MONUSCO :Un bilan en demi-teinte

Les opérations de maintien de la paix de l’ONU sont destinées à aider des pays ravagés par des conflits en vue d’un retour de la paix et d’une consolidation ultérieure de celle-ci.

À la suite du déclenchement de la deuxième guerre du Congo (1998-2002) et de ses nombreuses conséquences tragiques, l’ONU avait décidé d’envoyer une mission en RDC, la Monuc en 1999. Depuis 2010, elle est devenue Monusco, mission des Nations-Unies pour la stabilisation du Congo. La Monusco est la plus vaste et la plus couteuse des opérations de maintien de la paix dans le monde.[1]

 Cet exposé vise à analyser les forces et les faiblesses de cette mission.

En dépit de vives critiques dont elle est l’objet, on ne doit pas occulter les réalisations de la Monusco pour favoriser la paix et la stabilité en République démocratique du Congo.

   Contribution aux efforts pour le retour de la paix

La Monusco a joué un rôle majeur dans les négociations pour favoriser autant le dialogue inter-congolais que le dialogue avec les pays voisins, impliqués dans les différents conflits en RDC. En 2001, lorsque le président Laurent Désiré Kabila fut assassiné et remplacé par son fils, Joseph Kabila, le gouvernement congolais n’avait pas le contrôle sur toute l’étendue du territoire national. Les groupes armés, notamment le MLC (Mouvement de Libération du Congo) et le RCD (Rassemblement congolais pour la démocratie) contrôlaient le nord-est et le sud-est de la RDC, le gouvernement ne contrôlant plus que la moitié ouest En plus de l’emprise de ces groupes armés sur d’importants pans du territoire national, de nombreux groupes rebelles et milices venus de l’étranger comme les FDLR du Rwanda, la LRA d’Ouganda, le CNDD-FDD du Burundi, le Parti pour la libération du peuple Hutu et l’Unita d’Angola étaient toujours dans le pays. Tous ces mouvements armés commettaient sans coup férir des exactions sur les populations civiles et s’enrichissaient sur l’exploitation illicite et effrénée de nombreuses richesses du sous-sol congolais. Même si nombre de ces groupes armés sont encore présents et actifs, il faut dire que leur capacité de nuisance est beaucoup moins considérable. En effet, la mission de l’ONU en RDC a joué un rôle important de facilitateur et de médiateur pour le retour de l’autorité de l’État sur tout le territoire.

La Monusco a joué un rôle de médiateur lors du dialogue inter-congolais de Sun City qui  donna lieu à l’Accord global et inclusif de Pretoria le 17 décembre 2002 (à Pretoria), mettant fin à la deuxième guerre du Congo (1998-2002). Cet accord de Pretoria, corollaire du dialogue placé sous les auspices de la mission onusienne a permis la réunification du pays et l’avènement d’un gouvernement d’union nationale.

Suite à la résurgence de nouvelles rébellions, notamment le M23 (Mouvement du 23 Mars) qui a occupé la ville stratégique de Goma durant plusieurs mois en 2012 et fait de nombreuses victimes, la Monusco a encouragé et facilité la tenue d’un dialogue entre la RDC, les pays voisins (Rwanda et Ouganda notamment) et le M23 afin de stabiliser la paix et de mettre en place un programme de DDR (Démobilisation, Désarmement et Réinsertion) des anciens rebelles. Ce dialogue a abouti à l’accord cadre d’Addis Abbeba qui enjoint aux pays voisins de cesser d’apporter leur soutien aux groupes rebelles, propose l’amnistie pour les responsables des « violations mineures » mais aussi des poursuites pour les auteurs des crimes contre l’humanité et demande au gouvernement congolais d’améliorer sa gouvernance. Ceci dit, au-delà de l’aspect positif du dialogue prôné par la Monusco, l’innovation majeure avec l’accord cadre d’Addis Abbeba est qu’il va permettre la mise en place d’une brigade d’intervention de la Monusco composée de 3000 soldats, conformément à la résolution 2098 du Conseil de Sécurité de l’Onu. En effet, alors qu’avant l’usage de la force était subsidiaire, désormais l’utilisation de la force fait partie intégrante du mandat de la mission.

