La Revue de L’Afrique des Idées – numero 2

C’est un réel plaisir pour moi de vous faire parvenir ce deuxième numéro de la Revue de l’Afrique des Idées. Cette publication pluridisciplinaire réunit des analyses menées par nos experts et jeunes chercheurs.

Dans l’édition 2018, retrouvez des propositions concrètes en matière de gestion des déchets, de connectivités physiques dans la CEMAC et d’implication des diasporas dans le développement local au Sénégal et au Cameroun.

Vous pouvez télécharger gratuitement l’intégralité de la Revue en cliquant  ici.

Boris Houenou, économiste
Directeur des publications de l’Afrique des Idées

Au-delà de l’énergie solaire : la méthanisation et sa portée économique en Afrique

La méthanisation est un processus de décomposition des matières perissables par des bactéries permettant de générer une énergie renouvelable appelée, le biogaz. Les composantes du procédé se distinguent en deux types : les effluents liquides et les déchets solides organiques. Sont classés dans les effluents liquides, les eaux résiduaires, les effluents d’élevage, les boues biologiques et les effluents agroalimentaires. Quant aux déchets solides organiques, ils comprennent les déchets industriels, les déchets agricoles (substrats végétaux solides, déjections d’animaux) et les déchets municipaux (journaux, déchets alimentaires textiles, déchets verts, emballages, sous-produits de l’assainissement urbain).  Le passage en revue de ces composantes permet de déduire que la méthanisation est un procédé qui favorisera l’assainissement des villes africaines. Cependant, parallèlement aux gains écologiques évidents, quels sont les avantages économiques que peuvent tirer les pays africains d’un tel procédé ?

 

L’élevage : de l’autonomisation alimentaire à la production énergétique

 

L’Afrique est paradoxalement exportatrice nette de produits d’élevage alors même que sa population est en partie touchée par la malnutrition (Figure 3). En effet,  selon la FAO, une personne sur quatre souffre de sous-alimentation (déficience en calorie) en Afrique Sub-saharienne et  43% de la population, soit près de la moitié, vivent dans l’extrême pauvreté[1]. Certes il faut tenir compte des préférences des consommateurs, mais il faut aussi noter que l’ignorance des avantages de l’élevage par les consommateurs joue un rôle déterminant dans leur choix. Si l’on porte l’analyse sur la consommation, on peut tout simplement estimer que l’élevage permettrait aux ménages, surtout les plus démunis, de faire des économies sur leurs dépenses et de s’assurer dans le même temps une suffisance alimentaire. A cet avantage, peuvent s’ajouter de potentielles retombées issues de la vente des produits d’élevage.

La troisième finalité de l’élevage est celle de l’utilisation des défections des animaux comme composante pour la méthanisation et la production d’énergie, sachant que la production énergétique d’une unité de méthanisation traitant 15000 tonnes/an de déchets permet de garantir l’électricité de 1300 logements[2]. Selon la Banque africaine de développement, plus de 640 millions d’africains n’ont pas accès à l’énergie, soit un taux d’accès supérieur à 40%. L’élevage serait donc un moyen d’assurer à la fois l’auto-suffisante alimentaire en Afrique, l’autonomie financière des ménages et l’autonomie énergétique des zones rurales. Notons également que l’énergie est en elle-même un gage de développement, de création d’emplois et par conséquent, de réduction de la pauvreté.

 

La méthanisation pour une croissance de la production agricole en Afrique

 

Bien que la proportion d’agriculteurs ait baissé au cours du 20ème siècle dans toutes les régions du monde, l’agriculture reste le premier pourvoyeur d’emploi en Afrique, avec 52% de la population, soit plus de la moitié, employés par le secteur agricole[3].  L’agriculture occupe toujours une part très importante dans le PIB[4] des pays africains. Au Tchad et en Sierra Leone, par exemple, le secteur agricole représentait respectivement 52,6% et 54%, soit plus de la moitié, du PIB de chacun deux pays en 2014 (World Development Indicators).

Si la méthanisation permet une production énergétique,  les résidus du processus, appelés « digestat », peuvent être recyclés sous forme d’engrais. Ces engrais permettraient d’augmenter la productivité, ainsi que la production agricole. Notons qu’il ne s’agit pas ici de fonder le développement sur l’agriculture mais de raisonner dans le court terme en partant du postulat que, si le revenu des individus dépend de l’agriculture, alors toute augmentation de la production agricole engendrera une hausse du revenu des agriculteurs, toutes choses égales par ailleurs.  Le processus permettra également aux pouvoirs publics de baisser les coûts liés aux achats et subventions d’engrais et de consacrer les lignes budgétaires dédiées à ces achats à d’autres secteurs tels que l’éducation, la santé et les infrastructures.

 

Recommandations : encourager et assurer le développement de la méthanisation en Afrique

 

Bien que très peu développée, la méthanisation se pratique déjà dans certains pays d’Afrique. En Afrique du Sud, Elgin fruit utilise les pulpes de fruit, extraits du processus de production de jus, pour produire 500 kW d’électricité renouvelable[5]. Au Kenya, l’usine de biogaz de Power tropicale est capable de produire 2,6 MW d’électricité à partir des matières agricoles.  Il existe également des sources naturelles de biogaz en Afrique. Comme exemple, on peut citer la production naturelle du biogaz dans le lac Kivu au Rwanda et en République Démocratique du Congo (RDC).  On note également l’existence de certaines formes de production de biogaz dans des sites miniers d’Afrique du Sud.

Un autre avantage du biogaz est qu’il peut être substitué au gaz naturel, utilisé pour la production de chaleur et de carburant pour véhicules. Pour les pays non pétroliers d’Afrique, la méthanisation permettrait donc de réduire leurs importations de pétrole, ce qui permettrait de faire d’importantes économies.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Hamed Sambo

 

 

Sources


[1]http://www.banquemondiale.org/fr/news/press-release/2015/10/16/africa-gains-in-health-education-but-numbers-of-poor-grow

 

 

[2]http://www.connaissancedesenergies.org/fiche-pedagogique/methanisation

 

 

[3]http://www.momagri.org/FR/chiffres-cles-de-l-agriculture/Avec-pres-de-40%25-de-la-population-active-mondiale-l-agriculture-est-le-premier-pourvoyeur-d-emplois-de-la-planete_1066.html

 

 

[4] Produit Intérieur Brut

 

 

 

[5]https://www.clarke-energy.com/fr/2015/le-potentiel-biogaz-en-afrique/

 

 

