Collecte-t-on trop ou pas assez d’impôts en Afrique ?

L’amélioration de la performance fiscale constitue l’un des défis de développement pour les pays africains.[1] Dans sa publication récente sur les recettes publiques en Afrique[2], l’OCDE indique que la mobilisation des recettes fiscales est en progression, se situant à 19,1% du PIB en moyenne pour les pays étudiés, mais demeurent en retrait par rapport à la performance d’autres régions dans le monde (22,3% en Amérique Latine dont les pays ont une structure fiscale comparable à ceux d’Afrique). Selon l’institution, cette performance est « due à deux facteurs. D’abord, la bonne performance des économies africaines, et notamment leur forte croissance, ensuite l’augmentation des capacités à taxer, notamment de la TVA, des administrations fiscales»[3] mais elle craint que la fiscalité ne devienne régressive[4] sur le continent. Elle part du constat que les impôts sur les biens et services constituent aujourd’hui l’essentiel des recettes fiscales (57.2 % en moyenne), la TVA arrivant en tête, suivis des impôts sur le revenu et sur les bénéfices (32.4 %). Cette situation soulève plusieurs interrogations sur la capacité des pays africains à mobiliser davantage de recettes fiscales. Spécifiquement, les pays africains collecteraient-ils trop d’impôts indirects et pas assez d’impôts directs ?

Afin de répondre à cette question ; des experts de L’Afrique des Idées ont élaboré une nouvelle approche pour estimer l’écart fiscal[5]. Cette estimation permettra de déterminer le compromis à trouver entre l’assiette et la pression fiscales pour maximiser les recettes fiscales en Afrique. Il faut préciser que la performance fiscale dépend, outre l’activité économique, d’autres facteurs difficilement quantifiables : exemptions fiscales, dépenses fiscales, évasion fiscale, gestion de l’administration fiscale, etc. Ces facteurs peuvent affecter la performance fiscale d’un pays en le révisant à la hausse ou à la baisse par rapport à son potentiel fiscal réel, déterminé par la structure de son économie et la législation en place. Dans l’un ou l’autre des cas, cet écart fiscal serait nuisible à l’économie. Une moindre performance constitue un manque à gagner et pourrait limiter les investissements publics alors qu’une surperformance pourrait ralentir l’investissement privé.

Une méthode d’estimation de l’écart fiscal

L’écart fiscal se mesure comme la différence entre les recettes fiscales collectées et les recettes fiscales potentielles. Ces dernières dépendent de la structure de l’économie, qui détermine l’assiette fiscale, et des politiques publiques qui établissent le taux moyen d’imposition. La structure de l’économie se mesure à partir de la valeur ajoutée des différents secteurs de l’activité économique et du niveau de développement humain. Quant aux politiques publiques, elles sont approximées par le taux d’inflation, le niveau des inégalités et l’existence d’une rente minière.

L’estimation consiste à comparer les recettes fiscales effectivement collectées par chaque pays africain entre 1996 et 2011 à celles qu’a pu collecter un autre pays, non africain, ayant la même structure économique et le même niveau de développement. Ainsi, une performance supérieure traduirait un « trop perçu fiscal » alors qu’une moindre performance correspondrait à un « manque à gagner fiscal ».

Un trop perçu fiscal en Afrique par rapport au reste du monde

Les résultats des analyses suggèrent que même si les pays africains affichent des performances fiscales plus faibles que les autres pays du monde, leurs administrations fiscales affichent globalement des performances supérieures au regard de la structure de leur économie. Sur les 49 pays analysés, près de la moitié affichent un trop perçu fiscal.  La performance fiscale des pays concernés serait de 1.3 (Tunisie) à 3.5 (Namibie) fois supérieure à son niveau potentiel. Seuls la Côte d’Ivoire, le Djibouti et le Nigéria ont un manque à gagner fiscal ; le reste étant à des niveaux comparables avec le reste du monde. La Côte d’Ivoire, pour sa part, ne mobilise pour l’heure que 90% de son potentiel. A l’exception de la Côte d’Ivoire, cet écart fiscal ne tend pas à se réduire.

Ce trop perçu fiscal se manifeste notamment dans les taxes directes composées principalement des impôts sur les bénéfices et sur les revenus[6]. En ce qui concerne les taxes indirectes et douanières, il n’y a pas d’écart par rapport au potentiel fiscal ; la quasi-totalité des pays africains étant pratiquement au même niveau que les autres pays du monde.

Ce résultat se comprend assez bien dans la mesure où le faible nombre d’entreprises et de salariés dans le secteur formel africain permet à l’administration fiscale de recouvrer plus facilement les taxes directes. Il est aussi caractéristique d’une politique fiscale trop centrée sur les taxes prélevées sur les activités du secteur privé formel. Au Sénégal par exemple, le taux d’imposition moyen sur les entreprises s’établit à 48% alors que la pression fiscale au Sénégal se situe à environ 20%.[7] Ainsi la faiblesse des recettes fiscales des pays africains par rapport à la taille de leur économie s’explique essentiellement par l’étroitesse de leurs assiettes fiscales. Par ailleurs, la pression fiscale exercée sur le secteur privé, principale source des recettes fiscales, est trop forte par rapport aux pratiques dans le reste du monde et pourrait contribuer à affaiblir la capacité des Etats à élargir l’assiette fiscale.

Quelle mesure pour améliorer la performance fiscale des pays africains ?

Au regard de ces résultats, l’amélioration de la performance fiscale dans les pays africains passera essentiellement par la mise en place d’un cadre favorable au développement du secteur privé. Pour ce faire, il faudrait surtout réduire la pression fiscale exercée sur le secteur privé afin de favoriser sa croissance et sa compétitivité. Cette forte fiscalité constitue, par ailleurs, l’une des contraintes majeures à la formalisation de certaines entreprises. L’assouplissement de la pression fiscale permettra donc de faciliter l’intégration de certaines « grosses » entités informelles dans l’assiette. Une telle stratégie renforcera aussi l’attractivité des économies pour les entrepreneurs, contribuant ainsi à élargir l’assiette fiscale. Certains pays comme le Lesotho ont entamé des réformes dans ce sens, ce qui leur a permis d’améliorer sensiblement leur performance fiscale sans constituer un obstacle pour le secteur privé. Selon l’étude « Paying Taxes 2016 » de Pricewaterhouse Coopers, le Lesotho est le pays africain avec le plus faible taux d’imposition des entreprises (13,6% en 2015) alors que son ratio de recettes fiscales sur PIB est le plus élevé du continent (40% contre 35% en moyenne dans les pays de l’OCDE) ; ces revenus fiscaux s’appuyant sur toutes les catégories de taxes.

Foly Ananou et Georges Vivien Houngbonon

[1] Cette amélioration se mesure par l’évolution du ratio des recettes fiscales sur le PIB.

[2] Ce rapport couvre 16 pays : Afrique du Sud, Cabo Verde, Cameroun, Côte d’Ivoire, Ghana, Kenya, Maroc, Maurice, Niger, Ouganda, République démocratique du Congo, Rwanda, Sénégal, Swaziland, Togo et Tunisie

[3] Interview de Federico Bonaglia, Directeur adjoint du Centre de développement de l’OCDE pour Jeune Afrique à l’occasion de la publication de l’édition 2017 des Statistiques des recettes publiques en Afrique.

[4] Soit que les Etats ne lèvent que peu d’impôts directs (impôts sur les revenus notamment) quand la base s’accroît.

[5] Se rapprocher des auteurs pour en savoir plus.

[6] Certains pays, comme l’Ethiopie, mobilise jusqu’à 25 fois plus que ce qu’ils devraient dans cette catégorie.

[7] Pricewaterhouse Coopers (PwC) et World Bank, Paying Taxes 2016 : Ten years of in-depth analysis

Is financial aid helping Africa?

“Give a man a fish and you feed him for a day ; teach a man how to fish and you feed him for a lifetime”. In simple words this saying explains the complexity that lies behind financial aid. Back in 1970, the United Nations General Assembly adopted resolution 2626, it was agreed that: “Financial aid will, in principle, be untied […] Developed countries will provide, to the greatest extent possible, an increased flow of aid on a long-term and continuing basis.”

Half a century later, hundreds of billions of dollars have been transferred from rich countries to Africa, yet as the percentage of its population living under the poverty threshold ($1.90/day) has decreased, the total number of people living under this same threshold has increased ; a real paradox. An explanation alone will not do, there is a need to find a solution as well. The Organization for Economic Co-operation and Development (OECD) in its 2015 edition report recorded that $55 billion were given by its member to Africa. Contrary to popular belief, the biggest receivers are not African countries but Asian countries. Afghanistan, Myanmar and Vietnam are the top receivers of financial aid in the world, whereas in Africa the biggest receivers are Egypt ($5.5 billion), Ethiopia ($3.8 billion) and Tanzania ($3.4 billion).

 

Of the $55 billion given to the continent, the biggest donators are the United States ($8.9 billion), the International Development Association (IDA) ($6 billion) and the European Union ($5.9 billion). Almost half of these $55 billion were allocated to the social sector which includes education, health and water treatment. This choice is not random, focusing on such a crucial sector facilitates the development of a country through the expansion of its production function which is allowed by improving the available factors of production. Furthermore, it can be argued that the Millennium Development Goals (MDGs) were directly targeted through such policies. Surprisingly, the economic sector accounts for only one fifth of the $55 billion given. This raises many questions especially when considering that under this category fall transport, communications, energy and banking. By leaving aside such important components, economic growth is hindered and development is in harm’s way.

