Le secteur privé, maillon fort de l’intégration économique du Maroc en Afrique

Les deux chefs d Etat, Mohammed VI et Macky Sall, président le lancement du Groupe d impulsion economique entre le Maroc et le Senegal, le 25 mai 2015.
Le Maroc « est déjà le deuxième investisseur du Continent, mais pour peu de temps encore, avec sa volonté affichée de devenir le premier » déclarait le Roi Mohammed VI dans son Message au 27ème Sommet de l’Union Africaine à Kigali, le 18 juillet 2016. En effet, plus d’1,5 milliard de dollars ont été investis par les entreprises marocaines entre 2003 et 2013 en Afrique de l’Ouest et Centrale, soit la moitié des investissements directs étrangers du Maroc réalisés ces dernières années.

Dès le début des années 2000, plusieurs entreprises marocaines privées sont allées s’installer en Afrique, couvrant un ensemble diversifié de secteurs. A titre d’illustration, l’implantation de filiales bancaires de la Banque Centrale Populaire, de BMCE Bank of Africa et d’Attijariwafa Bank dans une quinzaine de pays africains. Le holding d’assurance Saham est également présent dans une vingtaine de pays du continent, depuis le rachat de l’opérateur nigérian Continental Reinsurance en 2015. Dans les télécommunications, Maroc Télécom a renforcé son emprise dans le continent avec le rachat de 6 filiales africaines de son actionnaire émirati Etisalat. En outre, plusieurs holdings comme Ynna Holding et la Société Nationale d’Investissement (SNI), à travers sa filiale minière Managem interviennent en Afrique. Dans le secteur immobilier, Alliances Développement Immobilier a signé des accords de partenariat avec les gouvernements camerounais et ivoirien pour la construction de milliers de logements sociaux, Palmeraie Développement a lancé des projets de construction au Gabon, en Côte d’Ivoire et récemment au Rwanda. Le Groupe Addoha a également jeté son dévolu sur le continent via ces deux entreprises : Addoha et Ciments de l’Afrique (CIMAF), motivé par les importants investissements en infrastructures (autoroutes, ponts, ports, logements sociaux, universités, etc). Rejoint depuis peu par LafargeHolcim Maroc Afrique (LMHA), filiale détenue à parts égales par le cimentier LafargeHolcim et le holding royal SNI.

Ainsi, le secteur privé joue un rôle primordial dans l’intégration économique régionale. La mobilisation des investissements privés y est essentielle pour la création d’emploi, l’amélioration de la productivité et l’augmentation des exportations. L’intégration économique maroco-africaine dessinée par le Roi Mohammed VI appelle les opérateurs nationaux à partager leurs expériences et à raffermir leurs relations de partenariat avec les pays africains. Le secteur privé marocain aura alors pour rôle de transférer ses connaissances, tout en exploitant le potentiel de production, contribuant ainsi à l’amélioration de sa compétitivité à l’échelle internationale. Pour sa part, le commerce interrégional offre une occasion de dynamiser les échanges commerciaux – encore faibles – et de réduire le déficit structurel de la balance commerciale marocaine. Le potentiel économique étant important. La CEDEAO (Communauté des Etats de l’Afrique de l’ouest) et la CEMAC (Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale) comptent plus de 300 millions de consommateurs, soit un marché 9 fois supérieur à la population marocaine.

Rôle des Groupements d’impulsion économique dans le renforcement des relations économiques bilatérales

A chaque déplacement officiel de Mohammed VI, le Maroc conclut avec les autres pays africains des accords préférentiels prévoyant des facilités douanières et des avantages fiscaux afin de promouvoir les échanges commerciaux et développer les investissements intra-africains. Aujourd’hui, les relations économiques entre le Royaume et les autres pays africains sont régies par un cadre juridique de plus de 500 accords de coopération.

Ceci est tellement important que le Roi Mohammed VI a invité le Gouvernement – lors de la 1ère Conférence des ambassadeurs organisé en août 2013 – à œuvrer en coordination et en concertation avec les différents acteurs économiques des secteur public et privé en vue de saisir les opportunités d’investissements dans les pays à fortes potentialités économiques. Ainsi, les derniers périples royaux ont été marqués par la mise en place de Groupes d’impulsion économique (GIE) entre le Maroc et le Sénégal, d’une part, et le Maroc et la Côte d’Ivoire, d’autre part. Ces instruments, co-présidés par les ministres des Affaires étrangères et les présidents des patronats de chaque pays, visent à promouvoir le partenariat entre les secteurs privés et à booster les échanges commerciaux ainsi que les investissements[1].

Avec une population de près de 22 millions d’habitants, la Côte d’Ivoire est la 1ère économie de l’UEMOA (Union économique et monétaire ouest africaine) et est également la 2e puissance économique de la CEDEAO. Et les opportunités d’investissements n’y manquent pas : l’industrie, les infrastructures et BTP, les mines, énergies, etc. Le Sénégal n’est d’ailleurs pas en reste. Il existe de nombreuses raisons qui encouragent les investissements dans le pays tels que la stabilité politique, l’ouverture économique et la modernité des infrastructures. La protection des investisseurs marocains est également assurée grâce notamment aux accords de promotion et de protection réciproque des investissements et des accords de non double imposition. Le protocole d’accord relatif à la création d’une joint-venture entre le groupe marocain « La Voie Express » et la société sénégalaise « Tex Courrier » signé le 9 novembre 2015 lors de la cérémonie de présentation des travaux du GIE maroco-sénégalais – présidé par le Roi Mohammed VI et le Président Macky Sall – témoigne à juste titre du rôle moteur joué par cet instrument pour la dynamisation du partenariat privé-privé[2].

Par ailleurs, les échanges entre le Royaume et le continent africain ont connu une nette augmentation durant la dernière décennie. Sur la période 2004-2014, les échanges globaux du Maroc avec le continent ont quadruplé, passant de 1 milliard de dollars à 4,4 milliards de dollars. L’étude ‘‘Structure des échanges entre le Maroc et l’Afrique : Une analyse de la spécialisation du commerce’’ réalisée par OCP Policy Center en juillet 2016 montre que l’Afrique de l’ouest reste la 1ère destination des exportations marocaines[3]. Cette région a notamment accueilli environ 50,08% de ces exportations en 2014, soit l’équivalent de 1,04 milliard de dollars[4]. Toutefois, l’analyse de la structure des exportations fait ressortir que les exportations marocaines vers le continent sont dominées par les biens intensifs en matières premières et ressources naturelles[5]. Un fort potentiel reste encore à développer pour dynamiser davantage les exportations marocaines. La Direction des études et des prévisions financières (DEPF), rattachée au Ministère de l’Economie et des Finances marocain, soulignait dans son étude ‘‘Relations Maroc-Afrique : l’ambition d’une nouvelle frontière’’ que « les entreprises marocaines, ciblant le marché africain, devraient privilégier une stratégie de pénétration basée sur des considérations de coûts à partir de choix sectoriels ciblés en fonction de l’évolution des besoins actuels et surtout futurs des populations africaines, l’essor démographique, la montée des classes moyennes et l’urbanisation rampante du continent sont autant de facteurs à prendre en considération pour anticiper la configuration ascendante de ces économies en voie d’émergence ». Dans ce sens, les entreprises exportatrices marocaines ont intérêt à anticiper les dynamiques de transformations économiques, sociales et culturelles qui se profilent à l’horizon en Afrique subsaharienne en mettant en place des stratégies d’adaptation afin de capter une part de marché supérieure et combler leur retard sur cette région dynamique.

