La pertinence de la coproduction dans l’intégration économique régionale africaine

SM le Roi Mohammed VI du Maroc et SEM. Daniel Kablan Duncan, alors Premier ministre de la Côte d’Ivoire, inaugurant des chantiers dans la commune de Yopougan le 26 février 2014

A l’aune de l’intégration du Maroc à la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest[1], les opérateurs économiques marocains sont invités à renforcer leur présence en Afrique subsaharienne à travers l’installation d’unités de production délocalisées. L’industrie se révèle être le véritable véhicule d’une intégration économique régionale inclusive, créatrice de valeur et d’emploi.

Le continent Africain suscite un engouement mondial. La croissance du PIB africain est estimée à 3.2 % en 2017 et devrait passer à 3,8 % en 2018[2]. Toutefois, afin de mieux maitriser cette croissance, il convient pour les pays africains de changer de modèle de développement et d’adopter des stratégies plus innovantes couvrant des secteurs de croissance et créateurs de richesse. Avec une telle dynamique, les opérateurs marocains ont tout intérêt à considérer le sous-continent subsaharien comme un partenaire prometteur en mettant en avant des partenariats stratégiques de coproduction. L’impact sur le marché sous continental est considérable. La coproduction crée des emplois sur le territoire et professionnalise la main d’œuvre locale. Elle permet, en même temps, aux entreprises, par le biais des exportations, de renforcer leur compétitivité.

Par ailleurs, le secteur industriel contribue à rendre la croissance africaine plus inclusive. En effet, la part de l’Afrique dans l’activité manufacturière est faible. La contribution du secteur industriel africain à l’économie totale du continent a diminué, de 18% à 11% entre 1975 et 2014[3]. Et le commerce intra-africain ne représente 15% du commerce total de l’Afrique. Dès lors, comment l’industrialisation, peut-elle participer à une transformation structurelle du marché africain et à la mise en place d’un développement plus inclusif ?

Contribuer à l’industrialisation africaine à travers la co-production

La mobilisation des investissements privés étant primordiale pour la création d’emploi et de richesse, les opérateurs nationaux sont invités à partager leurs expériences et à transférer leurs connaissances avec les pays africains, tout en exploitant le potentiel de production local. Le concept de coproduction développé par l’IPEMED (Institut de Prospective Economique du Monde Méditerranéen) constitue alors un modèle industriel pertinent pour favoriser l’intégration régionale et contribuer au développement d’une économie africaine plus équitable[4].

Le positionnement du Royaume dans l’environnement macro-économique subsaharien appelle à un recours à la coproduction, reposant sur le partage de la chaîne des valeurs et un partenariat plus équilibré. L’industrie agroalimentaire permet non seulement d’augmenter l’approvisionnement alimentaire, mais également une création de richesse à travers la valorisation des produits alimentaires transformées localement et l’exportation des denrées. Les exemples marocains ne manquent pas. Cosumar, leader marocain du sucre, a remporté en 2015 un appel d’offre – estimé à 91,5 millions d’euros – pour la construction d’un complexe sucrier (quelques 30 000 ha de plantations de canne à sucre et une raffinerie) entre Batouri et Bertoua, à l’est du Cameroun[5]. La Compagnie chérifienne de chocolaterie (CCC) a également misé sur l’Afrique en installant en 2012 une première usine de transformation de cacao au Cameroun d’une capacité de 40 000 tonnes par an. Les produits finis « made in Cameroun » sont destinés au marché local et à l’exportation, principalement vers l’Europe.

Toujours dans le secteur agroalimentaire, le groupe Holmarcom – à travers sa filiale Les Eaux minérales d’Oulmès – a acquis, en 2015, 55% du capital de la société béninoise Eau Technologie Environnement (ETE), spécialisée dans la production et la distribution d’eaux minérales en bouteilles. ETE pourrait reposer sur le savoir-faire reconnu de son nouvel actionnaire, que ce soit sur la partie industrielle ou sur la distribution et le marketing, pour renforcer sa présence dans les pays limitrophes (Burkina Faso, Niger, Nigéria et Togo). Toujours dans le cadre de ses activités agro-industrielles, Holmarcom a signé, en novembre 2016, un Mémorandum d’Entente avec la Commission Ethiopienne pour l’Investissement pour la création d’une unité industrielle pour la valorisation des fleurs locales, via la production d’huiles essentielles et d’eaux florales destinées à l’export. L’Ethiopie, 4e exportateur de roses dans le monde, écoule ses roses en l’état, principalement vers le marché européen.

Ces investissements « greenfield » sont mis en avant aussi bien par les pays investisseurs que les pays d’accueil, sous une approche gagnant-gagnant. La proximité géographique, voire culturelle permet la redynamisation du tissu industriel local en assurant la création d’emploi, et le transfert technologique et de savoir-faire industriel. Les investissements marocains dans le secteur pharmaceutique constituent un parfait exemple. En effet, lors des premières Assises sur les médicaments et les produits de santé, organisées par le Ministère marocain de la Santé en décembre 2015, le Gouvernement chérifien avait annoncé son ambition d’accéder au marché africain et sa disposition à partager son expérience en matière de l’industrie pharmaceutique avec les pays du continent[6]. Dès octobre 2016, le laboratoire marocain Cooper Pharma a signé un mémorandum d’entente avec le Rwanda Development Board en vue de la construction d’une première usine pharmaceutique spécialisée dans les antibiotiques bêta-lactamines. Opérationnelle en 2019, cette usine est le deuxième projet du genre pour le laboratoire marocain en Afrique subsaharienne. Ce dernier procède actuellement à la réalisation d’une unité industrielle de production de médicaments en Côte d’Ivoire, suite à un accord signé avec le gouvernement ivoirien en 2014. Idem, Pharma 5, pionnier dans la production de médicaments génériques, a annoncé en septembre 2016 son intention de construire une usine pharmaceutique dans la zone franche de Bassam, près d’Abidjan pour un investissement d’un peu plus de 9 millions d’euros, en partenariat avec la société Alliance Médicale de Côte d’Ivoire (AM-CI)[7].

Créer des zones industrielles dédiées aux activités exportatrices vers l’Afrique

Bénéficiant d’une situation stratégique entre les régions du Nord et l’Afrique Sub-saharienne, les régions de Sud[8] constituent un carrefour d’échanges et de commerce par excellence.

A ce titre, il devient pertinent de donner un nouveau souffle aux zones franches de Laâyoune et Dakhla et de stimuler l’investissement privé tout en accompagnant la dynamique de développement régional. Conçues en adéquation avec le contexte économique régional, ces deux plateformes devraient lancer une nouvelle offensive commerciale pour attirer les industriels nationaux et/ou étrangers désirant exporter une partie ou la totalité de leur production vers l’Afrique subsaharienne et les Etats insulaires avoisinants.

L’idée étant de faire de ces deux zones franches d’exportation de véritables plateformes de délocalisation. Pour ce faire, des mesures devront être mises en place pour inciter les entreprises à y opérer : une exonération d’impôt sur les sociétés durant les cinq premiers exercices et un taux avantageux pour les vingt exercices Le Gouvernement marocain doit également œuvrer à construire de nouvelles lignes de transports directes vers les pays du Sud et à réduire les coûts logistiques.

De tels projets donneraient un signal fort d’incitation à l’investissement, à condition que l’indice de complémentarité soit élevé et que les exportations marocaines correspondent aux importations des pays partenaires. Ainsi, l’accent sera mis sur les ressources halieutiques, la transformation des produits maritimes et la congélation, et toute autre activité industrielle en lien avec la structure économique des pays subsahariens. Unimer, groupe marocain spécialisé dans les conserves de poissons et de légumes, entend renforcer ses activités à Dakhla, à travers trois nouvelles unités : une unité de triage de poisson, une conserverie et une exploitation d’élevage aquacole de 180 hectares[9]. Ce nouveau projet de valorisation des petits pélagiques permettrait au groupe de consolider sa présence sur le continent africain qui étale déjà ses produits dans une trentaine de pays du continent (Afrique du Sud, Bénin, Guinée, Nigéria, Niger, RDC, Sénégal, Togo, etc.)

Autre marché juteux, le coton, dont la part de l’Afrique de l’Ouest dans la production continentale atteint les 65%. Le Maroc, fort de son industrie de textile, pourrait importer une partie de la production ouest-africaine (burkinabaise, malienne ou ivoirienne) et la transformer sur place avant de la réexporter, créant ainsi un « marché africain du coton ». Des unités d’égrenage mais également de valorisation pourraient voir le jour dans la zone franche de Laâyoune pour transformer la fibre en fil puis en tissu. D’autant plus que le Ministère marocain de l’Industrie, du Commerce, de l’Investissement et de l’Economie numérique, apporte un appui soutenu à l’émergence d’un amont textile[10].

Ceci s’inscrit en droite ligne avec le nouveau modèle de développement des provinces du Sud initié par l’Etat marocain. « Le Maroc s’engage aujourd’hui à faire du Sahara marocain un centre d’échanges et un axe de communication avec les pays africains subsahariens et à mettre en place les infrastructures nécessaires à cet effet » déclarait le Roi Mohammed VI lors de son discours à la Nation du 6 Novembre 2015, à l’occasion du 40e anniversaire de la Marche verte.

Tous ces facteurs feront des régions du Sud un terreau favorable à l’investissement et aux échanges économiques, faisant évoluer ces régions vers un véritable hub pour l’Afrique subsaharienne.

Ainsi, les expériences de coproduction présentées dans cet article, auxquelles s’ajoutent de nombreux cas non-signalés démontrent la mutation industrielle qu’est en train de se faire en Afrique subsaharienne. Toutes ces entreprises ont franchi le cap du sud dans un même but : une internationalisation en vue d’accroître leur compétitivité. Elles ont su saisir les bonnes opportunités et s’adapter à leur environnement, ce qui leur permettront de renforcer leur capacité de développement et d’asseoir leur leadership dans un marché à l’échelle régionale, voire continentale.

L’importante implication des opérateurs marocains et leur forte présence dans le domaine de la finance, des télécommunications et du logement, font que le Royaume est à l’heure actuelle le premier investisseur africain en Afrique de l’Ouest. Il est déjà le deuxième investisseur du Continent, mais affiche sa volonté d’en devenir le premier. En intégrant la CEDEAO, le Maroc bénéficiera de facilités d’exportations et consolidera sa présence sur le continent. La mise en œuvre des accords de promotion et de protection réciproque des investissements et des accords de non double imposition accélérerait cette dynamique. En outre, un certain nombre de recommandations est proposé pour relever le défi du développement industriel africain et inscrire ce partenariat industriel dans la durée.

  • Les opérateurs marocains devraient favoriser un esprit « gagnant-gagnant » avec les pays subsahariens afin de garantir leur développement. La coproduction permettra de soutenir la montée en gamme industrielle des pays subsahariens, à travers le transfert de technologie et le redéploiement des chaînes de valeur et de production. Les entreprises commanditaires devraient également proposer des formations pour la main-d’œuvre locale et travailler en étroite collaboration avec les entreprises locales, en amont et en aval. L’accent devrait être mis sur l’industrie à forte valeur ajoutée. La « montée en gamme » africaine sera alors rendu possible par l’existence d’entreprises de pointe dans chaque secteur clé.
  • Les pays subsahariens devraient élaborer des politiques sectorielles claires, adapter leurs législations et mettre à disposition des zones aménagées afin d’exercer une attraction sur les investisseurs internationaux, marocains inclus. Ces politiques industrielles – agroindustrielles et manufacturières – impulseraient une transformation structurelle et durable des économies locales et favoriser le commerce intra régional.
  • Enfin, il serait pertinent de créer un fonds d’investissement maroco-africain dédié au secteur privé pour financer et accompagner les entreprises marocaines qui souhaitent investir dans les pays de la CEDEAO et les entreprises subsahariennes qui s’intéressent au Maroc. Ce fonds financerait des projets prioritaires dans l’industrie, l’agro-industrie, l’énergie, les télécommunications, le transport, le tourisme et autres services.

Le secteur énergétique, à travers sa chaine de valeur, suscite un grand intérêt des investisseurs internationaux. Selon une étude menée par Havas Horizon, 38% des investisseurs sondés placent le secteur des énergies à la tête des secteurs les plus prometteurs du continent[11]. L’augmentation croissante de la demande énergétique, couplée au potentiel de production de mix énergétique, représente un marché de plusieurs milliards de dollars d’investissements sur les prochaines décennies. De plus, le secteur draine davantage d’emploi et participe à la création d’un véritable écosystème, bien plus qu’un secteur manufacturier « traditionnel ». A ce titre, Nareva et Green of Africa, nouvelle joint-venture créée par les groupes marocains FinanceCom, Akwa et Sonifam ont tout à gagner en étudiant la possibilité de construction et d’exploitation d’unités de production énergétique sur l’ensemble de l’Afrique, aussi bien dans le solaire, l’éolien, l’hydroélectrique, la biomasse que le géothermique.

Hamza Alami

[1] L’adhésion du Maroc à la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) sera officialisée lors du sommet de l’organisation prévu le 16 décembre au Togo, à Lomé.

[2] Rapport économique sur l’Afrique 2017, Commission économique pour l’Afrique (UNECA) | Publié le 04 avril 2017 https://www.uneca.org/sites/default/files/uploaded-documents/ERA/ERA2017_Fr/chap1_03.pdf

[3] Revue annuelle sur l’efficacité du développement (RAED), « Accélérer le rythme du changement », Groupe de la Banque africaine de développement, 2016.

[4] Maxime WEIGERT, Coproduction en Méditerranée : Illustrations et recommandations, IPEMED, Etudes & Analyses, Novembre 2014 | http://www.ipemed.coop/fr/publications-r17/etudes-analyses-c108/coproduction-en-mediterranee-illustrations-et-recommandations-a2399.html

[5] Cosumar est également en train d’étudier une implantation au Soudan à travers une unité de production de sucre à base de canne.