Usually, the receivers are blamed first when there is a lack of effectiveness from financial aid. Bad governance is pointed out; it is true that some leaders did not hesitate to embezzle financial aid. No one really knows how much wealth Mobutu Sese Seko gathered (even though some claim it to be $13 billion) while his country was running at the time with a debt of no less than $13 billion… Although, even when good intentions are present, mismanagement is another problem. Sadly, the white elephant (Expensive investments that serve no purpose) has become the most widely observed animal in Africa as financial aid is spent on non-essential sectors, due to a lack of expertise. Yet, this should not mean that the responsibility falls solely on the receivers.

The roles of the donators can also be questioned. 46 years ago it was agreed between the UN and the donating countries that each year, they would donate 0.7% of their gross national product (GNP) to developing countries. As of today, only five countries meet this criteria: Denmark, Luxembourg, Norway, Sweden and the United Kingdom… Then again, giving too much money can also be a problem as it causes a dependency on financial aid. Even more troubling is tied aid, its consequences are gruesome as entire populations are deprived because their governments do not satisfy the political criteria established by the community of donators.

Last but not least, the arrival of new donators should be welcomed cautiously. Even though most of the donators are western countries, new ones are emerging. The BRICS (Brazil, Russia, India, China and South Africa) as well as Turkey are more and more contributing. Furthermore, with economic downturns for the western economies, their donations has substantially decreased. This has allowed these new actors to rise, China for instance has pledged to donate $60 billion to Africa during the last China-Africa summit. However, the arrival of new donators does not necessarily lead to a more favorable situation for the receivers ; in the end good governance and inclusive growth are both the reactants and the products in this equation.  

 

Meanwhile, Africans living outside the continent send more and more money home to their families. It is only a question of time before remittances outweigh financial aid given to the continent… A strong reminder that Africans have the power to change Africa foremost.

 

Riad KAID SLIMANE

 

REFERENCES

OECD, Development Aid at A glance, Statistics by region, Africa, 2015 edition. http://www.oecd.org/dac/stats/documentupload/2%20Africa%20-%20Development%20Aid%20at%20a%20Glance%202015.pdf

MOYO Dambisa, Dead Aid: Why aid is not working and how there is a better way for Africa, 2009, p.208

L’Afrique, fer de lance d’une révolution financière ?

Partout dans le monde, on assiste à un bouleversement du paysage financier[1]. Les banques traditionnelles sont prises de vitesse par des acteurs nouveaux, dits barbarement fintech et/ou opérateurs de mobile banking (MNO ou MVNO)[2], optimisant l’usage des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC). En Afrique, cette tendance est croissante. Ce continent peut-il mener la voie d’une nouvelle ère financière ? 

L’Afrique, épicentre technologique des services financiers

Le phénomène de digitalisation financière est plus aigu sur le continent africain pour de nombreuses raisons. Tout d’abord, les startups étiquetées « fintech » grouillent. Ce constat est sans équivoque et ce, dans la plupart des pays africains, notamment en Afrique de l’Est et en Afrique du Sud. Certaines se sont même fait remarquées sur la scène internationale, attirant investisseurs étrangers en quête de solides retours et/ou d’impact social. Ainsi, sur l’ensemble des investissements alloués aux jeunes entreprises africaines dans les NTIC en 2015, 30% concernaient les fintech[3]. Soutenues par un écosystème favorisant le développement de ces entreprises – avec une offre croissante d’accompagnement par des incubateurs et des concours entrepreneuriaux – ces pépites jouissent d’un environnement de plus en plus favorable à leur éclosion.

L’Afrique peut se targuer d’être le continent du mobile money et banking (ou m-paiement). La majorité des services de mobile money s’opérant à l’échelle planétaire ont lieu en Afrique (52%)[4]. Leur développement est exponentiel avec, en 2015, trois fois plus d’utilisateurs de portefeuille mobile et numérique qu’aux Etats-Unis et avec un rythme de croissance trois fois supérieur[5]. Cependant, certaines précisions s’imposent. D’une part, parler de rupture technologique en Afrique revient à négliger la situation actuelle. Contrairement aux pays occidentaux où l’offre bancaire est bien ancrée auprès une clientèle large, l’Afrique – avec des nuances pour l’Afrique du Sud – ne dispose pas de banques jouissant d’une telle base clientèle (9 Africains sur 10 n’ont pas accès aux services bancaires). Dès lors, ces acteurs créent des infrastructures et des services là où l’existant est quasi nul. D’autre part, la révolution en question n’est pas brutale mais par phases. Le déferlement du mobile money appartient à une première tendance, certes non achevée mais déjà talonnée par une seconde vague d’innovation menés par les fameuses fintechs. Alors que les services de mobile money, sont, dans l’ensemble, pilotés par de grands groupes de télécommunications et basés sur le téléphone portable, les fintechs sont surtout le fait d’entrepreneurs innovants en solo et axées sur l’usage d’internet[6].

Pionnière ou retardataire ?

Cette distinction permet de mieux apprécier si l’Afrique fait figure de pionner à l’échelle internationale ou si elle ne fait que rattraper un fort retard de bancarisation, avec des moyens qui lui sont propres. La réponse n’est pas binaire : l’Afrique crée de zéro des solutions répondant à des besoins basiques, pour combler le déficit de réponse adaptée des acteurs traditionnels. Cependant, la forme prise par ces solutions introduit un paradigme nouveau que les pays développés sont en train de copier, prenant dès lors l’Afrique pour modèle. Ainsi, on assiste à un bourgeonnement d’offres bancaires à distance en France (exemples de Soon, Hello Bank pour n’en citer que certaines) ; encore embryonnaires au Nord, elles font en revanche partie intégrante du paysage au Sud. En revanche, le focus sur le Nigeria du dernier rapport du cabinet KPMG sur les services financiers en Afrique souligne que les banques traditionnelles africaines semblent connaître les mêmes problématiques que leurs consœurs occidentales en ce qui concerne le passage au numérique. La conversion de leurs clients – qui utilisent déjà les plateformes numériques mais pour d’autres usages – à des services bancaires en ligne ne va pas de soi et la facilité d’utilisation reste un défi pour nombre de banques africaines.

Pourquoi un positionnement d’avant-garde ?         

Tout problème appelle une solution. C’est cette raison simple qui explique principalement l’ébullition constatée en matière de services financiers innovants. Elle se vérifie magistralement dans la problématique cruciale du financement des PME. Délaissées des banques – qui, peu flexibles, requièrent un nombre faramineux de garanties et comprennent mal leurs capacités de crédit – respectivement trop petites et trop grandes pour la plupart des fonds d’investissement et les institutions de microfinance – avec un ticket d’entrée trop élevé/petit pour ce segment – les PME reçoivent un meilleur accueil auprès de plateformes telles que Merchant Capital ou Rainfin en Afrique du Sud qui ont une connaissance fine de leurs besoins avec une proposition de valeur adaptée et flexible.

Similairement, alors que des institutions de la place existent pour répondre à des problématiques du quotidien, l’utilisation du numérique permet à d’autres acteurs de proposer des solutions plus adaptées, en accord avec les préférences des consommateurs africains[7]. Ainsi, en matière de transferts d’argent, face aux mastodontes occidentaux, l’opérateur de mobile money QuickCash cible les populations non desservies en brousse, reliant en particulier les planteurs de cacao en Côte d’Ivoire et leur famille dans les pays frontaliers. De même, la fintech WorldRemit a su s’imposer en se montrant plus réactive et moins chère pour répondre aux requêtes majeures de la diaspora. Ces exemples soulignent que, l’agilité et l’innovation, au-delà même de la technologie, sont les clés expliquant le succès des fintechs en Afrique. Dans le même registre, l’histoire de M’Pesa confirme cette hypothèse : c’est en saisissant que la population utilisait le temps de communication comme une monnaie d’échange, que Safaricom a eu l’idée de lancer l’opérateur de mobile banking kenyan.

Une tendance en plein essor

Premièrement, le marché est encore très peu desservi et ne demande qu’à croitre. Les chiffres sont cités à tour de bras mais leur effet demeure significatif : sur près de 330 millions d’adultes, 80% manquent d’accès aux services bancaires formalisés. Deuxièmement, une intégration est en cours, à la fois de manière organisationnelle et sectorielle. D’une part, banques et opérateurs de services virtuels tendent de plus en plus à s’associer pour renforcer leur service client et accroitre leur couverture. On peut ainsi citer les unions entre la Commercial Bank of Africa (CBA) et Safaricom au Kenya, créant M-shwari, ou entre des institutions de microfinance et M-Birr en Ethiopie. Multipliant les services, l’intégration entre MTN avec une division de la Standard Bank en Afrique du Sud, entre Airtel et Equity Bank au Kenya ou entre les opérateurs télécom et la Société Tunisienne de Banque ont favorisé des offres nouvelles, telles que la consultation des comptes, le transfert d'argent d'un compte bancaire à un autre via le mobile, le paiement de factures, le prêt bancaire, etc. En Afrique de l’Ouest, cette tendance a favorisé la forte croissance enregistrée depuis 2013 dans le mobile-money[8].

