Comment améliorer l’impact des IDE sur l’économie sénégalaise ?

Abstract business 3d  illustrationMalgré sa stabilité socio-politique et une position stratégique due à son accès à la mer faisant de lui une porte d’entrée privilégiée sur le continent africain et une destination sûre pour les investissements directs étrangers du fait des multiples opportunités qu’il peut offrir, le Sénégal peine à attirer les IDE comme le démontrent les chiffres. En effet, sur la dernière décennie, le flux d’IDE à destination du Sénégal s’est stabilisé autour d’une moyenne de 300 millions de dollars alors que dans des pays comparables comme la Mauritanie, ils sont passés de 101 millions de dollars en 2003 à 1126 millions de dollars en 2013[1].

Attirer les investissements étrangers est d’une importance capitale pour les autorités sénégalaises, qui misent sur le secteur privé (notamment étranger) pour atteindre les objectifs du Plan Sénégal Émergent (PSE), le nouveau cadre de gestion de la politique économique sénégalaise. En effet, une place de choix est accordée au secteur privé dans ce plan. Sur les 12 000 milliards nécessaires pour l’exécution de ce plan, les deux tiers devraient provenir du secteur privé. Ceci justifie les  efforts engagés par les autorités afin d’attirer davantage d’IDE, notamment à travers différentes réformes ; réformes qui ont permis au pays de gagner trois places au classement Doing Business de la Banque Mondiale, passant ainsi de la 156ème à la 153ème position sur les 189 pays classés. En dépit de ces efforts, l’investissement privé étranger durable ne semble pas suivre et cet engouement des autorités pour en attirer davantage suscite des interrogations quant à l’impact des IDE sur la croissance de l’économie sénégalaise mais aussi sur les stratégies mises en place pour attirer les IDE.

S’il est généralement admis sur la base de certaines études que les investissements directs étrangers peuvent entrainer la croissance économique (Seetanah et Khadaroo 2007), nombreux sont les analystes qui stipulent que la question du développement  n’est pas seulement économique mais aussi sociale car elle doit tenir compte des phénomènes environnementaux. Pour ces derniers, les investissements directs étrangers ne sont que sources de pollution pour les pays en voie de développement et ne constituent donc pas une source de développement harmonieux.

En s’inspirant du modèle de Solow[2], une analyse faite sur l'impact des IDE sur la situation socioéconomique du Sénégal[3] révèle que ces ressources, n’ont pas d’influence systématique sur la situation socio-économique du Sénégal. Deux raisons expliquent cette situation :

  •  les IDE entrant dans le pays sont faibles. En effet, le Sénégal perçoit par an en moyenne depuis 2012 au moins 300 millions de dollars au titre des IDE, un montant relativement faible comparé aux 1,2 milliard de dollars investi par l’État ou au 1,6 milliard de dollars en moyenne, perçu sur la même période par le pays au titre d’envoi des migrants ;
  •  une mauvaise orientation des IDE. L’essentiel des IDE entrants au Sénégal est investi dans le secteur secondaire et se concentre sur l’activité des entités existantes, ce qui ne se traduit pas en une amélioration systématique des performances de ce secteur ou en création d’emplois. De plus au Sénégal, la croissance économique est tirée principalement par le secteur tertiaire (65,3% du PIB en 2014)[4], alors que le secteur primaire, qui emploie 45% de la main d’œuvre[5] disponible  contribue très peu à la création de richesse. Le manque d’investissement dans ce secteur constitue donc un manque à gagner considérable pour l’économie sénégalaise.

Cependant, les résultats montrent qu’associés à d’autres facteurs (capital humain, taux d’ouverture…), les IDE ont un impact plutôt significatif sur la situation socio-économique du Sénégal.

Dans ce contexte, le défi majeur aujourd’hui pour le Sénégal n’est pas tant d’entreprendre des réformes pour améliorer l’environnement des affaires et d’avoir un meilleur classement au Doing Business, mais plutôt d’améliorer les facteurs internes pour maximiser l’impact des flux intrants.

D’abord, il faudrait réorienter les IDE vers les secteurs à forts potentiels mais  qui apparaissent sous exploités. Les secteurs porteurs de croissance souffrent d’une carence en investissement privé durable, comme c’est le cas du  secteur primaire, qui est pourtant celui qui absorbe la plus grande partie de la main d’œuvre disponible

Ensuite, il faudrait améliorer la qualité de la main d’œuvre. En effet, l’État doit rendre plus efficace les dépenses publiques destinées à l’éducation et  à la santé afin de renforcer les capacités des ressources humaines tout en recherchant une adéquation entre la formation et le marché du travail. Selon les résultats du recensement général de la population de et l’habitat  (RGPH) de 2013, à peine 1 actif sur 10 au Sénégal aurait bénéficié d’une formation professionnelle, situation qui ne favorise pas  l’attractivité du pays.