L’action économique au cœur de la stratégie d’intégration du Maroc en Afrique

L'intégration économique est aussi importante pour le Maroc que pour le continent. La récente tournée royale effectuée au Rwanda, Tanzanie, Sénégal, Ethiopie, Madagascar et Nigéria a vocation à la renforcer. L’Afrique de l’est est la région africaine la plus dynamique. Et le potentiel économique y est encore inexploité. Ainsi, afin que le Maroc puisse renforcer davantage sa présence sur le continent africain, il convient d’explorer un certain nombre de pistes. Tout d’abord, encourager l'internationalisation des entreprises marocaines et leur investissement en terre africaine en mettant à leur disposition une véritable base de données sur les spécificités et le potentiel de chaque économie. Ensuite, favoriser les flux d’exportations vers les pays africains. Les acteurs publics et privés sont tous les deux concernés par la promotion des produits marocains. La nouvelle Agence marocaine de développement des investissements et des exportations mais également l’ASMEX (Association marocaine des exportateurs) devront conduire des missions commerciales dans différents gisements africains et offrir aux entreprises nationales l’accompagnement nécessaire pour développer leurs exportations et/ou réaliser leur projet de développement sur le continent. Enfin, renforcer l’intégration commerciale avec les différents pays africains. Le marché de consommation est en train de se constituer avec l’émergence d’une classe moyenne davantage tournée vers les produits manufacturés et à forte valeur ajoutée. La négociation de partenariats avancés avec la CEDEAO et la CEMAC incluant la mise en place de zones de libre-échange, constitue à son tour une porte d’entrée idéale sur ce grand marché de plus de 300 millions d’âmes.

A l'ère de la mondialisation et de la concurrence internationale acharnée, la projection accrue des économies émergentes sur le continent africain est empreinte de rivalités : Chine, Inde, France, Japon ou encore l’Allemagne, tous ont dévoilé leurs ambitions africaines. Face à ce contexte international, la diplomatie marocaine se veut plus ambitieuse et agressive. Le Roi Mohammed VI déclarait à l’ouverture du Forum Maroco-Ivoirien du 24 février 2014 : « les relations diplomatiques sont au cœur de nos interactions. Mais, à la faveur des mutations profondes que connaît le monde, leurs mécanismes, leur portée ainsi que leur place même dans l'architecture des relations internationales, sont appelés à s'adapter aux nouvelles réalités. » Dans ce sillage, le Maroc gagnerait à organiser un sommet d’affaires maroco-africain. Ce dernier s’inscrirait dans la continuité de l’Africa Action Summit et porterait sur le potentiel de développement économique du continent. Le Sommet réunirait, ensemble, les gouvernements et entreprises, les secteurs public et privé, autour du développement économique, social, et humain de l’Afrique. L’enjeu étant de réaffirmer la stratégie d’influence du Maroc sur le continent.

Hamza Alami


[1] Les groupements d’impulsion économiques comprennent 10 secteurs d’activités identifiés comme prioritaires : il s’agit des commissions Banque-finances-assurance, agri-business-pêche, immobilier-infrastructures, tourisme, énergie-énergie renouvelables, transport-logistique, industrie-distribution, économie numérique, économie sociale et solidaire-artisanat, capital humain-formation et entreprenariat

[2] Christophe Sidiguitiebe, Quatre nouveaux accords signés entre le Maroc et le Sénégal, Telquel.ma, le 10.11.2016 : www.telquel.ma/2016/11/10/quatre-nouveaux-accords-signes-maroc-senegal_1523082

[3] Quatre des cinq principaux partenaires commerciaux africains (Algérie, Mauritanie, Sénégal, Côte d’Ivoire et Nigéria) font partie de l’Afrique de l’ouest.

[4] En ce qui concerne les importations, le poids de l’Afrique du nord a constitué la source de près de la totalité des importations marocaines, avec une part de 82% en 2014 contre 53% en 2004, en important principalement du gaz naturel, du gaz manufacturé, du pétrole et produits dérivés.

[5] Les exportations marocaines sont constituées essentiellement de produits alimentaires et animaux vivants (25%), les machines et matériels de transport (18,5%), les produits chimiques et produits connexes (18,1%), les articles manufacturés (15,9%) et les combustibles minéraux, lubrifiants et produits connexes (11,7%).

Les fintech en Afrique : des outils à géométrie variable favorisant l’inclusion financière

Mina habite à Sahuyé, à 70kms d’Abidjan. Depuis 2008, elle a un compte mobile money qui lui sert à envoyer de l’argent à sa tante à Ouagadougou et à se constituer une petite cagnotte chaque mois. Avec près de 100 millions d’autres personnes[1], Mina a désormais ainsi accès à des services financiers de base dont elle était auparavant exclue. Quel est le degré d’inclusion offert par les fintech sur le continent ? Permettent-ils effectivement d’offrir des services financiers à tous, du Cap à Alger en passant par Dinga en République Centrafricaine ou Gondere en Ethiopie ?

Si les fintech ne représentent pas une solution unique et globale pour l’Afrique – il serait réducteur de le croire – ils apportent néanmoins des réponses pertinentes à des défis quotidiens ainsi que des innovations qui bouleversent l’écosystème financier mondial.

La percée singulière des fintech en Afrique 

L’Afrique se positionne comme une terre nouvelle pour les services financiers. L’Afrique est l’un, sinon le seul continent à avoir adopté directement des services financiers virtuels, sans passer ni par la case départ des agences en dur ni par la téléphonie fixe à grande échelle[2].

Cette singularité s’explique par un accès peu propice à l’offre financière classique. Les services formels sont fournis par des agences concentrées en zone urbaine[3] – tandis que la population rurale représente 2/3 de la population africaine – et pratiquant des taux d’intérêt et de commissions élevées – autour de 10,07% en moyenne dans la zone UEMOA par exemple[4]. Le recours à des moyens peu onéreux de technologie financière se comprend alors facilement.

Ce recours a ainsi favorisé une plus grande inclusion financière en faisant accéder un grand nombre de personnes à des personnes exclues des services financiers de base. Alors que le nombre de personnes non bancarisées est de 66% en Afrique[5] – avec toutefois des différences notables entre les pays – le recours aux fintech change la donne avec 12% d’Africains ayant accès à des services financiers via des fintechs[6].

Toutefois, il est clair que le mobile money est une solution parmi d’autres proposées pour résoudre le problème. On trouve ainsi le paiement par mobile (mobile money), le transfert d’argent, les services bancaires et les opérations d’investissement et de gestion de fortune, etc. Cette diversité est à comprendre au regard de celle des marchés africains, de leur maturité et de leurs besoins. Si certaines options – en particulier le mobile money – sont effectivement fructueuses ici, elles ne font guère de sens là, où une option plus ou moins sophistiquée sera plus indiquée.

En outre, le profil de certains pays facilite le déploiement d’une solution, où ailleurs elle ne répondrait que partiellement ou pas du tout à réduire le manque d’accès aux services financiers. Ainsi, le succès de M’Pesa au Kenya, basé sur la proposition d’une solution créée par une demande du marché, n’a pas abouti en Tanzanie et au Nigeria. Ces échecs sont liés à la diversité des écosystèmes, soulignant la nécessité d’adopter une approche plurielle pour penser l’inclusion financière.

Les défis à surmonter pour faire des fintechs de réelles solutions d’inclusion financière

Le mobile money représente aujourd’hui la plate-forme la plus développée et aboutie en matière d’inclusion financière en Afrique, en se positionnant comme une porte d’entrée à une variété de services pour ses usagers. Cependant, de nombreuses problématiques doivent être résolues pour offrir véritablement un accès inclusif, c’est-à-dire des services financiers accessibles en tous, y compris aux personnes « en bas de la pyramide ».