 Appui logistique et institutionnel au gouvernement congolais

La mission de l’Onu en RDC offre un appui logistique et institutionnel au gouvernement congolais pour la stabilisation et la consolidation de la paix ainsi que la reconstruction du pays.

D’abord, notons que la Monusco a joué un rôle important dans la réforme du secteur de sécurité en RDC. Elle a joué un rôle de premier plan dans le désarmement et la démobilisation des anciens combattants et conjointement avec le gouvernement congolais et d’autres partenaires de la RDC (USA, UK, Chine, Belgique et Afrique du Sud), elle a œuvré activement pour la formation d’une nouvelle armée nationale inclusive et bien formée. De même, en ce qui concerne la police, la Monusco s’est-elle aussi ingéniée à réformer la police nationale congolaise (PNC) notamment en créant et coordonnant des centres de formation à travers le pays. En effet, il est estimé que la Monusco a directement contribué à la formation de 10000 officiers congolais dans des domaines aussi variés que les unités anti-émeutes, les instructeurs de police, les bataillons d’intervention rapide et les brigades de détective.

En outre, la Monusco a apporté un appui important au gouvernement congolais lors des premières élections démocratiques organisées en 2006. Le soutien  technique et opérationnel qu’elle a apporté a été déterminant dans la réussite du processus électoral. Par ailleurs, notons qu’un autre succès important de la Monusco concerne la protection des droits de l’homme et le renforcement du système judiciaire. La Monusco comporte en son sein une division des droits de l’homme qui est l’une des plus importantes unités civiles de la mission. Enfin, l’action de la Monusco, en partenariat avec les forces armées congolaises a permis d’appréhender et de traduire en justice des « seigneurs de guerre » comme Thomas Lubanga, Uzele Ubeme, Mathieu Ngudjolo, ou Germain Katanga.

Comme toutes les missions onusiennes à travers le monde, la Monusco n’est pas exempte de critiques, loin s’en faut. La Monusco a été vilipendée par nombre d’observateurs qui estiment qu’elle a simplement failli à sa tâche car 18 ans après sa mise en place, la RDC est toujours dans une situation précaire, avec la présence d’un ramassis de groupes rebelles étrangers et locaux qui sèment la terreur, parfois en toute impunité.

 Violations des droits humains par les casques bleus

La problématique des violations des droits humains par les casques bleus fait florès dans la littérature et dans les débats portant sur les missions onusiennes. En effet, les exemples illustratifs de ces violations sont légion et ne laissent guère d’incertitude.

On dénombre de nombreux cas de pédophilie, de prostitution à grande échelle, y compris avec des mineurs congolais des deux sexes, d’abus d’autorité, de harcèlement sexuel, viols ou tentatives de viols attribués au personnel de la Monusco. Les populations sont particulièrement  exaspérées et accusent ces  « émissaires de la paix qui se traînent au bras de nymphettes, les poches bourrées de dollars ».[2] Dans ce même ordre d’idées, il s’avère que dans le cadre d’enquêtes menées par le Bureau des services de contrôle interne de l’ONU (BSCI-OIOS), pas moins de 296 dossiers d’abus sexuels sur mineurs ont été ouverts concernant la période 2004-2006 et 140 cas avérés ont été recensés, essentiellement parmi les Casques bleus déployés en RDC.[3]

Ces abus et manquements aux droits humains ont fortement écorné l’image de la Monusco en RDC même si les viols et autres violations au Congo ne sont pas l’apanage du personnel de la Monusco mais sont aussi le fait des rebelles ou même des militaires congolais. De plus, en RDC « la MONUSCO a failli à son rôle en se montrant incapable d’empêcher des viols de masse perpétrés dans plusieurs villages», ainsi que le reconnaissait en 2008, le Sous-Secrétaire général de l’ONU chargé des OMP (opérations de maintien de la paix) de l’époque Alain le Roy.