TIC et Développement Durable en Afrique

e-governmentTout au long des siècles, les innovations technologiques ont façonné les rapports entre les individus, ainsi que les interactions entre ceux-ci et leur environnement. On pense par exemple à l’imprimerie d’abord pratiquée par les Chinois (depuis le IIème siècle après JC) puis perfectionnée et démocratisée par Gutenberg. Il est dit que l’imprimerie contribua fortement à diffuser la pensée et les idées dès la Renaissance, révolutionnant par ricochet la transmission d’informations et de connaissances entre les individus. L’expansion d’internet dès le début des années 2000 a considérablement modifié nos modes de vie et ouvert la voie à de nouveaux outils et modèles de communication.  A travers ces nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC), le monde est devenu un « village planétaire » : la mondialisation, disait-on ! En révolutionnant nos environnements, nos cadres de vie, nos systèmes d’apprentissage, nos déplacements, nos schémas de réflexion, bref notre quotidien, les TIC ont remanié de fond en comble nos sociétés. Au cœur des transformations de ces dernières, les innovations technologiques apportent des réponses à des problèmes sociaux, économiques et environnementaux. Constat encore plus marqué dans les pays africains : le boom des télécommunications y a créé des conditions idéales pour le développement d’application et de logiciels locaux.

 L’exemple le plus marquant est celui de la téléphonie mobile en Afrique subsaharienne. Le téléphone portable y est actuellement le 1er moyen d’accès à internet. Selon une étude publiée en 2013 par l’Association Mondiale des Opérateurs Télécom (GSMA), le nombre d’abonnés mobile dans cette région du monde a progressé de 18% par an entre 2007 et 2012[1]. En Afrique, la plupart des téléphones portables vendus sont des smartphones sous Androïd, un système d’exploitation pour lequel il est très facile de créer des applications/logiciels mobile. Ceux-ci permettent de créer des synergies entre différents secteurs et contribuent à l’innovation sociale (e-santé, e-learning, etc.), économique (mobile Banking, e-commerce…), environnementale (consommation d’électricité, gestion des déchets urbains etc.)

D’abord cantonnées à un usage privé, les TIC sont aujourd’hui plébiscitées dans la sphère formelle et institutionnalisée: elles sont appréhendées tels de véritables outils de développement, de croissance socio-économique pour des populations en quête d’émergence. Ces innovations technologiques, impactent inégalement les PIB des différentes pays africains : selon une étude du Mc Kinsey Global Institute (MGI) rendue publique en novembre 2015, internet contribue à 3,3% au PIB du Sénégal, 2,9% pour le Kenya, 2,3% pour le Maroc et 1,4% pour l’Afrique du Sud.[2]

Il n’est donc pas surprenant que les TIC soient directement mentionnées dans 4 des 17 Objectifs de Développement Durable (ODD) adoptés par l’ONU en septembre 2015. En tant que catalyseurs pour l’éducation, l’égalité homme-femme[3] ou moteur de la construction d'infrastructures résilientes pour une industrialisation durable[4] qui profite à tous, il est largement reconnu que les TIC jouent un rôle fondamental dans l’émergence de l’Afrique. Cet article revient sur le rôle que les TIC peuvent jouer dans l’émergence de l’Afrique ainsi que la manière dont elles participeront à la croissance inclusive sur le continent. 

 

  1. Les TIC comme catalyseurs de développement en Afrique

Tout l’intérêt des TIC en Afrique repose sur leurs usages et les services qu’elles permettent de développer : elles ne sont plus seulement utilisées comme de simples supports de communication (privée ou professionnelle)  mais plutôt comme de véritables instruments à des fins de développement socioéconomique. Le recours aux TIC dans le continent est passé d’un « usage de loisirs » à une « utilisation thérapeutique » : elles apportent des solutions aux besoins de base des populations : éducation, santé, transports, alimentation, accès à l’énergie et à l’eau potable etc.[5] Pourtant ce ne fut pas toujours le cas ; pendant très longtemps les « TIC-Sceptiques » ont vu l’émergence de ces nouveaux moyens de communication comme l’arbre qui cache la forêt ; un miroir aux alouettes qui détournait l’attention des « vrais » problèmes de l’Afrique : la famine,  la malnutrition, l’analphabétisme, l’illettrisme, les épidémies et pandémies, les guerres, les catastrophes naturelles et toute autre calamité collée à la représentation que certains se faisaient ( se font encore !) du continent. Ne dit-on pas que le temps est meilleur juge ? A ce propos, le temps a donné raison aux « TIC-Optimistes ». En effet depuis une dizaine d’années pléthores d’applications mobiles, développées par des start-up innovantes ont prouvé que les TIC ne sont pas superflues, bien au contraire qu’elles sont une des solutions pour résoudre  ces « vrais » problèmes auxquels les pays africains font face.

Pour les plus connues, elles s’appellent Obami en Afrique du Sud (plateforme-web de cours et vidéo éducatives gratuits),  Gifted Mom au Cameroun (santé de la femme enceinte et des nourrissons), M-Pesa au Kenya (paiement mobile), Jumia (e-commerce), W Afate au Togo (imprimante 3D à base de déchets électroniques),  M-Louma au Sénégal (bourse agricole en ligne). Toutes initiatives audacieuses illustrent le rôle incontournable que jouent les TIC dans la lutte contre la pauvreté, l’accès de tous à une éducation de qualité, l’accès aux soins de santé. Comme l’a souligné Alain François LOUKOU[6]  « les TIC ne constituent pas un problème totalement découplé des autres problèmes de développement. Elles sont plutôt en interaction avec eux». De plus l’usage des TIC à travers le développement d’applications mobile revêt une dimension de responsabilité intergénérationnelle, très peu mise en avant dans l’analyse de l’émergence des TIC en Afrique. En effet, en développant une application comme Gifted Mom, ou Obami, les créateurs répondent non seulement à des besoins actuels mais aussi anticipent des besoins futurs des générations suivantes : accès aux soins de santé,   accès à l’éducation etc.

En ce sens les TIC sont bel et bien des instruments qui permettront d’atteindre les Objectifs du Développement Durable tels que définis par les Nations Unies. On peut ainsi paraphraser la définition du Développement Durable en disant que les TIC sont des technologies qui permettent de répondre aux besoins des générations actuelles et à ceux des générations futures.

 

  1. Les TIC comme instruments de croissance inclusive

Il est indéniable que les Technologies de l’Information et de la Communication contribuent à booster le développement pour le continent africain. Il est révolu le temps où on voyait les TIC comme un luxe pour l’Afrique (en proie à de lourds retards structurels et infrastructurels). Aujourd’hui grâce aux TIC de nombreux entrepreneurs africains proposent  à leurs compatriotes des solutions locales aux problèmes locaux.  Mieux, certaines initiatives visent même une portée internationale : on parle de Glocalisation développer des solutions locales qui peuvent aussi bien s’étendre bien au-delà du marché national (notamment au sein de pays partageant des difficultés identiques). C’est le cas notamment des applications de transferts d’argent par mobile dans des sociétés où très peu de particuliers disposent de compte bancaire classique, mais possèdent 2 voire 3 téléphones portables. Aujourd’hui la réflexion ne porte plus sur l’utilité avérée des TIC pour le développement de l’Afrique. La question fondamentale est désormais comment les TIC peuvent-ils contribuer efficacement à la croissance durable et inclusive des pays africains ?