D’autre part, l’innovation est dynamisée par une intégration sectorielle. Cette caractéristique positionne sans conteste l’Afrique comme pionnière. L’utilisation des technologies déployées par les fintechs ouvre la voie à l’inclusion d’autres services financiers (e-santé, e-assurance, e-éducation, etc.). Ainsi, à l’instar de M’Kopa, des fintechs se sont mises à offrir à leurs clients des services divers et variés étoffant leur modèle économique et leur part de marché. C’est dans cette perspective que peut se comprendre la dernière annonce par Jumia de se doter se son propre système de financement par mobile.

Les raisons foisonnent pour que cette tendance se maintienne à vive allure. Jusqu’à présent, contrairement à leurs analogues américains, les fintechs africaines n’ont pas ou peu tiré profit de la masse de données qu’elles drainent quotidiennement. C’est pourtant une mine d’or ! L’analyse de ces informations permettraient entre autres de mieux cibler leur clientèle, avec des offres plus adaptées, de réduire les risques, etc. Une autre opportunité vient de l’adaptation du marché du travail aux problématiques émergeant à mesure que se constitue une classe moyenne à l’aise avec les technologies numériques. De nouveaux métiers et de nouveaux modèles apparaissent. Au Rwanda, les entreprises Rwanda Online et Pivot Access se sont alignées avec la vision nationale de devenir un hub numérique en Afrique en se positionnant comme des plateformes de services intégrés facilitant la vie au quotidien de la population (visa, enregistrement d’entreprise, paiement des impôts, etc. … le tout en ligne). Enfin, et non des moindres, la bonne marche des fintechs va de pair avec la nécessité de répondre urgemment à des enjeux sociaux : leur développement favorise l’inclusion financière, l’entrepreneuriat, l’égalité financière pour les deux sexes et la réduction de la corruption.

Les freins et nuances de ce développement

Si la vague des fintechs est excitante à plus d’un titre en raison de son impact socio-économique majeur pour le continent, elle doit toutefois être nuancée. Tout d’abord, elle s’inscrit dans une mode pour les startups en NTIC. Etre un entrepreneur en Afrique est branché, être un entrepreneur fintech, ça l’est doublement. Le revers de cette clinquante médaille est l’illusion qui peut s’ensuivre. Alors que les fintechs pullulent, bon nombre d’entre elles ont une vie très courte. Le taux d’échec, comme partout, est très élevé, tandis que le discours ambiant semble faire fi des difficultés inhérentes à ce secteur. En Afrique, ces dernières s’expliquent par un manque de capacités techniques. Les diplômés rechignent souvent à rejoindre des startups face à des propositions bien plus alléchantes de grandes entreprises[i]. L’autre écueil tient à la stratégie de distribution. M’Pesa a trébuché sur cet obstacle de taille en Afrique du Sud, en copiant son modèle kenyan et en négligeant l’effet de réseau indispensable pour réussir dans ce marché.

Sur le plan macroéconomique, deux enjeux majeurs pourraient entraver l’expansion des fintechs africaines. D’une part, l’absence ou le patchwork de cadres règlementaires pose un risque à la fois pour les usagers et les acteurs financiers. Comment s’assurer de la viabilité du système ? Comment prévenir toute bulle financière dans un marché faiblement/mal régulé ? Des codes tels que le The GSMA Mobile Money Code of Conduct, the SMART Campaign et the UN Principles for Responsible Investment, ont commencé à voir le jour mais ils restent embryonnaires face à un écosystème fourmillant et peu discipliné. D’autre part, si l’Afrique peut se constituer en modèle, son offre reste limitée à l’intérieur de ses frontières. Selon le rapport de l’UNCTAD, l’exportation des services technologiques africains est marginal, représentant seulement 0,3% des exportations mondiales en technologie de pointe[9], amoindrissant toute idée de positionnement pionner.

En conclusion, le trait le plus inspirant des fintechs africaines, mais qui ne leur est pas propre, est certainement leur agilité. Moins que la technicité, c’est leur spontanéité qui fait pâlir les banques occidentales, ou les poussent à les accompagner pour mieux s’en inspirer[10].

 

 

Pauline Deschryver


[1] http://cdn.resources.getsmarter.ac/wp-content/uploads/2016/08/mit_digital_bank_manifesto_report.pdf

[2] Par Fintech, on entend des innovations techniques appliquées aux services financiers classiques et des services financiers modifiant le paradigme financier ; MNO est l’acronyme anglais pour les opérateurs de réseau mobile virtuel

[3] Disrupt Africa African Tech Startups Funding Report 2015

[4] State of the Industry Report Mobile Money, GSMA 2015

[5] Source : VC4 Africa

[6] White Paper « The powerful rise of the 2nd generation of mobile banking in Africa », FINTECH Circle Innovate & Bankin Reports

[7] Selon le dernier rapport de KPMG sur le secteur bancaire en Afrique, le service client est le premier critère d’évaluation pour une banque

[8] On peut citer les associations entre les groupes Ecobank, BNP Paribas, Société générale et BIAO qui se sont associés à travers leurs filiales d'Afrique de l'Ouest avec Orange, MTN et Airtel.

[9] UNCTAD Technology and Innovation Report

[10] A l’instar d’institutions comme Barclays, qui a mis en place une communauté promouvant les fintechs africaines, Barclays Rise.


Perspectives économiques régionales: une croissance à plusieurs vitesses en Afrique subsaharienne!

Selon les dernières prévisions du FMI, le taux de croissance économique (la croissance moyenne)  de l’Afrique subsaharienne devrait descendre à son plus bas niveau depuis plus de vingt ans. Ces  prévisions publiées précisément le 16 Octobre 2016   dans son rapport semestriel  sur «les Perspectives économiques régionales pour l’Afrique subsaharienne » soulignent  aussi une croissance hétérogène entre les différents pays de la région.

En effet, la conjoncture actuelle de l’économie mondiale, dominée précisément par la baisse continuelle des cours du pétrole et des matières premières,  a eu des effets différents sur les pays de la région en fonction de la structure de leur économie (pays exportateurs ou importateurs de pétrole, pays riches ou pauvres en ressources naturelles).

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             Afrique subsaharienne : croissance du PIB réel

De facto, les pays  tributaires des exportations de ressources naturelles (le pétrole) connaissent aujourd’hui un fort ralentissement    de leur économie. Des tensions causées, en partie, par la chute des exportations vers la Chine – premier partenaire commercial de la région (qui fait face à d’énormes difficultés économiques)  – mais aussi vers le reste du monde. Ainsi les pays comme le Nigéria, l’Afrique du sud et l’Angola ont vu leurs recettes nationales amputées  dans des proportions allant de 15 % à 50 % de leurs PIB depuis le milieu de l’année 2014.

Cependant, cette situation l’économie mondiale profite à d’autres pays comme le Sénégal, la Côte d’ivoire, le Kenya, l’Éthiopie …qui continuent d’afficher de bons résultats, car bénéficiant de la baisse des prix des importations de pétrole, de l’amélioration du climat des affaires. Ces pays devraient  continuer d’enregistrer des taux de croissance allant de 6 %  à  8%  dans les deux prochaines années, selon le même rapport. Mais dans l’ensemble, la production de la région ne devrait progresser que de 1,4 % en 2016. Un chiffre correspondant à ceux des années 1977, 1983,1992 et aussi de l’année 2009  date à laquelle la plupart des pays industrialisés du monde sont rentrés en récession la suite du krach de l'automne 2008.

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Afrique subsaharienne : croissance du PIB réel Pendant les épisodes de ralentissement économique actuel et passés

En plus de ces facteurs exogènes, la manque de transparence  des politiques publiques des pays les plus touchés a fortement contribué à leurs relentissements actuels et aux tensions économiques qu’ils connaissent. En ce qui concerne la politique économique, la réaction des différents gouvernements  fut lente voire même parcellaire.Et les progressions ou les croissances prévues pour les pays comme  la Côte d’ivoire, le Sénégal, l’Ethiopie, etc. pour les années à venir n’auraient pas d’effets ou d’impacts  sur l’économie des pays touchés  en raison de la faible intégration économique de la région.

Toutefois, les prévisions du FMI annoncent aussi une reprise modeste, avec une croissance d’un peu moins de 3 % pour l’année prochaine mais sous certaines conditions. Cette reprise ne serait possible que si  les différents gouvernements concernés, c’est-à-dire ceux qui dependent de l’exportation du  pétrole, mettent en place un ajustement budgetaire efficace à moyen terme.En d’autres termes,ces pays doivent  trouver des nouveaux moyens de financement de leurs économies  qui pourraient contribuer à attenuer l’effet de freinage à court terme sur la croissance et réduire l’incertitude qui fait actuellement obstacle à l’investissement privé.

D’ailleurs, cette problématique du financement des économies africaines a été le thème de la Conférence annuelle 2016 de l’Afrique des Idées qui avait réuni plusieurs experts au sein de l’université Paris Dauphine le 4 juin 2016.  L’élargissement de l’assiette fiscale, les Partenariats Public-Privé (PPP) sont des pistes à explorer pour garantir des moyens durables de financement des économies africaines.

