Quatre modèles économiques pour l’électrification rurale en Afrique (2 /2)

Nouvelle imageL’association Africa Express a étudié en 2012, 25 projets d’énergie sélectionnés par un Comité Stratégique. A partir du Livre Blanc sur les bonnes pratiques des énergies durables en Afrique, publié par l’Association, nous avons présenté dans un précèdent article, deux modèles portant sur l’entreprise sociale (1), et la création de filière économique nouvelle (2). Voici deux autres reposant sur la fidélisation de la clientèle (3) et le développement de partenariats public-privé (4).

(3) Fidéliser les clients

Les projets d’électrification rurale décentralisée peuvent faire face à un taux élevé de non-recouvrement du paiement du service rendu par les clients, pour différentes raisons : insatisfaction, difficultés financières… Il s’agit d’un risque majeur pour la pérennité du projet, puisqu’il entraîne une diminution des recettes, qui pèse sur les opérations de maintenance préventive ou curative et dégrade ainsi la qualité du service.

La conservation de la rente assurée par les clients acquis exige donc un investissement qui peut représenter un coût élevé : relances, mobilisation de personnel pour récupérer les créances, désinstallation du matériel… Cependant, il est nécessaire pour garantir la qualité de service et assurer la viabilité de l’opérateur.

BPC Lesedi propose une solution innovante parfaitement adaptée au cas du Botswana, car il s’agit d’une région à fort pouvoir d’achat des populations. Le concept du paiement au service est une solution qui peut être répliquée pour d’autres bassins de population.

Projet BPC Lesedi / Botswana : mise en œuvre du concept de «paiement au service » via un réseau de franchisés

Nouvelle image (BPC Lesedi (joint-venture détenu à 55% par BPC – opérateur national d’électricité botswanais – et à 45% par EDF) est née en 2010 et a pour mission de mettre en œuvre le programme national d’électrification rurale à partir d’énergies renouvelables, solaire en particulier. L’objectif de la politique énergétique du Bostwana est d’atteindre un taux d’électrification de 80% des foyers d’ici 2016 et de 100% d’ici 2030.

Le modèle mis en place par BPC Lesedi est celui de « paiement au service » déjà mis en œuvre dans d’autres pays par EDF. Au Botswana, l’innovation de cette approche réside dans son système de franchises. Le « paiement au service » vise à répondre au plus grand défi posé par les systèmes hors-réseaux par rapport à l’électrification via le réseau électrique conventionnel : prendre en charge la maintenance et sa charge financière qui pèse sur le client en échange d’une redevance mensuelle.

La force du système de franchises réside dans l’adaptabilité des entrepreneurs à différents environnements, et la durabilité d'une prestation de services performante qui conduit l'entrepreneur local à maintenir son entreprise en pleine croissance en conservant ses clients captifs et satisfaits. En impliquant le secteur privé pour mener le processus d’électrification rurale à travers le pays au lieu de confier la mission à un unique opérateur national, le concept de franchises va permettre à BPC Lesedi d’encourager l’ensemble de l’industrie solaire dans le pays et d’apporter de la valeur ajoutée à son expansion.

Après 3 ans, BPC Lesedi a déjà réussi l’installation de 600 systèmes solaires (pour 3 000 bénéficiaires environ)  grâce au recrutement et à la formation de 10 franchisés. Ceci a contribué à la création de 47 postes permanents dans le solaire à travers le réseau de franchises et de sous-traitants.

(4) Construire des partenariats public-privé (PPP)

Les PPP peuvent représenter une solution pertinente de financement de l’accès à l’énergie, si la politique nationale d’électrification rurale d’un État ou d’une région est définie, et que le cadre réglementaire est transparent et incitatif.

Dans le domaine de l’électrification rurale, les États peuvent libérer des concessions dont elles confient la gestion à une entreprise privée, alors titulaire d’une délégation de service public sur un territoire défini. Elle est alors en charge du développement de l’accès à l’énergie, et bénéficie d’une exclusivité d’exploitation sur une durée longue (10 à 20 ans) afin de rentabiliser ses investissements et dégager des bénéfices. Au terme de la concession, la puissance publique devient propriétaire et gestionnaire des infrastructures. D’autres systèmes existent, comme l’affermage, dans lequel l’opérateur privé gère un service public, en contrepartie d’une rente reversée à l’État.

Pour les infrastructures énergétiques d’envergure nationale ou régionale, les PPP représentent une voie pertinente d’une croissance durable. À l’initiative des gouvernements et sur impulsion internationale, bailleurs publics, agences internationales et partenaires privés sont associés afin de mettre en œuvre un projet de  production ou de distribution énergétique.

Projet GDC / Kenya : PPP pour la construction d’une centrale géothermique de 400 MW

Nouvelle image (3)L’entreprise GDC (Geothermal Development Company), créée en 2008, développe l'énergie géothermique au Kenya. La géothermie est l’unique grande source d’énergie encore inexploitée, peu chère, fiable et disponible.

On estime le potentiel géothermique du pays à plus de 10 000 MW, principalement le long de la vallée du Rift. Le premier projet développé par l’entreprise est la centrale de Menengai, qui produira 400 MW à l’achèvement de sa construction en 2017.

En raison des coûts très élevés liés à l'exploration des ressources en amont, les investisseurs sont généralement frileux quant au développement de la géothermie, dont l’exploitation des ressources a stagné dans la plupart des pays. Cependant GDC a été conçu comme un accélérateur du développement géothermique du pays.

GDC prend en charge les risques de l’exploration : elle procède ainsi à des études de surface, d’exploration, d'évaluation et de production de forage. Les investisseurs seront par la suite invités à s'associer au développement de la centrale dans le cadre d’un partenariat public-privé.

Grâce à la prise en charge des risques initiaux engendrés par l’exploration géothermique, GDC favorise les investissements dans le secteur en limitant les risques qui pèsent sur eux. Si les investisseurs privés devaient être impliqués dans l'investissement de l’intégralité de la chaîne de valeur géothermique, le risque serait de facto répercuté sur les tarifs au consommateur, qui deviendraient alors trop élevés pour la population locale.

Grâce à ce modèle, le Kenya développera une industrie géothermique efficace tandis que les consommateurs  bénéficieront également de tarifs plus bas.

En conclusion :

L’Afrique dispose de ressources énergétiques très importantes. Pourtant les investissements actuels dans les unités de production, et une approche strictement technique et macro-économique ne sont pas suffisants pour délivrer l’électricité à l’ensemble de la population. Des freins subsistent : infrastructures vulnérables aux variations de la demande, réseaux peu interconnectés qui freinent le développement de structures de production énergétiques régionales, surcoût à l'investissement des énergies renouvelables… Enfin, l'économie actuelle du système électrique empêche les investissements nécessaires faute d'efficacité, de solvabilité des acteurs et de stabilité politique et réglementaire.

La réussite de l’accès à l’énergie en zone rurale nécessite une autre vision, tout aussi à long terme, mais menée au plus près du terrain. Surtout, elle requiert la construction de modèles économiques mieux adaptés à des populations pauvres et souvent peu solvables, l’implication de tous les acteurs des filières et enfin le placement de l’innovation sociale et financière au cœur de la problématique de l’accès à l’énergie.

 

Jeremy DEBREU d’Africa Express

Quatre modèles économiques pour l’électrification rurale en Afrique (1/2)

Nouvelle imageEn 2012, l’association Africa Express a étudié 25 projets d’énergie sélectionnés par un Comité Stratégique, pour comprendre quels sont les facteurs-clés qui sous-tendent leur réussite. La diversité des projets audités était très large, tant en type de développeur de projet et de source d’énergie produite qu’en termes d’impact pour les populations bénéficiaires ou encore de variété des stades de développement.

En septembre 2013 l’association a publié un Livre Blanc des bonnes pratiques tirées de l'ensemble de ces projets, qui peuvent servir de modèle et être adaptées ailleurs. Cet ouvrage, déjà téléchargé à plus de 6 000 exemplaires, se veut une source d’inspiration pour les porteurs de projets actuels et futurs, leurs bailleurs et partenaires financiers, mais aussi pour les gouvernements en charge de la politique énergétique.

 A travers une série de deux articles, voici une revue de quatre modèles observés par Africa Express : l’entreprise sociale (1),  la création de filière économique nouvelle (2), la fidélisation de la clientèle (3) et le développement de partenariats public-privé (4). 

Avec presque 600 millions d’exclus de tout service énergétique, l’électrification rurale décentralisée (ERD) reste un enjeu majeur pour le développement du continent. Les solutions techniques sont pourtant connues et disponibles. Malgré des sources d’énergie abondantes, l’électricité est rare et chère en Afrique subsaharienne, avec des prix moyens supérieurs aux normes internationales.

Dans le domaine de l’électrification rurale, le rôle du porteur de projet est déterminant. Au-delà de la technique déployée, le succès d’un projet d’accès à l’énergie relève d’une capacité à comprendre les besoins locaux, intégrer les parties prenantes, développer des relations fiables avec les partenaires financiers, assurer un management positif et soutenable, notamment sur le plan de la formation.

Mais avant toute chose, un projet d’énergie doit impérativement s’adosser à un modèle économique garantissant la viabilité économique de l'exploitation.  Un business model est la manière dont une entreprise crée, partage et retient de la valeur. Dans la plupart des projets, l’investissement de départ est fortement subventionné – jusqu’à 80% du montant total, souvent par des bailleurs internationaux. Cet apport initial risque toutefois de rester inopérant s’il n’est pas relayé par un modèle d’exploitation commerciale viable permettant de développer les projets au-delà du périmètre initial.

Or, au vu de la faible rentabilité de l’activité (petit nombre de clients, faibles consommations, difficultés de paiement), l’activité commerciale se révèle le plus souvent insuffisante pour assurer le renouvellement et l’entretien des installations ou pour investir dans des équipements lourds ou d’envergure qui permettraient de changer d’échelle, au-delà du petit matériel de maintenance.

1. Favoriser l’entreprise sociale et engager les populations locales

L’accès à l’énergie est un investissement social avec une finalité de développement. L’entreprise sociale vise à utiliser la création de richesse pour répondre efficacement à des besoins sociaux. Elle représente un modèle original et particulièrement adapté aux pays en développement. Ici on s’adresse prioritairement aux 4 milliards de personnes qui vivent avec un revenu local inférieur à 3 000 dollars par an en parité de pouvoir d’achat (WRI/rapport IFC) regroupées sous l’appellation « base de la pyramide »  (BoP).

A lucrativité limitée, l’entreprise sociale adopte une gouvernance ouverte, en associant les différentes parties prenantes : acteurs locaux, salariés, bénéficiaires… dans une optique d’économie sociale et solidaire (ESS). Or la gestion participative est une des garanties de la pérennisation d’un projet rentable, car les bénéficiaires d’un projet d’énergie sont aussi les premiers artisans de son succès. Pour que ce nouvel accès à l’énergie s’inscrive dans la durée, ils doivent en être également les partenaires.

À ce titre et en premier lieu, une participation financière partielle des usagers est un prérequis indispensable à la bonne acceptation du système, quel qu’il soit : location-rechargement de batteries, micro-réseau solaire, générateur diesel… Et ce, même si on s’adresse à des populations à très faibles revenus. D’une part, l’acte d’achat confère de la valeur à l’équipement ou au service. D’autre part, cette participation, même subventionnée, permet d’assurer la maintenance des systèmes et constitue une base de capitaux nécessaire pour le remplacement d’équipements défectueux. Elle stabilise donc le modèle d’exploitation.

Une gestion participative du projet responsabilisera en outre l’ensemble des bénéficiaires en faisant de l’installation énergétique un bien commun à préserver. Collecte du règlement des factures par un groupement villageois, maintenance générale par un technicien du village formé par le porteur de projet… Autant de méthodes qui participent à assurer un engagement fiable des populations.

Exemple: Projet écovillage Villasol / Sénégal : développement d’un micro-réseau avec la population locale

Nouvelle imagefÀ Dar Salam à l’Est de Tambacounda au Sénégal, l’entreprise Schneider Electric a subventionné l’installation d’une micro- centrale solaire qui permet à l’ensemble du village d’accéder à une énergie primaire grâce à un système de location-rechargement de batteries.

Après une consultation initiale des responsables du village afin que le projet réponde bien aux attentes de la population, les habitants ont constamment été partie prenante du projet. Tout d’abord, chaque client s’est acquitté d’un montant de 12 000 F CFA pour l’achat d’une batterie. Ensuite, un technicien issu du village a été formé pour maintenir le bon état général du système, gérer le parc de batteries et entretenir un lien avec les porteurs du projet : Schneider Electric et l’Agence Nationale des EcoVillages. Enfin, la gouvernance a été confiée à un comité villageois destiné à garantir la bonne gestion de l’argent collecté — 100 F CFA par rechargement de batterie.

Ces fonds seront réinvestis dans le projet avec une double fonction : régler le salaire du technicien et constituer une réserve pour l’achat de nouveau matériel quand l’actuel arrivera en fin de cycle. Après un an  d’expérimentation de ce projet en cogestion, les indicateurs de suivi ont permis d’identifier des points  d’amélioration. Sa rentabilité étant strictement limitée, la participation de l’ensemble des clients au bon développement est capitale. Des adaptations sont en cours pour améliorer le taux de non-recouvrement qui demeure élevé. Les gestionnaires du projet à Dar Salam bénéficient par ailleurs de formations complémentaires.