Face à ces bénéfices mentionnés ci-dessus, les gouvernants, les acteurs économiques mettent à pied d’œuvre des stratégies de promotion des TIC via l’émergence de l’économie numérique. Selon The Australian Bureau of Statistics,  l'économie numérique peut être définit comme l’ensemble des activités économiques et sociales génératrices de revenus qui sont activées par des plateformes telles que les réseaux Internet, mobiles et de capteurs, y compris le commerce électronique. Cette nouvelle catégorie d’économie regroupe le secteur des TIC, les secteurs utilisateurs et les secteurs à fort contenu numérique, ces derniers ne pourraient exister sans ces technologies. Le caractère multidimensionnel des innovations technologiques en font un vecteur non négligeable de croissance, de productivité et de compétitivité dans certains divers secteurs comme l’agriculture, la finance, l’accès à l’énergie, la consommation de bien et services etc.

Mais pour que les TIC deviennent de véritables leviers de croissance (inclusive donc qui profitent à tous), les ressources nécessaires doivent être mobilisées.

  1. Le rôle des Etats

En commençant par une offre éducative et de formation en adéquation avec les besoins du marché de l’emploi. Très peu de structures éducatives proposent des enseignements à l’utilisation des TIC ; très peu d’écoles primaires, de collèges, de lycées en Afrique disposent d’ordinateurs pour l’enseignement de l’informatique. Rares sont les établissements qui proposent des cours ou ateliers d’initiation à internet. L’apprentissage se fait intégralement dans le circuit informel (auprès des amis, de la famille ou dans les cyber café).  Inutile de préciser les dérives que ce manque d’encadrement engendre (utilisation détournée des outils de communication à des fins peu éthiques).  Beaucoup d’apprenants sont des autodidactes ou au mieux ont suivi des enseignements dans des structures d’apprentissage et d’initiation aux TIC[7]. Ces formations arrivent trop tard dans l’offre de formation éducative quand elles n’en sont pas à la marge.  Le secteur de l’économie numérique est un secteur porteur dont les besoins en compétences seront très forts dans l’avenir. Pour ce faire, l’Afrique a besoin de former les futurs codeurs, ingénieurs, développeurs et ne pas s’enfermer dans un état de léthargie qui en fera un désert de compétences.

Par ailleurs du côté des administrations publiques, pendant longtemps celles-ci n’avaient pas investi la sphère digitale ; depuis quelque temps, on note une digitalisation des  structures gouvernementales (site web, compte sur les réseaux sociaux, numéro d’accès via application mobile etc.). Ceci dénote une mobilisation par le geste des pouvoirs publics qui comprennent progressivement l’intérêt des TIC dans la gestion quotidienne des services. La mise en place d’une administration dématérialisée permettrait aux Etats d’être plus performants et mieux servir les citoyens.

  1. Le rôle des entreprises

Rappelons que pour une croissance inclusive des pays Africains, les entreprisses  sur le continent ont également un  rôle primordial à jouer.

Aujourd’hui encore, l’accès à internet s’avère coûteux pour beaucoup de particuliers. L’offre tarifaire (très vaste pour que chaque consommateur trouve chaussure à son pied) reste souvent très élevée pour une consommation en permanence. Il n’est donc pas rare que certains n’aient pas accès à internet pendant plusieurs jours car leur forfait est épuisé. Il faudra alors recharger son téléphone pour avoir internet.  L’accès à internet est certes en hausse mais il est encore insuffisant pour combler la fracture numérique Nord/Sud et atténuer les disparités intrarégionales (zones rurales, péri urbaines et urbaines). Les coûts d’accès élevés sont un corollaire de la faiblesse des infrastructures et de la faible connectivité intracontinentale[8]. La réduction des tarifs des « abonnements » internet est un prérequis majeur pour que l’accès à internet en continu ne soit plus un luxe pour certains.

Pour cela, les entreprises de télécommunication en collaboration avec les Etats et les investisseurs doivent travailler à améliorer les infrastructures de télécommunications. Dans le cadre de leur Responsabilité Sociétale (RSE) ces entreprises gagneraient à déployer des réseaux de télécommunication plus performants et plus modernes : la vétusté des équipements et le faible taux d’électrification du continent sont les principaux handicaps qui affectent la qualité de service des opérateurs.

Le manque de capitaux dans le secteur des télécommunications peut  être résolu par la mise en place de garanties à savoir un climat des affaires plus sain et responsable. Conjointement avec les  Etats,  les entreprises doivent lutter conte la corruption et les pratiques déloyales. C’est ainsi que les pays africains sauront attirer de nouveaux investisseurs, pour palier le faible renouvellement des équipements et l’obsolescence des infrastructures. Les difficultés issues de la vétusté des équipements résultent aussi des défaillances dans la maintenance des infrastructures. Les insuffisances constatées s’expliquent également par l‘absence de ressources humaines hautement qualifiées. Toujours dans le cadre de leur RSE, les entreprises peuvent favoriser le renforcement  de compétences, de capacités en nouant des partenariats avec des centres de formations, afin que ceux-ci forment les apprenants aux métiers dont ont réellement besoin les entreprises. Une fois de plus l’éducation et l’offre de formation se trouvent au cœur de l’impact des TIC sur le développement des pays africains.

Mentionnons avant de clore cet article un élément peu traité dans la réflexion sur les TIC en Afrique : la gestion des déchets électriques et électroniques (DEE). Dans un contexte où la communication entre 2 opérateurs concurrents coûte excessivement chers, les consommateurs ont pris l’habitude d’avoir plusieurs téléphones (un pour chaque opérateur) ou un téléphone à 2 ou 3 puces. A cela s’ajoutent les tablettes et ordinateurs (portable ou fixe). Si on considère que chaque individu change de téléphone portable tous les 18-24 mois, tout cela représente une tonne de déchets non ou mal recyclés. Un certain nombre de précaution (par exemple porter des équipements de protection) sont à prendre dans le traitement de ces déchets.  En effet tous ces appareils sont composés d’éléments toxiques pour la santé des personnes et l’environnement s’ils ne sont pas correctement recyclés. En l’absence de réglementations, le marché du recyclage et de la revalorisation des DEE est principalement informel donc sujet à de graves manquement dans le respect des mesures de sécurité.  Dans le cadre de la RSE, les entreprises de télécommunication seront appelées à trouver des solutions à la gestion des « e-déchets ». Ces derniers, s’ils sont négligés entraineraient de graves dommages de santé aux recycleurs (cancers, problèmes respiratoires), et d’importants dommages environnementaux (pollution des nappes phréatiques et des sols à proximité des centres sauvages de tri et recyclage)[9].

