Pourquoi faut-il investir dans l’industrie pharmaceutique en Afrique ?

Pharmacie-Cote-dIvoire_Ilo-photoLa croissance effrénée de la population africaine, qui dépasse aujourd’hui le milliard d’individus, constitue un défi majeur pour les planificateurs du développement. Ce défi est encore plus important dans la mesure où il intègre la prise en charge des besoins en matière de santé.  La demande en produits pharmaceutiques se fait de plus en plus croissante et l’Afrique semble ne pas être à même de profiter de l’expansion de ce secteur. En effet, l’industrie pharmaceutique en Afrique demeure à un état embryonnaire. Les dépenses pharmaceutiques sur le continent devraient atteindre 30 millIards de dollars d’ici l’année prochain(1). Il urge alors de considérer ce secteur, car il semble être un créneau porteur de croissance mais aussi afin de réduire la dépendance du continent vis-à-vis de l’extérieur, notamment sur des sujets aussi sensibles que la santé.

Très peu d’entreprises sont actives dans l’industrie pharmaceutique en Afrique. L’offre en produits pharmaceutiques en provenance du continent ne représente que 2% de l’offre mondiale(2). Les quelques entreprises existant sont des filiales de laboratoires délocalisés sur le continent. C’est le cas de Sanofi Aventis, Pfizer,  Cipla. Ces laboratoires se concentrent sur la production de médicaments génériques destinés au marché local et s’activent surtout dans la recherche. Seul l’Afrique du sud dispose d’une  industrie pharmaceutique assez développée. L’essentiel de la consommation de produits pharmaceutiques est couvert par les importations en provenance d’Europe ou d’Asie, notamment de l’Inde. Il en ressort un coût d’achat / de vente assez élevé pour les médicaments, même génériques[1] , dans un continent où plus de 50% de la population dispose d’un revenu de moins de 2 USD en parité du pouvoir d’achat par jour. En effet, une boite de 8 comprimés de paracétamol en Afrique peut atteindre 3 EUR contre 2 EUR en moyenne dans les pays occidentaux. Le prix en Afrique reste très élevé si on le compare en PPA.

Par ailleurs, ces entreprises exerce un véritable lobbying pour maintenir les prix à des niveaux élevés, ce qui d’une part décourage les nouveaux entrants, notamment les fabricants de médicaments génériques, mais aussi afin de maintenir la production de médicaments princeps[2], destinés à des marchés où le pouvoir d’achat est relativement plus élevé. L’exemple le plus récent est celui de l’Afrique du Sud où en Janvier 2014 le premier ministre sud-africain a qualifié de «génocidaire » et de « dimension satanique » le lobbying des industries pharmaceutiques de ce pays(3). En effet, son gouvernement prévoiait de faire des reformes assouplissant les renouvellements de brevets, ce qui permettrait aux industries de médicaments génériques de « copier» plus facilement les médicaments princeps.

Aussi, les conditions économiques et réglementaires constituent une entrave à l’implémentation de ces entreprises. En effet, au-delà du caractère social, les fabricants de produits pharmaceutiques sont des entreprises en bonne et due forme qui cherchent elles-aussi à minimiser leurs coûts de production tout en augmentant leur production, et sur lesquelles l’Etat pourrait percevoir des recettes fiscales. L’inadéquation du cadre réglementaire pour la pratique de cette activité, assez particulière, parce que tenant du secteur de la santé, constitue un blocus pour de nombreuses firmes pharmaceutiques.

Enfin, les prix élevés des médicaments provoquent la création d’un marché parallèle, qui constitue aujourd’hui un véritable enjeu de santé publique dans de nombreux pays africains.

En dépit de cette situation, l’Afrique peut exploiter ce secteur comme un levier au développement. En effet, l’implantation de nouvelles industries pharmaceutiques permettra, au-delà de la prise en charge des problèmes liés à la santé à moindres coûts, à créer de l’emploi. Sur un continent où le taux de chômage varie de 11,9% en Afrique Subsaharienne(4) à 25% en Afrique du Sud ; cette offre serait un facteur clé de développement économique local.

