Somalie : Les origines d’une situation chaotique

Depuis de nombreuses années, la Somalie est plongée dans un conflit à ce point complexe qu’on ne parvient pas à le juguler, ni même à le contenir. Ce conflit est si complexe et aux multiples facettes que le géographe et professeur émérite Alain Gascon s’interroge en ces termes : «Quelle(s) étiquette(s) apposer sur le(s) conflit(s) en Somalie : guerre civile, conflits de clans, guerre des gangs, jihad, séparatismes, éleveurs contre agriculteurs, lutte de « la croix contre le croissant », guerre contre le terrorisme ? Toutes sans doute. En effet, au cours de l’enchaînement tragique qui a abouti à la catastrophe actuelle, les affrontements ont, tour à tour et simultanément, pris toutes ces significations »[1]

Les familiers de l’actualité africaine ne doivent être que trop médusés, choqués et doivent se sentir impuissants devant le bal d’attentats sanglants perpétrés avec pertes et fracas à Mogadiscio et dans d’autres localités de ce territoire. Les récits et les images à glacer le sang qui nous parviennent par voie de média sont proprement écœurants. L’Afrique Des Idées vous propose une série de deux articles pour tenter de comprendre ce bourbier dans lequel est engluée la Somalie,. Dans ce premier article, nous  retournerons à la genèse du conflit en tentant d’expliquer les facteurs internes et externes qui ont contribué à plonger ce pays de la corne d’Afrique dans le chaos.

La dictature du Géneral Siad Barre ou le début de la tragédie Somalienne

Jusqu’à son indépendance en 1960, la Somalie était dominée par l’empire Britannique dans sa partie Nord tandis que le Sud du pays était sous le contrôle des Italiens. L’indépendance de 1960 réunifia ces deux entités territoriales. [2] Le 21 Octobre 1969, soit six jours après l’assassinat du président Ali Shermarke, un coup d’État mené par le général Mohamed Siad Barre remettait en question neuf années de démocratie parlementaire.[3] Ce dernier va diriger la Somalie d’une main de fer de 1969 à 1991. Durant ses années de pouvoir, ce dirigeant autoritaire a fait preuve d’une gestion clanique et patrimoniale de la chose publique. Ces mauvaises pratiques qui ont, hélas connu leurs beaux jours dans bon nombre de pays africains ont poussé les clans qui se considéraient désavantagés, sinon spoliés à s’organiser pour tenter de renverser le régime.

Par ailleurs, en ce qui concerne ses relations internationales, le régime de Siad Barre était à ses débuts, proche de Moscou et de Cuba mais ses visées expansionnistes auront raison de ces alliances. En effet, la Somalie  en 1977, sous la férule du Général Barre, fera la guerre à l’Éthiopie voisine qui  à l’époque, était déstabilisée depuis la chute du Négus Hailé Sélassié en 1974.  Compte tenu des relations devenues inamicales avec les communistes, la Somalie se tournera vers l’Ouest, notamment les États-Unis qui seront un soutien de poids de ce régime dictatorial avant de le « vomir » lorsque sa chute apparut inéluctable. La campagne militaire des troupes de Siad Barre en Ethiopie  ne fera pas long feu. En effet, dès 1978, elles se retirent de ce pays. Cette aventure malheureuse va susciter l’émergence de nouveaux groupes rebelles somaliens, bénéficiant de l’appui de l’Éthiopie.[4]

Le crépuscule du régime de Siad Barre ne marquait pas la fin des souffrances, pour ne pas dire du martyr imposé au peuple Somalien. Il s’en suivit une période de forte instabilité marquée par des violences, des affrontements incontrôlés et l’émergence de nouveaux groupes rebelles. Ces affrontements et violences avaient comme visées apparentes « l’appropriation de biens de production (terres agricoles et entreprises publiques), le contrôle des ports et aéroports reliant le pays à l’extérieur, le tout dans le cadre d’une véritable économie de guerre où les war lords étaient les figures politiques dominantes »[5].

