Que savons-nous sur l’économie verte en Afrique ?

Synthèse de nos publications sur le thème du forum green business

couverture 8A partir de la définition donnée par le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE), l’économie verte se caractérise par des activités de production et de consommation impliquant un faible taux d’émission de carbone, l’utilisation rationnelle des ressources et l’inclusion sociale. Pour adapter cette définition très générale au contexte africain, (Kempf 2014) a réalisé une quinzaine d’entretiens auprès d’entrepreneurs locaux au Congo Brazzaville. Ces entrepreneurs sont actifs dans les domaines de la transformation agro-alimentaire, de la gestion des déchets, de l’eau et de la santé.

De ces entretiens, il ressort que les entreprises « vertes » cherchent à mettre en avant des circuits courts de commercialisation (CCC) et des modes de production plus intégrés. Comme le montre l’analyse de (Libog, Lemogo, and Halawa 2013), l’adoption et la vulgarisation des CCC permettrait à coup sûr une réelle revalorisation de la production locale et la rendrait plus compétitive avec l’augmentation des revenus des petits producteurs, une meilleure productivité, l’émergence d’une agriculture respectueuse de l’environnement et le développement des économies régionales et sous-régionales.

Lorsqu’on considère les activités menées par les entrepreneurs « verts », nos analyses montrent qu’il existe de réelles opportunités à saisir dans l’émergence de l’économie verte en Afrique ; en particulier dans l’agriculture biologique et la gestion des déchets.

En effet, selon l’analyse de (Houngbonon 2014), l’Afrique dispose d’énormes atouts dans la production des produits d’agriculture biologique compte tenu de la qualité de ses terres agricoles et de leur disponibilité. Plus spécifiquement, le faible développement de l’agriculture intensive en Afrique implique une faible utilisation des pesticides, ce qui rend les terres agricoles africaines plus appropriées à l’agriculture biologique. De plus, le continent dispose encore d’énormes superficies de terres agricoles non encore exploitées. Par exemple, en 2010, seulement 40% des terres agricoles en Afrique sont cultivées ; cette proportion chute à 25% en Afrique Centrale. Se basant sur ces atouts, il recommande de former les paysans africains à l’agro-écologie et de mettre en place des normes de certification équivalentes aux standards européens et américains.

Dans ces conditions, l’agriculture biologique pourra nourrir l’Afrique à sa faim selon (Morghad 2012). A partir d’une expérience menée en Ethiopie et citée dans une étude de l’Institut du Développement Durable, l’auteure explique comment l’agriculture biologique a permis d’améliorer les rendements agricoles dans une région souffrant de sécheresse et de la désertification. Toutefois, ce rôle clé de l’agriculture biologique risque d’être compromis par les accords de partenariats économiques en cours de signature par la plupart des pays d’Afrique sub-saharienne comme l’a souligné (Halawa 2014)  dans un article sur le sujet. En effet, à partir des résultats de plusieurs études, il relève l’impact négatif que peuvent avoir ces accords sur la diversification des économies africaines et en particulier sur l’agriculture biologique.

Ainsi, la promotion de l’agriculture biologique requiert une réponse globale alliant à la fois l’accès au financement, la formation des agriculteurs, la mise en place des normes de certification et la négociation d’accord commerciaux qui placent l’agriculture biologique au cœur de ses préoccupations.

Quant à la gestion des déchets, (Kempf 2012) se base sur un rapport de la Banque Mondiale qui montre qu’en 2005, l’Afrique ne représentait que 5% de la production mondiale de déchets. Plus de la moitié (57%) de sa production est constituée de déchets organiques, donc valorisables sans trop de difficultés. Bien entendu, la part de l’Afrique dans la production mondiale de déchets est amenée à augmenter avec la croissance économique et démographique ; il en va de même pour la composition des déchets qui deviendra plus complexe. Cette évolution transforme les déchets en  formidable opportunité d’affaires pour les entrepreneurs souhaitant s’engager dans l’économie verte. Cependant, à partir d’entretiens réalisés auprès d’entrepreneurs du secteur, (Kempf 2013) rapporte que la faible structuration de la filière des déchets, et en particulier le peu d’opportunités de valorisation, demeurent l’une des principales difficultés pour relever le défi des déchets africains.