 Situation toujours précaire à l’Est de la RDC 18 ans après

En dépit de la présence de la Monusco depuis 1999, la situation en RDC demeure toujours très volatile et instable. Certes, ce serait un leurre de penser que la Monusco peut à elle seule résoudre les problèmes  structurels et profonds à l’origine de la situation. Cependant, on ne peut  passer outre le fait qu’à plusieurs reprises, des massacres ont été commis dans des zones où la Monusco  était présente sans qu’elle n’intervienne efficacement alors qu’elle est dotée d’un mandat offensif pour la protection des civils. De nombreux exemples corroborent cette assertion. En 2003, par exemple, des populations civiles ont été tuées par des milices dans la ville de Bunia alors que le contingent uruguayen de la Monusco campait à l’aéroport, qui n’est pas à plus de 20 kilomètres de là. De même en 2004, les casques bleus n’ont pas pu empêcher les rebelles du général Nkunda  de commettre quatre jours durant des actes de viol, de pillage, et de meurtres dans la ville de Bukavu. En novembre 2008, les forces rebelles du même général Nkunda ont exécuté près de 150 civils dans la ville de Kiwanja pendant que les troupes de la Monusco étaient stationnées à quelques encablures de là. Aujourd’hui encore, les rebelles ougandais ADF continuent d’accomplir leur macabre besogne dans la ville de Beni. On peut, à bien des égards se poser des questions sur cette culture de « dissuasion passive » dont font montre les casques bleus de la Monusco face à certaines situations alors que leur mandat permet des actions offensives.

En définitive, disons qu’il est impérieux que le gouvernement congolais restaure son autorité sur toute l’étendue du territoire et que ses forces armées soient aptes à assurer seules la protection des civils avant d’envisager un départ définitif de la Monusco.

 

                                                                                                                                                                              Thierry SANTIME

 

 

 

 

[1] La Monusco est la plus grande en termes d’effectifs (22000 hommes) et la plus coûteuse (1.4 milliard de budget) des missions de maintien de la paix des Nations-Unies. Voir « Réflexions sur 17 ans de présence de l’ONU en RDC ». 2016. Afrique décryptage-blog du programme Afrique Subsaharienne de l’Institut français des relations internationales(IFRI)- https://afriquedecryptages.wordpress.com/2016/05/11/reflexions-sur-17-ans-de-presence-de-lonu-en-rdc/

[2] Kpatindé, Francis. 2004 « Scandale à la Monuc » Jeune Afrique. Paris. Juin 2004

 

 

 

 

 

 

[3] Zeebroek, Xavier, Marc Memier et Pamphile Sebahara. 2011 « La mission des Nations Unies en RD Congo : bilan d’une décennie de maintien de la paix et perspectives » p.24

 

 

 

 

 

 

Genèse des viols de masse en RDC

Cette analyse est le fruit de la lecture du récit de Joseph Mwantuali, tiré de l'histoire vraie de Coco Ramazani, une femme congolaise rescapée du conflit qui ensanglante l'Est de la RDC depuis bientôt 20 ans.
 
 

CocoRamazani4L’universitaire Joseph Mwantuali était en quête de données sur les  violences auxquelles les femmes de l’est de RDC doivent faire face depuis la première rébellion qui a suivi la chute de Mobutu. C'est au détour d’un échange dans une famille congolaise, qu'il fait la connaissance de Coco Ramazani. Réfugiée aux Etats-Unis, cette femme congolaise est porteuse du VIH et elle passe par plusieurs tentatives de suicide. Elle a fui l’Est de la RDC et Mwantuali va progressivement recueillir son témoignage qu'il va d'une main de maestro retranscrire.