En effet, fintech ou pas, le défi d’inclusion financière des personnes dites « au bas de la pyramide » reste aigu. Cette population, qui vit en-dessous du seuil de pauvreté, effectue des opérations qui ne dépassent pas les 2 dollars par jour. Or, le modèle de l’agent dans le système de mobile banking, dont le revenu est assuré à 100% par les transactions, requiert un certain montant total pour être rentable. Avec l’hypothèse d’opérations à 1 dollar, pour un agent dont le coût mensuel est compris entre 150 et 200 dollars, en prenant un pourcentage par transaction, l’agent devrait enregistrer un montant de 20 000 dollars pour arriver au point mort, ce qui fait 2 transactions par minute, 8 heures par jour, 7/7…

En outre, les chiffres fanfaronnant sur la pénétration du mobile en Afrique ne doivent pas masquer certaines réalités. Des pays africains ont des taux d’usagers mobile inférieurs à 30% – sur 100 personnes, seules 30 au Burundi et 6 en Erythrée utilisent un téléphone portable[7]. Cette carence existe aussi en matière de données numériques. Pour l’entreprise en telco Tigo, seuls 20% de ses clients à travers le continent utilisent des données. Ainsi, si des services financiers de plus en plus innovants se multiplient, l’accès au service de base n’est pas encore assuré sur tout le continent.

D’autres défis restent à surmonter pour accroitre la couverture des fintechs et leur accessibilité à tous tels que l’interopérabilité, qui entrave le transfert d’argent domestique et international, et les efforts en matière de sensibilisation et d’éducation financière. Alors que le Rwanda peut être cité comme un exemple en matière de pédagogie financière, d’autres pays comme le Nigeria ne promeuvent pas une culture des technologies financières. Ainsi, le Gouvernement rwandais a soutenu la mise en place de plates-formes numériques pour les services de base (Irembo) : paiement des factures d’électricité, procédures administratives, etc. A l’inverse, l’économie nigériane est principalement basée sur la liquidité avec des agents de rue – appelés esusu ou ajo – opérant informellement des opérations courantes. 

Le potentiel des fintech offre une ambition visionnaire pour l’Afrique

Si ces limites doivent être résolues, des avancées majeures en matière d’inclusion financière ont été permises par le développement des fintechs en Afrique. Cependant, l’inclusion financière ne se limite pas aux paiements. Cette « innovation frugale » déploie toute une gamme de services financiers rendus accessibles au plus grand nombre.

Parmi les services proposés, on trouve bien sûr des services bancaires classiques, offrant la possibilité aux personnes exclues du système bancaire de contracter des prêts (comme avec Aire ou Kreditech), des services d’assurance et micro assurance, d’investissement, de paiement et de transferts en ligne. Des startups comme Afrimarket, Azim ou Mergims facilitent le transfert d’argent et de biens à des taux réduits et en toute sécurité ; WeCashup et Dopay offrent la possibilité de payer en ligne et/ou de recevoir son salaire de manière électronique, sans risque de corruption et d’insécurité.

En outre, ces services accroissent non seulement l’inclusion financière mais également sociale avec des produits facilitant l’accès à des services de base dans la santé et l’éducation. Par exemple, la fintech sénégalaise Bouquet Santé s’appuie sur la diaspora pour résoudre certains manques du système de santé national. 

Ces initiatives sont portées par un ensemble d’éléments facilitant le déploiement de solutions numériques. Premièrement, la simplicité de la technologie la plus couramment utilisée, l’USSD, ainsi que le dynamisme de ce secteur qui propose constamment des innovations améliorant cette technologie et des applications nouvelles. Deuxièmement, le bas coût des mobiles, qui favorise une pénétration facile et croissante. Troisièmement, la capacité à mettre en place un réseau de distribution étendu, même en zone rurale, avec un système d’agents pour le mobile money. Enfin, la tendance croissante des acteurs à saisir cette opportunité et à développer des partenariats (entre les opérateurs, les banques, les coopératives, les institutions de micro finance) et faciliter l’extension de leurs services avec un effort en formation et sensibilisation.

Jusqu’à présent, les résultats enregistrés par les fintech pour accroitre l’accès aux services financiers sont nombreux. Aujourd’hui, plus de 80% du continent est couvert par des services d’argent mobile[8]. Au Kenya, le taux de bancarisation a augmenté de 58% depuis 2007, année de lancement de la licorne nationale M’Pesa[9]. Il est indéniable que l’accès aux services de base s’est renforcé sur le continent avec 15,4% de la valeur totale des transactions de 2014 revenant aux paiements de factures et de transactions marchandes[10].

L’accès et la participation étendus au système financier ne sont pas une fin en soi mais un moyen. Ils offrent des bénéfices directs et indirects majeurs. Au sein du système, ils permettent d'abaisser le coût des virements de fonds transfrontaliers et celui de l’offre des services financiers de 80-90%, permettant ainsi à des sociétés de proposer leurs services à des clients à faible revenu tout en assurant leur rentabilité. Pour les usagers, ils diminuent l’insécurité liée au fait d’avoir de l’argent liquide sur soi et offrent la possibilité de lisser leur consommation, de gérer les risques de chocs financiers en se constituant une épargne et, petit à petit, d'investir dans l'éducation et la santé. Pour les entreprises ayant un accès facilité au crédit – en créant des historiques de crédit – de croitre et de créer des emplois.

Ces avantages ne sont les pas derniers, car les fintech sont un arbre en plein épanouissement. L’interopérabilité et l’ouverture croissantes, favorisées par l’intégration africaine, donnent des perspectives réjouissantes. Au-delà du mobile money, le bitcoin et les blockchain sont des chantiers en développement en Afrique – certains y voyant même le berceau d’une révolution : « Révolution Impala ». Le blockchain, qui permet d’établir des historiques de crédit, de conforter et/ou créer une identité financière basique, pourrait peut-être même être le prochain levier innovant d’inclusion financière, faisant de l’Afrique une pionnière au niveau mondial.

En conclusion, la possibilité d’offrir un accès le plus large possible aux services financiers implique de proposer des solutions adaptées à la variété de besoins existant sur le continent, en adoptant même une perspective locale – ce qui est vrai dans la capitale ne l’est plus au village. Il est donc crucial de ne pas croire en un modèle unique capable de résoudre les défis de l’Afrique comme une entité homogène. Enfin, l’enjeu clef est de maintenir la vitalité entrepreneuriale observée jusqu’à présent dans l’offre des fintech.

Pauline Deschryver 

 

 


[1] Banque mobile en Afrique sub-saharienne : 251 millions de clients potentiels d’ici 2019, BCG, 2015

 

[2] En 2015, 24 652 adultes sur 100 000 possèdent un compte mobile en Afrique Sub Saharienne, contre 3 485 en Asie du Sud ou 416 en Europe. (Source : Banque Mondiale et Groupe Spécial Mobile Association)

 

[3] On trouve 3,2 agences pour 100 000 habitants, Etude du cabinet Roland Berger

 

[4] Source : Banque Centre de l’Union Economique Ouest Africaine

 

[5] Données Banque mondiale 2015

 

[6] Idem

 

[7] Données Banque Mondiale

 

[8]Un Agency for Information and Communication Technology

 

[9] Source : Commission des communications au Kenya

 

[10] Données : GSM Association

 

Le capital-investissement acclimaté à l’Afrique: un modèle en construction

capitalMalgré les taux de croissance élevés de la dernière décennie, le volume des investissements en Afrique est resté modeste comparé aux autres régions du monde. Le continent ne représente que 6.5% des transactions du capital-investissement sur les marchés émergents contre 78% pour les pays émergents d’Asie (1).  Une situation qui résulte de la stratégie des sociétés de capital-investissement ; ces dernières investissent principalement dans les entreprises à forte capitalisation. Les grandes entreprises des secteurs du pétrole, des mines, de la banque, des télécommunications sont privilégiées au détriment des PME, certes peu structurées, mais représentant l’essentiel du tissu économique des pays. La moyenne des tickets d’investissement est d’environ 10 millions de dollars -hors Afrique du Nord- (2) ; des montants que très peu de sociétés ont la capacité d’absorber. Il se pose ainsi la nécessité de repenser le modèle actuel du capital-investissement dans un contexte où, les performances des entreprises des marchés cibles sont affectées par la baisse des cours des matières premières, réduisant davantage les opportunités d’investissement.