2. Développer une filière économique locale

Le porteur de projet d’énergie tisse de nombreuses interactions avec de multiples acteurs : représentants de l’État (commune, agence nationale d’électrification rurale, etc.), communautés d’usagers, partenaires financiers… En parvenant à les impliquer à ses côtés, il accélère son intégration dans le tissu économique et social local et assure ainsi la création de revenus nécessaires au maintien des systèmes de génération électrique dans la durée.

En s’appuyant sur un réseau de partenaires qualifiés et disponibles, le projet d’énergie devient un catalyseur d’activités génératrices de revenus. Plus généralement, il pourra favoriser le développement d’une économie locale, source d’une croissance durable.

Exemple: Projet GERES / Bénin de création d’une filière locale de production d’huile de jatropha avec des plateformes multiservices

Nouvelle image1Le Bénin est un pays essentiellement rural qui importe 100% de sa consommation d’électricité et de carburant. À peine 3,5% des populations rurales ont accès à l’électricité et elles ont recours au secteur informel pour s’approvisionner en pétrole lampant et gasoil. Ce déficit énergétique freine le développement du pays.

Depuis 2008, le GERES appuie le Département du Zou à travers divers programmes orientés vers le désenclavement énergétique des zones rurales, particulièrement l’nstallation des plateformes multiservices de transformation des produits agricoles (moulins entraînés par moteur diesel). Le programme ALTERRE vise à créer une filière courte de production d’agrocarburant à base de Jatropha Curcas pour alimenter les moulins.

Cette filière courte respecte les principes suivants : (i) une estimation des besoins en carburant de la localité, (ii) un dimensionnement des champs à cultiver en fonction des besoins, (iii) un accord de production avec des producteurs volontaires et disposant d’assez de terres cultivables, (iv) une utilisation au maximum du dixième du total de la superficie cultivable du producteur pour le jatropha, (v) le respect d’une pratique d’association de cultures vivrières/jatropha sur au moins les 4 premières années de vie du jatropha, (vi) l’engagement d’un entrepreneur rural local disposé à participer financièrement à l’installation et à la gestion d’une unité de fabrication d’agrocarburant.

Les producteurs sont regroupés par affinités et, au sein de chaque groupe, des responsabilités opérationnelles sont attribuées et évaluées périodiquement. Les tests d’utilisation de l’huile de jatropha se font au sein d’une  association de propriétaires d’équipements diesel. Ceci développe les pratiques de substitution du gasoil, d’entretien et de maintenance des moteurs, etc.

La filière courte de proximité d’agrocarburant apporte une solution concrète à l’enclavement énergétique des  zones reculées et suscite donc une adhésion massive des populations. D’une seule commune volontaire en 2009, le jatropha est cultivé aujourd’hui dans les 7 communes rurales du Zou. 850 paysans sont aujourd’hui adhérents du premier cluster de production regroupant les communes de Covè et Zangnanado. Ce cluster dispose déjà d’une unité de fabrication d’huile d’une capacité de 250 litres par jour. Surtout, plus de 500 propriétaires de moteurs diesel se sont déjà engagés pour l’achat de cette huile, structurant les débouchés de la filière.

Dans un prochain article, nous présenterons les modèles de la fidélisation de la clientèle et le développement de partenariats public-privé. 

Jeremy Debreu d'Africa Express

 

Les circuits courts de commercialisation

Aujourd’hui, tous les experts s’accordent à reconnaître l’Agriculture comme étant le moteur de la croissance en Afrique. Le défi d’une relance durable et pérenne de l’Agriculture africaine passe nécessairement par l’émergence de l’Agriculture familiale et les circuits courts de commercialisation constituent un levier majeur pour l’atteinte de cet objectif.

En effet, produire est une chose et commercialiser en est une autre. Et parmi les divers obstacles liés à l’émergence du secteur, le sentier de la commercialisation s’avère parfois plus rude. Ce volet de la chaîne de valeur agricole engage souvent de nombreux intermédiaires (grossistes, demi-grossistes et détaillants …) avec comme conséquence principale une augmentation drastique des prix des produits. Les producteurs et les consommateurs finaux sont souvent ceux qui doivent payer le lourd tribut de la chaîne interminable de ces intermédiaires.

Dans un  tel contexte, la notion de circuits courts de commercialisation (CCC) se présente de plus en plus comme une alternative pouvant permettre une redynamisation de l’agriculture africaine. Il est donc important d’explorer cette notion de CCC et de définir ses différents enjeux pour le réveil agricole en Afrique.

La promotion des CCC en Afrique, une nécessité

La commercialisation constitue un maillon essentiel de la chaîne de valeur agricole qui assure une vie décente au producteur et le met en relation avec le consommateur. Cependant le nombre souvent trop important d’intermédiaires entrave l’émergence de la paysannerie qui assiste de manière impuissante à une moindre consommation de la production locale, du fait des prix élevés découlant en partie d’une intermédiation commerciale excessive.

Très souvent, les produits locaux sont assez chers lorsqu’ils arrivent aux consommateurs finaux et sont par conséquent boudés par ces derniers au profit des produits importés peu onéreux. Les conséquences d’un tel état sont multiples et préoccupantes : dégradation des conditions de vie des petits producteurs et désintérêt de ces derniers et souvent de leur descendance pour le secteur agricole, déséquilibre des balances commerciales du fait d’une importation souvent massive des produits alimentaires, urbanisation accrue du fait du phénomène d’exode rural et augmentation du taux de chômage des jeunes pour ne citer que ceux –là.

Il est donc capital et urgent de promouvoir et développer des systèmes de circuits courts de commercialisation afin d’assurer l’émergence de l’agriculture familiale dans un marché agricole et agroalimentaire africain en pleine croissance (estimé par la Banque Mondiale à un peu plus de 300 milliards de dollars de nos jours et à plus de 1000 milliards de dollars à l’horizon 2030). Les enjeux sont énormes pour l’Afrique qui gagnerait à opter pour des solutions efficaces pour une relance effective de son Agriculture, et les circuits courts de commercialisation en font partie.

Typologie et caractéristiques des CCC

ANouvelle image (56)lors que les circuits classiques de commercialisation font des intermédiaires les maîtres du jeu au détriment des producteurs et des consommateurs, les circuits commerciaux courts quant à eux favorisent une augmentation des revenus des producteurs et une amélioration du pouvoir d’achat des consommateurs du fait d’une réduction significative des intermédiaires.

Les systèmes pionniers de CCC ont été expérimentés au Japon avec les ‘natural farming’ et le développement des Community Supported Agriculture’ dans les années 70 en Amérique du  Nord. Ces expériences ont eu un écho sur l’ensemble de la planète et ont permis aux autres continents de s’en inspirer afin de capter de la valeur pour les producteurs.

Un CCC peut être défini comme un système de commercialisation qui se caractérise par le nombre réduit d’intermédiaires (1 au maximum) ou encore par son absence totale.

Il existe une diversité de CCC dans le monde agricole. Selon les études menées dans des pays ayant une longue expérience des CCC, on distingue plusieurs types de circuits en fonction de leur nature (vente directe ou à un intermédiaire).

  • Dans la vente directe on en distingue selon le niveau deux types: au niveau individuel, le producteur peut ainsi écouler sa marchandise dans les foires, à la ferme ou dans les champs, ou encore sur les marchés de producteurs ou fermiers. Au niveau collectif, il y a deux cas de figure : lorsqu’il s’agit d’association entre producteurs et consommateurs, les ventes peuvent se faire selon les engagements contractés entre les deux parties. Les consommateurs achètent par avance une part déterminée de la production qu’ils reçoivent périodiquement à prix fixe. Les risques sont ainsi partagés entre les parties. Il peut aussi s’agir d’associations de producteurs qui commercialisent à travers des foires, des marchés paysans, des points de vente collectifs.
  • Dans la vente à un intermédiaire : au niveau collectif, les ventes peuvent se faire au niveau des intermédiaires associatifs, des collectivités etc. Au niveau individuel, restaurateurs, commerces…

Caractéristiques : plusieurs caractéristiques distinguent les CCC parmi lesquels :

  • la proximité: Les marchandises sont produites, vendues, et consommées le plus près possible. Ceci permet une certaine dynamisation du tissu social et économique local. Dans les pays africains, ceci permettrait un développement rural plus durable dans un contexte où les campagnes africaines se vident au profit des villes ;
  • le relationnel: Il favorise la connaissance directe des agents de la chaîne alimentaire. Il revalorise la culture paysanne et la reconnaissance sociale des agriculteurs et éleveurs. Les consommateurs qui sont plus proches des producteurs se sentent mieux compris ;
  • l’Information: On promeut ici des espaces de connaissances et de partages d’information. Ceci favorise l’autonomisation dans la prise de décision. Les choix des consommateurs sont désormais fonction des informations en leur disposition et non plus de la publicité et du marketing qui sont très souvent loin d’être objectifs ;
  • ou encore la participation du consommateur à la gestion et à la gouvernance du système alimentaire mondial ; la Justice et la durabilité économique avec une valeur partagée de façon équitable au niveau de l’ensemble des personnes qui interviennent dans sa création ; l’inclusion dans les CCC toutes les personnes qui peuvent y prendre part pour une durabilité sociale et la durabilité environnementale qui doit être en amont et en aval du processus agricole.

Pour une réussite des CCC en Afrique

De nombreuses raisons justifient l’urgence et la nécessité d’une promotion à grande échelle des CCC. On peut citer : la dévalorisation de l’image du secteur agricole, la baisse continue du nombre d’exploitations, le repli et le mal-être de nombreux petits-producteurs. Ces facteurs de fragilisation sont liés notamment à l’organisation des marchés et au contrôle de la distribution par une poignée d’intermédiaires qui captent la majeure partie des profits.

Pour l’Agriculture africaine, l’adoption et la vulgarisation des CCC permettrait à coup sûr une réelle revalorisation de la production locale et la rendrait plus compétitive avec l’augmentation des revenus des petits producteurs, une meilleure productivité, l’émergence d’une agriculture respectueuse de l’environnement , le développement des économies régionales et sous-régionales.

Le potentiel des CCC est  élevé, mais suppose investissements, compétences et réseaux, et une organisation sans failles pour l’intérêt collectif avec la participation des consommateurs et des citoyens.

On pourrait également évoquer les enjeux sociaux : renouvellement du lien producteur-consommateur, dynamisation des territoires, rapprochement ville-campagne, nouveaux rapports à l’environnement, à l’alimentation et à la consommation.

Tout cela implique pour les acteurs de ces circuits courts, professionnels, agents de développement ou élus, acteurs du secteur privé, de réunir les conditions d’accès à ces circuits en  intégrant par exemple les circuits courts dans des projets territoriaux , en encourageant les regroupements de producteurs, en mobilisant les ressources humaines et les moyens financiers nécessaires, en assurant la formation des divers maillons de cette chaîne de distribution rentable et efficace et enfin en sensibilisant les consommateurs, les producteurs et les acteurs du territoire sur les divers avantages relatifs à la mise en place des circuits courts de commercialisation.

 

Rédigé par Charlotte LIBOG avec le concours de Jerry LEMOGO, contributeur AGM et Djamal Halawa

5ème Forum International sur le Green Business, Pointe-Noire 20-22 mai 2014

Terangaweb-L’Afrique des Idées s’associe à la Chambre de Commerce de Pointe-Noire (CCIAM) pour promouvoir l’économie verte !

Le Forum

Nouvelle image (7)Aventure un peu visionnaire en 2010 lorsqu’il est lancé, le Forum International sur le Green Business peut aujourd’hui être fier du chemin parcouru sous l'impulsion du CCIAM de Pointe Noire, du gouvernement congolais et de la CEEAC. Institutionnalisé par les ministres de la CEEAC en 2012, il a permis une prise de conscience sous-régionale de l’épuisement des ressources et de la nécessité d’aller vers une croissance économique plus durable. Les ministres de la CEEAC ont notamment pris position en faveur de l’économie verte en 2012, à l’occasion de la Conférence Internationale Rio+20. De manière plus locale, la Chambre de commerce de Pointe Noire a lancé en 2013 l’Ecole Supérieure de Commerce et d’Industrie du Congo (ESCIC), avec un master en Hygiène Qualité Sécurité et Environnement.Sans titre

 

 

 

Evènement unique sur le continent africain, le Forum se veut une plate-forme d’échange entre des acteurs divers et de valorisation des meilleures pratiques internationales. Plus de 500 participants sont attendus à la 5ème édition en mai prochain, autour du thème « Produire, transformer, consommer local & sous-régional ».

Les tables rondes porteront sur des thématiques aussi diverses que les circuits courts en Afrique, l’innovation, le potentiel de la cosmétique bio, la valorisation des déchets, le financement des énergies renouvelables, la sensibilisation de la société civile et l’entrepreneuriat social.

Le partenariat

Cette année, suite à la création de la rubrique Energie&Environnement en 2013, Terangaweb-L’Afrique des Idées a noué un partenariat avec les organisateurs du Forum pour contribuer à la préparation des débats.

Les thèmes des tables rondes de la 5ème édition du Forum feront ainsi l’objet de plusieurs articles publiés d’ici mai 2014 sur notre site. Vous les reconnaitrez et pourrez les retrouver par le mot clé « Forum Green Business ». Une compilation de ces articles sera distribuée aux participants du Forum.

Vous avez aussi envie d’écrire sur ces thèmes ? Contactez-nous sur la page contact de ce site.

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Téléchargez la plaquette de présentation et le descriptif de la 5ème édition.