[6] Pharmaceutique : le Maroc prêt à partager son expérience en Afrique | Publié le 12 décembre 2015 http://www.ugppartenariats.com/index.php/news/details/5

[7] L’unité, objet du mémorandum signé par la société Pharma 5 et le Ministère ivoirien de la Santé et de l’Hygiène publique, sera spécialisée dans la fabrication de produits génériques. Elle commercialisera ses produits en Côte d’Ivoire et dans d’autres pays de la région.

[8] Les trois régions du Sud sont : Guelmin-Oued Noun, Laâyoune-Sakia El Hamra et Dakhla-Oued Eddahab.

[9] Ce projet fait suite au protocole d’accord signé en Mai 2014 entre le groupe Unimer et l’Autorité de la Zone Franche de Nouadhibou pour l’implantation d’un complexe industriel de transformation et de valorisation des espèces pélagiques dans la Zone Franche de Nouadhibou en Mauritanie, pour un investissement global de 28 millions de dollars.

[10] Les écosystèmes textiles lancés en février 2015 par le Ministère marocain de l’Industrie, du Commerce, de l’Investissement et de l’Economie numérique – dans le cadre du Plan d’accélération industrielle 2014-2020 – visent à l’horizon 2020, la création de 100 000 emplois et la réalisation d’un chiffre d’affaires additionnel à l’export de 5 Milliards de Dirhams (500 millions d’euros).

[11] Financer la croissance africaine à l’horizon 2020 : perception des investisseurs internationaux, Havas Horizons | Publié le 03 août 2016 http://choiseul.info/wp-content/uploads/2016/08/HAVAS_HORIZONS_2016_FR.pdf

L’électrification rurale en Afrique: comment déployer des solutions décentralisées ?

A peine plus de 30% de la population d’Afrique subsaharienne dispose d’un accès à l’électricité, souvent précaire. Cette proportion chute à moins de 20% en milieu rural. Alors que l’extension du réseau électrique est souvent privilégiée pour pallier ce déficit, cette étude démontre que les solutions décentralisées sont particulièrement efficaces en milieu rural. En effet, l’électrification décentralisée fera partie de la solution pour nombre d’Africains, au moins pour un temps.

Cependant, soutenir son développement implique d’ajuster les politiques publiques et de créer de nouveaux modèles d’affaires, qui n’intègrent pas encore cette nouvelle conception de l’électrification. A l’aide d’études de cas, l’auteure décrit comment la technologie hors-réseau et les micro-réseaux ont été déployés avec succès au Sénégal, au Maroc et au Kenya. Les enseignements qui en résultent peuvent être utiles aux autorités en charge de l’électrification rurale en Afrique. Lisez l’intégralité de ce Policy Brief.

Le Maroc dans la Cédéao ?

Jeune Afrique informait en février dernier sur la demande d’adhésion du Maroc à la Communauté Economique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao). Surprenante démarche, qui n’a finalement surpris que les citoyens. Lors de son sommet du 04 juin dernier, les chefs d’Etat de ladite communauté ont exprimé « un soutien général pour la demande du royaume du Maroc, compte tenu des liens forts et multidimensionnels qu’il entretient avec les Etats membres ». Un accord de principe, qui va certainement aboutir à une adhésion formelle du Maroc à la Cédéao.  Sur le principe, les chefs d’Etat ont demandé à la Commission « d’examiner les implications de cette adhésion, conformément aux dispositions du traité révisé ». Ces conclusions ne devraient pas être défavorables ; la volonté affichée des différentes parties devrait permettre de lever les différents obstacles juridiques ou institutionnelles pouvant exister. Si l’adhésion du Maroc parait opportune d’un point de vue économique, elle ne parait pas forcément bienfaisante pour les autres économies de la zone.

Le Maroc est déjà fortement présent dans la région avec ses investissements – public et privé – et les différents accords bilatéraux avec les pays de la Communauté. Il est aujourd’hui le premier investisseur africain dans la région. Le pays participe à plusieurs projets majeurs en Afrique de l’ouest : réhabilitation de la lagune de Cocody, à Abidjan, ou le projet de gazoduc Maroc-Nigeria, construction de logements sociaux ou d’un port de pêche à Dakar. Ses échanges commerciaux avec la zone qui souffrent encore de quelques barrières (douanières) ont atteint 14,1 Mds USD en 2016, soit 22% de ses échanges mondiaux.  Son intégration dans la zone lui ouvre davantage l’accès au marché ouest africain fort de 300 millions d’habitants, où la libre circulation des biens et des capitaux devient de plus en plus une réalité. Il pourra davantage s’imposer dans la zone sur le plan politique et diplomatique, voir même modifier les orientations de la Communauté. Puissance économique, politique et diplomatique, le Maroc n’aura aucun mal à s’imposer dans la région devant le Nigéria qui doit encore faire face à des difficultés internes. La volonté affichée du Maroc de renforcer sa coopération avec les pays d’Afrique sub-saharienne commencera donc certainement par l’Afrique de l’ouest. La coopération « sud-sud » ainsi prônée par le Maroc et justifiant sa démarche auprès de la Cédéao, pourrait n’être qu’une démarche visant à se constituer une base de partenaires africains solide pour asseoir son intégration (domination) continentale.

Ce nouveau voisin donnera certainement une nouvelle impulsion à la zone, sur le plan économique et social. Les investissements marocains devraient se multiplier dans la région, favorisée par la mobilité des capitaux – on rappellera que les banques marocaines sont premières dans la région ouest africaines francophones notamment – et le fort potentiel inexploité des pays de la zone, créant ainsi de nouveaux emplois et de nouveaux débouchés pour ces pays. Les pays pourraient éventuellement réduire leurs factures d’importations, ayant avec l’intégration du Maroc dans la Communauté, l’occasion d’acheter auprès de leur nouveau voisin des produits alimentaires et/ou manufacturés de qualité et à coûts réduits. Aussi, les citoyens pourraient avoir accès à de meilleures infrastructures, notamment dans les domaines de la santé et de l’éducation.

Cependant, il faut craindre que cette situation fragilise davantage les pays de la région. Les exportations de la région vers le Maroc se situent aujourd’hui à moins de 100 MUSD et portent essentiellement sur des matières premières dont la moitié sont des produits agricoles. L’intégration du Maroc pourrait déséquilibrer davantage la balance commerciale au profit de ce dernier. Les pays de la région, économiquement fragiles et peu compétitifs, ne sont pas préparés à un tel scénario, contrairement au Maroc qui depuis des années peaufine sa stratégie. Ils ne pourraient, dans ce contexte, profiter pleinement des opportunités pouvant émerger avec l’intégration du Maroc à la Communauté.

Le Maroc pourrait en outre devenir la terre d’accueil des investissements pour la zone. Apparaissant comme un pays politiquement stable, avec une main d’œuvre de qualité ; les investisseurs pourraient préférer s’installer au Maroc l’utilisant comme base de production et exporter leurs produits vers les autres pays. Situation qui serait dommageable pour les pays de la Communauté qui ont placé le renforcement de leur attractivité comme objectif stratégique dans leur plan de développement, pour un rayonnement régional.

Certains projets majeurs de la Cédéao pourraient être remis en question. L’intégration des citoyens que souhaite la Commission de la Cédéao, par exemple, pourra se heurter à des obstacles culturels. L’histoire des peuples de la région ouest africaine s’entremêle, ce qui n’est pas forcément le cas avec le Maroc. D’ailleurs, certains marocains ont à plusieurs reprises démontré leur hostilité vis-à-vis des immigrés africains (légaux ou pas). Slate Afrique rapporte dans un article les actions racistes que subissent les étudiants d’Afrique subsaharienne au Maroc et la réponse plutôt molle des autorités vis-à-vis de cette situation[1]. Le projet de monnaie commune pourrait aussi perdre en pertinence. Le Maroc a sa propre monnaie et rien ne garantit qu’elle s’en délaisserait pour adopter celle que voudrait mettre en place la Commission de la Cédéao.

Si le rapprochement entre le Maroc et la région ouest africaine est à saluer car porteur d’opportunités, il aurait pu se faire sous d’autres formes. Déjà membre observateur de la Communauté, le pays a su tisser des relations économiques fortes avec les pays de la zone. On ne peut donc qu’être d’avis avec le fondateur de Wathi, Gilles Yabi, qui pense qu’il aurait été plus sage de donner au Maroc un « statut de partenaire stratégique. Du recul et un apprentissage auraient été préférables, pour permettre une adhésion sur quelques années et non sur quelques mois. »

Foly Ananou


[1] Cet exemple ne stipule pas que tous les marocains sont racistes ou sont hostiles envers les subsahariens. Il illustre simplement qu’il existe de fortes hétérogénéités culturelles entre les peuples qui pourraient remettre en question les ambitions de la Communauté.

Article mis en ligne le 17 juin 2017

Le vieillissement est-il devenu un risque au Maroc ?

Au cours de l’été 2016, les débats parlementaires relatifs à la réforme du système de retraite marocain ont mis au jour les faiblesses d’un système d’assurance vieillesse qui peine à faire face à la transition démographique que connait actuellement ce pays. 

Tandis que dans la société traditionnelle marocaine, le vieillissement concernait la sphère privée et mettait en jeu des logiques de solidarité familiale, la mise en place du système de protection sociale tout au long du XXème siècle, a permis de mutualiser les risques liés au vieillissement et d’améliorer la prise en charge des personnes âgées.

Toutefois depuis le début des années 2000 le vieillissement croissant de la population et la dégradation du ratio de dépendance démographique menacent l’assurance vieillesse car le nombre de cotisants ne suffit pas à financer les retraites des personnes âgées dont le nombre ne cesse de croître. Dès lors, le vieillissement est-il devenu un risque au Maroc ?

 

  1. Les risques induits par le vieillissement ont progressivement été mutualisés et pris en charge par la société marocaine.

 

  1. Redéfinition des solidarités privées

La théorie du cycle de vie développée en 1954 par Modigliani et Aldo décrit la vieillesse comme le troisième et ultime temps de la vie de l’individu. Au cours de cette période, l’épargne est utilisée par l’agent comme une trésorerie lui permettant de maintenir le niveau de consommation dont il disposait lors de sa période d’activité. En effet, le vieillissement s’accompagne pour les individus d’une disparition des revenus d’activité et d’un risque de pauvreté si l’épargne a été insuffisante lors de la période d’activité et si le système de protection sociale ne couvre pas l’ensemble de la population.  

Au Maroc la paupérisation croissante des personnes âgées est ainsi devenue un problème d’intérêt général dont rend compte le rapport sur l’Entraide Nationale publié en 2006. En effet, le rapport souligne la persistance de solidarités privées ainsi que la dépendance de nombreuses personnes âgées à l’entraide familiale et intergénérationnelle. Cette tendance montre qu’en l’absence de couverture universelle, les personnes âgées n’ayant jamais été salariées ou n’ayant jamais été rattachées à une caisse nationale d’assurance vieillesse – anciens agriculteurs,  anciens vendeurs sur le marché informel par exemple – ne bénéficient d’aucune protection et sont fortement exposées aux risques liés aux vieillissement tels que la pauvreté ou les maladies.

 

  1. La mutualisation des risques a abouti à la création d’un système de retraite bismarckien qui peine aujourd’hui à faire face à la dégradation du ratio de dépendance

 

L’actuel système de retraite marocain est de nature bismarckienne et la mutualisation des risques ne concerne que les travailleurs du secteur formel.  En effet, le système d’assurance sociale est pour l’heure contributif,  exclusivement  basé sur le salariat et organisé en quatre branches distinctes :

  • Caisse Nationale de Sécurité Sociale pour les salariés du secteur privé
  • Caisse Interprofessionnelle Marocaine de Retraite
  • Caisse Marocaine des retraites consacrée aux salariés des administrations publiques
  • Régime collectif d’allocation de retraite en faveur des agents contractuels employés par les administrations publiques.

Les prélèvements effectués sur les salaires des actifs permettent de financer les retraites et pensions des personnes âgées. Toutefois ce système assurantiel repose sur la stabilité du ratio de dépendance. Le Haut Commissariat au Plan rappelait dans son rapport de décembre 2012 que  le ratio démographique global des caisses de retraite est passé de 15 actifs pour un retraité en 1980 à 5,8 actifs en 1993 et à 3,9 actifs en 2009.

 

  1. La transition démographique menace la pérennité de ce système et la réforme de 2016

 

  1. Le gouvernement marocain tente depuis 2009 d’enrayer l’effondrement du système de santé

 

Dans une enquête consacrée au vieillissement de la population marocaine et commandée en 2006 par le Gouvernement marocain, les deux auteurs Youssef Courbage (INED) et l’historien Emmanuel Todd  indiquent  que la transition démographique du Maroc, qui a commencé dès 1975, soit bien avant tous les autres Etats africains, touche actuellement à sa fin. 

En effet, les prévisions démographiques laissent présager une profonde mutation de la pyramide des âges d’ici 2050. D’après les projections publiées par le Haut Commissariat au Plan le 20 décembre 2012, le nombre de personnes âgées de 60 ans et plus passerait ainsi de 2,7 millions en 2010 à 10,1 millions en 2050. Cette évolution porterait donc à 24,5% la part des personnes de plus de 60 ans dans la société contre respectivement 7,2%  et  8,1% en 1960 et 2004. Sans réforme du système de retraite par répartition ces évolutions conduiraient à une dégradation des déficits des quatre caisses nationales d’assurance vieillesse.

 En 2009 le Ministère du développement social, de la famille et de la solidarité a mis en place une Stratégie nationale pour les personnes âgées afin de lutter contre l’exclusion et la pauvreté croissantes des personnes âgées.  Par ailleurs, la réforme la plus importante est intervenue  le 19 juillet  2016 avec l’adoption au Parlement marocain, de l’allongement de la durée de cotisation portant l’âge du départ à la retraite à 63 ans. Dans le même temps, les cotisations ont été augmentées et le montant des pensions réduit. Cette réforme paramétrique douloureuse pour les salariés a polarisé l’opinion publique et donné lieu à un bras de fer entre les partenaires sociaux et le gouvernement marocain.