 

Le développement de compétences entrepreneuriales : La solution face à l’effet paradigme

L’effet paradigme résulte des divergences entre les méthodes de gouvernance d’entreprise appliquées par les fonds d’investissements et celles souvent moins orthodoxes des PME africaines. Ce qui constitue un frein au développement du capital-investissement.

Il convient de présenter l’entreprise comme un système composé d’éléments en interaction permanente. Envisager une entreprise en tant que système revient à la considérer comme un ensemble organisé composé de différentes fonctions, individus, ayant tous des objectifs, pouvant être contradictoires. C’est cette contrariété en termes d’objectifs qui oblige le manager à adopter un modèle de gestion moderne afin de concilier les buts et assurer une croissance maitrisée. L’entreprise moderne met en place des procédures, établie des organigrammes, définit les responsabilités et les délégations de pouvoirs puis assigne les rôles aux individus. En Afrique, les PME ou les entreprises en début d’activité communément appelées  start-ups,  sont caractérisées par la concentration du pouvoir entre les mains du chef d’entreprise, qui n’est généralement pas prêt à le partager. Une autre caractéristique de ces entreprises est qu’elles sont pour la plupart familiales. On entreprend en famille. Des facteurs socioculturels peuvent expliquer cet état de fait. L’esprit communautaire, le sentiment d’appartenance à un groupe social, souvent  le village, est particulièrement présent dans les sociétés africaines. Zady Kessi, écrivain et Président du Conseil économique et social de Côte d'Ivoire,  disait dans Culture africaine et gestion de l’entreprise moderne (1998), que « L’esprit communautaire constitue la clef de voûte de l’édifice social africain ».

La mise en place d’un système de développement de compétences entrepreneuriales et d’apprentissage de bonnes pratiques, intégrant cette caractéristique indissociable à la culture de « l’entreprise africaine », qu’est l’esprit communautaire, trouve ainsi sens. Pour ce faire, le modèle des incubateurs est une piste. En effet les incubateurs, en plus d’être des lieux d’apprentissage, sont des lieux de socialisation. On apprend à se connaitre, à partager, à collaborer. Le lien de famille n’est plus le seul moteur de collaboration, donc de productivité. Pour l’investisseur, il permet de diffuser les meilleures pratiques en matière de gestion d’entreprise, mais aussi d’aligner ses intérêts avec ceux de l’entrepreneur ou du dirigeant de la PME dans l’optique de favoriser l’entrée au capital et le partenariat à long terme. Le développement du numérique accélère la transition vers ce nouveau modèle. De plus en plus de centres d’innovations se créent sous l’impulsion d’institutionnels et d’investisseurs. Au Ghana, le  « MEST » est un précurseur. Il a été créé en 2008 grâce au soutien de Meltwater, une multinationale spécialisée dans l’analyse de données en ligne. On le voit plus récemment  au Sénégal avec Cofina start-up House l’incubateur du groupe COFINA, une institution de financement. Cette approche qui semble se développer davantage en faveur des start-ups n’est pas exclusive aux entreprises en démarrage. Le capital humain étant le principal accélérateur de croissance ; les dirigeants des PME dans une démarche participative, au cours de périodes d’incubation ou de « camps de formation » organisés au sein de ces lieux, pourraient être invités à travailler ensemble hors du cadre familial. Le changement de génération à la tête des PME facilite la mise en œuvre de tels programmes. Ces moments seraient des occasions pour faire connaitre les règles du financement, en l’occurrence du capital-investissement, et faire apprendre l’orthodoxie en matière de gouvernance d’entreprise ; favorisant ainsi l’entrée au capital des PME.

 

Promouvoir des équipes locales et une nouvelle stratégie de levée de fonds

La particularité de la plupart des fonds d’investissement  intervenant en Afrique est de disposer d’équipes à très hauts potentiels. Ceci entraine des coûts de gestion élevés; ces dernières ayant des niveaux de rémunération identiques ou proches des standards occidentaux. Des équipes qui souvent, ne résident pas dans les pays où s’opèrent leurs investissements. Pour  J-M. Severino, Président d’I&P -un fonds d’investissement dédié aux PME africaines-, « avec les structures de coûts que doivent supporter les professionnels opérant depuis Londres, Paris ou Dubaï, il est quasiment impossible d’imaginer être rentable en investissant seulement 500 000 euros ou 1 million par opération». Une contrainte qui justifie le fait que ces fonds préfèrent participer à des transactions de plusieurs millions. Pour permettre aux structures plus modestes telles que les PME et les start-ups d’avoir accès aux énormes ressources du capital-investissement, il faut nécessairement favoriser la mise en place d’équipes locales. Cela passe par des transferts de compétences via des partenariats-métiers avec des structures ou des professionnels aguerris du capital-investissement. Ces équipes locales présentent l’avantage d’être proches des entreprises bénéficiaires des investissements. Ce qui s’avère primordial pour la réussite de ces dernières pour lesquelles un accompagnement dit « hand-on » ; c'est-à-dire au plus près de l’entrepreneur, est essentiel. Jean-Marc Savi de Tové, ancien de Cauris Management et associé du fonds Adiwale explique que, « La difficulté de ce métier, c’est qu’il faut vivre à moins de 5 Km de l’entreprise dans laquelle on investit, car l’entrepreneur va avoir besoin de vous presqu’en permanence ».  Les exemples de Teranga Capital au Sénégal ou de Sinergi au Burkina, des fonds soutenus par l’investisseur I&P et dirigés par des équipes locales sont illustratifs. Ces fonds investissent en moyenne entre 30  000 et 300 000 euros. Des montants qui correspondent aux besoins des entreprises.

Aussi réorienter la stratégie de levée de fonds s’avère indispensable. Au Sénégal par exemple -pays ayant bénéficié d’un des montants les plus élevés d’investissement d’impact en  Afrique de l’Ouest- ; sur 535 millions de dollars levés sur la période 2005-2015, plus de 80% ont été mobilisés par le biais de transactions de plus de 10 millions de dollars (3). Les investisseurs habituels des fonds d’investissement ont des exigences de rentabilité qui peuvent contraindre les gestionnaires à cibler, les grandes entreprises présentant un profil de risque moins prononcé ou, des transactions dans les projets d’infrastructures, au détriment des entreprises de plus petite taille ne garantissant pas le niveau de rentabilité souhaité. S’orienter vers des investisseurs sociaux à vocation entrepreneuriale, c'est-à-dire privilégiant un impact social par l’accompagnement des entreprises, favoriserait l’accès aux ressources aux PME et aux start-up. Il s’agit entre autres des fondations, des institutions de développement au travers de programmes spécialisés, d’investisseurs privés, etc. Selon la Banque mondiale, les jeunes représentent 60% de l’ensemble des chômeurs africains. Le rapport Perspectives Économiques en Afrique du Groupe de la Banque Africaine de Développement publié en 2012 indiquait que le continent avait la population la plus jeune au monde, avec 200 millions d’habitants âgés de 15 à 24 ans ; un chiffre qui devrait doubler d’ici 2045. Les défis auxquels fait face l’Afrique, en l’espèce la problématique du chômage des jeunes, rendent davantage pertinent cette approche et le choix du continent comme terre d’investissement pour ces investisseurs. Ce capital dit « patient » permet de rallonger la durée des investissements. En moyenne de sept (7) ans dans le modèle classique, la durée des investissements pourrait aller au-delà de dix (10) ans et ainsi garantir une croissance réelle des entreprises financées.