Contactez les équipes du Forum : forumgreenbusiness@gmail.com

Transformer notre production agricole pour consommer local*

Nouvelle image (56)Nous sommes tous d’accord sur un point : la transformation des produits agroalimentaires est incontournable si nous voulons maîtriser la sécurité alimentaire dans notre pays. Si nous ne faisons rien pour transformer à grande échelle nos produits locaux, nous mangerons peut-être, probablement chinois, mais ce n’est pas ce que nous voulons.
Ce que nous voulons, c’est être sûr de manger et surtout manger ce que nous produisons et transformons. Ce n’est pas un acte gratuit. C’est un acte militant, c’est un choix de développement pour nos pays. C’est le choix de développer les productions agricoles locales et de les valoriser en les transformant. C’est le choix de créer des emplois car nous le savons bien : en Afrique de l’Ouest, c’est dans l’agriculture et la transformation agroalimentaire que nous pouvons créer des emplois en grand nombre. C’est le choix d’innover en mettant sur le marché des produits accessibles au plus grand nombre et adaptés aux nouvelles habitudes de consommation.
J’aimerais tout d’abord préciser de quelles entreprises de transformation il est question ici. Le champ de l’agroalimentaire est vaste et diversifié. Il y a différentes filières investies par des entreprises industrielles, semi-industrielles et artisanales. En tant que présidente de l’association Afrique AgroEXport (AAFEX), je m’exprime au nom des entreprises semi-industrielles et artisanales formelles, qui sont des très petites entreprises (TPE) et des petites et moyennes entreprises (PME) et qui constituent la majorité des membres de l’AAFEX. Les entreprises de l’AAFEX ne sont pas dans leur grande majorité des agro-industries, car ce terme recouvre plutôt les grandes firmes et principalement celles qui sont dans l’arachide, le sucre, le riz, la tomate industrielle et le coton. Nos membres sont surtout dans la transformation de céréales et de fruits et légumes.
Pour les entreprises, le premier enjeu est celui de l’approvisionnement en matières premières en quantité, en qualité et à un prix abordable. Elles s’approvisionnent principalement sur les marchés ruraux (les loumas), les marchés de regroupement (Thiaroye et Pikine, situés en périphérie de Dakar), les marchés urbains de consommation et auprès d’intermédiaires. Toutes ces transactions sont informelles, se font au coup par coup et à des prix qui fluctuent de jour en jour.
Il faut que l’on se penche sur le fonctionnement et sur la modernisation de ces marchés, qui sont généralement dépourvus de structures de stockage et de conditionnement adaptés. Dans un premier temps, la mise en place d’un système d’informations sur les quantités disponibles et les prix pourrait améliorer les choix des opérateurs pour effectuer des transactions. Enfin, il est nécessaire de régler très rapidement le problème de l’insalubrité des produits proposés sur ces marchés car il s’agit de produits alimentaires et donc de la sécurité sanitaire des aliments que nous consommons.
Mais la solution durable se trouve dans la contractualisation avec les producteurs à travers une approche « chaînes de valeur » où chacun trouve son intérêt. Nous devons nous inspirer des contractualisations réussies, comme pour la Société de conserves alimentaires du Sénégal (SOCAS)[i] ou La Laiterie du Berger[ii].
Par ailleurs, les entreprises ont intérêt à se regrouper en coopératives, ou en consortium, pour leur approvisionnement en matières premières, en emballages et pour la commercialisation de leurs produits. Les initiatives comme celles de la Centrale d’achats Andandoo[iii] doivent être multipliées.
Mais pour que cela marche, il faudrait que ces structures soit bien organisées et aient accès au crédit bancaire. Il faudrait que les banques s’impliquent dans le processus comme elles le font pour les entreprises de grande envergure citées ci-dessus.
Les banques et les institutions de financement devraient avoir des produits mieux adaptés aux entreprises agroalimentaires et surtout aux TPE et PME qui ont fait leurs preuves avec leurs propres moyens et qui recherchent des financements pour leur croissance.
Les banques accompagnent volontiers les entreprises sur le court terme mais lorsqu’il s’agit de prêts plus consistants, à moyen et long terme, destinés à financer l’acquisition d’un terrain, de bâtiments et d’équipements, les exigences sont pratiquement les mêmes que pour toutes les entreprises ; alors qu’à mon sens, lorsqu’il s’agit de secteurs prioritaires comme l’agriculture et l’agroalimentaire, les critères d’appréciation des dossiers de demande de financement devraient être différents.
Le crédit-bail[iv] est une solution qui n’est pas suffisamment connue et pratiquée par les entreprises. Il faudrait savoir pourquoi cela marche ailleurs et non ici, et voir comment l’adapter à notre contexte.
Concernant plus précisément la question des équipements, tant qu’on aura besoin d’aller en Europe, en Chine ou en Inde pour en trouver, nos entreprises ne dépasseront pas le stade semi-artisanal. Quand on a la chance d’acquérir un équipement à l’étranger, on a un peu de mal à le faire fonctionner ou à assurer sa maintenance, car nous n’avons pas les bons techniciens sur place. Il y a là un véritable créneau pour la production locale d’équipements modernes et pour la formation d’ingénieurs et de techniciens compétents.
Puisqu’on est bien conscient qu’il faut miser sur ce secteur qui offre beaucoup d’opportunités, il faut maintenant passer de la parole aux actes et créer les conditions pour que les entreprises agroalimentaires puissent se développer. Il est temps de libérer toutes les potentialités qu’offre ce secteur.
Les membres de l'AAFEX qui ont créé leur entreprise de transformation des céréales veulent mettre à la disposition des ménages des produits de qualité, bien conditionnés et prêts à consommer. Aujourd’hui, pour rentabiliser leurs activités, ces entreprises vendent 50 % de leur production à l’export parce que leurs produits sont chers et ne sont pas accessibles au plus grand nombre. Il faut donc également ouvrir la réflexion sur les coûts de production, sur la mise en place d’une fiscalité adaptée aux TPE et PME agroalimentaires et sur les campagnes de promotion en faveur du « consommer local ».
Enfin, j’aimerais insister sur le fait que le développement de l’agriculture et de la transformation agroalimentaire sont des enjeux de taille, incontournables, qui doivent ouvrir des perspectives pour les jeunes. Nous avons un boulevard devant nous et ce créneau est le plus porteur qui soit car il y a encore beaucoup à faire.
Le marché pour les produits agroalimentaires est local, sous-régional, africain et à l’export. Nous consommons volontiers des produits importés. Apprenons à consommer local mais transformons également nos produits pour qu’ils soient attractifs pour les autres consommateurs d’Afrique et du monde.

 *Cet Article de Marie-Andrée Tall, est initialement paru sur le blog de FARM sous le titre: Afrique de l'ouest:Transformer notre production agricole pour consommer local.

Marie-Andrée Tall est Présidente de l’association Afrique AgroEXport  (AAFEX), directrice de Fruitales (Sénégal), membre du Conseil scientifique de FARM


 
 

 

 


[i] La SOCAS, installée au Sénégal est « le premier producteur industriel de concentré d'Afrique du Centre et de l'Ouest, à partir de tomates fraîches récoltées dans la région de Saint-Louis. La SOCAS achète la totalité de ses besoins en tomates à des paysans ou groupements indépendants qu'elle a initiés à cette production et avec lesquels elle passe des contrats fermes d'achats ».

 

 

[ii] La Laiterie du Berger, installée à Richard-Toll depuis 2006, collecte du lait auprès d’éleveurs traditionnels peulhs organisés au sein d’une coopérative, pour en faire des yaourts et divers produits laitiers.

 

 

[iii] La Centrale d’achats Andandoo a été créée par des opérateurs de l’agroalimentaire du Sénégal afin de faciliter leur accès à un emballage de qualité, qui respecte l’environnement, à un prix accessible.

 

 

[iv] Le crédit bail permet à une PME de faire porter la totalité du financement de son matériel de production ou un bien immobilier professionnel par un spécialiste du leasing et d’acquitter ainsi des loyers déductibles qui peuvent être passés en charges courantes.

 

 

 

Pêche illégale : pourquoi ne pas s’inspirer de la lutte contre l’exploitation forestière illégale ?

Le chiffre d'affaires annuel du secteur des pêches maritimes et de l'aquaculture dépasse les 190 milliards de dollars dans le monde, et on estime à 240 millions le nombre de personnes dont le travail en dépend. Il ne fait aucun doute que les océans génèrent une activité abondante et lucrative. Or qui dit profit dit profiteur : on estime que 18 % des activités de pêche à l'échelle mondiale sont illégales.

pecheMais en quoi le problème concerne-t-il ceux qui s'intéressent au développement ? D’abord parce que la pêche illégale fragilise les moyens de subsistance des populations pauvres qui dépendent de l'océan. Ensuite parce que le non-paiement des taxes et redevances prive les pays en développement de centaines de millions de dollars de recettes annuelles dont ils ont le plus grand besoin. Enfin, dans certaines régions, la pêche illicite a pris de telles proportions qu'elle met en péril la gestion durable d'une ressource déjà mise à mal par la surpêche.

La lutte contre la pêche illégale est un combat que les États devraient prendre plus au sérieux. Dans un rapport récent, nous expliquons comment les décideurs politiques pourraient s’inspirer des méthodes de lutte contre l'exploitation forestière illégale pour combattre la pêche illégale. Nous proposons une approche pour la protection de l'environnement et des ressources naturelles intégrant une vision structurée de la prévention, de la détection, de la répression et du recouvrement des avoirs (ou approche « ENRLE » pour Environmental and Natural Resources Law Enforcement). Les actions menées dans le domaine de la lutte contre l'exploitation forestière illégale ont montré que cette approche est bien plus efficace qu'une combinaison plus ou moins anarchique d'interventions en amont et en aval pour faire appliquer les législations.

Voyons comment cela pourrait se traduire concrètement.

La prévention repose sur la réduction des opportunités et des moyens de commettre un délit. Cela signifie réduire l'accès — ouvert par nature — aux domaines de pêche, protéger les ressources et réguler la flotte de pêche en augmentant le coût et les efforts que représente la pratique de la pêche illégale.

La détection vise à saper les motivations des éventuels délinquants, et nécessite des investissements dans la surveillance et le renseignement. Lorsqu'elle produit les résultats escomptés, la détection peut conduire les délinquants potentiels à réévaluer le rapport coût-bénéfice de ces activités.

Généralement considérée comme une stratégie de dernier recours, la répression implique de poursuivre les criminels et de les condamner à des sanctions par le biais du système judiciaire. En augmentant le risque et le coût de la pêche illégale, une répression efficace peut jouer un rôle dissuasif.

Cette approche permet aux individus qui dépendent des ressources environnementales et naturelles de conserver leurs moyens de subsistance, tout en concentrant les interventions sur les individus qui pratiquent ces activités par simple appât du gain. Elle peut également aider à recenser les institutions et les acteurs susceptibles de déterminer les investissement et réformes nécessaires, et à identifier les goulets d'étranglement en matière de lutte contre la pêche illégale, ainsi que les tactiques et stratégies qui peuvent être mises en place pour éliminer ces derniers. Enfin, elle peut contribuer à professionnaliser l'action menée contre la pêche illégale, car elle permet d'établir un dialogue structuré impliquant les autorités et les différentes parties prenantes sur un large éventail de spécialités et de juridictions.

À l'échelle mondiale, les efforts de lutte contre la pêche illégale restent bien trop limités. Toutefois, les promesses que porte la stratégie ENRLE sont déjà bien visibles. Par exemple, le Programme régional des pêches en Afrique de l’Ouest, qui opère en étroite coordination avec les activités financées par les États-Unis, l'Île de Man, le Royaume-Uni et la Fondation pour la justice environnementale, a fait la preuve de l'efficacité de cette approche : des rapports indiquent que la quantité de poissons disponible pour les petits pêcheurs s'est accrue à la suite des actions menées systématiquement pour faire appliquer les législations à l'encontre de la pêche illégale dans la région.

Au-delà de ces efforts, les responsables des pêcheries ont besoin que de nombreuses réformes politiques soient entreprises pour parvenir à rééquilibrer les stocks halieutiques mondiaux. Mais si nous voulons que cela réussisse, il est impératif que la lutte contre la pêche illégale figure en bonne place au programme. L'approche ENRLE peut aider les pays à sécuriser leurs ressources pour les populations qui en dépendent le plus.

Article de Julian Lee paru initialement sur le blog de la banque mondiale

 

Les enjeux du compteur intelligent pour les pays africains

Nouvelle image (6)Le compteur intelligent, également appelé compteur communicant, est un dispositif permettant de fournir les informations de consommations énergétiques en « temps quasi réel » et d’informer, par extension, de l’état du réseau. La technologie de communication utilisée, dite AMR (Automated Meter Reading), a pour objet de transmettre les informations par différents canaux tels que CPL, GSM, Internet etc.

De plus, le compteur intelligent est « programmable  à distance », c’est-à-dire qu’il permet de piloter le réseau par ordre télécommandé. On parle alors d’une méthode de gestion avancée du système des compteurs dite AMM (Advanced Meter Management), permettant une communication bidirectionnelle.

Le type de compteur intelligent change en fonction des constructeurs et les fonctionnalités proposées peuvent différer selon les pays.

En France par exemple, le projet Linky est basé sur un compteur qui communique par liaison CPL/GPRS, programmable à distance.

Le principal objectif des compteurs intelligents est de résoudre les problématiques énergétiques telles que :

  • optimiser les pertes techniques et non techniques (dans certains pays comme ce fut le cas en Italie);
  • maîtriser sa consommation d’énergie;
  • optimiser la qualité de fourniture d’électricité

Intérêt du compteur intelligent pour le continent africain

Le compteur électrique intelligent, brique essentielle des smart grids, laisse entrevoir des perspectives de développement importante pour le continent africain.