Hamidou CISSE

Un contrat social pour financer l’émergence en Côte d’Ivoire

civLes personnes fortunées empruntent pour financer leurs investissements car les banques leur font confiance. Ceux qui ont moins de moyen, et qui ont donc davantage besoin de prêts, n'y ont pourtant pas accès et font souvent appel à la solidarité familiale ou communautaire pour leurs investissements. La même logique peut être faite à l’échelle des pays. Ceux à revenu élevé empruntent, tandis que les pays africains à revenu faible n'ont qu'un accès limité aux marchés de capitaux.

Au cours de ces dernières années, seul un quart des pays subsahariens ont pu accéder aux émissions obligataires internationales, les autres n’ayant d’unique choix que de solliciter l'aide internationale. Si les flux d'investissements direct étrangers, qui comptent pour près de 3 % du PIB de l’Afrique subsaharienne, ne sont pas négligeables, ils sont majoritairement dirigés vers l'extraction de ressources naturelles où 80 % à 90 % de ces montants ressortent presque immédiatement pour financer les importations nécessaires aux projets. Comment un pays comme la Côte d'Ivoire peut-il sortir de cette impasse ?

La réussite des pays émergents montre la voie à suivre. Si l'aide internationale peut financer l'impulsion initiale, les pays en quête d'émergence doivent avant tout compter sur eux-mêmes. Cela signifie qu'ils doivent mobiliser leurs propres ressources pour financer leur développement. Et c'est peut-être aussi là une définition de l'émergence.

Pour la Côte d'Ivoire, une telle option devrait se traduire par une augmentation de l’épargne domestique pour que celle-ci puisse financer les besoins du pays. Située à environ 20 % du PIB en Côte d’Ivoire, elle est pourtant au-dessus de la moyenne africaine et de celle des pays à bas revenu, mais reste éloigné du niveau des pays émergents d'Asie, où elle dépasse 30 %.

Le véritable problème de la Côte d'Ivoire en matière de financement domestique se situe sur un autre plan,  à deux niveaux. D'abord, l'État ne démontre pas de capacité à générer une épargne publique suffisante. La pression fiscale du pays s’établit à 16 % du PIB, soit en deçà des objectifs des décideurs politiques ivoiriens et de la région UEMOA (20 %), pourtant inférieurs aux taux observés au Maroc ou en Afrique du Sud (25 %).  Les autorités ivoiriennes ne mobilisent en outre que 25 % des recettes potentielles de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) qui pourraient être perçues sur l’ensemble des transactions internes du pays. À titre de comparaison, un pays émergent comme l'Ile Maurice affiche un taux de recouvrement équivalent à 75 % de son potentiel de TVA.

Le deuxième problème est lié à l'épargne privée. Le défi n'est pas tant d'augmenter son montant mais d'améliorer son affectation. Aujourd'hui, seuls 15 % des épargnants ivoiriens placent leurs économies dans le système financier local, un taux deux fois inférieur à la moyenne africaine. Ce choix ne permet pas de profiter du formidable effet de levier que pourrait générer le multiplicateur de crédit sur l'ensemble de l'économie. Par voie de conséquence, les montants de crédits octroyés par le système financier ivoirien s’élèvent à 30 % du PIB, alors que ceux-ci atteignent plus de 100 % dans des pays comme le Maroc, l'Afrique du Sud et l'Ile Maurice. Ce taux est par ailleurs inférieur aux montants recensés au Ghana, Sénégal et au Togo.

Imaginons que la Côte d'Ivoire puisse agir à la fois sur la mobilisation de son épargne publique et la capacité de crédit de son système financier. Imaginons encore que le recouvrement des impôts atteigne 20 % du PIB et que le taux de crédits augmente jusqu'à 80 % du PIB. Au taux de change actuel et en utilisant le revenu du pays en 2015, ces sources de financement s’établiraient à 40 milliards de dollars ou une hausse de 21 milliards de dollars par rapport aux montants déclarés fin 2015.

Les montants ainsi générés par les sources domestiques permettraient de compléter les engagements financiers extérieurs d’environ 25 milliards de dollars. Compte-tenu des annonces sur la période 2016-20 tenues par le Groupe Consultatif en mai dernier à Paris l'ensemble des financements intérieurs et extérieurs serait amplement suffisant pour couvrir les investissements identifiés par le Plan national de développement sur la période 2016-20, et pour ouvrir la voie vers l'émergence.

La question qui demeure est la suivante : comment parvenir à accroître la mobilisation et l'utilisation de l'épargne domestique tant du côté du secteur public que privé ?  La réponse est éminemment complexe  mais une chose est sûre : elle devra inclure un contrat social à travers lequel les différents acteurs se feront mutuellement confiance et qui possèdera des règles claires et transparentes qui chercheront à optimiser le bien-être collectif du pays et non pas les intérêts pécuniaires de certains groupes particuliers. Les contribuables devront pouvoir compter sur la bonne utilisation de leurs paiements par les pouvoirs publics. De même, les épargnants devront avoir confiance en leurs banques, lesquelles devront en retour avoir suffisamment d’assurances quant à l’effectivité du remboursement de leurs prêts.

Pour en savoir plus, consultez le dernier rapport sur la situation économique en Côte d'Ivoire.

Cet article est issu des Blogs publiés par la Banque Mondiale et soumis par JACQUES MORISSET.

Les nouveaux modèles de financement du développement en Afrique

fonds-souverainsDambisa Moyo, William Easterly, ou encore Jeffrey Sachs sont des noms qui reviennent souvent dans les débats sur l’aide au développement. À coup de théories économiques et d’exemples de cas d’école, chacun d’entre eux, et de nombreux autres économistes du développement, apportent leurs perspectives à la question de l’efficacité de l’aide, et son impact réel sur le développement. Pourtant, les alternatives à l’aide au développement attirent également de plus en plus l’attention des économistes comme substitut ou complément à l’aide au développement, car ayant le potentiel de limiter la dépendance à l’aide ou de combler certaines de ses lacunes. Cet article a donc pour objectif de présenter certains de ces nouveaux moyens de financement du développement, notamment les partenariats publics privés,  et l’autofinancement à travers le recours aux ressources internes et à l’endettement sur les marchés financiers. Ces modèles ont également leurs limites, qui seront présentées dans un second temps.

 

 

  1. Quels nouveaux modèles de financement pour le développement ?
  1. Les Partenariats Public–Privé (PPP)

Les Partenariats Public–Privé (PPP) sont principalement utilisés pour financer des infrastructures, et ont été imaginés pour éviter certaines difficultés posées par les modèles traditionnels de financement des infrastructures. En effet, le modèle de marché public, dans lequel une entreprise produit une infrastructure qui sera ensuite gérée par l’État, fait peser sur celui-ci des risques liés à un manque de contrôle sur la qualité de l’infrastructure, et sur les coûts que cela peut engendrer. Le modèle de la concession publique, où c’est l’État qui est en charge de la construction de l’infrastructure qui sera gérée par une entreprise, fait peser ces risques entièrement sur l’entreprise.

 Les PPP représentent donc un nouveau modèle de financement, censé permettre une meilleure répartition des risques. Même si le terme de PPP peut être utilisé pour désigner différents type de projets, c’est en général la réalisation et l’entretien par une entreprise, pour le compte de l’État d’un ouvrage ou un service public, qui produit ensuite des recettes qui servent à rémunérer l’entreprise. C’est par exemple le cas de l’autoroute à péage Dakar-Diamniado, réalisée par la société Eiffage au Sénégal ou le pont Henry Konan Bédié réalisé par la Socoprim en Côte d’Ivoire. Dans les deux cas, l’entreprise a été chargée par le gouvernement de concevoir et réaliser l’ouvrage, ainsi que de l’exploiter et de l’entretenir, pour une durée de 30 ans.

Le modèle des PPP permet un meilleur équilibre des risques, avec un État garantissant des compensations au cas où l’équilibre financier prévu pour le projet, n’est pas atteint. Ce modèle de financement assure également en général des ouvrages de qualité, dans les délais, d’une part car le partenaire privé qui le réalise possède une expertise en la matière, de l’autre car elle doit bénéficier des recettes qui en découlent.

  1. Les marchés financiers

L’autofinancement du développement représente une autre alternative à l’aide au développement. Elle permettrait aux États de rompre une situation de dépendance à l’aide, souvent critiquée, et de moins subir les chocs externes. On peut s’intéresser d’une part à l’emprunt sur les marchés financiers, et d’autre part  aux ressources que sont l’épargne privée intérieure (c’est-à-dire celle des populations), et l’épargne publique, qui découle des impôts sur les particuliers et les entreprises.

L’émission d’emprunts sur les marchés se développe depuis quelques années, avec de plus en plus de pays africains qui se tournent vers l’émission d’emprunts sur les marchés financiers, comme moyen de financer leur développement. Ces émissions consistent en des titres de créances émis par les États africains, sur des marchés étrangers, qui seront remboursés en totalité et avec intérêts. Le Ghana était ainsi le premier à émettre des obligations souveraines d’un montant total de 750 millions de dollars à un taux d’intérêt de 8,5%. En Octobre 2015, il émettait à nouveau des obligations, cette fois pour un montant de 1 milliard de dollar US, à un taux d’intérêt de 10,75%.