  1. Recommandations

La  solution  à la dégradation du ratio de dépendance ne doit pas être exclusivement centrée sur les paramètres du système de retraite (durée de cotisation, âge de départ à la retraite, montant des pensions, etc). En effet, les politiques d’emploi sont également un levier pertinent permettant d’agir sur le nombre de cotisants. Les avantages fiscaux en faveur de l’emploi des jeunes permettraient par exemple d’augmenter le taux d’emploi et donc le nombre d’actifs.

En outre, le gouvernement  marocain gagnerait à développer les politiques de formation et de soutien à la recherche. Grâce aux dispositifs de formation tout au cours de la vie active, la productivité du travail augmenterait et ces gains de productivité permettraient de pallier la diminution de la part d’actifs dans la population totale.

 

Daphnée Setondji

 

Sources

  • Courbage, Y et todd, E, (2007), Nouveaux horizons démographiques en Méditérannée.
  • Faruqee, H. and Tamirisa, N., (2006), Macroeconomic Effects and Policy Challenges of Population Aging, No 06/95, IMF Working Papers, International Monetary Fund.
  • http://www.huffpostmaghreb.com/2016/07/20/retraite-loi-maroc_n_11080492.html
  • Rapport du Haut Commissariat au Plan intitulé  « Vieillissement de la population marocaine : Effets sur la situation financière du système de retraite et sur l’évolution macroéconomique » (2012).

Le secteur privé, maillon fort de l’intégration économique du Maroc en Afrique

Les deux chefs d Etat, Mohammed VI et Macky Sall, président le lancement du Groupe d impulsion economique entre le Maroc et le Senegal, le 25 mai 2015.
Le Maroc « est déjà le deuxième investisseur du Continent, mais pour peu de temps encore, avec sa volonté affichée de devenir le premier » déclarait le Roi Mohammed VI dans son Message au 27ème Sommet de l’Union Africaine à Kigali, le 18 juillet 2016. En effet, plus d’1,5 milliard de dollars ont été investis par les entreprises marocaines entre 2003 et 2013 en Afrique de l’Ouest et Centrale, soit la moitié des investissements directs étrangers du Maroc réalisés ces dernières années.

Dès le début des années 2000, plusieurs entreprises marocaines privées sont allées s’installer en Afrique, couvrant un ensemble diversifié de secteurs. A titre d’illustration, l’implantation de filiales bancaires de la Banque Centrale Populaire, de BMCE Bank of Africa et d’Attijariwafa Bank dans une quinzaine de pays africains. Le holding d’assurance Saham est également présent dans une vingtaine de pays du continent, depuis le rachat de l’opérateur nigérian Continental Reinsurance en 2015. Dans les télécommunications, Maroc Télécom a renforcé son emprise dans le continent avec le rachat de 6 filiales africaines de son actionnaire émirati Etisalat. En outre, plusieurs holdings comme Ynna Holding et la Société Nationale d’Investissement (SNI), à travers sa filiale minière Managem interviennent en Afrique. Dans le secteur immobilier, Alliances Développement Immobilier a signé des accords de partenariat avec les gouvernements camerounais et ivoirien pour la construction de milliers de logements sociaux, Palmeraie Développement a lancé des projets de construction au Gabon, en Côte d’Ivoire et récemment au Rwanda. Le Groupe Addoha a également jeté son dévolu sur le continent via ces deux entreprises : Addoha et Ciments de l’Afrique (CIMAF), motivé par les importants investissements en infrastructures (autoroutes, ponts, ports, logements sociaux, universités, etc). Rejoint depuis peu par LafargeHolcim Maroc Afrique (LMHA), filiale détenue à parts égales par le cimentier LafargeHolcim et le holding royal SNI.

Ainsi, le secteur privé joue un rôle primordial dans l’intégration économique régionale. La mobilisation des investissements privés y est essentielle pour la création d’emploi, l’amélioration de la productivité et l’augmentation des exportations. L’intégration économique maroco-africaine dessinée par le Roi Mohammed VI appelle les opérateurs nationaux à partager leurs expériences et à raffermir leurs relations de partenariat avec les pays africains. Le secteur privé marocain aura alors pour rôle de transférer ses connaissances, tout en exploitant le potentiel de production, contribuant ainsi à l’amélioration de sa compétitivité à l’échelle internationale. Pour sa part, le commerce interrégional offre une occasion de dynamiser les échanges commerciaux – encore faibles – et de réduire le déficit structurel de la balance commerciale marocaine. Le potentiel économique étant important. La CEDEAO (Communauté des Etats de l’Afrique de l’ouest) et la CEMAC (Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale) comptent plus de 300 millions de consommateurs, soit un marché 9 fois supérieur à la population marocaine.

Rôle des Groupements d’impulsion économique dans le renforcement des relations économiques bilatérales

A chaque déplacement officiel de Mohammed VI, le Maroc conclut avec les autres pays africains des accords préférentiels prévoyant des facilités douanières et des avantages fiscaux afin de promouvoir les échanges commerciaux et développer les investissements intra-africains. Aujourd’hui, les relations économiques entre le Royaume et les autres pays africains sont régies par un cadre juridique de plus de 500 accords de coopération.

Ceci est tellement important que le Roi Mohammed VI a invité le Gouvernement – lors de la 1ère Conférence des ambassadeurs organisé en août 2013 – à œuvrer en coordination et en concertation avec les différents acteurs économiques des secteur public et privé en vue de saisir les opportunités d’investissements dans les pays à fortes potentialités économiques. Ainsi, les derniers périples royaux ont été marqués par la mise en place de Groupes d’impulsion économique (GIE) entre le Maroc et le Sénégal, d’une part, et le Maroc et la Côte d’Ivoire, d’autre part. Ces instruments, co-présidés par les ministres des Affaires étrangères et les présidents des patronats de chaque pays, visent à promouvoir le partenariat entre les secteurs privés et à booster les échanges commerciaux ainsi que les investissements[1].

Avec une population de près de 22 millions d’habitants, la Côte d’Ivoire est la 1ère économie de l’UEMOA (Union économique et monétaire ouest africaine) et est également la 2e puissance économique de la CEDEAO. Et les opportunités d’investissements n’y manquent pas : l’industrie, les infrastructures et BTP, les mines, énergies, etc. Le Sénégal n’est d’ailleurs pas en reste. Il existe de nombreuses raisons qui encouragent les investissements dans le pays tels que la stabilité politique, l’ouverture économique et la modernité des infrastructures. La protection des investisseurs marocains est également assurée grâce notamment aux accords de promotion et de protection réciproque des investissements et des accords de non double imposition. Le protocole d’accord relatif à la création d’une joint-venture entre le groupe marocain « La Voie Express » et la société sénégalaise « Tex Courrier » signé le 9 novembre 2015 lors de la cérémonie de présentation des travaux du GIE maroco-sénégalais – présidé par le Roi Mohammed VI et le Président Macky Sall – témoigne à juste titre du rôle moteur joué par cet instrument pour la dynamisation du partenariat privé-privé[2].

Par ailleurs, les échanges entre le Royaume et le continent africain ont connu une nette augmentation durant la dernière décennie. Sur la période 2004-2014, les échanges globaux du Maroc avec le continent ont quadruplé, passant de 1 milliard de dollars à 4,4 milliards de dollars. L’étude ‘‘Structure des échanges entre le Maroc et l’Afrique : Une analyse de la spécialisation du commerce’’ réalisée par OCP Policy Center en juillet 2016 montre que l’Afrique de l’ouest reste la 1ère destination des exportations marocaines[3]. Cette région a notamment accueilli environ 50,08% de ces exportations en 2014, soit l’équivalent de 1,04 milliard de dollars[4]. Toutefois, l’analyse de la structure des exportations fait ressortir que les exportations marocaines vers le continent sont dominées par les biens intensifs en matières premières et ressources naturelles[5]. Un fort potentiel reste encore à développer pour dynamiser davantage les exportations marocaines. La Direction des études et des prévisions financières (DEPF), rattachée au Ministère de l’Economie et des Finances marocain, soulignait dans son étude ‘‘Relations Maroc-Afrique : l’ambition d’une nouvelle frontière’’ que « les entreprises marocaines, ciblant le marché africain, devraient privilégier une stratégie de pénétration basée sur des considérations de coûts à partir de choix sectoriels ciblés en fonction de l’évolution des besoins actuels et surtout futurs des populations africaines, l’essor démographique, la montée des classes moyennes et l’urbanisation rampante du continent sont autant de facteurs à prendre en considération pour anticiper la configuration ascendante de ces économies en voie d’émergence ». Dans ce sens, les entreprises exportatrices marocaines ont intérêt à anticiper les dynamiques de transformations économiques, sociales et culturelles qui se profilent à l’horizon en Afrique subsaharienne en mettant en place des stratégies d’adaptation afin de capter une part de marché supérieure et combler leur retard sur cette région dynamique.

L’action économique au cœur de la stratégie d’intégration du Maroc en Afrique

L'intégration économique est aussi importante pour le Maroc que pour le continent. La récente tournée royale effectuée au Rwanda, Tanzanie, Sénégal, Ethiopie, Madagascar et Nigéria a vocation à la renforcer. L’Afrique de l’est est la région africaine la plus dynamique. Et le potentiel économique y est encore inexploité. Ainsi, afin que le Maroc puisse renforcer davantage sa présence sur le continent africain, il convient d’explorer un certain nombre de pistes. Tout d’abord, encourager l'internationalisation des entreprises marocaines et leur investissement en terre africaine en mettant à leur disposition une véritable base de données sur les spécificités et le potentiel de chaque économie. Ensuite, favoriser les flux d’exportations vers les pays africains. Les acteurs publics et privés sont tous les deux concernés par la promotion des produits marocains. La nouvelle Agence marocaine de développement des investissements et des exportations mais également l’ASMEX (Association marocaine des exportateurs) devront conduire des missions commerciales dans différents gisements africains et offrir aux entreprises nationales l’accompagnement nécessaire pour développer leurs exportations et/ou réaliser leur projet de développement sur le continent. Enfin, renforcer l’intégration commerciale avec les différents pays africains. Le marché de consommation est en train de se constituer avec l’émergence d’une classe moyenne davantage tournée vers les produits manufacturés et à forte valeur ajoutée. La négociation de partenariats avancés avec la CEDEAO et la CEMAC incluant la mise en place de zones de libre-échange, constitue à son tour une porte d’entrée idéale sur ce grand marché de plus de 300 millions d’âmes.

A l'ère de la mondialisation et de la concurrence internationale acharnée, la projection accrue des économies émergentes sur le continent africain est empreinte de rivalités : Chine, Inde, France, Japon ou encore l’Allemagne, tous ont dévoilé leurs ambitions africaines. Face à ce contexte international, la diplomatie marocaine se veut plus ambitieuse et agressive. Le Roi Mohammed VI déclarait à l’ouverture du Forum Maroco-Ivoirien du 24 février 2014 : « les relations diplomatiques sont au cœur de nos interactions. Mais, à la faveur des mutations profondes que connaît le monde, leurs mécanismes, leur portée ainsi que leur place même dans l'architecture des relations internationales, sont appelés à s'adapter aux nouvelles réalités. » Dans ce sillage, le Maroc gagnerait à organiser un sommet d’affaires maroco-africain. Ce dernier s’inscrirait dans la continuité de l’Africa Action Summit et porterait sur le potentiel de développement économique du continent. Le Sommet réunirait, ensemble, les gouvernements et entreprises, les secteurs public et privé, autour du développement économique, social, et humain de l’Afrique. L’enjeu étant de réaffirmer la stratégie d’influence du Maroc sur le continent.

Hamza Alami


[1] Les groupements d’impulsion économiques comprennent 10 secteurs d’activités identifiés comme prioritaires : il s’agit des commissions Banque-finances-assurance, agri-business-pêche, immobilier-infrastructures, tourisme, énergie-énergie renouvelables, transport-logistique, industrie-distribution, économie numérique, économie sociale et solidaire-artisanat, capital humain-formation et entreprenariat

[2] Christophe Sidiguitiebe, Quatre nouveaux accords signés entre le Maroc et le Sénégal, Telquel.ma, le 10.11.2016 : www.telquel.ma/2016/11/10/quatre-nouveaux-accords-signes-maroc-senegal_1523082

[3] Quatre des cinq principaux partenaires commerciaux africains (Algérie, Mauritanie, Sénégal, Côte d’Ivoire et Nigéria) font partie de l’Afrique de l’ouest.

[4] En ce qui concerne les importations, le poids de l’Afrique du nord a constitué la source de près de la totalité des importations marocaines, avec une part de 82% en 2014 contre 53% en 2004, en important principalement du gaz naturel, du gaz manufacturé, du pétrole et produits dérivés.

[5] Les exportations marocaines sont constituées essentiellement de produits alimentaires et animaux vivants (25%), les machines et matériels de transport (18,5%), les produits chimiques et produits connexes (18,1%), les articles manufacturés (15,9%) et les combustibles minéraux, lubrifiants et produits connexes (11,7%).

La diplomatie islamique du Maroc vis-à-vis de l’Afrique subsaharienne

JPG_Maroc ImamsAu Mali, une simple connaissance de la langue arabe, aussi superficielle soit-elle, suffit pour devenir imam ou prêcheur. Une partie des imams ne maitrise d’ailleurs pas la langue arabe, qui est la langue de l’islam, et n’est dépositaire que de connaissances théologiques effleurées. Bien que pouvant présenter des déficiences, ces leaders religieux sont toutefois acceptés comme tels, et leurs propos restent perceptibles auprès de leur auditoire, les fidèles.

Il n’y a pas de formation spécifique au Mali, on devient donc imam par la force des choses.  Les mosquées dans lesquelles officient ces imams, sont généralement privées. Les ‘’généreuses’’ personnes impliquées dans le religieux, qui les bâtissent, choisissent librement leurs imams.