  Les  sécessions  des années  1990 ou l’enlisement de la tragédie Somalienne

En mai 1991, il y eut une sécession dans le Nord du pays. Le Somaliland, ancienne colonie britannique rattachée à l’indépendance au reste de la Somalie anciennement italienne déclara son indépendance du reste du territoire de Somalie. Le Somaliland ne bénéficie cependant pas d’une reconnaissance ou légitimité internationale. Notons toutefois que le Somaliland ne connaît pas l’instabilité chronique que connait la Somalie et organise même des élections démocratiques. Ensuite, c’est le Puntland qui va déclarer son autonomie. Le Puntland ne remet pas en cause son appartenance à la Somalie mais se considère autonome et administre son territoire sans égards aux atermoiements de Mogadiscio. Il y a donc une sorte de partition du pays en trois entités : Somalie, Somaliland, Puntland.

Enfin, au titre des facteurs externes, notons que la grave sécheresse de 1991-1992 poussa les partenaires extérieurs à mettre en place une importante aide humanitaire qui entraîna fort malheureusement des détournements massifs. Lesquels détournements ont été à la base d’affrontements ayant comme motivation principale l’appropriation de cette aide. On voit bien que les facteurs internes et externes sont très imbriqués dans le cas somalien.

Tous ces éléments factuels ci-dessus analysés expliquent en partie la situation chaotique actuelle de la Somalie que nous verrons dans la seconde et dernière partie de cette série d’articles consacré à ce pays de la corne de l’Afrique.

Thierry SANTIME

[1] Gascon, Alain. 2008 « La Somalie en mauvais État ». http://journals.openedition.org/echogeo/4484

[2] Véron, Jean-Bernard. 2009. « La Somalie : un cas désespéré »

[3] https://academic.oup.com/rsq/article-abstract/13/2-3/75/1561614?redirectedFrom=fulltext

[4] « L’intervention en Somalie 1992-1993 ». Anne-Claire de Gayffier-Bonneville

[5] «Véron, Jean-Bernard. 2009. « La Somalie : un cas désespéré »

Crises politique, économique et sociale en RDC : Un chaos quasi atavique?

La République Démocratique du Congo (RDC), un pays aux dimensions continentales (2.345.000 km2 de superficie), peuplé d’environ 70 millions d’habitants[1], disposant de ressources naturelles notamment minières parmi les plus fournies, a tout pour être un mastodonte au cœur de l’Afrique. Paradoxalement, ce potentiel géant se voit confiner aux dernières places des principaux classements internationaux sur le développement humain, la bonne gouvernance, la démocratie, entre autres.[2]

Indépendante depuis 1960, cette ancienne colonie belge n’a pas su s’émanciper des cycles de conflits et de violences sous différentes formes, de crises politiques, de tensions sociales. Dans cette analyse, nous décryptons successivement les crises politique, économique et socio-sécuritaire du moment dans ce pays et les défis qu’elles posent.

 

Crise politique

Le mandat constitutionnel du président Kabila est arrivé à son terme le 19 décembre 2016. Il est toutefois resté au pouvoir. En effet, les élections n’ont pas été organisées dans les délais prévus par la Constitution, le gouvernement justifiant le report des scrutins par un manque de moyens financiers conséquents et par la nécessité d’une actualisation du dernier fichier électoral désuet. Cependant, les prétextes avancés sont peu convaincants. Dès janvier 2015, le pouvoir voulait conditionner la tenue des élections à un recensement général de la population qui, sans doute, allait retarder le processus électoral. Le pouvoir a dû faire marche arrière face à la pression populaire contre cette tentative. Ensuite, certains tenants du pouvoir évoquaient les options de la révision constitutionnelle et surtout du référendum, le tout pour permettre au président de briguer un autre mandat à la tête du pays. Un arrêt de la Cour Constitutionnelle dont le dispositif allait en faveur du maintien au pouvoir du président en exercice jusqu’à l’élection de son successeur a donné du tonus aux partisans du « glissement ». Puis, en vertu d’un accord négocié entre le pouvoir, l’Opposition et la « Société civile », le président Kabila demeure à la tête de l’État pour une période de transition devant aboutir à l’organisation des élections en fin 2017. C’est précisément au niveau de l’application de l’Accord du 31 décembre 2016, dit « Accord de la St-Sylvestre » que les violons ne s’accordent pas entre le pouvoir et la frange majoritaire de l’opposition, réunie au sein du Rassemblement des forces politiques et sociales acquises au changement. Les principaux points d’achoppement sont la nomination d’un premier ministre présenté par le Rassemblement, conformément au prescrit de l’accord, la nomination du président du Conseil national de suivi de l’accord – après le décès d’Etienne Tshisekedi, figure historique de l’opposition à qui revenait ce poste-, le partage des postes ministériels et les mesures dites de « décrispation politique ». Le président Kabila a nommé Bruno Tshibala, un dissident du Rassemblement de l’opposition comme premier ministre et ce dernier a nommé un gouvernement quasiment dupliqué sur le précédent gouvernement. Kabila et sa majorité réclamaient une liste de candidats présentée par le Rassemblement, requête qui n’a pas reçu l’assentiment du Rassemblement qui a rétorqué que,selon les termes de l’accord, il n’était pas question de présenter une quelconque liste, mais un seul nom que le président devait tout juste nommer, eu égard à ses prérogatives constitutionnelles.