Il s’agit donc d’un récit, d’une histoire vraie, un parcours quelque part dans le far east congolais. Avant de présenter ce texte, j’aimerais tout d’abord saluer l’écriture de Joseph Mwantuali. Il réussit la prouesse de proposer un texte maîtrisé, avec une plume d’une extrême qualité, sans fioriture sur le plan du style, totalement au service de la narration de Coco Ramazani. Cet effacement de l’intermédiaire, du porte-voix au service de la victime est remarquable et je tenais à le souligner.

Du point de vue de sa structure, ce texte pourrait être découpé en trois parties : Le contexte familial et social nébuleux dans le contexte qui précède la chute de Mobutu, son vécu au coeur d'un mouvement rebelle (RCD) – La vie après la guerre en exil. Le tout n'est pas forcément chronologique.

La vie avant l'occupation rwandaise et ougandaise

La première partie du récit de Coco Ramazani porte le témoignage de son enfance. Celle d’une enfant a perdu sa mère très tôt. En une quinzaine d’années, c’est plusieurs environnements qu’elle va côtoyer étant parfois soumise à la misère la plus profonde où le système « D » (Débrouillez-vous pour vivre) est insuffisant pour traduire ce contexte hostile. Fille menue, chaque fois que Coco Ramazani débarque chez une de ses sœurs, c'est pour les tâches domestiques, pour prendre soin des rejetons de ses soeurs, elle est la bonne à tout faire en incapacité de partager ses challenges personnels, les premières prédations masculines.

Joseph E. Mwantuali – source Présence Africaine

C'est aussi le propos d’une femme qui exècre profondément son père pour avoir livré sa très large progéniture (22 enfants, pour 5 épouses) à la misère la plus profonde. Un père disparu très tôt dans un accident de circulation. Et une famille paternelle qui laisse la charge des enfants en bas âge aux aîné(e)s tout en s’appropriant tous les biens matériels récupérables du défunt. La légendaire solidarité africaine…

Cette première phase est particulièrement instructive et elle ressemble aux descriptions qu’un Jean Bofane ferait de la vie des petites gens à Kinshasa dans  son fameux roman Mathématiques congolaises. Elle explique aussi certains choix incompréhensibles que fera Coco Ramazani plus tard. Un point dominant de cette période qui se termine avec l’arrivée des troupes Rwandaises à Bukavu, est l’harcèlement sexuel dont elle – adolescente pré-pubère – va faire l’objet par un pasteur évangélique pédophile. La solitude de l’orpheline, les mauvais traitements, une forme de reconnaissance vont enfermer la jeune femme dans cette relation perverse. Les figures masculines sont donc mises à mal à juste titre. Entre le père qui se reproduit à satiété, le frère aîné qui refuse d’assumer l’héritage paternel fait d’une ribambelle de bouches trop nombreuses à nourrir, le pasteur prédateur sexuel, des enseignants qui exercent un droit de cuissage sans vergogne et ni retenue, l’homme décrit tout au long de cette première phase dite pacifiée est déjà en guerre contre la gente féminine…

Une femme dans le mouvement du RCD : le viol comme arme de travail

Le problème que pose ce récit est illustré par la violence organisée au sein même du RCD (Rassemblement Congolais pour la Démocratie). Nous sommes là, c'est ma lecture, dans la genèse des viols de masse en RDC. Pour rappel, ce mouvement politique qui va connaître deux mouvances, à savoir celle de Goma (pro-rwandaise) et celle de Kisangani (pro-ougandaise) est un produit de la deuxième invasion que va connaître la RDC. Un mouvement politique avec des pantins congolais à sa tête pour servir de caution sinon de couverture à une exploitation des ressources assaillants étrangers qui ne retombent dans la première erreur de partir jusqu’à Kinshasa.