Enfin, mettre en œuvre une bonne politique d’ouverture du Sénégal qui peut lui permettre de profiter des effets des IDE à l’aune de la marche de l’émergence. Pour ce faire, il faut réussir la transition fiscale en adoptant une politique fiscale plus attractive et qui favorise le développement du secteur privé.

Dans une compétition ardue entre pays en développement se disputant le volume d’IDE disponible sur le marché international, les pays qui seront moins attrayant sur le plan du climat des affaires et de l’investissement subiront la loi de la concurrence.

Mais les efforts ne sont pas à faire seulement au niveau national et doivent s’étendre également au niveau régional. Ainsi, pour renforcer les IDE dans la zone CEDEAO, zone économique à laquelle appartient le Sénégal, afin d'en maximiser l'impact sur l'économie et améliorer les conditions de vie des populations, des efforts  en terme de politiques économiques et de mesures incitatives sont à faire. Entre autres, on peut en citer :

  • la mutualisation des efforts des agences de promotion des investissements ;
  • L’effectivité d’un marché commun de la sous-région ;
  • L’adoption du code communautaire d’investissement.

En définitif, il faut retenir que : i. les IDE seuls exercent une faible influence sur la croissance économique sénégalaise, mais associés à d’autres facteurs (capital humain, taux d’ouverture…), ils ont un impact plutôt significatif sur la situation socio-économique du Sénégal ; ii. les différentes politiques d'ouverture économique du Sénégal  n'ont pas eu les effets escompté sur l’attractivité des IDE. La nouvelle politique des autorités doit donc s'attacher à une mise en valeur des secteurs porteurs peut financer à l'état actuel afin d'assurer une réorientation des IDE, permettant ainsi d'accroître leur rentabilité et de positionner le Sénégal comme une terre d'opportunités.

Abdoulaye Diallo


[1] Données banque mondiale

[2] Le modele de Solow est basé sur 05 équations macroéconomiques à savoir : Une fonction de production ; Une fonction comptable sur la création d richesse ; Une fonction sur le capital ; Une fonction sur le facteur travail ; Une fonction d’épargne.

[3] Les résultats du modèle sont disponibles sur demande.

[4] Banque de France

[5] Banque mondiale

Le développement du capital humain comme facteur de croissance économique et de progrès social : cas du Sénégal

Microsofts-education-project-in-Senegal.Sur des marchés où les biens, les services, les capitaux et les technologies circulent et s’échangent librement, les ressources humaines  constituent l’un des facteurs permettant de  marquer la différence entre les performances des pays. Dès lors, la politique éducative participe structurellement à la politique économique, car  elle contribue à déterminer l’avenir à moyen terme du pays. En d’autres termes, l’éducation permet l’accumulation du capital humain ce qui stimule la productivité du travail et accélère la croissance économique – le capital humain est un est un facteur important de la croissance endogène (Robert Lucas). Au Sénégal, même si le système éducatif est considéré comme l’un des meilleurs dans la sous-région ouest africaine, il reste encore beaucoup à faire pour le rendre performant. C’est ainsi que dans le cadre du Plan Sénégal Émergent (PSE), où des réformes structurelles sont entamées et s’étalent sur la durée, le gouvernement sénégalais a décidé de construire un système éducatif capable de répondre aux exigences de développement du pays en faisant de l’éducation un point clé de ce plan. Cet article se propose de revenir sur les réformes en cours pour améliorer la qualité du système éducatif au Sénégal.

1. Un système malade de ses précédentes réformes non abouties

Toute analyse exige d’abord un état des lieux du système éducatif sénégalais. Comme dans la plupart des pays africains francophones, celui-ci a peu progressé en dépit des efforts fournis par les différents gouvernements successifs. Le monde de l’enseignement et de l’éducation sénégalais souffre toujours d’un manque criant de moyens. Et les grèves incessantes des enseignants ou des étudiants dans le but de réclamer de meilleures conditions de travail n’ont rien donné : leurs situations demeurent inchangées.