La visite du roi du Maroc, Mohamed VI, à Bamako le 18 février 2014, a donné lieu à la conclusion d’un accord sur la formation d’imams maliens. Le royaume du Maroc s'est engagé à accueillir cinq cents imams maliens sur cinq ans. Le but est de former des imams authentiques sur la base de l’islam malékite, ouvert et tolérant. En sus de ses caractéristiques strictement religieuses, il nous parait que cette généreuse offre du royaume chérifien, vis-à-vis de l’État malien, s’inscrit aussi dans un cadre géopolitique qu’il nous semble important d’analyser. 

La formation des imams maliens par le royaume du Maroc

Cent six imams maliens, sélectionnés par le ministère malien du Culte et des Affaires religieuses, sont actuellement en formation dans un centre de formation des imams, de Rabat. Il s’agit pour la plupart, d’imams débutants, âgées de 25 à 45 ans, et venant de toutes les régions du Mali. Cette formation est structurée autour des enseignements sur la méthodologie du prêche, l’histoire de l’islam, la vie du prophète, les sciences coraniques, mais aussi en informatique et en communication. L’expérience malienne a inspiré d’autres pays africains, qui souhaitent également former leurs imams au Maroc. Le ministère marocain des Affaires islamiques a ainsi reçu les demandes de formation du Gabon, du Nigéria, de la Côte d’Ivoire et de la Guinée Conakry. Face à ces demandes, le 12 mai 2014, le roi Mohamed VI a donné le coup d'envoi des travaux de « l’Institut Mohammed-VI de formation des imams, morchidines (prédicateurs) et morchidates (prédicatrices). Situé à Rabat, et couvrant trois hectares, le centre abritera des salles de cours et de conférence, des locaux administratifs, des logements et des services de restauration pour les étudiants étrangers. « Le coût des travaux est évalué à 140 millions de dirhams (environ 12 millions d’euros) »[1].

Le programme de formation des imams maliens semble opportun, compte tenu des récentes manifestations de l’islam au Mali. Par ailleurs, il laisse apparaitre ses limites. Le directeur de cabinet du ministre marocain des Affaires islamiques explique que son pays forme « des imams authentiques qui n’iront pas chercher d’autres idées que celles qui sont dans la population depuis des siècles »[2]. Il apparait ainsi que, d’une part, le projet de formation des imams par le Maroc vise à préserver les choix rituels et doctrinaux du pays, relevant de l’islam malékite. D’autre part, cette démarche aurait sans doute été bénéfique, seulement, dans le cas où les autorités maliennes octroieraient l’imâma (la fonction d’imam, par extension de prédication).

La sphère religieuse malienne n’étant soumise à aucune règle spécifique, la portée de cette démarche risque de produire que des impacts très limités. La construction de mosquées au Mali n’est soumise à aucune autorisation préalable. Une structure ou personne qui en érige une, est libre de choisir la personne qui lui semble qualifiée pour conduire les prières et les prêches. La segmentation de l’espace religieux malien étant très prononcée, il est systématique qu’on retrouve dans les mosquées wahhabites les imams de la doctrine et, dans les mosquées malékites, des imams imprégnés du malékisme. Nous considérons que le programme de formation n’ait réellement concerné les imams, et leaders religieux les plus aptes à y participer, c’est-à-dire ceux de la tendance salafiste. Nous avons ainsi pu constater que ceux des imams maliens qui ont fait le déplacement vers le Maroc, en vue d’être formés, sont déjà imprégnés de la culture malékite. Si le but essentiel de la formation consiste à promouvoir un islam tolérant, il devrait nécessairement concerner, en premier lieu, les leaders religieux les plus rigoristes, afin de les ramener à des positions plus modérées. Cet objectif nous semble pourtant difficilement réalisable, car l’islam malékite représente, pour les salafistes/wahhabites, une vision erronée de la religion musulmane. Le choix des personnes, pouvant participer au programme de formation, n’a pu être donc basé sur une procédure ciblée. N’ont répondu à l’appel à candidature, que les imams intéressés par l’offre. Il est donc clair que ceux-ci avaient un penchant pour le rite malékite.

L’islam comme un pont reliant le Maroc à l’Afrique subsaharienne

Compte tenu du rôle croissant du Maroc sur la scène africaine, qui s’exerce aussi fortement à travers la religion, nous nous sommes questionné sur les intérêts que le pays peut tirer de ce type de processus. Outre les mesures de « diplomatie économique », le Maroc a su exploiter d’autres pistes, notamment le biais idéologique (‘’diplomatie islamique’’), dans ses rapports avec l’Afrique subsaharienne. Les convergences idéologiques, en ce sens, pourraient ainsi avoir tendance à favoriser les convergences politiques. Comme l’écrit Alain Antil : « le roi du Maroc cumule les rôles de souverain théocratique et de chef d’État moderne avec des moyens de communication de masse qui permettent de relayer son image et ses discours dans toutes les régions du royaume […] Il est véritablement au-dessus des lois car il détient son autorité de Dieu […] La politique étrangère du royaume n’est que le reflet de la structure du pouvoir, et apparait d’abord comme le domaine réservé du roi » (Alain Antil, 2003). Le souverain du Maroc mène ainsi le jeu diplomatique, qu’il conçoit et conduit lui-même, assisté par quelques conseillers. Il nous semble alors naturel, de ce point de vue, que la religion soit placée au cœur de la diplomatie marocaine, vis-à-vis de l’Afrique subsaharienne.

Tout comme le malékisme fut un important facteur de rapprochement entre les sultans marocains et les empereurs du Soudan Occidental[3], le Maroc semble instaurer, à nouveau aujourd’hui, un cheminement identique visant à conforter ses liens avec des États d’Afrique subsaharienne. Ainsi, à travers ce type d’initiatives, c’est la grandeur du Maroc dans le domaine de l’islam qui se réaffirme sur la scène africaine. En outre, en tant que commandeur des croyants au Maroc, le processus de formation d’imams africains pourrait étendre la portée de l’influence doctrinale du roi Mohamed VI, à d’autres régions subsahariennes, notamment imprégnées du malékisme.

Suite à l’admission de la République Arabe Sahraouie Démocratique (RASD) au sein de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA), lors du sommet de Tripoli de 1982, le royaume du Maroc, en guise de protestation, s’est retiré de l’instance africaine en 1984. Parmi les quatre-vingt pays qui ont reconnu la RASD, dont une majorité d’Etats africains, une trentaine est revenue sur sa décision de reconnaissance. Bien qu’il ait pris part au 22ème sommet de l’Union Africaine (UA), tenu les 30 et 31 janvier 2014 à Addis Abéba, le royaume exclut toute idée d’un retour au sein de l’instance africaine, tant que la RASD y siégera. Cette divergence de visions politiques, qui oppose le Maroc à l’assemblée des États africains, n’empêche toutefois pas le royaume d’exploiter d’autres approches de coopération.

Le partenariat  religieux est désormais inscrit au cœur de la diplomatie marocaine, vis-à-vis de plusieurs États d’Afrique subsaharienne. Face à la conjoncture régionale et internationale, avec l’islam qui apparait, dans des régions, très hostile et sous une forme violente, le Maroc tend progressivement à apparaitre comme un pays clé, pouvant contribuer à radoucir cette religion. Abdelslam Lazaar, directeur de l’école de formation des imams de Rabat, explique ainsi : « Aux étudiants, nous apprenons à lutter contre le terrorisme par le savoir. Par les armes, même pendant vingt ans, vous n’y parviendrez pas. Utilisez le savoir et la pensée, en trois ou quatre années, vous pouvez éradiquer le terrorisme »[4].


[1] Information révélée par Le Matin du 12 mai 2014.

[2] Propos évoqués dans La croix du 23 juin 2014.

[3] L’espace du Soudan Occidental représente une bande de territoires soudano-sahéliens qui traverse en écharpe le continent africain, entre le Sénégal et la Corne de l'Afrique, avec un prolongement le long de la côte de l'Océan Indien. Cette partie de l’Afrique a connu, dans le moyen âge, un essor simultané sur le plan économique, politique, culturel et religieux, à travers l’édification de grands empires (Ghana, Mali, Songhaï).

[4]Propos évoqués dans Libération du 4 janvier 2015.

Le tropisme africain du Maroc, entre pragmatisme et intégration africaine

JPG_Mohamed VI AfriqueAujourd’hui, l’avenir du Maroc se joue en Afrique au Sud du Sahara. Le tropisme africain du Maroc apparait comme un enjeu des nouvelles formes de diplomaties à l’intérieur des pays du Sud, bâties sur la recherche mutuelle d’intérêts économiques, le sentiment d’appartenance à un même bloc géopolitique et la solidarité entre nations du Sud.

Une place à prendre

Le récent ballet diplomatique du Roi Mohammed VI, en mai 2015, en Afrique règle au moins une question longtemps abordée par les spécialistes de la diplomatie comme une incompréhension géostratégique : l’intégration du Maroc dans l’Union européenne comme Etat-membre. En effet, en 1984, le Maroc du Roi Hassan II avait clairement soumis un projet d’adhésion à la Communauté économique européenne, qui sera rejeté en 1987 pour « non-européanité » du royaume chérifien.

Après les déstabilisations du Maghreb pour cause de « printemps arabes », la perte de vitesse du Nigéria due, entre autres, à l’hydre Boko Haram, l’essoufflement économique et les embarras identitaires de l’Afrique du Sud, l’effacement de l’Algérie en quête de stabilité, le Maroc se découvre un axe diplomatique à défendre : extension de son influence à l’Afrique subsaharienne et organisation de partenariats stratégiques dans une partie du continent à la croissance économique prometteuse.

En réalité, la coopération avec les voisins du Sud n’est pas nouvelle. A la fin du protectorat espagnol au Maroc et à l’avènement des indépendances africaines, le Maroc s’est impliqué dans la diplomatie africaine post-colonisation et  dans la création de la défunte Organisation de l’unité africaine (OUA), qu’il quittera en 1984 à cause de divergences sur la réalité de la République arabe sahraouie démocratique. Aujourd’hui, le Maroc a pour objectif d’être la passerelle entre la Méditerranée et l’Afrique subsaharienne et s’impose comme un acteur des relations internationales au même titre que la France, la Chine, les Etats-Unis, l’Union Européenne sur le continent noir.

Au Sénégal, en Côte d'Ivoire, au Gabon et en Guinée Bissau en mai 2015, le Roi Mohamed VI a réaffirmé à ses interlocuteurs la volonté du royaume : densifier ses partenariats et ériger des coopérations de fond sur les enjeux des sociétés modernes. Maintien de la paix, éducation, solidarité, culture, politique d’investissement sur l’immobilier, eau potable, tous ces secteurs sont à l’agenda des réalisations ou des projets du Maroc.

Ainsi au Sénégal, le Maroc a participé au financement au programme immobilier de la Cité des Fonctionnaires pour loger près de 2 900 ménages. Le Maroc a également fait don, pour la lutte contre le sida, de médicaments et matériel médical. Le Royaume a financé des pèlerinages à la Mecque ou encore proposé son appui technique pour le raccordement électrique de villages sénégalais. En Côte d’Ivoire où le Roi Mohamed VI s’était déjà rendu en 2013 et 2014, le soutien à la reconstruction de ce pays ouest-africain a été l’objet de plusieurs accords signés pour la construction d’infrastructures, mais aussi sur les plans immobilier, bancaire, agricole, touristique et culturel.

Les partenariats proposés reposent sur des projets de développement économique avec l’implication du secteur privé marocain qui cherche à accroitre son développement. En cela, la diplomatie économique du Maroc tient à la fois du pragmatisme et de l’influence politique.

La diplomatie « sud-sud » en action

La contestation des anciennes formes de partenariats entre le Nord et le Sud et la nécessité d’adapter les enjeux dans un monde en mutations géopolitiques jouent en faveur de la diplomatie des pays émergents. Avec l’implantation de la Chine pour ravir les parts de marché, la perte d’influence des grandes puissances et la redéfinition des politiques internationales de développement, plusieurs facteurs confortent le changement de paradigme.

La France et une grande partie de l’Europe ont recentré leurs priorités vers des enjeux plus nationaux, du fait de la crise économique qui frappe de plein fouet ces aires. Les expansions de marché économique africain sont toutes tournées vers des marchés à la croissance exceptionnelle, qui oscille entre 5  et 6 % en moyenne par an. Les populations sont jeunes, mieux éduquées, plus au fait des capacités de la révolution numérique. Les techniques administratives se professionnalisent, les pouvoirs politiques mieux soumis au contrôle citoyen, les universités sont plus adaptées aux formations de demain.

Tous ces paramètres font non seulement du continent africain, malgré le retard conséquent sur le plan économique et les freins politiques et sécuritaires par endroits, une terra nova pour le business et la construction d’un avenir commun que les Marocains ont réellement perçu.

Avec ou sans l’Union africaine ?

Depuis le départ de l’Organisation de l’Unité Africaine en 1984, le Maroc a multiplié les signes de création d’une intégration africaine tout en niant son appartenance à l’appareil censé incarner ce vœu. Evidemment, la question du Sahara n’est pas totalement vidée de sa substance, mais il faut reconnaitre qu’à part l’Algérie, peu de pays africains, aujourd’hui, clament leur reconnaissance d’un Etat aux Saharaouis. Pour preuve, beaucoup sont revenus sur leur reconnaissance comme le Bénin, Madagascar, le Togo ou encore le Tchad. Pour le moment, la coopération avec les voisins du Sud n’aborde pas clairement le sujet épineux du Sahara mais en diplomatie, le temps est une valeur-refuge.

Ceci étant, avec la coopération universitaire, les politiques d’investissement, le maintien de la paix, le Maroc revient en force et cette nouvelle donne poussera les pays subsahariens à travailler à l’intégration d’un partenaire stratégique au sein d’une Union qui se veut forte et décisive dans le concert des nations. La pression est plutôt du côté des pays africains pour voir comment prochainement intégrer le Maroc au sein de l’institution continentale. Pour le Maroc, son influence a rempli sa mission: être incontournable; la boucle serait bouclée.