Pour atteindre cet objectif, un certain nombre de défis devront être relevés, ce qui nécessitera une forte implication de l’Etat. Pour l’heure, ce sont certains organismes internationaux qui soutiennent le secteur, le but est donc “social” et non économique. L’OMS dans le cadre de la lutte contre certaines maladies subventionne les industries fabricant des médicaments génériques.  Récemment, en Juin  2012, le groupe PROPARCO a octroyé 12,5 millions de dollars à Strides Africa, qui est une filiale du groupe international Strides Arcolab Limited intervenant très largement dans diverses formulations pharmaceutiques(5).

La stratégie consistera surtout à créer un environnement propice et attractif pour l’exercice de cette activité mais aussi à renforcer le développement des entreprises localement présentes afin de limiter les importations. Ces dernières années, l’Afrique du Sud a mis en œuvre de nombreuses réformes, qui ont favorisé le développement du secteur et les autorités ne cèdent guère aux pressions du lobbying du secteur. Les antirétroviraux battent des prix records, très bas. Les autres pays africains pourraient s’inspirer du cas sud-africain, pour établir et mettre en œuvre des politiques pouvant non seulement faciliter la création d’industries mais aussi le développement de celles déjà présentes dans le secteur. Pour les structures déjà existantes, il convient de les regrouper en grandes structures, car elles assurent une meilleure rentabilité et attirent davantage les investisseurs. Le regroupement en firme ou l’appartenance à ces firmes donne de l’assurance aux éventuels investisseurs : on a l’IPASA en Afrique du Sud.

Comme dans tous les secteurs économiques, le partenariat entre le public et le privé demeure un levier de développement majeur. En effet, les industries pharmaceutiques existantes, dirigées par l’état manquent de moyens (financiers, matériels…) et peinent à se développer. D’ailleurs lors du sommet de la Banque africaine de développement (BAD) avec des experts pharmaceutiques et financiers l’objectif principal était de favoriser le partenariat public-privé (2) : concrètement il peut s’agir des rachats ou de l’agrandissement des usines publiques par exemple.

Outres les différentes mesures citées plus haut, l’état peut mettre en œuvre d’autres mesures incitatives telles que :

  • La diminution d’impôts ou de taxes en fonction du nombre d’employés ou en fonction d’autres critères économiques
  • Renforcer la capacité de production locale en fixant un prix avantageux des matières premières produites sur le territoire.

Aussi, faudrait tenir compte des connaissances locales en matière de pharmacopée. Si aujourd’hui, très peu de personnes ont recours au système de santé, ils se soignent via cette forme de médecine, qui a une connaissance assez pertinente, pas toujours scientifique, mais qui peut aisément participer à l’émergence d’une pharmacie à “l’africaine”, comme la pharmacopée chinoise ou indienne, pour capter le marché domestique et s’exporter. 

L’industrie pharmaceutique est promise à un bel avenir et pourrait constituer un véritable levier de développement. Le secteur est quasiment délaissé alors que l’Afrique comptera d’ici 2050 près de 2,4 Mds d’individus(6), tous demandeurs de produits pharmaceutiques. Promouvoir le secteur passera, sans nul doute, par la mise en place d’un environnement propice à l’activité ; une collaboration avec le secteur le secteur privé, la mise en place de quelques mesures incitatives et la prise en compte des connaissances traditionnelles en matière de pharmacopée. Garantir la santé et l’éducation c’est posé les bases pour un développement durable, inclusive, portée par les ressources  humaines locales. Dans le domaine de la santé, l’Afrique a un potentiel qu’il faut valoriser, afin de faire de ce secteur un relai de croissance et de protection sociale dans les pays africains.