A la surpopulation des amphithéâtres causée par un système d’orientation défaillant s’ajoute un manque d’infrastructures éducatives avec la vétusté des bâtiments universitaires, sans oublier les lycées et les collèges. Ces problèmes sont davantage accentués dans les régions éloignées de la capitale du pays, c’est-à-dire le Sénégal profond, à l’exemple de la région de Matam et de Tambacounda où le manque de professeurs et d’éducateurs est devenu un problème banal au fil des années. On y note aussi un faible taux d’alphabétisation, particulièrement chez les filles. Toute politique éducative ou réforme du système éducatif doit donc prendre en compte l’ensemble  des défaillances de celui-ci. Pour remédier, à tous ces problèmes, l’état sénégalais dans le cadre du PSE a mis en place le PAQUET, un programme de réforme du système éducatif.

2. Le Programme d'Amélioration de la Qualité, de l’Equité et de la Transparence (PAQUET)

Le PAQUET (2013-2025) est le programme mis en place dans le cadre du PSE afin d’améliorer le système éducatif et constituera le socle de la politique nationale en matière d’éducation et de formation   . Il a été élaboré avec la collaboration de nombreux acteurs du système éducatif, tel que le ministère de l’éducation nationale et les inspections académiques, mais aussi les collectivités locales, les organisations de la société civile, les syndicats d’enseignants ainsi que les partenaires techniques et financiers. Ce programme se décompose en différents points à savoir :

  • mettre en place un cycle fondamental d'éducation de base de 10 ans ;
  • éradiquer l'analphabétisme et promouvoir les langues nationales ;
  • développer une offre d’enseignement supérieur diversifié et de qualité ;
  • renforcer l’utilisation des TIC dans les enseignements (interconnexion des établissements d’enseignement supérieur) ;
  • développer une gouvernance efficace, efficiente et inclusive du système éducatif ;
  • promouvoir la formation professionnelle orientée vers le marché de l'emploi ;
  • etc.

Certains de ces points ont déjà plus ou moins été spécifiés dans une réforme précédente, le PDEF (Le Programme Décennal de l’Éducation et de la Formation), programme qui  devait à l’origine corriger les lacunes observées dans le système éducatif. Parmi ses objectifs figuraient notamment l’introduction de l’enseignement des langues nationales dans les programmes scolaires ainsi que la mise en place des Cases des Tout-petits, un nouveau modèle de prise en charge de la petite enfance. Ces éléments apportent certes un renouveau au système éducatif, mais ne règlent pas le fond du problème : à tous les niveaux, la qualité de l’éducation demeure hétérogène et reste un privilège réservé à une  certaine partie de la population. Or, dans un pays où le nombre d’habitants augmente 2,8 % par année et le nombre d’enfants en âge d’être scolarisé progresse de façon similaire, des dispositions ou précautions plus sérieuses doivent être prises.

Ainsi, afin de faire de la mise en œuvre du PAQUET un succès, les autorités sénégalaises doivent avant tout se concentrer sérieusement  sur l’accès à l’éducation. Ceci passe par la construction de nouvelles salles de classes, l’investissement dans la formation et le salaire des enseignants, la mise à disposition de matériel didactique et l’extension de l’utilisation des nouvelles technologies de l’information et de la communication, partout sur le territoire – des mesures qui permettraient d’améliorer la gestion de l’enseignement et de renforcer sa qualité à tous les niveaux.

3. L’adaptation de l’enseignement supérieur aux besoins du marché du travail et le recours à la formation professionnelle et continue

Il faut noter qu’aujourd’hui le pourcentage des jeunes en situation de chômage de longue durée est de 74% pour les diplômés du supérieur, 52% chez les diplômés du secondaire, 62% pour ceux qui ont le niveau primaire et 41% pour ceux qui n’ont aucun niveau d’instruction d’après les chiffres du ministère de l’éducation

Par conséquent, le gouvernement doit, d’une part identifier le secteur clé et porteur d’emploi ainsi que les domaines– et d’autre part y créer ou implanter des pôles d’excellence afin d’adapter l’enseignement supérieur au besoin du marché. De plus, dans un monde où le marché de l’emploi est en perpétuelle progression, la formation professionnelle et continue doit occuper une place importante dans le système éducatif. Plus exactement, l’objectif doit être de former les étudiants et de les préparer à des situations professionnelles futures  à travers la mise en place d’enseignements spécifiques et ciblés ou adaptés au marché local et les secteurs vers lesquels se tournent le pays à travers les réformes structurelles engagées dans le PSE. En outre, la disponibilité de ces ressources humaines, à savoir les techniciens et ingénieurs locaux, favorise le recours aux nouvelles technologies, augmente l’employabilité des individus et améliore la productivité et la compétitivité des entreprises locales.