Plusieurs mois de négociations n’ont pas suffi à surmonter les antagonismes. Il convient surtout, de noter que la nomination du premier ministre Tshibala ne règle en rien la crise politique et de légitimité du pouvoir. Les quelques dissidents du Rassemblement ne bénéficient d’aucune légitimité et légalité pour représenter cette plateforme. En effet, le seul Rassemblement qui bénéficie du soutien populaire et de la reconnaissance internationale est celui piloté par le tandem Félix Tshisekedi-Pierre Lumbi.

Après les Accords de la Cité de l’OUA d’Octobre 2016, le pouvoir, conscient du manque d’inclusivité de cet accord et des risques de soulèvement et menaces de sanctions internationales s’était vu contraint bon an mal an de retourner à la table des négociations.  Alors que le dialogue entre le pouvoir et l’opposition a été infructueux, que cette opposition utilise de plus en plus un ton offensif et comminatoire vis-à-vis du régime kabiliste, que la communauté internationale maintient sa pression sur le président sortant pour la mise en œuvre intégrale de l’accord et que la situation sécuritaire est pour le moins volatile, deux scénarios semblent plausibles. On pourrait assister à un nouveau cycle de négociations pour parvenir à l’inclusivité voulue et à la formation d’un nouveau gouvernement de transition. Il se peut également que le statu quo perdure avec un risque certain d’entraîner une surenchère et une escalade de la violence qui ne pourront qu’hypothéquer encore plus la tenue des élections déjà incertaines .

Crise économique

L’économie congolaise est essentiellement extravertie, l’industrie extractive, tournée surtout vers l’exportation étant prépondérante. Face à la baisse des cours des matières premières, cette économie peu diversifiée n’a pas été assez résiliente pour surmonter ce choc exogène. Pour preuve, le franc congolais, monnaie nationale qui coexiste avec le dollar US comme intermédiaire des échanges dans ce pays connaît une dépréciation substantielle. Selon le gouverneur de la Banque Centrale du Congo, le franc congolais a enregistré une dépréciation de plus de 20% pour la seule année 2016. [3]Depuis quelques mois déjà, les fluctuations erratiques de cette monnaie pénalisent grandement les congolais qui voient les prix des biens et services grimper. Face à cette dépréciation du franc congolais par rapport au dollar US, la pilule est particulièrement dure à avaler pour les fonctionnaires et autres salariés payés en francs congolais, dont l’enveloppe salariale en proportion du dollar US -toutes choses étant égales par ailleurs- se trouve défalquée en termes de pouvoir d’achat malgré eux.

En ce qui concerne le taux de croissance économique, il a aussi connu un net recul, passant de 7,7% en 2015 à 2.5% en 2016. Le chômage y demeure endémique, surtout celui des jeunes.

Par ailleurs, la crise politique a évidemment créé une incertitude sur le plan économique entraînant une contraction des investissements étrangers dans le pays. Pour ne rien arranger à la situation, des menaces de sanctions et  mesures restrictives de certains partenaires internationaux (États-Unis, Grande Bretagne Belgique, France entre autres) viennent noircir le tableau économique.[4]

Dans cette situation de profondes difficultés financières et d’instabilité politique, la tenue des élections dans les délais conformes à l’Accord de la St-Sylvestre semble des plus hypothétiques.  