Nelly Agbokou

Référence

1.            Les géants de la pharmacie misent sur l’Afrique

2.            L’industrie pharmaceutique africaine promise à un bel avenir – Banque africaine de développement

3.            Motsoaledi: Big pharma’s « satanic » plot is genocide

4.            Le chômage des jeunes : un défi de plus pour l’Afrique d’aujourd’hui ? – Terangaweb | L’Afrique des idées

5.            Soutien à l’industrie pharmaceutique en Afrique

6.            UNICEF (aout 2014). Afrique : Génération 2030, la démographie enfantine en Afrique


[1] Médicament dont le brevet est tombé dans le domaine public et qui peut être produit par d’autres laboratoires pharmaceutiques autre que celui d’origine

[2] Médicament d’origine mis sur le marché par le laboratoire l’ayant découvert et ayant déposé un brevet dessus

Comment faciliter l’accès au logement en Afrique ?

logementL’explosion démographique de l’Afrique s’accompagnage d’une urbanisation effrénée et anarchique, posant dans le sillage un problème crucial, celle de l’accès à un logement décent. L’Afrique est le continent avec la croissance urbaine annuelle la plus élevée au monde,  environ 3% selon l’ONU. D’après l’ONU-Habitat, alors que 40% de la population africaine était urbaine en 2009, ce taux en constante évolution atteindra 60% en 2050. Cette croissance urbaine non maîtrisée a favorisé la naissance et l’extension des bidonvilles – grandes agglomérations d’habitations précaires, insalubres et non-sécurisées. La population vivant dans des bidonvilles en Afrique subsaharienne  a plus que doublé entre 1990 et 2012, passant de 102 à 213 millions (selon l’UNCHS). Simon Walley[1] estime que la demande annuelle en nouveaux logements en Afrique est d’au moins 4 millions depuis 2012 et atteindra le seuil de 5 millions dès 2020. Face à cette situation, les autorités ont mis en œuvre de nombreuses actions pour garantir l’accès au logement aux couches les plus défavorisées. Toutefois le problème persiste et les bidonvilles continuent de s’étendre, accueillant de plus en plus de personnes. De fait, l’accès à un logement adéquat reste l’apanage des couches les plus aisées de la société, renforçant ainsi le clivage entre pauvres et riches. Cette situation suscite d’énormes interrogations relatives aux mesures à prendre pour assurer un accès au logement à tous. Cet article porte donc un regard sur les obstacles qui inhibent l’émergence d’un marché de l’immobilier pro-pauvres en Afrique.

Sans titre

Face à l’explosion des bidonvilles, les pouvoirs publics ont d’abord opté pour la construction des logements sociaux gratuits ou à bas prix comme en Afrique du Sud ou en Côte d’Ivoire. Mais ces politiques ont été détournées de leurs cibles initiales (les pauvres) et ont plutôt profité aux fonctionnaires. La demande grandissante et le manque de ressources financières publiques ont accéléré la chute de ses types de programmes. Ensuite, les gouvernements se sont tournés vers le privé pour la construction en masse de logements à bas coûts. Pour ce faire, l’Etat a soutenu le privé, en lui accordant des subventions massives come en Angola. Ces programmes ont eux aussi été un échec car conçus dans une pure logique de réduction des coûts sans aucune planification et aménagement du territoire. Les logements étaient pour la majorité excentrés des infrastructures de base : santé, transport, éducation, etc.

En théorie, la demande de logements est quasi-illimitée. Ceux qui ont en ont déjà, recherche des habitats plus spacieux et plus confortable alors que ceux qui n’en n’ont pas en veulent un nouveau. Cependant, cette demande latente se traduit difficilement en demande réelle, principalement à cause des questions de financement. D’après la Banque Mondiale, en 2011, moins de 5% de la population d’Afrique subsaharienne a utilisé un prêt pour acheter un logement contre 25% à 35% aux Etats Unis ou au Canada. Les ménages à faibles revenus étant exclus du système financier du fait du risque élevée qui leur ait associé par les institutions de crédit mais aussi du fait du manque de culture financière, empêchent ces derniers de disposer des ressources suffisantes pour prétendre à l’acquisition d’un habitat.

D’un autre côté, les promoteurs immobiliers privés se heurtent le plus souvent à des obstacles bureaucratiques, réglementaires et financiers. La lenteur des procédures administratives en Afrique est bien souvent citée comme un frein à son développement économique. Un argument qui est plus que valable dans le cas présent. Les contraintes réglementaires liées à l’accès au foncier – déjà rare et assez onéreux en milieu urbain – bloquent souvent les projets immobiliers sociaux. Par ailleurs, les promoteurs ont des difficultés à accéder à des financements de long terme car les institutions de crédit sont assez réticentes à financer des projets de constructions sociales.