Coco Ramazani, secrétaire, agent administratif, n’a pas de protecteur attitré au sein de ce mouvement qu'elle a intégré après une ou deux années universitaires. A plusieurs reprises, elle fait l’objet de viols par les dirigeants de ce parti qui a la prétention de diriger ce pays. Naturellement, n’importe quel lecteur phallocrate objectera en soulignant "pourquoi reste-t-elle dans le mouvement ?". Et je pense que c’est tout l’intérêt de ce récit que je ne peux dévoiler complètement. Le contexte de la guerre fait que la jeune femme n’a que très peu de marge de manœuvre lorsqu’elle se retrouve à Kisangani, loin de sa famille, sans ressource dans un mouvement qui prend bien soin de ne pas rémunérer ses employés, les livrant à la merci des responsables. Parler de genèse de viol de masse peut paraître excessif, et ce n'est pas le propos de Mwantuali. 

Là où l’ouvrage devient très pertinent, c’est dans le partage de la petite femme de rien du tout. En dehors de subir certaines agressions, elle observe les valeurs de ces « rebelles », ces gros cervaux qui ambitionnent constituer une alternance crédible pour ce pays et qui se prostituent auprès de l’occupant étranger. Des hommes capables pour sauver leur peau lors de l’évacuation de Kisangani – après la destruction du siège de leur mouvement par les Rwandais – d’abandonner une demi-douzaine de femmes congolaises de leur mouvement (dont Coco) dans un camp bourré de soldats ougandais ? Faut-il vous faire un dessin ?

Le viol des femmes en RDC est une image terrifiante de celui de ce pays par ses élites corrompues. De la même manière que les violeurs du RCD Kisangani, selon la narration proposée par Joseph Mwantuali, disposent des femmes comme d’objet à disposition – dans un autre contexte on aurait parlé d’esclaves – ces élites prédatrices se servent pour leur satisfaction personnelle des richesses de ce pays trop doté par la nature. Mais il me semble que le plus douloureux ici, c'est la récurrence du viol. Comme ces femmes, la RDC est dans un rapport constant d'exposition à l'agresseur sans que des mesures de protection ne soient conçues par ses leaders politiques, proposées aux populations, aux femmes avant tout.

 

Au-delà du cas de la RDC, Tu le diras à ma mère de Joseph Mwantuali interpellera chaque lecteur. Si la violence ici décrite est crue et nous retourne l’estomac, elle prend des formes différentes dans d’autres pays comme le Congo voisin par exemple. L’alternance après laquelle chaque nation africaine soupire a le devoir de s’extraire de cette prédation animale qui intègre l’idée vendre père, mère et femme pour satisfaire une soif de pouvoir inextinguible. 

L'exil

Coco, elle, se meurt quelque part dans un exil qui n'est point doré. Marquée à vie par la violence des hommes, se pensant abandonnée par un Dieu qu’elle finit par croire indifférent à ses souffrances puisque c’est dans sa « maison » qu’ont commencé les premières agressions subies par Coco Ramazani, elle tente une reconstruction en Lui parlant, partagée entre raison et folie. L'objectif des violeurs est atteint : briser une femme, détruire un pays pour en abuser encore et encore. Une femme qui résiste malgré tout, ce livre en est la preuve.

Laréus Gangoueus

Tu le diras à ma mère, Joseph Mwantuali (Editions Présence Africaine, 2015) 

Source photo – Editions Présence Africaine

Pour que le Mali demeure une mauvaise idée

Le Mali a toujours été une mauvaise idée. De géographie. De Fédération. De politique de développement. De démographie. De protection des femmes . De trajectoire historique. De placement en demi-finale de la CAN. Et probablement une mauvaise idée de chronique dominicale. L’affaire, c’est que les Maliens ne font jamais rien comme il faut, même si, l'un dans l'autre, ça leur réussit plutôt bien.