Il est cependant difficile de parler de l’Afrique en général, tant les disparités sont importantes en terme d’électrification. Le taux d’électrification du continent est de 42% (99% au Maghreb et 29% en Afrique subsaharienne) et il varie énormément entre les zones urbaines et rurales.

La capacité de production électrique de l’Afrique est aujourd’hui d’environ 74 GW, soit l’équivalent de l’Espagne qui compte 45 millions d’habitants alors que l’Afrique en compte 860 millions. La population devrait atteindre les 2 milliards à l’horizon 2050 et accroitre la part de personne n’ayant pas accès à l’électricité.

Malgré des ressources énergétiques très importantes (10% des réserves hydrauliques mondiales, 10% des réserves mondiales de pétrole, 8% des réserves mondiales de gaz et 6% des réserves mondiales de charbon et un potentiel solaire important), les deux tiers des habitants d’Afrique subsaharienne n’ont pas accès à l’électricité. Ce faible taux s’explique en partie par le manque d’infrastructures et  la vétusté des équipements entraînant ainsi des délestages fréquents qui pénalisent la vie de nombreux habitants et le développement industriel.

Le continent africain a donc un potentiel de développement très important qui pourrait être accéléré par l’arrivée des compteurs intelligents et des smart grids de manière plus globale.

Les compteurs intelligents participeraient à l’amélioration du réseau et à la qualité de services offerts aux consommateurs.

En effet, ces compteurs communicants permettent :

  • de lutter contre la fraude et le vol;
  • d’intervenir à distance en cas de panne et donc de réduire le délai d’intervention souvent très long;
  • d’offrir des services tarifaires innovants adaptés aux habitudes de consommation des populations locales (ex : pré payé) et à leur pouvoir d’achat;
  • d’informer le consommateur de sa consommation en temps réel et donc de le sensibiliser à une utilisation responsable de l’énergie.

Ces compteurs permettraient donc aux opérateurs de réaliser d’importantes économies et d’offrir un meilleur service aux consommateurs en limitant les délestages.

De plus, le développement des énergies renouvelables sur le continent et les problématiques liées à leur intégration sur le réseau local pourrait être facilité par les compteurs intelligents. En effet, ces sources d’énergies décentralisées et par définition intermittentes (éolien, solaire) peuvent entraîner des contraintes sur le réseau.

Des investissements importants sont cependant nécessaires, au niveau des équipements mais également au niveau du système d’informations pour mettre en place un système de gestion moderne de facturation et assurer un stockage volumineux des données. Ces investissements, trop peu souvent subventionnés en Afrique, sont souvent un frein bloquant au projet.

Les exemples sud-africain et camerounais

En Afrique, certains pays ont déjà démarré des projets de déploiement  de compteurs intelligents ou travaillent sur des programmes de R&D.

Prenons le cas de l’Afrique du sud, où les compteurs communicant de type « Hefcom » ont été installés en 2008/2009 dans la ville de Blairgowrie. Malheureusement ce projet n’a pas pu être finalisé suite aux nombreuses factures sur-calculées et aux problèmes techniques, notamment en ce qui concerne les conflits liés aux signaux de communication.

Dans la ville de Johannesburg en Afrique du sud, un contrat d’une valeur de 150 millions de dollars a été signé entre City Power, Itron et EDISON Power Group, concernant l’installation de compteurs intelligents de dernière génération et du système de comptage associé. L’ambition du projet est d’installer un compteur intelligent/prépayé par foyer ou entreprise d’ici 2015 pour répondre au défi de gestion de facture. Il est également envisageable de lutter contre les fraudes avec ces compteurs avancés.

Au Cameroun, l’ARSEL (Agence de Régulation du Secteur de l’Electricité) a lancé un projet d’installation de compteurs intelligents qui concerne notamment le comptage « prépayé ».
Pour venir à bout des problèmes de factures non conformes à la consommation, fraude et corruption, 1000 compteurs seront posés à Yaoundé durant la phase d’expérimentation et le projet sera ensuite élargi à l’ensemble des abonnés AES-Sonel.

Problématiques de collecte d’infos

Même si certains pays émergents d’Afrique ont déjà donné le feu vert pour des projets de compteurs intelligents, les problématiques liées au transfert des données reste un sujet incontournable et parfois bloquant. D’une part, le projet de Blairgowrie a mis en lumière de nombreux problèmes et a montré la nécessité d’une étude plus approfondie sur les méthodes de télécommunication des compteurs. D’autre part, les doutes et les craintes liées à la sécurisation de données rendent ce sujet plus compliqué.

Les premières études ont démontré qu’une station de base GSM peut théoriquement supporter l’échange de données pour plusieurs dizaines de milliers de compteurs intelligents. Cependant, la faiblesse de l’infrastructure du réseau télécom africain nécessite des investissements supplémentaires pour pouvoir mettre en œuvre ces projets de déploiements de compteurs intelligents.

Le compteur intelligent apparait donc comme une opportunité pour le continent africain mais cette opportunité implique de relever de nombreux challenges nécessaires à sa mise en œuvre.

 

 Haoxuan LIU & Julien KELLER

Yele Consulting

Article paru initialement sur : http://www.actu-smartgrids.com/

 

Sources :

Compteur Linky : http://www.erdfdistribution.fr/medias/Linky/elements_cles_systeme.gif

Problems of Blairgowrie / Projet de Johannesburg : http://www.iol.co.za/news/south-africa/gauteng/joburg-electricity-meter-readers-face-axe-1.1494403#.UjJXpNJkOKI

http://www.sa-venues.com/attractionsga/blairgowrie.php

Cameroun:http://www.agenceecofin.com/electricite/2807-12719-cameroun-arsel-achete-1000-compteurs-electriques-intelligents-pour-une-phase-test

Présentation Méthode de transition de data : http://electroallergique.wordpress.com/tag/smart-meter/

Présentation GPRS : http://fr.wikipedia.org/wiki/General_Packet_Radio_Service

Challenge GSM : http://massm2m.wordpress.com/2013/02/04/how-many-smart-meters-can-be-deployed-in-a-gsm-cell/

 

Comment l’Afrique peut-elle faire face au problème de déchets solides ?

                                                              « Les pressions subies par les écosystèmes reflètent les niveaux intenables de la demande, ainsi que les méthodes néfastes d'extraction des ressources et d'élimination des déchets »
Rapport sur l’empreinte écologique de l’Afrique (2012, p.41)

une_dechetRécemment, un ami s'est rendu au Rwanda et m'a appelé pour exprimer son étonnement face à la propreté des rues de Kigali. Des commentaires comme « c'est si propre ici » sont fréquemment exprimés par les personnes originaires d'Afrique qui se rendent dans des régions du monde développé pour la première fois – les rues propres en Afrique sont souvent perçues comme l'exception plutôt que la règle. 

Plus typiques sont des scènes de tas de déchets solides de toutes formes, tailles, origines et types jonchant les trottoirs, pris dans la végétation, ou entassés au coin des rues, sur le côté de la route et sur les terrains abandonnés dans nos villes. Tel est l'héritage visible des modes non viables de production et de consommation à mesure que les pays en développement, y compris la majorité des personnes en Afrique, deviennent de plus en plus industrialisés. Au fur et à mesure que la population augmente, les niveaux de revenus augmentent – permettant des taux de consommation plus élevés – et les pays deviennent plus urbanisés, la situation, selon toute vraisemblance, va s'aggraver. Bien que des publications récentes estiment que la moyenne de la production de déchets par habitant en Afrique est d'environ 0,65 kg/habitant/jour, ce qui est inférieur à la moyenne de 2,2 kg/habitant/jour pour les pays de l'OCDE, elle est en hausse rapide et mal gérée.  

La plupart des administrations et municipalités locales sont dépassées en ce qui concerne la gestion des déchets solides. Elles prétendent ne pas disposer de la capacité, des ressources financières et de l'accès à la technologie appropriée pour faire une différence durable.  Les conséquences du statu quo et du vécu quotidien par les citadins comprennent la contamination de la surface et des nappes phréatiques, la pollution de l'air (poussières et gaz fétides provenant de la décomposition des déchets et de la combustion des déchets solides) et la mauvaise santé générale. Dans certaines villes, des épidémies de choléra et de la dysenterie sont fréquentes (même si ce fait est également lié aux problèmes d'approvisionnement en eau et assainissement), la principale préoccupation est le fait que les décès qui en résultent sont évitables.  

Selon ONU-Habitat , la qualité des services de gestion des déchets est un bon indicateur de la gouvernance d'une ville. Qu'est-ce qui fait de la gestion des déchets solides un problème apparemment impossible à gérer dans de nombreuses régions de l'Afrique ? Est-ce le manque de volonté politique ? Le mauvais ordre de priorité ? L'absence d'un environnement politique favorable ? Les lois inadéquates ? Ou tout simplement le manque de planification ?

En fin de compte, que faudrait-il pour favoriser le changement ? Pour commencer, il existe des solutions et technologies éprouvées, parmi lesquelles des stratégies visant à : minimiser la production de déchets, maximiser le recyclage et la réutilisation des déchets de façon écologiquement rationnelle, promouvoir l'élimination et le traitement des déchets de manière écologiquement rationnelle, et étendre la couverture des services de déchets.

Si l'obstacle est la mobilisation du soutien et de l'adhésion de la communauté ou des parties prenantes, le Rwanda dispose d'un système appelé « Umuganda », qui est une journée de service communautaire le dernier samedi du mois, où la population nettoie ; il y a quelque espoir que les gens peuvent être amenés à changer leurs attitudes et, éventuellement, leurs modes de vie.   

Pour sa part, la Banque [Africaine de Développement, ndlr] a mis en place une stratégie de développement urbain qui fournit des conseils stratégiques sur la façon de renforcer la viabilité et la compétitivité des villes afin de leur permettre d'entretenir le développement économique et social durable et de servir de moteurs de la croissance. En outre, la politique de la Banque sur l'environnement identifie l'élimination des déchets solides comme un impératif pour assurer la santé publique et à améliorer l'environnement urbain. 

Plus récemment, lors de la conférence de Rio +20, la Banque africaine de développement en collaboration avec d'autres Banques multilatérales de développement a publié une déclaration commune exprimant l'engagement de leur part à soutenir globalement le programme de développement durable, reconnaissant, parmi la multitude de priorités, la nécessité de promouvoir les villes durables et par extension, la gestion des déchets urbains.  

Bien que la dynamique soit de renforcer ce domaine, il reste encore beaucoup à faire, en particulier en Afrique.

 

Un article de Musole M. Musumali initialement paru sur le blog de la Banque Africaine de Développement

Quelle évolution des habitudes de consommation en Afrique ?

                                               "Le moteur principal de l'empreinte écologique de l'Afrique est l’augmentation de la consommation, soutenue par la croissance démographique et la forte expansion de l'économie régionale".

Avant-propos, Rapport de l'empreinte écologique de l’Afrique (2012, p.4)

une_bad2Récemment, le Programme des Nations Unies pour l'environnement a organisé un banquet avec des produits que des chaînes internationales de supermarchés avaient rejetés parce qu’ils ne répondaient pas aux critères réglementaires en termes de calibre, de forme et autres caractéristiques. En bref, le produit n'avait pas l'air bon, il était « laid ». Mais, du point de vue du goût, était-il savoureux ?

Avec l'augmentation des revenus, la tendance est au changement des modes de vie et des habitudes alimentaires. Désormais, il y a plus de choix, qu’il s’agisse de l’alimentaire ou de biens plus chers, tels que des véhicules, des logements et d'autres biens. Et quand on a plus d'argent à dépenser, on a tendance à intégrer plus de variétés et plus d'aliments coûteux à son régime alimentaire. Toutefois, les réponses diffèrent selon qu’il s’agisse de pays en développement ou de pays développés. Selon la FAO (Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture), on a tendance, dans les pays en développement, à délaisser les denrées de base comme les céréales, les racines, tubercules et légumineuses, pour adopter plus de produits issus de l'élevage (viande et produits laitiers), d’huiles végétales et de fruits et légumes. Alors que dans les pays développés, la majorité des consommateurs peuvent déjà s’offrir ce qu'ils préfèrent, et quand leurs revenus augmentent, les changements dans leurs habitudes et leurs achats alimentaires sont relativement modestes. Mais leurs attentes, quant à ce qui est mis à leur disposition, changent-elles ?

Alors que nous sommes de plus en plus nombreux à pouvoir se permettre de n’acheter à manger que ce que l’on aime, va-t-on se montrer plus difficile ? Va-t-on exiger que notre alimentation apparaisse plus attrayante ? Et dans quelle mesure cette tendance s'étendra-t-elle à d’autres domaines de notre vie?

Imaginez l'ampleur du gaspillage en termes de terres, d’eau, de ressources minérales et d’énergie, qui entre en ligne de compte dans la production, la transformation et la distribution des marchandises qui, aujourd’hui, font partie de nos modes de vie, et la facilité avec laquelle nous les rejetons, les éliminons et les remplaçons.

Le Rapport de l'empreinte écologique de l’Afrique estime ainsi que nous avons utilisé l'équivalent de 1,5 planète Terre en 2008 pour satisfaire nos modes de consommation. En d'autres termes, un an et demi environ serait nécessaire à notre Terre pour régénérer les ressources que l'humanité a englouties cette année-là. La spirale de la consommation non viable est lancée.