Régis Hounkpé

Un racisme maghrébin ?

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Manifestation contre le racisme (Rabat – 11/09/2014). Credit photo: AFP PHOTO/FADEL SENNA

 

 

Il y a peu, je me suis réjouie, à l’occasion d’une conversation avec  Jack Lang, président de l’Institut du monde arabe de Paris, d’entendre dire que le  Maroc est un des rares pays qui valorise constitutionnellement ses héritages et arbore fièrement les couleurs de la mosaïque arabe, berbère, subsaharienne et hébraïque qui le compose.  Si je persiste à croire que tout cela est vrai, les événements dont le Maroc a récemment été le théâtre m’ont laissé un goût amer. 

29 août 2014, Tanger. Une bataille entre subsahariens et marocains portant des armes blanches dégénère dans  le quartier populaire de Boukhalef. Le bilan est de  3 morts, l’un d’eux, sénégalais, a été sauvagement égorgé.  Plus inquiétant encore, ces événements  sortent des profondeurs d’autres informations concernant les problèmes rencontrés par les populations subsahariennes vivant au Maroc, aussi bien avec  la société civile qu’avec les autorités. De quels problèmes est-il exactement question ? De quoi découlent-ils ? Le terme racisme est-il réellement pertinent ?

Une migration transitoire qui finit par s’inscrire dans la durée.

Revenons-en au contexte des faits. Depuis quelques décennies maintenant, le Maroc connait une migration transitoire en provenance d’Afrique subsaharienne, en direction de l’Europe. A elle seule, la région de Tanger compterait plus d’un millier de migrants subsahariens, dont environ 800 résidant dans le quartier Boukhalef.

Rêvant d’une vie meilleure de l’autre côté de la Méditerranée, ces migrants africains se heurtent à la réalité des frontières hermétiques et finissent par jeter l’ancre au Maroc. Ainsi, une migration, qui était initialement transitoire, finit par s’inscrire dans la durée en imposant, d'elle même, la question de la régularisation des sans-papiers. D’après les chiffres officiels, le Maroc compterait au moins 30.000 sans-papiers sur son territoire.

Ce qu’il ne faut pas oublier est que cette problématique n’est qu’une goutte d’eau parmi toutes celles qui agitent le pays et qu’aucune politique d’immigration claire n’a, jusqu’ici, été mise en place. Les sans-papiers sont donc doublement rejetés, pris en étau entre un gouvernement qui les délaisse – quand il ne les expulse pas – et une société civile dont les réflexes sécuritaires se déclenchent au contact de cet élément nouveau qui n’a pas politiquement obtenu « droit de cité » dans l’espace public.

Un conflit latent entre les communautés?

Mais, plus que le problème de la régularisation, ce qu’il y a d’alarmant, dans la situation des subsahariens en terre marocaine, est le caractère identitaire sur lequel se base le double rejet que nous évoquions précédemment. 

« Alcoolisme, concubinage, squattage », cette énumération, loin d’être exhaustive, regroupe cependant certains des traits culturels prêtés aux populations subsahariennes et constituant le principal argumentaire du rejet de la population civile – les promoteurs immobiliers, par exemple. Le problème est que la liste en question ne semble nullement exclusivement imputable aux migrants, ce sont des problématiques récurrentes pour toutes les personnes qui ne sont pas insérées socialement, y compris dans les pays musulmans. Quelle différence alors ? La différence est qu’ils sont noirs, et que, par facilité, on préfère mettre cela sur le dos de leur culture.  Ce qui est curieux, c'est que ces accusations semblent familières. Elles rappellent étrangement les propos racistes tenus envers les maghrébins en Europe. Il suffit donc d’un léger décentrement idéologique pour faire resurgir un racisme qu’on condamne pourtant furieusement chez le voisin.

Pour autant, le parallèle avec l’intégration des maghrébins en Europe a des limites. Le Maroc, pays en voie de développement, hérite en effet a posteriori d'une immigration qui n'a pas été politiquement et économiquement programmée et qui ne le visait pas initialement. Aussi, le Maghreb et l'Afrique subsaharienne partagent une identité commune dont le Maroc s'est récemment mis en quête en la célèbrant dans des festivals et autres expositions, je vous en parlais ici.  L’exercice périlleux consiste, en fait, à trouver un juste milieu entre la dénonciation légitime des actes racistes et l’évocation systématique de l’identité des subsahariens même lorsque ce n’est pas justifié. En effet, cette attitude contribue paradoxalement  à essentialiser cette population dans son identité d’étranger et dessert le processus d’intégration plus qu’autre chose. C’est pourquoi il est nécessaire de faire preuve de beaucoup de vigilance quant aux informations rapportées, ici et là, et veiller à ne pas confondre délinquance et conflits identitaires.

Le racisme, un débat occidental ?

D’aucuns poussent, cependant, le raisonnement précédent jusqu’à dire que le racisme est tout bonnement étranger à notre culture, justifiant, par un habile tour de passe-passe, l’absence d’évocation de la composante identitaire africaine dans le débat politique comme l’indice de l’assimilation tacite de cette population dans le creuset maghrébin. Ici et là, certains s’emparent ainsi de l’occasion pour voir, dans le débat sur le racisme, l’importation d’une problématique occidentale. Cet argument de base, d’un dogmatisme puissant et annihilateur, est valable pour tous les sujets qui posent problème (la femme, la modernité, la liberté, la démocratie…) et se révèle somme toute assez pratique pour faire avorter toute velléité de débat public. S’il est vrai qu’il faut tenir compte de l’histoire du Maroc, où les populations d’origine et de confessions diverses ont longtemps cohabité en paix, et se garder d’établir des parallèles avec un Occident dont l'immigration résulte d'autres facteurs ; on ne peut cependant pas fermer l’œil sur de telles expressions de barbarie. 

Ce que prouvent ces affrontements récurrents et les réactions qu’ils provoquent est qu’il est urgent d’intégrer la communauté noire comme un élément du débat politique. La régularisation ne suffit pas, une vraie politique d’intégration s’avère nécessaire.  Cette dernière permettrait d’inscrire politiquement les subsahariens dans l’espace public, leur donnant ainsi un  « droit de cité » qui les fait exister aussi bien dans l’espace, d’apparition, public que dans la psyché maghrébine.

Pour l’égalité dans l’héritage au Maroc

photo-article-salmaA l’occasion de la journée mondiale de la femme, l’association progressiste Autre Maroc a organisé un sit-in sur la place des droits de l’Homme à Paris afin d’appeler à une réforme du code successoral. Au Maroc, cette revendication est portée par de nombreux intellectuel-le-s, associations féministes et juristes. La position officielle de l’Etat marocain, représentée par le conseil des oulémas, décrète le code de l’héritage -adopté en 1958- irréformable en raison de son caractère «sacré». C’est dans ce contexte que l’association Autre Maroc lance ce débat afin de contribuer à l’émergence d’une lutte pour une réforme juste et consciente des discriminations à l’égard des démunis, des exclus et des femmes stigmatisées et conditionnées par la domination patriarcale.

A première vue cette revendication peut sembler culturaliste et en contradiction avec l’esprit religieux et communautaire dominant. En effet, les détracteurs de la réforme du code successoral insistent sur le fait que les lois sont aujourd’hui le reflet des rapports de forces et de la structure socio-économique de la société marocaine et par conséquent, il serait légitime que les hommes soient favorisés par le mode successoral. En d’autres termes, le rôle des hommes dans la création de richesses justifierait leur part plus importante de l’héritage. De même, ils invoquent le fait que les femmes seraient prises en charge matériellement par les hommes. Ces arguments se calquent sur une conception de la famille fortement influencée par une interprétation anhistorique de la religion musulmane. Ce modèle familial correspond en effet à la société guerrière, tribale et patriarcale dans laquelle les textes fondateurs de l’islam ont vu le jour.

Dans la pratique, les marocains recourent de plus en plus aux tribunaux pour le partage de leur succession alors que celui-ci est censé se régler à l’amiable. Les litiges successoraux se placent au second rang parmi les affaires civiles, après les questions de divorce. Outre les questions de titrisation et de mariage coutumier, les dispositions du code de la famille restent à l’origine des nombreux contentieux. Ce mode successoral peut paraître compliqué mais il repose pourtant sur des règles de base assez simples et qui le rendent intelligible et permettent de déceler l’esprit de la loi.

La première règle est celle du tafāḍul qui consiste à accorder aux héritiers mâles le double de la part que reçoivent les héritières de même degré. Les juristes musulmans se sont basés sur le verset suivant : « Voici ce qu’Allah vous enjoint au sujet de vos enfants : au fils, une part équivalente à celle de deux filles».  Cette règle ne s’applique pas dans le cas où la mère reçoit une part égale à celle du père en application du verset suivant «Quant aux père et mère du défunt, à chacun d’eux le sixième de ce qu’il laisse, s’il a un enfant. S’il n’a pas d’enfant et que ses père et mère héritent de lui, à sa mère alors le tiers».

La seconde règle est celle de la distinction entre les héritiers «réservataires» et «agnats». Les réservataires (al-waraṯa bi al-farḍ) sont ceux qui reçoivent des quotes-parts fixes, généralement mentionnées dans les textes religieux. En vertu de l’article 337 du code de la famille, les héritiers réservataires sont la mère, les descendants et ascendants féminins, le conjoint-e, le frère utérin et la sœur utérine. La seconde catégorie d’héritiers comprend les agnats (al-waraṯa bi at-taʿṣīb), c’est-à-dire les ascendants et descendants masculins dont la lignée n’est pas séparée par une femme. L’article 338 du code de la famille précise que l’ordre des agnats est le suivant : le fils, le père, le grand père, le frère utérin, le cousin germain etc. En pratique, les héritiers réservataires prennent les parts légales selon leurs quotes-parts respectives et lorsque la succession n’est pas entièrement absorbée par ces derniers, le reste est accordé aux agnats en vie au moment du décès et qui se trouvent en tête du classement.

Une vision partielle tend à réduire le problème du mode successoral marocain à la seule question du tafāḍul tandis que le problème réside principalement dans la définition de la quote-part de chaque héritier et dans l’étalement de la succession à un très grand nombre d’héritiers. Le code de la famille érige les grands parents en héritiers réservataires et ils obtiennent un tiers de la succession. En cas de présence d’enfants dans le couple, la conjointe obtient 12,5% seulement de la succession. Lorsqu’une famille n’est constituée que de femmes, celles-ci n’héritent pas de l’ensemble de la succession car elles sont réservataires, elles n’obtiennent que des quotes-parts fixes et ne peuvent être agnates par elles-mêmes. Dans ce cas, le premier de la liste des héritiers agnats reçoit la part restante. Il peut s’agir du frère du défunt, de son cousin ou d’un agnat lointain.

Force est de constater que ce mode de succession ne privilégie pas forcément les descendants par rapport aux ascendants. D’autant plus qu’il favorise les héritiers de sang de manière à ce que la conjointe ou le conjoint ne jouissent d’aucune protection. Des héritiers lointains peuvent hériter alors qu’ils n’ont de commun avec le défunt que le lien agnatique. Il va sans dire que les principes fondateurs de ce mode successoral rappellent les sociétés tribales cimentées par les liens agnatiques. Quant à la cellule familiale, elle était élargie dans le sens horizontal (frères, cousins germains etc.) et vertical (ascendants et descendants). On peut considérer que la présence de telles structures familiales rendait légitime un tel étalement de la succession.

Toutefois, le Maroc postcolonial a connu un changement radical en termes de structures familiales en raison de l’urbanisation de la société et de la modernisation de l’économie. La famille élargie a laissé progressivement place à ce que les sociologues de la famille appellent la famille nucléaire. Il s’agit de la famille conjugale qui constitue de nos jours une entité économique autonome. Selon les statistiques du Haut-Commissariat au Plan, la taille moyenne des familles au Maroc est de 5,58. Par ailleurs, la différence entre le milieu urbain et le milieu rural n’est que d’un point seulement. Même s’il existe toujours des familles de type élargi, la famille nucléaire est incontestablement devenue le modèle majoritaire et dominant.

Les nombreux dysfonctionnements de l’application du code de l’héritage témoignent de l’obsolescence de ses fondements théoriques.  Il existe en effet des familles de femmes qui, en plus d’être appauvries par le décès du père de famille, se trouvent obligées de racheter la part des héritiers agnats sous peine de devoir vendre leur logement principal. Une  telle situation peut également se produire en présence d’un ascendant de sexe masculin dans le cas où les parents du défunt sont encore vivants au moment du décès. Il peut ainsi en résulter un tort vis-à-vis des enfants qui ont davantage besoin de la succession que leurs grands-parents.

Malgré les nombreux drames familiaux, on relève l’absence quasi-totale de débat autour de cette question. Ce silence témoigne d’un double problème. Premièrement, le système économique actuel semble consacrer une forme de domination masculine qui tend à appauvrir les femmes et à concentrer les capitaux et les richesses entre les mains des hommes. Le second problème est d’ordre culturel. L’islam officiel incarné en partie par le conseil des oulémas tend à s’attacher aux lectures littéralistes lorsqu’il s’agit de jurisprudence relative au code de la famille. D’autant plus que la culture dominante semble faire du statut de la femme un marqueur majeur de l’islamité de l’ensemble de la société.

Pourtant, il existe dans le “monde musulman” des spécialistes du droit musulman qui se fondent sur les textes sacrés de l’islam afin d’appeler à une refonte du code de la succession. Partant du constat général de l’obsolescence du code successoral classique, ils ont recours à une lecture rationnelle du Coran fondée sur l’historicité des textes coraniques et des hadiths et mettent ainsi en avant les visées du droit (maqāṣiḍ aš-šarʿ). Plusieurs pays ont introduit des réformes du code de l’héritage dans le but d’éviter les situations les plus critiques. En Tunisie et dans plusieurs pays de tradition shiite, les héritiers agnats sont évincés en cas de présence d’héritières réservataires. Introduire des situations exceptionnelles au nom de l’intérêt général (maṣlaḥa) semblerait plus réaliste, même si cette proposition a déjà été rejetée par le conseil des oulémas en 2008. Il est également possible d’introduire un droit d’usufruit au conjoint en cas de décès comme dans la majorité des codes de succession à travers le monde. Cela permettrait dès lors de protéger la famille nucléaire sans pour autant toucher aux fondements de l’interprétation dominante des textes religieux.

