le cafouillage qui a suivi, il semblerait qu’on ait pensé le conduire à l’hôpital puis que les rebelles se soient ravisés (ou aient affronté – c’est improbable – une attaque des dernières forces Khadafistes), l’aient descendu du pick-up et exécuté d’une nouvelle rafale avant de livrer un instant sa dépouille aux vandales, au milieu d’ « Allah Akbar » assourdissants. Tout cela dans une vision d’horreur : un homme en sang, agité presque dément et hurlant des phrases incompréhensibles qu’on tire d’une voiture puis qu’on abat et dont on martyrise la dépouille. Chacun se fera son opinion – certains considèreront qu'on ne bat pas un moribond et qu'on n'exécute pas un chef d'Etat…
 
Le CNT rétropédale aujourd’hui et annonce un enterrement discret, à l’abri des regards. C’est une sortie sordide. Et bouffonne. Elle arrange tout le monde (sauf les victimes) : les adversaires d’antan, les camarades de l’anti-impérialisme, les anciens griots du Khadafisme servant aujourd’hui le CNT et même les partisans de la dé-pariahisation.
 
La Guerre en Libye est « terminée » selon Alain Juppé, le ministre Français des Affaires Étrangères (déclaration assez irréelle sur Twitter sans consultation de l’OTAN). Les premières villes « soulevées » réclament aujourd’hui leur part, après le « parti des fusillés » en France, la Libye nous offre celui des « soulevés ». Une longue période grise s’annonce pour la Libye qui devra se reconstruire. Une plus lourde période de réflexion s’ouvre pour l’Union Africaine qui perd son Parrain et s’est ridiculisée tout au long du printemps Arabe. Une Union Africaine qui ne s’est toujours pas prononcée sur la mort du colonel…
 
Joël Té-Léssia

 


[1] Un de mes professeurs de relations internationales, en Colombie, nous conseillait très sérieusement de lire ce « livre » qui contenait des idées révolutionnaires. Je ne le nommerai pas ici, mais la liste est longue des cocus du khadafisme.