Crise socio-sécuritaire

Il faut dire que le second mandat de Joseph Kabila a été très mouvementé. La quiétude sociale n’a pas été au rendez-vous. À la suite des résultats controversés de la présidentielle de 2011, Kabila souffrait d’un déficit de légitimité aux yeux d’un grand nombre d’acteurs politiques de la scène nationale et d’une partie non-négligeable de la population. Lorsqu’en 2012 la rébellion du M23 fit son apparition, avec à son actif des massacres et actes exécrables au Nord-Kivu, la RDC s’est retrouvée en situation de crise et a dû consacrer de moyens conséquents pour rétablir l’autorité étatique dans les zones occupées par les rebelles.  Cette reconquête de la souveraineté territoriale a nécessité selon les tenants du pouvoir de surseoir ou « sacrifier » certains engagements pour cet impératif de souveraineté nationale. Alors que la défaite et la capitulation du M23 laissaient espérer des jours assez paisibles pour les ressortissants des territoires touchées- malgré la présence d’autres groupuscules armés- la résurgence dès 2013 d’actes de barbarie ignobles et crapuleux dans le territoire de Beni (Nord-Kivu) notamment par les rebelles ADF-Nalu ougandais a tôt fait de replonger le pays dans la spirale de violences et de crimes imprescriptibles. Tout récemment, ce sont les milices Kamwina Nsapu qui semèrent la terreur au Kasai (centre du pays). La non-organisation des élections dans les délais, le maintien de Kabila au pouvoir et les vicissitudes de l’application de l’accord du 31 décembre 2016 n’ont fait qu’exacerber les tensions sociales sur fond de répression, d’arrestations arbitraires et d’atteinte aux droits de l’Homme  en général.

Depuis 2013, il y a eu les  « Concertations Nationales », le dialogue de la cité de l’Union Africaine, le dialogue sous la médiation de la CENCO qui étaient censés renforcer la cohésion nationale et préparer à la tenue d’élections paisibles et crédibles dans les prochains mois (spécifiquement les deux derniers dialogues évoqués) mais force est de constater que la RDC demeure pour le moment dans une situation instable et potentiellement explosive (loin de nous toute logique d’hypertrophie).

On peut percevoir une lassitude des congolais face aux errements de la classe politique. Aussi bien au niveau de la majorité que de l’opposition politique[5], nombre de politiciens ont déçu les attentes des congolais. Edem Kodjo, ancien premier ministre togolais et médiateur du dialogue de la cité de l’OUA déclarait dans Jeune Afrique à propos de cette classe politique : « J’ai eu affaire à une classe politique à la fois brillante, adepte des faux-fuyants, intelligente, toxique. L’argent joue un rôle prépondérant : en Afrique de l’Ouest, les gens pensent qu’ils sont riches quand ils ont 100 millions de F CFA. Ici, ils le sont quand ils ont la même somme, mais en dollars »[6] Même si Edem Kodjo n’est pas un parangon d’exemplarité politique, son constat sonne plutôt juste. Nous estimons qu’une loi de moralisation de la vie politique, comme celle défendue par le président Macron, mais adaptée au cas congolais serait à-propos en RDC (comme d’ailleurs dans bon nombre de pays du continent éventuellement). Il pourrait par exemple être question dans cette loi d’interdire aux anciens rebelles ou chefs rebelles d’exercer de fonctions politiques[7], de s’assurer que les titulaires de charges publiques ne sont ni des repris de justice, ni des personnes qui se sont enrichies illicitement, pas plus qu’ils ne doivent être mêlés dans des conflits d’intérêts de nature à compromettre l’exercice de leurs fonctions, d’exiger une déclaration de patrimoines des candidats à la présidence de la République et du président élu et des ministres au début et en fin de mandat. Pour cela, il pourrait être mis en place un organe (ou une cour) supérieur(e) de surveillance et d’arbitrage chargé(e) de s’assurer du respect de ces principes.

 Il est somme toute, essentiel que nos pays africains se dotent d’institutions judiciaires solides, neutres et véritablement justes pour sanctionner quiconque contrevient aux textes légaux en vigueur. Les politiques devraient être esclaves de leur engagement ou serment. Il nous revient à l’esprit ici la notion de théorie de l’expectative légitime, qui est à peu près en droit administratif québécois le pendant de la théorie de « l’Estoppel » de la Common Law et selon laquelle les responsables politiques, qui tiennent des promesses à la population créent des « attentes ou espérances légitimes » qu’ils sont contraints de tenir de jure, sauf impondérables. Si un tel principe avait force de loi dans nombre de pays africains, on n’assisterait sans doute pas à autant de valses et convulsions rétrogrades qui retardent la marche de nos pays vers l’émergence.