D’autres pays ont rapidement suivi le Ghana, parmi lesquels la Côte d’Ivoire, le Sénégal, le Gabon, le Cameroun ou encore le Tchad. Derniers en date, le Sénégal en  Mars et l’Algérie en Avril. Avec des taux de croissance importants et des profils de risque qui se sont améliorés, les États africains peuvent apparaitre comme particulièrement attractifs pour certains investisseurs. Du côté des États, l’intérêt de ces émissions d’emprunt est qu’elles les laissent autonomes dans la gestion des fonds obtenus, contrairement aux prêts bilatéraux et multilatéraux. Cependant, ce modèle remplace les créanciers traditionnels des États africains que sont les bailleurs de fonds, par de nouveaux créanciers.

  1. Les ressources internes

En revanche, d’autres ressources internes gagneraient à être davantage exploitées par les États africains, notamment l’épargne. D’après le rapport économique sur l'Afrique 2010, publié par la Commission économique pour l’Afrique, « le taux d’épargne en Afrique est très faible par rapport à ceux d’autres parties du monde en développement », avec moins de 20% du PIB. Les ressources comme l’épargne privée ou les impôts sont donc clairement sous exploitées par les États, malgré le potentiel important qu’elles représentent.

C’est notamment le cas de l’épargne privée, alors que la microfinance a montré que même les populations les plus pauvres sont capables d’épargner. En cause : des systèmes financiers qui excluent la majorité des citoyens. À cause d’un nombre d’agences insuffisant surtout dans les zones rurales, de versements minimum demandés trop élevés, de taux d’intérêt peu intéressants ou encore une documentation à fournir, trop importante, les conditions nécessaires à l’ouverture d’un compte d’épargne sont souvent des barrières rendant ceux-ci peu attractifs pour les particuliers.

Du côté des ressources publiques, les systèmes fiscaux gagneraient à être développés. Les impôts collectés par les États africains ont pourtant augmentés, selon le rapport Perspectives Économiques en Afrique publié en 2010. Le rapport montre ainsi qu’ils sont passés de 113 milliards de dollars USD en 1996, à 479 milliards en 2008. Cependant, ces impôts sont souvent issus de la taxation des ressources minières et naturelles. Or, les crises successives des matières premières ont montré les limites de ce type de fiscalité ; de plus, cette source de revenus est souvent montrée du doigt comme facteur contribuant à la mauvaise gouvernance et à l’instabilité politique. Enfin, elles peuvent représenter un obstacle à la mise en place de systèmes fiscaux plus complexes, car représentant une source de revenus faciles.

En revanche, la mise en place d’impôts directs sur les populations et les sociétés, et indirects (TVA et autres taxes commerciales) permettrait de mobiliser de nouvelles ressources. Certains économistes argumentent par ailleurs que la taxation des particuliers peut rendre la population plus regardante sur la gestion des ressources publiques lorsque celles-ci sont issues de ses propres revenus, en comparaison avec l’aide extérieur, qui n’exerce pas la même pression sur les populations.

 

  1. Limites et risques des nouveaux moyens de financement

Ces nouveaux moyens de financement du développement ne sont pas exempts de risques et de coûts, qu’on ne retrouve pas forcément avec l’aide au développement.

  1. Les Partenariats Public–Privé (PPP)

Dans le cas des PPP, les États ne maitrisent pas forcément les risques liés à la demande. En effet, le niveau futur de demande ou d’utilisation par les usagers de l’ouvrage, est estimé lors de la signature du PPP. Si ce niveau n’est pas atteint, l’État doit verser des compensations financières au partenaire privé, ce qui représente donc des dépenses supplémentaires pour l’État. Par ailleurs, le risque de mauvaise gouvernance, liés aux marchés publics et aux concessions lorsque ceux-ci ne sont pas attribués de manière transparente et équitable, reste présent dans les PPP. Pour limiter ces risques, le développement d’un cadre réglementaire des PPP pourrait favoriser leur réussite. La Banque Africaine de Développement et la Banque Mondiale encouragent les États africains à aller dans ce sens, et c’est de plus en plus le cas. Les États de l’UEMOA travaillent ainsi à la mise en place d’un cadre régional des PPP, et nombreux sont les États qui ont déjà un cadre national, comme le Sénégal, le Niger ou la Côte d’Ivoire. Pour que ce cadre devienne réellement opérationnel, il sera important de renforcer les capacités des organismes en charge de gérer les PPP, et l’aide au développement pourrait y contribuer directement en facilitant des transferts de compétences dans ce domaine.

  1. Les marchés financiers

Les émissions d’emprunt sur les marchés financiers, elles, si elles représentent une alternative intéressante à l’aide au développement, envoyant des signaux positifs quant au développement économique de l’Afrique, peuvent également être à double tranchant. Dans un article publié en 2013 dans le journal les Échos, l’économiste Joseph Stiglitz met en garde contre un enthousiasme exagéré vis-à-vis de ces émissions. En effet, elles ont un coût supérieur à celui des prêts bilatéraux ou multilatéraux, car ces derniers ont des taux d’intérêts bas voir nuls, ce qui n’est pas le cas des obligations. Elles contribuent ainsi à l’endettement des pays africains : alors qu’il y a une dizaine d’années, les émissions d’obligations des États africains représentaient 1% de la dette extérieure des pays en développement, elles sont passées aujourd’hui à 4%.

  1. Les ressources internes

Le développement d’un système fiscal efficace parait de loin plus avantageux, car permettant à l’État de rester autonome et de mobiliser sa population. Le potentiel parait énorme, notamment avec la possibilité de taxer le secteur informel. Pourtant les réformes du système administratif devraient être profondes, avec notamment un besoin de décentralisation de l’administration pour assurer une collecte dans toutes les zones des pays. Les nouvelles technologies peuvent ici jouer un rôle efficace dans cette collecte, avec le potentiel de systèmes comme les paiements mobiles ou la plateforme eZwick au Ghana qui permet à ses utilisateurs d’atteindre des instruments financiers peu importe leur situation géographique. 

Cependant, la mise en place d’une fiscalité efficace nécessitera des réformes plus profondes des systèmes en place. Parmi celles-ci, l’allocation d’une part plus importante des ressources collectées aux des dépenses productives, plutôt que pour couvrir les dépenses de fonctionnement, qui représentent aujourd’hui 85% des ressources internes collectées. Enfin, pour qu’un tel système fiscal fonctionne, la confiance de la population dans le système et une gestion transparente des fonds seront des prérequis, ainsi qu’une société civile engagée et vigilante par rapport à l’utilisation des fonds. Cette évolution ne pourra se faire qu’avec des États prêts à dialoguer davantage avec leurs populations, et des populations plus regardantes sur le modèle de gouvernance de leurs États.

 

MC 

 

Comment améliorer l’impact des IDE sur l’économie sénégalaise ?

Abstract business 3d  illustrationMalgré sa stabilité socio-politique et une position stratégique due à son accès à la mer faisant de lui une porte d’entrée privilégiée sur le continent africain et une destination sûre pour les investissements directs étrangers du fait des multiples opportunités qu’il peut offrir, le Sénégal peine à attirer les IDE comme le démontrent les chiffres. En effet, sur la dernière décennie, le flux d’IDE à destination du Sénégal s’est stabilisé autour d’une moyenne de 300 millions de dollars alors que dans des pays comparables comme la Mauritanie, ils sont passés de 101 millions de dollars en 2003 à 1126 millions de dollars en 2013[1].

Attirer les investissements étrangers est d’une importance capitale pour les autorités sénégalaises, qui misent sur le secteur privé (notamment étranger) pour atteindre les objectifs du Plan Sénégal Émergent (PSE), le nouveau cadre de gestion de la politique économique sénégalaise. En effet, une place de choix est accordée au secteur privé dans ce plan. Sur les 12 000 milliards nécessaires pour l’exécution de ce plan, les deux tiers devraient provenir du secteur privé. Ceci justifie les  efforts engagés par les autorités afin d’attirer davantage d’IDE, notamment à travers différentes réformes ; réformes qui ont permis au pays de gagner trois places au classement Doing Business de la Banque Mondiale, passant ainsi de la 156ème à la 153ème position sur les 189 pays classés. En dépit de ces efforts, l’investissement privé étranger durable ne semble pas suivre et cet engouement des autorités pour en attirer davantage suscite des interrogations quant à l’impact des IDE sur la croissance de l’économie sénégalaise mais aussi sur les stratégies mises en place pour attirer les IDE.

S’il est généralement admis sur la base de certaines études que les investissements directs étrangers peuvent entrainer la croissance économique (Seetanah et Khadaroo 2007), nombreux sont les analystes qui stipulent que la question du développement  n’est pas seulement économique mais aussi sociale car elle doit tenir compte des phénomènes environnementaux. Pour ces derniers, les investissements directs étrangers ne sont que sources de pollution pour les pays en voie de développement et ne constituent donc pas une source de développement harmonieux.