 

Les TIC sont effectivement des instruments au service du développement durable de l’Afrique mais en poussant la réflexion plus loin, on peut affirmer qu’avec un certain nombre de prérequis remplis, les TIC peuvent être des catalyseurs de la croissance soutenable et inclusive des pays africains. Nous avons énuméré quelques points d’amélioration à l’égard des Etats et des entreprises en tant que principaux acteurs du développement du continent ; sans toutefois nier l’importance de la société civile dans cette marche vers l’émergence. Les TIC sont aujourd’hui un maillon fort de l’économie de beaucoup de pays africains dont la contribution d’internet pourrait atteindre 5 à 6% du PIB des pays africains d’ici 2025. Ce qui montre que le secteur est hautement dynamique. À cela, il faut ajouter un secteur informel dont les données par essence « informelles » échappent à toutes statistiques officielles.  Le secteur informel génère des  milliers (voire des millions) de petits emplois et des revenus substantiels aux personnes de tous âges et de tous sexes qui l’exercent partout où les réseaux sont disponibles.

Pour confirmer ces faits, il serait nécessaire que soient mis en place de solides indicateurs d’appréciation de l’impact réel des TIC sur le développement des sociétés africaines. Pour cela deux pistes : d’une part quantifier la part de l’économie numérique aux PIB des pays africains (à travers par exemple le nombre d’emplois décents et pérennes crées dans les secteurs liés aux TIC.). On parle d’approche comptable car elles s’expriment uniquement en termes financiers ou création d’emplois. D’autre part quantifier le manque à gagner des pays africains en cas de « privation » des TIC ; on évaluerait ainsi les conséquences organisationnelles sur les entreprises, les particuliers, les administrations de  la non utilisation des TIC.

 

Rafaela ESSAMBA


[3] 5.b  Renforcer l’utilisation des technologies clefs, en particulier l’informatique et les communications, pour promouvoir l’autonomisation des femmes

[4] 9.c  Accroître nettement l’accès aux technologies de l’information et de la communication et faire en sorte que tous les habitants des pays les moins avancés aient accès à Internet à un coût abordable d’ici à 2020

[5] Besoins qu’on peut assimiler aux 2 premières bases de la pyramide de Maslow à savoir les besoins physiologiques et ceux de sécurité/protection

[6] Alain François Loukou, « Les TIC au service du développement en Afrique : simple slogan, illusion ou réalité ? »

[7] Signe d’un fort engouement pour l’économie numérique et les TIC, des espaces d’innovation digitale (hub, pépinières, espace de co-travail, incubateurs..) voient de plus en plus le jour en Afrique.

[8] La plupart des pays africains utilisent la largeur de bande passante internationale pour un partage de données au  niveau local ; opération extrêmement chère.

Que savons-nous sur l’économie verte en Afrique ?

Synthèse de nos publications sur le thème du forum green business

couverture 8A partir de la définition donnée par le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE), l’économie verte se caractérise par des activités de production et de consommation impliquant un faible taux d’émission de carbone, l’utilisation rationnelle des ressources et l’inclusion sociale. Pour adapter cette définition très générale au contexte africain, (Kempf 2014) a réalisé une quinzaine d’entretiens auprès d’entrepreneurs locaux au Congo Brazzaville. Ces entrepreneurs sont actifs dans les domaines de la transformation agro-alimentaire, de la gestion des déchets, de l’eau et de la santé.

De ces entretiens, il ressort que les entreprises « vertes » cherchent à mettre en avant des circuits courts de commercialisation (CCC) et des modes de production plus intégrés. Comme le montre l’analyse de (Libog, Lemogo, and Halawa 2013), l’adoption et la vulgarisation des CCC permettrait à coup sûr une réelle revalorisation de la production locale et la rendrait plus compétitive avec l’augmentation des revenus des petits producteurs, une meilleure productivité, l’émergence d’une agriculture respectueuse de l’environnement et le développement des économies régionales et sous-régionales.

Lorsqu’on considère les activités menées par les entrepreneurs « verts », nos analyses montrent qu’il existe de réelles opportunités à saisir dans l’émergence de l’économie verte en Afrique ; en particulier dans l’agriculture biologique et la gestion des déchets.

En effet, selon l’analyse de (Houngbonon 2014), l’Afrique dispose d’énormes atouts dans la production des produits d’agriculture biologique compte tenu de la qualité de ses terres agricoles et de leur disponibilité. Plus spécifiquement, le faible développement de l’agriculture intensive en Afrique implique une faible utilisation des pesticides, ce qui rend les terres agricoles africaines plus appropriées à l’agriculture biologique. De plus, le continent dispose encore d’énormes superficies de terres agricoles non encore exploitées. Par exemple, en 2010, seulement 40% des terres agricoles en Afrique sont cultivées ; cette proportion chute à 25% en Afrique Centrale. Se basant sur ces atouts, il recommande de former les paysans africains à l’agro-écologie et de mettre en place des normes de certification équivalentes aux standards européens et américains.

Dans ces conditions, l’agriculture biologique pourra nourrir l’Afrique à sa faim selon (Morghad 2012). A partir d’une expérience menée en Ethiopie et citée dans une étude de l’Institut du Développement Durable, l’auteure explique comment l’agriculture biologique a permis d’améliorer les rendements agricoles dans une région souffrant de sécheresse et de la désertification. Toutefois, ce rôle clé de l’agriculture biologique risque d’être compromis par les accords de partenariats économiques en cours de signature par la plupart des pays d’Afrique sub-saharienne comme l’a souligné (Halawa 2014)  dans un article sur le sujet. En effet, à partir des résultats de plusieurs études, il relève l’impact négatif que peuvent avoir ces accords sur la diversification des économies africaines et en particulier sur l’agriculture biologique.

Ainsi, la promotion de l’agriculture biologique requiert une réponse globale alliant à la fois l’accès au financement, la formation des agriculteurs, la mise en place des normes de certification et la négociation d’accord commerciaux qui placent l’agriculture biologique au cœur de ses préoccupations.