 

Instaurer un cadre législatif et fiscal avantageux et encourager la création d’associations locales du capital-investissement

Disposer  d’un environnement juridique et fiscal incitatif pour le capital-investissement, véritable alternative à l’emprunt bancaire, est essentiel au plein essor de ce mode de financement. Le développement de ce concept a toujours été précédé par l’introduction d’un cadre juridique organisateur. Aux Etats-Unis où est né le capital-investissement, il a fallu la promulgation du décret de la Small Business Investment Act (4) par le gouvernement américain en 1958, pour voir se développer le métier de capital-investisseur. Certains pays africains ont pris la mesure de l’importance du capital-investissement en édifiant des réglementations propres à ce métier ; c’est le cas de l’Afrique du sud et de l’île Maurice -où sont enregistrés la plupart des fonds d’investissement opérant en Afrique-. Dans l’espace UEMOA, une loi Uniforme sur les entreprises d’investissement à capital fixe a été prise et transposée par certains pays. Malgré des avancées sur le plan fiscal de cette loi, elle reste silencieuse sur certains points. S’agissant de la gouvernance des sociétés, elle n’indique pas les modalités de gestion et de contrôle. Par ailleurs, aucun texte ne précise clairement le capital minimum requis. Des améliorations restent à apporter afin de rendre cette loi plus efficace et incitative ; notamment en rendant possible un accompagnement financier par  les Etats, à ces sociétés, avec pour objectif de favoriser le soutien financier aux PME et aux start-ups. Cela passe par l’orientation de l’épargne locale, en l’occurrence celle collectée par les caisses de retraite, vers les fonds dédiés.

Afin de dynamiser le secteur du capital-investissement en Afrique, la mise en place d’associations locales est essentielle. Tel que préconisé par Jean Luc Vovor, – associé de Kusuntu Partners- lors d’une conférence tenue à Lomé sur le sujet ; les associations locales de capital-investissement devraient avoir pour mission d’informer et de promouvoir cette classe d’actif, parfois méconnue, auprès des partenaires que sont les entreprises en l’occurrence les PME et les start-ups, les sociétés d’investissement, les fonds de pension et les Etats.

La diffusion d’informations passe au préalable par le développement de programmes de recherches liés à ce secteur ; avec des recherches sectorielles, des enquêtes, le développement de normes, et aboutissant sur des sessions de formation et d’information. L’association sud-africaine de capital-risque et de capital-investissement (SAVCA), par son action, a favorisé l’instauration et la promotion de la réglementation relative aux fonds de pension en 2011 ; des amendements ont permis auxdits fonds de faire passer à 10% la part du capitalinvestissement géré. Il s’agit là du rôle déterminant que pourraient jouer les associations locales dans le développement du capital-investissement en Afrique.

 

Un écosystème entrepreneurial dynamique est essentiel au développement du capital-investissement en Afrique. Contribuer à l’éclosion de cet écosystème passe par la mise en place de centres de développement de compétences entrepreneuriales, en favorisant l’accès au financement. Les programmes comme celui lancé récemment par la BAD et la Banque européenne d’investissement, Boost Africa, qui ambitionnent de couvrir la totalité du secteur de la création d’entreprise ; en aidant à constituer un portefeuille de 25 à 30 fonds au cours des prochaines années sont à multiplier. Pour croitre et créer des emplois durables, les entreprises à forts potentiels que sont les start-ups et les PME ont besoin d’investisseurs capables de s’adapter à leur niveau de risque. Le capital-investissement en Afrique doit s’inscrire dans un cadre plus global mêlant développement de compétences, promotion d'équipes locales, accès au financement, et implication des pouvoirs publics.

 

 

Larisse Adewui

 

  1. Source : EMPA, Fundraising & Investment Analysis, Q4 2014
  2. Source : EMPA, Fundraising & Investment Analysis, Q4 2014
  3. Source : Le Marché de l’investissement d’impact en Afrique de l’Ouest : Etat des lieux, tendances, opportunités et enjeux actuels, Pages 12-17
  4. La Small Business Act est une loi du congrès des Etats-Unis votée en 1958,  visant à favoriser le développement des PME.

L’Afrique, fer de lance d’une révolution financière ?

Partout dans le monde, on assiste à un bouleversement du paysage financier[1]. Les banques traditionnelles sont prises de vitesse par des acteurs nouveaux, dits barbarement fintech et/ou opérateurs de mobile banking (MNO ou MVNO)[2], optimisant l’usage des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC). En Afrique, cette tendance est croissante. Ce continent peut-il mener la voie d’une nouvelle ère financière ? 

L’Afrique, épicentre technologique des services financiers

Le phénomène de digitalisation financière est plus aigu sur le continent africain pour de nombreuses raisons. Tout d’abord, les startups étiquetées « fintech » grouillent. Ce constat est sans équivoque et ce, dans la plupart des pays africains, notamment en Afrique de l’Est et en Afrique du Sud. Certaines se sont même fait remarquées sur la scène internationale, attirant investisseurs étrangers en quête de solides retours et/ou d’impact social. Ainsi, sur l’ensemble des investissements alloués aux jeunes entreprises africaines dans les NTIC en 2015, 30% concernaient les fintech[3]. Soutenues par un écosystème favorisant le développement de ces entreprises – avec une offre croissante d’accompagnement par des incubateurs et des concours entrepreneuriaux – ces pépites jouissent d’un environnement de plus en plus favorable à leur éclosion.

L’Afrique peut se targuer d’être le continent du mobile money et banking (ou m-paiement). La majorité des services de mobile money s’opérant à l’échelle planétaire ont lieu en Afrique (52%)[4]. Leur développement est exponentiel avec, en 2015, trois fois plus d’utilisateurs de portefeuille mobile et numérique qu’aux Etats-Unis et avec un rythme de croissance trois fois supérieur[5]. Cependant, certaines précisions s’imposent. D’une part, parler de rupture technologique en Afrique revient à négliger la situation actuelle. Contrairement aux pays occidentaux où l’offre bancaire est bien ancrée auprès une clientèle large, l’Afrique – avec des nuances pour l’Afrique du Sud – ne dispose pas de banques jouissant d’une telle base clientèle (9 Africains sur 10 n’ont pas accès aux services bancaires). Dès lors, ces acteurs créent des infrastructures et des services là où l’existant est quasi nul. D’autre part, la révolution en question n’est pas brutale mais par phases. Le déferlement du mobile money appartient à une première tendance, certes non achevée mais déjà talonnée par une seconde vague d’innovation menés par les fameuses fintechs. Alors que les services de mobile money, sont, dans l’ensemble, pilotés par de grands groupes de télécommunications et basés sur le téléphone portable, les fintechs sont surtout le fait d’entrepreneurs innovants en solo et axées sur l’usage d’internet[6].

Pionnière ou retardataire ?