A l’occasion d'un séminaire sur ce que signifiait la croissance verte pour l’Afrique pour le personnel de la BAD, en janvier 2013, l’Institute for Global Environmental Strategies (IGES) a avancé une proposition intéressante pour intégrer la consommation durable : le cadre de l’Attitude Facilitator Infrastructure (AFI) (Akenji, 2012). Ce dispositif, qui a été présenté lors du sommet Rio+20, suggère que, pour engager une consommation durable à grande échelle, trois volets sont nécessaires et doivent fonctionner de concert : la bonne volonté des parties prenantes (par exemple une prédisposition à être un consommateur “durable”, une volonté politique) ; des initiateurs qui fassent en sorte que les actes reflètent bien les attitudes (par exemple, des incitations encourageant les comportements vertueux, et des contraintes dissuadant les effets indésirables – telles que des variables juridiques, administratives, culturelles ou liées aux marchés) ; et des infrastructures adaptées, grâce auxquelles les modes de vie durables deviendraient la solution de facilité (aménagement urbain “intelligent”, notamment).

Autrement dit, ce dispositif offre une approche qui ouvre, à long terme et à un niveau systémique, sur un environnement où les alternatives durables deviennent un choix par défaut.

Nous sommes conscients du danger imminent que représente le consumérisme effréné, tandis que la classe moyenne urbaine en Afrique ne cesse de croître – il s’agit là d’aspirations “légitimes”. Quel type de modèle ou d’approche pourrait être appliqué au contexte africain afin de maintenir une consommation durable ?

Un bon point de départ serait d’inclure les denrées de formes irrégulières, qui sont de plus en plus absent des étals de nos supermarchés locaux (voire de nos échoppes traditionnelles) en Afrique, qui eux aussi font en sorte, de plus en plus, de nous fournir des fruits et légumes « parfaits ».

 

Un article de Musole M. Musumali initialement paru sur le blog de la Banque Africaine de Développement.

Accaparement des terres et souverainete alimentaire en Afrique

Dans plusieurs pays africains, selon une tradition multiséculaire, « La terre ne se vend pas ». L’accaparement des terres apparait alors comme un phénomène brutal qui remet en cause les pratiques ancestrales traditionnelles, et qui hypothèque l’avenir des générations futures. Cet article, rédigé par l'ONG Grain, synthétise l'état du phénomène en Afrique de l'Ouest et du centre.


accaparement des terres

Le phénomène d’acquisition de terres à grande échelle est surtout en expansion depuis la crise alimentaire de 2008. Elle s’inscrit dans la logique de l’agrobusiness qui ne vise que le profit, comme le démontrent les nombreux cas signalés en Afrique de l’Ouest et du Centre. Cette recherche de profit est incompatible avec les objectifs de la souveraineté alimentaire qui milite pour la survie des populations, surtout celles rurales qui sont les plus nombreuses en Afrique. De ce fait, l’accaparement des terres sape les bases de la souveraineté alimentaire.

Il faut rappeler que la disponibilité de terre vient en tête des principaux facteurs de production indispensables aux activités des agriculteurs, puis viennent les semences, l’eau, le financement et l’énergie. L’existence des agriculteurs et la production alimentaire aux niveaux local et national sont subordonnées à l’accessibilité à la terre. Or l’accaparement des terres par des gouvernements étrangers (Koweït, Chine, Arabie Saoudite…) ou par des nantis, qu’ils soient nationaux ou étrangers prive les petits agriculteurs de leurs terres, en les transformant en ouvriers agricoles sur leurs propres terres.

 

Quelles relations entre accaparement des terres et souveraineté alimentaire ?

La souveraineté alimentaire est un concept développé par La Via Campesina à partir de 1996, comme alternative aux politiques néolibérales et au modèle de production industrielle. C’est le droit des populations, des Etats ou Unions d’Etats à définir leurs politiques agricoles et alimentaires sans intervention de l’extérieur, avec tous les acteurs nationaux concernés par la question alimentaire.

La Souveraineté Alimentaire inclut :

  • La priorité donnée à la production agricole locale pour nourrir la population, l’accès des paysan(ne)s et des « sans terres » à la terre, à l’eau, aux semences, au crédit. D’où la nécessité de réformes agraires, de la lutte contre les OGM, pour le libre accès aux semences ;

  • Le droit des paysan(ne)s à produire des aliments et le droit des consommateurs à pouvoir décider de ce qu’ils veulent consommer ;

  • Des prix agricoles liés aux coûts de production: c’est possible à condition que les Etats ou Unions d’Etats aient le droit de taxer les importations à trop bas prix, et s’engagent pour une production paysanne durable, et maitrisent la production sur le marché intérieur pour éviter des excédents structurels ;

  • La participation des populations aux choix de politiques agricoles ;

  • La reconnaissance des droits des paysans qui jouent un rôle majeur dans la production agricole et l’alimentation. (La Via Campesina, Porto-Alegre, 2003)

Toutes les composantes de la souveraineté alimentaire ci-dessus énumérées sont remises en cause par l’accaparement des terres, car « les terres accaparées » sont destinées principalement à l’agriculture industrielle, qu’il s’agisse des acquéreurs internationaux ou ceux nationaux. Les exemples suivants suffisent à le démontrer :

  • Au Cameroun, en 2006, IKO une filiale de la Shaanxi Land Reclamation General Corporation (connue également sous le nom de Shaanxi State Farm), a signé un accord d’investissement de 120 millions de dollars US avec le gouvernement du Cameroun, qui lui a donné la ferme rizicole de Nanga-Eboko et un bail de 99 ans sur 10.000 hectares supplémentaires : 2.000 à Nanga-Eboko (près de la ferme rizicole), et 4.000 ha dans le district voisin de Ndjoré. La société a débuté ses essais pour le riz et le maïs et prévoit également de cultiver du manioc. Parallèlement, des plantations industrielles de palmier à huile sont installées par Bolloré pour produire de l’huile de palme.

  • En Guinée, la société américaine Farm Lands Guinea Inc (FLGI, désormais Farmlands of Africa) contrôle plus de 100.000 ha pour la production du maïs et du soja destinés à l’exportation ou à la production de l’agrocarburant. Des investisseurs britanniques (AIMI) contribuent au financement de l’affaire. De plus, FLGI est responsable, pour le compte du gouvernement, de la prospection de 1,5 millions d’ha pour la concession de baux à d’autres investisseurs. Contre quoi FLGI touchera une commission de 15% sur les ventes.

  • En Côte d’Ivoire, SIFCA, détient 47.000 hectares de plantations de palmiers et de canne à sucre : en 2007, Wilmar et Olam (agrobusiness transnationaux de Singapour) ont créé une joint venture, Nauvu, pour prendre une participation de 27% dans SIFCA, le plus grand producteur de canne à sucre et de palmiers à huile de Côte d’Ivoire. La famille Billon détient la majorité du capital de la société; mais toutes les parties ont l’intention d’utiliser SIFCA comme base pour l’expansion de leurs plantations de palmiers à huile en Afrique de l’Ouest.

  • En Sierra Leone, en 2010 : Addax, une firme suisse, a pris le contrôle de 10.000 ha pour produire du sucre pour l’éthanol à partir de 2013. En 2011, Sofcin, une filiale du groupe français Bolloré loue 12.500 ha pour la production de l’huile de palme. Des firmes vietnamiennes se préparent à se lancer dans de grands projets de production de riz et de caoutchouc. En 2012 des capitaux chinois vont s’y associer également. Dès 2011, une gamme de banques européennes de développement (de Suède, d’Allemagne, des Pays Bas, et de Belgique) participent au projet. Selon un participant de Sierra Leone à l’atelier de Ouidah (février 2012), là où on cultivait du riz pour l’alimentation des Sierra Léonais dans le temps, aujourd’hui, on cultive de la canne à sucre pour produire de l’éthanol. Dans ce pays également, FLG essaie d’acquérir 11.900 hectares à l’Ouest de la rivière Taï pour y produire du riz à grande échelle.

  • Au Sénégal, l’Arabie Saoudite cultive du riz destiné à l’exportation en Arabie Saoudite, et une firme italienne produit du biocarburant à exporter en Europe. « La proposition ne donne pas les noms des investisseurs saoudiens ni sénégalais. Pressé par les demandes répétées de GRAIN, le coordonnateur du projet, Amadou Kiffa Guèye, conseiller spécial auprès du ministre des mines, de l’industrie, de l’Agro-industrie et des PME, s’est contenté de dire que la famille royale saoudienne était impliquée dans le projet, ainsi que de riches hommes d’affaires sénégalais. Il a aussi précisé que c’était le gouvernement sénégalais qui l’avait chargé de développer la proposition de projet, mais à la requête des investisseurs saoudiens. » Foras est impliqué dans un grand projet de production rizicole et est également en train de mettre en place un projet d’élevage de volaille verticalement intégré près de Dakar; cette ferme devrait produire 4,8 millions de volailles par an. Foras est la branche investissement de l’Organisation de la Conférence Islamique (OCI) ; ses principaux actionnaires sont la Banque Islamique de Développement et plusieurs conglomérats de la région du Golfe, notamment le Sheikh Saleh Kamel et son Dallah Al Barakah Group, le Saudi Bin Laden Group, la National Investment Company du Koweït et Nasser Kharafi, le 48ème homme le plus riche du monde et propriétaire de l’Américana Group.

  • Au Mali, la Libye et l’Arabie Saoudite cultivent du riz destiné à l’exportation, et l’on cultive du tournesol et du jatropha pour produire de l’agrocarburant. – (Libye): En mai 2008, le gouvernement malien et le gouvernement libyen de Kadhafi ont signé un accord d’investissement, donnant à Malibya, une filiale du Libyan African Investment Portfolio du fonds souverain de Libye, un bail de 50 ans renouvelable sur 100.000 hectares de terres dans l’Office du Niger. La terre a été donnée gratuitement contre la promesse de Malibya de la développer pour y faire des cultures irriguées. Malibya a également reçu un droit d’accès illimité à l’eau, aux tarifs appliqués aux petits utilisateurs. En 2009, Malibya avait terminé un canal d’irrigation de 40 kilomètres pour la production de riz hybride, mais le projet a été suspendu, à la chute du régime de Kadhafi en 2011. En janvier 2012, les représentants du nouveau gouvernement libyen, le Conseil National provisoire (NTC), ont déclaré qu’ils maintiendraient les «bons» investissements au Mali et poursuivraient des projets agricoles en Afrique, en ne faisant référence qu’au Soudan et aux pays « proches de la Libye ». – (Arabie Saoudite) Foras a terminé une étude pilote sur 5.000 hectares obtenus dans le cadre d’un bail à long terme dans l’Office du Niger. Foras prévoit désormais de s’étendre sur 50.000 à 100.000 hectares, un premier stade d’un projet plus vaste destiné à la production du riz sur 700.000 hectares dans divers pays africains.

  • Au Congo, des groupes sud-africains cultivent du riz, du maïs et du soja dont une partie est destinée à l’élevage de la volaille. « Congo Agriculture » est une société créée par des agriculteurs commerciaux sud-africains, dans le but d’établir des fermes à grande échelle au Congo-Brazzaville. La société a obtenu 80.000 ha du gouvernement avec un bail de 30 ans, dont 48.000 se trouvent dans le district de Malolo et ont été divisés en 30 fermes qui sont proposées aux agriculteurs sud-africains participant à l’opération. La société a des liens étroits avec AgriSA, le plus grand syndicat d’agriculteurs commerciaux d’Afrique du Sud. En décembre 2010, l’AFP a fait savoir que le gouvernement du Congo-Brazzaville avait signé un accord avec Atama Plantations, une entreprise Malaisienne, lui accordant des concessions d’un total de 470.000 ha dans les régions de la Cuvette (au Nord) et de Sangha (au Nord – Ouest). Atama dit vouloir développer des plantations de palmiers à huile sur 180.000 ha de ces concessions.

  • En République Démocratique du Congo, le palmier à huile cultivé est destiné à la production de Biodiesel.

  • Au Gabon, des investisseurs étrangers cultivent du riz destiné à l’exportation dans les pays du Golfe et les plantations de palmier à huile assurant la production d’huile de palme, destinée à l’exportation pour la production de biodiesel à Singapour.

  • Au Bénin, les chinois cultivent d’une part, des légumes et du maïs pour leur consommation en Chine, selon Bodéa Simon (Secrétaire Administratif de Synergie Paysanne), et d’autre part, ils cultivent de la canne à sucre pour la production de sucre destiné à l’exportation en Chine. Le China National Complete Import and export Corporation Group (COMPLANT) a fonctionné comme un bureau d’aide étrangère pour la Chine jusqu’en 1993; il négocie aujourd’hui à la bourse de Shenzhen et son principal actionnaire est le State Development & Investment Corporation, le plus important holding appartenant au gouvernement chinois. En 2010, une filiale de COMPLANT, Hua Lien International, a annoncé son intention d’établir une collaboration entre COMPLANT et le Fonds de développement Chine-Afrique (5 milliards de dollars US) pour mettre en place une production d’éthanol dans divers pays africains. Les trois sociétés prévoient de lancer leur collaboration au Bénin et de se déployer dans d’autres pays dans les années à venir. Cette collaboration s’appuiera sur les nombreux récents investissements de COMPLANT dans la production de canne à sucre et de manioc, dont une plantation de 18.000 ha en Jamaïque, une plantation de 4.800 ha de canne à sucre et de manioc au Bénin, une plantation et une usine de canne à sucre de 1.320 ha en Sierra Leone ; COMPLANT avait aussi annoncé en 2006 son intention d’agrandir ses terres de la Sierra Leone à 8.100 ha pour y démarrer la culture du manioc.