En s’inspirant du modèle de Solow[2], une analyse faite sur l'impact des IDE sur la situation socioéconomique du Sénégal[3] révèle que ces ressources, n’ont pas d’influence systématique sur la situation socio-économique du Sénégal. Deux raisons expliquent cette situation :

  •  les IDE entrant dans le pays sont faibles. En effet, le Sénégal perçoit par an en moyenne depuis 2012 au moins 300 millions de dollars au titre des IDE, un montant relativement faible comparé aux 1,2 milliard de dollars investi par l’État ou au 1,6 milliard de dollars en moyenne, perçu sur la même période par le pays au titre d’envoi des migrants ;
  •  une mauvaise orientation des IDE. L’essentiel des IDE entrants au Sénégal est investi dans le secteur secondaire et se concentre sur l’activité des entités existantes, ce qui ne se traduit pas en une amélioration systématique des performances de ce secteur ou en création d’emplois. De plus au Sénégal, la croissance économique est tirée principalement par le secteur tertiaire (65,3% du PIB en 2014)[4], alors que le secteur primaire, qui emploie 45% de la main d’œuvre[5] disponible  contribue très peu à la création de richesse. Le manque d’investissement dans ce secteur constitue donc un manque à gagner considérable pour l’économie sénégalaise.

Cependant, les résultats montrent qu’associés à d’autres facteurs (capital humain, taux d’ouverture…), les IDE ont un impact plutôt significatif sur la situation socio-économique du Sénégal.

Dans ce contexte, le défi majeur aujourd’hui pour le Sénégal n’est pas tant d’entreprendre des réformes pour améliorer l’environnement des affaires et d’avoir un meilleur classement au Doing Business, mais plutôt d’améliorer les facteurs internes pour maximiser l’impact des flux intrants.

D’abord, il faudrait réorienter les IDE vers les secteurs à forts potentiels mais  qui apparaissent sous exploités. Les secteurs porteurs de croissance souffrent d’une carence en investissement privé durable, comme c’est le cas du  secteur primaire, qui est pourtant celui qui absorbe la plus grande partie de la main d’œuvre disponible

Ensuite, il faudrait améliorer la qualité de la main d’œuvre. En effet, l’État doit rendre plus efficace les dépenses publiques destinées à l’éducation et  à la santé afin de renforcer les capacités des ressources humaines tout en recherchant une adéquation entre la formation et le marché du travail. Selon les résultats du recensement général de la population de et l’habitat  (RGPH) de 2013, à peine 1 actif sur 10 au Sénégal aurait bénéficié d’une formation professionnelle, situation qui ne favorise pas  l’attractivité du pays.

Enfin, mettre en œuvre une bonne politique d’ouverture du Sénégal qui peut lui permettre de profiter des effets des IDE à l’aune de la marche de l’émergence. Pour ce faire, il faut réussir la transition fiscale en adoptant une politique fiscale plus attractive et qui favorise le développement du secteur privé.

Dans une compétition ardue entre pays en développement se disputant le volume d’IDE disponible sur le marché international, les pays qui seront moins attrayant sur le plan du climat des affaires et de l’investissement subiront la loi de la concurrence.

Mais les efforts ne sont pas à faire seulement au niveau national et doivent s’étendre également au niveau régional. Ainsi, pour renforcer les IDE dans la zone CEDEAO, zone économique à laquelle appartient le Sénégal, afin d'en maximiser l'impact sur l'économie et améliorer les conditions de vie des populations, des efforts  en terme de politiques économiques et de mesures incitatives sont à faire. Entre autres, on peut en citer :

  • la mutualisation des efforts des agences de promotion des investissements ;
  • L’effectivité d’un marché commun de la sous-région ;
  • L’adoption du code communautaire d’investissement.

En définitif, il faut retenir que : i. les IDE seuls exercent une faible influence sur la croissance économique sénégalaise, mais associés à d’autres facteurs (capital humain, taux d’ouverture…), ils ont un impact plutôt significatif sur la situation socio-économique du Sénégal ; ii. les différentes politiques d'ouverture économique du Sénégal  n'ont pas eu les effets escompté sur l’attractivité des IDE. La nouvelle politique des autorités doit donc s'attacher à une mise en valeur des secteurs porteurs peut financer à l'état actuel afin d'assurer une réorientation des IDE, permettant ainsi d'accroître leur rentabilité et de positionner le Sénégal comme une terre d'opportunités.

Abdoulaye Diallo


[1] Données banque mondiale

[2] Le modele de Solow est basé sur 05 équations macroéconomiques à savoir : Une fonction de production ; Une fonction comptable sur la création d richesse ; Une fonction sur le capital ; Une fonction sur le facteur travail ; Une fonction d’épargne.

[3] Les résultats du modèle sont disponibles sur demande.

[4] Banque de France

[5] Banque mondiale

Quel rôle pour les fonds souverains dans le financement du développement de l’Afrique ?

fonds-souverainsCe billet est le deuxième numéro de la série consacrée aux moyens innovants de financement du développement. Il discutera des fonds souverains.  Il s’agira d’abord d’en saisir les lignes générales, avant de mesurer leur contribution potentielle au financement du développement de l’Afrique, tant pour les fonds souverains non africains qu’africains.

Un fonds souverain est un instrument d’investissement à disposition des Etats. Selon le FMI, ils « détiennent, gèrent ou administrent des actifs pour atteindre des objectifs financiers ; ils ont recours à des placements sur des actifs étrangers et nationaux ». Aujourd’hui, le montant total géré par les fonds souverains s’élève à environ 6 000 milliards de dollars dans le monde. Un fonds souverain s’appuie sur la capacité d’un État à accumuler des devises, selon quatre types de ressources :   excédents de la balance des paiements ; opérations sur devises ; produit des privatisations ; excédents budgétaires et / ou recettes tirées des exportations de produits de base.

Créer un fonds souverain résulte d’un arbitrage sur le coût de détention de l’excédent de ressources. Selon le type d’excédents – de paiements courants ou issus de l’exportation de matières premières – le calcul diffère. Pour les premiers, l’arbitrage se situe entre le coût d’opportunité de garder les devises et l’atout qu’elles procurent pour pouvoir lisser les profils de consommation en cas de choc externe. Dans cette problématique, les fonds souverains représentent un moyen de gérer ces réserves excédentaires selon une stratégie de diversification afin d’en tirer un rendement supérieur. S’ajoute à ce choix la prise en compte d’un effet d’appréciation de la devise nationale. La Chine représente à ce titre un exemple majeur de stratégie d’accumulation de devises pour maintenir une compétitivité élevée des exportations en sous-évaluant son taux de change ; cette allocation des revenus, en termes de développement, est discutable dans la mesure où elle peut pénaliser la consommation des ménages chinois et donc leur niveau de vie. En revanche, pour les fonds issus d’excédents tirés de ressources naturelles exportées, l’enjeu est de savoir s’il vaut mieux exploiter ou garder la ressource, et en cas d’exploitation, quelle est la manière optimale d’investir les fruits de ces exportations entre consommation et investissements ? La clé de l’interrogation réside surtout dans le caractère non renouvelable de ces ressources. Ainsi, les fonds souverains permettent de faire perdurer l’avantage issu des ressources au-delà même de leur durée de vie en les investissant sur du long-terme. C’est toute la stratégie déployée par les fonds qatari[1] et norvégien[2] pour les richesses tirées du pétrole ou de l’île de Kiribati[3] pour ses mines de potasse.

Cependant, une parenthèse est requise pour introduire les fonds souverains dits de développement (FSD), qui obéissent à une logique spécifique. En effet, a priori, un fonds classique n’est pas créé selon une logique d’aide au développement. Un FSD se distingue en investissant des capitaux dans divers secteurs d’activités utiles au développement du pays et sur le long terme. Le fonds du Koweït pour le développement économique arabe ainsi que le Fonds arabe de développement économique et social en font partie. Le dernier, avec un capital d’environ 3 milliards de dollars, finance des projets de développement, fournit une assistance technique et promeut le développement du secteur privé.

Néanmoins, la distinction entre APD et contribution des fonds au développement reste floue : dans quelle mesure les investissements des fonds souverains dans les PED sont-ils des moyens innovants de financement du développement à part entière ? Ils sont distincts de l’APD classique, fonctionnent sur des partenariats entre public et privé, et sont basés sur des ressources stables et prévisibles. A l’inverse, l’APD originelle, celle du Comité d’aide au développement (CAD) de l’OCDE peut être assimilée à un fonds souverain de développement. Avec un flux annuel supérieur à 100 milliards de dollars, le CAD s’apparente à un fonds public de 2500 milliards, avec un rendement, consacré à l’APD, de 4%.