Dans ce contexte, la prise en charge de la réforme du code de succession demande du courage politique et l’instauration d’un mouvement solide qui ne considère pas l’égalité des sexes comme unique priorité. Il s’agit bien au contraire d’un travail horizontal plus large qui vise à garantir la justice sociale, la démocratie, les libertés et l’égalité entre les sexes.

Un article de Salma Hargal et Montassir Sakhi initialement paru sur le site de notre partenaire Arabsthink

Sahara occidental : un dossier qui peine à sortir de l’impasse

Le Sahara occidental est un territoire avec une superficie de 266000 km2. Le territoire est frontalier du Maroc, de l’Algérie et de la Mauritanie. Il fut sous le contrôle de l’Espagne de 1884 à 1975.

Le Sahara occidental est l’objet d’intenses tiraillements entre les puissances voisines. Ces derniers demeurent convaincus que l’occupation du territoire présente des enjeux multiples dans les domaines politiques et économiques sans omettre la position de choix dans la course vers l’hégémonie régionale que conférerait le « contrôle » du territoire sahraoui.
Sous l’angle diplomatique, les relations tendues entre le Maroc et l’Algérie sont symptomatiques de la complexité du conflit sahraoui, notamment dans les relations entre les grandes puissances voisines.
Ce conflit larvé sur fond de leadership politique au Maghreb n’est toutefois pas le premier du genre sur le territoire du Sahara Occidental. En effet, les sources historiques renseignent valablement sur les conflits ayant opposé des tribus guerrières aux forces religieuses dans l’optique d’asseoir, chacune, une mainmise sur le Sahara occidental.

En 1048, des Berbères Sanhadja formèrent une unité politique en fondant le mouvement almoravide. Ils s’empareront de petits émirats à la suite de la chute de l’empire chérifien des Idrissides. Etendant alors leur hégémonie par le biais de conquêtes, ils parvinrent à occuper la péninsule ibérique et installèrent leur capitale à Marrakech. Plus tard, les Portugais et les Espagnols s’installent sur la Côte, et en 1885, à l’issue de la conférence de Berlin, l’occupation et l’administration du Sahara Occidental revint à l’Espagne. Dès lors, il est intéressant de constater une nouvelle fois qu’un pays européen avait une responsabilité sur un conflit portant sur une question de souveraineté en Afrique.

A l’aune de ces faits, l’on remarque la trajectoire particulière qu’a prise le problème sahraoui. D’abord, un conflit local entre tribus rivales ; ensuite un tiraillement sur fond de conflit colonial et enfin, une crise intra-africaine, notamment entre le Maroc et l’Algérie ; ce dernier soutenant sans relâche le Front Polisario, mouvement de lutte armée pour l’indépendance du Sahara occidental créé en 1973.
Des exemples, pour rappel, confirment la vive tension qui caractérise quasi quotidiennement les relations entre Alger et Rabat qui ont connu une escalade dans les années 70 avec l’expulsion, en 1975, de plusieurs familles marocaines d’Algérie.
Aujourd’hui la frontière algero-marocaine est fermée. Cette vive tension entre les deux pays déteint sur l’organisation qui regroupe les Etats de la sous-région. L’Union du Maghreb Arabe est le modèle type d’intégration africaine qui baigne depuis sa création dans un échec total. (1)

Le drame du Sahara occidental est aussi marqué par une lutte militaire qui peine à trouver une issue favorable. Le grand nombre de populations civiles qui vivent dans des conditions extrêmement difficiles dans les camps de réfugiés est une image saisissante sur la dureté et l’importance du drame sahraoui.

Acteur majeur du conflit sahraoui, le Front Polisario a acquis une reconnaissance internationale de fait comme un acteur incontournable du conflit sahraoui. Les différentes parties prenantes du conflit ont été obligées de considérer comme un interlocuteur valable et de poids dans le processus de règlement pacifique de ce problème. Cela s’est surtout confirmé à la suite du départ du Maroc de l’Union Africaine après l’intégration de la République Arabe Sahraouie Démocratique (RASD) au sein de la dite institution au Sommet de Tripoli en 1982. Ce retrait qui est intervenu à la suite d’un profond désaccord sur l’admission de la RASD au sein de l’organisation continentale, marque aussi, de fait, une victoire diplomatique considérable du Front Polisario et de son tuteur algérien.
Malgré les multiples tentatives et pressions de certaines institutions internationales comme l’ONU, qui a désigné un représentant spéciale au sujet du conflit sahraoui, l’américain Christopher Ross, ou l’UA vis-à-vis des différents acteurs afin de trouver des solutions crédibles et durables, la paix n’est toujours pas au rendez-vous.

Dans ce cadre, il est nécessaire de jeter un coup d’œil sur les résultats des différentes tentatives de sortie de crise. Le représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU est victime d’un désaveu de la part du royaume chérifien qui doute de sa neutralité. Ce à quoi Ban Ki Moon a récemment réagi par une confirmation de sa confiance à l’endroit du diplomate américain.
Néanmoins, la déclaration de cessez-le-feu de 1991 a sans doute constitué un grand bond en avant en vue d’une solution définitive, mais le chemin vers la paix est encore long et sinueux pour ce conflit qui a tout de même duré près de quatre décennies.
Toutes les initiatives pouvant induire une issue heureuse sont les bienvenues. Mais, il est urgent d’agir rapidement et de manière efficace afin de contraindre les parties au dialogue afin qu’elles reviennent enfin autour de la table des négociation et sortent le dossier sahraoui de la situation d’impasse dans laquelle elle se trouve.

La Mission des Nations Unies pour l’Organisation d’un référendum au Sahara Occidental (MINURSO) reste tout de même un grand pas déjà franchi dans la longue route vers la paix même si son mandat lui laisse peu de marge de manœuvre. Les obstacles qui se dressent devant l’atteinte de son mandat qui est de faire respecter le cessez-le-feu et d’organiser un référendum d’autodétermination sont nombreux, surtout dans un contexte où les parties ne parlent toujours pas le même langage et ne s’entendent ainsi pas sur les termes de références de ce referendum qui reste encore très hypothétique.

 

Blaise Guignane Sene

 

1A ce propos, voir le  très bon papier de Jacques Leroueil sur Terangaweb

http://terangaweb.com/limpasse-de-lunion-du-maghreb-arabe/

Faut-il que le chef ressemble à sa base ?

Il y a, fondamentalement, deux types de partis politiques et de système représentatif.

Il y a ceux qui pensent que, depuis la base jusqu’au sommet, depuis le moindre électeur jusqu’au chef de gouvernement, il y a un chemin linéaire : le même peuple, le même langage, la même culture. Le chef élu doit parler le même langage, manger la même nourriture, ressembler physiquement au peuple qui l’a élu. Cette conception est celle des démocraties rousseauistes, nées de la révolution française ; elle débouche sur le meilleure : l’ouverture de la scène politique à tous, la participation politique élargie, l’ascension sociale sans frein ; et elle débouche sur le pire : le populisme le plus violent, et parfois les dictatures sanglantes ; Staline, comme Saddam Hussein, comme Fidel Castro, n’ont cessé de le rappeler : ils ressemblent, culturellement, physiquement, socialement, au moindre paysan russe, irakien ou cubain, ils sont le peuple.

Et puis il y a le second type de parti et de démocratie représentative. Ce type conçoit la politique comme un monopole, une spécialité, aux mains d’un groupe sociale, l’élite – qu’elle soit technocratique, ou sociale. Un gouffre sépare cette élite du peuple. Le peuple vote, régulièrement, tous les quatre ou cinq ans. Le peuple choisit, parmi les grandes familles concurrentes, celle qu’il estime la plus apte à gouverner. La démocratie, dans cette conception, ne signifie pas la participation de tous aux affaires publiques, mais le pouvoir qu’ils ont de choisir entre quelques-uns, de faire tourner le manège des élites. Cette conception, on la retrouve dans de vieilles démocraties, d’inspiration anglo-saxonne : en Grande-Bretagne comme aux Etats-Unis, il est peu probable qu’un fils du peuple devienne premier ministre ou président. Car il faut pour cela tant de liens, tant de réseaux, que seule une poignée de grandes familles est en lice pour cette course. Le peuple se contente de voter pour l’une ou l’autre. Un gouffre le sépare de la scène politique. Certes, parfois, quelques méritants, quelques boursiers de la politiques, de braves enfants du peuple, réussissent à entrer dans ce club fermé. Mais ils devront garder la tête basse, et échanger le sang neuf qu’ils apportent aux élites contre la tolérance que celles-ci leur vouent, en les adoubant, en les mariant, en les accueillant parmi elles.

L'élection du chef de l'Istiqlal au Maroc

Il y a une dizaine de jours, l’Istiqlal, vénérable parti marocain, plus vieux que le PS ou l’UMP français, plus vieux que la plupart des partis arabes, a élu un nouveau secrétaire général. L’élection fut serrée, elle opposa Hamid Chabat, un ancien militant syndicaliste, et Abdelwahad el Fassi, un médecin réputé, fils du fondateur du parti Allal el Fassi. Voilà un exercice d’école, à proposer aux étudiants en sciences politiques : la confrontation entre, non pas seulement deux personnalités, l’une populiste, controversée, l’autre tout en rondeurs et diplomatie, mais entre deux conceptions métaphysique de la politique.
Faut-il que le chef d’un parti, et à terme un possible chef de gouvernement, soit comme le peuple qui élit le gouvernement : qu’il parle comme lui, qu’il mange comme lui, qu’il s’habille comme lui ? Qu’il ait fait les mêmes études, ou les mêmes non-études comme lui ? Qu’il porte la même moustache, comme lui ? 

Ou bien faut-il que le chef du parti, que le possible chef de gouvernement soit justement très différent de ceux qui votent pour lui : qu’il ait fait des études très poussées, que jamais le peuple ne pourra faire dans sa majorité ? Qu’il soit le descendant d’une très vieille famille ? Qu’il parle d’une certaine manière, s’habille d’une certaine manière, sourit et rie d’une certaine manière, qui ne cessent de rappeler qu’entre lui et ses électeur un fossé qu’on ne peut enjamber existe ?

On dira : pourquoi le peuple votera pour des gens qui ne lui ressemblent pas ? Or, justement, dans les plus vieilles démocraties du monde, en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, globalement le peuple vote pour des gens qui ne lui ressemblent pas. On estime qu’il faut envoyer à Washington, au Congrès, au Sénat, à la Maison Blanche, des gens qui ont fait de grandes études, comme n’en font pas les Américains, des gens qui sont beaucoup plus riches que la majorité des Américains, des gens qui souvent parlent des langues étrangères, connaissent des pays étrangers, à la différence de l’écrasante majorité des Américains. Mais cette majorité estime que telle est le prix de la démocratie impériale : il faut, pour gérer le pays, des spécialistes de la grande politique.

Mais à côté de cette conception, qui dresse une barrière entre l’élite politique et les électeurs, la révolution française en a introduit une autre : le peuple vote et porte au pouvoir un morceau de lui-même, un miroir de lui-même, avec tous les dangers populistes que cela porte.

Vers la fin du multipartisme notabiliaire au Maroc ?

Le Maroc, à la différence des autres pays arabes, n’a jamais complétement accepté cette conception française et rousseauiste de la politique. Cela a eu des avantages : d’éviter le populisme qui conduit à l’installation de régimes dictatoriaux, mais cela a aussi des inconvénients, comme de détourner les gens de la politique, qu’on finit par considérer comme une affaire de fils de bonnes familles. Il n’est peut-être pas étrange que ce soit justement le plus vieux parti marocain qui subisse en ce moment sa révolution conceptuelle : les militants politiques, les adhérents, les sympathisants, ne veulent plus, même dans le plus vieux, le plus aristocratique, le plus patricien des partis marocains, qu’un gouffre sépare l’estrade politique des gradins où le peuple assiste au spectacle.

Ceux qui disent que l’élection du nouveau secrétaire général de l’Istiqlal est la continuation du printemps arabe, ne se trompent pas : pour le meilleur et pour le pire, le multipartisme marocain, qui était, toute tendance confondu, un multipartisme notabiliaire et de délégation, est en train de devenir un multipartisme de participation directe. Que ce soit justement le parti marocain le plus patricien qui ait connu cette transformation interne est un signal fort à destination des autres : car aussi paradoxal que cela puisse paraître, ce n’est pas seulement dans les partis bourgeois et conservateurs qu’une ligne de démarcation sépare les dirigeants de « bonne famille » des militants de la base. Beaucoup de partis dit de gauche connaissent cette emprise familiale, et beaucoup doivent sentir aujourd’hui les secousses du tremblement de terre dont l’épicentre eut lieu à Bouznika, le 23 septembre dernier. 

Omar Saghi

Education au Maroc et en Algérie: vers l’émergence d’un débat national?

Les révoltes qui ont traversé le monde arabe ont placé au cœur de l’actualité la jeunesse ayant soif de changement. Au Maroc comme en Algérie, l’atmosphère est plutôt celle du status quo et du maintien bricolé de structures peu démocratiques. Mais la jeunesse, et à travers elle l’exigence d’une éducation de qualité, remet le dossier éducatif sur la table.

Discours du roi du Maroc : une ode à l’éducation

« De l’éducation de son peuple dépend le destin d’un pays » c’est en ces termes que s’exprimait au XIXe siècle le premier ministre britannique Benjamin Disraéli. Partant du même constat et exprimant un intérêt manifeste pour la réforme de l’éducation, le roi du Maroc Mohammed VI s’est adressé lundi à la nation dans un discours insistant sur le secteur éducatif et la jeunesse marocaine à l’occasion du 59e anniversaire de la « Révolution du Roi et du peuple ».