L’Université doit également être impliquée dans le domaine de l’entrepreneuriat ou de la création d’entreprise. Et cet aspect entrepreneuriat, qui est devenu crucial de nos jours avec la tension sur le marché de l’emploi, a été négligé dans le PAQUET. En effet aucun des axes du PAQUET ne fait référence à l’entrepreneuriat. Or, aujourd’hui, l’entrepreneuriat est considéré comme un important vecteur de croissance, et cela s’explique notamment par son incidence sur l’insertion professionnelle des jeunes et la création d’emplois. Ainsi , lorsque l’enseignement comporte  un  apprentissage  à  l’entreprenariat,  les  probabilités  de  création  de  nouvelles  entreprises  et  d’exercice   d’un   travail   indépendant   s’accroissent, tandis   que   les   récompenses   économiques   et   la   satisfaction personnelle des individus ayant créé leur entreprise augmentent (Kauffman Center Charney et Libecap, 2000) .

En définitive, le rôle joué par l’éducation dans les pays en développement est très important dans le processus de développement économique et social, et ce au même titre que l’amélioration de la productivité du travail, l’amélioration de la condition de santé et de nutrition, la réduction des disparités et des inégalités entre les différents groupes de la société notamment les inégalités liées au genre, les inégalités entre les riches et les pauvres ou encore  entre zones urbaines et rurales. Mais l’éducation, plus encore, est essentielle pour réduire les inégalités en accordant plus de chances aux groupes les plus vulnérables, renforcer la cohésion sociale et pour la construction d’une société plus démocratique. De façon objective, cet objectif est réaliste au Sénégal dans les deux décennies à venir, si sa réforme éducative (le PAQUET) est menée à bon escient. A l'inverse, elle resterait un travail de Sisyphe.

Hamidou Cissé

Macky Sall, deux ans après: beaucoup de réformes, peu de satisfaction

Macky-Sall-au-moment-de-sa-prestation-de-serment-300x200

Deux ans après son élection à la tête de l’Etat sénégalais, Macky Sall fait face à un certain mécontentement social. Pourtant, ce n’est pas faute d’avoir mis en place d’importantes réformes dans beaucoup de secteurs.

Beaucoup de réformes mises en places

En effet, le régime a enclenché un certain nombre de mesures visant à satisfaire la demande sociale, allant de la réduction des prix des denrées de première nécessité à la baisse des loyers, en passant par la création de bourses de sécurité familiale et celle d’une couverture maladie universelle. De plus, certains instruments importants destinés à stimuler et à soutenir l’activité économique ont été adoptés : le FONSIS (Fonds de soutien aux investissements stratégiques), le FONGIP (Fonds de garantie des investissements prioritaires), et la BNDE (Banque nationale de développement économique). De même, dans la continuité de la Stratégie de croissance accélérée, des Documents de stratégie de réduction de la pauvreté, et de la Stratégie nationale de développement économique et social, le Plan Sénégal émergent a été adopté et suit son cours. Ce dernier a enregistré un succès au groupe consultatif de Paris, où il a mobilisé la somme de 3729 milliards de F CFA auprès des bailleurs de fonds multilatéraux du Sénégal, après les 2200 milliards de F CFA obtenus auprès de la Chine pour le financer.  Tous ces programmes visent à atteindre une forte croissance via des réformes macro-économiques financées en partie par les partenaires internationaux du Sénégal. Parallèlement, certains chantiers ouverts par le régime précédent, concernant en particulier les infrastructures (routes, hôpitaux, chemin de fer, port, etc.) ont été maintenus ou améliorés. Plusieurs autres grandes mesures dans les domaines de l’agriculture, de l’élevage, de la pêche, de l’environnement, de l’énergie, de l’éducation, de l’enseignement supérieur, du travail, de la sécurité, de la fiscalité (pour ne citer que ceux-là) sont en train d’être mises en œuvre.