Outre les fonds spécialisés cités précédemment,  une tendance apparaît avec de plus en plus d’acuité où des fonds souverains non africains contribuent au développement de l’Afrique. La contribution chinoise sur le continent est à ce titre remarquable : les projets d’investissements d’entreprises d’Etat chinoises dans les infrastructures et les ressources naturelles ont beaucoup augmenté, et sont catégorisés « aide au développement ». Pour la Chine, il est toutefois moins question de philanthropie que d’accompagnement avisé de ses entreprises dans un espace économique en plein essor. Cependant, les deux finalités ne sont pas incompatibles, bien au contraire, et c’est tout l’enjeu pointé par Bill Gates[4], et repris lors du Forum mondial sur l’investissement de la CNUCED[5]. Inciter les fonds souverains à financer des projets contribuant au développement dans les PED implique d’établir de nouveaux partenariats avec ces pays. Dans cette logique, les fonds souverains renforceraient leur exposition à des marchés frontières offerts en particulier en Afrique et présentant un fort potentiel de croissance grâce à des ressources naturelles mais également en termes d’essor démographique et de hausse de la consommation en produits et en services. De tels partenariats auraient pour conséquence de remettre en cause le système traditionnel d’APD en bouleversant les principes de l’aide, en favorisant celui de l’efficacité et en instaurant plus de compétitivité au sein d’une sorte de « marché de l’aide ».

Selon certains économistes[6], l’impact de ces investissements innovants serait majeur : en consacrant 10% de leur portefeuille aux PED et aux pays émergents sur les 10 ans à venir, ces fonds produiraient un flux de 1,400 milliards de dollars, soit 14 fois l’APD annuelle. Ces résultats prometteurs ne doivent pas masquer les défis inhérents à l’entrée de ces fonds sur le continent africain : premièrement, il existe de nombreuses barrières à l’entrée dans des secteurs clés pour le développement mais sensibles politiquement ou socialement (l’agriculture en particulier) ; deuxièmement, les PED présentent malheureusement bien souvent un climat économique instable et préjudiciable aux affaires ; enfin, le manque de capacités dans ces pays nuit aux nécessités de préparation et d’information pour un projet d’investissement.

Ce sont ces mêmes difficultés que rencontrent les fonds souverains africains et notamment le manque de capacités, cruciales pour bien gérer un fonds. En outre, en investissant, soit via ses réserves de change, soit via ses excédents tirés de l’exportation de matières premières, dans des projets nationaux, un fonds souverain risque de favoriser l’appréciation de la devise nationale, donc l’inflation. Pourtant l’enjeu est de taille en Afrique, dans des pays où les marchés financiers locaux sont peu développés et où l’épargne privée tend à fuir à l’étranger, puisqu’un fonds permet de canaliser l’investissement au service du développement national. La majorité des fonds africains sont basés sur les ressources tirées de l’exportation de pétrole (fonds du Nigeria, du Ghana et de l'Angola), chacun se définissant spécifiquement. Ainsi, le fonds gabonais[7] se veut être un fonds visant à lisser l’épargne intergénérationnelle, et un fonds de développement, avec des ressources utilisées dans le cadre de projets de développement structurants ayant pour but d’assurer à terme une diversification[8].

On peut noter également des fonds créés par des pays non pétroliers, tels que le fonds Agaciro du Rwanda, dont l’impact n’a pas encore pu être mesuré, ou le fonds du Sénégal[9], qui soutient notamment le développement des PME, avec une préférence nationale pour les investissements.

En conclusion, le lien entre investissements des fonds souverains et financement du développement s’appuie sur la rentabilité attendue de ce dernier. Si la stratégie intrinsèque de long-terme des fonds souverains rejoint les caractéristiques des projets d’infrastructures des PED, les défis demeurent et les besoins sont majeurs.

Pauline Deschryver


[1] Le fonds souverain Qatar Investment Authority (QIA), fondé en 2005

[2] Le fonds Government Pension Fund-Global (dit le Global), créé en 2006 (à la suite du Petroleum Fund de 1990) et considéré comme le 1er fonds mondial par montant de capitalisation

[3] Avec le fonds Kiribati Revenue Equalisation Reserve Fund, crée en 1956, et qui gère aujourd'hui 7 fois le PIB de l'archipe

[6] Santiso, J. (2008), « Sovereign Development Funds », Policy Insight 58, OECD Development Centre, janvier

[7] Le Fonds Gabonais d’Investissements Stratégiques (FGIS), créé en 2011

[8] Le fonds FGIS a ainsi pris des participations dans le groupe bancaire Oragroup et dans l’opérateur de tours de télécommunications IHS Towers

[9] Le Fonds Souverain d’Investissements Stratégiques (FONSIS) du Sénégal, créé en 2012

Le partenariat public-privé est-il adapté aux pays en développement ?

arton44Etant donné les technologies qu’elle doit incorporer pour rattraper son retard sur les autres régions du Monde, le financement du développement est devenu un enjeu majeur en Afrique. C’était d’ailleurs le thème de la conférence sur le développement de l’Afrique. L’enjeu est encore plus crucial dans le domaine des infrastructures depuis la publication du rapport de la Banque Mondiale intitulé « Infrastructures Africaines : une transformation impérative ». Pour répondre à ce besoin de financement, davantage de pays africains ont recours aux projets de partenariats public-privé (PPP).[1] Cet engouement n’est pas sans fondement si l’on en croit les estimations de la Banque Mondiale sur le déficit de financement des infrastructures en Afrique.[2] Cependant, si l’on considère les origines de ce type de financement, il s’avère que le contexte spécifique de certains Etats Africains ne se prête pas nécessairement à la mise en œuvre effective des PPP.

Pour financer les infrastructures de développement, les Etats ont traditionnellement recours aux émissions de bons du trésor, aux prêts bilatéraux (entre pays) ou multilatéraux (octroyés par les Banques de Développement).[3] Jusqu’au début des années 2000, ces moyens de financement étaient utilisés pour financer des infrastructures publiques construites et gérées par l’Etat. Dans ce processus, l’Etat fait appel à des entreprises privées pour la construction des infrastructures et prend lui-même en charge la prestation du service. Dans le cas de la construction d’une route par exemple, l’Etat lance un appel d’offre pour sélectionner une entreprise de BTP, chargée de la construction. Ensuite, il s’assure de l’entretien et de l’usage de la route par les usagers à travers le ministère en charge des infrastructures.[4]

Toutefois, cette procédure, dite de marché public, pose deux problèmes. D’une part elle n’incite pas le constructeur à produire une infrastructure de qualité, même si le maître d’œuvre est chargé de garantir la qualité de l’ouvrage. Dès lors, la durée de vie des infrastructures à la fin de leur construction est souvent plus faible que leur durée de vie potentielle, ce qui engendre des coûts de financement plus élevés à l’Etat. D’autre part, le fait que les services publics ne soient pas à but lucratifs n’incitent pas non plus l’Etat à entretenir voire améliorer la qualité des services fournis.

Pour résoudre ces problèmes, les concessions publiques ont été envisagées. Dans ce cas, l’Etat finance et construit l’infrastructure, mais délègue sa gestion à une entreprise privée. C’est notamment le cas aujourd’hui de certaines activités portuaires, des postes de pesage et de péage ou même de l’exportation de certaines matières premières agricoles.[5] Toutefois, les concessions ne sont pas non plus indemnes de tout problème. En particulier, elles transfèrent intégralement le risque lié à la demande ou au coût de l’Etat vers l’opérateur privé.

Sans titre

C’est donc pour mieux partager le risque que les PPP ont été développés. Au cœur de ce partage du risque se trouve les clauses de garantie qui comme leur nom l’indique, prévoient des compensations de l’Etat aux opérateurs privés lorsque les prévisions de cash flow sont affectées par des risques commerciaux imprévisibles. Ces risques peuvent être liés à une demande plus faible que prévue, ou à des coûts de production plus élevés que prévus.[6] Ce sont des facteurs qui peuvent à priori décourager les investisseurs étrangers dans la mesure où ceux-ci ont une maîtrise imparfaite de l’environnement économique des pays.

En même temps, l’Etat non plus ne maîtrise pas les risques commerciaux liés aux investissements dans les infrastructures. Typiquement, la prévision du trafic de passagers dans un aéroport ou sur un chemin de fer est difficile à prévoir surtout dans un contexte où le marché est très peu développé et où des évolutions technologiques peuvent apporter à court termes des choix alternatifs aux consommateurs. Par conséquent, les Etats qui s’engagent actuellement dans la signature de ces contrats de PPP risquent de se retrouver à payer des compensations pour des services qui ne sont mêmes pas rendus. Ce risque est d’autant plus élevé que les contrats sont signés dans des cadres réglementaires internationaux qui échappent au contrôle des Etats et dans un contexte où la corruption et la mauvaise gouvernance peuvent introduire des biais dans l’attribution et l’exécution des marchés.

Si l’on regarde de plus près, les PPP ont été initialement utilisés dans des pays comme la France et la Grande Bretagne qui disposent d’un marché assez développé et d’un cadre réglementaire fiable. Ces deux facteurs minimisent l’occurrence des risques liés à la rentabilité des projets de PPP. Par ailleurs, un autre facteur très important concerne le pouvoir de négociation entre les parties prenantes aux contrats PPP. Dans les pays suscités, ce pouvoir est plus équilibré que dans les pays en développement où le chiffre d’affaire des entreprises impliquées dans la signature des contrats de PPP dépasse souvent la moitié de leur PIB.

Une approche pour remédier à ces problèmes consisterait à mettre en place des organismes techniques régionaux chargés de l’examen et de la signature des contrats de PPP. Cette approche a le mérite de s’appuyer sur un marché plus vaste, ce qui lui confère un pouvoir de négociation plus élevé. En plus, elle permettra d’attirer les experts en analyse et négociation de contrats de PPP au service des Etats.