Le Mali avait bien commencé. Entre l’idolâtrie francophile de Senghor ou l’obsession de stabilité et de contrôle d’Houphouët-Boigny d’un côté et l’irréductible et dangereuse radicalité de Sékou Touré, le Mali accéda à l’indépendance sous la houlette d’un panafricaniste non-doctrinaire, résolument non-aligné mais pragmatique : Modibo Keïta, une sorte de Kwame Nkrumah sans la folie des grandeurs. Et si Keïta se goura, en matière de politique économique (l’endettement colossal du Mali, c’est d’abord une mauvaise idée de Modibo Keïta), il reste définitivement l’un des « socialistes » africains les moins sanguinaires et son éviction du pouvoir fut des plus pacifiques. Mieux, il demeura jusqu’à sa mort (probablement par empoisonnement) un partisan résolu de la démocratie (sinon du multipartisme).

Puis, il y eut les deux décennies de la dictature de Moussa Traoré (1968-1991). Et là encore, à l’aune des calamités que connut l’Afrique des années 70 et 80, cette brave Afrique de l’Apartheid, de Mobutu, Amin Dada et Bokassa, de la Gukurahundi, des guerres civiles angolaise, éthiopienne, mozambicaine ou tchadienne, et même dans cette sereine Afrique de l’Ouest qui vit l’éclosion du conflit casamançais, le coût humain et financier de la dictature de Traoré reste assez mineur. Le Mali réussit même, au tournant de la décennie 90 (oui, celle-là même du génocide rwandais et des guerres civiles en Sierra Léone et au Libéria) à mettre Moussa Traoré aux arrêts, à le faire juger et condamner. Et derechef, le Mali se résolut à décevoir : non seulement, Traoré ne fut pas exécuté, il vit d’abord ses deux peines capitales commuées en détention à perpétuité, avant d’être gracié en 2002 et de bénéficier d’une villa officielle et de 1200 euros de rente publique par mois ; pour aggraver leur cas, les autorités militaires maliennes non seulement présentèrent leurs excuses à la population mais organisèrent une étonnamment rapide dévolution du pouvoir politique aux civils.

Et depuis vingt ans, cahin-caha, le Mali est une démocratie relativement paisible et passablement ennuyeuse. Pauvre, désespérément pauvre mais pas trop misérable, ni sous complète perfusion. Une mauvaise idée quand on a pour voisins la Côte d’Ivoire, l’Algérie ou la Mauritanie.

Voilà que le Mali s’apprête soudain à en prendre une « bonne » : suivre l’exemple de ses voisins et transformer un conflit politico-économique (les griefs des populations Touareg du Nord du Mali) en véritable crise militaro-ethnique.

Depuis la mi-janvier 2012, le Mali doit faire face à la quatrième rébellion Touareg de son histoire. Ce chiffre est assez significatif : de 1961 à maintenant, cet immense Nord malien n’a cessé de gronder, sans que Bamako ne sache exactement quelle solution apporter aux griefs de ses habitants. La pauvreté du pays, sa trajectoire politique depuis l’indépendance et les hérésies du découpage géographique n’expliquent qu’en partie cet échec. Une autre mauvaise idée malienne.

En 1961, une première rébellion éclate. Les chefs Touaregs de la région de l’Adrar des Ifoghas se révoltent contre l’autorité du pouvoir central et la politique de Modibo Keïta. Ce dernier, soutenu par le Maroc et l’Algérie écrase brutalement ces soulèvements, tout en en niant la réalité jusqu’en 1964. La dissidence Touareg n’en est qu’à ses débuts. Le terrible bagne-mouroir de Taoudéni bientôt fonctionnera à plein régime.