Peuvent s’ajouter à ces difficultés, le coût élevé et la faible disponibilité de main d’œuvre qualifié et d’infrastructures de base (routes, électricité, assainissement, etc.).

Les tentatives de réponses à la crise de logements en Afrique, soldées par des échecs, ont mis en lumière la nécessité de mieux analyser les besoins des populations et de tenir compte de l’environnement des lieux d’habitation. Il s’agit d’opérer un véritable changement de paradigme, pour passer de simples politiques de logements à des politiques plus larges de l’habitat durable. Une politique de l’habitat durable devra impliquer tous les acteurs de la filière et intervenir sur plusieurs aspects : disponibilités foncières, types de baux autorisés, financement de la filière et  construction d’infrastructures. La consultation de différents spécialistes sera nécessaire : démographes, spécialistes de l’aménagement du territoire, économistes, assureurs, ingénieurs en génie civil, routes, etc.

En outre, puisque les ressources publiques ne suffiront jamais à satisfaire l’ensemble des besoins d’habitat, une collaboration avec le privé est indispensable.  Il ne s’agit pas de soutenir artificiellement le secteur à coup de subventions, mais plutôt de mettre en place des mesures incitatives à fort effet de levier. Les pouvoirs publics doivent créer un environnement favorable aux investisseurs privés, tout en l’encadrant pour garantir la stabilité du système.

Il faudrait commencer par sécuriser et aménager le foncier. En effet, la régulation du foncier est largement insuffisante en Afrique avec la coexistence de normes étatiques et de normes coutumières. Ce qui rend difficile la délivrance de titre fonciers incontestables ; avec un manque de clarté des règles foncières. De nouvelles réformes doivent aboutir à l’intégration du droit coutumier dans le corpus réglementaire (comme par exemple en Afrique du Sud, en Ouganda ou au Ghana). D’autres mesures réglementaires telles que le découpage du foncier sur le modèle cadastral, la simplification de procédures d’enregistrement des parcelles et l’établissement de droits collectifs peuvent être envisagés. Après la sécurisation juridique du foncier, son aménagement doit être aussi repensé par l’Etat. Bien souvent, en l’absence d’un minimum d’infrastructures préexistantes, les promoteurs immobiliers doivent supporter un surcoût qui se répercute sur le prix unitaire du logement. L’exemple du Maroc pourra par exemple être suivi avec la création d’un organe parapublic dédié à la fois à l’habitat et à l’aménagement.

L’autre grande question est celle du financement de la filière. D’une part les promoteurs privés ont besoins d’importants fonds propres pour initier leurs projets et de l’autre côté les ménages ont besoin d’emprunter à long terme pour financer l’achat de leur logement. Du point de vue hypothécaire, le marché africain représente un trillion de dollars (CSAE, 2012)[2]. Pour favoriser le développement du marché, l’Etat devra favoriser l’accès à des ressources financières de long terme et mettre en place des outils de partage de risques. Cela passe par exemple par la mise en place de banques spécialisées dans le financement de l’habitat qui permettent aux banques traditionnelles d’accéder à des ressources de long terme avec une plus grande garantie des risques. Ces banques spécialisées émettent sur le marché des titres immobiliers à long terme, garantis par des crédits hypothécaires, et financent ainsi les banques traditionnelles qui à leur tour refinancent plus facilement les ménages. Une autre solution serait d’envisager un partenariat public-privé en confiant la gestion du projet  de construction à une entreprise dédiée. L’Etat sécurise le foncier avec toutes les autorisations nécessaires, les bailleurs de fonds apportent les premiers investissements nécessaires et les promoteurs privés réalisent leur programme pour le compte de la société dédiée au projet. Pour drainer les financements restants, les investisseurs privés sont invités à financer le projet en dette senior[3], avec une garantie des promoteurs du projet, de l’Etat et des bailleurs de fonds.

