L’état de l’intégration régionale : De criantes disparités entre l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique Centrale

Les théories économiques classiques nous informent que l’ouverture des pays aux échanges régionaux et internationaux permet une réduction des coûts de transaction et de production. Cette tendance à s’ouvrir aux marchés ne se fait cependant pas sans heurts. Elle est en défaveur des pays les plus pauvres et marginalisés. En ce sens, l’intégration régionale peut être vue comme une tentative coordonnée de lutte contre les chocs aussi bien endogènes qu’exogènes et asymétriques.  

Sur le plan politique, les défenseurs de l’intégration régionale soutiennent que celle-ci permet de créer une dynamique d’ensemble, favorable à la cohésion, à la paix et à la sécurité de la région.

 

Dans un environnement coopératif et libre-échangiste grandissant, l’Afrique n’a pas voulu être à la traîne. C’est ainsi que dès 1963, l’OUA, ancêtre de l’UA a été créée. À la suite de cette organisation panafricaine, diverses organisations subrégionales ont été mises en place pour renforcer et dynamiser la coopération intra régionale.

Dans cette analyse, nous nous intéressons à l’intégration sur les plans politique et économique en Afrique Centrale sous le leadership de la CEEAC (et la CEMAC)[1] et en Afrique de l’Ouest en ayant comme point de repère la CEDEAO (et l’UEMOA)[2].

Afrique centrale : un espace sous-intégré

L’intégration en Afrique Centrale se heurte encore à des résistances nationales. La liberté de circulation bien qu'existant dans les textes fondateurs de la zone CEEAC n'a jamais  été véritablement mise en oeuvre. Une situation assez surprenante puisqu’au sein de la CEDEAO les efforts sont mis en œuvre pour rendre effectif cette liberté de circulation; condition importante pour un véritable décollage des économies de ces sous régions. A titre illustratif, un gabonais souhaitant se rendre au Cameroun voisin peut encore faire face à des lourdeurs procédurières et consulaires.  Le projet de mise en œuvre d’un « passeport communautaire » est restée sans suite; la faute à un manque de volonté des décideurs politiques de la sous-région.

L’initiative de création d’une compagnie aérienne de la sous-région lancée par la CEMAC a également fait faux bond, les principaux protagonistes décidant de faire marche arrière en mettant fin au projet en 2015. Il faut dire que ce fiasco a été lourd de dommages financiers. En effet,  Air Cemac qui n’a pas effectué le moindre vol avait un siège à Brazzaville ainsi qu’un personnel dirigeant et un conseil d’administration et de ce fait, cette compagnie a dû débourser des frais non-négligeables pour son fonctionnement au quotidien.

L’existence de deux marchés boursiers concurrents n’est pas non plus un facteur d’intégration régionale: il existe en effet la BVMAC siègeant à Libreville et la DSX de Douala alors même que le Gabon et le Cameroun sont tous deux membres de la CEMAC. Il va sans dire que cette situation n’est guère de nature à favoriser l’éclosion d’un marché financier résilient et prospère à l’échelle de cette sous-région. Ainsi que le note le cabinet Roger Berger dans un rapport – cité par Jeune Afrique (2016)-  portant justement sur cette question, la fusion des deux bourses permettra de «  maximiser la profondeur, la liquidité et l’attractivité́ du marché tout en minimisant les coûts opérationnels et les risques » Le rapport soutient que : « Concrètement, cela doit passer par l’harmonisation des réglementations des deux Bourses et par le rapprochement des infrastructures technologiques en vue de la création d’une plateforme commune ». Le texte de Jeune Afrique cite aussi un dirigeant d’une firme d’intermédiation qui affirme que «la convergence rapide des Bourses est un impératif pour le développement de la sous-région et permettra de créer des palliatifs aux modes de financement classiques ». [3] En effet, dans le cas de ces embryonnaires économies de la CEMAC,[4]il sied d’harmoniser les réglementations existantes et de mettre en place une bourse régionale efficace et solide. Un tel effort serait à tout le moins un pas vers la bonne direction.