De même, (Madou 2014) montre qu’à Abidjan, la gestion des déchets souffre d’un manque d’efficacité dans l’organisation du secteur. Typiquement, la persistance du secteur informel, le manque de matériel adapté et de formation du personnel, la gestion des décharges publiques sont à l’origine de cette absence d’efficacité. Un développement de l’activité de gestion des déchets passera donc par la revalorisation du service auprès des ménages, le recyclage des déchets, la formation du personnel et une plus forte implication de l’Etat dans l’organisation du secteur, en particulier dans la gestion des décharges publiques. Les PME restent cependant des acteurs clés pour le développement du secteur et son efficacité.

L’émergence d’une économie verte ne saurait enfin se faire sans un accès à l’énergie pour tous, en particulier en milieu rural. Cela est d’autant plus crucial lorsqu’on sait que plus 95% de la population rurale n’a pas accès à l’énergie dans plusieurs pays africains, comme le Bénin, Madagascar, le Niger et la Zambie,  alors même que le développement d’activités nécessitant de l’énergie telles que l’agriculture biologique auraient un très fort impact en milieu rural. La principale raison identifiée par le Club des agences et structures en charge de l’électrification rurale est la difficulté d’accès au financement. Comme l’a souligné (Sinsin 2014), celle-ci est liée à la faible densité de la population dans les zones rurales qui ne favorise pas la rentabilité d’une extension du réseau électrique dans ces zones. A partir de projets tels que l’Expérience EDF, le GERES au Bénin et UpEnergy en Ouganda, Africa Express recommande une formation professionnelle adaptée et une sensibilisation des populations à l’échelle locale, une promotion des énergies locales décentralisées sur toute la filière à l’échelle régionale et enfin une mise en place de législation appropriée à l’échelle nationale pour inciter le secteur privé à investir dans les énergies renouvelables.

En définitive, l’économie verte peut être considérée comme une application concrète, pratique et viable du volet économique du développement durable. Elle présente d’énormes atouts pour l’Afrique et en particulier pour l’Afrique Centrale,  que ce soit dans le domaine de l’agriculture biologique ou de la gestion des déchets. Elle a besoin d’être soutenue par un accès accru aux énergies renouvelables.

Nous en savons actuellement trop peu sur les politiques les plus efficaces à mettre en place pour soutenir l’émergence d’une économie verte en Afrique. Sur ce sujet, L’Afrique des Idées souhaite engager des études plus approfondies pour accompagner les décideurs publics à identifier les réponses les plus appropriées à l’émergence d’une économie verte en Afrique, et en particulier en Afrique Centrale.

 

Georges-Vivien HOUNGBONON

Références :

Halawa, Djamal. 2014. “Quels sont les enjeux des APE pour l’agriculture et l’industrialisation?” L’Afrique Des Idées.

Houngbonon, Georges Vivien. 2014. “L’Afrique peut-elle bénéficier de L’agriculture biologique ?” L’Afrique Des Idées.

Kempf, Véra. 2012. “Comment l’Afrique gère-t-elle ses déchets?” L’Afrique Des Idées.

———. 2013. “Comment mettre en valeur les déchets au Congo?” L’Afrique Des Idées.

———. 2014. “Economie Verte, de quoi parle-t-on ?” L’Afrique Des Idées.

Libog, Charlotte, Jerry Lemogo, and Djamal Halawa. 2013. “Les Circuits Courts de Commercialisation.” L’Afrique Des Idées.

Madou, Stéphane. 2014. “Comment gère-t-on les déchets domestiques à Abidjan?” L’Afrique Des Idées.

Morghad, Leïla. 2012. “L’agriculture biologique permettra-t-elle de nourrir l’Afrique à sa faim?” L’Afrique Des Idées.

Sinsin, Leonide Michael. 2014. “Quels financements pour l’accès à l’énergie en milieu rural?” L’Afrique Des Idées.