C’est dans sa position confortable de souverain non-responsable devant le peuple -contrairement au gouvernement contre lequel se cristallisent les impatiences et mécontentements-, que Mohammed VI s’est essayé à une reconnaissance lucide des obstacles du système éducatif marocain et de la nécessité d’atteindre au plus vite les objectifs fixés en matière de modernisation de l’éducation nationale.

« […] Il est donc impératif de se pencher avec sérieux et résolution sur ce système que nous plaçons, d’ailleurs, en tête de nos priorités nationales. Car ce système, qui nous interpelle aujourd’hui, se doit non seulement d’assurer l’accès égal et équitable à l’école et à l’université pour tous nos enfants, mais également de leur garantir le droit à un enseignement de qualité, doté d’une forte attractivité et adapté à la vie qui les attend.

Par ailleurs, ce système doit également permettre aux jeunes d’affûter leurs talents, de valoriser leur créativité et de s’épanouir pleinement, pour qu’ils puissent remplir les obligations de citoyenneté qui sont les leurs, dans un climat de dignité et d’égalité des chances, et pour qu’ils apportent leur concours au développement économique, social et culturel du pays. C’est là, du reste, que réside le défi majeur du moment »[1] a-t-il expliqué.http://www.youtube.com/watch?v=pDRnk8yt0y4&feature=player_embedded

Le discours, bien qu’éclairé et soulignant avec pertinence l’urgence des défis en la matière, contraste cependant avec l’état déplorable du système éducatif en termes de qualité de l’enseignement et des résultats bien trop faibles des politiques menées. Quelques bons points sont tout de même à valoriser, notamment la hausse considérable de la production scientifique marocaine au cours des années 1990, avant d’amorcer une phase de déclin puis de légère reprise dans les années 2000.

Le désarroi des enseignants à l’image d’un système éducatif en difficulté

Le désarroi du corps enseignant et l’inquiétude répétée des étudiants –en plein cursus ou chômeurs- témoignent des failles structurelles indéniables de l’éducation nationale marocaine. Les syndicats d’enseignants font d’ailleurs partie des noyaux actifs de la société civile portant, au Maroc comme en Algérie par exemple, les préoccupations des acteurs de l’éducation lors des manifestations et sit-in.

L’entrée en poste du nouveau gouvernement marocain avait certainement suscité de grandes attentes envers le ministre de l’éducation dans la conduite tant espérée d’une réforme effective et planifiée du secteur. Un élan de contestation et d’appel au débat national a de nouveau touché le secteur éducatif au cours des derniers mois avec l’observation d’une grève générale des enseignants le 1er mars 2012 à l’appel de l’union des syndicats autonomes du Maroc (USAM) pour dénoncer l’absence d’une vision claire[2] entreprise par le ministre Mohamed El Ouafa.

L’appel à la prise de conscience et au débat national lancé par les jeunes générations

Au mois de juin 2012, les réseaux sociaux maghrébins déploraient à leur tour l’état de leur éducation nationale : le hashtag des internautes marocains #EducMA ou encore l’opération algérienne sur Twitter #BenbouzidDégage (Ministre de l’éducation algérien). Ces actions sur la toile faisaient écho aux grèves et manifestations organisées par des lycéens et étudiants en Algérie et au Maroc. Le 6 août 2012, l’Union des Étudiants pour le Changement du Système éducatif (UECSE) appelait quant à elle à la mobilisation de l’ensemble des étudiants du royaume chérifien dans le but « d’inciter la société civile marocaine et la scène politique à ouvrir un débat national sur les mesures à prendre pour la réforme du système ». Dans les quatre coins du pays, ces jeunes entendaient protester contre « les seuils exorbitants demandés pour passer les concours des écoles supérieures au Maroc » et les « atteintes au principe de gratuité dans les facultés », et défendre avec ferveur « le principe du droit à l’éducation ». Leur communiqué évoquait la problématique de l’allocation des fonds dédiés à l’éducation tout en revenant sur l’urgence de la réforme et les classements internationaux reléguant le système éducatif marocain en bas du tableau.

Le critère quantitatif au mépris de la qualité de l’enseignement marocain

Le roi Mohammed VI a affirmé à maintes reprises avoir placé l’éducation au sommet des priorités nationales. La commission spéciale de l’éducation et de la formation (Cosef) qui avait pilotée diverses réformes de l’éducation n’avait pas réussi au cours des années 2000 à atteindre les objectifs fixés. La désillusion était patente et les résultats bien en deçà des espérances[3]. Cette même instance se verra confier la mise en œuvre de la fameuse « Charte Nationale d’éducation et de formation » annoncée en 2009 après l’échec partiel des précédentes politiques.

Ce « grand projet de modernisation » se fixait théoriquement trois objectifs ambitieux : 1) la généralisation de l’enseignement et l’amélioration de sa qualité ; 2) la réalisation d’une cohérence structurelle -intégration interne et intégration à l’environnement socioéconomique- et enfin 3) la modernisation des méthodes de gestion et de pilotage du système.

Mais au-delà des effets d’annonce, qu’en est-il concrètement ? Des progrès quantitatifs ont certes permis un certain élargissement de la scolarisation, mais les autorités ont dû se résoudre à la mise en œuvre d’un Programme d’Urgence (2009-2012) face à la persistance et voire la recrudescence des mauvaises performances : taux de redoublement/déperdition à tous les niveaux de scolarité ; inadéquation entre les formations et le marché du travail (chômage des diplômés) ; ou encore très faible niveau des savoirs de base. De même, les sous-effectifs d’enseignants dans le primaire et secondaire touchent également l’université tandis que le déficit financier de l’enseignement supérieur peine à se résorber.


Source : NABNI, www.nabni.org

Le fleurissement de l’enseignement privé y compris dans le supérieur -encouragé de ses vœux par l’Etat- n’a pu remplir sa mission que partiellement, se heurtant aux disparités socio-économiques et géographiques et à l’inégalité des chances et moyens de poursuivre un enseignement de qualité. Ce décalage déconcertant entre les politiques annoncées, et le surplace de l’éducation marocaine a été souligné à de multiples reprises et notamment en 2009 lorsque l’UNESCO avait classé le Maroc parmi les pays se trouvant dans l’impossibilité « d’atteindre les objectifs fixés à horizon 2015 » compte tenu de la faible qualité des services éducatifs ; du taux d’analphabétisme encore important; et du coût élevé de l’éducation. Un autre chantier urgent mais négligé est celui de la mise en place de nouvelles méthodes pédagogiques – et donc d’une autre formation des enseignants-.

Algérie/Maroc – dépenses faramineuses, résultats médiocres : “échec voulu” ou mauvaise gestion?

Un même constat aberrant permet de comparer -en dépit des spécificités propres à chacun- l’Algérie et le Maroc : la courbe inversée entre une hausse exponentielle des dépenses de l’Etat dans le domaine de l’éducation et les minces résultats en termes de performance, modernisation et pilotage stratégique du secteur[4].

Certains s’interrogent : s’agit-il d’un « échec voulu » ou le syndrome de la mauvaise gestion des réformes ? Les citoyens sensibles aux discours ambitieux sont vite désillusionnés par la réalité d’une éducation bien éloignée des paroles printanières annonçant l’instauration imminente de « l’école de demain ». Une internaute marocaine commentait avec amertume sur Facebook le dernier discours du roi « des experts compétents ont réalisé les constats et analyses nécessaires, ont rédigé des rapports proposant des solutions aux problèmes et leur procédure de mise en œuvre. Mais l’éducation n’a jamais été la priorité au Maroc.…je vous laisse deviner pourquoi ».

Cette remarque renvoie à la croyance assez répandue qu’il existe une volonté étatique de « non-développement de l’éducation » capable de contenir les germes de l’esprit critique et donc de la contestation de l’ordre établi. Le jeu subtil des régimes algérien et marocain consisterait donc à maintenir une certaine ignorance et des méthodes d’enseignement abrutissantes couplées aux médias officiels manipulateurs et favorisant l’apolitisation de la société. Mais l’objectif d’un réel développement économique et social ne peut se passer d’une réforme éducative, soulignant l’existence d’un dilemme infernal pour les autorités.

L’Algérie et le Maroc ont connu des trajectoires très différentes en matière d’éducation, la première ayant initialement mis en place un modèle de type socialiste de scolarisation massive et gratuite permettant dans un premier temps la réduction drastique du taux d’analphabétisme. Mais aujourd’hui, les deux pays se retrouvent dans une situation comparable –avec des spécificités propres- de stagnation pesante ; des bilans qualitatifs assez médiocres (redoublements/déscolarisation/chômage des diplômés) compte tenu des dépenses pharamineuses. L’Algérie a doublé ses dépenses consacrées à l’éducation entre 2000 et 2006 (passant de 224 milliards de dinars à 439 milliards)[5] tandis que l’effort financier du Maroc dans le secteur éducatif représente 5,4% du PIB en 2009 et 25% du budget de l’Etat. Si l’Algérie n’a pas encore entrepris une évaluation des politiques mises en place, le Maroc semble davantage se soucier du devenir de l’éducation nationale et miser sur la recherche et la formation de l’élite.

Le système éducatif marocain doit se poser le défi urgent de l’accès à l’éducation de base, encore très inéquitable et incomplet, les zones rurales se trouvant dans une situation d’exclusion partielle. Les plus vulnérables restent encore en dehors du cycle primaire, tandis que l’enseignement collégial n’est guère généralisé en milieu rural comme le souligne ce rapport de l’UNESCO. Rappelons aussi que près de 40% des marocains âgés de 10 ans et plus sont toujours analphabètes, ce taux atteignant 60% en milieu rural et près de 75% chez les femmes.

(Source de l’étude : http://www.estime.ird.fr/IMG/pdf/Rossi-Waast-Academie_Hassan2-SP2008.pdf)

Autre fait notable, le taux de scolarisation au niveau universitaire demeure faible au Maroc -seulement 11%- et a connu peu d’évolution au cours des dernières années (à titre de comparaison il était de 37,6% en 2009/2010 en Tunisie). De son côté, l’Algérie affiche de meilleures performances en termes de taux de scolarisation universitaire mais se place loin derrière le Maroc et la Tunisie en termes de production scientifique – deux fois moins importante que celle du Maroc, et 1,5 fois moins que celle de la Tunisie-, la production scientifique étant de fait révélatrice du rayonnement universitaire et scientifique d’un pays et de l’exploitation de son potentiel de recherche et d’innovation.

(Source de l’étude : http://www.estime.ird.fr/IMG/pdf/Rossi-Waast-Academie_Hassan2-SP2008.pdf)

Le Maroc s’est démarqué positivement par sa production scientifique, ayant même été l’un des premiers pays méditerranéens à porter une attention détaillée à ses résultats de recherche comme le souligne cette analyse intéressante. Au cours des années 1990, le Maroc a enregistré une hausse considérable de sa production scientifique le hissant au 3e rang en Afrique, avant de voir cette progression ralentir depuis les années 2000. Parallèlement à ce déclin marocain, l’Algérie et la Tunisie surtout ont connu une phase de progression. A titre de comparaison, on peut noter que la démarche marocaine diffère -au moins dans la forme- significativement de celle de l’Etat algérien : alors que l’Algérie –otage de sa bureaucratie- se maintient dans une posture de déni et de gaspillage des fonds sans se soucier des résultats, le Maroc a souhaité une « évaluation externe de son système de recherche » entre 2001 et 2003. Cette initiative a permis à de grands scientifiques européens de constater le potentiel de chercheurs que concentre le Maroc et la « croisée des chemins » qui caractérisait à ce moment là la recherche marocaine nécessitant de fait une nouvelle dynamique.

L’incohérence linguistique et la formation des élites

La révision constitutionnelle marocaine a reconnu le tamazight (berbère) langue officielle mais sans aborder en profondeur la question linguistique. Lorsque l’on parle de l’éducation au Maghreb -cette « boussole de la vie »- comment ne pas aborder les incohérences entre politiques d’arabisation, élitisme francophone et revendications berbères? C’est un défi de taille qui se pose tant pour le Maroc que pour l’Algérie, des pays dans lesquels il est urgent de repenser le processus d’apprentissage des langues et de développer une cohérence entre la langue des disciplines enseignées et la langue pratiquée dans tel ou tel secteur économique.

Mais cette problématique est intimement liée à la production des élites et à l’enseignement français au Maroc. Charles-André Julien, éminent historien spécialiste du Maghreb et premier doyen de la Faculté des Lettres à Rabat au lendemain de l’indépendance du pays, décrivait dès 1960 dans une lettre les risques que suscitaient les questions de langue et formation de l’élite marocaine:

« J’ai toujours été partisan de l’arabisation, mais de l’arabisation par le haut. Je crains que celle que l’on pratique dans la conjoncture présente ne fasse du Maroc en peu d’années un pays intellectuellement sous développé. Si les responsables ne s’en rendaient pas compte, on n’assisterait pas à ce fait paradoxal que pas un fonctionnaire, sans parler des hauts dignitaires et même des Oulémas, n’envoie ses enfants dans des écoles marocaines. On prône la culture arabe, mais on se bat aux portes de la Mission pour obtenir des places dans des établissements français. Le résultat apparaîtra d’ici peu d’années, il y aura au Maroc deux classes sociales : celle des privilégiés qui auront bénéficié d’une culture occidentale donnée avec éclat et grâce ä laquelle ils occuperont les postes de commande et celle de la masse cantonnée dans les études d’arabe médiocrement organisées dans les conditions actuelles et qui les cantonneront dans les cadres subalternes. ».

Enfin, notons également que le Maroc et la Tunisie sont dotés de système de bourses d’études à l’étranger –certes dont l’accès est inéquitable- et de grandes écoles stimulant la formation d’une certaine élite économique et intellectuelle, qui au Maroc occupe souvent les principaux postes à responsabilité. L’Algérie a quant à elle a décidé de supprimer son système de bourses d’étude à l’étranger.