Il est évident que la RDC a tout le potentiel humain et naturel pour se relever. Il faut pour cela un leadership politique responsable et éclairé et une révolution de mentalités au niveau de la population qui passe entre autres par une éducation et une formation civique de qualité. Ainsi, le chaos « quasi atavique » ne sera-t-il qu’un lointain souvenir.

 

                                                                                                                                                                                        Thierry SANTIME

 

 

 

 


[1] Le dernier et unique recensement scientifique de la population nationale datant de 1984, ce chiffre est approximatif des données compilées par des institutions comme la BM, le PNUD, entre autres.

 

[2] L’IDH (indice de développement humain) du PNUD classe la RDC 176ème sur 188 pays classés dans son dernier classement.  http://hdr.undp.org/en/data  L’ONG Freedom House qui étudie la démocratie dans le monde classe les États selon le niveau de droits politiques et de libertés civiles des populations place dans son classement la RDC comme État non-libre (not free).

 

[4] L’ONU menace de saisir la CPI pour les massacres au Kasai. http://www.mediacongo.net/article-actualite-25754.html

Les États-Unis et l’UE ont imposé des sanctions contre de « hauts responsables » congolais. https://vacradio.com/lue-et-les-etats-unis-imposent-des-sanctions-contre-de-hauts-responsables-de-rd-congo/

 

[5] Le réalisateur belge Thierry Michel, bien au fait des questions congolaises parle d’ « opposants alimentaires » pour décrire les opposants congolais. http://www.congoforum.be/fr/interviewsdetail.asp?id=207170&interviews=selected

 

[6]   « RDC : Kabila, Tshisekedi, Katumbi… L’ex-médiateur Edem Kodjo dit tout ». Jeune Afrique. 2016  http://www.jeuneafrique.com/mag/382533/politique/edem-kodjo-mediateur-ne-dire-ca/

 

[7] Il faut noter que l’impunité est une sérieuse préoccupation en RDC où des rebelles ou miliciens ayant perpétré des actes hideux bénéficient de l’amnistie et parfois deviennent des interlocuteurs du pouvoir.  http://www.afrik.com/rdc-kyungu-mutanga-alias-gedeon-de-chef-de-guerre-a-heros

 

 

MONUSCO :Un bilan en demi-teinte

Les opérations de maintien de la paix de l’ONU sont destinées à aider des pays ravagés par des conflits en vue d’un retour de la paix et d’une consolidation ultérieure de celle-ci.

À la suite du déclenchement de la deuxième guerre du Congo (1998-2002) et de ses nombreuses conséquences tragiques, l’ONU avait décidé d’envoyer une mission en RDC, la Monuc en 1999. Depuis 2010, elle est devenue Monusco, mission des Nations-Unies pour la stabilisation du Congo. La Monusco est la plus vaste et la plus couteuse des opérations de maintien de la paix dans le monde.[1]

 Cet exposé vise à analyser les forces et les faiblesses de cette mission.

En dépit de vives critiques dont elle est l’objet, on ne doit pas occulter les réalisations de la Monusco pour favoriser la paix et la stabilité en République démocratique du Congo.

   Contribution aux efforts pour le retour de la paix

La Monusco a joué un rôle majeur dans les négociations pour favoriser autant le dialogue inter-congolais que le dialogue avec les pays voisins, impliqués dans les différents conflits en RDC. En 2001, lorsque le président Laurent Désiré Kabila fut assassiné et remplacé par son fils, Joseph Kabila, le gouvernement congolais n’avait pas le contrôle sur toute l’étendue du territoire national. Les groupes armés, notamment le MLC (Mouvement de Libération du Congo) et le RCD (Rassemblement congolais pour la démocratie) contrôlaient le nord-est et le sud-est de la RDC, le gouvernement ne contrôlant plus que la moitié ouest En plus de l’emprise de ces groupes armés sur d’importants pans du territoire national, de nombreux groupes rebelles et milices venus de l’étranger comme les FDLR du Rwanda, la LRA d’Ouganda, le CNDD-FDD du Burundi, le Parti pour la libération du peuple Hutu et l’Unita d’Angola étaient toujours dans le pays. Tous ces mouvements armés commettaient sans coup férir des exactions sur les populations civiles et s’enrichissaient sur l’exploitation illicite et effrénée de nombreuses richesses du sous-sol congolais. Même si nombre de ces groupes armés sont encore présents et actifs, il faut dire que leur capacité de nuisance est beaucoup moins considérable. En effet, la mission de l’ONU en RDC a joué un rôle important de facilitateur et de médiateur pour le retour de l’autorité de l’État sur tout le territoire.