Les circuits courts de commercialisation

Aujourd’hui, tous les experts s’accordent à reconnaître l’Agriculture comme étant le moteur de la croissance en Afrique. Le défi d’une relance durable et pérenne de l’Agriculture africaine passe nécessairement par l’émergence de l’Agriculture familiale et les circuits courts de commercialisation constituent un levier majeur pour l’atteinte de cet objectif.

En effet, produire est une chose et commercialiser en est une autre. Et parmi les divers obstacles liés à l’émergence du secteur, le sentier de la commercialisation s’avère parfois plus rude. Ce volet de la chaîne de valeur agricole engage souvent de nombreux intermédiaires (grossistes, demi-grossistes et détaillants …) avec comme conséquence principale une augmentation drastique des prix des produits. Les producteurs et les consommateurs finaux sont souvent ceux qui doivent payer le lourd tribut de la chaîne interminable de ces intermédiaires.

Dans un  tel contexte, la notion de circuits courts de commercialisation (CCC) se présente de plus en plus comme une alternative pouvant permettre une redynamisation de l’agriculture africaine. Il est donc important d’explorer cette notion de CCC et de définir ses différents enjeux pour le réveil agricole en Afrique.

La promotion des CCC en Afrique, une nécessité

La commercialisation constitue un maillon essentiel de la chaîne de valeur agricole qui assure une vie décente au producteur et le met en relation avec le consommateur. Cependant le nombre souvent trop important d’intermédiaires entrave l’émergence de la paysannerie qui assiste de manière impuissante à une moindre consommation de la production locale, du fait des prix élevés découlant en partie d’une intermédiation commerciale excessive.

Très souvent, les produits locaux sont assez chers lorsqu’ils arrivent aux consommateurs finaux et sont par conséquent boudés par ces derniers au profit des produits importés peu onéreux. Les conséquences d’un tel état sont multiples et préoccupantes : dégradation des conditions de vie des petits producteurs et désintérêt de ces derniers et souvent de leur descendance pour le secteur agricole, déséquilibre des balances commerciales du fait d’une importation souvent massive des produits alimentaires, urbanisation accrue du fait du phénomène d’exode rural et augmentation du taux de chômage des jeunes pour ne citer que ceux –là.

Il est donc capital et urgent de promouvoir et développer des systèmes de circuits courts de commercialisation afin d’assurer l’émergence de l’agriculture familiale dans un marché agricole et agroalimentaire africain en pleine croissance (estimé par la Banque Mondiale à un peu plus de 300 milliards de dollars de nos jours et à plus de 1000 milliards de dollars à l’horizon 2030). Les enjeux sont énormes pour l’Afrique qui gagnerait à opter pour des solutions efficaces pour une relance effective de son Agriculture, et les circuits courts de commercialisation en font partie.

Typologie et caractéristiques des CCC

ANouvelle image (56)lors que les circuits classiques de commercialisation font des intermédiaires les maîtres du jeu au détriment des producteurs et des consommateurs, les circuits commerciaux courts quant à eux favorisent une augmentation des revenus des producteurs et une amélioration du pouvoir d’achat des consommateurs du fait d’une réduction significative des intermédiaires.

Les systèmes pionniers de CCC ont été expérimentés au Japon avec les ‘natural farming’ et le développement des Community Supported Agriculture’ dans les années 70 en Amérique du  Nord. Ces expériences ont eu un écho sur l’ensemble de la planète et ont permis aux autres continents de s’en inspirer afin de capter de la valeur pour les producteurs.

Un CCC peut être défini comme un système de commercialisation qui se caractérise par le nombre réduit d’intermédiaires (1 au maximum) ou encore par son absence totale.

Il existe une diversité de CCC dans le monde agricole. Selon les études menées dans des pays ayant une longue expérience des CCC, on distingue plusieurs types de circuits en fonction de leur nature (vente directe ou à un intermédiaire).