Si l’intégration économique de la sous-région est loin d’être un succès, les pays de la CEMAC ont réussi la gestion de certaines crises. La CEEAC a joué un rôle prépondérant dans la gestion du dernier conflit centrafricain à travers sa médiation entre la séléka et les milices anti-baraka.. En effet, le forum centrafricain de réconciliation nationale en 2014 à Brazzaville, tenu sous la médiation du Président congolais Sassou Nguesso, les différents sommets extraordinaires et les autres rencontres formelles et informelles dans la sous-région consacrés à la crise que connaissait l’ex Oubangui-Chari sont entre autres des actions à mettre à l’actif de l’entité sous régionale. Cette dynamique proactive de la CEEAC a été d’une portée considérable dans l’issue heureuse que constituent l’accord de cessation des hostilités et l’accord de désarmement des parties prenantes au conflit signés respectivement à Brazzaville et à Bangui en 2015.[5]  Outre la Centrafrique, la CEEAC a aussi mené des médiations, aux résultats mitigés pour tenter de juguler des crises ou différends politiques au cours des dernières années, notamment à Sao-Tomé et Principe (2006) en RDC (2008), et au Tchad (2008-2009), Burundi ( 2015) entre autres.[6]

Afrique de l’Ouest : une dynamique d’intégration volontariste et progressive

Au rebours de l’Afrique Centrale, l’Ouest de l’Afrique connaît un processus d’intégration plus dynamique. La libre circulation des personnes, bien qu’imparfaite au sein de la CEDEAO, est néanmoins opérationnelle. Un citoyen sénégalais n’a pas besoin de visa pour aller au Mali et vice versa; ce sont les textes légaux qui le prévoient.

En outre, la part du commerce intra-régional en proportion des échanges totaux est plus importante en Afrique de l’Ouest qu’en Afrique Centrale. Selon un rapport de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED) publié en 2013, au niveau de la CEDEAO cette part est de 10.4% entre 1996 et 2010, 10.9% entre 2001 et 2006 et 9.4% pour la période 2007-2011 alors que pour les mêmes périodes, la part du commerce intra régional en proportion du commerce total au sein de la CEEAC est respectivement de 1.7%, 1.5% et 1.9%.[7] Toutefois, les pays de la CEDEAO devraient continuer à renforcer leurs échanges commerciaux pour booster leurs économies car ces pourcentages sont tout de même hautement négligeables en comparaison à la part du commerce régional au sein des grandes zones économiques comme l’UE, L’ALÉNA ou l’ASEAN. A ce propos, il y a nécessité de promouvoir une plus grande coopération régionale, à l’échelle même du continent. 

L’efficacité de la bourse régionale des valeurs mobilières (BRVM) de la zone UEMOA est aussi un bon indicateur des progrès au niveau de l’intégration en Afrique de l’Ouest. Comme le relève le rapport du cabinet Roland-Berger susmentionné, « Avec une progression de 17,77 %, le BRVM Composite s’est ainsi classé en tête des indices boursiers du continent en 2015. D’ailleurs, des assureurs et des fonds souverains de la CEMAC préfèrent investir sur la place ouest-africaine, relève Roland Berger ».[8]

Sur le plan politique et institutionnel, la CEDEAO, tout comme la CEMAC se sont dotées d’instruments juridiques et de règles communes pour réguler la coopération sous régionale. Il existe une cour de justice de la CEDEAO qui a condamné de nombreux États dans la sous-région, notamment le Togo dans l’affaire du coup d’État manqué de 2009. Il y a également l’adoption d’un protocole au sein de la CEDEAO qui interdit toute réforme importante de la loi électorale dans les six mois qui précèdent la tenue d’une élection présidentielle à défaut d’un accord consensuel.

La CEDEAO s’est aussi illustrée par son rôle de médiateur et par ses interventions militaires lors des différentes crises ouest-africaines. L’ECOMOG (Brigade de surveillance du Cessez-le-feu de la CEDEAO) aussi connu sous le nom de « casques blancs » est intervenue au Libéria mais aussi en Sierra Leone et en Guinée Bissau lors des guerres civiles qui ont secoué ces pays. Plus récemment, la CEDEAO a été sous le feu des projecteurs, du fait de sa médiation à succès en Gambie. Mais elle n’a pas toujours connu la même fortune. Ses médiations en Côte d’Ivoire lors de la crise post-électorale de 2010 ou au Mali lors de la crise qui a suivi le départ du pouvoir du président Amadou Toumani Toure en 2012 ont été pour le moins infructueuses.

Au niveau de la CEEAC, un Conseil de paix et de sécurité de l’Afrique Centrale (COPAX) dont la mission est de prévenir les conflits et maintenir ou rétablir la paix dans la sous-région a été créé. Il y a également une brigade régionale de maintien de la paix (FOMAC).