L’Etat doit aussi s’intéresser aux solutions informelles mises en place par les populations elles-mêmes. Par exemple de nombreux ménages louent leurs logements sans aucun cadre régulateur. Les propriétaires peuvent ainsi faire payer très cher des logements insalubres ou même le paiement de deux ans de loyer en avance (au Nigéria).  Ce qui crée de fortes distorsions sur le marché locatif. Cependant, s’il est bien encadré le secteur locatif peut répondre aux besoins de toutes les couches sociales (plus précisément des plus pauvres) et générer des revenus fiscaux pour les collectivités. L’auto-construction est un autre exemple d’initiatives informelles partie de la base. Des ménages à revenus informel acquièrent des parcelles et construisent eux-mêmes leur propre logement, souvent de moindres qualités, favorisant l’émergence de quartiers informels. Il est donc important pour l’Etat non pas de censurer ce type d’initiatives mais de l’encadrer et de le régulariser avec l’aide des investisseurs privés. Il est donc impératif pour les Etas africains de repenser leurs politiques de l’habitat afin de faire face à la crise de logements que vit le contient. Pour être efficace, ces politiques doivent créer un cadre favorable à l’initiative privée car partout dans le monde, les politiques publiques trop volontaristes ont montré leurs limites. Les pouvoirs publics doivent concentrer leurs efforts sur la sécurisation des opérations, le partage des risques et la mise en place d’incitations ciblées.  

Teico Kadadji


[1] Mobiliser le secteur privé pour un meilleur accès au logement. Secteur Privé & Développement n°19 : relever le défis du logement avec le secteur privé. Proparco.

 

[2] CSAE. 2012. Research on Urban Mass Housing workshop. St Catherine’s College, Oxford, 26-27 mars 2012. Disponible sur http://www.oxiged.ox.ac.uk/index.php/events/ urban-mass-housing

 

[3] Une dette dite « senior » bénéficie de garanties spécifiques et son remboursement se fait prioritairement par rapport aux autres dettes

 

Croissance, stabilisation politique et inclusion sociale : point sur les priorités stratégiques maliennes

1La crise politique, humanitaire et économique qui a affectée le Mali au cours des deux dernières années a profondément altéré les perspectives économiques et sociales encourageantes qui se dessinaient au début de la nouvelle décennie, en dépit de la récession mondiale. Le Mali était alors qualifié de modèle de stabilité politique (Société des Nations Unies, 2010) orienté vers l’atteinte des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) adoptés en 2000 par 193 États membres de l'ONU et plus de 23 organisations internationales. La définition du cadre stratégique pour la croissance et la réduction de la pauvreté (CSCRP) 2007-2011 et le programme de formalisation de la gestion des dépenses publiques attestent des efforts mis en œuvres afin de converger vers un modèle de croissance plus inclusif fondé sur des organes gouvernementaux transparents. Si l’atteinte des OMD d’ici 2015 semblaient dès lors compromise par les réalités sociales du pays, les progrès en matière d’accès à l’éducation et à l’eau étaient du moins sensibles. Outre la déconstruction institutionnelle générée par l’état de chaos politique qui a suivi le putsch du capitaine Amadou Haya Sanogo, les sévères crises humanitaire et économique qui ont affecté le pays – aggravées par le gel des flux d’aide publique au développement et la paralysie de l’activité économique – ont significativement altéré les perspectives de croissance favorables qu’augurait l’évolution des séries statistiques établies par l’OCDE et la Banque Africaine de Développement en 2010 dans le cadre de la publication annuelle des Perspectives Economiques en Afrique[1].   

Un an après l’élection du président Ibrahim Boubakar Keita et suite à la réhabilitation de l’administration malienne dans le nord du pays, les priorités gouvernementales sont claires : le développement des infrastructures et du secteur productif sont au cœur du plan de relance économique, tandis que la poursuite et la consolidation des réformes structurelles et le renforcement du secteur social constituent le socle d’un modèle de croissance souhaité plus inclusif et transparent.