Quant à la gestion des déchets, (Kempf 2012) se base sur un rapport de la Banque Mondiale qui montre qu’en 2005, l’Afrique ne représentait que 5% de la production mondiale de déchets. Plus de la moitié (57%) de sa production est constituée de déchets organiques, donc valorisables sans trop de difficultés. Bien entendu, la part de l’Afrique dans la production mondiale de déchets est amenée à augmenter avec la croissance économique et démographique ; il en va de même pour la composition des déchets qui deviendra plus complexe. Cette évolution transforme les déchets en  formidable opportunité d’affaires pour les entrepreneurs souhaitant s’engager dans l’économie verte. Cependant, à partir d’entretiens réalisés auprès d’entrepreneurs du secteur, (Kempf 2013) rapporte que la faible structuration de la filière des déchets, et en particulier le peu d’opportunités de valorisation, demeurent l’une des principales difficultés pour relever le défi des déchets africains.

De même, (Madou 2014) montre qu’à Abidjan, la gestion des déchets souffre d’un manque d’efficacité dans l’organisation du secteur. Typiquement, la persistance du secteur informel, le manque de matériel adapté et de formation du personnel, la gestion des décharges publiques sont à l’origine de cette absence d’efficacité. Un développement de l’activité de gestion des déchets passera donc par la revalorisation du service auprès des ménages, le recyclage des déchets, la formation du personnel et une plus forte implication de l’Etat dans l’organisation du secteur, en particulier dans la gestion des décharges publiques. Les PME restent cependant des acteurs clés pour le développement du secteur et son efficacité.

L’émergence d’une économie verte ne saurait enfin se faire sans un accès à l’énergie pour tous, en particulier en milieu rural. Cela est d’autant plus crucial lorsqu’on sait que plus 95% de la population rurale n’a pas accès à l’énergie dans plusieurs pays africains, comme le Bénin, Madagascar, le Niger et la Zambie,  alors même que le développement d’activités nécessitant de l’énergie telles que l’agriculture biologique auraient un très fort impact en milieu rural. La principale raison identifiée par le Club des agences et structures en charge de l’électrification rurale est la difficulté d’accès au financement. Comme l’a souligné (Sinsin 2014), celle-ci est liée à la faible densité de la population dans les zones rurales qui ne favorise pas la rentabilité d’une extension du réseau électrique dans ces zones. A partir de projets tels que l’Expérience EDF, le GERES au Bénin et UpEnergy en Ouganda, Africa Express recommande une formation professionnelle adaptée et une sensibilisation des populations à l’échelle locale, une promotion des énergies locales décentralisées sur toute la filière à l’échelle régionale et enfin une mise en place de législation appropriée à l’échelle nationale pour inciter le secteur privé à investir dans les énergies renouvelables.

En définitive, l’économie verte peut être considérée comme une application concrète, pratique et viable du volet économique du développement durable. Elle présente d’énormes atouts pour l’Afrique et en particulier pour l’Afrique Centrale,  que ce soit dans le domaine de l’agriculture biologique ou de la gestion des déchets. Elle a besoin d’être soutenue par un accès accru aux énergies renouvelables.

Nous en savons actuellement trop peu sur les politiques les plus efficaces à mettre en place pour soutenir l’émergence d’une économie verte en Afrique. Sur ce sujet, L’Afrique des Idées souhaite engager des études plus approfondies pour accompagner les décideurs publics à identifier les réponses les plus appropriées à l’émergence d’une économie verte en Afrique, et en particulier en Afrique Centrale.

 

Georges-Vivien HOUNGBONON

Références :

Halawa, Djamal. 2014. “Quels sont les enjeux des APE pour l’agriculture et l’industrialisation?” L’Afrique Des Idées.

Houngbonon, Georges Vivien. 2014. “L’Afrique peut-elle bénéficier de L’agriculture biologique ?” L’Afrique Des Idées.

Kempf, Véra. 2012. “Comment l’Afrique gère-t-elle ses déchets?” L’Afrique Des Idées.

———. 2013. “Comment mettre en valeur les déchets au Congo?” L’Afrique Des Idées.

———. 2014. “Economie Verte, de quoi parle-t-on ?” L’Afrique Des Idées.

Libog, Charlotte, Jerry Lemogo, and Djamal Halawa. 2013. “Les Circuits Courts de Commercialisation.” L’Afrique Des Idées.

Madou, Stéphane. 2014. “Comment gère-t-on les déchets domestiques à Abidjan?” L’Afrique Des Idées.

Morghad, Leïla. 2012. “L’agriculture biologique permettra-t-elle de nourrir l’Afrique à sa faim?” L’Afrique Des Idées.

Sinsin, Leonide Michael. 2014. “Quels financements pour l’accès à l’énergie en milieu rural?” L’Afrique Des Idées.

Comment gère-t-on les déchets domestiques à Abidjan?

D’emblée, il est important de relever que la gestion des déchets domestiques à Abidjan a toujours été à la charge des pouvoirs publics (l’Etat de 1960 à 1980 puis la Ville d’Abidjan et maintenant le District d’Abidjan) dans la mesure où ils ont toujours été le maitre d’œuvre de celle-ci. L’analyse de la gestion du secteur montre que 2 grands systèmes l’ont marqué : un système avec monopole et un système sans monopole[i]. Chacun de ses systèmes a connu des évolutions, tant législatives qu’institutionnelles. Ainsi la gestion de ce service public a connu quatre grandes périodes depuis l’indépendance de la Cote d'Ivoire :

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Decharge d’ordures d’Akouedo

  • de 1960 à 1980 : système de privatisation avec monopole, géré par l’Etat ;
  • de 1980 à 1999 : système de privatisation avec monopole, géré par la Mairie Centrale d’Abidjan ;
  • de 2003 à 2007 : système de privatisation sans monopole, géré par le District et les Communes ;
  • depuis 2008 : système de privatisation sans monopole, géré par l’Agence Nationale de la Salubrité Urbaine (ANASUR).

De ces différentes périodes, il ressort que ce service public a toujours été privatisé (excepté pendant la très courte période allant de Janvier 1992 à Août 1992, période de transition).

L’organisation institutionnelle découlant de l’application des textes législatifs et réglementaires fait intervenir 2 types d’acteurs : les acteurs politico-administratifs et les acteurs techniques.

Les acteurs politico-administratifs sont :

  • les collectivités territoriales ;
  • le Ministère de tutelle technique ;
  • le Ministère de l’Intérieur ;
  • la Direction et Contrôle des Grands Travaux (DCGTx), et le Bureau National d’Etudes Techniques et de Développement (BNETD) par la suite ont aidé les collectivités territoriales à superviser la gestion des ordures ménagères.

Les tâches dévolues à ces 4 entités sont aujourd’hui du ressort de l’ANASUR.

  • le Ministère de l’Economie et des Finances ;

Les acteurs techniques qui interviennent dans la gestion des déchets ménagers ont évolué au fil du temps.