La grande sécheresse de 1972-74 fait 100.000 morts dans les régions de Gao et Tombouctou (Nord/Nord-est). L’indifférence coupable du régime de Moussa Traoré est interprétée à raison comme une mesquine revanche contre cette indocile partie du territoire. Pire : l’aide humanitaire reçue pour cette sécheresse et la suivante en 1982-85 est détournée par le gouvernement. Le Mouvement national pour la libération de l'Azawad (MNLA) est créé en 1988. Dès 1990, un second soulèvement éclate, qui voit l’attaque de la ville de Ménaka et des postes militaires avancés. Les accords de Tamanrasset signés en janvier 1991 sont censés régler définitivement la question : la région de Kidal est créée, Taoudéni est fermée, 240 prisonniers politiques sont libérés. Un calme précaire s’établit.

En 2006, les troubles reprennent : l'Alliance démocratique du 23 mai pour le changement dénonce le non-respect des accords de 1991. Le développement économique n’est pas venu, l’administration publique est inefficiente et jugée éloignée des populations. Les Touaregs s’aperçoivent peu à peu que cette administration est essentiellement originaire du Sud. La Côte d’Ivoire a ouvert la voie. Le GSPC et Kadhafi y ont certainement ajouté leur grain de sel. Les Accords d’Alger sont signés en juillet 2006 : un fonds d'investissement, de développement et de réinsertion socio-économique des régions du Nord-Mali sera mis en place et doté de 700 milliards de francs CFA, une nouvelle région administrative (Ménaka) doit être crée. La mécompréhension s’accentue : la majorité du pays est pauvre, elle aussi et ne comprend pas la facilité avec laquelle le gouvernement cède aux desiderata des minorités berbères du Nord du pays. Qu’importe l’état réel (profondément désastreux, même pour le Mali) des infrastructures publiques et sanitaires dans le Nord… Désengagement de l’Etat qui ne semble pas s’améliorer puis qu’une quatrième révolte touareg éclate, cinq ans seulement après ces Accords.

Depuis la mi-janvier 2012 le MNLA mène une violente offensive contre les forces armées maliennes. Les rebelles occupent désormais la ville de Tinzaouatène. L’armée républicaine essaie de contenir leur avancée. La classe politique appelle à l’unité et soutient le Président Amadou Toumani Touré. La crise humanitaire est grande : 30.000 déplacés internes, près de 20.000 réfugiés au Niger, en Algérie, au Burkina et en Mauritanie; les villes de Gao, Kidal, Ménaka, Adaramboukare, Tessalit et Tombouctou sont quasiment désertes, en état de siège.

La rébellion est mieux armée, en partie grâce à l’afflux d’armes sorties de Libye à la suite du « printemps » libyen, en partie grâce au soutien non-assumé d’AQMI. Et pour la première fois, malgré les dénégations du MNLA, le caractère ethnico-culturel de ses revendications est au cœur du problème : des affrontements ont opposé à Bamako, d’un côté, les parents des militaires maliens et les forces de l’ordre ; de l’autre, populations malinkés et Touaregs. Le gouvernement est désormais accusé de trahison et d’abandon par une part non-négligeable de la population. Sa réaction immédiate aux attaques du MNLA est jugée faible et brouillonne. De plus, les populations des principales villes du Sud vivent assez mal ce qu’elles considèrent comme une agression injustifiée de la part du Nord. Les appels au calme fusent de partout. Les incitations à éviter les amalgames entre les rebelles et le reste de la population Touareg, arabe, mauritanienne ou « nordiste » du pays, se multiplient. Pas sûr qu’elles soient suivies. Et ceci d’autant moins que le conflit semble s’accentuer. Ce que n’arrangeront pas les désertions au sein de l’armée malienne

Le libéral en moi, voit ici une autre conséquence de l’interventionnisme étatique (in fine, tout le monde l’accuse de tous les maux puisque tout le monde l’imagine omnipotent), l’Ivoirien ressent, en revanche, une terrible impression de déjà-vu. Il vaudrait mieux que le Mali reprenne sa tradition de mauvaises idées – modérées et progressives.
 

 

Joël Té-Léssia