La Monusco a joué un rôle de médiateur lors du dialogue inter-congolais de Sun City qui  donna lieu à l’Accord global et inclusif de Pretoria le 17 décembre 2002 (à Pretoria), mettant fin à la deuxième guerre du Congo (1998-2002). Cet accord de Pretoria, corollaire du dialogue placé sous les auspices de la mission onusienne a permis la réunification du pays et l’avènement d’un gouvernement d’union nationale.

Suite à la résurgence de nouvelles rébellions, notamment le M23 (Mouvement du 23 Mars) qui a occupé la ville stratégique de Goma durant plusieurs mois en 2012 et fait de nombreuses victimes, la Monusco a encouragé et facilité la tenue d’un dialogue entre la RDC, les pays voisins (Rwanda et Ouganda notamment) et le M23 afin de stabiliser la paix et de mettre en place un programme de DDR (Démobilisation, Désarmement et Réinsertion) des anciens rebelles. Ce dialogue a abouti à l’accord cadre d’Addis Abbeba qui enjoint aux pays voisins de cesser d’apporter leur soutien aux groupes rebelles, propose l’amnistie pour les responsables des « violations mineures » mais aussi des poursuites pour les auteurs des crimes contre l’humanité et demande au gouvernement congolais d’améliorer sa gouvernance. Ceci dit, au-delà de l’aspect positif du dialogue prôné par la Monusco, l’innovation majeure avec l’accord cadre d’Addis Abbeba est qu’il va permettre la mise en place d’une brigade d’intervention de la Monusco composée de 3000 soldats, conformément à la résolution 2098 du Conseil de Sécurité de l’Onu. En effet, alors qu’avant l’usage de la force était subsidiaire, désormais l’utilisation de la force fait partie intégrante du mandat de la mission.

 Appui logistique et institutionnel au gouvernement congolais

La mission de l’Onu en RDC offre un appui logistique et institutionnel au gouvernement congolais pour la stabilisation et la consolidation de la paix ainsi que la reconstruction du pays.

D’abord, notons que la Monusco a joué un rôle important dans la réforme du secteur de sécurité en RDC. Elle a joué un rôle de premier plan dans le désarmement et la démobilisation des anciens combattants et conjointement avec le gouvernement congolais et d’autres partenaires de la RDC (USA, UK, Chine, Belgique et Afrique du Sud), elle a œuvré activement pour la formation d’une nouvelle armée nationale inclusive et bien formée. De même, en ce qui concerne la police, la Monusco s’est-elle aussi ingéniée à réformer la police nationale congolaise (PNC) notamment en créant et coordonnant des centres de formation à travers le pays. En effet, il est estimé que la Monusco a directement contribué à la formation de 10000 officiers congolais dans des domaines aussi variés que les unités anti-émeutes, les instructeurs de police, les bataillons d’intervention rapide et les brigades de détective.

En outre, la Monusco a apporté un appui important au gouvernement congolais lors des premières élections démocratiques organisées en 2006. Le soutien  technique et opérationnel qu’elle a apporté a été déterminant dans la réussite du processus électoral. Par ailleurs, notons qu’un autre succès important de la Monusco concerne la protection des droits de l’homme et le renforcement du système judiciaire. La Monusco comporte en son sein une division des droits de l’homme qui est l’une des plus importantes unités civiles de la mission. Enfin, l’action de la Monusco, en partenariat avec les forces armées congolaises a permis d’appréhender et de traduire en justice des « seigneurs de guerre » comme Thomas Lubanga, Uzele Ubeme, Mathieu Ngudjolo, ou Germain Katanga.

Comme toutes les missions onusiennes à travers le monde, la Monusco n’est pas exempte de critiques, loin s’en faut. La Monusco a été vilipendée par nombre d’observateurs qui estiment qu’elle a simplement failli à sa tâche car 18 ans après sa mise en place, la RDC est toujours dans une situation précaire, avec la présence d’un ramassis de groupes rebelles étrangers et locaux qui sèment la terreur, parfois en toute impunité.