Il importe, somme toute, que les différentes organisations régionales avancent vers une plus grande intégration communautaire pour limiter un tant soit peu l’extraversion des économies africaines. Plusieurs mesures doivent être prises en ce sens; notamment une diversification de la production, un allègement de la fiscalité, une réduction des barrières douanières et frontalières, le tout porté par une réelle volonté politique de changement.

 

                                                                                                                                                                           Thierry SANTIME

 


[1] La Communauté Économique des États de l’Afrique Centrale (CEEAC), créée en octobre 1983.La Communauté Économique et Monétaire des Etats de l'Afrique Centrale (CEMAC) regroupe 6 pays, à savoir le Cameroun, le Congo, le Gabon, la Guinée Équatoriale, la République de Centrafrique et le Tchad

 

 

 

 

 

[2] La Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CÉDÉAO) est une organisation intergouvernementale ouest-africaine créée le 28 mai 1975. L’Union économique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) a pour objectif essentiel, l’édification, en Afrique de l’Ouest, d’un espace économique harmonisé et intégré…

 

 

 

 

 

[3] Omer Mbadi et Stéphane Ballong. Jeune Afrique. 2016 « Afrique Centrale : cinq idées pour dynamiser le marché financier ». http://www.jeuneafrique.com/mag/303852/economie/5-idees-dynamiser-marche-financier/

 

 

 

 

 

[4] Embryonnaires en termes de développement financier et industriel et dont l’extraversion tous azimuts- ou presque-confine à une subordination économique vis-à-vis des grandes puissances économiques et des marchés émergents,

 

 

 

 

 

[5] Cyril Bensimon. « À Bangui, la fin troublée du Forum de réconciliation nationale ». Le Monde Afrique. 2015.  http://www.lemonde.fr/afrique/article/2015/05/12/a-bangui-la-fin-troublee-du-forum-de-reconciliation-nationale_4631850_3212.html

 

 

 

 

 

[6] Madeleine Odzolo Modo, « Fiche d’information de l’organisation : CEEAC ». Réseau de recherche sur les opérations de paix de l’Université de Montréal. http://www.operationspaix.net/3-fiche-d-information-de-l-organisation-ceeac.html

 

 

 

 

 

[7] CNUCED. Rapport 2013 sur le développement économique en Afrique. « Commerce intra-africain : libérer le dynamisme du secteur privé », p.18. http://unctad.org/fr/PublicationsLibrary/aldcafrica2013_fr.pdf 

 

 

 

 

 

[8] Omer Mbadi et Stéphane Ballong. Jeune Afrique. 2016 « Afrique Centrale : cinq idées pour dynamiser le marché financier ». http://www.jeuneafrique.com/mag/303852/economie/5-idees-dynamiser-marche-financier/

 

 

 

 

 

La coopération internationale est-elle suffisante pour les opérations de maintien de la paix en Afrique ?

Suite et fin d’une analyse relative aux opérations de maintien de la paix en Afrique, rédigée par Mouhamadou Moustapha Mbengue  dont la première partie a été publiée il y a quelques semaines. Dans cette dernière partie, Mouhamadou aborde les raisons pour lesquelles cette collaboration demeure insuffisante.

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Les opérations de maintien de la paix en Afrique sont caractérisées par un important manque de coopération entre les différentes parties prenantes à la résolution des conflits. Entre 1997 et 2014, 14 missions de maintien de la paix ont eu lieu dans la seule République Centrafricaine provenant d’acteurs aussi variés que l’ONU, l’UA, la CEEAC, l’UE et la France. Chaque entité déploie son personnel et ses moyens logistiques sans tenir compte d’un agenda commun devant aboutir à un rétablissement durable de la paix dans le pays concerné. Dans d’autres pays, les responsabilités sont tellement imbriquées qu’une lecture claire est impossible. Ainsi en Somalie, l’AMISOM dispose d’un personnel provenant de l’UA mais rémunéré par l’ONU, ainsi que d’un support technique provenant de l’UE, de l’Ethiopie, de Djibouti, de l’Ouganda, de l’UNSOA, et d’un organisme américain (Bancroft Global Development). La multiplicité des acteurs n’aide pas à une coordination harmonieuse de cette mission, d’autant qu’en la matière, la philosophie des acteurs engagés n’est pas toujours la même. D’aucuns adoptent une position de neutralité entre les belligérants (opération de police) tandis que d’autres comme l’UA donnent des directions plus offensives à leurs opérations de maintien de la paix.