Un constat s’impose

Le plus souvent, les investisseurs travaillent dans la discrétion pour ne pas dire dans le plus grand secret, car le sujet est politiquement et socialement sensible. De ce fait, il n’est pas toujours facile d’avoir des informations y relatives, surtout aux niveaux local et national. L’ONG Nature Tropicale et le syndicat Synergie Paysanne en ont fait les frais auprès des accapareurs Chinois et Koweitiens au Bénin. En effet, il y a quelques mois, ces derniers ont refusé de recevoir les premiers, lors d’un tournage de film sur la question dans ce pays.

Sur les 416 cas d’accaparement de terres que nous avons identifiés, 228 cas sont en Afrique. Ainsi,

  • Certains veulent protéger les flux financiers et le modèle agricole qu’ils perpétuent, en rendant les contrats et les accords « gagnant-gagnant » pour les deux parties contractantes. Si les accapareurs gagnent avec leur business, que gagnent les petits agriculteurs dépouillés des terres qui ont nourri leurs ancêtres, leurs grands-parents et parents, et qui les ont nourris jusqu’ici ?

  • D’autres considèrent qu’il n’y a rien de positif pour les nationaux dans ces affaires d’accaparement de terres. De ce fait, ils mobilisent des résistances pour arrêter cette tendance, et mettre en avant la souveraineté alimentaire comme vraie solution à la crise alimentaire.

Tableau 1: Pourcentage des terres agricoles déjà sous contrôle des intérêts étrangers pour la production agro-alimentaire dans quelques pays d’Afrique de l’Ouest et du Centre.

Pays concernés

Taux par pays
(pourcentage)*

Surface louée ou vendue aux investisseurs
étrangers pour une production alimentaire

Bénin

Terres arables:10%
Terres agricoles: 3%
Superficie totale: 2%

236 100 ha

Gabon

Terres arables: 128%
Terres agricoles: 8%
Superficie totale: 2%

415 000 ha

Ghana

Terres arables: 21%
Terres agricoles: 6%
Superficie totale: 4%

907 000 ha

Guinée

Terres arables: 56%
Terres agricoles: 11%
Superficie totale: 7%

1 608 215 ha

Liberia

Terres arables: 434%
Terres agricoles: 67%
Superficie totale: 16%

1 737 000 ha

Mali

Terres arables: 6%
Terres agricoles: 1%
Superficie totale: 0.3%

372 167 ha

Nigeria

Terres arables: 2%
Terres agricoles: 1%
Superficie totale: 1%

542 500 ha

République du Congo

Terres arables: 134%
Terres agricole: 6%
Superficie totale: 2%

670 000 ha

République Dém. du Congo

Terres arables: 6%
Terres agricoles: 2%
Superficie totale:0.2%

401 000 ha

Sénégal

Terres arables: 12%
Terres agricoles: 5%
Superficie totale: 2%

460 000 ha

Sierra Leone

Terres arables:46%
Terres agricoles 15%
Superficie totale: 7%

501 250 ha

* Accords fonciers avec des investisseurs étrangers en pourcentage de la surface agricole du pays (chiffres FAO pour 2009, sauf indication contraire) où : « terres arables » signifie surfaces utilisées par les cultures temporaires, les prairies temporaires, les jardins maraîchers et familiaux et les jachères temporaires ; « terres agricoles » comprend à la fois les terres arables, les récoltes permanentes et les prairies et pâturages permanents (pacage des troupeaux) ; et « superficie totale »représente la superficie des terres d’un pays, y compris les surfaces recouvertes par les étendues d’eau intérieures (cours d’eau, lacs, etc.), mais pas les eaux côtières territoriales. Les chiffres ont été arrondis.

La production agro-alimentaire présentée par le tableau 1 est surtout destinée à l’exportation alors qu’en Afrique de l’Ouest, il y a un problème d’insécurité alimentaire qui se pose comme en témoignent les chiffres du tableau 2.

Tableau 2: Statistiques de la sécurité alimentaire dans quelques pays d’Afrique de l’Ouest.

Pays

Population totale

Nombre de personnes
sous-alimentées 

Prévalence de la
sous-alimentation 

Bénin

8.4 millions

1.0 million

12%

Mali

12.4 millions

1.5 million

12%

Niger

14.1 millions

2.3 millions

16%

Sénégal

11.9 millions

2.3 millions

19%

Source: FAO, Statistiques de la sécurité alimentaire 2006-2008

Des Etats (Koweït, Chine, Arabie Saoudite, Libye, le Millenium Challenge Account et le Millenium Challenge Corporation, etc…) et des multinationales/ sociétés (Bolloré, Addax, etc…) ont livré l’Afrique à l’agrobusiness (GRAIN 2010). Ainsi, le Sénégal, le Libéria, le Mali, le Ghana, le Bénin, etc…ont fait, chacun à sa manière, l’expérience du MCA. Ces pays, à tort ou à raison, lient le financement des projets de leurs pays à la docilité aux exigences du MCA/MCC. Or, l’expérience sud-américaine a montré que ce n’est pas toujours le cas, surtout si le gouvernement prend une direction qui déplait à Washington. C’est ainsi que le financement fourni au Nicaragua a été interrompu, quand les sandinistes ont été élus au pouvoir. En revanche, le financement MCC s’est poursuivi après le coup d’état illégal de 2009 au Honduras… »

Le constat qui s’impose est que l’accaparement des terres se fait toujours dans l’intérêt des accapareurs, au détriment des populations des pays où les terres sont accaparées. Et c’est ce qui explique le secret qui entoure ces projets, pour éviter des soulèvements et des révoltes.


Article originellement publié par l'ONG Grain. Repris ici sous licence Creative Commons

La mobilité urbaine en Afrique face aux défis de l’énergie et du climat

Les habitants des villes africaines sont confrontés dans leur vie quotidienne aux faiblesses des infrastructures de transport. Comment y répondent-ils? Quelles solutions adoptent-ils? Quel est l'impact de la crise énergétique sur ces choix? Xavier Godard, universitaire français spécialiste des questions de mobilité en Afrique apporte quelques éléments de réponse.

 


On sait que de nombreuses interrogations et réflexions sont développées sur la mobilité urbaine dans le monde développé, en particulier en France où, depuis 2000, la loi SRU impose aux agglomérations de plus de 100 000 habitants de se doter de Plans de Déplacements urbains (PDU), avec l’objectif de réduire l’usage de l’automobile dans les villes. Les contextes des villes africaines sont très différents et la question de l’accès à la mobilité motorisée constitue sans doute une préoccupation majeure en Afrique sub-saharienne (ASS), sur laquelle nous concentrerons notre attention : cette question vient avant celle de l’adaptation aux défis du coût croissant de l’énergie et du changement climatique, auxquels les pays africains doivent cependant faire aussi face.

Croissance des besoins de déplacements motorisés

mobility africaLes grands traits de la mobilité peuvent être résumés par un niveau très faible de mobilité motorisée en ASS et plutôt faible en Afrique du nord et en Afrique du sud, avec des exceptions remarquables pour les villes à deux roues, dont Ouagadougou est emblématique. L’autre face de la mobilité est alors l’importance de la marche, qui constitue le mode de déplacement quasi-exclusif d’une partie de la population urbaine. Elle représente en moyenne de 50 à 80 % des déplacements dans la majorité des villes.

La mobilité motorisée est en croissance au Maghreb en raison de la hausse des revenus et de l’extension de l’accès à l’automobile, avec un modèle qui regarde beaucoup vers l’Europe. A l’autre extrême du continent, on a, en Afrique du sud, le côtoiement de deux mondes qui doivent s’intégrer peu à peu : une société riche très motorisée d’un côté, les exclus des townships captifs des transports collectifs de l’autre côté. La question est de gommer les séquelles de l’apartheid, ayant marqué pour longtemps les structures urbaines et imposant de très longues distances de déplacement.

Dans tous les cas, on enregistre une forte croissance des besoins de déplacement due à la croissance démographique des villes, ainsi qu’à l’étalement urbain et à la métropolisation qui contribuent à l’allongement des distances.

Dynamique d’usage des modes individuels

Etant donné le faible niveau de ressources, l’équipement des ménages en voitures est faible : les taux de motorisation sont les plus faibles en ASS, autour de 30 à 40 véhicules pour 1 000 habitants, alors qu’ils approchent ou dépassent le seuil de 100 dans les villes du Maghreb dont la dynamique d’équipement automobile des ménages est forte depuis la fi n des années 90.

En fait, à côté de l’automobile, la moto peut jouer un rôle important pour faciliter la mobilité, soit comme mode individuel (Ouagadougou, autres villes sahéliennes…), soit comme transport public avec le taxi-moto dont l’ampleur s’étend progressivement dans les villes où le transport collectif n’est pas suffisamment efficace (le cas le plus massif et ancien est celui de Cotonou).

Les taux d’usage des modes individuels résultent de ces données d’équipement : faibles en ASS sans deux roues, élevés dans les villes avec deux roues, élevés en Afrique du sud et au Maghreb, où ils peuvent dépasser le seuil de 50 % des déplacements motorisés.

Reste alors à se demander si le transport collectif constitue une alternative crédible et durable et à considérer les multiples composantes du transport public.

A la recherche d’un schéma durable de transports collectifs

Les entreprises d’autobus peinent à (re) trouver leur place dans un contexte qui a favorisé le développement du transport artisanal, sous forme de minibus et taxis collectifs, voire de taxis-motos, dont la propriété est atomisée et qui sont exploités à l’échelle individuelle, mais au sein d’une organisation collective minimale reposant sur les syndicats de chauffeurs. La domination du secteur artisanal qui vient de sa souplesse et de son adaptabilité à l’évolution des besoins, est écrasante (80 à 90 % des transports publics dans la majorité des villes) en Afrique sub-saharienne, mais ce secteur est également très présent au Maghreb et en Afrique du sud qui ont pourtant aussi une offre structurée d’entreprises (autobus, métro, train urbain, selon les cas).

Le bilan énergétique et environnemental qui en résulte est préoccupant, surtout dans les zones denses où se concentre le trafic, mais il faut arrêter de penser qu’on va supprimer ce secteur au profit d’entreprises d’autobus performantes : il faut penser complémentarité, ce qui peut être mis en œuvre par des autorités organisatrices adaptées, comme cela a été amorcé à Dakar avec le Cetud (Conseil Exécutif des Transports Urbains de Dakar), créé en 1997.

Les exclus de la mobilité motorisée

Les exclus de la mobilité motorisée sont contraints à une mobilité essentiellement pédestre. Cc qui est bon pour l’environnement l’est moins d’un point de vue social ou économique : le marché de l’emploi accessible à pied est bien trop restreint. L’accès aux services urbains est limité même si des politiques d’équipement (écoles, centres de santé, marchés d’alimentation, administrations) localisées dans les quartiers d’habitation sont à promouvoir résolument.

Il existe plusieurs définitions de la pauvreté selon la nature des seuils monétaires de pauvreté considérés, ou selon les multiples dimensions introduites dans les indices de développement humain (IDH). Si l’on s’en tient au seuil de 1 dollar US par personne et par jour, on voit, bien que les sources soient fragiles, que la proportion des pauvres était de l’ordre de 30 à 40 % à Conakry et à Douala (2003), et atteignait sans doute 50 % à Dakar (2000).

Le profil de mobilité est illustré par les données d’enquête à Conakry et Douala. Si les taux de mobilité globale sont proches entre groupes sociaux, ils se différencient nettement par le recours massif à la marche (à pied chez les plus pauvres, et par le faible usage de modes motorisés.

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Mobilité des pauvres à Conakry

Les consommations d’énergie et les émissions de GES

A l’exception de l’Afrique du sud, les consommations actuelles d’énergie en ASS provoquées par la mobilité urbaine se situent à un niveau relativement faible. Il en va de même des émissions de GES : estimations de 950 000 t CO2/an à Abidjan en 1998, de 400 000 t à Dakar (0,16 t par habitant) en 2000. Cela résulte comme, on l’a vu, du poids très important des déplacements à pied, puis des transports collectifs.

A l’inverse, dans le cas de Tshwane (ex Pretoria), on a pu estimer les dépenses de carburant à 900 millions de litres en 2003, et les émissions annuelles de CO2 à 2,8 MT en 2008, soit 1,2 t par habitant, ce qui est un niveau comparable à celui du monde développé, du moins en Europe.

Les tendances et les inflexions

La hausse du coût de l’énergie, même si la crise économique actuelle réduit ce poids pour quelques années, est un défi majeur pour la majorité des pays africains et pour les villes qui absorbent une grande part des consommations (plus de 60 % estimés pour Abidjan par exemple).

La crise financière internationale risque de fragiliser les grands opérateurs internationaux qui sont sollicités pour intervenir en appui aux entreprises à reconstituer dans les villes africaines, ce qui devait ainsi consolider de fait le secteur artisanal. Le changement climatique pourrait accentuer le développement urbain avec la poursuite de l’exode rural, accentuant ainsi les besoins de transport à l’échelle des agglomérations (multi) millionnaires.

Les schémas d’urbanisation vers lesquels il conviendrait de s’orienter devraient alors s’organiser sur des structures multipolaires desservies par du transport de masse, mais avec une complémentarité forte avec le secteur artisanal. Une solution qui émerge peu à peu est l’élaboration de sites propres intégraux pour autobus (BRT) à l’image de ce qui a été mis en place dans plusieurs villes d’Amérique Latine. Mais cela suppose une capacité d’organisation et de planification qui n’est pas encore acquise dans la majorité des villes africaines. Le retard dans la mise en place de tels projets en Afrique du sud ou à Dar es Salam (Tanzanie) et Addis Abeba (Ethiopie) est révélateur de ces difficultés institutionnelles.