C’est ainsi qu’une nette amélioration de la distribution d’électricité a été notée. Un vaste programme de recrutement de plus de 5500 nouveaux agents dans la fonction publique a été effectué. 10 000 autres ont été enrôlés dans une agence dédiée à la sécurité de proximité pour prévenir la petite délinquance et rapprocher la police des citoyens. Il y a eu également une baisse importante de la fiscalité sur les salaires, qui vise à relever le pouvoir d’achat. En outre, l’Acte 3 de la décentralisation est venu modifier la carte administrative en matière de décentralisation, en supprimant des régions, créant des conseils généraux au niveau départemental, et surtout opérant une communalisation générale qui consiste à octroyer aux collectivités locales de base le même statut et les mêmes moyens financiers. Cette réforme qui vise la territorialisation des politiques publiques devrait permettre aux entités locales d’être plus autonomes vis-à-vis de l’Etat central. Par ailleurs, un programme d’audit de la fonction publique a été mené afin de déceler les erreurs et doublons qui s’y trouvent, ce qui permet de les corriger et d’avoir une plus grande transparence dans la gestion des agents publics. De même, la traque dite des biens mal acquis a été déclenchée dès le début du mandat pour obliger les personnes ayant occupé de hautes fonctions dans le régime précédent à restituer les biens qu’elles auraient acquis de manière illicite. Elle a fait passer devant les tribunaux plusieurs personnalités du Parti démocratique sénégalais telles que Karim Wade (fils de l’ancien Président Abdoulaye Wade qui était à la tête de plusieurs ministères importants), Bara Sady (ancien Directeur Général du Port autonome de Dakar), Tahibou Ndiaye (ancien Directeur du cadastre) et Aida Ndiongue (ancienne sénatrice et responsable du PDS). Enfin, un travail de réflexion sur les institutions a été fourni par la commission nationale chargée de la réforme des institutions (CNRI).  Ce dernier point mérite d’être examiné un tant soit peu.

Dans l’avant-projet de Constitution remis au Président Sall par le Pr Amadou Mahtar Mbow, ancien Directeur Général de l’Unesco, figurent des mesures-clés : le renforcement des pouvoirs du Premier ministre et du Parlement, le monocaméralisme à travers la suppression du Sénat, l’interdiction pour le chef de l’Etat d’être chef de parti, ainsi que les devoirs des citoyens relatifs au respect de l’ordre et de la sécurité publics, etc. Il propose également la création d’une Cour Constitutionnelle en lieu et place de l’actuel Conseil Constitutionnel, ce qui devrait permettre l’émergence d’une véritable justice constitutionnelle, plus indépendante et reflétant la diversité de la société sénégalaise. Ces propositions de réformes divisent la classe politique, et n’agréent pas en particulier le camp présidentiel, mais elles peuvent améliorer la vie démocratique sénégalaise. Il pourrait s’enrichir de la diminution des pouvoirs de nomination du Président de la République qui, actuellement, nomme à tous les emplois civils et militaires. Moult griefs ont été faits à l’encontre des propositions faites par la CNRI, mais ils ne s’avèrent pas fondés. La démocratie sénégalaise est certes dotée d’institutions fortes et stables, mais elle peut sans doute gagner en  progrès et en réformes. Le Sénégal doit adopter l’avant-projet de Constitution de la CNRI sans n’y changer aucune virgule, pour reprendre la formule du Président Diouf lorsqu'un Code électoral consensuel lui avait été soumis en 1992.

Du mécontentement social subsistant

Cependant, malgré tous ces efforts entrepris par l’actuel régime, force est de constater que le mécontentement social ne s’est pas encore éteint et que les Sénégalais ne sont pas encore sortis de l’auberge de la demande sociale. Il n’est besoin pour s’en convaincre que de se promener dans les rues dakaroises en prêtant attention aux discussions des gens, qui entonnent la même chanson : « Deuk bi dafa Macky ». Cette expression, répétée à longueur de journée, explique suffisamment que la demande sociale, pour laquelle le Président Sall a été élu, n’a pas encore été satisfaite. Malgré la baisse considérable des prix des denrées de première nécessité telles que le riz, l’huile, le lait et le sucre ainsi que celle des loyers, les Sénégalais rencontrent toujours de réelles difficultés pour se nourrir et se loger décemment. Malgré le recrutement de  milliers de nouveaux agents publics, le problème du chômage des jeunes n’a pas encore été résolu. Malgré les dispositifs de soutien à l’activité économique, notamment ceux de soutien aux PME, l’embellie économique n’est pas encore au rendez-vous.