Cette distinction permet de mieux apprécier si l’Afrique fait figure de pionner à l’échelle internationale ou si elle ne fait que rattraper un fort retard de bancarisation, avec des moyens qui lui sont propres. La réponse n’est pas binaire : l’Afrique crée de zéro des solutions répondant à des besoins basiques, pour combler le déficit de réponse adaptée des acteurs traditionnels. Cependant, la forme prise par ces solutions introduit un paradigme nouveau que les pays développés sont en train de copier, prenant dès lors l’Afrique pour modèle. Ainsi, on assiste à un bourgeonnement d’offres bancaires à distance en France (exemples de Soon, Hello Bank pour n’en citer que certaines) ; encore embryonnaires au Nord, elles font en revanche partie intégrante du paysage au Sud. En revanche, le focus sur le Nigeria du dernier rapport du cabinet KPMG sur les services financiers en Afrique souligne que les banques traditionnelles africaines semblent connaître les mêmes problématiques que leurs consœurs occidentales en ce qui concerne le passage au numérique. La conversion de leurs clients – qui utilisent déjà les plateformes numériques mais pour d’autres usages – à des services bancaires en ligne ne va pas de soi et la facilité d’utilisation reste un défi pour nombre de banques africaines.

Pourquoi un positionnement d’avant-garde ?         

Tout problème appelle une solution. C’est cette raison simple qui explique principalement l’ébullition constatée en matière de services financiers innovants. Elle se vérifie magistralement dans la problématique cruciale du financement des PME. Délaissées des banques – qui, peu flexibles, requièrent un nombre faramineux de garanties et comprennent mal leurs capacités de crédit – respectivement trop petites et trop grandes pour la plupart des fonds d’investissement et les institutions de microfinance – avec un ticket d’entrée trop élevé/petit pour ce segment – les PME reçoivent un meilleur accueil auprès de plateformes telles que Merchant Capital ou Rainfin en Afrique du Sud qui ont une connaissance fine de leurs besoins avec une proposition de valeur adaptée et flexible.

Similairement, alors que des institutions de la place existent pour répondre à des problématiques du quotidien, l’utilisation du numérique permet à d’autres acteurs de proposer des solutions plus adaptées, en accord avec les préférences des consommateurs africains[7]. Ainsi, en matière de transferts d’argent, face aux mastodontes occidentaux, l’opérateur de mobile money QuickCash cible les populations non desservies en brousse, reliant en particulier les planteurs de cacao en Côte d’Ivoire et leur famille dans les pays frontaliers. De même, la fintech WorldRemit a su s’imposer en se montrant plus réactive et moins chère pour répondre aux requêtes majeures de la diaspora. Ces exemples soulignent que, l’agilité et l’innovation, au-delà même de la technologie, sont les clés expliquant le succès des fintechs en Afrique. Dans le même registre, l’histoire de M’Pesa confirme cette hypothèse : c’est en saisissant que la population utilisait le temps de communication comme une monnaie d’échange, que Safaricom a eu l’idée de lancer l’opérateur de mobile banking kenyan.

Une tendance en plein essor

Premièrement, le marché est encore très peu desservi et ne demande qu’à croitre. Les chiffres sont cités à tour de bras mais leur effet demeure significatif : sur près de 330 millions d’adultes, 80% manquent d’accès aux services bancaires formalisés. Deuxièmement, une intégration est en cours, à la fois de manière organisationnelle et sectorielle. D’une part, banques et opérateurs de services virtuels tendent de plus en plus à s’associer pour renforcer leur service client et accroitre leur couverture. On peut ainsi citer les unions entre la Commercial Bank of Africa (CBA) et Safaricom au Kenya, créant M-shwari, ou entre des institutions de microfinance et M-Birr en Ethiopie. Multipliant les services, l’intégration entre MTN avec une division de la Standard Bank en Afrique du Sud, entre Airtel et Equity Bank au Kenya ou entre les opérateurs télécom et la Société Tunisienne de Banque ont favorisé des offres nouvelles, telles que la consultation des comptes, le transfert d'argent d'un compte bancaire à un autre via le mobile, le paiement de factures, le prêt bancaire, etc. En Afrique de l’Ouest, cette tendance a favorisé la forte croissance enregistrée depuis 2013 dans le mobile-money[8].

D’autre part, l’innovation est dynamisée par une intégration sectorielle. Cette caractéristique positionne sans conteste l’Afrique comme pionnière. L’utilisation des technologies déployées par les fintechs ouvre la voie à l’inclusion d’autres services financiers (e-santé, e-assurance, e-éducation, etc.). Ainsi, à l’instar de M’Kopa, des fintechs se sont mises à offrir à leurs clients des services divers et variés étoffant leur modèle économique et leur part de marché. C’est dans cette perspective que peut se comprendre la dernière annonce par Jumia de se doter se son propre système de financement par mobile.

Les raisons foisonnent pour que cette tendance se maintienne à vive allure. Jusqu’à présent, contrairement à leurs analogues américains, les fintechs africaines n’ont pas ou peu tiré profit de la masse de données qu’elles drainent quotidiennement. C’est pourtant une mine d’or ! L’analyse de ces informations permettraient entre autres de mieux cibler leur clientèle, avec des offres plus adaptées, de réduire les risques, etc. Une autre opportunité vient de l’adaptation du marché du travail aux problématiques émergeant à mesure que se constitue une classe moyenne à l’aise avec les technologies numériques. De nouveaux métiers et de nouveaux modèles apparaissent. Au Rwanda, les entreprises Rwanda Online et Pivot Access se sont alignées avec la vision nationale de devenir un hub numérique en Afrique en se positionnant comme des plateformes de services intégrés facilitant la vie au quotidien de la population (visa, enregistrement d’entreprise, paiement des impôts, etc. … le tout en ligne). Enfin, et non des moindres, la bonne marche des fintechs va de pair avec la nécessité de répondre urgemment à des enjeux sociaux : leur développement favorise l’inclusion financière, l’entrepreneuriat, l’égalité financière pour les deux sexes et la réduction de la corruption.

Les freins et nuances de ce développement

Si la vague des fintechs est excitante à plus d’un titre en raison de son impact socio-économique majeur pour le continent, elle doit toutefois être nuancée. Tout d’abord, elle s’inscrit dans une mode pour les startups en NTIC. Etre un entrepreneur en Afrique est branché, être un entrepreneur fintech, ça l’est doublement. Le revers de cette clinquante médaille est l’illusion qui peut s’ensuivre. Alors que les fintechs pullulent, bon nombre d’entre elles ont une vie très courte. Le taux d’échec, comme partout, est très élevé, tandis que le discours ambiant semble faire fi des difficultés inhérentes à ce secteur. En Afrique, ces dernières s’expliquent par un manque de capacités techniques. Les diplômés rechignent souvent à rejoindre des startups face à des propositions bien plus alléchantes de grandes entreprises[i]. L’autre écueil tient à la stratégie de distribution. M’Pesa a trébuché sur cet obstacle de taille en Afrique du Sud, en copiant son modèle kenyan et en négligeant l’effet de réseau indispensable pour réussir dans ce marché.

Sur le plan macroéconomique, deux enjeux majeurs pourraient entraver l’expansion des fintechs africaines. D’une part, l’absence ou le patchwork de cadres règlementaires pose un risque à la fois pour les usagers et les acteurs financiers. Comment s’assurer de la viabilité du système ? Comment prévenir toute bulle financière dans un marché faiblement/mal régulé ? Des codes tels que le The GSMA Mobile Money Code of Conduct, the SMART Campaign et the UN Principles for Responsible Investment, ont commencé à voir le jour mais ils restent embryonnaires face à un écosystème fourmillant et peu discipliné. D’autre part, si l’Afrique peut se constituer en modèle, son offre reste limitée à l’intérieur de ses frontières. Selon le rapport de l’UNCTAD, l’exportation des services technologiques africains est marginal, représentant seulement 0,3% des exportations mondiales en technologie de pointe[9], amoindrissant toute idée de positionnement pionner.