Les mots clefs sont alors la capacité d’organisation du secteur des transports urbains reposant sur de multiples opérateurs, la recherche de productivité des transports collectifs, des mesures de circulation permettant la lutte contre l’extension de la congestion, une planification urbaine stratégique à réinventer, la promotion et la revalorisation des modes doux (vélo, marche) qui sont mal aimés par les autorités : cela suppose que l’obstacle culturel soit résolu et que soit dépassée l’impression d’un discours donneur de leçon venant du Nord. Seul le développement de la capacité d’expertise au sein des pays africains pourra aller dans ce sens pour identifier les solutions adaptées.


Article de Xavier GODARD, publié initialement sur ritimo.org. L’auteur est directeur de recherche à l’Institut National de Recherche sur les Transports et leur Sécurité (France) où il a été chargé de mission pour les pays en développement. Il a été animateur du réseau Sitrass (Solidarité Internationale sur les Transports et la Recherche en Afrique sub-saharienne). Il est également l'auteur de Les Transports et la ville en Afrique au sud du Sahara, (Karthala – Inrets, 2002)

Ibrahima Coulibaly (CNOP): «Nous sommes pauvres car nos paysans sont pauvres»

Ibrahima CoulibalyIbrahima Coulibaly: «Nous sommes pauvres car nos paysans sont pauvres»

 

Président de la Coordination nationale des organisations paysannes du Mali (CNOP), vice-président du Réseau des organisations paysannes et de producteurs de l’Afrique de l’Ouest (ROPPA), membre de la Via Campesina, Ibrahima Coulibaly se bat pour les intérêts de la paysannerie qui est, selon lui, le pilier du développement en Afrique.

  • Pouvez-vous nous expliquer les raisons de votre engagement dans l'agriculture et la souveraineté alimentaire des pays africains?

I.C. : Il m’est difficile de dire les raisons profondes de mon engagement mais je pense que ça m’est venu très tôt, au début des années 1970 lorsqu’il y a eu la grande sécheresse. J’étais alors très jeune et j’ai vu la famine, en 1973 au Mali. A cette époque il n’y avait pas les aides d’urgence que l’on voit aujourd’hui avec le Programme Alimentaire Mondial par exemple. J’avais la chance de ne pas être victime de cette famine mais j’ai vu des gens souffrir de la faim et cela m’a révolté. Je n’acceptais pas que certains puissent avoir à manger et que d’autres à côté n’aient rien. Ça m’a beaucoup marqué et j’y pense toujours. Je voyais des femmes venir de loin pour piler le mil afin de récupérer  le son qu’elles allaient transformer en couscous. Je n’ai jamais oublié ces images. Je pense que les raisons qui m’ont poussé à étudier l’agronomie, m’engager dans l’agriculture et me battre pour des politiques agricoles viennent de là.

  • Sur le continent africain, le phénomène d'accaparement des terres concernerait  presque 50 millions d'hectares[i]. Au Mali, plus de 800 000 hectares de terres arables auraient été vendues ou louées. Après la crise au nord Mali et vu l’imminence des prochaines élections, pensez-vous pouvoir changer la donne et obtenir d'un nouveau gouvernement des solutions au problème foncier au profit de la paysannerie?

I.C. : Tout à fait. Nous réfléchissons en ce moment à un contrat que nous allons proposer à tous les candidats à l’élection présidentielle. En effet, nous pensons que la seule chose qui peut expliquer l’accaparement des terres c’est la mauvaise gouvernance et la corruption. Autrement, il n’y a aucune justification en termes de progrès, cela n’apporte rien à l’agriculture, à la situation alimentaire ou au développement rural. Certaines personnes ont décidé de prendre le peu que d’autres ont. Moi, personnellement, je qualifie ce phénomène de banditisme d’Etat car ces actes sont réalisés au nom des gouvernements. Cela n’a rien à voir avec le développement car le fait de prendre à une famille paysanne le seul bien qu’elle possède, la terre, c’est la condamner à une mort certaine.

Mais le poids qu’ont pris les politiques libérales dans nos pays fait qu’il y a une banalisation de ce phénomène. La banque mondiale a joué un rôle important puisque, depuis 30 ans, elle ne cesse de dire que les petits paysans sont un problème pour l’Afrique, qu’il faut développer l’agro-business, remplacer les petites fermes par les grandes fermes et qu’il faut mécaniser l’agriculture afin que les paysans puissent faire face aux grands investisseurs; ce qui est impossible en réalité. Ces discours ont finalement donné une certaine acceptabilité au phénomène d’accaparement des terres. Je pense que ce qui serait plus souhaitable serait d’investir en amont et en aval de la production. Si, par exemple, des investisseurs installaient des réseaux d’irrigation et demandaient en retour aux paysans de payer une redevance, je le comprendrais tout à fait. Ou s’ils venaient pour acheter la production et organiser la transformation avec les paysans pour faire du profit, je le comprendrais aussi. Par contre, je ne comprends pas qu’on puisse retirer aux paysans leur terre, il n’y a aucune justification possible.

  • La campagne agricole 2012-2013 a cependant été très bonne au Mali et a battu tous les records. Cela peut-il avoir un lien avec les terres accaparées?

I.C. : Cela n’a absolument rien à voir avec l’accaparement des terres qui ne produisent rien à l’heure actuelle au Mali. Un seul projet lié à ces terres a été entamé et il ne produit absolument rien du tout pour le moment. Les paysans savent produire. Leur problème ne se situe pas du tout au niveau de la production. Le vrai problème c’est l’eau. Nous avons, avec le changement climatique, des saisons qui sont devenues très capricieuses. Il y a souvent des sécheresses, soit au cœur de la saison des pluies, soit en début ou en fin de saison agricole, et tout cela joue contre la production. Lorsque vous avez une sécheresse en début de saison vous ne pouvez pas semer à temps. Lorsque vous avez une sécheresse en milieu de saison, le stress hydrique joue contre les rendements, et c’est la même chose lorsque la sécheresse arrive en fin de saison. L’année dernière il n’y a pas eu de sécheresse. Il a plu tout au long de la saison sur la quasi-totalité du territoire malien. C’est ce qui explique la bonne campagne agricole.

Ce que nous demandons au gouvernement depuis longtemps c’est d’investir dans la maîtrise de l’eau au profit des familles paysannes. S’il y avait de l’eau, même avec une politique soutenue par un fonds pour que les paysans puissent investir dans des micro-barrages au niveau des rivières, dans les ruisseaux ou les rigoles – parce qu’il y a beaucoup de cours d’eau à travers le pays – les gens pourraient faire de l’agriculture d’appoint et irriguer leurs cultures maraichères lorsque la saison est mauvaise. En fait, il y a toujours un moyen de fournir suffisamment de nourriture mais ce type de politique ne figure pas dans les priorités de nos gouvernants. Leur seul souci est de nous dire que les paysans sont archaïques, que nous ne produisons rien et qu’il faut laisser l’agriculture à ceux qui ont de l’argent.

Par conséquent, l’agriculture telle qu’elle est aujourd’hui est une activité peu rentable comparée aux autres secteurs et n’attire pas les investissements. Les paysans continuent de cultiver parce qu’ils n’ont pas d’autre choix. C’est tout ce qu’ils ont et ils cultivent d’abord pour manger, et s’ils ont un surplus ils peuvent vendre. En revanche, avec l’explosion démographique, les gens commencent à comprendre que la terre a une grande valeur. Les investisseurs commencent à s’y intéresser car l’alimentation devient un enjeu majeur de commerce et de développement et c’est pour cela qu’il y a un accaparement des terres.

  • Le scandale d'Herakles Farms au Cameroun, a révélé le risque de voir également des organisations à priori philanthropes s'accaparer des terres. Pensez-vous que ce risque est réel ou s'agit-il d'un cas isolé?

I.C.: Au Mali, je pense que les choses sont plus transparentes. Les achats et locations de terres se sont accélérés au cours des deux dernières années de l’ancien gouvernement et les acheteurs n’avaient pas besoin de se cacher. Ils venaient et disaient qu’ils voulaient des terres agricoles. L’Etat a créé le « Conseil Présidentiel pour l’Investissement » qui était directement rattaché au Président de la République. Il suffisait d’aller voir ce Conseil avec de l’argent et automatiquement le président de l’Office du Niger était contacté pour que des parcelles de terre soient cédées. Parfois, même le ministère de l’agriculture n’était pas au courant. Il ne s’agit pas d’environnementalistes ou d’ONG, ce sont des investisseurs privés qui sont venus à visage découvert. Ceux-ci sont souvent étrangers (multinationales, fonds d’investissement…), mais on compte aussi des nationaux. L’origine des fonds est très opaque et nous avons des raisons de penser que l’argent du trafic de drogue pourrait servir à financer aussi ce type de projet.

  • Vous êtes partisan d'une agriculture basée sur les techniques agro-écologiques alors même que l'administration Obama mène une "diplomatie des OGM". Vous affirmez également subir des pressions de la part des multinationales pour l'utilisation de semences hybrides F1 et OGM. Quelles formes prennent ces pressions? Pourquoi ce combat contre ce type de semences?

I.C.: Pour les OGM, il s’agit surtout de programmes de recherche agronomique et de nombreuses propositions ont été faites par l’USaid pour que les chercheurs maliens expérimentent les OGM. Lorsqu’ils ont commencé, nous sommes entrés dans un conflit avec eux qui a duré quatre (04) ans. Puis ils ont compris que ça ne fonctionnerait pas de cette façon. Du coup une loi (« Loi sur la Sécurité en Biotechnologie ") a été préparée pour que l’expérimentation des OGM puisse débuter au Mali. Nous nous sommes battus contre cette loi mais elle a été votée avec le soutien de l’USaid et ils ne se sont pas cachés de cela malgré la marche que nous avons organisé contre ces derniers. Bien que la loi ait été votée, le Mali est probablement l’un des pays où la prise de conscience sur les conséquences néfastes des OGM est la plus développée, car nous avons fait une campagne de formation extraordinaire afin d’éduquer les paysans sur la question des OGM. Aussi, dans tous les villages maliens, les paysans savent de quoi il s’agit et ils n’en veulent pas.

La question des hybrides est différente. Ils sont distribués via des programmes comme l’AGRA (Alliance pour la révolution verte en Afrique) qui est financée par la fondation Bill Gates. Leur stratégie est de travailler avec des ONG et ils vont dans les villages distribuer des semences, engrais et pesticides aux paysans. Les paysans qui ont des difficultés les prennent naturellement. Mais ces distributions gratuites ne durent qu’un an ou deux. Une fois que les paysans y sont dépendants, ils doivent chaque année acheter des semences à un prix très élevé, ainsi que les pesticides et les engrais chimiques. A partir de ce moment, ils sont confrontés à de gros problèmes car ils n’ont plus les moyens de commencer la campagne agricole.

Les efforts sont détruits à la base, c’est pour cette raison que je dis qu’il y a des pressions. De notre côté, nous essayons de former les paysans à être autonome, à la pratique de systèmes agro-écologiques, à fertiliser leurs sols par leurs propres moyens, à produire leurs propres semences qui ont besoin d’eau et la fumure organique permet de maintenir l’humidité des sols. De cette façon, en cas de sécheresse, ce sont les systèmes agro-écologiques qui résistent le mieux. Nous avons vu des paysans qui utilisaient les semences hybrides tout perdre suite à quelques jours de sécheresse. Nos formations ont lieu dans notre centre où nous enseignons l’agro-écologie et la protection des cultures contre les nuisibles.

  • Quelle est, selon vous, la meilleure façon de développer l'entrepreneuriat agricole en Afrique?

I.C.: Je ne peux pas envisager l’entrepreneuriat agricole en dehors de la famille paysanne. C’est pour cela qu’on ne se comprend pas toujours avec les organisations. Lorsque l’on parle d’entrepreneurs agricoles on pense qu’il faut remplacer les paysans traditionnels par un nouveau type d’agriculteurs. Or, ceci est une grosse erreur. Ce sont les familles de paysans qui produisent tout ce que nous mangeons, qui produisent notre coton, etc. Je suis en milieu rural, je connais très bien les paysans et je sais qu’un paysan qui n’est jamais allé à l’école maîtrise mieux l’agriculture qu’un ingénieur agronome car il a fait face à des problèmes et les a résolu alors que l’ingénieur connait surtout la théorie. Ce sont donc ces familles paysannes qu’il faut soutenir. Mais depuis les programmes d’ajustements structurels, elles sont abandonnées à elles-mêmes.

Les gouvernements doivent faire en sorte que ces familles puissent accéder au crédit, à la formation, à l’amélioration de leurs moyens de production et à la conservation des produits après la récolte. Si nous parvenons de cette façon à consolider la famille paysanne, nous consoliderons par là même notre économie puisque si les producteurs peuvent produire mieux et vendre mieux ils investiront dans la santé, dans l’éducation de leurs enfants, dans la formation et ils consommeront mieux. Ainsi, ce sont tous les secteurs qui en profiteront. Mais aujourd’hui les paysans sont exclus de tout cela, et c’est justement la raison pour laquelle nous sommes pauvres: Si jusqu’à 75% de la population vit dans la pauvreté, jamais ce pays ne sortira de la pauvreté; c’est la triste situation dans laquelle nous vivons.