De plus, contrairement au dispositif actuel, les missions de maintien de la paix devraient être accompagnées d'une stratégie globale de résolution des conflits, qui se matérialiserait par un processus de pacification. Ce volet politique est  en effet, indispensable à un véritable rétablissement de la paix. Lorsque ce processus n’est pas mis en œuvre  (République Centrafricaine, Somalie, Soudan du Sud), il a tout simplement échoué (RDC, Soudan, Mali, Ethiopie/Erythrée). D’autre part, les troupes de ces missions sont peu préparées aux aspects civils des crises, aspects pourtant incontournables dans toute résolution de conflit. Les différentes opérations de maintien de la paix sur le continent ont très peu intégré cette dimension politique dans leur agenda. C’est pour cette raison qu’en RDC par exemple, la force onusienne n’a pu empêcher les nombreuses violations de droits humains par les FARDC (forces armées congolaises) et les nombreux crimes commis contre les populations. De même, au Soudan du Sud, l’UNAMIS n’a pu empêcher l’irruption d’une guerre civile.

Cette absence de stratégie politique s’accompagne d’une mauvaise compréhension des mandats donnés aux missions d’intervention. Cette mauvaise compréhension est due au   manque de clarté des mandats conférés. Souvent, les résolutions des Nations Unies autorisant les interventions ordonnent le maintien de la paix « par tous les moyens nécessaires ».  Les différents Etats qui participent aux missions à travers l’envoi de troupes n’ont pas toujours la même compréhension de ce terme. Si les troupes onusiennes sont généralement plus préparées à une interposition entre les acteurs du conflit (désarmement, démobilisation, réinsertion), les troupes opérant sous l’autorité de l’UA et des organisations sous-régionales tendent à adopter une posture plus offensive et guerrière. Les personnels des missions d’interventions ont une interprétation divergente  de leur mandat lorsqu’ils sont censés protéger les civils, sachant qu’ils ne peuvent protéger l’ensemble des populations sur l’ensemble du territoire d’un pays en conflit. Ces acceptions diverses de leurs responsabilités ont fait que l’Union Européenne (en RDC, en République Centrafricaine et au Tchad) et l’Union Africaine (au Darfour et en République Centrafricaine, au début des années 2000) ont rencontré des limites sur le terrain quand il fallait protéger les civils uniquement « sous menace imminente » ou « dans leur zone de déploiement », surtout lorsque dans certains pays, leur présence a été considérée comme illégitime par les belligérants voire par des Etats concernés par le conflit (comme au Burundi en 2006, en Erythrée en 2008, ou au Tchad en 2009). La mission Eufor au Tchad par exemple a été fortement remise en question par les groupes armés dénonçant une proximité gênante entre la France et le régime Tchadien considéré comme corrompu et autoritaire.  Les troupes d’intervention rencontrèrent donc d’énormes résistances de la part des groupes armés (Aqmi au Mali, Shebab en Somalie, M-23 en RDC, ou les Séléka et anti-Balaka en RCA).

Un autre exemple du manque de coordination entre les différents acteurs des opérations de maintien de la paix en Afrique est celui de la Côte d’Ivoire. Malgré les efforts fournis pour arriver à un règlement politique de la crise (Accra I/Accra II, Marcoussys et Pretoria), le conflit ivoirien a connu un enlisement tenace pendant une bonne décennie. Lorsque Henri Konan Bedié a introduit le concept d’ivoirité lors de l’élection présidentielle de 1995 pour faire barrage à son rival d’alors, l’actuel Président Alassane Ouattara, les divisions au sein de l’armée se sont amplifiées. Elles ont mené au renversement du pouvoir par une milice qui le confia au Général Robert Guei.

Sur le fondement de ce concept d'Ivoirité, Alassane Ouattara sera, en 2000, écarté des élections présidentielles organisées et qui seront alors remportées par Laurent Gbagbo. C’est donc dans un contexte de grande instabilité que les forces françaises de l’Opération Lincorn sont donc intervenues, avec notamment des violences dans l’Ouest du pays. Ni Lincorn, ni l’ECOMICI, ni la MINUCI ne parvinrent à faire respecter les accords d’Accra et de Marcoussis.