Georges Vivien HOUNGBONON


[1] Deux articles dont celui de Simel et de Foly analysent déjà en quoi les PPP peuvent être une option intéressante pour le financement des infrastructures.

[2] Le rapport “Infrastructures Africaines: Une transformation impérative” estime à 93 milliards de dollars US, le montant annuel des besoins de financement d’infrastructures en Afrique.

[3] On peut mentionner aussi les transferts d’argent des émigrés Africains dont le montant dépasse aujourd’hui l’aide au développement, i.e. les prêts concessionnels octroyés à des taux préférentiels par des pays développés.

[4] L’entretien des routes est de plus en plus confié à des prestataires privé qui se charge de collecter des droits de passage chez les usagers et d’assurer l’entretien des routes.

[5] Cette procédure se distingue bien de la privatisation, dans la mesure où l’opérateur privé n’est pas propriétaire de l’infrastructure.

[6] L’agence MIGA de la Banque Mondiale s’occupe généralement des risqué non commerciaux.

Le développement ne serait-il qu’une question de financement ?

une_croissance_inclusive_folyVoilà un concept qui a été ressassé pendant des décennies sans qu’on ne sache aujourd’hui s’il existe une panacée au développement. Le chercheur Denis Cogneau a bien fait de rappeler qu’il s’agit d’un concept qui s’est substitué à la notion de « mise en valeur » des colonies. Ainsi, le développement, comme concept définissant le bien-être matériel d’une société, n’avait existé nulle part dans le monde avant les indépendances. Pourtant, il est aujourd’hui largement associé aux pays moins industrialisés et en particulier aux pays Africains. Dans la perspective de la prochaine révision des objectifs du millénaire pour le développement (OMD), plusieurs voix s’élèvent pour réclamer la formulation d’un modèle de développement africain.[1] Quoique ce vœu soit légitime, il est nécessaire de s’interroger sur la pertinence et la signification même du développement.

Pour répondre à cette question, je ne m’attarderai pas sur l’approche philosophique développée par le prix Nobel d’Economie Armatya Sen qui voit le développement comme synonyme de davantage de libertés.[2] Au contraire, je vais remonter un peu plus loin dans le temps pour faire appel à un autre prix Nobel d’Economie en la personne du Sir Arthur Lewis. Son approche n’exclut pas la définition du Pr. Armatya Sen, mais elle a l’avantage d’être plus pragmatique.

Dans un article qu’il a publié en 1960 sur la problématique du développement, Lewis démontre que le développement n’est qu’une question de financement. Sa démonstration se décline en deux étapes. D’abord, il définit le développement comme l’élévation des conditions de vie au dessus de ce qu’il appelle la pauvreté inutile. Par pauvreté inutile, il entend la faim, la mort d’un bébé qu’on aurait pu éviter, le décès d’une personne suite à une maladie qu’on peut soigner ou d’un accident  dont on peut se prémunir, l’usure précoce de la santé physique à cause de travaux pénibles surtout chez les femmes, et enfin l’ignorance et toutes les superstitions qu’elle engendre. Se développer revient donc à donner à chacun les moyens de s’élever au dessus de ces conditions.

Pour y parvenir, la seconde étape de sa démonstration recommande d’investir dans la recherche scientifique, l’accumulation du capital physique (infrastructures) et dans les qualifications professionnelles. Selon son analogie, si un pays n’était fait que d’or, il suffirait de les échanger contre des machines agricoles, des routes, des hôpitaux et des écoles pour constituer les capitaux nécessaires au développement. Il suffirait aussi de les utiliser pour financer la recherche scientifique et la formation professionnelle afin de disposer des nouvelles technologies et de la main d’œuvre qualifiée nécessaires à la production de tous les biens et services qui permettent à chaque citoyen d’échapper à la pauvreté inutile.[3] Cependant, que faire lorsqu’un pays ne dispose pas suffisamment de ressources naturelles, ayant valeur d’or, pour se développer de façon aussi mécanique ? C’est ainsi que Lewis, en conclut que la problématique du développement revient à se poser deux questions : Comment trouver le financement et comment l’allouer efficacement aux innombrables besoins ?

On s’aperçoit alors qu’il est peu pertinent de parler d’un modèle de développement pour l’Afrique lorsqu’on se base sur l’approche de Lewis, à moins que la recherche du modèle revienne à réfléchir sur l’identification et la création des sources de financement du développement. Il s’agira alors de s’interroger sur la place et le rôle des crédits et dons octroyés par les institutions multilatérales et bilatérales de financement du développement. C’est aussi l’occasion de s’interroger sur l’utilisation des ressources financières générées par l’exploitation des ressources naturelles en Afrique. Plus important encore, cette approche du développement nous invite à explorer les moyens pour collecter des recettes fiscales dans des pays où le secteur informel représente entre 50 et 75% du PIB.[4]

La première question renvoie au vieux débat sur l’efficacité de l’aide publique au développement. Elle a déjà fait l’objet de plusieurs articles sur l’Afrique des Idées.[5] La conclusion générale qui s’y dégage est que l’aide peut ne pas être efficace lorsqu’elle est octroyée sans conditions ou lorsqu’elle n’est pas utilisée pour financer les projets ayant démontré leur efficacité. Sur ce dernier point, les méthodes d’évaluation des politiques de développement qui sont systématiquement conduites par la Banque Mondiale, en dépit de leurs limites, constituent une façon de rendre plus efficace l’aide au développement. Il ne reste plus qu’à souhaiter que cette approche soit généralisée à tous les projets de développement.

Quant à la deuxième question, le centre du développement de l’OCDE y a apporté une contribution à travers l’organisation en octobre 2013 d’une conférence sur l’utilisation des ressources naturelles pour investir dans les infrastructures et les ressources humaines en Afrique. A ce sujet,   l’article du directeur du PNUD pour l’Afrique, M. Abdoulaye Dieye, apporte un éclairage intéressant. Il met en évidence deux contraintes majeures. D’abord, le fait que les recettes générées par les ressources naturelles soient en majorité capturées par les multinationales en tant que pourvoyeurs des capitaux nécessaires à leur exploitation. Ainsi, la capacité des Etats Africains à tirer partie de leurs ressources naturelles dépend des impôts et redevances qu’ils peuvent percevoir. A cet effet, l’initiative pour la transparence des industries extractives (ITIE) est un cadre assez convenable. La seconde contrainte est le manque d’experts en négociations des contrats entre un Etat et une entreprise multinationale. Il s’agit là d’un problème de manque de ressources humaines qualifiées à laquelle peu de réponses ont été apportées ; même si le PNUD travaille avec les Etats sur cette question.

Enfin, la troisième question concerne la fiscalité ; la capacité des Etats Africains à collecter les recettes fiscales nécessaires au financement du développement. Elle est très peu abordée aujourd’hui alors qu’elle est la plus pérenne de toutes les sources de financement. Cependant, l’autre question qu’elle soulève est de savoir s’il est utile de mettre à la disposition de gouvernements « corrompus » une partie des revenus d’une population majoritairement pauvre. Le bénéfice escompté dans cette situation ne vaudrait pas le sacrifice. Toutefois, la question pourrait être posée autrement : n’est-ce pas parce que les populations ne contribuent pas directement au financement du développement qu’elles ne demandent pas de compte à des gouvernements « corrompus » ? La question reste donc posée.

En définitive, il semble que la problématique du développement de l’Afrique ne se trouve plus nécessairement dans des modèles théoriques.[6] Les recettes du développement sont connues : science, capital et personnel qualifié. Pour les avoir il suffit de rechercher les moyens de financement et de les utiliser correctement. Les solutions de financement telles que l’aide au développement et les ressources naturelles ne suffisent pas pour garantir un développement harmonieux ; il est grand temps d’explorer la solution fiscale.

Georges Vivien Houngbonon

 

 

 

 

 


[1] Ecouter l’intervention du président du Centre de développement de l’OCDE lors du Forum Economique sur l’Afrique d’octobre 2013. Il y a aussi la CEDEAO qui a organisé un symposium pour réfléchir sur la question.      

 

 

 

 

[2] Voir son ouvrage de référence sur le sujet: Development as freedom. On pourrait évoquer aussi les théories de la géographie, de la culture, de l’ignorance des dirigeants politiques et des institutions. Voir le livre de Acemoglu « Why Nations Fails » sur ces différentes théories. Quoiqu’elles permettent de comprendre pourquoi certaines nations sont plus riches que d’autres, elles ne permettent pas de formuler des politiques de développement opérationnelles.

 

 

 

 

[3] Le Quatar pourrait être une belle illustration de ce cas.

 

 

 

 

[4] Voir le rapport de l’OCDE sur le sujet. On peut aussi ajouter à la liste le rôle de la philanthropie, c’est-à-dire le financement désintéressé de projets de développement par le secteur privé. Une réflexion sur le sujet a été menée par Tony Elumelu.

 

 

 

 

[5] Voir à cet effet les articles de M. Blade, et de Emmanuel Leroueil.

 

 

 

 

[6] Il ne s’agit pas ici de la problématique de la croissance à long terme qui est un tout autre sujet.