En outre, l’Acte 3 de la décentralisation n’a pas été mené sur une base très consensuelle, vu que tous les acteurs concernés (élus locaux, organisations communautaires de base)  n’y ont pas été associés. Malgré les efforts de modernisation des secteurs agricole et silvo-pastoral, le milieu rural est confronté à d’énormes difficultés de commercialisation de ses produits comme l’arachide. Quant aux acteurs de la pêche, ils dénoncent la rareté de certains produits halieutiques du fait de la présence de gros navires étrangers dans les eaux sénégalaises. En plus de ces insatisfactions, d’autres facteurs de mécontentement sont nés. L’audit général de la fonction publique a généré un bras de fer avec les enseignants des lycées et collèges qui protestent contre la rétention des salaires qui a été effectuée pour certains d’entre eux. Les étudiants des universités publiques protestent contre une réforme du système de l’enseignement supérieur qui a instauré de nouveaux tarifs relatifs aux droits d’inscription annuels… En gros, un certain mécontement social subsiste.

L’opinion publique est impatiente

Du point de vue supérieur de l’opinion publique, les grandes réformes entreprises et les nombreux efforts déployés par les autorités publiques ne sont que du vent, tant et aussi longtemps que le Sénégalais moyen ne pourra satisfaire ses préoccupations primaires. La croissance économique affichée et les nouveaux plans de développement brandis sont de l’optimisme qui se vend sur les places internationales, mais ne produisent pas des effets immédiats sur son vécu quotidien. Et pour cause : le temps de l’opinion publique n’est pas celui d’une stratégie d’émergence à moyen ou long terme, telle que planifiée par le gouvernement. Les populations sénégalaises aspirent à une amélioration immédiate de leurs conditions de vie, avec une grande impatience. Or, le développement est une affaire de long terme pour un pays pauvre comme le Sénégal. Les sous-jacents économiques fondamentaux ne sont pas entièrement réunis pour permettre une émergence rapide. L’environnement des affaires n’a pas encore connu cette amélioration que les pouvoirs publics sénégalais appellent de leurs vœux. Les démarches et les coûts liés à la création d’une entreprise ou à l’obtention d’un permis de construire sont encore d’importants freins à l’investissement.

L’investissement est le maître-mot !

Le Sénégal est dans une phase de transition consécutive à la gabegie générale dont ont souffert les finances publiques lors du régime précédent. Cette situation transitoire devrait permettre d’assainir les finances publiques et remettre l’Etat sur les rails de la bonne gouvernance. Le Sénégal doit impérativement garder ce cap de réformes pour atteindre le palier de l’émergence, en s’appuyant aussi bien sur son secteur privé que sur les investissements directs étrangers même s'il y aura des moments difficiles avant qu'elles ne fassent leurs effets.

Une option pragmatique voudrait que les autorités publiques se concentrent sur les priorités économiques : agriculture (parvenir à écouler les productions agricoles), industries (piliers incontournables du développement ; en particulier celles minières et extractives, dont le Sénégal peut encore beaucoup profiter), infrastructures (l’état d’une route comme celle de Fatick-Kaolack est inacceptable), énergie (les coupures de courant freinent l’activité économique), emploi (un des plus grands défis des pouvoirs publics car une jeunesse désœuvrée est un facteur d’instabilité), assainissement et environnement (l’insalubrité publique est une bombe à retardement), etc. Bien entendu, l’éducation et la santé demeurent des secteurs prioritaires pour améliorer le capital humain. Le Sénégal doit poursuivre les efforts qui y ont été fournis. Le maître-mot des politiques publiques, dans les années à venir, devra être l’investissement. Le Sénégal a une certaine facilité pour en mobiliser grâce à sa stabilité politique et à l’efficacité de sa diplomatie économique ; c’est pourquoi il faudra poursuivre les efforts qui sont fournis pour augmenter l’attractivité du pays ainsi que sa compétitivité. L’investissement doit profiter aux productions où le Sénégal a un avantage comparatif (comme l’arachide, le mil, le sel, le coton, les poissons, les phosphates). Il doit également bénéficier aux secteurs à haut potentiel de rendement comme l’agro-business (surtout dans la vallée du fleuve Sénégal et dans les Niayes), les TIC, les énergies renouvelables (solaires, hydrauliques, éoliennes). La conclusion de PPP pourrait être un grand levier car ils facilitent la mobilisation de capitaux pour le financement des services publics. L’investissement (public comme privé) reste une condition sine qua non du développement pour un pays parce que lorsqu’il est bien organisé, toutes les portes lui sont ouvertes. 

                                                      Mouhamadou Moustapha Mbengue