 Violations des droits humains par les casques bleus

La problématique des violations des droits humains par les casques bleus fait florès dans la littérature et dans les débats portant sur les missions onusiennes. En effet, les exemples illustratifs de ces violations sont légion et ne laissent guère d’incertitude.

On dénombre de nombreux cas de pédophilie, de prostitution à grande échelle, y compris avec des mineurs congolais des deux sexes, d’abus d’autorité, de harcèlement sexuel, viols ou tentatives de viols attribués au personnel de la Monusco. Les populations sont particulièrement  exaspérées et accusent ces  « émissaires de la paix qui se traînent au bras de nymphettes, les poches bourrées de dollars ».[2] Dans ce même ordre d’idées, il s’avère que dans le cadre d’enquêtes menées par le Bureau des services de contrôle interne de l’ONU (BSCI-OIOS), pas moins de 296 dossiers d’abus sexuels sur mineurs ont été ouverts concernant la période 2004-2006 et 140 cas avérés ont été recensés, essentiellement parmi les Casques bleus déployés en RDC.[3]

Ces abus et manquements aux droits humains ont fortement écorné l’image de la Monusco en RDC même si les viols et autres violations au Congo ne sont pas l’apanage du personnel de la Monusco mais sont aussi le fait des rebelles ou même des militaires congolais. De plus, en RDC « la MONUSCO a failli à son rôle en se montrant incapable d’empêcher des viols de masse perpétrés dans plusieurs villages», ainsi que le reconnaissait en 2008, le Sous-Secrétaire général de l’ONU chargé des OMP (opérations de maintien de la paix) de l’époque Alain le Roy.

 Situation toujours précaire à l’Est de la RDC 18 ans après

En dépit de la présence de la Monusco depuis 1999, la situation en RDC demeure toujours très volatile et instable. Certes, ce serait un leurre de penser que la Monusco peut à elle seule résoudre les problèmes  structurels et profonds à l’origine de la situation. Cependant, on ne peut  passer outre le fait qu’à plusieurs reprises, des massacres ont été commis dans des zones où la Monusco  était présente sans qu’elle n’intervienne efficacement alors qu’elle est dotée d’un mandat offensif pour la protection des civils. De nombreux exemples corroborent cette assertion. En 2003, par exemple, des populations civiles ont été tuées par des milices dans la ville de Bunia alors que le contingent uruguayen de la Monusco campait à l’aéroport, qui n’est pas à plus de 20 kilomètres de là. De même en 2004, les casques bleus n’ont pas pu empêcher les rebelles du général Nkunda  de commettre quatre jours durant des actes de viol, de pillage, et de meurtres dans la ville de Bukavu. En novembre 2008, les forces rebelles du même général Nkunda ont exécuté près de 150 civils dans la ville de Kiwanja pendant que les troupes de la Monusco étaient stationnées à quelques encablures de là. Aujourd’hui encore, les rebelles ougandais ADF continuent d’accomplir leur macabre besogne dans la ville de Beni. On peut, à bien des égards se poser des questions sur cette culture de « dissuasion passive » dont font montre les casques bleus de la Monusco face à certaines situations alors que leur mandat permet des actions offensives.

En définitive, disons qu’il est impérieux que le gouvernement congolais restaure son autorité sur toute l’étendue du territoire et que ses forces armées soient aptes à assurer seules la protection des civils avant d’envisager un départ définitif de la Monusco.

 

                                                                                                                                                                              Thierry SANTIME

 

 

 

 

[1] La Monusco est la plus grande en termes d’effectifs (22000 hommes) et la plus coûteuse (1.4 milliard de budget) des missions de maintien de la paix des Nations-Unies. Voir « Réflexions sur 17 ans de présence de l’ONU en RDC ». 2016. Afrique décryptage-blog du programme Afrique Subsaharienne de l’Institut français des relations internationales(IFRI)- https://afriquedecryptages.wordpress.com/2016/05/11/reflexions-sur-17-ans-de-presence-de-lonu-en-rdc/

[2] Kpatindé, Francis. 2004 « Scandale à la Monuc » Jeune Afrique. Paris. Juin 2004

 

 

 

 

 

 

[3] Zeebroek, Xavier, Marc Memier et Pamphile Sebahara. 2011 « La mission des Nations Unies en RD Congo : bilan d’une décennie de maintien de la paix et perspectives » p.24