Aux réformes structurelles menées par le gouvernement en exercice, s’ajoute la perspective de redéfinition des relations de coopération du Mali avec ses partenaires régionaux et internationaux qui participent à travers la coopération économique et l’assistance technique et financière, au développement d’un Etat malien fort et stable. Il s’agit pour le Mali d’accroitre son influence économique et politique globale, dans le cadre des logiques de régionalisation en œuvre en Afrique de l’Ouest d’une part, et de relations de coopération pour le développement plus transparentes et équilibrées d’autre part.

Un budget de 3,3 milliards d’euros d’aide au développement a été acté lors de la grande Conférence des donateurs de mai 2013, afin de répondre à l’urgence de la situation malienne. Les deux tiers des fonds ont déjà été engagés et un tiers a été versé, dont 300 millions d’euros d’aide budgétaire pour l’Etat. Ces engagements, de même que la nature de la coopération actuelle entre le Mali et ses partenaires techniques et financiers constituent des  éléments clefs pour son redressement fondé sur le cadre stratégique pour la croissance et la réduction de la pauvreté (CSCRP)[2] approuvé en décembre 2011. Toutefois, si cette assistance technique et financière est nécessaire – voire indispensable dans le contexte actuel – l’aide au développement n’a pas vocation à être inclue indéfiniment dans les prévisions budgétaires maliennes: elle doit au contraire fournir une assistance permettant la progressive autonomie du pays. Tant la volatilité de l’aide au développement que la façon – souvent questionnable – dont elle fut par le passé gérée par les gouvernements en exercice ont drastiquement et systématiquement impacté l’économie malienne. Le Mali bénéficiait en 2009 d’apports de l’ordre de 855 millions de dollars US (565 milliards de francs CFA) au titre de l’Aide Publique au Développement (APD),  soit une assistance extérieure équivalente à 13,2% du PIB (58 dollars par habitant) qui a représenté en 2009 près de 40% des dépenses totales et 65% du financement des investissements publics. Cette assistance extérieure a plus que doublé entre 2001 et 2011.

Si les relations de coopération pour l’aide au développement ont été repensées en 2010 par les pays membres du comité d’aide au développement de l’OCDE á la faveur des pays bénéficiaires dans le cadre de la déclaration de Paris, il importe quoiqu’il en soit d’envisager un modèle de développement convergeant vers la progressive indépendance du Mali vis a vis de l’aide financière au développement, pour l’instant inclue à part entière dans le budget gouvernemental et les prévisions de dépenses nationales.

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Les dynamiques d’intégration régionales pourraient dans ce cadre constituer une clef de stabilisation et de résilience pour l’économie malienne. Le Mali a ratifié pratiquement tous les accords et protocoles d’intégration et de coopération régionale développés par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et de l’UEMOA. Participer à l’approfondissement du processus d’intégration régionale tout en poursuivant les efforts de conformité de la politique économique et financière malienne aux accords régionaux devrait accroitre sur le long terme la crédibilité et l’influence du Mali au sein de la communauté internationale. L’appartenance du Mali à la zone UEMOA contribue en outre à sa stabilité financière, de même que la surveillance prudentielle assurée par la Commission bancaire de l’Afrique centrale (COBAC).

Tant la continuité des logiques d’intégration régionale que l’actuel processus de reconstruction institutionnel et étatique ouvre la voie vers de nouvelles bases politique, économique et sociale sur lesquelles fonder un modèle sociétal en adéquation avec les besoins et les aspirations de la population malienne. Le respect de telles lignes stratégiques devrait permettre sur le long terme de réduire la dépendance – et de fait la vulnérabilité de l’économie malienne – vis-à-vis des flux volatiles d’aide au développement et de fonder les bases d’un modèle de croissance durable et adapté aux réalités conjoncturelles du Mali.

Alix Landais


[1] BAFD/OCDE 2010 Perspectives Economiques en Afrique, 2010

[2] Le CSCRP est  le cadre de référence de la politique de développement du Mali. Il s’appuie sur 3 axes stratégiques : (i) la promotion d’une croissance accélérée, durable, favorable aux pauvres et créatrice d’emplois et d’activités génératrices de revenus ;  (ii) le renforcement des bases à long terme du développement et l’accès équitable aux services sociaux de qualité  et (iii) le développement institutionnel et la gouvernance.