Le processus de paix se heurta à de fortes résistances du fait du non-respect de ces accords, auxquels il faut ajouter celui de Pretoria en 2005. Le Président Gbagbo ignora complètement la résolution 1721 du Conseil de Sécurité des Nations Unies. La situation sur le terrain continua à se détériorer jusqu’aux contestées élections présidentielles de 2010 qui ont acté par la force la fin du règne de Laurent GBAGBO ; ce dernier ayant refusé de reconnaître sa défaite. Les malheureux événements qui s’en suivirent, notamment une guerre civile à partir de mars 2011, illustrent encore une fois les insuffisances des différentes initiatives internationales enclenchées pour répondre à la crise ivoirienne. La présence de multiples acteurs sur le terrain n’a pas facilité une résolution rapide du conflit. Il a fallu une intervention armée des forces françaises pour arrêter le président Laurent Gbagbo et installer  Alassane Ouattara au pouvoir le 04 mai 2011.

Lors de la crise au Mali, le  principe de subsidiarité a été encore une fois mis à mal. Après avoir fait face aux résistances de la junte dirigée par le Capitaine Sanogo avec force sanctions et gel d’avoirs, la CEDEAO s’est employée à enrayer l’avancée des groupes armés du Nord. Elle a ensuite eu du mal à recevoir l’autorisation nécessaire du Conseil de sécurité de l’ONU pour déployer ses troupes, avant de devoir passer le relai à l’UA. Durant cet épisode, elle n’a pas apprécié l’appropriation de son plan d’intervention par l’UA et a considéré ce transfert d’autorité comme une « erreur de calcul stratégique »[1]. La collaboration entre ces deux acteurs, malgré une répartition des tâches[2], s’est donc mal déroulée au Mali.

Le cas libyen a achevé de montrer les énormes difficultés que rencontrent les acteurs internationaux à répondre à une crise sécuritaire sur le continent africain. L’UA, l’ONU et l’OTAN ainsi que la Ligue Arabe en sont allées chacune de leur propre compréhension de la situation. Alors que l’UA recherchait une stratégie d’intervention politique et expérimentait d’importants désaccords internes entre Etats membres, le Conseil de Sécurité de l’ONU a adopté la résolution 1970 pour faire comprendre qu’elle tenait à diriger l’intervention. L’UA a ensuite formé un Haut-Comité ad hoc chargé de se pencher sur le cas libyen, avant que l’ONU n’émette la résolution 1973 établissant une zone d’exclusion aérienne, que l’OTAN exploita. Elle entreprit des bombardements aériens qui ont permis l’avancée des rebelles en Août 2011 et l’assassinat de Khadafi. Le Conseil National de Transition qui gérait le pays rendit le pouvoir à un Congrès National élu dont la mission était de gérer la transition dans le pays. Un important manque de collaboration fut constaté entre le Conseil de Sécurité des Nations Unies et  le CPS de l’UA ; cette dernière n’ayant jamais pu accomplir les actions qu’elle souhaitait. L’interprétation de l’article 4 de l’Acte Constitutif de l’UA est l’objet de sérieuses divergences entre Etats membres, dans l’optique de réponse rapide et coordonnée aux crises[3].

La gestion des crises politiques, notamment des conflits armés, n’est pas une mince affaire. En Afrique, la présence de multiples acteurs dans les opérations de maintien de la paix a donné lieu à la création de plusieurs institutions et mécanismes de gestion des conflits. Cependant, la collaboration entre les différentes entités n’est pas encore effective et comporte de nombreuses insuffisances. Les relations entre l’ONU et l’UA notamment, et souvent entre l’UA et les organisations d’intégration sous-régionales, se heurtent  à d’importantes résistances. Il urge de trouver un dispositif institutionnel de concertation et de collaboration entre l’UA et l’ONU pour une bonne division du travail. Au moment où les deux institutions renouvellent leur exécutif respectif (Antonio Gutterres pour l’ONU et probablement Abdoulaye Bathily pour l’UA), il sera intéressant de voir dans quelle mesure ces nouvelles figures réputées pour leur expérience et leur sens de la diplomatie apporteront des solutions appropriées au criant  manque de coordination dans les opérations de maintien de la paix dans les prochaines années.

 

 


[1] CEDEAO, “The Mali After-Action Review: Report of the Internal Debriefing Exercise”, novembre 2013.  

 

[2] Le leadership politique de l’AFISMA est revenu à l’UA (avec la nomination de Pierre Buyoya) et le poste d’adjoint au Représentant spécial de la CEDEAO, le leadership militaire revenant à la CEDEAO.

 

[3] Cilliers & Handy (2013), Lessons from African Peacemaking.