Absence de responsabilité politique à l’heure du bilan

La comparaison avec l’Algérie est éclairante sur les défis et blocages qu’ont en commun les deux voisins. L’Algérie est dotée d’un système éducatif à l’image de ses autres secteurs au grand dam des nouvelles générations: mal géré, non-coordonné, martelé à coup de « réformes » cosmétiques sans capacité de pilotage satisfaisante, sans évaluation, et victime d’un gouvernement considérant à tort que la simple injection de dinars produira par miracle excellence, créativité et qualité de l’enseignement.

Les nouvelles générations paient des deux côtés de la frontière toujours fermée le prix fort de la négligence des autorités, et cette destruction irresponsable de potentiels et ressources humaines est un drame maghrébin menaçant un développement économique et social durable mais également la démocratisation des esprits et l’essor intellectuel. Le ministre algérien de l’éducation en poste depuis 20 ans est l’incarnation de ce mal incurable : des responsables politiques qui ne rendent pas compte de leur échec et s’absoudent éternellement –parfois insolemment- de toute responsabilité ; des politiques mal évaluées ; et des générations sacrifiées. En 2012, aucun pays ne peut se « contenter » d’une simple diminution de son taux d’analphabétisme.

L’unique perspective de changement est l’ouverture d’un débat national sur la qualité de l’éducation qui doit être impérativement investi par la société civile pour forcer l’engagement d’une réforme urgente et structurelle du secteur.

Mélissa Rahmouni peut être contactée à melissa.rahmouni@arabsthink.com.

Article initialement publié sur le site de notre partenaire ArabsThink

Dar el Makhzen

L’intérêt que suscite Le Roi prédateur, le livre écrit par Eric Laurent et Catherine Graciet, passe à côté des questions essentielles mais enterrées profondément dans le sous-sol de la société marocaine. Mélange d’investigations et de considérations morales, ce livre à quatre mains instruit à charge un dossier – la place du roi dans l’économie marocaine – dont les ressorts sont cependant plus complexes qu’il n’y paraît. De ce que l’histoire, marocaine comme étrangère, enseigne, on retiendra le rôle central que les maisons royales avaient dans les économies des sociétés qu’elles contrôlaient. L’impôt, l’industrie, le travail, le commerce, d’autres entités encore qui font l’économie politique, n’étaient pas distinguées de la gestion d’un domaine privé. Après tout, l’économie – de oïkos et nomos, administration de l’espace privé – s’est construite comme exploitation de l’unité domestique, et la royauté, qu’elle tire ses origines d’un despotisme impérial ou du système féodal, avait tendance à confondre ses sujets avec une force de travail à son service. L’émergence d’une bourgeoisie nationale, l’identification de plus en plus poussée du peuple avec l’Etat plus qu’avec la maison royale, finirent par substituer à cette économie royale une économie nationale. Celle-ci, comme Marx l’a bien notée, n’est pas moins dure et rapace que la précédente, mais elle est cohérente avec l’ensemble du système politique moderne

Deux moteurs pour une seule économie

Au Maroc, de même que le protectorat juxtaposa à la souveraineté chérifienne un système de gouvernement moderne, il créa, à côté de l’économie royale du Dar el Makhzen, une économie moderne. Le dualisme marocain, déjà noté à propos du système politique, qui dédouble mécaniquement le gouvernement élu par un cabinet royal nommé, la loi par le dahir, la souveraineté populaire par la souveraineté dynastique, trouve ainsi, dans l’espace économique, une autre dimension où il déploie cette exception marocaine. C’est dire que la présence du palais dans les affaires économiques n’est pas (seulement) affaire de prévarication, comme cela peut être le cas dans une dictature militaire. L’héritage historique, la légitimité sociale, faite de tradition et de servitude intériorisée… rendaient cette économie royale parfaitement acceptable aux yeux des acteurs économiques. Et au regard des catastrophes économiques des républiques arabes, on pouvait même saluer ce système comme une semi-réussite.

Moins de répression policière, plus de prédation économique ?

Que s’est-il donc passé pour que cette économie royale, jusque-là discrète, devienne un sujet litigieux ? Deux changements. Le premier, d’échelle. L’économie royale restait discrète sous Hassan II. Elle offrait d’occasionnels moyens de corruption à un souverain qui s’intéressait d’abord aux rapports de force purement politiques. Le nouveau règne, enfant de son temps, a fait de l’appareil économique un levier central. A mesure que police et torture, enlèvement et répression diminuaient, les monopoles économiques, les opérations d’achat inamicales, les délits d’initié et la spéculation immobilière contrôlée par des acteurs proches du palais, s’emballaient. Le second changement est international. La fluidité accélérée du capital, jointe à la démocratisation en cours dans les pays arabes, rendent et rendront à l’avenir les acteurs économiques marocains moins dociles. Ceux qui pourront partiront – le grand capital – et ceux qui ne le pourront pas auront tendance à résister – la petite bourgeoisie urbaine. Un réaménagement des rapports entre économie royale et économie nationale est désormais urgent. Une série de questions, que peu d’observateurs posent, doivent être mises en débat, et aucune réponse dogmatique n’existe : le Maroc a-t-il besoin de deux moteurs économiques, l’un royal et l’autre national ? Où se fixent les frontières, et quelle instance contrôle, le passage d’une économie sultanienne autonome à un système de prédation ? Dans le monde contemporain, où les économies nationales sont en crise, et où la mondialisation pousse à la multiplication d’acteurs transversaux et supranationaux, comment faire pour que l’économie royale devienne un instrument d’expansion international, plutôt qu’une tumeur intérieure fragilisant les organes économiques ?

 

Omar Saghi, article initialement paru sur son blog

Maroc : Juxtaposition

Il y a, dans l’histoire moderne du Maroc, un moment particulier où fut décidé, par un mélange de vision personnelle, de hasard, de rapport de force, un choix institutionnel dont les effets, ensuite, seront diffractés sur l’ensemble des dimensions de la société. Se pencher sur cette période, essayer d’en isoler les fils conducteurs, permettrait, éventuellement, de mieux envisager les défis qui se poseront au Maroc.

La modernité fut un traumatisme pour les pays extra-occidentaux, indéniablement. Colonisés ou pas, ceux-ci durent se confronter à la nouvelle réalité politique du nationalisme, de l’administration rationnelle, des relations interétatiques. Cette confrontation passa, majoritairement, par la substitution d’un nouveau système politique aux anciens modes de gouvernements. En Chine, en Iran, en Inde, par le colonisateur ou par le révolutionnaire local, on supprima la souveraineté traditionnelle, les rapports de féodalité, le communautarisme, par la centralisation autoritaire.

Le nouveau à côté de l’ancien

Au Moyen-Orient par exemple, cela passa, dans les années 1920, par la suppression, par Mustapha Kemal Atatürk, de l’empire ottoman, ensuite du califat. Un vide de souveraineté énorme se produisit dans les pays ex-ottoman : il explique, très largement, l’inventivité idéologique des années 1920 et 1930, en Turquie, au Levant, en Egypte. Il fallait remplir ce vide, par le nationalisme, l’islamisme, le socialisme international ou le libéralisme bourgeois. Les fractures inter-ethniques ou intercommunautaires, les nettoyages ethniques, les coups d’Etat à répétition, sont les produits naturels de cette décapitation des anciennes institutions et la recherche d’un substitut.

Or, à la même période, au cours de cet entre-deux-Guerres, où les pays colonisateurs, sortirent hagards et faibles des tranchées mais toujours avides de nouvelles terres, le Maroc, nouvellement acquis par la France, subit une opération spécifique. Hubert Lyautey, le résident général, bricola une méthode de modernisation originale. Ni conserver intégralement les anciennes institutions – comme firent les pays de la Péninsule arabique –, ni les remplacer par de nouvelles – comme au Moyen-Orient – mais juxtaposer au Makhzen une administration moderne, au palais royal une résidence étatique, comme il juxtaposa aux médinas, intactes, des villes de type européen, et à l’économie traditionnelle – l’artisanat des villes de l’intérieur, ses bourgeoisies, ses circuits commerciaux – une façade atlantique industrialisée.

Le legs de 1912 ?

Cette juxtaposition, décidée et accomplie en quelques années – entre 1912 et 1925 environ – marqua d’une empreinte définitive la suite de l’histoire politique du pays. Ni les résidents qui suivirent le maréchal, ni ensuite les rois et les gouvernements indépendants, ne remirent en cause ce dualisme. Le Maroc allait, à l’encontre de tous les systèmes politiques modernes, marchées sur deux piliers, joindre deux mondes, utiliser, tactiquement, l’un ou l’autre. C’était comme si Mustapha Kemal avait créé la Turquie à côté et à l’intérieur de l’empire ottoman. La relative modestie de la population marocaine, ces limites territoriales étroites, font oublier cette réalité : un empire fut maintenu vivant, masqué, couvert, protégé, par un appareil d’Etat-nation moderne.

Le Maroc, qui commémorera dans deux semaines le centenaire de la signature du traité de Fès, qui mit l’empire chérifien sous la protection de la République française, se doit de méditer ce legs institutionnel. Au-delà des aspects débattus et controversés des héritages coloniaux, cet édifice institutionnel bicéphale surplombe encore l’architecture politique du pays. Et maintenant que, un siècle après le début du protectorat, l’ensemble de la région arabe est en ébullition institutionnelle, il est temps pour les Marocains de renouer ces fils dispersés : ceux de la démocratie, de l’histoire longue, du passé colonial et des rapports franco-marocains.

Omar Saghi, article initialement paru sur son blog

McKinsey et Benkirane

Toute société, même la plus égalitaire, a des élites. La formation, la sélection, la place qu’elle offre à celles-ci sont révélateurs de son régime de valeurs, de son idéologie, de ses blocages. Au Maroc, conseillers du souverain, ministres et dirigeants d’office publics composent un type de dirigeants singulièrement homogène. Etudes poussées et à l’étranger, expériences professionnelles auprès des grandes multinationales, double attache française et anglo-saxonne (par le diplôme ou l’expérience professionnelle). Cela pour le « who’s who » visible. Ajoutons l’extraction sociale limitée à un petit cercle, les alliances matrimoniales renforçant cet exclusivisme, et une sociabilité frénétique au sein de clubs ou dans l’entourage des grands, renforçant ces attaches.

Dans ce contexte, la désignation de Benkirane comme chef de gouvernement, les noms prévus de ministres, tranchent et jettent un trouble dans les eaux calmes du cursus honorum de l’homme public marocain. Benkirane, Daoudi, Othmani, Khalfi… n’ont pas fait d’études à l’étrangers. Ils n’ont pas travaillé chez McKinsey ou à la Barclays Bank. Ils ne sont pas époux, beaux-frères ou cousins les uns des autres, ou de tel ou tel. Ils parlent peu ou mal les langues étrangères. Et quand ils les parlent c’est en les écorchant. La chemise sans cravate de Benkirane n’est pas une coquetterie, mais la métonymie d’un plus vaste changement, tout comme il n’est pas tant barbu que mal rasé.

Elites de cour et élites des urnes

L’homme politique ne s’autorise que de lui-même. Il partage cette qualité avec les artistes. Aucun parcours ni diplôme ne devraient valider un poste tirant sa légitimité du seul suffrage universel. Cette règle implicite est sans cesse bafouée. On sait en France la part que les énarques ont dans le parlement et les cabinets ministériels. Au Maroc, c’était un panier de caractéristiques qui fournissait cette accréditation. Benkirane n’en remplit presqu’aucune. Sa force ne tient qu’à sa légitimité populaire. C’est la grâce de l’âge démocratique : le choix du peuple porte sur le discours d’un candidat, par-delà ses diplômes, ses stages ou ses réseaux.

Les deux dernières décennies, les signaux envoyés par les élites auprès des jeunes promotions signifiaient clairement l’inutilité du militantisme. On voyait accéder aux postes de ministre des ingénieurs et des banquiers, des « têtes » et des « cracs ». La validation partisane venait, à la dernière minute, les inscrire sur une liste électorale. Ce n’était après tout qu’une formalité. On a cru faire de la politique comme on gère une multinationale : par le diplôme et le réseau. C’était le désir secret d’Hassan II vieillissant, face à l’inéluctabilité de l’alternance : il multiplia ces « G14 », ces « académies du royaume », ces cercles sans aucune attache autre que le mérite scolaire et la grâce royale. Il voulait résolument enraciner la pratique de l’intellectuel et du politique de cour, homme d’exception ne tirant de légitimité que de sa proximité du souverain.

En portant Benkirane à la tête du gouvernement, les urnes et l’adoubement royal introduisent au Maroc la légitimité brute du militant. Car même El Youssoufi, militant de longue date, avait, au titre de chef de gouvernement, d’autres qualités : son parcours historique, ses réseaux, ses relations internationales… qui finissaient par amoindrir le profil politique pur au profit d’une image d’opposant aristocratique.

Courtisans, technocrates et politiques

Est-ce la fin des courtisans et des technocrates ? Les premiers perdront de leurs prérogatives politiques, sans doute, mais continueront d’être présents dans des domaines – affaires internationales, réseaux caritatifs… – où la délimitation des frontières entre le gouvernement et le palais ne fait que commencer. Quant aux technocrates, à vrai dire, ils ne disparaîtront pas tout à fait. Si l’expérience démocratique réussit, ceux-ci s’habitueront à la place qui leur est due. Dans leur langue, on l’appelle le « back-office ». Ils feront leurs équations à l’arrière, mais c’est au ministre qu’il faudra expliquer pourquoi le Maroc a besoin d’un TGV ou d’un accord de libre-échange avec les Etats-Unis. En arabe, et sans cravate.

 

Omar Saghi, article initialement paru sur son blog (http://omarsaghi.com/) consacré à l'analyse des révolutions en cours dans le monde arabe.