En conclusion, le trait le plus inspirant des fintechs africaines, mais qui ne leur est pas propre, est certainement leur agilité. Moins que la technicité, c’est leur spontanéité qui fait pâlir les banques occidentales, ou les poussent à les accompagner pour mieux s’en inspirer[10].

 

 

Pauline Deschryver


[1] http://cdn.resources.getsmarter.ac/wp-content/uploads/2016/08/mit_digital_bank_manifesto_report.pdf

[2] Par Fintech, on entend des innovations techniques appliquées aux services financiers classiques et des services financiers modifiant le paradigme financier ; MNO est l’acronyme anglais pour les opérateurs de réseau mobile virtuel

[3] Disrupt Africa African Tech Startups Funding Report 2015

[4] State of the Industry Report Mobile Money, GSMA 2015

[5] Source : VC4 Africa

[6] White Paper « The powerful rise of the 2nd generation of mobile banking in Africa », FINTECH Circle Innovate & Bankin Reports

[7] Selon le dernier rapport de KPMG sur le secteur bancaire en Afrique, le service client est le premier critère d’évaluation pour une banque

[8] On peut citer les associations entre les groupes Ecobank, BNP Paribas, Société générale et BIAO qui se sont associés à travers leurs filiales d'Afrique de l'Ouest avec Orange, MTN et Airtel.

[9] UNCTAD Technology and Innovation Report

[10] A l’instar d’institutions comme Barclays, qui a mis en place une communauté promouvant les fintechs africaines, Barclays Rise.


Améliorer les chances d’être financièrement inclus au Sénégal

siege-bceaoDans les pays développés, la plupart des adultes ont un compte auprès d’une banque ou d’une autre institution financière. La réalité est bien différente dans de nombreux pays d’Afrique subsaharienne, et notamment au Sénégal. Selon une enquête effectuée par le Groupe de la Banque mondiale, moins d'un adulte sénégalais sur cinq (17 %) indique posséder un compte dans une institution financière formelle, qui incluent les banques, les institutions de microfinance, et les porte-monnaie électroniques.

Bien que les niveaux d’inclusion financière au Sénégal soient similaires à ceux d'autres pays à revenu moyen inférieur, le pays accuse un retard par rapport au taux d'inclusion moyen des économies d'Afrique subsaharienne.
 
Pourquoi 6 millions d'adultes sénégalais sont financièrement exclus ? Pour répondre à cette question, il est important de remarquer qu’en matière d’inclusion financière, il y a de fortes inégalités. Au Sénégal, l'inclusion financière varie considérablement entre les sous-groupes de population.
 
Par exemple, la probabilité d’inclusion financière des hommes sénégalais est supérieure de neuf points à celle des femmes. Cette différence peut être expliquée en partie par le fait que les femmes participent généralement moins aux décisions financières du ménage. Seules 23 % des femmes ont déclaré être responsables des dépenses quotidiennes du ménage, contre 36 % des hommes.
 
Les populations urbaines sont aussi beaucoup plus susceptibles d'être financièrement incluses que les populations rurales, à 22 % contre 13 %. En outre, les adultes qui gagnent un revenu élevé ou moyen ont 12 % de chances de plus d'être financièrement inclus que ceux qui gagnent un faible revenu.
 
Selon l’enquête, 54 % des Sénégalais déclarent ne pas avoir assez d'argent pour posséder un compte, 19 % indiquent préférer l’utilisation d’espèces, tandis que 14 % estiment ne pas avoir besoin de compte. Enfin, 8 % des adultes trouvent les frais de transaction trop élevés.
 
Au Sénégal, il existe des obstacles à la sensibilisation aux produits et concepts financiers. Par exemple, environ 80 % des adultes interrogés connaissent les services de transfert d'argent, moins de 70 % étaient conscients de l’existence des banques commerciales, et 25 % étaient familiers des institutions de microfinance et de leurs services.
 
Une comparaison internationale dans 12 pays en voie de développement a montré que les Sénégalais ont tendance à veiller sur leurs dépenses et à planifier leur retraite; ils affichent cependant la performance la plus faible quant à leur capacité à comparer les produits financiers, et notamment à lire les prospectus relatifs aux tarifs et conditions, ce qui les empêche de choisir des produits répondant à leurs besoins.
 
Ces résultats sont préoccupants car ils entravent l’adoption et l'utilisation des produits et services financiers formels au Sénégal. Les comptes transactionnels sont généralement le premier point d’entrée dans le système financier formel. Sans un compte pour effectuer des transactions, les Sénégalais sont amenés à effectuer des transactions qui peuvent s’avérer souvent risquées, coûteuses, et incommodes.
 
Le Sénégal a fait une priorité de l’amélioration de l'accès et de l'utilisation responsable des produits et services financiers. En 2012, le pays s’est engagé, en vertu de la Déclaration de Maya, à accroître l'inclusion financière et a depuis adopté une série de mesures. L'approche a été payante : entre 2014 et 2015, le nombre d'adultes formellement inclus est passé de 15 % à 17 %.
 
Compte tenu de ces défis, on peut toutefois se demander comment le Sénégal peut augmenter ses chances des pauvres, des femmes et des populations rurales d'être financièrement inclus.
 
Voici quelques suggestions :

  • Continuer à élaborer des stratégies : les autorités devraient continuer à développer une Stratégie nationale d'inclusion financière (SNIF) pour veiller à ce que l'engagement des parties prenantes, des secteurs publics et privés, en faveur de l'inclusion financière, soit explicite, solide et soutenue.
  • Tirer profit des canaux de distribution sans succursales fixes : de nouveaux modèles économiques, tels que les services bancaires mobiles ou à l’aide d’un agent, peuvent considérablement réduire les coûts de prestation des services financiers, notamment dans les zones à faible densité et reculées, et promouvoir un accès pratique aux services financiers.
  • Encourager l'adoption et l'utilisation de comptes transactionnels de base à peu ou pas de coûts : le Sénégal dispose d’une réglementation qui assure à chacun le droit à un compte bancaire de base et sans frais, toutefois, les incitatifs économiques semblent insuffisants pour que le secteur privé offre volontairement ce type de comptes à ses clients.
  • Promouvoir des services financiers diversifiés : même si de nombreux Sénégalais ont peu d'argent, ils épargnent quand même, principalement par le biais des canaux informels. Les produits d'épargne formels peuvent aider à garantir les épargnes, ce qui peut aider les ménages à gérer les fluctuations de trésorerie, à lisser leur consommation et à construire des montants forfaitaires. Le développement de produits d'assurance pourrait aussi être considéré, puisque ceux-ci peuvent aider à atténuer les chocs et à faire face aux dépenses liées à des événements inattendus, comme les urgences médicales, les vols ou les catastrophes naturelles.
  • Innover : la transmission de messages financiers par le biais des moyens novateurs, tels que les séries de télévision populaires, les films, les vidéos ou les émissions de radio, peut être efficace pour l'amélioration des connaissances et, plus important encore, la modification du comportement. Les SMS périodiques et les applications mobiles pourraient être autant de canaux de diffusion prometteurs et rentables. Des études en Bolivie, au Pérou et aux Philippines montrent que l'envoi de SMS en temps opportun pour rappeler aux gens d'économiser est efficace pour aider à la mobilisation de l’épargne pour atteindre des objectifs d'épargne préalablement déterminés.