De 1960 à 1999, dans le système de privatisation avec monopole, la SITAF (1960 à 1992) puis ASH International (1992 à 1999) assurait la collecte, le nettoyage des voies principales et la mise en décharge. Cette collecte était réalisée soit par le porte-à-porte à l’aide de camions-tasseurs, soit à l’aide de conteneurs placés dans les lieux publics tels que les écoles et les marchés. Les déchets, une fois collectés, sont acheminés vers une station de transfert puis transportés vers la décharge. Toutes ces opérations, de 1960 à 1999 étaient réalisées par les entreprises prestataires (SITAF puis ASH International).

Il est important de noter qu’après la résiliation du contrat de SITAF avec la Ville d’Abidjan, il est revenu à cette dernière d’assurer la gestion des déchets domestiques de la ville entre Janvier 1992 à Août 1992.

A partir de 1999, avec le système de privatisation sans monopole, plusieurs entreprises, en plus de ASH International, ont fait leur apparition dans le système de gestion des déchets ménagers. Ces entreprises assurent chacune sur un territoire défini par les autorités, la pré-collecte, la collecte, le transport des déchets jusqu’à la décharge.

Au-delà des entreprises du secteur formel, un important secteur informel s’est développé autour du système de gestion des déchets domestiques à Abidjan, depuis la défaillance de la SITAF, avec l’apparition des pré-collecteurs. Ils récupèrent les déchets domestiques en faisant du porte à porte et les acheminent à l’aide de brouettes ou de pousse-pousse vers les centres de groupage et de transfert.

Le système de gestion des déchets domestiques est caractérisé principalement par la production moyenne journalière qui s’élevait en 2009 à environ 3500t[ii], soit environ 0.95kg/habitant/jour (en supposant qu’Abidjan a 3.692.570[iii] habitants).

Il est important de noter que le budget alloué par la Ville d’Abidjan en 2000 pour la gestion des déchets est d’environ 3 milliards de francs CFA. Aussi la décharge d’Akouédo,  la plus grande d’Abidjan ouverte en 1965[iv] pour une période initiale de 25 à 30 ans, reçoit entre 2 000et 2 500 tonnes  de déchets par jour.

Cette belle architecture organisationnelle souffre, à l’évidence, d’un manque d’efficacité, vu les tas d’immondices qui jonchent les rues de la « Perle des Lagunes ». Sans un diagnostic plus approfondi, il n’est pas raisonnable de pointer le doigt vers tel ou tel acteur du système. Néanmoins il faut souligner que :

  • le caractère informel de l’activité et le manque de formation des pré-collecteurs sont souvent à la base de dépôts anarchiques dans la ville d’Abidjan,
  • les entreprises qui ont la charge de la collecte et du transport de ces déchets ne possèdent pas toujours les matériels adaptés et le personnel qualifié,
  • le contrôle des différents acteurs du système par les pouvoirs publics n’est pas toujours efficient
  • la décharge d’Akouédo, principale décharge du pays est saturée depuis belle lurette.

Il importe donc, au vu du niveau du budget alloué par les pouvoirs publics au secteur, que tous les acteurs du système de gestion des déchets domestiques réfléchissent à une organisation qui puissent garantir une plus grande efficacité de ce service public et à une valorisation (pourquoi pas énergétique) de ces déchets.

 

Stéphane Madou

 


[i] Source : «  Gestion des ordures ménagères d’Abidjan : Diagnostic », Mémoire de fin d’étude de Monsieur N’Guettia Kouakou Yves.

 

 

[iii] Données du Recensement Général de la Population et de l’Habitat de 1998

 

 

[iv] « La politique de gestion de l’environnement dans les capitales africaines : le cas de la ville d’Abidjan en Côte d’Ivoire » de G. Touré page 94

 

 

 

 

 

 

Les déchets : Une spécialisation pas comme les autres

Véra Kempf poursuit ses analyses sur la gestion des déchets. Cet article est le resultat d'échanges avec un acteur du domaine.

Urbain Anselme Nkounkou a plusieurs casquettes. Vous le croiserez peut-être dans les rues de Clichy où il est adjoint au Directeur des Services de la Ville, dans les couloirs de l'Université du Mans où il enseigne depuis 1998, ou même encore à Pointe-Noire où ce brazzavillois passe quelques semaines par an auprès des étudiants de l'Ecole Supérieure Technique du littoral. Au cœur de toutes ses activités : les déchets, sous toutes leurs formes et tout au long de leur cycle de vie. Voici quelques éléments de discussion avec un homme qui se dit « tombé dans les poubelles très jeune » !

Un parcours terre-à-terre en France

Urbain Nkounkou est chimiste de formation. Commençant par étudier les comportements des sols, il finit par s'intéresser aux déchets comme l'un des composants qui, comme les organismes vivants, modifient l'écosystème. Au-delà des externalités négatives qu'ils génèrent en s'accumulant (pollution des sols, dépôts chimiques, etc), les déchets ont aussi souvent été utilisés en France pour réhabiliter des espaces, par exemple transformer des anciennes carrières en décharges municipales.

Pour sa thèse, Urbain Nkounkou planche sur la « Gestion des déchets en Ile de France : corrélations entre les lieux, l'espace habité et la composition des ordures ménagères ». Sujet dont on pourrait penser qu'il a facilement été traité à partir de statistiques, bien confortablement derrière un bureau. Bien au contraire, et parce qu'il a appris que pour appréhender un problème, il faut le côtoyer, le jeune Urbain s'est livré à une analyse de terrain microscopique des déchets générés par des communes de 5 000, 8 000, 15 000, 22 000, 50 000 et enfin 90 000 habitants. Type d'habitat, catégorie socio-professionnelle, structure du foyer : tout s'explique dans une poubelle. A contrario, « donnez-moi votre poubelle, je vous dirai qui vous êtes » dit-il en souriant !

Une compétence déployée en Afrique

Dans le cadre d'une coopération décentralisée entre la ville de Clichy et la commune de Ouakam au Sénégal, Urbain Nkounkou a eu l’occasion de transposer son savoir-faire au continent africain.

CIMG1003L'objet de sa mission était alors de planifier un système de pré-collecte des déchets, qui soit performant et adapté au terrain. Il a ainsi arpenté toutes les rues et ruelles de la ville afin d’établir une base de données sur le type d'habitat, les voies accessibles en camion ou avec une brouette, la présence de caniveaux ou de décharges sauvages, etc. Pour envisager le type et la quantité de déchets générés, ce sont les élus municipaux qui ont servi de cobayes. Avec son expérience au Sénégal, Urbain Nkounkou confirme l'enquête de la Banque Mondiale[1] : pour des raisons culturelles et d'habitudes alimentaires, la majorité des déchets générés par les ménages africains sont organiques, et par là biodégradables.