Interview réalisée par Awa Sacko

www.afriquegrenierdumonde.com 

Retrouver les articles de terrangaweb sur la question des terres agricoles :


[i] Selon le rapport 2012 de Land Matrix, environ 80 millions d’hectares de terres agricoles ont été vendues dans le monde dont 62% en Afrique  cf également l’analyse de Georges Vivien intitulé « Les arguments contre la cession des terres en Afrique aux grands groupes internationaux »

 

Charlotte Libog : « L’entrepreneuriat agricole en Afrique est une opportunité pour tous»

La plateforme AGM – Afrique Grenier du Monde fondée par Charlotte Libog s’attache à promouvoir l’énorme potentiel agricole de l’Afrique qui est, selon elle, un puissant levier pour le développement économique.

Afrique Grenier du Monde

Terangaweb : Pourriez-vous nous décrire brièvement votre parcours et la raison pour laquelle vous avez créé la plateforme AGM?

Charlotte LibogC.L. : Je suis consultante e-business et entrepreneur, mariée et mère de trois enfants. Suite à un parcours chaotique se rapportant à la création d’une structure de production de cultures vivrières au Cameroun il ya deux ans, j’ai décidé de mettre sur pied un outil d’accompagnement dédié à l’entrepreneur agricole en Afrique subsaharienne. C’est pour cette raison que j’ai créé début 2012  la plateforme AGM (Afrique Grenier du Monde) avec le concours d’un collectif de cadres et d’entrepreneurs d’horizons divers. Le but de cette plateforme est d’œuvrer modestement mais efficacement pour la relance de l’agriculture africaine via l’entrepreneuriat.

La plateforme AGM constitue également un outil de promotion du potentiel agricole en Afrique dont l’exploitation efficace permettrait de répondre à divers enjeux liés au développement du continent, mais également de représenter une solution efficace pour la donne alimentaire mondiale. En effet, nous sommes dans un contexte d’insécurité alimentaire avec une offre largement inférieure à la demande et l’Afrique, continent agricole par excellence avec plus de 60 % des terres arables mondiales reste aujourd’hui le seul continent encore importateur net de denrées alimentaires. Il faut absolument inverser cette tendance.

Terangaweb : Le coût des machines, ainsi que celui des intrants et des semences améliorées voire des semences hybrides F1 qui vont de pair avec une utilisation intensive d’intrants chimiques a jusqu’ici été considéré comme le principal obstacle au développement de l’agriculture africaine. Pensez-vous que l'agriculture en Afrique puisse se développer sans l'apport d'énormes investissements?

C.L. : Divers experts en la matière dénoncent le caractère dangereux des semences OGM qui appauvrissent le sol tout en obligeant les agriculteurs à investir massivement dans les produits chimiques coûteux et néfastes à leur santé. C’est la raison pour laquelle nous optons pour la promotion de l’agro-écologie en matière de production.

En Afrique, nous avons intérêt à vulgariser ce concept, tout d’abord parce que les coûts de production sont plus intéressants puisque tout est présent dans l’environnement gratuitement et de façon abondante. Ensuite, c’est un moyen pour tout agriculteur de gagner en productivité. Par ailleurs, c’est l’opportunité donnée aux uns et aux autres d’œuvrer pour la protection de l’environnement. En résumé, on récupère tout, on réutilise tout, on ne jette rien et on devient plus productif. On est gagnant sur toute la ligne.

A l’heure actuelle, bien que  nous en parlions très peu, l’agro-écologie est un concept à développer car le modèle agro-industriel actuel a un impact négatif sur l’environnement. Il est par conséquent impératif d’agir dès maintenant en mettant à disposition du public de l’information, en proposant des sessions de sensibilisation et en soutenant la création d’entreprises sur l’ensemble de la chaîne de valeur (production, logistique, commercialisation, transformation, formation agricole, financement et assurance). En effet, comme je l’ai rappelé tout à l’heure, l’offre alimentaire mondiale est inférieure à la demande. Ceci est d’autant plus urgent en Afrique avec l’importante  croissance démographique sans précédent que connaît le continent.

Terangaweb : L’agro-écologie est effectivement le modèle vers lequel tendent de plus en plus de grandes puissances agricoles telles que le Brésil (qui a condamné la firme Monsanto en 2012)  pour publicité mensongère) et la France. Paradoxalement, on assiste actuellement à la hausse des investissements en Afrique pour l’introduction des semences hybrides et OGM par les principaux industriels de l’agrobusiness, lesquels sont soutenus par certains gouvernements, mais aussi par le programme alimentaire mondial, l’USaid, la fondation Bill et Melinda Gates (cette dernière est actionnaire de Monsanto). Face à toutes ces initiatives, pensez-vous tout de même réussir à promouvoir les pratiques agro-écologiques en Afrique ?

C.L. : Avec de la bonne volonté et l’implication de tous, nous pouvons y arriver. Effectivement, l’Afrique connaît aujourd’hui une croissance réelle et durable et devient le nouvel eldorado des investisseurs peu scrupuleux. Nous n’avons pas le choix, nous devons réagir avec les bonnes manières et faire comprendre à tous que le développement de l’Afrique doit aussi se faire au profit du bien-être des Africains malgré le fait que nous vivons dans un monde capitalistique qui ne cesse de dominer les plus pauvres.

Pour cela, la plateforme AGM a besoin de l’adhésion de tous pour construire les bases du développement de l’entrepreneuriat agricole, œuvrer pour revaloriser l’image de l’entrepreneur agricole et résoudre le problème du chômage des jeunes. Par ailleurs, nous avons déjà commencé à déployer nos activités en Afrique, à travers la plateforme pilote que nous venons de lancer au Cameroun, l’idée étant d’y installer un bureau permanent. Nous commençons par l’Afrique francophone, avec les prochains déploiements prévus très prochainement au Congo et au Mali.

Terangaweb : Une campagne de sensibilisation a débutée en février avec le Cameroun. Quel a été le retour des populations concernées?

C.L. : Cette campagne est en fait le déploiement du dispositif ISAP (Informer, Sensibiliser, Accompagner, Plaider) sur le terrain. Il s’agit principalement de former et de sensibiliser sur l’urgence et la nécessité d’investir dans l’entrepreneuriat agricole. Nous avons deux cibles : les entrepreneurs ruraux parrainés par les coopératives agricoles partenaires de la plateforme AGM d’une part, et des entrepreneurs et porteurs de projets d’autre part. En un mot, nous visons le secteur privé en général afin de l’amener à s’intéresser de plus en plus au domaine agricole.

Dans le cadre de cette première étape, nous avons mis en place des partenariats avec deux coopératives agricoles, une coopérative constituée de femmes et une autre de jeunes. Nous avons pour ambition la mise sur pied d’unités de transformation avec ces coopératives en vue de la commercialisation de leurs produits. La transformation est également une réponse au phénomène de pertes post-récoltes qui représente entre 30 et 40% des produits agricoles au Cameroun. Ce chiffre est bien trop important et il résulte du manque d’infrastructures et des faiblesses structurelles du secteur agricole. A terme, nous souhaitons créer des partenariats étroits avec le secteur privé et créer des passerelles entre le monde rural qui est très difficile à approcher et le secteur privé.

En outre, nous menons des actions de plaidoyer destinées à nos dirigeants pour favoriser les échanges au sein même du continent car il est aberrant de constater que sur le continent africain il est plus facile de commercer avec la Chine qu’avec les pays voisins. Il est temps de mettre en place des politiques sous-régionales et régionales pour faciliter l’entrepreneuriat agricole en Afrique afin de voir enfin émerger l’agriculture africaine.

Les Moissons du Futur de Marie-Monique Robin

 

 

Interview réalisée par Awa Sacko


Pour plus d’informations :

– La Plateforme AGM : www.afriquegrenierdumonde.com

Les Moissons du Futur de Marie-Monique Robin :

http://www.youtube.com/watch?v=RM7XovfFiUM

http://www.arte.tv/fr/les-moissons-du-futur/6815836.html

Lancement de la nouvelle rubrique « Energie & Environnement »

L’Afrique n’est plus à un paradoxe près. Le cas de la Guinée Equatoriale[1] est l’un des plus connus : le revenu par tête y est parmi les plus élevés d’Afrique et – selon les critères pris en compte – du monde, alors même que 3/4 de la population vit en dessous du seuil de pauvreté et que le taux de malnutrition atteint 40%. La manne pétrolière qui alimente cette richesse (78% du PIB) n’a permis ni réduction de la pauvreté, ni véritable création d’emplois (à peine 4% de la main d’œuvre est employée dans le secteur pétrolier).
 
 Energie Eolienne AfriqueSi la situation dans ce pays est certainement un cas extrême de corruption et de mauvaise gouvernance, la Guinée Equatoriale illustre assez bien, néanmoins, deux énigmes et défis du continent à l’heure actuelle : les carences du secteur énergétique en Afrique et l’insuffisante prise en compte des questions environnementales.
 
Il est habituel de traiter ces deux aspects comme étant séparés, sinon antagoniques. L’excuse toute trouvée est généralement une variante de « si l’humanité entière consommait autant d’énergie qu’un américain moyen, il faudrait ‘7 planètes Terre’, etc. » Il faudrait en quelque sorte choisir : ou la croissance de la consommation énergétique ou la protection de l’environnement.
 
Cette dichotomie est fausse, évidemment. La « terre entière » ne peut, ni ne veut être Las Vegas. Il n’est inscrit nulle part qu’il n’est de développement possible que sous la forme énergivore et parfois destructrice, adoptée dans bien des pays développés.
 
Mais ramenée au  cadre de l’Afrique contemporaine, ce choix imposé a de vagues intonations de chantage et de coercition.
 
Bon gré, mal gré l’Afrique devra accroître sa consommation énergétique pour répondre aux défis de la croissance économique et du développement. Tout comme elle en devra gérer les aspects environnementaux. Que des réponses soient apportées ou non à ces défis, l’Afrique devra répondre aux besoins énergétiques liés à sa croissance démographique et à son urbanisation. Elle aura, de la même façon, à développer des réponses innovantes quant à la gestion des déchets (urbains, industriels, médicaux, etc.) engendrés par celles-ci. Que les énergies renouvelables soient considérées ou non comme une priorité en Afrique, que l’idée d’une ceinture verte dans le Sahel soit concrétisée ou non, le fait est que le Sahara n’est pas près de disparaître.
 
On peut être asphyxié de plusieurs façons, par manque d’énergie ou parce que l’air est pollué. Opposer ainsi ces deux urgences (l’énergie et l’environnement) reviendrait à asphyxier l’Afrique : par manque d’imagination et de lucidité.
 
Depuis maintenant plus de deux ans, les analystes Terangaweb-l’Afrique des Idées contribuent à alimenter la réflexion sur les questions énergétiques et environnementales en Afrique, sous tous les angles. Qu’il s’agisse des besoins énergétiques du continent, de l’efficacité de la production[2] et de la consommation énergétique[3] ou  de l’état des infrastructures. Qu’il s’agisse des aspects économiques, politiques[4] ou même géopolitiques[5] de la question. Et cela en tachant de présenter la réalité et la complexité de la situation aussi clairement que possible. Nous avons également œuvré à présenter les réformes[6] en cours et proposé des solutions innovantes[7] et applicables[8] à cette problématique.
 
Ce faisant, nous avons aussi souvent que possible montré à quel point il serait vain de détacher le thème de l’énergie des autres problématiques du continent, et surtout de la question de l’environnement. Même si la déforestation, la pollution, la mise en danger de la faune et de la flore africaines et le changement climatique étaient reléguées au second rang des urgences en Afrique – ce n’est certainement pas la position de Terangaweb-l’Afrique des Idées[9] – le bon sens économique voudrait qu’au moins la question des énergies renouvelables soit abordée avec sérieux[10].
 
Energie et Environnement en AfriqueAujourd’hui, 13 Avril 2013 se tient à Paris un atelier-débat co-organisée par Terangaweb-l’Afrique des Idées et l’agence Global Careers sur le thème : "Energies en Afrique : lumières sur les défis du secteur et les opportunités de carrières" Ce sera l’occasion de présenter les réalités du secteur énergétique en Afrique, les défis qu’il pose et les opportunités qu'il ouvre. Cet évènement marque aussi la reconnaissance grandissante de l’intérêt que nous avons toujours porté à cette question et de l’expertise que nous avons sur ce thème.
 
C’est aussi avec beaucoup de plaisir que nous annonçons le lancement de la nouvelle rubrique « Energie & Environnement » de Terangaweb-l’Afrique des Idées.
 
Nous espérons ainsi consolider le travail réalisé jusqu’ici sur cette thématique et ouvrir de nouvelles pistes de réflexion pour un développement durable et inclusif en Afrique.
 
C’est une nouvelle aventure qui commence ! Nous espérons compter sur votre soutien !
 
 
Djamal Halawa, Véra Kempf, Stéphane Madou & Joël Té-Léssia
 
 
 
* Remerciements à Nacim K. Slimane et Amara Touré pour leurs contributions à la rédaction de ce document.
 


[1] Pour une présentation plus complète de la situation de ce pays, on pourra se reporter à cette étude détaillée de Jacques Leroueil http://terangaweb.com/zoom-sur-un-pays-guinee-equatoriale/
[3] Foly Anounou « La facture énergétique, un frein pour une bonne performance économique de l’Afrique ? » (À venir sur Terangaweb.com)
[5] Alioune Seck, L’Afrique: nouvelle « Arabie » des Etats Unis http://terangaweb.com/lafrique-nouvelle-arabie-des-etats-unis-2eme-partie/
[10] Nacim Kaid Slimane, L’avenir des énergies renouvelables se joue en Afrique http://terangaweb.com/lavenir-des-energies-renouvelables-se-joue-en-afrique/