  • Dans la vente directe on en distingue selon le niveau deux types: au niveau individuel, le producteur peut ainsi écouler sa marchandise dans les foires, à la ferme ou dans les champs, ou encore sur les marchés de producteurs ou fermiers. Au niveau collectif, il y a deux cas de figure : lorsqu’il s’agit d’association entre producteurs et consommateurs, les ventes peuvent se faire selon les engagements contractés entre les deux parties. Les consommateurs achètent par avance une part déterminée de la production qu’ils reçoivent périodiquement à prix fixe. Les risques sont ainsi partagés entre les parties. Il peut aussi s’agir d’associations de producteurs qui commercialisent à travers des foires, des marchés paysans, des points de vente collectifs.
  • Dans la vente à un intermédiaire : au niveau collectif, les ventes peuvent se faire au niveau des intermédiaires associatifs, des collectivités etc. Au niveau individuel, restaurateurs, commerces…

Caractéristiques : plusieurs caractéristiques distinguent les CCC parmi lesquels :

  • la proximité: Les marchandises sont produites, vendues, et consommées le plus près possible. Ceci permet une certaine dynamisation du tissu social et économique local. Dans les pays africains, ceci permettrait un développement rural plus durable dans un contexte où les campagnes africaines se vident au profit des villes ;
  • le relationnel: Il favorise la connaissance directe des agents de la chaîne alimentaire. Il revalorise la culture paysanne et la reconnaissance sociale des agriculteurs et éleveurs. Les consommateurs qui sont plus proches des producteurs se sentent mieux compris ;
  • l’Information: On promeut ici des espaces de connaissances et de partages d’information. Ceci favorise l’autonomisation dans la prise de décision. Les choix des consommateurs sont désormais fonction des informations en leur disposition et non plus de la publicité et du marketing qui sont très souvent loin d’être objectifs ;
  • ou encore la participation du consommateur à la gestion et à la gouvernance du système alimentaire mondial ; la Justice et la durabilité économique avec une valeur partagée de façon équitable au niveau de l’ensemble des personnes qui interviennent dans sa création ; l’inclusion dans les CCC toutes les personnes qui peuvent y prendre part pour une durabilité sociale et la durabilité environnementale qui doit être en amont et en aval du processus agricole.

Pour une réussite des CCC en Afrique

De nombreuses raisons justifient l’urgence et la nécessité d’une promotion à grande échelle des CCC. On peut citer : la dévalorisation de l’image du secteur agricole, la baisse continue du nombre d’exploitations, le repli et le mal-être de nombreux petits-producteurs. Ces facteurs de fragilisation sont liés notamment à l’organisation des marchés et au contrôle de la distribution par une poignée d’intermédiaires qui captent la majeure partie des profits.

Pour l’Agriculture africaine, l’adoption et la vulgarisation des CCC permettrait à coup sûr une réelle revalorisation de la production locale et la rendrait plus compétitive avec l’augmentation des revenus des petits producteurs, une meilleure productivité, l’émergence d’une agriculture respectueuse de l’environnement , le développement des économies régionales et sous-régionales.

Le potentiel des CCC est  élevé, mais suppose investissements, compétences et réseaux, et une organisation sans failles pour l’intérêt collectif avec la participation des consommateurs et des citoyens.

On pourrait également évoquer les enjeux sociaux : renouvellement du lien producteur-consommateur, dynamisation des territoires, rapprochement ville-campagne, nouveaux rapports à l’environnement, à l’alimentation et à la consommation.

Tout cela implique pour les acteurs de ces circuits courts, professionnels, agents de développement ou élus, acteurs du secteur privé, de réunir les conditions d’accès à ces circuits en  intégrant par exemple les circuits courts dans des projets territoriaux , en encourageant les regroupements de producteurs, en mobilisant les ressources humaines et les moyens financiers nécessaires, en assurant la formation des divers maillons de cette chaîne de distribution rentable et efficace et enfin en sensibilisant les consommateurs, les producteurs et les acteurs du territoire sur les divers avantages relatifs à la mise en place des circuits courts de commercialisation.

 

Rédigé par Charlotte LIBOG avec le concours de Jerry LEMOGO, contributeur AGM et Djamal Halawa