Les recommandations tirées de son enquête n'ont malheureusement pu aller bien plus loin. La collecte des déchets ménagers de Ouakam incombe en réalité à l'agglomération de Dakar. Si celle-ci s’est révélée défaillante, Ouakam ne peut changer seule la situation des déchets sur son territoire sans moyens supplémentaires. Des initiatives privées se sont alors organisées pour pallier ce manquement et assurer la salubrité du quartier. Lors de précédents articles, j'ai pu souligner à quel point je suis persuadée que le secteur privé a un rôle essentiel à jouer dans le secteur des déchets en Afrique, et qu'il peut y trouver son compte. Urbain Nkounkou pense pour sa part que sans Etat fort, rien ne sera possible à long-terme. Un cadre règlementaire pour la collecte des déchets existe bien souvent dans les pays africains, mais le principe de « celui qui a l'argent dans la rue décide si le camion poubelle passe» empêche son application.

En attendant, Urbain Nkounkou finit par reconnaître qu’il est possible de faire avancer la cause des déchets à court-terme, par des actions de sensibilisation et d’appui… au secteur privé !

Deux clés pour une gestion efficace des déchets

Conscientiser les populations. Pour ce faire, la ville de Clichy poursuit son action à Ouakam avec un budget de 630 000€ sur trois ans. Au programme, sensibiliser les habitants aux conséquences sanitaires de l'accumulation des déchets (maladies hydriques, moustiques, etc). Urbain Nkounkou a identifié les personnes ressources, les sages et les « écoutés », ceux qui pourront se faire les relais de cette information. Les femmes et les écoles occupent un rôle tout particulièrement important dans cette stratégie.

Valoriser. Un déchet ne pourra être valorisé localement en Afrique que s'il connaît déjà un débouché. Urbain Nkounkou est convaincu que la marche à suivre consiste à professionnaliser et à structurer les filières existantes, autrement dit valoriser le savoir-faire local et s’adapter aux réalités du terrain. En Afrique centrale par exemple, la ferraille, le bois, la sciure sont bien valorisés à petite échelle. Ils pourraient donc être à l’origine de projets de plus grande envergure. Suivant cette logique, il ne nous reste qu'à imaginer un système d'avantages comparatifs dans la revalorisation !

Les déchets ne sont pas seulement un gisement d'opportunités, une source de richesse incroyable, ils sont pour Urbain Nkounkou une véritable mine d'or ! A exploiter au plus vite, avant que  cet or ne  vienne plomber le développement.

 

Véra Kempf

 

 

 

 

 

 


[1]    Daniel Hoornweg and Perinaz Bhada-Tata, March 2012, No. 15, Urban development Series, commenté dans l'article Poubelles d'Afrique, http://terangaweb.com/poubelles-dafrique/

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les déchets : gisement d’opportunités économiques au Congo

Cet article continue la série d'analyses développées par Vera Kempf sur la gestion des déchets et l'environnement en République du Congo. 

 

Le thème des déchets fait rarement la une, à tort. Réinventer du neuf avec du vieux, voilà une expérience innovante. C’est aussi le cœur de l’économie verte, ce nouveau concept dont le Congo Brazzaville a fait son fer de lance en matière de développement.

plastique Congo

Le Congo vise le statut de pays émergent d’ici 2025, et malgré ses 4 millions d’habitants, il observe aujourd’hui une croissance démographique rapide. Par conséquent, un niveau de vie en hausse et des habitudes de consommation plus polluantes sont à prévoir dans les prochaines décennies. A terme, une quantité de déchets plus importante va être générée.

Le gouvernement congolais, par le décret n° 2011 – 485 du 20 juillet 2011 [PDF], a interdit l’usage de sacs plastiques pour des biens de consommation, notamment alimentaires. Difficile aujourd’hui d’évaluer l’impact de cette loi, ses effets rebonds ou ses corollaires. Elle démontre cependant une prise de conscience des pouvoirs publics pour la question des déchets.

Entreprendre dans les déchets

Le manque de stratégie et de moyens publics en matière de déchets, ainsi que l’importance du travail à réaliser, ouvrent des opportunités réelles pour le secteur privé. Emergent ainsi à Pointe-Noire plusieurs PME bien décidées à s’emparer du marché. Parmi elles, nous avons rencontré SURYA et Healthy Environment. Deux exemples d’une application concrète de l’économie verte au Congo et une mise en avant des éléments qui freinent encore son développement.

Sans être philanthropiques, ces deux entreprises ont été créées avec le but affirmé de participer à l’amélioration des conditions de vie des populations. Elles ont un impact direct et observable sur la création d’emplois et sur la salubrité des quartiers dans lesquels elles opèrent.

Créer des emplois verts décents, voilà une des convictions du Bureau International du Travail (BIT) à propos de l’économie verte[1]. Un emploi stable, un salaire régulier, une profession valorisée, des conditions de travail sécurisées, et dans de nombreux pays africains, cela va de pair avec la sortie de l’informel. Les éboueurs informels sont encore nombreux dans les rues de Pointe-Noire, ils ont disparu des rues de Nkayi où la mairie a externalisé la gestion des déchets pour la confier à SURYA. En revanche, ce sont  190 emplois de créés à Nkayi et 90 à Pointe-Noire, pour ces seules deux entreprises actives sur le marché depuis deux ans et avec une parité hommes-femmes presque atteinte (48% – 52%). Après une période d’essai, les employés sont embauchés en contrat à durée déterminée renouvelable. Les éboueurs portent des tenues de travail adaptées à leur activité et reçoivent un salaire chaque mois, versé par un organisme de micro-finance.

Les difficultés du secteur

Patience et endurance sont nécessaires pour gagner la confiance des ménages qui s’en remettent souvent au secteur informel, pour démarcher des clients et collecter l’argent auprès des particuliers. Chaque entreprise a sa méthode de facturation : à la quantité, à la fréquence de collecte, à la distance… Même largement subventionnée comme à Nkayi, la contribution de 240 Fcfa demandée est parfois difficile à percevoir à la fin du mois. A cela se rajoutent les coûts élevés pour obtenir l’agrément étatique, et ceux de dépôts à la décharge municipale. A Pointe-Noire, pour 3m3 d’ordures les entreprises payent 3 500 Fcfa. Malgré ces difficultés de trésorerie et les coûts annexes, SURYA enregistrait en 2012 une progression de 21% de son chiffre d’affaires par rapport à 2011. Le green business est là, sous nos yeux.

Aller au-delà de la collecte

On ne change pas les mentalités en signant un contrat de service avec un ménage. Les immondices qui jonchent les rues ne rentrent pas dans les compétences des entreprises, elles constituent donc encore un risque important d’insalubrité dans les quartiers. Si l’on en croit cependant l’exemple de Nkayi après deux ans d’activité de SURYA, les décharges à ciel ouvert disparaitront avec le temps et le professionnalisme des entreprises, qui sensibilisent autant qu’elles assainissent.