 

 

Cet article est issu des Blogs publiés par la Banque Mondiale et a été soumis par SIEGFRIED ZOTTEL.

 

Des marchés financiers en Afrique ? Absolument !

Y a-t-il des marchés financiers[1] en Afrique ? Si oui, à quoi servent-ils ? Relèvent-ils le défi d’aider le continent dans son processus de développement ? Quelles mesures doivent être prises pour que ces marchés se développent sainement ? La série d’articles sur les marchés financiers que nous vous proposons répond à ces questions.

Dans un premier temps, nous faisons le tour des marchés financiers africains et nous nous  intéressons à la montée en puissance de ces derniers. Les raisons de cet essor tiennent aux différentes vagues de privatisation qu’a connues le continent de même qu’à une plus grande stabilité politique et macroéconomique.

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Photo: Panos / Jacob Silberberg
Un boom des marchés de capitaux du continent

D’une douzaine en 1990, le nombre des marchés financiers africains est passé à 23 en 2012. Plus de 2/3 des pays africains sont actuellement couverts par une bourse locale ou régionale, avec en tête de liste : l’Afrique du Sud, l’Egypte, le Maroc, le Nigéria et le Kenya. La capitalisation boursière en Afrique a aussi explosé.  Elle est passée de 257 milliards en 2000 à 1260 milliards en 2010 soit une multiplication par 5 en 10 ans ! Le nombre d’entreprises cotées a également crû énormément et s’élève aujourd’hui à plus de 2000.

Les marchés financiers africains sont devenus une source importante de financement. De 2007 à 2009, 10 milliards de dollars de capital ont été levés sur 18 places boursières africaines grâce à l’admission en bourse de 170 nouvelles entreprises. Au Nigéria, par exemple, environ 4 milliards de dollars ont été levés sur la seule bourse de Lagos entre 2005 et 2008, notamment pour recapitaliser le secteur bancaire affecté par la crise.

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L’intérêt des investisseurs est croissant que ce soit pour l’acquisition d’actions de sociétés africaines de services publics (comme par exemple les entreprises Kenyanes d’énergie KenGen et de télécommunications Safaricom) ou pour les émissions souveraines d’obligations africaines, comme nous l’avons expliqué dans une série d’articles parue sur Terangaweb.

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L’actionnariat populaire en Afrique devient de plus en plus une réalité. A titre d’exemple, au Ghana, le taux de pénétration des marchés boursiers dans la population ou plus simplement le taux de détenteurs d’actifs est estimé à 1.5%. Si ce taux reste faible par rapport à celui de pays développés comme les Etats-Unis (21.2%) ou encore la France (14.7%), il est tout de même comparable à celui de l’Espagne (2.2%) et bien supérieur à celui de la Hongrie (0.4%). Cet actionnariat populaire en Afrique est en général constitué de cadres urbains issus de la classe moyenne voire aisée, soucieux d’investir sur des produits d’épargne longue, dotés de rendements réguliers tels que les dividendes.

Les raisons de la montée en puissance des marchés financiers  africains

L’essor des marchés financiers de la région tient d’abord à la stabilité politique grandissante des pays africains. Couplée a un meilleur environnement des affaires, une stabilité macroéconomique accrue et une performance remarquable des marchés d’actions sur les dix dernières années, elle attire et rassure les investisseurs.

L’actionnariat populaire africain s’est développé grâce aux programmes de privatisation mis en place dans les années 1990 et 2000. De nombreux gouvernements africains ont utilisé les marchés financiers pour associer la population à la promotion de leur programme de privatisation. Au nombre de ceux-ci, on peut compter : la Côte d’Ivoire (avec plus de 20 opérations de ce type), le Sénégal, le Kenya, le Nigéria, la Zambie et le Ghana.

L’intégration des marchés

Le continent compte parmi ces bourses deux bourses régionales : la Bourse Régionale des Valeurs Mobilières (BRVM) à Abidjan et la Bourse des Valeurs Mobilières de l’Afrique Centrale (BVMAC) a Libreville. La BRVM, créée en 1996, regroupe 8 pays d’Afrique de l’Ouest : Bénin, Burkina-Faso, Guinée-Bissau, Côte d’Ivoire, Mali, Niger, Sénégal et Togo. La BVMAC, quant à elle est commune à la République Centrafricaine, au Tchad, au Congo, au Gabon et à la Guinée Equatoriale. 

Les entreprises peuvent aussi s’introduire sur plusieurs bourses : on parle alors de cotation multiple. Ecobank, une banque présente dans plusieurs pays africains, entreprit en 2006 la première cotation multiple en Afrique en introduisant ses actions dans trois bourses ouest-africaines : la Ghana Stock Exchange (GSE), la Nigeria Stock Exchange (NSE) et la BRVM. Cette cotation a ouvert la voie à un type d’opérations qui renforcent mécaniquement l’intégration africaine.

Des marchés encore loin de la maturité

Hors Afrique du Sud, les marchés financiers africains restent très peu développés malgré la nette progression remarquée.  Ils sont d’abord très limités en actifs. Si le nombre d’entreprises cotées en Afrique a aujourd’hui atteint 2000, l’Inde en compte 3500 et la Chine, 1700. Le nombre de sociétés ayant recours à ces marchés se financer reste donc relativement faible. Pour l’écrasante majorité de ces bourses, la capitalisation est faible. A titre d’exemple, la bourse de Johannesburg (JSE : Johannesburg Stock Exchange) représentait à elle seule 85% de l’ensemble de la capitalisation boursière d’Afrique subsaharienne en 2008, un chiffre qui en dit long sur les autres bourses du continent. La même année, l’ensemble des marchés subsahariens hors JSE avait une capitalisation boursière cumulée de 90 milliards de dollars, un montant inférieur à celui de la bourse Thaïlandaise.

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Quant à la liquidité[2] et à l’activité de ces marchés, elles laissent à désirer. Avec un turnover[3] annuel moyen de 10%, les marchés africains sont bien moins actifs que leurs homologues des pays émergents asiatiques dont le turnover est cinq fois plus élevé. Loin des millions d’échanges qui se déroulent chaque année sur les marchés financiers émergents comme ceux du Brésil, certaines bourses africaines enregistrent moins de 100 opérations par an.

En dépit d’une progression remarquable, les marchés africains ne sont pas encore murs et ce, en dépit des avantages qu’ils peuvent avoir. C’est précisément cette question du rôle des marchés financiers en Afrique, qui sera le sujet du deuxième article de cette série.

Tite Yokossi

Sources :

Secteur Privé & Développement, la revue de PROPARCO, Numéro 5. Mars 2010. Les marchés financiers en Afrique : véritable outil de développement ?

Banque de France. Rapport annuel de la Zone franc. 2011


[1] Les marchés financiers souvent appelés bourses sont des lieux où s’échangent des instruments financiers tels que les actions et les obligations. Ces lieux sont de plus en plus virtuels car les marchés financiers murs agrègent les offres et les demandes des acteurs, déterminant ainsi un prix ou une cotation qui est transmise en temps réel, grâce aux révolutions des TIC à tous les acteurs sans plus nécessiter la présence physique de ces derniers dans une même salle.

 

 

 

 

 

[2] la capacité et la rapidité avec laquelle il est possible d’acheter ou de vendre un actif sans que les prix du support n’en soient fortement affectés

 

 

 

 

 

[3] pourcentage de l’ensemble des actifs, échangé pendant une période donnée (typiquement une année)