L’implication du secteur privé dans les déchets permet une efficacité dans la collecte, premier maillon de la chaîne de gestion des ordures. Perdure la question du traitement et du stockage, que ces petites PME n’ont pas encore les moyens de prendre en charge. Enfouis dans les décharges municipales, ou incinérés, les déchets ne sont ni recyclés ni valorisés en dehors du secteur informel. Les entreprises le savent, et parlent d’avoir leur propre zone de stockage comme d’un objectif à atteindre à moyen terme, quand elles pourront vivre décemment de leur activité de collecte.

Pour rentrer complètement dans l’économie verte, les entreprises du secteur doivent encore relever l’enjeu de la valorisation. Pour cela, les financements demeurent essentiels. Un Fonds pour l’Economie verte en Afrique centrale devrait voir le jour sous peu. Espérons qu’il répondra à leur demande, ou que les mairies sauront inventer des partenariats dynamiques et exigeants pour le développement urbain.

Poubelles d’Afrique

Parler des poubelles est d’une banalité sans nom et sans intérêt en Europe, en tout cas en France. Le bruit du camion à poubelles est pour beaucoup de citadins l’unique dérangement causé par nos ordures. En Afrique, les déchets vous sautent aux yeux dès la première ruelle. Avec le temps, ils finissent par faire partie du décor. Les villes africaines doivent se doter dans les prochaines années d’une véritable stratégie de gestion des déchets, pour amorcer un pas de géant vers l’amélioration des conditions de vie de leurs populations.

Les déchets en Afrique

Je me souviens d’une citation glissée dans les papillotes de Noël qui m’amusait beaucoup: « tout le monde veut sauver la planète, mais personne ne veut descendre la poubelle ». Sortir la poubelle. Ce geste, ancré dans le quotidien en Europe, est le préalable d’une longue chaîne de collecte, tri et recyclage. Un maillon primordial pour que nos rues soient propres et nos enfants en bonne santé. Dans des villes comme Paris, le réseau des égouts et le ramassage des ordures ont été mis en place après des épidémies meurtrières de choléra au XIXème siècle. L’Afrique a une croissance prospère, et la possibilité de bénéficier d’expertises du monde entier dans la gestion des déchets. Pour l’Afrique aussi, le développement durable et équitable commence par se pencher sur les poubelles.

A Pointe-Noire, au Congo, accepter de sortir la poubelle est une chose. Trouver l’endroit où la jeter en est une autre. Les tas d’immondices jonchant les rues indiquent où les gens déversent leurs ordures : partout, en dehors de leur parcelle, au gré des opportunités. Des bacs à ordures collectifs, il y en a. Mais cachés, éloignés, et vite saturés. En matière de déchets, le Congo et beaucoup d’autres pays d’Afrique jouent à la politique de l’autruche. Ils se voilent la face et déplacent le problème de la parcelle à la décharge municipale. Après, rien. Les entreprises reprennent le flambeau de ce service public délaissé par les pouvoirs locaux. Elles triment à organiser la récolte et ne sont pas assez structurées pour organiser la valorisation. Un portrait de ces nouveaux business, dans un article à venir.

Dans ce premier article sur les déchets, commençons par le commencement. Parlons concrètement de la composition des poubelles africaines et de la participation de l’Afrique sub-saharienne à la quantité mondiale de production de déchets. Les données en la matière sont bien entendu difficiles à obtenir. Le rapport de la Banque Mondiale, WHAT A WASTE – A Global Review of Solid Waste Management[1], offre une comparaison des situations et des pratiques sur les différents continents. Les chiffres des pays africains datent de plusieurs années, mais les grandes tendances sont présentées. Un maître mot : anticiper. Anticiper la croissance économique, démographique et urbaine, en particulier ses conséquences sur la production de déchets (industriels, ménagers, etc).

La part de l’Afrique dans la production totale de déchets

Cela est dit et répété, le continent africain est celui qui pollue le moins. Il existe une très forte corrélation entre le niveau d’émission de gaz à effet de serre et la quantité de déchets produite. L’Afrique émet encore peu de déchets, en comparaison avec les autres parties du monde.

Le graphique ci-dessous détaille la contribution des différentes parties du monde à la production mondiale de déchets. Avec ses 5%, l’Afrique sub-saharienne a de quoi se réjouir.

waste by region

Source : Banque Mondiale

Les villes contribuant significativement plus à la production nationale de déchets, l’urbanisation croissante des métropoles africaines sera un facteur déterminant dans la génération future de déchets par le continent africain.

Au lieu d’imaginer avec horreur un monticule d’ordures grandissant, voyons les agglomérations africaines comme de fabuleux laboratoires pour expérimenter et innover dans la gestion des déchets.

Qu’y a-t-il dans les poubelles africaines ?

Ce deuxième graphe permet d’identifier rapidement les plus grandes composantes des déchets en Afrique. Les déchets organiques constituent la part la plus importante des déchets émis dans les villes africaines, et dans les pays à faible revenu en général.

type of waste

Source : Banque Mondiale

A courte vue, cela laisse espérer une amélioration aisée et rapide de la chaîne de gestion des ordures. Mieux organisée, la filière pourrait se concentrer rapidement sur ces déchets biodégradables, valorisables sans trop de difficulté. Il s’agit sans conteste d’une nécessité.

N’oublions cependant pas les tendances qui lient la croissance économique et démographique à la production de déchets solides. Comme l’expliquent très bien les auteurs de la publication Banque Mondiale, plus les ménages s’enrichissent, plus les biens consommés sont complexes et utilisent de papier, de métal et de plastique. La part des déchets organiques dans la production totale de déchets des pays de l’OCDE tombe relativement à 27% et celle des déchets papiers augmente à 32%. Les pays africains, compte tenue de la croissance économique en cours ou à venir, doivent donc avoir une approche globale de la gestion des déchets. Réfléchir à la gestion des déchets non-organiques s’impose dans une perspective de pays émergents en devenir.

Investir dans la gestion des déchets = investir dans le développement

Sans conteste, la question des déchets s’inscrit parmi les plus grands défis à relever par les pays africains. Comme dans de nombreux domaines, les technologies actuellement disponibles permettent de déployer rapidement des initiatives innovantes en la matière. Valorisation, recyclage, transformation, les débouchés économiques sont certains. La création de nouveaux emplois et l’amélioration des conditions sanitaires dans les villes permettent d’envisager les déchets comme une nouvelle source de richesse, et un axe central du développement de l’économie verte dans les pays africains.

[1] Daniel Hoornweg and Perinaz Bhada-Tata, March 2012, No. 15, Urban development Series